Mercredi 14 novembre 2012
- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -Organisme extraparlementaire - Désignation de candidats
Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission propose les candidatures de MM. Maurice Antiste comme membre titulaire, et Abdourahamane Soilihi comme membre suppléant à la nomination du Sénat pour siéger au sein la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer.
Écoles de production - Examen du rapport
La commission examine le rapport de Mme Françoise Laborde sur la proposition de loi n° 120 (2011-2012) relative aux écoles de production.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous allons examiner le rapport de Françoise Laborde sur la proposition de loi relative aux écoles de production. Mais auparavant, dans l'esprit convivial et démocratique de notre commission, je donne la parole à Jean-Claude Carle pour qu'il nous présente l'objet de son texte.
M. Jean-Claude Carle, auteur de la proposition de loi. - Les écoles de production sont une voie originale pour des jeunes en rupture scolaire et sociale, qui ont quitté l'école pour se retrouver dans la rue, et ne peuvent même pas prétendre à un contrat d'apprentissage. Soit on les laisse à leur triste sort, soit on tente de les réinsérer. Ces établissements sont le lieu d'une pédagogie nouvelle, puisque l'école est intégrée à l'entreprise et vice versa, sur un même lieu. Ils accueillent environ 500 élèves et leur offrent une formation, une éducation au sens large, afin qu'ils puissent ensuite décrocher un diplôme - plus de 80 % ont obtenu un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) ou un baccalauréat professionnel - et trouver un emploi. Des carrières intéressantes s'ouvrent ainsi à eux : beaucoup créent une entreprise, quelques-uns ont même entrepris des études d'ingénieur.
Cette initiative mérite d'être encouragée. Au Danemark, 110 écoles de production accueillent près de 15 000 élèves. Or les écoles françaises souffrent aujourd'hui de leur précarité juridique : ce sont des écoles techniques d'enseignement privé, reconnues par l'État mais hors contrat, ce qui ne leur permet pas - non plus qu'aux élèves - de recevoir des aides publiques : bourses, cartes d'étudiant, etc. Leur précarité est aussi financière, car la scolarité y est presque gratuite, les élèves payant au plus 800 euros par an. Les écoles tirent 40 % de leurs revenus de leur production, 25 % d'aides régionales, en Rhône-Alpes notamment, et elles sont autorisées à percevoir une part de la taxe d'apprentissage, au titre du barème mais non du quota.
Je propose de clarifier leur statut en les rattachant au ministère de l'emploi et de la formation professionnelle, qui exercera son contrôle, et de les faire bénéficier pleinement de la taxe d'apprentissage, dans le cadre aussi bien du barème que du quota. Les jeunes pourraient être éligibles aux bourses de l'éducation nationale et recevoir une carte d'étudiant.
Certes, cela pose des problèmes d'ordre juridique, et c'est pourquoi le texte prévoit une expérimentation afin de procéder dans cinq ans aux ajustements nécessaires. Le Danemark s'est lui-même inspiré de l'exemple français pour améliorer sa législation.
Mme Françoise Laborde, rapporteure. - Cette proposition de loi donne aux écoles de production, à titre expérimental, un nouveau cadre juridique. Ces écoles se caractérisent par une méthode pédagogique spécifique privilégiant la formation par la pratique : la formation en atelier représente les deux tiers du temps pédagogique, le dernier tiers étant consacré à la formation théorique en classe. Destinées principalement à des jeunes de 14 à 18 ans ayant décroché du système éducatif traditionnel, elles se proposent de former leurs élèves en les plaçant en situation réelle de production, en réponse à des commandes de clients, sans les contraindre à alterner comme les apprentis entre l'école et l'entreprise. Elles revendiquent donc leur statut d'« écoles-entreprises ».
Les écoles de production n'étant pas sous contrat avec l'État, elles ne sont pas soumises au contrôle pédagogique du ministère de l'éducation nationale. Elles sont cependant agréées comme centres d'examen de certains diplômes de niveau V et IV tels que le certificat d'aptitude professionnelle (CAP), le brevet d'études professionnelles (BEP) ou le baccalauréat professionnel. Les métiers enseignés couvrent une large palette de secteurs économiques : des métiers de la métallerie et de la menuiserie à la mécanique industrielle et automobile, en passant par des métiers d'art ou de services tels que l'ébénisterie, la haute couture, la restauration et l'hôtellerie. La Fédération nationale des écoles de production (FNEP) dénombre aujourd'hui quinze écoles de production, dont huit en région Rhône-Alpes.
La FNEP indique qu'en juin 2010, 85 % des élèves des écoles de production ont obtenu leur diplôme. Pour ce qui est de l'insertion professionnelle, l'efficacité de cette voie de formation semble démontrée : la moitié des diplômés accèdent sans grande difficulté à un emploi, l'autre moitié choisissant en général de poursuivre leurs études. Ces écoles sont un élément intéressant de notre réseau national d'enseignement technique, qui a fait la preuve de son succès.
Toutefois, le statut hybride taillé sur mesure par cette proposition de loi me paraît inopportun ; on peut douter de la proportionnalité des mesures envisagées, qui favorisent une quinzaine d'établissements regroupant tout au plus 700 élèves, autant que de leur faisabilité juridique.
Tout d'abord, les articles 2 et 3 transfèrent l'agrément et le contrôle des écoles de production du ministère de l'éducation nationale à celui de la formation professionnelle, car ces structures privées refusent de soumettre leur organisation pédagogique aux règles des contrats d'association de la « loi Debré », ce qui supposerait de mettre en conformité leurs enseignements théoriques avec les règles et programmes de l'enseignement public, de recruter leurs enseignants par concours, de respecter un volume horaire minimal d'enseignement théorique. En rattachant ces établissements au ministère de la formation professionnelle, on les assimilerait à des organismes de formation par l'apprentissage, afin qu'ils en tirent des bénéfices financiers - recettes de la taxe d'apprentissage au titre du quota - et statutaires - les élèves, considérés comme des apprentis, recevraient la carte « Étudiant des métiers ».
Or les services d'inspection du ministère de la formation professionnelle ne disposent pas des compétences nécessaires pour évaluer les méthodes pédagogiques des écoles de production. Faut-il rappeler que même les formations par apprentissage s'appuient sur des diplômes dont le contenu et l'organisation pédagogiques ont été préalablement validés par le ministère de l'éducation nationale ? Il est inenvisageable de transférer à l'inspection du travail le contrôle d'écoles scolarisant des élèves mineurs, soumis aux exigences de l'instruction obligatoire jusqu'à 16 ans.
L'article 4 vise à faire bénéficier les entreprises partenaires des versements exonératoires de la taxe d'apprentissage au titre du hors quota, correspondant à la part « barème » de la taxe d'apprentissage. Contrairement aux intentions exprimées dans l'exposé des motifs, l'article ne garantirait pas aux écoles de production le bénéfice de la part « quota » de la taxe d'apprentissage : il rappelle seulement que les écoles dont les formations technologiques et professionnelles figurent sur la liste publiée annuellement par le préfet de région peuvent bénéficier des versements exonératoires de la taxe d'apprentissage au titre du barème, à raison des dépenses effectivement réalisées par les employeurs partenaires en faveur du fonctionnement et des équipements de ces établissements. Étendre le bénéfice d'une partie du quota de la taxe d'apprentissage aux écoles de production serait incompatible avec la législation en vigueur, car le quota de cette taxe, qui correspond à 53 % de son produit global, finance exclusivement les établissements formant des apprentis - ce que les écoles de production ne sont pas, puisque leurs élèves ne sont pas rémunérés : le rattachement au ministère de la formation professionnelle n'y changerait rien.
De même, l'article 5 tend à octroyer aux élèves des écoles de production la carte « Étudiants des métiers », qui leur offrirait des avantages et des réductions tarifaires identiques à ceux dont jouissent les apprentis et les étudiants. Or ils ne sauraient être assimilés à des apprentis : certains d'entre eux n'ont que 14 ans, alors que l'apprentissage est réservé aux plus de 15 ans, et ils ne perçoivent aucune rémunération en l'absence de contrat d'apprentissage.
L'article 6 rendrait ces élèves éligibles aux bourses nationales délivrées par l'éducation nationale, ce qui répond à un vrai problème, puisque cette éligibilité est aujourd'hui soumise à l'accord du Conseil supérieur de l'éducation nationale, qui y a donné un avis défavorable en 2006.
Les articles 5 et 6, en cela qu'ils constituent une aggravation des charges publiques, me semblent irrecevables sur le fondement de l'article 40 de la Constitution.
Au-delà des problèmes rédactionnels et juridiques, j'ai le sentiment que l'introduction d'un statut hybride taillé sur mesure en faveur des quinze écoles de production existantes, constituerait une rupture d'égalité à l'égard des 875 autres établissements d'enseignement technique privés recensés par l'Union nationale de l'enseignement technique privé (UNETP). L'incohérence du texte est manifeste : d'un côté, il retire les écoles de production du champ scolaire en en faisant des organismes de formation alternée placés sous l'autorité du ministère de la formation professionnelle, au même titre que les CFA ou les sections d'apprentissage, bénéficiant des recettes du quota de la taxe d'apprentissage comme du statut d'apprenti pour leurs élèves ; de l'autre, il est admis que ces élèves ne peuvent être tenus pour de véritables apprentis, puisqu'ils ne perçoivent aucune rémunération, et c'est pourquoi on veut les rendre éligibles aux bourses de l'éducation nationale pourtant réservées aux élèves placés sous statut scolaire.
