Mardi 4 décembre 2012
-Présidence de M. Jean-Claude Peyronnet, vice-présidentTable ronde sur les conférences territoriales
M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Mes chers collègues, j'ai le plaisir d'accueillir à cette table ronde deux membres de la conférence territoriale de Bretagne, MM. Pierrick Massiot, président du conseil régional de Bretagne, Pierre Méhaignerie, président de la communauté d'agglomération de Vitré, ainsi que MM. Claudy Lebreton, président de l'assemblée des départements de France, Loïc Cauret, vice-président de l'assemblée des communautés de France, Gilles Mergy, délégué général de l'association des régions de France, et Michel Verpeaux, professeur de droit à l'université de Paris I Panthéon Sorbonne. Un nombre important de nos collègues membres de la commission des Lois, dont son président, que je salue, se sont également joints à nous pour débattre, à partir de l'expérience du « B 16 » breton, des conférences territoriales, dont la ministre, Marylise Lebranchu, veut faire un des piliers du projet de loi relatif à la décentralisation qui devrait être déposé au Parlement au début de l'année prochaine.
Cette table ronde sera donc un moyen pour enrichir la réflexion sur un sujet, qui, je vous le rappelle, avait fait l'objet d'un rapport de notre délégation, présenté par nos collègues Claude Belot et Yves Krattinger et intitulé « Faire confiance à l'intelligence territoriale ».
Je cède immédiatement la parole à nos intervenants en leur proposant de structurer leurs propos autour des missions et des attributions des futures conférences, leur composition, leurs modalités de fonctionnement, ainsi que leur articulation avec les autres outils juridiques existants, et en nous livrant, s'ils le souhaitent, leur expérience en la matière.
M. Pierrick Massiot, président du conseil régional de Bretagne. - Merci, Monsieur le président, de nous donner la parole et, si l'expérience bretonne peut influencer la future organisation de la conférence territoriale que prévoirait la future loi de décentralisation, nous nous en féliciterons.
La Bretagne, depuis la création en 1950 du comité d'étude et de liaison des intérêts breton (CELIB), a toujours cherché à créer du consensus sur des sujets d'intérêt régional. Notre organisation actuelle, appelée « B 16 », compte seize institutions locales représentées en son sein et apparaît, dans une certaine mesure, comme la préfiguration de la future conférence territoriale. Le programme de la liste conduite par Jean-Yves Le Drian en 2004 prévoyait l'organisation de cette conférence. On pourrait la définir comme l'émanation d'une culture régionale de la concertation inter-collectivités, exclusivement consacrée à des projets d'intérêt régional.
S'agissant de son fonctionnement, depuis sa mise en place, le « B 15 », devenu ensuite « B 16 », est présidé par le président de la région, se réunit environ trois fois par an et comprend les présidents des quatre départements et des douze communautés d'agglomération de Bretagne. Il a été plusieurs fois proposé au préfet de région de présenter le point de vue de l'État sur tel ou tel projet concernant précisément les collectivités représentées dans cette conférence. Les réunions ne doivent pas excéder une durée de deux heures et ne doivent faire l'objet d'aucune communication médiatique, ce qui a facilité la présence active des membres. Le « B 16 » peut, au besoin, être décliné en réunions thématiques, composées dans cette hypothèse des vice-présidents des différentes instances, comme ce fut le cas sur la recherche, l'économie, la jeunesse ou encore l'énergie.
Il s'agit d'une instance de validation consensuelle, sans vote, destinée à construire des positions communes sur des sujets considérés comme essentiels pour l'avenir de la Bretagne. Évidemment, les assemblées délibérantes de chaque instance doivent ensuite, par délibération, valider les propositions qui ont été adoptées par consensus.
C'est ainsi que nous sommes parvenus, par exemple, à dégager des consensus rapides sur des sujets considérés comme compliqués, à l'image des programmes opérationnels des fonds européens, du contrat de projet État-région, de la stratégie du pacte électrique breton, du plan numérique à très haut débit décliné dans la région Bretagne, ou encore sur des problématiques de desserte ferroviaire. Sur ce dernier point, il s'agissait de la desserte de la Bretagne par le TGV et des liaisons Rennes-Brest et Rennes-Quimper, enjeux très importants et très couteux, puisque les contributions demandées aux collectivités territoriales s'élevaient à 1 milliard d'euros. Là encore, nous sommes parvenus très rapidement à un accord validant le plan de financement.
Tous les responsables bretons ont ainsi estimé que cette conférence joue un rôle déterminant pour régler des problèmes complexes.
Pour conclure, la force de cette instance tient à son mode de fonctionnement, qui se caractérise par sa souplesse et son efficacité. Et aujourd'hui, sans altérer ses qualités, on pourrait imaginer son élargissement à un représentant des maires ruraux, un représentant de la conférence des villes moyennes, et prévoir une présence consultative du président du conseil économique, social et environnemental régional (CESER), le préfet pouvant naturellement continuer à participer à nos travaux lorsque les sujets le justifient. Au-delà de cette vingtaine de participants, nous estimons que l'instance ne fonctionnerait plus de façon aussi optimale. Et si les hypothèses de ce qu'on appelle aujourd'hui la conférence territoriale se confirment dans le projet du gouvernement, ce qui équivaudrait à porter la composition de cette conférence à plus de quarante personnes, incluant cinq préfets, cinq représentants de la direction des finances, ainsi que le recteur d'académie, nous entrerions certes dans une véritable institution, mais celle-ci ne serait plus efficace. C'est pourquoi nous sommes extrêmement réticents l'égard d'un tel élargissement, et si cela devait se faire nous continuerions à proposer à nos partenaires de maintenir le format actuel, même légèrement élargi, qui fonctionne plutôt bien aujourd'hui.
M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Je vous remercie pour la précision et la concision de votre propos.
M. Pierre Méhaignerie, président de la communauté d'agglomération de Vitré. - J'ai tenu à participer à cette table ronde afin que toutes les sensibilités politiques soient représentées. Si la notion de conférence territoriale peut paraitre charmante et attractive à première vue, je dirais, à titre personnel, que sa capacité de peser est quasiment nulle.
Prenons garde aux fausses concertations. J'ai toujours eu le sentiment que les décisions étaient prises d'avance. Si l'on peut effectivement s'exprimer, il n'y a toutefois aucun vote. Pierrick Massiot a parlé de l'expression des volontés et du respect des sensibilités en évoquant le CELIB. Mais comment, dans une telle structure, les différentes sensibilités peuvent-elles être prises en compte alors qu'il n'y a pas de vote ? On y participe volontiers car c'est un lieu d'échange et de rencontre mais, en cinq ans, je n'ai pas eu l'impression d'avoir véritablement pesé sur les décisions.
