Mercredi 23 janvier 2013
- Présidence commune de M. David Assouline, président et de M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire -Composition de la commission et de son bureau - Communication
M. David Assouline, président. - En remplacement d'une vice-présidente de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, Mme Anne-Marie Escoffier, devenue membre du Gouvernement, la candidature de M. Stéphane Mazars a été proposée par le groupe du RDSE. Quelqu'un s'oppose-t-il à cette nomination ? Il en est donc ainsi décidé.
J'ai par ailleurs reçu une lettre de démission de notre collègue François Trucy, qui avait approuvé la mise en place de notre commission, mais qui après l'audition du ministre et du Secrétaire général du Gouvernement, a considéré que le Gouvernement ne prenait pas suffisamment en compte la fonction de contrôle de notre commission. Le groupe UMP a désigné pour le remplacer Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, membre de la commission des finances. Conformément aux dispositions du Règlement du Sénat, cette nomination a été entérinée lors de la séance du mercredi 16 janvier. Nous lui souhaitons la bienvenue au sein de notre commission.
M. David Assouline, président. - Je laisse maintenant la parole à M. Louis Nègre et Mme Laurence Rossignol pour présenter leur rapport d'information sur les lois Grenelle I et II.
Grenelle de l'environnement - Examen du rapport d'information
La commission procède ensuite à l'examen, en commun avec la commission du développement durable, du rapport d'information de Mme Laurence Rossignol et de M. Louis Nègre sur l'application de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement (Grenelle I) et de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (Grenelle II).
M. Raymond Vall, président. - Je me réjouis de cette première réunion commune entre nos deux commissions.
M. Louis Nègre, rapporteur. - Messieurs les Présidents, mes chers collègues, les lois du 3 août 2009 et du 12 juillet 2010 dites lois Grenelle I et II sont l'aboutissement et la retranscription législative du « Grenelle de l'environnement » lancé à l'été 2007. Le Grenelle, qui a été, à l'époque, un véritable succès médiatique, a surtout marqué l'émergence d'une forme nouvelle de gouvernance associant les parties prenantes à l'élaboration de la politique environnementale. Je n'hésite pas à le dire : c'était une véritable révolution culturelle ! Cette méthode fut par la suite appelée gouvernance à cinq, car elle associait des représentants de l'État, des syndicats de salariés, d'employeurs, des élus locaux et des associations environnementales.
La commission de l'application des lois nous a confié l'examen de la mise en application des lois Grenelle I et II, mais se pencher sur ces lois dans leur ensemble nous a paru, avec Laurence Rossignol, constituer un angle d'attaque bien trop vaste. Ce travail a par ailleurs déjà été en partie réalisé dans d'autres instances. Nous avons donc fait le choix de nous pencher sur un thème dont la mise en oeuvre a probablement été moins étudiée à ce jour que les mesures concernant les transports, les énergies renouvelables ou le bâtiment : il s'agit de la gouvernance.
Pour cela, nous avons réalisé une série d'auditions, comprenant des parlementaires, des représentants d'associations impliquées dans la défense de l'environnement, ou encore des membres du Conseil économique, social et environnemental. Nous nous sommes ainsi efforcés d'entendre l'ensemble des parties prenantes de la gouvernance au sens du Grenelle, qui, pour certaines, avaient pris part au processus dès 2007.
Avant de nous pencher sur une évaluation de l'impact des nouvelles méthodes de gouvernance à proprement parler, nous avons jugé utile de revenir sur la définition de la gouvernance telle qu'elle a été entendue lors du Grenelle et sur le bilan réglementaire de l'application des lois Grenelle I et II.
La méthode du Grenelle organisé à l'été 2007 est inédite par le mode de gouvernance qu'elle a institué, réunissant les membres de cinq collèges représentant l'ensemble des parties prenantes à la politique de l'environnement ; c'est la fameuse gouvernance à 5. L'objectif de cette concertation ouverte a été de rechercher des positions consensuelles. Il faut déplorer cependant que le Parlement n'ait été que tardivement associé à cette démarche.