Il faut cependant mettre fin à la situation ambiguë entretenue par le ministère de l'éducation nationale qui semble s'accommoder d'un réseau d'écoles de production prenant en charge des élèves auxquels l'offre scolaire traditionnelle n'est plus adaptée, sans toutefois leur reconnaître une réelle légitimité, ces écoles faisant seulement l'objet d'une reconnaissance formelle de l'État par arrêté qui n'emporte aucun droit. Il est donc indispensable de poursuivre la réflexion, afin de définir des règles minimales d'organisation de la scolarité, en concertation avec les écoles. Un temps de formation générale incompressible doit être garanti, au-delà des seuls enseignements théoriques appliqués dans le cadre de la production. Gardons à l'esprit qu'un certain nombre de ces jeunes ont entre 14 et 16 ans. Ils doivent acquérir les connaissances fondamentales - lecture, écrit, mathématiques - nécessaires à l'exercice de la citoyenneté. Pour votre information, un certain nombre sont des « primo-arrivants » qui maîtrisent difficilement le français.
Le contrôle de l'offre pédagogique devrait reposer sur une habilitation ou une accréditation du personnel appelé à accompagner les élèves dans leur formation théorique et générale. Non que cette accréditation doive être subordonnée à l'obtention d'un titre à l'issue d'un concours, comme c'est prévu par les contrats d'association : il faut préserver une certaine souplesse de recrutement, parmi les bénévoles et les professionnels de l'industrie.
Qu'ils soient inscrits dans un établissement sous contrat ou une école de production, tous les élèves en formation alternée doivent pouvoir bénéficier d'aides à la scolarité. Sans doute faut-il prévoir un traitement différencié des élèves en fonction de leur âge. De 14 à 16 ans, les élèves devraient idéalement être inscrits dans des établissements ou organismes proposant des voies de formation en alternance adaptées à leur situation, reconnues et sous contrat avec le ministère de l'éducation nationale. Maintenus sous statut scolaire, ils bénéficieraient d'aides à la scolarité. Plusieurs dispositifs agréés existent déjà : les élèves de 14 ans peuvent suivre une « formation d'apprenti junior », c'est-à-dire un parcours d'initiation aux métiers effectué sous statut scolaire dans un lycée professionnel ou un centre de formation d'apprentis ; les jeunes âgés d'au moins 15 ans peuvent avoir accès au dispositif d'initiation aux métiers de l'alternance (DIMA) et reçoivent alors une formation non rémunérée afin de commencer une activité professionnelle tout en demeurant sous statut scolaire ; les maisons familiales rurales peuvent aussi accueillir des jeunes de plus de 14 ans pour des formations par alternance. De 16 à 18 ans, les élèves qui le désirent pourraient être inscrits dans des écoles de production, réservées à la scolarité post-obligatoire. Ils se verraient alors reconnaître par les ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle le statut de stagiaires de la formation continue non rémunérés, et bénéficieraient le cas échéant d'une allocation versée par le conseil régional.
Les pistes que je viens de tracer devraient être étudiées dans le cadre d'une mission conduite par les ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle, destinée à évaluer l'ensemble des dispositifs de formation alternée existants. J'en ferai la demande au ministre.
Je vous propose donc de ne pas adopter de texte et de conclure au rejet de la proposition de loi en séance : il me semble plus raisonnable de nous donner le temps de la réflexion. Grâce à la mission que je viens d'évoquer, nous verrons s'il est opportun de réformer le cadre réglementaire de l'enseignement technique privé, et quelles modifications législatives s'imposent.
M. Jacques-Bernard Magner. - Merci pour ce brillant exposé. Cette proposition de loi est surprenante, mais elle m'a permis de découvrir une réalité que je connaissais mal. Je suis éberlué de constater que les écoles de production défient l'obligation scolaire jusqu'à 16 ans : des jeunes de 14 ans passent 60 % de leur temps à travailler, un peu comme dans les ateliers ou les mines du dix-neuvième siècle... Il s'agit d'une véritable exploitation, puisque les produits qu'ils fabriquent sont vendus et rapportent de l'argent aux établissements, dont les formateurs sont des bénévoles ou des retraités. Des chefs d'entreprise n'ont pas tous vocation à former des adolescents. Un de nos collègues, éminent capitaine d'industrie, plaide régulièrement pour mettre les gens au travail dès le plus jeune âge et les rémunérer le moins possible... En tant qu'enseignants et citoyens, nous sommes choqués.
L'éducation nationale doit impérativement évaluer ces établissements. Bref, notre rapporteure a été claire en soulignant tous les inconvénients de cette proposition de loi. Le groupe socialiste suivra ses conclusions.
M. Jacques Legendre. - Je salue l'initiative de Jean-Claude Carle qui attire notre attention sur des établissements qui existent depuis longtemps et dont les résultats sont probants. Ce coup de projecteur était utile. Les jeunes en difficulté doivent être scolarisés et formés afin de trouver un travail. Il ne faut pas rejeter a priori un système qui permet à certains jeunes en échec scolaire d'entrer dans la vie professionnelle.
J'ai été secrétaire d'État à la formation professionnelle et je puis témoigner des rivalités entre le ministère du travail, qui veut avoir autorité sur la formation professionnelle, et le ministère de l'éducation nationale qui la considère comme un sous-ensemble de l'enseignement technique. Ces querelles administratives sont dérisoires ; seuls les résultats comptent.
A juste titre, on a voulu démocratiser l'enseignement ; mais le collège issu de la « loi Haby » a rassemblé dans les mêmes classes des jeunes issus de trois formations différentes, d'où la disparition de techniques pédagogiques innovantes.
Les écoles de production obtiennent de bons résultats : pourquoi interdire à des jeunes en situation d'échec de s'insérer dans le monde du travail ? Avec Jean-Claude Carle et Françoise Laborde, la réflexion doit se poursuivre. A trop vouloir mettre tout le monde sous le même boisseau, nous risquons de passer à côté de méthodes pédagogiques novatrices.
Mme Corinne Bouchoux. - Il s'agit ici d'une initiative essentiellement régionale. Comme nous sommes particulièrement préoccupés par les 150 000 décrocheurs scolaires et que nous prônons la liberté pédagogique, cette proposition de loi nous semble à plus d'un titre intéressante, même si le dispositif juridique paraît inapproprié.
Pourquoi ne pas mettre à profit ce texte pour travailler sur la liberté pédagogique ? Ces jeunes, à n'en pas douter, doivent relever de l'éducation nationale. La question est de savoir comment celle-ci peut valoriser leurs talents. Veillons à ne pas rallumer la guerre scolaire !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Notre rapporteure a clarifié le débat en rappelant les arguments en présence. Notre groupe n'est pas favorable au développement de ce type d'écoles, même à titre expérimental. La première école de production a été ouverte en 1882 par le chanoine Boisard...
M. Jacques Legendre. - Quelle horreur !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - De tels établissements doivent relever de l'éducation nationale. Le décrochage scolaire révèle l'échec du système éducatif qui peine à se remettre en question. Nous ne pouvons être favorables à des écoles où des enfants de 14 ans travaillent à 60 % de leur temps pour des entreprises. Cette professionnalisation est bien trop précoce.
Mme Françoise Férat. - Je salue le travail de Jean-Claude Carle qui maîtrise parfaitement les questions de formation et d'éducation. Pourquoi vouloir à tout prix garder des jeunes à l'école alors qu'ils ont décroché ? Cette initiative doit être regardée avec intérêt, même si elle ne concerne que 700 élèves. Toute expérimentation est bonne à prendre, et cette proposition de loi prévoit une clause de revoyure dans cinq ans. Allons-nous rejeter d'un revers de main une méthode qui a permis à des jeunes de trouver un emploi ou de reprendre des études ? Beaucoup d'emplois intéressants dans le bâtiment ou dans l'artisanat ne sont pas pourvus.
M. Jacques-Bernard Magner. - Il y a des écoles pour cela !
Mme Françoise Férat. - Mais cette expérience est unique et elle permet de combler des manques.
M. Jean-Pierre Plancade. - Merci à Jean-Claude Carle de m'avoir fait découvrir une réalité que je ne connaissais pas, alors même que j'ai vécu dans la région lyonnaise. Merci aussi à notre rapporteure d'avoir bien posé le problème.
Si ces écoles existent, c'est qu'il y a une défaillance dans le système : l'exclusion ou le décrochage nous obligent à nous remettre en cause. Cela dit, on ne peut laisser des enfants de moins de 15 ans dans des écoles de production - appellation d'ailleurs un peu choquante. Celles-ci ne sauraient fonctionner sans contreparties, sans contrôle et sans évaluation permanente de l'éducation nationale et de la formation professionnelle. Je souscris donc aux conclusions de notre rapporteure.
Mme Françoise Cartron. - Je salue le travail fouillé et méthodique de notre rapporteure qui décrit le fonctionnement des écoles de production. Je déplore qu'elles s'affranchissent de toutes les contraintes qui encadrent la formation des jeunes.
Certes, 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans qualification, mais nous aborderons cette question majeure à l'occasion de la loi de refondation de l'école présentée par M. Peillon. Nous devrons nous interroger sur la place de l'apprentissage dans l'éducation nationale et sur les liens entre lycées professionnels et entreprises. M. Legendre a salué la pédagogie des écoles de production, mais peut-on encore parler de pédagogie quand 60 % du temps des élèves est consacré à la production et que les enseignements ne sont soumis à aucun contrôle ? Les ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle doivent évaluer ces pratiques pour que nous y voyions clair. Enfin, peut-on s'affranchir de la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans ? Est-ce en faisant travailler des jeunes de 14 ans que l'on répond à leurs souffrances ?