Alors, encore une fois, on empile les structures, avec une région qui est responsable, des commissions qui travaillent, mais les zones rurales ne sont pas bien représentées à coté des communautés d'agglomération, ce qui donne le sentiment d'une Bretagne à deux vitesses. C'est pourquoi il me semble que trois éléments sont aujourd'hui nécessaires à cette instance : le vote, la préparation d'un dossier au préalable assortie de la possibilité d'y répondre par écrit, et la présence du préfet, de telle façon que ce dernier et le président du conseil régional soient présents dans la même structure.
Je le répète, attention aux fausses concertations car, si les intentions sont bonnes, les résultats sont presque nuls. A titre d'exemple, les fonds européens du FEDER ont été concentrés à 90 % sur trois villes seulement. De la même manière, j'avais fait sur le très haut débit des propositions pour que les zones rurales n'attendent pas des dizaines d'années. Je comprends très bien que les régions et les départements n'aient pas les moyens financiers d'aller plus vite, mais il y a des territoires qui le voudraient et qui vont différer d'autres investissements pour ne pas perdre la subvention du département et de la région, ce qui est problématique.
Voilà, Monsieur le président, mon sentiment sur cet empilement qui, s'il ne permet pas de modifier pas les orientations, ne servira pas à grand-chose.
M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Nous sommes précisément ici pour débattre, car si nous devons créer une institution de ce type pour l'ensemble de nos territoires, il vaut mieux effectivement que nous fassions en sorte de la faire fonctionner au mieux.
M. Pierre Méhaignerie, président de la communauté d'agglomération de Vitré. - Dans tous les cas, un vote est nécessaire et des documents doivent être préparés et transmis avant les réunions.
M. Claudy Lebreton, président de l'assemblée des départements de France. -De nombreux acteurs ont porté la mise en place de cette conférence dite « B15 », devenue « B16 » avec la participation de Concarneau, devenue une communauté d'agglomération il y a peu. Je fais partie de ces acteurs, avec Pierre Méhaignerie, Edmond Hervé, que je salue ici, ainsi que le président Jean-Yves Le Drian. Lorsque celui-ci en a eu l'initiative, nous avions tous accepté le principe d'un lieu d'échange, où le département, le conseil régional, les communautés d'agglomération et l'association des petites et moyennes villes de Bretagne pouvaient se retrouver, avec l'idée que le monde rural serait représenté grâce au département et à la région, et surtout que les exécutifs siègeraient en personne sans délégation à des vice-présidents. Il ne s'agissait là aucunement de défiance, mais de permettre, pour aborder les grands sujets concernant l'espace géographique régional, que les acteurs qui comptent soient personnellement présents autour de la table. C'est important car, depuis quelques mois, j'observe une certaine dérive - qui n'est pas le fait de Pierrick Massiot, jeune président de région - consistant à être absent ou bien à envoyer aux réunions un vice-président ou le directeur général, qui ne sont pas décisionnaires sur les sujets qui doivent engager l'avenir des collectivités.
Ce lieu de rassemblement et d'échange est pertinent, la preuve en est que d'autres régions s'en sont dotées, en l'adaptant à leurs spécificités locales, à l'image de la Franche-Comté ou de Rhône-Alpes.
J'illustrerai mon propos sur la nécessité d'un lieu d'échange et de dialogue régional à travers deux sujets auxquels toutes les collectivités sont sensibles. Sur le TGV, quelles que soient nos sensibilités, nous voulions tous réaliser les travaux entre Le Mans et Rennes afin de mettre la Bretagne à moins de trois heures de Paris. La discussion, y compris sur la répartition financière entre les collectivités territoriales, s'est réalisée au sein de la conférence territoriale. Cette instance était donc absolument nécessaire pour nous retrouver et échanger sur un sujet aussi important, au-delà des appartenances politiques. Je note d'ailleurs que la Bretagne est souvent citée comme un exemple en matière de dialogue. Au niveau du très haut débit, pour lequel je siège à la commission des réseaux d'initiative publique (CRIP), qui donne un avis sur les schémas régionaux d'aménagement numérique, les acteurs présents représentant l'État, les opérateurs et les autres collectivités ont été stupéfaits de la qualité du schéma régional breton, permise par le compromis trouvé entre les partenaires, et ce malgré les imperfections qui peuvent exister, comme l'a souligné Pierre Méhaignerie.
Il y a effectivement quelques écueils qu'il convient de surmonter. D'abord, faire en sorte que cette conférence ne se transforme pas en une instance animée par et pour la région, de sorte que le dialogue et la recherche du consensus évolueraient finalement vers une forme de tutelle, risque qui peut exister comme nous avons pu le constater. D'ailleurs, au sein du « B16 », nous avons voulu aborder il y a quelques mois la question de la gouvernance et de l'organisation. Nous souhaitions en effet, après plusieurs années de fonctionnement, disposer d'un bilan d'efficacité car nous ne voulons pas en faire un « machin » évoluant progressivement comme une nouvelle collectivité au-dessus des autres collectivités.
Ceci étant dit, à titre personnel, je tire de cette instance la conviction qu'il s'agit de quelque chose d'extrêmement positif pour la gestion des grands dossiers concernant l'espace régional.
L'avis de l'assemblée des départements de France (ADF), s'agissant de l'idée de conférences régionales généralisées dans le cadre du prochain projet de loi du gouvernement, est d'abord que celles-ci n'auraient de sens que dans l'hypothèse de la création d'un Haut conseil des territoires se dupliquant par ce biais dans les régions.
Ensuite, au-delà du noyau dur sur lequel tout le monde est d'accord, c'est-à-dire le conseil régional, le département et les communautés d'agglomération, nous devons régler la question de la représentation de l'espace rural, sinon nous risquons d'écarter des communes de la délibération. Comme le disait Pierrick Massiot, l'exercice sera compliqué si nous élargissons cette instance à 40, 50, voire 70 participants, l'objectif étant d'harmoniser les positions.
Mais je suis convaincu, compte-tenu des difficultés financières auxquelles nous sommes confrontés depuis des années, que si nous ne recherchons pas davantage de coopération et de mutualisation entre nous, nous allons au-devant de grandes difficultés. C'est pourquoi l'ADF n'est pas hostile, sur le principe, à la création, dans cet esprit, de ces conférences territoriales. En revanche, s'il s'agit d'en faire une nouvelle collectivité, nous ne sommes pas d'accord.
La question de la gouvernance reste également pour nous fondamentale. Les travaux doivent-ils être conduits sous la responsabilité de l'exécutif régional, voire du préfet ? Cela a été écarté. Le préfet doit-il est présent ? Il nous parait plus opportun qu'il soit là pour échanger sur les projets intéressant l'État et les collectivités territoriales. Nous pourrions également nous inspirer du fonctionnement d'autres institutions, notamment européennes, où les mécanismes de présidence tournante sont à l'oeuvre.