Six groupes de travail avaient été mis en place, je vous le rappelle, chaque groupe étant composé de quarante membres, à part égale des cinq collèges. Ces groupes ont réalisé un important travail de diagnostic, et remis leurs propositions fin septembre 2007. A suivi une phase de consultations, le tout aboutissant à un total de 265 engagements.
Parmi ceux-ci, le titre VI de la loi Grenelle II est entièrement consacré à la gouvernance écologique, avec plusieurs mesures majeures : l'obligation pour les entreprises de plus de 500 salariés de présenter un bilan social et environnemental dans leur rapport annuel ; la réforme des études d'impact ; la réduction du nombre d'enquêtes publiques existant, leur nombre passant de 180 à 2 ; l'association du public à l'élaboration des réglementations nationales majeures sur l'environnement ; l'élargissement de la concertation aux syndicats et aux acteurs économiques, avec la possibilité, pour les préfets, de créer des instances locales de concertation sur le modèle des cinq collèges du Grenelle ; enfin, la création des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux.
Sur le plan purement quantitatif et réglementaire, le bilan de l'application de ces mesures au 1er janvier 2013 est positif. Le titre VI de la loi Grenelle II nécessitait 32 mesures d'application. Début janvier 2013, deux mesures seulement restaient en attente de publication. Le taux d'application de ce titre s'établit donc à 93 %.
Les décrets n'ont pas toujours été pris dans les délais impartis au départ, mais ils ont été publiés dans un délai raisonnable, permettant ainsi la mise en oeuvre du texte.
Dans la deuxième partie de notre rapport, nous avons tenté d'évaluer l'impact de la mise en application de trois sujets plus en détail : la gouvernance à cinq, la participation du public à l'élaboration des décisions environnementales, enfin la mise en place de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Comme vous l'avez indiqué, M. le président, c'est un rapport à deux voix, je laisse donc la parole à notre collègue Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Merci cher collègue. Je tiens à saluer la forte présence des membres de la commission du développement durable ce soir, ainsi que les membres de la commission pour le contrôle de l'application des lois.
La deuxième partie de notre travail a en effet consisté à mettre en évidence les apports et les limites des lois Grenelle I et II sur ces trois sujets.
Sur la gouvernance à cinq, les dispositions des lois Grenelle I et II concernent essentiellement l'intégration des acteurs environnementaux dans les instances de décision environnementale. Cela s'est traduit par la transformation du Conseil économique et social en Conseil économique, social et environnemental dans le cadre de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Le CESE a intégré trente-trois nouveaux membres, représentant des ONG ainsi que des personnalités qualifiées au titre de la protection de l'environnement. Le Grenelle a entraîné la réforme, sur le même modèle, des Conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux.
Je tiens d'ailleurs à ce propos à saluer la qualité du travail du CESE, qui produit de nombreux rapports dans les domaines sur lesquels nous travaillons, et à souligner que nous aurions aimé pouvoir étudier plus en détail la conversion des conseils économiques et sociaux régionaux en conseils économiques, sociaux et environnementaux. L'appropriation de ces nouvelles aptitudes me paraît être liée à un autre sujet que nous avons abordé au cours de ce rapport, à savoir le hiatus existant entre la forte représentativité des acteurs associatifs nationaux et la difficulté à trouver des acteurs locaux représentatifs. Ces acteurs sont en effet souvent très spécialisés dans un des champs de la protection de l'environnement. Il y a peu d'acteurs environnementaux locaux capables de porter la dimension généraliste des questions environnementales, ce qui peut constituer un frein à la prise en charge par les CESER de ces sujets.
Autre point positif en matière de gouvernance à cinq : la création du Conseil National du Développement Durable et du Grenelle de l'Environnement, qui a permis de pérenniser la logique consultative et participative du Grenelle. Ce comité était en charge d'assurer le suivi de la mise en oeuvre opérationnelle des engagements du Grenelle. L'existence de ce type de structures en gouvernance à cinq apparaît effectivement nécessaire pour assurer, à la fois, l'information du public et la recherche d'un consensus entre l'ensemble des parties prenantes. L'intégration des parties prenantes aux différentes instances de concertation est donc désormais la règle et il faut certainement s'en féliciter.