M. David Assouline. - Je salue ce rapport très précis. La loi prévoit de donner aux enfants un socle commun de connaissances théoriques durant leur scolarité obligatoire. Il ne s'agit pas de chamailleries administratives, mais d'un devoir républicain ! Certes, l'échec scolaire nous impose l'humilité : certains enfants ayant du mal avec la théorie, toutes les expériences pédagogiques méritent d'être tentées. En revanche, les demandes des écoles de production sont inacceptables. C'est par intérêt financier qu'elles veulent être rattachées au ministère de la formation professionnelle ! Elles souhaitent bénéficier des bourses et autres aides de l'éducation nationale, tout en s'exonérant de toute contrainte. C'est d'ailleurs un texte de circonstance que l'on nous propose, qui favorise un projet pédagogique lancé dans une région : ce n'est pas de bonne méthode.
Lorsque nous débattrons de la loi de refondation de l'école, nous aborderons la question de la formation professionnelle avec les deux ministres en charge de ce dossier et qui doivent travailler de concert. Gardons-nous des fausses solutions.
M. Claude Domeizel. - Merci à Françoise Laborde et Jean-Claude Carle de m'avoir fait découvrir ces écoles de production. Notre commission gagnerait à aller voir de près ce qui se passe dans ces établissements, alors que l'obligation scolaire est fixée à 16 ans. Comment sont-ils contrôlés ? Il faudra le demander au ministre.
Lors d'une vie professionnelle antérieure, j'ai mené à la demande de mon inspecteur d'académie une enquête sur les sectes. Comment savoir s'il n'y a pas de dérives sectaires dans telle ou telle école de production ? Les élèves de 14 à 16 ans doivent demeurer sous le contrôle pédagogique de l'inspection académique. Pourquoi n'enverrions nous pas une délégation de la commission pour visiter ces écoles ?
M. Jacques-Bernard Magner. - Il faudrait aussi s'interroger sur leurs financements.
M. Claude Domeizel. - La formation professionnelle déborde largement le cadre des seules écoles de production : on ne doit pas oublier les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) ni les établissements régionaux d'enseignement adapté. Plutôt que ce bricolage, mieux vaut aborder la question de façon plus générale.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Comme nombre d'entre vous, je suis détachée de l'éducation nationale et je défends ardemment l'école gratuite, laïque et républicaine. Pourtant, face aux 150 000 jeunes laissés sur le bord du chemin, l'urgence est extrême. Nous devons apporter de promptes réponses et toute expérimentation est bienvenue. Quand 100 % des élèves des écoles de production réussissent leur insertion professionnelle, on ne peut parler de fausse solution, monsieur Assouline ! Pourquoi refuser une expérimentation, puisque le législateur sera amené à faire le point dans cinq ans ? Ce texte ne nous empêchera pas de nous pencher sur la formation professionnelle à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la refondation de l'école. Soyons pragmatiques plutôt que dogmatiques.
M. Jean-Claude Carle, auteur de la proposition de loi. - Je remercie Françoise Laborde pour son travail qui a permis d'affiner certains points juridiques. Je vous invite, mes chers collègues, à visiter ces écoles : votre jugement évoluera. Vous aurez du mal à en trouver qui soient dirigées par un chanoine : il n'y en a plus depuis belle lurette.
C'est après en avoir moi-même visitées, lorsque j'étais chargé de la formation dans la région Rhône-Alpes, que j'ai pris des mesures pour les soutenir. Après l'alternance, Mme Demontès et M. Queyranne, bien loin de les supprimer, ont amplifié ces aides et M. Collomb m'a récemment fait part de son soutien. Certes, elles ne scolarisent que 500 élèves, mais ce sont autant de jeunes qui ne sont plus à la rue. Demain ils pourraient être 5 000. C'est pourquoi je propose de sortir ces établissements de leur précarité juridique et matérielle. Peut-être est-ce du bricolage ; pourquoi pas si cela réduit le chômage ? Soit l'on attend que tous les problèmes juridiques soient réglés, et l'on risque d'attendre longtemps, soit on lance une expérimentation pendant cinq ans, comme nous y autorise la Constitution, sous la responsabilité du ministère de la formation professionnelle.
Mme la rapporteure souhaite donner du temps au temps, ce qui m'attriste pour ces jeunes, mais je ne désespère pas de parvenir à des résultats concrets, car l'Association des régions de France (ARF) s'intéresse à ces écoles de production. Le bon sens finira, j'en suis persuadé, par l'emporter.
Mme Françoise Laborde, rapporteure. - Merci de vos compliments et merci à Jean-Claude Carle qui m'a donné l'occasion d'approfondir un sujet sur lequel je souhaite continuer à travailler.
La question de la dimension confessionnelle de ces écoles est secondaire, monsieur Magner. Les jeunes de ces écoles sont de confessions et d'origines sociales diverses. Sont-ils exploités ? Je n'ai pas de réponse précise et catégorique, c'est pourquoi je réclame une évaluation. Le produit des ventes sert à couvrir les dépenses de fonctionnement des établissements, qui bénéficient aussi d'autres ressources, comme une part de taxe d'apprentissage ou des subventions de régions. Certains versent une - maigre - allocation à leurs élèves sous la forme d'un pécule en fin de scolarité.
M. Legendre s'est félicité du coup de projecteur sur ces écoles. Dès lors que des très jeunes y sont scolarisés, ne les éloignons pas de l'éducation nationale pour ne pas rouvrir la guerre de la scolarité à 14 ou à 16 ans. Lorsque nous examinerons le projet de loi sur la refondation de l'école, nous devrons trouver les référentiels adéquats, afin de garantir l'égalité de traitement entre les élèves.
Je me réjouis que Corinne Bouchoux soit favorable à l'innovation pédagogique, absolument indispensable, mais n'oublions pas les exigences communes de l'instruction obligatoire. Une remise à plat générale s'impose donc.
La fédération nationale des écoles de production ne garantit pas un référentiel commun de formation théorique, madame Férat. Des référentiels obligatoires sont pourtant nécessaires, car il arrive que des cours soient supprimés lorsqu'une commande doit être terminée.
L'arrêté du 19 juin 2006 a reconnu sept écoles de production comme établissements privés d'enseignement technique, mais cela ne leur donne aucun droit supplémentaire. La situation est donc loin d'être satisfaisante. Jean-Claude Carle propose que ces écoles changent de tutelle, mais pourquoi ne seraient-elles pas soumises, comme les CFA, à la double tutelle des ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle ? Les élèves ne doivent pas non plus être considérés comme des apprentis, puisque certains ne sont âgés que de 14 ans alors que l'apprentissage a vocation à commencer à partir de 15 ans révolus.
Certains lycées professionnels vendent aussi leur production, monsieur Assouline, ne serait-ce que pour acheter du matériel.
Les quinze écoles actuelles ne me semblent pas présenter de risques sectaires, monsieur Domeizel, mais comme le président de la FNEP m'a dit que 20 à 25 écoles supplémentaires pourraient rapidement être créées, nous devons effectivement être attentifs à ce problème. Je préfère donc que l'on règle la situation des écoles actuelles avant d'envisager d'en créer de nouvelles.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous propose, comme l'a suggéré M. Domeizel, de nous rendre à Lyon pour réfléchir à la scolarisation des enfants de 14 à 16 ans. Les écoles de production feront partie de notre circuit.
Nous allons passer à l'examen des articles.
L'article 1er n'est pas adopté, non plus que les articles 2, 3, 4, 5 et 6.
La commission repousse l'ensemble de la proposition de loi.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La commission n'ayant adopté aucun texte, c'est la proposition de loi initiale qui sera examinée en séance.
Loi de finances pour 2013 - Mission « Éducation » - Examen des rapports pour avis
La commission procède à l'examen des rapports pour avis de Mmes Françoise Cartron, Brigitte Gonthier-Maurin et Françoise Férat sur les crédits de la mission « Éducation » du projet de loi de finances pour 2013.
Mme Françoise Cartron, rapporteure pour avis sur les crédits de la mission « Enseignement scolaire ». - Au cours de la précédente législature, le budget de l'éducation nationale est demeuré enfermé dans un carcan extrêmement rigide qu'était le Révision générale des politiques publiques (RGPP). Il était d'autant plus inadapté que les annonces de réformes et d'expérimentations étaient multipliés tous azimuts, sans réelle cohérence pédagogique. L'empilement de dispositifs nouveaux, coûteux et sans perspective de généralisation s'est substitué à l'adaptation des moyens humains aux besoins éducatifs. On a ouvert ainsi la voie à des inégalités de traitement injustifiées et à des frustrations chez les élèves et les familles qui n'en bénéficiaient pas, tout en drainant inutilement des moyens qui faisaient ensuite défaut dans les établissements ordinaires accueillant l'essentiel des élèves. Le nouveau Gouvernement a entrepris d'inverser la tendance.
Je ne peux que m'en réjouir.
Dans le projet de loi de finances pour 2013, les cinq programmes relevant de l'éducation nationale sont dotés de près de 62,7 milliards d'euros de crédits de paiement, soit une progression globale de 2,92 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2012. Les mesures de périmètre, de l'ordre de 2 millions d'euros, demeurent extrêmement marginales.
Pour mémoire, le budget consacré à l'éducation n'avait crû que de 6 %, entre 2007 et 2012, ce qui représentait, en réalité une baisse en euros constants. L'effort proposé par le Gouvernement en faveur de l'éducation, conformément aux engagements du Président de la République, paraît donc tout à fait conséquent, au regard des marges de manoeuvre budgétaires dont il dispose. Je me félicite du desserrement maîtrisé et responsable de la contrainte budgétaire, qui permettra de mener à son terme la rénovation de l'école dans de bonnes conditions.
En ce qui concerne le détail des évolutions de chaque programme par rapport à la loi de finances pour 2012, à structure constante, je suis en mesure d'apporter les précisions suivantes.
Le premier degré public progresse fortement de 3,99 % pour s'établir à 18,8 milliards d'euros de crédits de paiement (CP). Un effort particulier est ainsi consenti en faveur du premier maillon de la chaîne éducative, le plus fondamental pour lutter contre l'échec scolaire et la réduction des inégalités sociales et territoriales.