C'est pourquoi nous devons éviter, dans le texte de loi, de trop formaliser l'organisation de ces instances afin de laisser de l'espace à la liberté et à la spécificité locale en faisant confiance aux collectivités territoriales. Le cas de l'Île-de-France, par exemple, ne peut évidemment pas être envisagé de la même manière que pour les régions Bretagne, Pyrénées ou encore Alsace. Nous souhaitons donc de la souplesse dans l'organisation. N'oublions pas que ces conférences territoriales trouvent leur origine dans l'idée d'une suppression de la clause générale de compétence et de l'élaboration de schémas régionaux de compétences partagées pour répondre à ses conséquences.
M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Je vous remercie. Je ne doute pas que l'Île-de-France bénéficiera d'une organisation particulière.
M. Loïc Cauret, vice-président de l'assemblée des communautés de France. -Il se trouve que je fais aussi partie des communautés de communes de Bretagne, donc j'interviens ici à deux titres, d'une certaine manière, mais avec une expérience différente de celle de mes prédécesseurs puisque je fais partie d'une communauté de communes non-membre du « B16 ». Ceci change un peu la vision des choses par rapport à ce qui a été dit. Le « B16 » a permis un certain nombre de décisions et de discussions sur les grandes infrastructures et les grandes politiques. Je veux simplement citer deux faits qui ont, à un moment donné, amené la région et d'autres à s'interroger sur la place des communautés. Premièrement : la mise en place, en fonction d'une volonté politique conjointe de l'Etat et de la région, d'un établissement public foncier. Celui-ci a fini par être créé, malgré des difficultés que tout le monde ici connaît. Pour ce faire, il a fallu impliquer les 130 communautés de communes du territoire, sans quoi cela n'aurait pas fonctionné sur le terrain. Le « B16 » ne pouvait suffire. Deuxième exemple, un peu de même nature : le schéma de cohérence régionale d'aménagement numérique (Scoran). Pour le schéma très haut débit, là encore, nous avions à faire face à de très grandes disparités entre les zones prises par l'opérateur et les autres. Dès lors, comment organiser la solidarité ? Un débat sur la nécessité d'une large solidarité du territoire a eu lieu en présence des plus petites communautés de communes, et nous avons organisé un certain nombre de conférences sur le sujet. Les communautés de communes non-membres du « B16 » ont activement pris part à la réflexion pour surmonter les inégalités territoriales, notamment dans les zones de la Bretagne centrale qui ont une forte spécificité. A cette occasion, on a constaté très concrètement que si l'on n'avait pas, à un moment donné, intégré et impliqué nos communautés de communes dans le débat, au niveau régional, il aurait manqué un maillon. Des discussions ont eu lieu avec la région, à l'époque, sur la possibilité d'une intégration de représentants de communautés de communes à titre consultatif, comme cela existe déjà pour le Scoran et pour l'établissement public foncier (EPF). Aujourd'hui on voit bien - je m'exprime là avec mes deux « casquettes » - que, sans représentation des communautés de communes, c'est-à-dire de ceux qui sont les opérationnels, les maîtres d'ouvrage sur les territoires, on a - et Claudy Lebreton en parlait tout à l'heure - des grandes politiques qui s'organisent en un endroit, puis des communautés de communes à qui on demande ensuite de mettre en oeuvre, dans le cadre de contrats, les orientations qui ont été adoptées sans elles. Il y là un problème non de tutelle mais de politique un peu « dirigée ». Si, comme le prévoit la nouvelle politique du schéma de développement économique, nous sommes amenés à discuter d'urbanisme et de foncier au plan régional (comme c'est le cas actuellement en Bretagne via une charte régionale), de santé (débat qui intervient maintenant, nouvellement porté par les collectivités), de gestion territoriale, de l'emploi et des compétences, avec des collectivités maîtres d'ouvrage, si l'on discute de toutes ces grandes politiques au plan régional, on ne peut se passer, à un moment ou à un autre, d'impliquer les maîtres d'ouvrage opérationnels du terrain. Leur représentation, de taille raisonnable, nous semble nécessaire. Les possibilités d'organisation doivent donc être souples, pour que soient opérationnels ces regroupements d'intercommunalités qui ont des pertinences de territoire et qui agissent sur beaucoup de choses (le plan de lutte contre les algues vertes, l'eau, etc.). En outre, leur représentation dans les conférences régionales est d'autant plus nécessaire que ces collectivités brassent beaucoup d'argent. Cette condition nous paraît impérative, sinon les communautés auront l'impression d'être appelées à assumer des politiques qu'elles n'auront pas eu la possibilité de discuter en amont, ce qui serait, au minimum, une faute de goût. Ainsi, de notre point de vue, les conférences régionales doivent nécessairement intégrer la possibilité d'une représentation des intercommunalités (c'est le cas en Bretagne pour les seules communautés d'agglomération). En faisant cette proposition, nous sommes confortés par la notion de contrat. On passe des contrats à partir du moment où l'on s'est mis d'accord sur les politiques et non pas si l'on vous dit : voilà la base générale, vous n'avez qu'à signer. L'idée est d'être partenaires et co-opérationnels sur la mise en oeuvre des politiques. Il ne peut y avoir de tutelle, cela serait disproportionné et contraire à la gouvernance régionale telle qu'on l'entend.
Dernier point : la question de la présence de l'Etat. Il nous semble que l'Etat doit être présent dans ces conférences territoriales car un certain nombre de compétences lui appartiennent encore. Il faut gérer ces compétences là où elles doivent être mises en oeuvre. Par ailleurs, l'Etat est aussi le garant de la cohésion, et il est nécessaire d'être en adéquation avec les politiques nationales. Quant à une gouvernance tournante ou organisée, pourquoi pas ? Nous n'avons pas de desiderata particuliers, si ce n'est, comme l'a dit Claudy Lebreton, qu'il ne peut y avoir une tutelle implicite ou indirecte. Ce point nous paraît très clair.
M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Je vous remercie et je donne la parole à M. Mergy, pour ce qui concerne les régions.
M. Gilles Mergy, délégué général de l'association des régions de France. - Merci, Monsieur le président. Je voudrais tout d'abord excuser M. Alain Rousset, président de l'ARF, qui est actuellement auditionné par le Sénat sur la Banque publique d'investissements, autre sujet également important pour le pays.