Néanmoins, la participation des parties prenantes à l'élaboration des décisions concernant l'environnement pose la question de la représentativité des acteurs conviés à la concertation. Cette absence de représentativité locale, que j'évoquais à l'instant, peut conduire à des débats infructueux, voire à la possibilité pour des acteurs très minoritaires de paralyser le processus de décision.
L'article 249 de la loi Grenelle II a prévu que les associations environnementales pouvant être désignées pour prendre part à un débat dans les instances consultatives existantes devront remplir certains critères de représentativité. Ceux-ci ont été définis par décret du 12 juillet 2011. Premièrement, l'association doit comporter un certain nombre de membres, en fonction du ressort géographique de son activité : au niveau national, il faut à une association agréée deux mille cotisants répartis dans au moins six régions, et à une fondation cinq mille donateurs tout en exerçant son activité dans au moins la moitié des régions, pour prétendre participer aux travaux des instances de concertation. Deuxième critère, l'association doit justifier d'une expérience reconnue dans le domaine de la protection de l'environnement. Enfin, elle doit disposer de statuts et de financements qui ne limitent pas son indépendance.
La parution du décret a suscité de vives critiques. Les seuils quantitatifs définis excluent en effet bon nombre d'associations, et notamment des associations d'experts ayant joué un rôle de lanceur d'alertes environnementales, comme par exemple Générations futures, ou encore le Réseau environnement santé. Selon eux, la légitimité d'une association ne se mesure pas uniquement par son nombre de membres mais par sa présence dans le débat public. Le décret favoriserait l'absorption des petites associations par quelques grands acteurs et menacerait la diversité du monde associatif. Il a aussi été avancé que la notion de représentativité retenue est trop imprécise, et laisse une trop grande marge d'appréciation à l'autorité administrative. A l'inverse, d'autres ont salué cette réforme de l'agrément qui doit permettre de valoriser les associations ou fédérations qui oeuvrent réellement pour l'environnement et d'écarter les associations constituées uniquement dans des buts politiques ou financiers, ou visant seulement à paralyser les travaux de concertation. Vous l'aurez compris, les petites associations se sont plaintes, les grosses associations ont approuvé le décret, c'est là un exercice assez fréquent...
La conférence environnementale des 14 et 15 septembre derniers a été l'occasion de revenir sur cette problématique de la représentativité des acteurs environnementaux. Un groupe de travail va être constitué sur le sujet, et ses conclusions devront être remises au Gouvernement au printemps 2013, dans l'optique d'une mise en oeuvre en septembre 2013.
Je me permets ici une incise : vous pourriez vous étonner que nous ayons été aussi longs à vous présenter ce rapport pour lequel nous avons été désignés il y a un an. Le changement de Gouvernement a entrainé une période de latence. Nous avons tout de suite compris que certaines choses allaient changer. Nous avons donc préféré attendre de voir quelles étaient les pistes ouvertes par le nouveau Gouvernement, afin de ne pas faire un rapport invalidé immédiatement par des annonces gouvernementales.
A l'issue de notre travail sur ce rapport, nous sommes convaincus de la nécessité de remise en plat de la représentativité, que le Gouvernement engage avec ce groupe de travail. Le système actuel n'est pas satisfaisant, en particulier au niveau local. Les politiques environnementales touchent une multitude de sujets, ce qui rend parfois difficile de trouver des experts généralistes. La spécialisation des experts ou des associations ne pose pas de problème au niveau national. En revanche, au niveau des territoires, il est parfois compliqué de trouver des intervenants représentatifs. Il conviendra donc de suivre avec attention les travaux du groupe de travail lancé par la conférence environnementale.
Deuxième point sur lequel nous avons choisi d'axer nos travaux : la question de la participation du public à l'élaboration des décisions en matière d'environnement et de développement durable.
La participation du public est un principe défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement dans le préambule de la Constitution. L'article 244 de la loi Grenelle II met en oeuvre ce principe, et organise la participation du public à l'élaboration des décisions réglementaires de l'État et de ses établissements publics quand ces décisions ont une influence directe et significative sur l'environnement. Ce dispositif a été codifié à l'article L. 120-1 du code de l'environnement.