Le second degré public croît de 2,58 % à 30,4 milliards d'euros.
Le programme 230 « Vie de l'élève », qui regroupe notamment la santé scolaire, l'accompagnement des élèves et l'action sociale, connaît une forte hausse de 5,87 % à 4,18 milliards d'euros (CP).
L'enseignement privé du premier et du second degrés reste stable à 7,08 milliards d'euros (CP). Il est vrai qu'il avait été préservé les années précédentes.
Le programme 214 « Soutien de la politique de l'éducation nationale » connaît enfin une augmentation sensible de 2,74 % pour 2,15 milliards d'euros de crédits de paiement. Je rappelle qu'il rassemble l'administration centrale et déconcentrée, les services supports et différents opérateurs comme l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (ONISEP) ou le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ).
Les hausses de crédit correspondent à l'accroissement des dépenses de personnel qui résulte lui-même de deux facteurs :
- la trajectoire d'évolution de la masse salariale sous l'effet du glissement vieillesse technicité (GVT) et des pensions ;
- des créations de postes afin de corriger les effets destructurants de la politique ancienne de suppression d'emplois et de non-renouvellement des départs en retraite.
Afin de maîtriser l'enveloppe globale, il était nécessaire en contrepartie de limiter les dépenses hors titre 2, qui sont plus flexibles par nature. Les arbitrages budgétaires mesurés du Gouvernement me paraissent pertinents.
Je souhaite toutefois qu'en matière de dépense hors personnel, la plus grande attention soit apportée à la gestion des moyens des fonctions support, réunis dans le programme 214 « Soutien de la politique de l'éducation nationale ». Les dépenses de fonctionnement, d'investissement et d'intervention pour la logistique, les systèmes d'information et l'immobilier représenteraient environ 365 millions d'euros en autorisations d'engagement au titre de 2013. Des progrès importants peuvent être réalisés sur les grands projets si l'on en croit les indicateurs renseignés dans les documents budgétaires. Rappelons-nous les « bugs » rencontrés par le logiciel Chorus : il y a deux ans, ils avaient rendu nécessaire un rebasage du plafond d'emplois après la découverte de milliers d'emplois non comptabilisés.
Sur trois grands projets informatiques en cours, d'un coût supérieur à 10 millions d'euros, deux d'entre eux connaissent d'importants retards. Le projet SIRHEN (système d'information des ressources humaines de l'éducation nationale) est emblématique. Il concerne l'ensemble des personnels gérés par le ministère de l'éducation nationale et intègre le développement de la paye. De toute évidence, le projet a été mal préparé et mal suivi, malgré sa dimension structurante et stratégique pour piloter l'évolution des ressources humaines. En effet, deux ans de retard sur le calendrier d'achèvement du projet sont déjà prévus et le coût en a été réévalué de 80 à 200 millions d'euros, soit 150 % d'augmentation.
De même, en matière immobilière, la construction du rectorat de l'académie de Toulouse et du service départemental de la Haute-Garonne a pris également deux ans de retard, tandis que son coût est passé de 31 à 41,5 millions d'euros, soit 34 % de réévaluation.
Je souhaite que les trajectoires révisées après audit interne des projets immobiliers et informatiques soient désormais strictement tenues. A défaut, les marges de manoeuvre dégagées pour l'éducation nationale ne doivent pas être grignotées au détriment de l'ambition pédagogique et éducative portée par le Gouvernement.
Dans le PLF 2013, le Gouvernement prend le contrepied de la politique antérieure pour préparer la refondation de l'école. L'arrêt de la révision générale des politiques publiques, le renouvellement des départs en retraite et les créations de postes, notamment dans le premier degré, contribueront à renforcer l'offre éducative et à préparer l'étape indispensable de la reconstruction du recrutement et de la formation des enseignants. Je soutiens sans réserve ces orientations.
Le schéma d'emplois pour 2013 intègre l'extension en année pleine des mesures mises en place dès la rentrée pour atténuer les 14 000 suppressions d'emplois prévus par la loi de finances pour 2012. Rappelons le financement des 1 000 emplois de professeurs des écoles, 1 500 enseignants du second degré, 100 emplois de conseillers principaux d'éducation et 1 500 emplois d'AVS-i pour accompagner les élèves handicapés, prévu dans le collectif budgétaire adopté au mois de juillet dernier.
A la rentrée 2012, est également intervenu le recrutement de 2 000 assistants d'éducation supplémentaires afin d'assurer principalement des fonctions de surveillance. En outre, 500 assistants de prévention et de sécurité ont été affectés dans les établissements les plus exposés aux incivilités et aux violences, en complément du travail des équipes de vie scolaire et des équipes mobiles de sécurité.
Au-delà de l'extension en année pleine, le schéma d'emplois 2013 comporte des mesures nouvelles afin d'arrêter net les suppressions d'emplois dans l'éducation nationale et de procéder à des créations de postes dans le cadre fixé par le Président de la République.
Pour assurer le remplacement de la totalité des départs à la retraite et recréer l'année de formation des maîtres, le Gouvernement a donc prévu l'organisation de deux concours en préalable à la refondation de la formation initiale.
Afin de remplacer tous les départs définitifs d'enseignants en 2013, ce sont 22 100 postes qui seront ouverts à la session normale des concours de recrutement externe dont les épreuves d'admissibilité auront lieu à l'automne 2012 et les épreuves d'admission en juin 2013.
A la rentrée 2013, 8 781 nouveaux emplois équivalents temps plein (ETP), soit 8 281 ETP enseignants et 500 ETP non-enseignants, seront parallèlement créés. Ces emplois nouveaux permettront d'éviter toute dégradation des taux d'encadrement. Dans le premier degré, l'accueil des élèves de moins de trois ans sera renforcé, tandis que dans le second degré, les efforts porteront particulièrement sur les lycées d'enseignement professionnel.
Est précisément prévue la création de 11 476 équivalents temps plein (ETP) d'enseignants stagiaires dans le cadre de la réforme de la formation initiale. Ceci correspond à l'ouverture de 21 350 postes supplémentaires. Le recrutement interviendra lors d'une deuxième session de concours en Master 1, dont les épreuves d'admissibilité se tiendront en juin 2013 et les épreuves d'admission en juin 2014.
En outre, sera consacré l'équivalent de 458 ETP au financement des aménagements de service pour les stagiaires.
Pour parvenir au solde net affiché dans le PLF, il faut enfin intégrer la suppression de 3 653 ETP qui servaient de supports aux stages en responsabilité des étudiants de Master 2, compte tenu de la réforme de la formation initiale.
Un dernier mot sur la situation des RASED. Malgré leur intérêt pédagogique, ils ont été durement touchés par les suppressions de poste entérinées sous la précédente législature, sous l'argument que l'aide personnalisée mise en place avec la réforme du primaire de 2008 les rendait largement inutiles. Devant l'organisation chaotique de l'aide personnalisée et son faible impact sur les résultats des élèves, j'estime au contraire qu'il faut maintenir des effectifs suffisants dans ces réseaux.
A la rentrée 2011, le nombre d'emplois implantés en RASED a diminué 693 unités, soit une chute de 6,4 % de l'effectif total. Les postes de RASED ont manifestement supporté la part essentielle de l'effort budgétaire demandé à la rentrée 2011. En moyenne, entre le tiers et la moitié des suppressions de postes ont touché des RASED. A Toulouse, les retraits d'emplois dans les RASED ont même représenté 77 % des suppressions d'emploi. A Caen et dans les Bouches-du-Rhône, tous les postes de maître G étaient en voie de suppression.
A l'issue de la phase initiale de préparation de la rentrée 2012, les suppressions d'emplois prévues en RASED ont représenté près des deux tiers des retraits initialement envisagés dans le premier degré par le précédent gouvernement.
Après la mise en oeuvre du plan d'urgence adopté en loi de finances rectificative en juillet dernier, une centaine de postes a été rétablie au bénéfice des RASED. La correction initiée par le ministre de l'éducation nationale me paraît tout à fait pertinente.
Au bénéfice de ces observations, je rendrai un avis très favorable à l'adoption des crédits de la mission « enseignement scolaire », qui constitue le prélude nécessaire à la refondation de l'école engagée par le Gouvernement.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Le groupe CRC se prononcera en faveur l'adoption de ces crédits. Je voudrais saluer le changement de cap et l'arrêt de la politique mortifère de la RGPP. Une tâche de reconstruction immense s'ouvre à nous. Je suis interrogative sur l'ampleur des moyens alloués. Il faut réaffirmer la nécessité d'une grande loi-cadre de refondation de l'école qui donne de la lisibilité et de la stabilité en termes de scénario, d'organisation et d'emplois.
J'ai une première question qui concerne le concours de recrutement prévu en 2014. Rien n'est encore annoncé. Aura-t-il bien lieu ?
Je ne reviens pas sur la nécessité de la formation des enseignants. Je voudrais également vous interroger sur le devenir des bourses Chatel en Master 2 que je ne retrouve pas dans les bleus budgétaires.
M. Jacques-Bernard Magner. - Je soutiens les conclusions de la rapporteure sur les crédits de la mission « enseignement scolaire » pour 2013. Je saluerai aussi l'engagement du ministre de l'éducation nationale s'agissant de la planification des crédits sur trois ans. Si la hausse est de près de 3 % pour 2013, il faut se féliciter d'une progression de 7 % sur les trois prochaines années. Cette programmation donne de la visibilité et permet d'envisager une poursuite de l'effort engagé dès cette année.
Il est important que la priorité soit donnée à l'école primaire car elle a été fragilisée, particulièrement de 2007 à 2012. La diminution des postes l'a lourdement affectée, notamment à l'école maternelle qui est une école à part entière, et la base de la réussite scolaire. La préscolarisation, en particulier dans les secteurs défavorisés, des moins de trois ans qui a baissé de 13 % dans les dernières années relève aujourd'hui des priorités affichées par le ministère.