Sur le futur projet de loi de décentralisation, les régions attendent essentiellement trois choses. Tout d'abord, une clarification des compétences, d'une part entre l'Etat et les collectivités locales et, d'autre part, entre chacune des différentes strates de collectivités locales. Deuxièmement, on attend du projet de loi qu'il désigne des chefs de file sur les principales politiques publiques, afin d'améliorer la lisibilité de l'action publique pour nos concitoyens, qui ont besoin de savoir qui fait quoi dans chaque domaine de compétences. Troisièmement, la possibilité d'élaborer des schémas régionaux à l'intérieur desquels les décisions des collectivités infra chefs de file doivent être compatibles.
Dans ce cadre général, qu'attend-on des conférences territoriales, et quelle en est notre vision ? Selon nous, ces conférences doivent permettre de débattre de tous les sujets d'intérêt régional, être l'occasion d'émettre des avis sur les schémas régionaux puisque, contrairement aux craintes de certains de mes collègues, les régions n'ont aucune vocation à assurer une tutelle sur d'autres strates ou collectivités locales : elles ne revendiquent aucune tutelle.
Il nous semble enfin que ces conférences territoriales doivent pouvoir émettre des avis ou des analyses à l'intention du Haut conseil des territoires évoqué par Claudy Lebreton. Pour améliorer la qualité du débat, il nous semble que ces conférences territoriales devraient être des conseils, et non des assemblées. Je rejoins ce qu'ont dit les précédents intervenants : elles ne doivent pas compter plus d'une vingtaine de membres. Si l'on en croit le bon fonctionnement des conseils d'administration de nos entreprises, il n'y a plus, au-delà, de lien interpersonnel entre les participants, plus d'affectio societatis, et le débat perd en qualité. Quant à la présidence, il nous semble qu'elle revient de plein droit au président du conseil régional. En revanche, je pense que la composition de chaque conférence territoriale ne doit être fixée ni dans le projet de loi ni dans les décrets d'application, mais être laissée à la libre initiative de chaque conférence territoriale. Enfin, j'évoquerai la présence ou la non-présence de l'Etat dans ces conférences. Le sujet est vaste, mais il nous semble qu'on pourrait le traiter en considérant que ces conférences peuvent avoir vocation à fonctionner en deux formations : une première formation avec l'Etat, pour traiter de toutes les politiques partenariales entre l'Etat et les collectivités locales, et une autre formation sans l'Etat, car nous pensons que celui-ci ne doit pas avoir un rôle d'arbitre dans le dialogue entre les collectivités locales, suffisamment majeures aujourd'hui pour discuter entre elles, notamment sur les sujets à l'égard desquels l'Etat n'a plus la compétence. Voilà ce que je souhaitais exprimer, en évitant les redondances avec ce que les précédents intervenants ont déjà dit.
M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Les questions qui se posent sont celles des compétences, de la vocation de ces institutions, de leur composition. Vous nous avez présenté cela de façon très idyllique, mais il reste un point majeur : en cas de blocage, que se passe-t-il ? Qui prend les décisions ? On peut rencontrer, dans certaines régions, des dissensions politiques, des diversités culturelles, etc. Elles ne sont pas toutes homogènes. J'ai cru comprendre que le rôle de ces assemblées était décisionnel. Que se passe-t-il, alors ? Est-ce au préfet de décider ? Si oui, jusqu'où et dans quels domaines ? Je pose ces questions car nous devons aller au bout de nos débats. Par exemple, en cas de blocage sur un TGV, si un seul département s'oppose, qu'en est-il ? La question est un peu provocatrice, mais elle doit être posée.
M. Rémy Pointereau. - Un objectif de cette table ronde est de mesurer aujourd'hui l'opportunité de mettre en place ces conférences territoriales. L'idée avait été évoquée dans le rapport de nos collègues Claude Belot et Yves Krattinger, en quelque sorte comme alternative au conseiller territorial. En tant que membre de la commission, je me souviens qu'il s'agissait d'essayer de reprendre la balle au bond pour dire : plutôt qu'un conseiller territorial, pour mutualiser les moyens, on va organiser une conférence territoriale où l'on mettra tout le monde autour de la table. On voit bien que les choses ne sont pas si simples, et je remercie Pierre Méhaignerie d'avoir apporté un certain nombre de remarques sur le peu d'efficacité de ces conférences. J'ai l'impression que l'exercice n'est pas évident, même s'il a une utilité, car beaucoup de régions le font déjà avec les départements et les agglomérations, sans que cela ne soit formalisé. Dès lors qu'il n'y a ni vote, ni délibération, on est en droit de s'interroger sur l'efficacité. Même si vous vous rencontrez avec plaisir pour parler des grands projets, régler un certain nombre de dossiers, sur le numérique, le haut débit, le très haut débit, n'est pas si évident. J'ai l'impression qu'on est en train de mettre en place depuis quelques mois toute une série de commissions, hautes autorités, commissariats à l'égalité des territoires pour remplacer la DATAR, hauts conseils. Mais le Haut conseil des territoires, il me semblait que c'était le Sénat, puisqu'il représente toutes les collectivités, quelles qu'elles soient. J'ai l'impression qu'on est en train d'inventer un nouveau mille-feuilles, qui s'épaissit et ne va pas dans le sens d'une meilleure efficacité. La question que je pose, lorsque j'observe la composition du « B16 », est la suivante : on voit que finalement ces conférences ne s'adressent qu'aux élites, aux élites des élus, qu'elles comprennent les conseils généraux, le conseil régional et uniquement les communautés d'agglomération. Les villes ne sont pas représentées. Vous avez aussi parlé des maires ruraux ; il existe une association des maires de France qui devrait être représentée. En outre, les maires ruraux sont constitués en un groupement qui, me semble-t-il, fait déjà partie de cette association. Dans votre schéma, il faut que tous les maires soient représentés, y compris ceux des grandes villes ou des grandes métropoles. Seules les communautés d'agglomération le sont. Le maire de Rennes est-il représenté ? Non : sauf s'il cumule, il n'est pas représenté. Il reste donc un certain nombre d'aspects à revoir. Et peut-on parler d'utilité réelle s'il n'y a ni vote, ni délibération ? Que peut-on faire, si ce n'est discuter des projets ?
M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Le représentant des régions a précisé certains points, notamment que ces conférences seraient généralisées et décisionnelles, et établiraient le chef de file. C'est ainsi que l'idée est conçue, de façon beaucoup plus formelle que ce que qui existe actuellement en Bretagne.
M. François Grosdidier. - Je suis très intéressé par l'expérience bretonne. Si je présidais ma région, je mettrais en place le même type de réunions. C'est une bonne idée de réunir les présidents de région, des départements et des communautés urbaines ou d'agglomération. Toutefois, elles ne doivent pas accueillir trop de monde. Ce que je trouve particulièrement intéressant, c'est la concertation permanente, sans média, ni décision. Mais l'idée de généraliser cette expérience et de transformer cette instance de concertation en instance de décision change tout.