J'ai eu l'occasion d'être rapporteure sur le récent projet de loi visant à remettre à plat cette mesure. L'article L. 120-1 du code de l'environnement a en effet été censuré par le Conseil constitutionnel. Le champ d'application de l'article, actuellement limité aux seules décisions réglementaires de l'État et de ses établissements publics, est désormais étendu à l'ensemble de leurs décisions autres qu'individuelles. Une procédure permettant de recueillir directement les observations du public devra être suivie en toutes circonstances, avec la publication par l'administration d'une synthèse des observations reçues. À titre expérimental, une plateforme informatique permettra de rendre publiques et accessibles par tous, les observations déposées par les contributeurs sur certains projets de décrets ou arrêtés.
Cet aménagement du dispositif initialement créé par la loi Grenelle II doit permettre sa pleine et entière mise en application, dans le respect des exigences constitutionnelles.
M. Louis Nègre, rapporteur. - Troisième et dernier point sur lequel nous avons choisi de porter notre attention dans le cadre de ce rapport : la RSE. Le sujet nous a semblé constituer un cas d'école en matière de contrôle de l'application de la loi. Le décret d'application a bien été publié, mais il est revenu tant sur l'esprit que sur la lettre de la loi.
La loi Nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 imposait aux quelques 700 entreprises françaises cotées sur le marché de rendre compte, dans leur rapport annuel, de leur gestion sociale et environnementale au travers de leur activité. L'article 225 de la loi Grenelle II, conformément aux préconisations retenues lors du Grenelle, a étendu ce dispositif de reporting selon deux axes. Premier axe : le champ d'application du dispositif a été élargi aux sociétés non cotées dont le total de bilan ou de chiffre d'affaires et le nombre de salariés dépassent des seuils fixés par décret. Deuxième axe : le champ des informations sociales et environnementales devant figurer dans le rapport de gestion a été étendu.
La fixation des seuils de déclenchement du dispositif a donc été renvoyée à un décret d'application. Lors des travaux du Grenelle, un consensus avait été trouvé pour rendre obligatoire le rapport RSE à toutes les entreprises de plus de 500 salariés dont le total de bilan était supérieur à 43 millions d'euros. Le décret d'application n'a été publié que le 24 avril 2012, avec un retard certain. Dans l'intervalle, sous l'influence des groupes de pression, un certain nombre de reculs par rapport au texte initial ont été opérés.
Les seuils de déclenchement du dispositif ont finalement été fixés, non pas à 43 millions, mais à 100 millions d'euros pour le total du bilan, et à 500 pour le nombre de salariés employés. Le décret prévoit par ailleurs une distinction entre les obligations des sociétés cotées et celles des sociétés non cotées, distinction qui n'était pas présente dans le texte législatif. Le décret d'application sur la RSE constitue donc un recul par rapport au texte initial. Le seuil choisi en matière de total de bilan est deux fois plus élevé que ce que le Grenelle préconisait. Il est en outre intervenu de manière très tardive. De nombreuses associations ont déploré le choix retenu de distinguer entre sociétés cotées et non cotées. De l'avis des personnes que nous avons pu entendre en auditions, l'adoption de ce décret a malheureusement été marquée par un abandon des pratiques de gouvernance à cinq et un retour à une logique de lobbying et de relations bilatérales.
La feuille de route pour la conférence environnementale comporte plusieurs mesures concernant la RSE et le reporting extra-financier, notamment la création d'une plateforme d'actions globale sur la RSE. La conférence environnementale a également été l'occasion d'acter la suppression du critère tiré de la cotation ou non des entreprises, critère non pertinent au regard des objectifs de la loi. Plusieurs organisations syndicales et associatives avaient dénoncé la création de cette double liste. Le Conseil d'État s'était également prononcé défavorablement sur ce point, estimant que la double liste créerait une rupture d'égalité devant la loi. La distinction entre sociétés cotées et non cotées devrait, il nous semble, être remplacée par un critère plus pertinent lié à la taille des entreprises.
Cette mesure est une sorte de cas d'école en matière de déformation des objectifs de la loi par le pouvoir réglementaire. Les travaux à venir sur le sujet devront donc être suivis avec la plus grande attention.
Partant de cet exemple symptomatique du risque de dérive par rapport au texte législatif et aux accords passés, je conclurai mon intervention par une constatation et une proposition.