Un dispositif de prérecrutement des enseignants devra être mis en place. Il devra veiller à mieux répartir démocratiquement le vivier des candidats potentiels ainsi qu'en fonction des disciplines, certaines étant en déshérence comme les mathématiques ou la littérature.
On évoquait précédemment l'engagement de jeunes dès 14 ans dans des filières professionnelles. Concernant le prérecrutement, il faut éviter de les enfermer trop rapidement dans ce métier et leur proposer des passerelles. Ces précautions envisagées pour les étudiants de l'enseignement supérieur doivent l'être également pour les jeunes de 14-15 ans.
Je demande à notre rapporteur pour avis que les travaux de notre groupe de travail sur le prérecrutement soient bien pris en compte lors de l'examen du futur projet de loi de refondation de l'école.
Mme Françoise Laborde. - Nous avons pu rencontrer le ministre de l'éducation nationale. Les travaux récents de notre commission sur le métier d'enseignant, la carte scolaire et le prérecrutement nous ont permis d'approfondir ces sujets.
Au regard des budgets contraints, il faut saluer le choix de favoriser le ministère de l'éducation et les moyens destinés à l'éducation.
Le groupe RDSE votera les crédits affectés à l'enseignement scolaire pour 2013.
Mme Colette Mélot. - Selon le rapport pour avis, le budget de l'enseignement scolaire est en hausse afin de permettre le recrutement de 40 000 enseignants dont 22 000 qui compensent les départs en retraite.
Or les études montrent que ce n'est pas la hausse des moyens financiers et humains qui conditionne la réussite éducative d'un pays.
Les pays les plus performants, tels que la Finlande ou le Japon, ne sont pas ceux qui consacrent les sommes les plus importantes au budget de l'éducation. Cette décision démagogique est critiquable, surtout dans un contexte de réduction des déficits publics et alors que le budget de l'éducation nationale n'a cessé d'augmenter depuis vingt ans. Il s'agit d'ailleurs du premier budget de l'État.
Ces moyens financiers seront pris au détriment d'autres budgets, comme celui de la culture par exemple, et des traitements des enseignants. Il faut rappeler qu'en février 2012, l'OCDE a étudié le lien entre les moyens et les résultats, concluant que les pays les plus performants attirent les meilleurs élèves vers le métier d'enseignant en leur offrant des salaires plus élevés et un meilleur statut professionnel.
Le gouvernement précédent l'avait bien compris. La moitié des économies faites par le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a permis d'augmenter le traitement des jeunes enseignants.
Le pouvoir d'achat des enseignants effectuant des heures supplémentaires vient d'être affecté par le projet de loi de finances rectificative de juillet dernier. Ce budget ne permet pas l'amélioration de la profession d'enseignant.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je trouve important qu'on puisse mettre la priorité sur l'enseignement primaire. Le gouvernement précédent avait décidé de concentrer ses efforts sur l'enseignement supérieur et la recherche parce qu'ils avaient été délaissés et devaient prioritairement être soutenus.
Tout moyen affecté à l'école primaire est à saluer. Dans le cadre de la refondation de l'école, je souhaiterais qu'on puisse élargir le débat et ne pas être dans une position assez simpliste qui consiste à dire qu'il faut plus de moyens et plus d'enseignants.
Je suis attachée à un taux d'encadrement nécessaire et suffisant, prenant en compte la difficulté de certains territoires, mais la question ne peut se résumer à cela.
Nous aurons une réflexion sur la réforme des rythmes scolaires. J'ai des inquiétudes sur son application en raison de son coût alors que les collectivités territoriales subiront une réduction sans précédent de leur dotation de fonctionnement, à savoir 2 milliards d'euros.
Mieux accompagner la formation initiale et continue des enseignants est primordial. Il faut aussi s'interroger sur le contenu de leur mission dans un monde en mouvement.
M. Michel Le Scouarnec. - L'école a beaucoup souffert des politiques de réduction des moyens. Le nombre d'enfants par classe est très important : 24 est un bon objectif.
L'accueil précoce est favorable à la réussite scolaire, comme en témoignent les résultats de l'académie de Rennes qui connaît un fort taux de scolarisation des moins de trois ans.
Mme Catherine Morin-Desailly. - C'est nécessaire mais pas suffisant.
M. Michel Le Scouarnec. - Oui, mais il ne faut pas réduire davantage les moyens.
Mme Dominique Gillot. - S'ils ne sont pas tout, les engagements financiers contribuent largement aux performances du système éducatif. Il faut se féliciter d'un budget 2013 qui prépare la rentrée 2014 en fonction de la loi sur la refondation de l'école.
Lorsqu'on dit que la suppression d'un fonctionnaire sur deux a permis d'augmenter les traitements des jeunes enseignants, c'est uniquement dû à un artifice de calendrier, puisqu'ils sont rentrés dans la fonction deux ans plus tard. C'est une juste reconnaissance du déroulement de carrière.
Le ministre avait répondu à une de mes questions sur la remise en place du Conseil de l'innovation pédagogique pour préparer les rentrées 2014 et suivantes. Est-ce que cet engagement se retrouve dans une ligne budgétaire pour 2013 ?
M. André Gattolin. - J'ai une interrogation concernant les recrutements d'enseignants cette année en Master 2. Pour pallier le manque de postes et le remplacement des départs, on envisage une décharge de trois heures par semaine pour accompagner ces enseignants stagiaires. Où se situent les crédits correspondant à ces trois heures ? Est-ce à la charge des établissements de dégager du temps ou est-il envisagé la mise en place d'une formation pédagogique en dehors de l'établissement ?
Mme Françoise Cartron, rapporteure pour avis sur les crédits de la mission « Enseignement scolaire ». - Ils sont prévus dans la dotation horaire globale. Ce sont les établissements qui doivent l'organiser.
Remettre des enseignants face à des élèves dépasse le seul cadre des moyens, en particulier à l'école maternelle. La scolarisation précoce, en particulier dans les zones difficiles, peut apporter une contribution majeure à la réussite scolaire et aux apprentissages fondamentaux que sont la lecture et la langue.
Restaurer la formation des enseignants qui avait été sinistrée participe d'une redistribution de moyens nécessaire à la refondation de l'école.
Lors de déplacements dans différentes académies, avant le changement de majorité, les recteurs rencontrés nous ont dit qu'ils ne savaient plus faire en l'état actuel des moyens. Ils disaient : « Nous sommes désormais à l'os ».
Soit l'éducation et la jeunesse sont une priorité soit elles ne le sont pas. Gouverner c'est choisir. Je crois que c'est un bon pari pour l'avenir.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Enseignement professionnel ». - Comme vous le savez, l'enseignement professionnel connaît depuis 2008 une réforme extrêmement profonde, que j'avais qualifiée dans un précédent rapport d'onde de choc, sans pouvoir déterminer jusqu'où porterait la déstabilisation.
La refonte n'a quasiment rien épargné de la carte des formations, de la construction des parcours et des modalités pédagogiques d'enseignement. J'estime donc nécessaire aujourd'hui d'en faire un premier bilan afin d'envisager les premiers correctifs.
En juin 2012, pour la première fois, les candidats au baccalauréat passés par le nouveau cursus en trois ans étaient nettement majoritaires. C'est aujourd'hui que l'épreuve de vérité commence pour les nouveaux bacheliers professionnels, qui doivent s'insérer sur un marché du travail très dégradé. Ou s'engager dans des études supérieures, dont tout laisse à penser qu'ils y sont mal préparés, j'y reviendrai.
Pour mémoire, je n'étais pas opposée par principe au bac professionnel en trois ans pour les meilleurs élèves. En revanche, j'ai toujours plaidé pour le maintien en parallèle de l'ancienne voie en quatre ans, via le BEP, parce que je m'inquiétais du sort des élèves les plus fragiles et des risques de multiplication des sorties sans qualification. Malheureusement, mes craintes se confirment.
Certes, il convient de noter un point positif. En volume, jamais il n'y aura eu autant de bacheliers professionnels que cette année. Ils sont près de 190 000, soit environ 35 000 de plus qu'en 2011. Cela s'explique par une forte augmentation du nombre de candidats.
Pour partie, c'est un effet de la réforme qui a attiré, de façon limitée, de nouveaux publics vers la voie professionnelle.
Mais surtout, il faut rappeler qu'un tiers encore des candidats en 2012 ont suivi l'ancien parcours en quatre ans, via le BEP.
Ce bourrelet dû aux doubles cohortes parallèles est censé s'éteindre définitivement en 2014. Dès l'année prochaine, le nombre de candidats et le nombre de bacheliers professionnels va se réduire fortement, de façon mécanique.
Il y a d'autant moins lieu d'être satisfaits que le taux de réussite au bac pro a chuté en 2012 de 5,6 points par rapport à 2011. C'est la troisième année de baisse consécutive du taux de réussite. La baisse concerne tous les secteurs, aussi bien la production que les services.
Le taux de mentions délivrées au bac pro diminue également de 3 points. Le ministère veut y voir la contrepartie de l'effet volume : plus de candidats présentés entraînerait moins de reçus en proportion.
Je crains, comme les professionnels, qu'il faille aussi s'inquiéter plus sérieusement de l'organisation de la scolarité en trois ans, qui est à la racine des échecs aux épreuves finales.
La certification intermédiaire et le contrôle en cours de formation cristallisent une grande partie des écueils de cette réforme.
La progression pédagogique est perturbée, la charge de planification et d'organisation est démesurée, la fiabilité des évaluations est très incertaine, l'articulation avec l'accompagnement personnalisé et les périodes de formations en entreprise est déficiente.