Aujourd'hui, il peut y avoir des avis opposés entre le conseil général et le conseil régional, y compris quand ils appartiennent à la même majorité. J'ai la faiblesse de penser que si les élus de ces deux niveaux étaient les mêmes, de la même façon que j'ai la « double casquette » d'élu communal et intercommunal, une mise en cohérence se ferait naturellement. En effet, nous ne sommes pas schizophrènes. Mais nous ne sommes plus dans le schéma du conseiller territorial. Or, aujourd'hui, en montant des usines à gaz on essaye de retrouver une cohérence dans l'action des différentes collectivités territoriales, alors que celle-ci ne peut être maintenue avec des élus différents, surtout si l'on ajoute à cela la clause générale de compétences pour toutes les collectivités. Je crains que l'on imagine quelque chose de très compliqué. En outre, je ne peux concevoir qu'une telle conférence puisse avoir un pouvoir de décision. Au nom de quelle légitimité pourrait-elle contraindre une agglomération ou un conseil général dans ses domaines de compétence propre ?
Au regard des propos tenus par les précédents intervenants, la prise en compte de la ruralité pose problème dans le « B16 ». Dans mon département, on compte 700 communes et 40 intercommunalités, et la région est composée de 4 départements. Or, ce n'est pas l'association des maires ruraux qui va porter les problèmes territoriaux du département. Dès lors, il y aurait d'interminables discussions pour savoir si toutes les communautés de communes doivent être présentes et, dans le cas contraire, quelles sont celles qui seront représentées. Lorsque j'organise des réunions, je ne réunis que les personnes concernées par le problème évoqué. Ainsi, pour des thématiques telles que la recherche et l'université, le président de région peut prendre l'initiative de se concerter avec les présidents des conseils généraux et des agglomérations concernées. Si le sujet concerne la ruralité, cette concertation doit bien évidemment être élargie aux communautés de communes. Il faut du sur-mesure. Dans le cas contraire, nous allons créer des institutions dont les réunions seront parasitées par des problèmes de composition ou de fonctionnement. Or, ce qui fait défaut lors des réunions c'est le temps. C'est ce qui m'inquiète dans cette idée de codifier, de fixer sur l'ensemble du territoire des règles de représentation. Qu'on laisse les uns et les autres s'organiser comme ils le souhaitent !
Je trouve l'expérience bretonne remarquable et imitable. Mais je suis en désaccord avec une loi qui organiserait ce type de conférence, et ce d'autant plus si elle confère à ces instances un pouvoir de décision. En effet, cela créerait des enjeux de pouvoir, ce qui changerait les fondements à l'origine de la création du « B16 ».
M. Charles Guené. - Notre solution n'a pas été retenue pour organiser le territoire. Une autre solution a été choisie et c'est la raison pour laquelle la question de ces conférences des territoires et du Haut conseil des territoires est posée. L'exemple qui nous est proposé par la Bretagne est intéressant. Il permet de nous donner des informations. Je pense que nous devons en tenir compte, à la fois sur le plan de l'organisation, mais aussi pour ce qui concerne la compétence des futures conférences des territoires.
Sur les compétences, il y a une différence fondamentale : en Bretagne, nous sommes en présence d'un outil conjoncturel et tactique. Or, le projet de loi souhaite instaurer un outil structurel et stratégique qui va essayer de déterminer l'organisation des compétences sur un territoire donné. Les chefs de file et les schémas régionaux pourraient y être déterminés. Dès lors, un pouvoir normatif serait mis en place.
Je voudrais revenir sur un autre point : on note qu'il est difficile d'être plus de vingt personnes dans ce type de réunion. Cette expérience est d'ailleurs partagée dans toutes les réunions d'hommes et de femmes. Cela signifie que toutes les collectivités et intercommunalités ne peuvent être représentées. Je pense que votre exemple montre l'intérêt d'avoir des organisations souples. Une réflexion sur ce sujet pourrait avoir lieu. En outre, se pose également la question des rapports entre ces conférences des territoires et le Haut conseil des territoires. Nous devrons également aborder cet aspect lors de l'examen du texte.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je suis aussi très séduit par ce qui a été dit sur le « B 16 ». Il peut évidemment y avoir des divergences en son sein, mais c'est un dispositif simple, clair, qui ne ressemble pas à une usine à gaz.
La question qui nous occupe aujourd'hui est essentiellement philosophique : il s'agit de savoir si nous restons attachés au principe de la séparation des pouvoirs de Montesquieu. Il y a une logique qui consisterait à dire que chaque collectivité et l'Etat ont des compétences propres strictement définies. On oublie quelquefois ce principe de séparation des pouvoirs pour s'orienter vers des modalités de confusion des pouvoirs. Il y a d'innombrables réunions, très longues, où le sentiment domine que tout le monde doit s'occuper de tout. Je suis partisan d'un système plus simple, dans lequel on délimiterait les compétences de chacun. Je sais bien que c'est très difficile, chacun voulant exercer beaucoup de compétences, mais faire des réunions pour déterminer qui va être le chef de file, et faire en sorte que tout le monde soit représenté, les communautés, les communes, les bourgs-centres, les pays... Vous rendez-vous compte de ce que cela représente ?
Je voudrais évoquer le Haut Conseil. Je sais qu'il figure dans le programme du Président de la République, mais je voudrais revenir sur l'expérience du comité des finances locales, auquel j'ai participé assez longtemps. Ce comité est très intéressant mais - je ne devrais peut-être pas le dire - il constitue à mes yeux une machine à produire du statu quo. Si vous mettez autour de la table des représentants des petites villes, des moyennes villes, des grandes villes, des villes de banlieues, des villes touristiques, des départements, des régions, des pays, des intercommunalités, chacun va défendre son système et demander ses moyens. Il est bon de mettre tout le monde autour de la table, mais pour aboutir à quoi ? J'ai envie que mon pays soit efficace et je ne suis pas sûr que ce fonctionnement permette d'y aboutir. C'est une réflexion d'ordre transversal, qui n'a rien à voir avec un positionnement politique, dont j'avais envie de vous faire part.
M. Jean-Claude Peyronnet, président. - A partir du moment où la clause générale de compétence a été rétablie, il faut qu'il y ait une concertation.