Je constate que le Sénat, en créant la commission pour le contrôle de l'application des lois, a fait à l'évidence oeuvre utile. Au-delà du vote de la loi, il s'est donné les moyens d'accomplir une de ses missions principales dans une démocratie moderne, qui est de contrôler sa mise en application. Dans le cadre de la Constitution de la Vème République, cette mission lui permet d'opérer un rééquilibrage par rapport à l'exécutif, sans que ce dernier ne soit pour autant nullement empêché d'agir.
La proposition maintenant : compte tenu de ce que nous avons pu constater, et de la nécessité pour le Parlement et notamment le Sénat, de veiller à ce que les décrets d'application élaborés par l'administration soient conformes tant au texte de la loi qu'à son esprit, je propose que les rapporteurs des projets de loi assurent de manière paritaire, au nom de la commission pour le contrôle de l'application des lois, le suivi de l'écriture des décrets d'application par l'administration centrale.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Mon cher collègue, votre proposition ne nous amènerait-elle pas à devoir faire une distinction plus nette entre le contrôle et le conseil ?
Pour en revenir à nos travaux, en conclusion, nous nous sommes penchés sur la transition entre la méthode Grenelle et la conférence environnementale. La conférence environnementale a été organisée les 14 et 15 septembre derniers, sous le pilotage du ministère de l'écologie, dans le but de définir les voies et moyens de la mutation vers un nouveau modèle de développement durable.
Tout comme lors du Grenelle, et afin d'assurer un dialogue environnemental de qualité, la conférence a associé les acteurs de la société civile : associations environnementales, syndicats, entreprises, représentants des élus locaux, et parlementaires. C'est une des nouveautés de cette gouvernance : on parle désormais de gouvernance à 5+1.
Cinq tables rondes étaient organisées, sur l'énergie, la biodiversité, les risques pour la santé, le financement de la transition écologique et la gouvernance. La conférence environnementale doit à l'avenir être un exercice annuel, afin de garantir l'information et la participation des parties prenantes, ainsi que l'évaluation continue de l'avancée des mesures prises.
La conférence n'a pas suscité la même attention médiatique que celle du Grenelle. Il est difficile de déterminer si c'est là le signe d'un moindre intérêt pour les problématiques environnementales, ou bien le fait que ce type de manifestations se soit banalisé et soit désormais considéré comme la norme en termes de gouvernance.
Sur les critiques soulevées quant à la nouvelle méthode retenue pour la conférence environnementale, il faut certainement y voir, pour une large part, l'impact de la crise économique et financière. Les sujets environnementaux se sont vus replacer à l'arrière-plan, derrière les problèmes d'emploi et de désindustrialisation. La conférence environnementale a sans doute aussi payé le prix de certaines désillusions causées par le Grenelle. Le dialogue environnemental doit pourtant pouvoir permettre, à l'avenir, un échange entre les différentes parties prenantes, afin de créer un effet d'entraînement dans la société en vue de la transition écologique.
L'évaluation de la méthode et le suivi des mesures engagées seront, comme nous l'avons fait pour les lois Grenelle, elles aussi à mesurer et à analyser au cours des prochaines conférences environnementales. Nos commissions devront donc rester vigilantes. Je soulignerai enfin que le Gouvernement, en annonçant un rendez-vous annuel, s'est mis lui-même dans une logique de contrôle permanent de ses propres engagements et de ses propres réalisations. La conférence de l'année devra servir à évaluer ce qui s'est fait depuis le rendez-vous précédent. Nous contrôlerons donc le contrôle...
M. David Assouline, président. - Nous avons eu ce débat sur le rôle des rapporteurs lors de l'audition en décembre dernier du Secrétaire général du Gouvernement et du ministre des Relations avec le Parlement. Il a cependant fait ressortir la question de la séparation constitutionnelle des pouvoirs entre le législatif et l'exécutif, qui limite la marge d'intervention des rapporteurs dans leur souci de mieux contrôler l'application des lois.
En effet, le pouvoir législatif n'est pas le scribe de l'exécutif. Si le contrôle est légitime, il n'appartient pas aux parlementaires de porter la plume. Délimiter notre périmètre d'intervention s'avère donc complexe. J'ouvre le débat sur cette question, en même temps bien sûr que sur le rapport qui vient de vous être soumis.