Autre sujet d'inquiétude : le nombre des sorties du système scolaire demeure très élevé.
Pour l'année 2011, sont concernés 18,4 % des élèves à la fin de la première année de CAP, 13,6 % en seconde professionnelle et 12,8 % en première professionnelle. On peut considérer que 60 000 élèves quittent la voie professionnelle avant même d'être entrés en dernière année de formation.
Et même si le suivi statistique est loin d'être efficient, il fait peu de doute que ces sorties débouchent très peu sur un contrat de travail, même en apprentissage, étant donné les réticences des entreprises à embaucher dans le contexte économique actuel. Il s'agit donc bien de décrochage.
C'est certainement là l'échec majeur de la réforme de la voie professionnelle, qui demanderait à lui seul d'en revoir profondément l'architecture. Plusieurs de mes interlocuteurs lors des auditions ont avancé par exemple l'idée d'ouvrir des cursus plus souples en quatre ans. A minima, il faudrait construire des passerelles effectives entre les cursus de bac et de CAP.
En revanche, j'avoue être très réticente à l'ouverture de parcours mixtes entre le statut scolaire et l'apprentissage. Par exemple, des parcours dits « 1+2 » ou « 2+1 » : un an sous statut scolaire puis un contrat d'apprentissage sur deux ans ou bien deux ans en lycée professionnel et un an en alternance.
Pourquoi mes réticences ? Je perçois deux risques majeurs. D'abord, le risque que les employeurs débauchent vers l'apprentissage les « meilleurs » élèves dès la fin de la seconde ou de la première, avec la perspective d'un salaire immédiat pour le jeune. Dans ce cas, les « meilleurs » iraient tous vers l'apprentissage, en renonçant d'ailleurs sans le savoir à toute poursuite d'études, quand dans le même temps, les autres élèves resteraient dans l'éducation nationale, qui accumulerait les difficultés sans accroître parallèlement ses moyens financiers.
Deuxième élément de réticence : le développement annoncé de l'apprentissage au sein des lycées professionnels.
Cette option ne me semble pas constituer une bonne piste, qui nécessiterait de toute façon, de prime abord, d'apporter des réponses à certaines interrogations de fond. Les cohabitations entre publics différents et parcours différents posent, en effet, des problèmes pédagogiques et d'organisation très lourds. Comment compte-t-on procéder ?
Il faudrait aussi revoir la répartition du produit de la taxe d'apprentissage, qui, selon le dernier chiffrage disponible en 2010, représente 1,9 milliard d'euros. Comme le taux d'imposition est proportionnel à la masse salariale, la montée du chômage fait baisser mécaniquement le produit. Pour mémoire, 52 % de taxe d'apprentissage, le « quota » revient obligatoirement à l'apprentissage, via des versements calibrés aux CFA, à un fonds national et au Trésor public. Les 48 % restants, le « barème », sont en réalité des versements libératoires des entreprises vers les formations technologiques et professionnelles de leur choix. Aujourd'hui, les lycées professionnels pâtissent d'un affaiblissement alarmant des contributions des entreprises. La construction de la taxe et l'affectation des fonds par les organismes collecteurs désavantagent très nettement les élèves de l'enseignement professionnel public.
Ainsi, au niveau de l'ensemble du second degré, le public reçoit à peine plus que le privé alors que ce dernier scolarise cinq fois moins d'élèves. Et plus finement, au sein du second degré public, les lycées généraux et technologiques reçoivent environ 5 % du produit contre moins de 3 % pour les lycées professionnels.
Plus fondamentalement, je m'interroge sur la façon dont le gouvernement entend tenir les deux objectifs qu'il promeut. En effet, comment à la fois développer l'apprentissage, notamment au niveau V et élever le niveau de qualification globale de la population ? C'est à dire comment concilier dans le même temps l'objectif d'insertion professionnelle rapide et celui d'élévation du niveau de qualification ?
A ce stade, les auditions que j'ai réalisées pour cet avis budgétaire ne m'ont pas permis d'obtenir des réponses concrètes. Ce dilemme reste donc encore à trancher.
Il me semble que si l'on favorise trop l'apprentissage, on renonce alors à l'élévation du niveau de qualification au profit de l'insertion rapide.
A long terme, cela risque de n'être profitable, ni individuellement, ni collectivement.
En effet, pour la carrière professionnelle du jeune, une insertion rapide, avec les plus bas diplômes possibles, sera synonyme de moindre faculté d'adaptation, de moindre capacité à la reconversion et donc au final de moindre progression de carrière. Pour la compétitivité globale de l'économie, si d'actualité de nos jours, renoncer à l'élévation du niveau de qualification paraît à rebours des enjeux posés et affichés.
Dans les discours qui ont accompagné la réforme, et qui ne sont pas remis en cause aujourd'hui, la possibilité de poursuite d'études dans le supérieur a été mise en avant.
Elle a d'ailleurs séduit bon nombre de familles, si bien que les demandes de poursuite dans le supérieur, vers le BTS notamment, explosent.
Pour autant, aucun dispositif concret d'accompagnement des bacheliers professionnels n'a été mis en place. Les résultats ne sont évidemment pas bons à l'université mais aussi en BTS.
Nous devons donc réfléchir aux moyens de soutenir les bacheliers professionnels au cours de leur transition vers le supérieur. Les lacunes dans les matières générales et dans l'acquisition des méthodes de travail, nécessiteraient la mise en place d'un sas, peut-être d'une année, d'une sorte de propédeutique, de remise à niveau avant l'entrée en BTS ou en DUT.
Tant du point de vue de la capacité d'insertion sur le marché du travail que des poursuites d'études, la réforme commence à susciter de la frustration dans les familles et chez les élèves qui ont cru au discours de revalorisation de la voie professionnelle.
Ce sont bien sûr les milieux populaires et les moins favorisés qui sont les plus exposés. Je rappelle en effet que la moitié des élèves en voie professionnelle sont enfants d'ouvriers, de chômeurs ou d'inactifs, alors qu'ils ne représentent qu'un tiers de l'effectif global du second degré. Nous ne pouvons donc pas nous contenter de l'existant. C'est pourquoi je plaide pour que des corrections interviennent impérativement.
Enfin pour conclure, j'aimerais dire un mot sur les divers projets de régionalisation.
Un possible transfert aux conseils régionaux de la compétence sur les lycées professionnels, y compris les personnels enseignants, est semble-t-il écarté. Je m'en félicite, car les ressources financières des régions sont trop minces et leur expertise pédagogique trop faible.
Cependant, il est prévu de transférer aux régions la fixation de la carte des formations professionnelles et de leur laisser la maîtrise du service public territorialisé d'orientation. Les détails et même les contours exacts de ces projets ne sont pas encore connus.
Je me contenterai donc de vous faire part de quelques interrogations, qui ont notamment été soulevées lors de mes auditons : quelle répartition des rôles entre les présidents de conseils régionaux et les recteurs ? Comment éviter l'aggravation des inégalités sociales et territoriales entre les élèves ? Quelles garanties pour les personnels, notamment pour les conseillers d'orientation-psychologues ?
Autre point qui m'interroge : la transformation des GRETA en GIP. Le délai imposé par la loi Warsmann II arrive à échéance en 2013 et ne sera pas tenu en tout état de cause. Une modification législative est nécessaire au moins pour repousser l'échéance. Dans quelle mesure pouvons-nous aller plus loin et proposer des garanties statutaires aux personnels ? Ne pourrions-nous d'ailleurs pas revenir tout simplement sur le principe même de la transformation en GIP ? Des négociations sont ouvertes entre le ministère de l'éducation nationale et les personnels, mais il est difficile d'en prévoir l'issue, d'autant que ce dossier dépend également du ministre de la fonction publique.
Telles sont les observations et interrogations que je voulais vous soumettre. Et sous les réserves que j'ai formulées, je vous propose de rendre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire ».
M. Jacques Legendre. - Je souhaite intervenir sur un point qui me semble important. Il s'agit du bac professionnel et de la poursuite des études dans l'enseignement supérieur.
Contrairement aux bacs généraux et technologiques qui ont pour vocation la poursuite vers l'enseignement supérieur, le bac pro est un diplôme d'entrée dans la vie professionnelle. C'est déjà un progrès en termes de connaissances générales, parce qu'avant on entrait dans la vie professionnelle avec un CAP ou un BEP.
Mais ceux qui ont un bac pro et qui veulent poursuivre leurs études dans l'enseignement supérieur subissent de gros échecs.
L'objectif du bac technologique est de donner accès aux BTS sans que ces jeunes se voient prendre les places par ceux qui viennent de bacs généraux.
Je souhaite que l'État accorde une garantie aux lycéens des bacs pro afin qu'ils puissent reprendre une formation grâce à la validation des acquis de l'expérience (VAE). Il faut tenir un discours de vérité et dire aux bacheliers pro qu'ils ne peuvent pas aller actuellement dans l'enseignement supérieur, sinon c'est l'échec assuré.
Mme Françoise Laborde. - Le RDSE est mitigé sur cette formation du bac pro en 3 ans car les attentes des professeurs et des parents ne sont pas toujours en adéquation avec les possibilités des élèves. Les résultats du bac pro montrent que ce n'est pas une réussite. De façon générale, nous pensons qu'il faut valoriser la culture générale au cours des études.
M. Michel Le Scouarnec. - Je suis favorable à la valorisation des filières techniques et de la filière professionnelle. Il faut changer l'image et les parcours, mettre de la souplesse et offrir des passerelles. Dans un quart des cas, la route des jeunes n'est pas tracée à l'avance et il faut donc pouvoir changer de filière.