M. Jean-René Lecerf. - Ces conférences territoriales doivent être à géométrie variable, ou être des sortes de poupées russes qui s'imbriquent. Le coeur du dispositif, c'est l'exécutif régional et les exécutifs départementaux. Dans le Nord, la conférence des exécutifs se réunit depuis peu, d'ailleurs plus à l'initiative du conseil général du Nord qu'à l'initiative de la région, avec deux responsabilités essentielles : peser sur les problèmes de grande envergure - je pense par exemple au canal Seine-Nord - et essayer d'organiser de manière rationnelle et efficace la répartition des compétences entre les départements et la région, de façon à éviter la multiplicité des interventions. Cela ne fonctionne pas si mal et je pense que le problème du pouvoir de décision est un faux problème : une fois que les présidents se sont mis d'accord, ils reviennent devant leur assemblée respective et généralement les choses se passent bien. Lorsque l'on aborde d'autres sujets, comme les universités, il faudrait faire participer à la réunion les responsables appropriés. Sur le problème du logement ou du développement durable, la présence de présidents des communautés de communes semble indispensable. Je pense que c'est le seul système qui puisse réellement fonctionner. Il impose une certaine souplesse au niveau de la loi. Si la loi commence à fixer une composition, nous sommes perdus d'avance.
M. Edmond Hervé. - Lorsque nous parlons d'une nouvelle étape de la décentralisation, il faut se rendre compte qu'elle sera totalement différente de celles que nous avons connues, compte-tenu du contexte financier, économique et culturel qui s'impose à nous. Il y a une profonde solidarité entre l'Etat et les collectivités territoriales. Cette décentralisation sera faite de dialogue et de concertation : il n'y aura plus d'unilatéralité, même si je crois à l'Etat. Cette notion de dialogue est fondamentale. Bien que tout le monde ne soit pas d'accord avec cela, les politiques publiques sont nécessairement plurielles, transversales, prospectives et coopératives. Nous, élus, en avons la preuve tous les jours.
J'ai eu la chance de participer à la mise en place du « B15 ». Ce n'est pas une institution décisionnelle, comme l'a rappelé Pierrick Massiot. C'est un lieu de rencontre, d'échange, situé dans une région particulière, la Bretagne, et disposant d'une vraie identité qui n'a rien à voir avec l'autonomisme. Depuis les années 60, des hommes et des femmes de sensibilité très différente se sont impliqués dans cette région. Je citerai volontairement le président Pleven, fondateur du comité d'étude et de liaison des intérêts bretons (CELIB) et le président André Colin. Les gens qui ont eu des responsabilités ont duré, ce qui est important, dans la mesure où la durée permet aux gens de prendre l'habitude de se rencontrer.
Lorsque ce type de réunion a lieu, on aboutit à un échec si l'on commence par débattre de la ville et de la campagne. J'ai toujours eu de très bons rapports avec des personnes qui n'étaient pas nécessairement de ma sensibilité, mais il est évident qu'il peut y avoir des oppositions, par exemple sur la question de l'établissement public foncier et sur la fiscalité. Il faut choisir des thèmes appréhendés de façon globale. Ces thèmes ne manquent pas.
Nous sommes trop cartésiens. Il serait intéressant d'avoir l'avis de M. Verpeaux à ce sujet. Je souhaiterais que nous ayons un texte souple, qui repose sur la confiance. Il y a des régions qui n'existent pas, qui ont du mal à se définir. Nous avons en Bretagne une solidarité et une identité culturelle et historique. C'est pourquoi nous avons besoin d'une grande liberté d'organisation.
Nous avons évoqué la question des maires ruraux. Mais croyez-vous que, quand j'allais au « B15 », j'y allais les « mains dans les poches » ? J'en discutais au conseil municipal, avec mes collègues de la communauté, toutes sensibilités confondues, au sein du bureau ou de la conférence des maires de la communauté, avec les élus du pays. Il y avait une coordination et des échanges à la base, ce qui me semble important.
Il faut que nous crevions un abcès : l'expression « bloc de compétences ». Il ne peut pas y avoir de « bloc de compétences », c'est ainsi. Il y aura nécessairement une coopération des collectivités territoriales entre elles, avec les représentants des sociétés civiles, avec l'Etat. Il peut y avoir des compétences obligatoires, mais pas de blocs de compétences exclusives. Tant que l'on ne sortira pas de ce schéma-là, nous n'y arriverons pas. Dans la réalité, la notion de contrat et de négociation l'emportera toujours.
Pierrick Massiot, président du conseil régional de Bretagne. - Ce qui guide notre démarche, c'est avant tout le pragmatisme. Ce pragmatisme serait battu en brèche si l'on transformait l'expérience que nous avons mise en place - de façon progressive, je le rappelle - en un aréopage de 50, 60, 70 personnes. Je crois que nous prendrions des distances avec la volonté initiale d'aboutir à une concertation destinée à débloquer des sujets importants et stratégiques pour les territoires. L'un des problèmes que nous connaissons dans ce pays est que les projets importants pour le développement des territoires, les projets d'infrastructures notamment, mettent un temps considérable à aboutir. Les délais sont liés à l'ensemble des procédures, que l'on empile les unes sur les autres et qui reviennent plus ou moins à bloquer ou à retarder les initiatives. Ceci a un coût, en énergie pour les gens qui portent les projets, mais aussi sur le plan financier. Lorsqu'il faut quinze ans pour réaliser un projet, il coûte beaucoup plus cher que lorsqu'il peut être réalisé plus rapidement. Et, en attendant, le développement économique qui s'appuie sur cette infrastructure ne se fait pas. Je constate qu'avec ce qui s'est fait en Bretagne depuis 2004, et je trouve les jugements de monsieur Méhaignerie sévères là-dessus, nous sommes parvenus à nous mettre d'accord sur l'essentiel - pas sur tout mais sur l'essentiel -, sur des projets que nous aurions mis beaucoup plus de temps à faire émerger par le passé.
Pour résumer, notre sentiment est que notre expérience peut servir à la réflexion dans le cadre d'une loi de décentralisation, mais ne formalisons pas trop, n'organisons pas les choses de façon trop rigide. S'il faut, par exemple, ouvrir notre expérience aux représentants des communautés de communes, au lieu d'avoir douze représentants des communautés d'agglomération il faudra qu'ils en désignent un peu moins, entre eux. Je rappelle que la région n'a qu'un seul représentant. Un représentant des associations des maires ruraux peut aussi être présent à ce titre et apporter sa sensibilité. Mais, de grâce, ne rigidifions pas trop et ne complexifions pas trop.
M. Pierre Méhaignerie, président de la communauté d'agglomération de Vitré. - Je suis d'accord avec monsieur Massiot sur la nécessité de ne pas rigidifier nos structures. Nos voisins étrangers estiment que nos politiques publiques ne souffrent pas d'une insuffisance de moyens mais d'un empilement de structures et d'une confusion des objectifs. A titre d'illustration, nous avions démarré, au moment du changement de régime en Pologne, une formation destinée aux élus. Au bout de trois ou quatre ans, les Polonais ont préféré aller dans d'autres pays, affirmant que tout était inutilement compliqué chez nous. Cela fait réfléchir. Oui à la concertation, mais ne rigidifions pas par la loi quelque chose qui doit être laissé à la liberté des collectivités.