M. Louis Nègre, rapporteur. - Je ne me pose pas en spécialiste du droit constitutionnel, mais chacun sait que la Constitution de la Vème République de 1958 a séparé deux domaines : celui réservé à la loi et celui attribué au règlement. Il ne s'agit pas, dans mon esprit, d'écrire l'ensemble des dispositions de la mesure d'application, mais de permettre à notre niveau un suivi de l'écriture des textes par l'administration, qui serait assuré par les rapporteurs des deux assemblées, les mieux à même de connaître l'intention exacte du législateur. Comme vous le voyez, ce serait une démarche paritaire. Il convient de faire en sorte que ce qui a été voulu par le Parlement soit exactement transcrit dans les normes. En effet, les administrations centrales ne sont pas à l'abri des dérives, j'ai moi-même connu de tels écarts par rapport au texte initial.
Mme Odette Herviaux. - Je souhaite revenir sur le rôle du contrôle sous l'angle de l'historique du Grenelle de l'environnement. Au moment du Grenelle I on a constaté un engouement médiatique ainsi qu'une certaine ferveur dans les négociations. L'écart entre les espoirs suscités par la loi d'origine et son résultat effectif me laisse perplexe sur la portée de notre contrôle. En l'espèce on ne s'intéresse qu'aux mesures d'application par rapport aux textes initiaux. Beaucoup de ces mesures n'ont été que des « mesurettes »... Si celles-ci devaient être comparées aux espoirs alors exprimés, le consensus serait moins net.
S'agissant de la désaffection du public pour les sujets environnementaux, une des causes réside peut-être dans le nombre de textes adoptés sur le sujet. Il y a une sorte de « saturation du grenelle » : grenelle de la mer, grenelle de ci, de çà...
Pour ce qui concerne le contrôle des textes d'application, force est de constater que les seules indications concernant l'avancement de leur publication, fournies par les ministères, ne nous permettent pas d'évaluer la conformité de ces textes à l'intention du législateur. De surcroît, ce ne sont pas tant les décrets qui constituent la source majeure des problèmes d'application, mais plutôt les circulaires, comme je l'ai maintes fois vérifié, par exemple en matière d'urbanisme ou de Participation Voiries et Réseaux (PVR).
M. Charles Revet. - Trois éléments doivent être pris en compte dans le cadre du contrôle de l'application des lois :
- Les décrets ont-ils bien été publiés ? (certaines lois ne sont jamais appliquées en l'absence des décrets adéquats) ;
- Les décrets publiés sont-ils bien conformes à l'esprit et à la lettre de la loi ?
- Quelles sont les modalités d'application des décrets eux-mêmes ?
Je souscris totalement à ce que vient de dire Mme Herviaux, je tiens à rappeler que la circulaire n'a pas de valeur normative autonome. Elle doit respecter la loi et les décrets. Ce point me paraît extrêmement important car nous votons les lois, mais manifestement il y a des lois qui ne sont pas appliquées et d'autres qui le sont d'une manière très différente de l'esprit dans lequel elles ont été adoptées. Nous devons rester vigilants, quel que soit le Gouvernement en place.
M. David Assouline, président. - Nous sommes au coeur du sujet ! Nous avons ce débat depuis la création de notre commission. À ce titre, l'audition du Secrétaire général du Gouvernement a été particulièrement instructrice et formatrice. Nous avons découvert le processus complexe de l'application des lois, d'une certaine façon, sa face cachée.
Je veux souligner que nous ne sommes pas en charge de l'écriture des décrets. Mais nous devons contrôler ce processus. Si une mesure d'application n'est pas prise, nous devons en connaître les raisons. Il y a la question de la circulaire qui respecte ou pas l'esprit de la loi, mais il y a aussi la question des moyens, qui conditionnent l'application des textes. On peut adopter un texte sans se donner les moyens de l'appliquer !
L'exécutif est désormais plus attentif à la nécessité de publier les décrets dans les délais prescrits. Le travail engagé sous le précédent Gouvernement a été prolongé et approfondi par l'actuel, comme nous l'a expliqué le nouveau ministre des Relations avec le Parlement lors de son audition en décembre dernier. Le processus d'application des lois est devenu une lourde machine, à laquelle l'administration consacre des moyens gigantesques !