Mme Maryvonne Blondin. - Beaucoup de questions se posent sur cette voie professionnelle. Il faut laisser de la souplesse et des ouvertures dans cette voie. Pour la 3e année consécutive, il y a une diminution sensible de la réussite au bac pro. Je m'interroge également sur le bienfondé de la scolarité en 3 ans. L'amélioration de cet enseignement s'inscrit dans le cadre de la refondation de l'école. L'enseignement professionnel mérite toute notre attention.
Mme
Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur pour avis sur les
crédits de la mission « Enseignement
professionnel ». - Je constate une prise de conscience
générale sur la volonté de revalorisation de cette voie
professionnelle qui pose également à la question
du décrochage scolaire. Le bac professionnel en 3 ans a crée
une véritable onde de choc au risque de désorganiser la carte des
formations. On est en train de la vivre et de la constater. Un certain nombre
d'élèves qui auraient pu choisir une voie générale
se sont tournés vers la voie professionnelle en pensant pouvoir
accéder à un BTS. Je plaide pour la prise de conscience de cet
état de fait. L'effet pervers de la réforme, c'est de ne pas
préparer la poursuite d'études à l'enseignement
supérieur tout en la stimulant. Il y a une sorte de dualité entre
l'insertion professionnelle et la poursuite des études, qui devient de
plus en plus difficile avec un niveau de formation générale en
baisse. Enfin, je regrette un assèchement de toutes les passerelles. Il
est nécessaire de prendre des mesures d'urgence.
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Enseignement technique agricole ». - Madame la Présidente, mes chers collègues. Périodiquement, quel que soit le ministre en charge, les mêmes soucis reviennent sans que se dessine et se stabilise une trajectoire lisible et favorable au développement de l'enseignement agricole. Je tiens aussi à préciser que je souhaite que toutes les composantes de l'enseignement agricole - le public comme le temps plein et le rythme approprié - puissent en bénéficier parce que chacune sait répondre différemment aux besoins des jeunes, des parents et des territoires.
Le PLF pour 2013 consacre à l'enseignement agricole 1,325 milliard d'euros, soit une hausse de 1,66 % en crédits de paiement. L'enseignement agricole est donc plutôt moins bien traité que l'éducation nationale cette année, puisque son budget doit, quant à lui, augmenter de 2,92 %. Certes les réseaux ne sont pas organisés de la même façon, mais il faut rappeler que les années passées, l'enseignement agricole a payé un lourd écot à la révision générale des politiques publiques. Il a considérablement modernisé son organisation et sa gestion des crédits, sans rien de comparable à l'éducation nationale. Cette année encore, il participe à l'effort de maîtrise des finances publiques avec notamment une réduction de 4,1 % des crédits de l'inspection et de 4,7 % des fonds destinés à l'organisation des examens.
En termes d'emplois, le PLF 2013 prévoit 250 créations de postes, 50 déjà adoptées dans le cadre du collectif budgétaire de juillet et 200 nouvelles à la rentrée 2013. Ces créations sont bienvenues alors que le non-renouvellement des départs à la retraite avait pu atteindre par le passé un ratio de deux tiers.
Cependant, la répartition des créations de postes pose des difficultés. En premier lieu, il n'est inscrit que des créations de postes d'enseignants. Mais, dans l'enseignement public, il serait nécessaire de prévoir des postes non-enseignants, car les établissements ont du mal à fonctionner avec des personnels administratifs en nombre insuffisant. En second lieu, la répartition des créations entre le public et le privé du temps plein est contestable. En effet, il est appliqué un ratio de 70 % pour le public et de 30 % pour le Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP). Or, les suppressions de postes d'enseignants intervenues ces dernières années respectent plutôt un ratio de 55 % pour le public et 45 % pour le temps plein environ. Par parallélisme, il serait juste de retenir la même proportion lors des nouvelles créations de postes d'enseignants.
Beaucoup plus préoccupante me paraît, toutefois, l'évolution des crédits hors titre 2, qui correspond au calcul des subventions à l'enseignement privé et du rythme approprié. Cette année, dans les deux cas, il ne semble pas que soient respectées les dispositions du code rural et les protocoles d'accord signés pour mettre fin au contentieux administratifs pendants.
Pour le CNEAP, le problème vient de l'enquête quinquennale qui sert à réévaluer le coût d'un élève dans le public pour calculer sur cette base la subvention aux établissements du temps plein. Le ministère a achevé l'enquête mais se refuse à en communiquer les résultats. En réalité, en raison de décision unilatéralement appliquée dans l'enseignement public comme le plafonnement des effectifs par classe, l'État n'est pas en mesure de respecter les dispositions législatives et réglementaires. C'est pourquoi les documents budgétaires sont muets sur le mode de construction de la subvention au temps plein, puisqu'elle est dépourvue de base juridique.
Pour les maisons familiales rurales (MFR), le problème vient de l'application du protocole d'accord Barnier de 2009 sur la revalorisation du taux d'encadrement, à partir de laquelle est calculée la subvention servant à payer les formateurs. L'interprétation restrictive par l'État de l'enveloppe de 17 millions d'euros allouée à l'époque ne semble pas conforme au protocole, qui avait déjà réduit la créance des MFR sur l'État. De même, le plafonnement des effectifs est très discutable à la fois dans son mode de calcul et dans sa légitimité. Il me paraît personnellement inconcevable d'accepter que 2 000 élèves ne soient pas financés et que d'autres restent tout bonnement sur le bord du chemin !
Je crains que nous ne soyons entrés dans une nouvelle phase difficile comme tous les cinq ans environ. L'État n'est pas en mesure de respecter l'intégralité de ses engagements, même revus à la baisse après négociation. On en vient à douter de la capacité de l'État à respecter la législation et la réglementation, qu'il tend à interpréter de manière unilatérale. Le CNEAP comme les MFR saisissent la commission de conciliation et s'engagent dans une phase précontentieuse, avant un nouveau tour de négociation et la signature prévisible de nouveaux protocoles.
Ce mode de fonctionnement n'est bien entendu pas satisfaisant car ce sont les élèves qui en pâtissent directement. Chaque année, chaque mois perdu dans des négociations difficiles, mettent en péril des établissements et des filières.
On ne peut en tenir rigueur au nouveau ministre de l'agriculture, qui découvre une situation déjà sédimentée et que l'on a connue sous plusieurs gouvernements, depuis le vote de la loi Rocard en 1984. En revanche, je souhaite qu'il intervienne fortement pour que soit trouvée dans la négociation une solution pérenne et lisible au financement de l'enseignement agricole privé. Charge ensuite à l'État de tenir ses engagements : le fait du Prince est devenu inacceptable !
Un mot sur la réforme du baccalauréat professionnel dont la mise en oeuvre dans l'enseignement agricole s'achève avec la rénovation des filières des services en milieu rural et hippiques. Je dois avouer une certaine inquiétude sur les résultats au baccalauréat : par rapport à l'année précédente, les résultats de la session de juin 2012 enregistre une baisse de 6,7 points. Il conviendra d'examiner précisément les raisons de ce reflux, qui néanmoins laisse à la filière agricole un taux de réussite de 83,1 % contre seulement 77,5 % dans l'éducation nationale.
Enfin, je ne peux que redire cette année encore que les synergies avec le ministère de l'éducation nationale doivent être plus systématiquement recherchées. C'est vrai au niveau central pour la définition des politiques éducatives, la mise en oeuvre des réformes, les référentiels des formations et la conception des épreuves. Trop souvent, l'éducation nationale décide seule de tous les dispositifs et impose ses choix à l'enseignement agricole. Mais au niveau régional, il faut aussi aller plus loin dans la mise en commun de locaux et l'optimisation de la carte des formations. Les échanges de services d'enseignants entre établissements de l'éducation nationale et de l'agriculture devraient également se développer. Pour l'instant, on reste trop dépendant des bonnes volontés personnelles de tel ou tel recteur ou de tel ou tel directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF). La nouvelle directrice générale que j'ai rencontrée dès sa prise de fonctions m'a paru tout à fait disposée à travailler en ce sens.
En conclusion, en reconnaissant à la fois l'engagement du ministre de l'agriculture et les difficultés structurelles rencontrées pour respecter les engagements de l'État à l'égard des établissements privés, je recommande la sagesse sur l'adoption des crédits de la mission « enseignement scolaire ».
Mme Corinne Bouchoux. - Je tenais tout d'abord à remercier madame la rapporteure pour son intérêt connu et reconnu pour la cause de l'enseignement agricole. L'enseignement agricole est actuellement en plein changement de paradigme après des années de spirale négative. Un point positif, c'est que l'enseignement agricole est aujourd'hui plus innovant que l'éducation nationale car cela fait des années qu'il se sent menacé et lutte pour sa survie financière. Son rôle dans la promotion sociale est aussi primordial puisque, dans les 15 écoles supérieures d'agriculture, on va retrouver entre 18 et 45 % de boursiers. Ces écoles sont donc des modèles importants et peuvent être le point de départ pour des pistes d'innovation, à la fois dans le public et dans le privé.
Mme Françoise Cartron. - Comme ma collègue, je voudrais à nouveau saluer l'engagement de la rapporteure sur le sujet. Cependant, j'ai quelques petites interrogations sur ce qu'elle nous a dit : les postes supplémentaires sont essentiellement des postes d'enseignants, mais 3,5 millions serviront aussi à créer des emplois d'auxiliaires de vie scolaire. Et ce sont 30 postes qui vont être ajoutés aux 40 déjà créés en 2012. Pourquoi affirmer alors qu'il n'y aura pas de création de postes non-enseignants ? Sinon, je rejoindrai les propos de la rapporteure.
C'est vrai que l'enseignement agricole est un lieu de vraie innovation dont l'organisation et les méthodes pédagogiques sont très différents de ce que l'on trouve dans l'enseignement académique général.