Mon collègue Lebreton a employé une expression qui fâche dans l'Ouest : « ceux qui comptent »... Les grosses agglomérations compteraient et pas les petites ou celles du milieu rural ? J'ai été très sensible à une étude de l'observatoire du dialogue et de l'intelligence sociale, qui fait une analyse sur 21 régions françaises de 15 critères de performance économique et de 15 critères de performance sociale. L'Ile-de-France est la première région si l'on considère les critères de performance économique. Mais elle n'est que vingtième sur les critères de performance sociale. Et lorsqu'on analyse et additionne l'ensemble des critères, la première région est celle des Pays-de-la-Loire, et la seconde la Bretagne. Cette étude indique que la force du grand Ouest n'est pas seulement le fait des deux grandes conurbations urbaines, c'est un réseau de villes moyennes et de petites villes bien liées à leur tissu rural, capables de développer des capacités d'initiative, de responsabilité et de cohésion sociale. Je pense que c'est un élément important. Quand on regarde les crédits FEDER en Bretagne, il y a quand même 12 pays sur les 21 qui n'ont reçu aucune enveloppe : tout a été concentré et je sens une inquiétude sur ce point.
Je demande que nous disposions, au sein des conférences territoriales, d'un document de travail et d'un rapporteur sur tout dossier à l'ordre du jour, et que nous procédions à un vote ; un vote de conseil, non un vote de décision. Sur le numérique, je veux un débat. Nous en avons eu un au niveau du pays et les élus ont exprimé de fortes inquiétudes à ce sujet.
Claudy Lebreton, président de l'assemblée des départements de France. - En ce qui concerne les départements et les régions, nous avons des compétences que nous exerçons seuls. Une collectivité peut avoir des compétences propres mais elle intervient en partenariat avec le monde économique, les autres collectivités territoriales et le monde associatif dans le cadre de politiques d'accompagnement et de soutien. Comme le disait Edmond Hervé, quelle que soit la collectivité que l'on dirige, la négociation est permanente, entre le responsable de l'intercommunalité et les communes qui la composent, notamment. Je rappelle à ce sujet que l'intercommunalité n'est pas une collectivité de plein exercice mais un établissement public de coopération intercommunale. Il faut le répéter car on l'oublie. Or, il y a une question de légitimité derrière, cela renvoie à un autre débat sur le mode de scrutin ou la fiscalité. Quand vous êtes dans un département, comment construire des politiques partenariales s'il n'y a pas de lieu où se rencontrer pour travailler ensemble, quelles que soient les sensibilités politiques ? C'est la même chose pour la région. Qu'il y ait une structure organisée ou non, il faut bien qu'il y ait des espaces de rencontre et de négociation pour porter des projets d'intérêt commun. Nous avons beaucoup travaillé sur la LGV. Nous n'étions pas dans les premiers classés pour l'emporter au niveau national, et c'est parce que nous avons été unis, rassemblés et solidaires que nous avons dépassé les autres. Nous avions trouvé entre nous un compromis sur le plan financier, sur le milliard apporté par les collectivités. Il y a eu de longues discussions, nous nous sommes mis d'accord, nous avons eu quelque part une volonté commune d'aboutir parce qu'il y avait une urgence. Pour revenir sur le très haut débit, aujourd'hui la stratégie est régionale mais sa mise en oeuvre est déclinée au niveau départemental ou intercommunal. Nous sommes parvenus à un accord.
Il y a un élément qui nous manque : quelles seraient les responsabilités et les compétences des futures conférences ? Peut-être auront-elles des responsabilités plus importantes que nous ne le pensons ? En tout état de cause, je crois qu'il y a une certaine convergence en faveur de l'idée de s'organiser librement dans le cadre des conférences territoriales, mais à la condition qu'on tienne compte de la spécificité et de la diversité de nos territoires. Pour l'efficacité de l'action, il faut rester dans la co-construction des politiques publiques, dans la négociation permanente.
Je ne veux pas entrer dans le débat sur le mille-feuilles ; on pourrait avoir une approche très révolutionnaire sur le sujet mais, aujourd'hui, je ne vois pas comment avancer dans la décentralisation autrement que par le compromis. L'important est de franchir une étape, il en va de la modernisation de notre pays.
M. Michel Verpeaux, professeur de droit à l'université de Paris I Panthéon Sorbonne. - Merci Monsieur le président. Après les différentes interventions, je voudrais vous faire part de quelques réflexions et aborder certaines questions. Je crois que nous sommes en présence de deux problèmes liés à l'organisation publique française. Le premier est celui de la généralisation d'une expérience : faut-il généraliser et comment généraliser ? C'est un problème similaire à celui posé par les expérimentations menées par les collectivités territoriales. Faut-il institutionnaliser des fonctionnements, des expériences qui existent et les étendre à l'ensemble du territoire français ?
La deuxième difficulté réside dans le fait qu'il n'existe pas de lieu, actuellement, dans l'organisation publique française, en dehors du Sénat, où les collectivités territoriales peuvent travailler ensemble, discuter et coopérer. Certes, il y a les intercommunalités et les syndicats mixtes, mais ils ont des fonctions et des objectifs particuliers et définis. La loi de réforme des collectivités territoriales avait essayé, plus ou moins bien selon les uns et les autres, de mettre en place des solutions dans ce sens. Ce fut sous la forme de la mutualisation et des schémas de mutualisation d'une part, mais également des pôles métropolitains qui essayaient de faire travailler ensemble de grands EPCI.
Ensuite, trois questions se posent : celle de la composition des conférences territoriales, de ses missions et compétences, et de l'existence d'un pouvoir de décision.
En ce qui concerne la composition, beaucoup de choses ont été dites aujourd'hui. Nous sommes face à deux extrêmes : d'une part, une structure souple et peu nombreuse. Je ne sais pas si le nombre de 20 est adéquat, mais le nombre maximal de participants doit permettre de discuter autour d'une table, ce qui représente, à peu près, 15 à 20 personnes. D'autre part, il s'agit de faire en sorte que tous les intérêts qui existent dans la région soient représentés. Dans cette logique, il faut prendre en compte les différentes strates de communes, les différentes formes d'EPCI, le CESER, ainsi que l'État. J'ai cru comprendre que les conférences territoriales devaient être des lieux de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. Dès lors, l'Etat doit être présent : pas seulement le préfet de région, mais également les préfets de département, ainsi que d'autres grands fonctionnaires de l'État, comme le recteur par exemple. Cela commence à faire beaucoup de monde. Enfin, je me pose également la question de savoir si, pour certains thèmes, la région n'est pas un cadre trop petit, notamment en matière universitaire. Des rapprochements entre conseils régionaux voisins pourraient être bénéfiques pour un certain nombre de sujets, lorsque le cadre régional est trop étroit.