En comparaison, nous avons peu de moyens de contrôle et nous restons tributaires des informations que l'administration veut bien nous communiquer. D'une certaine façon, nous sommes tenus de lui faire confiance. Mais cela n'ôte pas sa pertinence à notre contrôle, même si nous ne disposons pas des moyens que peut avoir un sénateur américain, par exemple.
J'avais émis l'idée que les rapporteurs des textes de lois soient associés à l'élaboration des mesures d'application, mais on m'a opposé que ce n'était pas possible en raison de la séparation des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif. Nous sommes donc cantonnés à un contrôle a posteriori, même si cela peut paraître parfois un peu tard. Le débat est ouvert, et concerne toutes les commissions. Il faut que les citoyens voient les effets concrets des textes que nous votons, il y va du crédit du Parlement.
M. Charles Revet. - Sans participer à l'écriture des décrets, on pourrait imaginer une phase de relecture par le Parlement avant leur publication, afin de contrôler qu'ils respectent bien l'esprit de la loi, car quelle que soit la majorité en place, ça n'est pas toujours le cas !
M. David Assouline, président. - Votre remarque est pertinente. Cependant, M. Patrick Ollier nous avait expliqué qu'un décret fait déjà l'objet de treize visas avant sa publication : faut-il rajouter un visa supplémentaire à ce processus que j'ose qualifier de kafkaïen ?
M. Ronan Dantec. - Je suis d'accord avec Charles Revet. Si on veut renforcer le rôle du Parlement, cette question du contrôle avant publication mérite d'être approfondie.
Concernant le Grenelle, il y a eu un certain nombre d'avancées qui subsistent ; je pense par exemple à la qualité du bâti ou à la réorientation vers le rail d'un certain nombre de budgets.
Par ailleurs, il y eu une « méthode Grenelle ». Il y avait au départ une offre politique des associations qui a été reprise par les politiques. Il y avait une part d'utopie qui consistait, sur les grandes questions environnementales, à mettre tous les acteurs autour de la table pour résoudre les problèmes. Sur un certain nombre de sujets il a été possible de faire émerger un consensus et d'envisager une réorientation des politiques publiques. Mais sur d'autres sujets, l'utopie s'est fracassée sur l'impossibilité de dégager un consensus, car ces questions relèvent d'une prise de décision du politique, et elles doivent donc être assumées par le politique.
Ce qui reste de cette méthode, on le voit dans le débat sur la transition énergétique, c'est d'abord la fixation d'un objectif politique avec les Français lors d'une échéance majeure comme l'élection présidentielle, puis le travail commun de tous les acteurs pour atteindre cet objectif de la meilleure manière. C'est, je crois, ce qui se passe avec la conférence environnementale, chaque année.
Je reprends les propos sévères de Louis Nègre sur la RSE : je crois qu'il y a eu là un recul, de la part du précédent gouvernement, qui pose problème. Cela a envoyé un signal très négatif aux entreprises, qui sont un peu sorties du champ du consensus. Et je souhaite que, partant de ce constat partagé, nous trouvions le véhicule législatif qui nous permettra de réintroduire la responsabilité sociale des entreprises, afin de les associer mieux à l'effort de la nation dans ce domaine.
M. Jean-Claude Peyronnet. - Je souhaite revenir sur la procédure de contrôle. Il y a très longtemps que je milite pour que le Parlement soit plus efficace en matière de contrôle. J'avais fait des propositions en ce sens à la commission des lois, qui n'ont pas été suivies d'effet, alors qu'il s'agit, à mon avis, d'une question majeure.
L'intervention des rapporteurs peut avoir un rôle d'accélérateur, pour que les décrets sortent le plus vite possible. Nous pourrions être beaucoup plus insistants, interroger les ministres sur les retards, être de véritables aiguillons. Or, je pense que nous n'en faisons pas assez. De plus, sans réécrire le décret, nous devons vérifier qu'il est conforme au texte de loi et à son esprit. Dans l'exemple qui vient d'être cité, où on a porté un seuil de 40 millions à 100 millions, la violation est tout de même flagrante ! C'est scandaleux !
Imaginons que cette pratique se généralise et nous serons dans la déliquescence totale, dans l'impossibilité d'appliquer les lois. Cela donnerait un pouvoir colossal à l'administration d'autant que dans beaucoup de cas, je ne suis pas sûr que le ministre sache très bien ce que l'administration propose de son côté. Cela entraînerait la disparition du politique, c'est inadmissible. Je plaide très sincèrement pour qu'à un stade donné, nous puissions contrôler le contenu des textes d'application.
M. Philippe Esnol. - Je souhaite faire deux observations. Tout d'abord, je suis d'accord avec le Président Assouline sur les limites à notre capacité réelle de contrôler les choses. Sans malice, je rappellerai que 80 % des textes de loi sont d'origine gouvernementale. Ceux qui les écrivent sont les mêmes que ceux qui les appliquent, ce qui nous en rend le contrôle d'autant plus difficile.
Pour en revenir au sujet environnemental, je souscris au constat de la désaffection des citoyens. Je pense que la crise économique et d'autres sujets ont éloigné l'attention des citoyens de ces problèmes. Mais je crois aussi que l'échec répété des multiples sommets environnementaux a aussi un impact. Nos concitoyens se disent qu'en matière de préservation de l'environnement, nous sommes aujourd'hui en avance sur les grands pollueurs que sont la Chine et les États-Unis. Et par conséquent, comme les élus locaux, ils comprennent mal qu'on impose des contraintes dans un domaine qui leur parait moins prioritaire. Je crois qu'un des moyens de remotiver nos concitoyens à cette problématique serait de mettre en avant le potentiel de création d'emplois dans des métiers liés à l'environnement.
M. Jean-Claude Lenoir. - Odette Herviaux a tout à fait raison quand elle dit que ce ne sont pas tant les décrets que les circulaires qui posent problème. Dans le domaine de l'urbanisme, j'ai connu deux cas : l'un concernant les règles de constructibilité limitée et l'application de la loi SRU, et l'autre, dans le secteur de l'urbanisme commercial. Dans les deux cas, des circulaires très contestables ont été prises. Or si on peut attaquer un décret en justice, c'est beaucoup plus difficile à l'encontre d'une circulaire. In fine, dans ces deux cas, des parlementaires ont dû déposer une proposition de loi pour obtenir la modification de la circulaire.
Il y a une chose dont je veux témoigner, c'est l'appropriation par les acteurs locaux de cette notion de Grenelle de l'environnement. Je suis frappé de voir à quel point les maires, les responsables d'association et d'autres se réfèrent de façon très positive au Grenelle de l'environnement et je tenais à ce que ce soit rapporté ici.
M. Louis Nègre, rapporteur. - Pour ce qui me concerne, je m'inscris sans réserve dans une logique grenellienne car ce processus a été un souffle et une ouverture démocratique qui font honneur à notre pays.
Pour en revenir à la question de la séparation des pouvoirs, je veux préciser mon point de vue : je ne demande pas de coécrire les décrets, mais un droit de regard sur l'état d'avancement des mesures d'application des lois que nous votons.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Le Grenelle restera à la fois un processus à part et, en même temps, une démarche initiant un renouveau démocratique. Le Grenelle c'est la démocratie participative par les corps intermédiaires. Faire le Grenelle c'est s'engager à aimer les corps intermédiaires durablement...
M. David Assouline, président. - Je constate que la question de l'application des lois intéresse de nombreux sénateurs qui ne sont pas membres de la commission pour le contrôle de l'application des lois. Il faut compenser notre manque de moyens par une plus grande coopération de la part de l'exécutif. Aussi, vais-je envisager une initiative permettant que l'ensemble des sénateurs soient associés, ainsi que des représentants de l'administration du SGG et du Gouvernement, à une réflexion permettant qu'on nous laisse l'espace nécessaire pour exercer notre contrôle.
M. Raymond Vall, président. - Je veux redire que je suis très heureux de ces travaux communs et je rejoins pleinement les conclusions du président Assouline.
À l'issue de la réunion, la publication du rapport a été autorisée à l'unanimité.