Enfin, la question est de savoir qui va fixer les règles de constitution : s'agira-t-il de la loi ou du décret d'application ? Ce n'est pas le même pouvoir de décision. Une auto-organisation propre à chaque conférence territoriale est également une option. Mais, de manière générale, ces conférences vont buter, à un moment ou à un autre, sur la question de la désignation de ses membres. Ceux-ci ne peuvent être nommés par le président de région. Or, l'organisation d'une élection est compliquée, et les résultats peuvent donner lieu à débats et remises en cause.
En ce qui concerne les missions et compétences, le lien entre ces conférences territoriales et le Haut conseil des territoires devra être étudié, avec une incertitude toutefois : quel sera le rôle du Haut conseil des territoires ? S'agira-t-il d'une institution supplémentaire qui va se greffer sur ce qui existe déjà ? Aura-t-il un pouvoir purement consultatif ? Doit-on l'inscrire dans la Constitution au même titre que d'autres institutions ? Par ailleurs, les conférences territoriales seront-elles compétentes dans tous les domaines où les régions, départements et communes sont eux-mêmes compétents ? De manière générale, je suis partisan de la clause générale de compétences. En effet, la mise en place de blocs de compétences m'a toujours paru impossible à réaliser. Ces interrogations vont un jour rejaillir sur les conférences territoriales avec la notion de tutelle, et la nécessité ou non qu'une collectivité prenne le pas sur les autres. Dans cette optique, on pense à la région pour des raisons de taille. Cela pose aussi la question du projet, soutenu par l'ARF, de constituer des schémas régionaux qui pourraient, un jour, devenir plus ou moins prescriptifs pour les autres collectivités.
Enfin, en ce qui concerne le statut des conférences territoriales, je crois que la mise en place d'une instance par la loi va nécessairement entraîner un changement qualitatif par rapport à une instance informelle comme le « B16 ». En effet, à l'heure actuelle, le « B16 » n'existe pas institutionnellement. En outre, la question se posera nécessairement de savoir si ces conférences devront avoir un pouvoir de décision. J'ai cru comprendre qu'actuellement le « B16 » formule des avis, est consulté et débat sans que cela ne donne lieu à des décisions. Mais, si on octroie un pouvoir de décision, se posera alors la question des modalités de son expression, c'est-à-dire de la nécessité d'instaurer un vote. Le consensus recherché dans le « B16 » va buter sur ce problème de vote.
Enfin, ma dernière interrogation porte sur la forme juridique que prendront ces conférences. Une forme associative serait source de complication et il n'existe pas actuellement d'entités de droit public correspondantes.
M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Je vous remercie, Monsieur le professeur, d'avoir fait une synthèse de l'ensemble des points évoqués et des sujets sur lesquels nous serons amenés à débattre.
M. Jean-Luc Fichet. - Je voudrais souligner combien le « B16 », auquel j'appartiens, fonctionne bien. C'est aujourd'hui un outil indispensable à nos grands sujets de politiques bretonnes. Comme cela a été dit, c'est un espace de parole et d'information, tout comme un lieu de cohérence. Personnellement, quand le président de la communauté d'agglomération à laquelle j'appartiens s'y rend, il le fait avec plaisir car c'est une démarche volontaire, sans aucune contrainte. De plus, les discussions ne seront pas sanctionnées par un vote et il pourra en retirer des informations. Il reste toutefois une question fondamentale : comment représenter les communautés de communes ? Il n'est pas imaginable que le « B16 » enfle au point de s'immobiliser. Le nombre de ses membres ne peut excéder 20 à 30 personnes. Aussi, nous devons trouver un moyen de représenter les communautés de communes au sein du « B16 ». Si les petites communes n'avaient pas exprimé leurs inquiétudes lors des discussions du plan numérique, nous n'aurions pas abouti au système actuel, à savoir que lorsqu'on installe une prise en milieu dense, une autre prise est également installée en milieu non-dense. Ainsi, la région entière avance à un même rythme. Une représentation des communes rurales via les pays a été envisagée. Toutefois, cela est difficile, car les pays sont aujourd'hui gelés. Peut-être peut-on envisager la mise en place d'une représentation par strate de population ?
Quant à la représentation de l'Etat, je pense que la présence du seul préfet de région suffit. Les informations peuvent ensuite être transmises aux préfets des départements. En tout état de cause, je considère que la souplesse dont on a parlé est extrêmement importante. Elle doit être conservée, tout comme la démarche volontaire dans laquelle s'inscrit le processus. Il en est de même pour l'absence de décision : le « B16 » doit rester un lieu de discussion et de validation, mais pas de décision non-consensuelle.
M. Yannick Botrel. - La question essentielle est de savoir si le modèle breton est transposable. Les intervenants précédents ont eu raison de dire que le « B16 » est fondé sur une réalité régionale indéniable et sur une tradition ancienne : celle du combat mené par la Bretagne dans les années 60 pour le désenclavement routier et la construction de liaisons entre Rennes et Brest ainsi qu'entre Rennes et Nantes. Il y a des pratiques anciennes et l'action des élus s'inscrit aujourd'hui dans cette histoire des relations des collectivités territoriales en Bretagne. L'intérêt du « B16 » est qu'il s'agit d'un lieu d'expression, où l'on cherche à aboutir à des objectifs communs par la concertation, ainsi qu'un lieu d'impulsion des politiques. L'efficacité de cette structure repose sur le fait que l'équipe est ramassée, tout en représentant tous les territoires. Je partage sur ce point les propos de Pierre Méhaignerie : la Bretagne est un réseau de villes moyennes. Cela ne doit pas être oublié.
En ce qui concerne l'affectation des crédits FEDER, c'est toujours un dilemme de savoir s'il vaut mieux saupoudrer les subventions pour qu'un maximum de collectivités en profite ou s'il faut les concentrer sur un nombre réduit de projets afin que l'aide financière apportée soit ainsi plus conséquente.
En outre, je souhaite ajouter qu'il existe d'autres lieux de concertation entre les villes. Il existe une discussion permanente entre Rennes et Nantes en ce qui concerne les équipements ou les choix stratégiques pour les grands investissements. Ces réunions sont informelles, l'important étant la recherche d'un accord et l'efficacité.
M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Ce débat était extrêmement intéressant. Si je devais retenir deux choses ce serait les notions de souplesse et de pragmatisme. Nous transmettrons ce compte-rendu à madame la ministre.