Mme Françoise Laborde. - Au vu des moyens supplémentaires qui sont alloués, le groupe RDSE se prononce en faveur d'un avis très favorable.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je tenais pour ma part à revenir sur les 200 créations de postes : ce sera 140 postes dans le public et 60 dans le privé, ce dont on ne peut que se féliciter.
Néanmoins, sur le terrain, c'est la débandade et les demandes sont très pressantes. Il faut faire très attention avec les chiffres car si on prend en compte les années précédentes, le solde des créations et des suppressions de postes demeure négatif. L'attention doit être redoublée surtout au vu de la hausse des effectifs...
Concernant la création de postes d'enseignants et de non-enseignants, je tenais à mettre en avant le désert en termes de médecine scolaire et le nombre de postes dans l'administration qui ont été supprimés ces dernières années.
Mais je tiens quand même à donner un avis favorable sur ce budget.
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Enseignement technique agricole ». - Pour les suppressions de postes d'enseignants, le ratio appliqué au cours de la précédente législature était de 55 % dans le public et de 45 % dans le privé alors que les actuelles recréations de postes répondent à un ratio de 70/30, ce qui, bien évidemment, fait naître des inquiétudes légitimes au CNEAP puisque les besoins sont les mêmes dans tous les systèmes.
Je rappelle que par le passé deux tiers des départs en retraite n'ont pas été renouvelés alors que dans l'éducation nationale, ce n'était qu'un sur deux. Le ressenti au sein même des établissements de l'enseignement agricole est que la situation avait atteint un point critique.
Concernant l'enseignement agricole supérieur, je vous renvoie aux travaux effectués par ma collègue Dominique Gillot, rapporteure pour avis.
Les auxiliaires de vie scolaire sont inscrits en crédits de titre 6 et ne sont dès lors pas comptabilisés en tant que tels dans le plafond d'emplois de titre 2.
Enfin, sur le rapport enseignant/non-enseignant, je soulignerais que, si les enseignants sont indispensables, c'est aujourd'hui l'accompagnement administratif qui fait le plus défaut dans les établissements publics.
Je suis objective dans mes propos et mes demandes et je continue de soutenir que la crédibilité de l'enseignement agricole a un prix. C'est pourquoi je requiers l'adoption d'un avis de sagesse : il n'y a pas de meilleur moyen pour faire une demande. Et je souhaite aussi que les ministres concernés se concertent et adoptent une position commune forte au moment des arbitrages budgétaires qui se dérouleront au printemps prochain.
Mme Françoise Laborde. - Depuis des années, j'admire la pugnacité de Mme la sénatrice Férat sur le dossier de l'enseignement agricole.
J'aurais tout de même aimé savoir s'il était envisagé une éventuelle mise à plat de toutes les formations, notamment afin de simplifier les doubles tutelles...
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Enseignement technique agricole ». - Le seul à pouvoir remettre à plat le fonctionnement de l'enseignement agricole, c'est le ministère de l'agriculture qui conserve seul la tutelle. Mais il reste évident que les deux ministères sont tous les deux responsables budgétaires de la mission « enseignement scolaire ». C'est pourquoi, conformément à la LOLF (loi organique relative aux lois de finances), nous étions obligés de prélever des crédits sur l'éducation nationale lorsque nous voulions soulager l'enseignement agricole. Mais ce n'était pas de gaîté de coeur puisque nous avions l'impression de déshabiller Paul pour habiller Jacques. Pour éviter ces choix cornéliens, il est temps d'assurer un traitement équitable de l'enseignement agricole dès la construction des budgets.
Mme Maryvonne Blondin. - Ne pourrait-on pas alors envisager une audition du ministre de l'agriculture ?
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Vous me ravissez ma conclusion puisque j'allais proposer la même chose...
M. Jacques Legendre. - Décidemment, Mme Blondin ennuie beaucoup de monde, puisque, moi aussi, je m'apprêtais à vous faire part de la même volonté...
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Enseignement technique agricole ». - Vous connaîtrez la position de mon groupe sur l'ensemble de la mission « enseignement scolaire » lors de l'examen en séance.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire ».
Loi de finances pour 2013 - Audition de Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, sur le projet de loi de finances pour 2013.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Aurélie Filippetti, qui doit nous présenter le budget de son ministère pour l'année à venir.
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. - Le ministère de la culture contribuera l'an prochain, comme les autres, au redressement des finances publiques. Je tiens à saluer le sens des responsabilités des professionnels concernés, qui ont fait preuve, sinon d'enthousiasme, du moins de solidarité. Les Français comprendraient mal que la culture soit exemptée de tout effort. J'ai voulu mettre plus particulièrement à contribution les secteurs qui ont les reins solides, afin de ne pas nuire aux missions fondamentales du ministère et de ses établissements.
Mon ministère sera doté en 2013 d'une enveloppe globale de 7,4 milliards d'euros, en baisse de 2,3 %, en y comprenant le compte d'affectation spéciale « Pensions ». La mission « Culture » recevra pour sa part 2,63 milliards d'euros, soit 94 millions et 3,3 % de moins que cette année, et la mission « Médias, livre et industries culturelles » 1,219 milliard d'euros, auxquels s'ajoutent les 3,398 milliard d'avance à l'audiovisuel public, pour un total de 4,617 milliards en recul de 1,8 %.
La baisse des crédits s'explique bien sûr par la situation exceptionnellement grave que nous connaissons. Si cet effort peut être consenti, c'est parce que la politique culturelle a longtemps été réduite à une kyrielle de grands projets, impliquant des lourdes dépenses d'investissement puis de fonctionnement, entamant par là même les marges du ministère et jusqu'aux moyens de fonctionnement des structures existantes, et menaçant l'accomplissement de nos missions fondamentales. J'ai trouvé en arrivant rue de Valois une liste impressionnante de grands travaux projetés, certes alléchants si le ministère disposait de moyens infinis, mais dont l'accumulation est aujourd'hui déraisonnable : deuxième musée de la photographie à l'Hôtel de Nevers, nouvelle salle de la Comédie-Française, tour Utrillo de Clichy-Montfermeil, Centre national de la musique, Maison de l'Histoire de France... Les projets en cours d'achèvement pèsent aussi sur nos finances : Archives nationales de Pierrefitte, Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM) de Marseille, Philharmonie de Paris dont le gros oeuvre est déjà sorti de terre et qu'il serait donc irresponsable d'abandonner, Quadrilatère Richelieu de la Bibliothèque nationale de France. Si l'on y ajoute les projets envisagés, il aurait fallu 1 milliard d'euros en trois ans ; les financements prévus n'en couvraient que la moitié. Il m'a donc fallu prendre des décisions difficiles d'arrêt, de rééchelonnement ou de redimensionnement.
Quant à l'audiovisuel public, il pâtit de la réforme de 2009 qui ne lui a pas assuré de financement pérenne : la compensation des recettes publicitaires perdues étant soumise aux aléas de la conjoncture économique, France Télévision subit aujourd'hui une double peine.
Bref, des annonces précipitées ont fragilisé la politique culturelle. Une série de grands projets ne remplace pas une politique de long terme, qui fait vivre les établissements dans nos régions. La culture ne se résume pas à Paris et à l'Île-de-France : elle est indispensable à chaque territoire, à son attractivité, à son développement économique et à l'emploi, au renforcement du lien social. J'ai mis à l'arrêt les projets de Maison de l'Histoire de France et de musée à l'Hôtel de Nevers, redimensionné la tour Utrillo de Clichy en concertation avec les élus, et remis à plat le projet de Centre national de la musique (CNM). Pour financer les mesures d'aide à la transition numérique, structurer la filière musicale, encourager la création et la diffusion, il faudra un outil efficace et des ressources sûres. Le CNM, c'était d'un côté un établissement de plus, avec ses coûts fixes, ses emplois à prélever sur d'autres secteurs ministériels, d'autre part un financement par une dérivation de la taxe sur les services de télévision des distributeurs (TSTD), dont le produit n'est nullement assuré puisqu'elle fait l'objet d'un examen approfondi de la part de la Commission européenne : nous avons dû dénotifier son assiette, et dans les jours qui viennent nous notifierons une nouvelle assiette, maintenant un lien avec le chiffre d'affaires des entreprises de télécommunications, mais comportant un abattement pour éviter les dérives observées ces dernières années.
J'ai donc voulu revenir aux fondamentaux, c'est-à-dire aux besoins réels. Au sein du ministère a été créée une mission spéciale dédiée à la musique et reliant les directions générales de la création artistique et des médias et industries culturelles. Une enveloppe de 200 000 euros est destinée à soutenir l'édition et la production phonographique, notamment les entreprises victimes du dépôt de bilan d'un prestataire. En collaboration avec l'association « Tous pour la musique », nous verrons comment maintenir ces acquis et dégager de nouveaux financements. Je précise que le crédit d'impôt phonographique sera prorogé, son plafond ramené de 1,3 million à 800 000 euros, mais son taux porté à 30 % pour les PME, tandis qu'il était jusqu'ici de 20 % pour toutes les entreprises.
Les missions fondamentales du ministère seront préservées, dans tous les secteurs de la création : arts plastiques, spectacle vivant, édition, musique, cinéma, audiovisuel, diversité de la presse. Tout en faisant supporter aux entreprises et opérateurs les plus solides les principaux efforts, j'ai maintenu les crédits d'intervention en région et les actions de soutien à l'emploi et à l'activité des entreprises culturelles. Dans des conditions difficiles, j'ai voulu que ce budget soit le plus équitable possible.
Les plus grands établissements verront leur subvention baisser dans une proportion comprise entre 1 et 2,5 %, et ceux qui ont des réserves, comme le Louvre ou l'Opéra de Paris, subiront un prélèvement exceptionnel, qui ne saurait être réitéré sauf à mettre en cause l'existence même des réserves. Dans le secteur audiovisuel, l'effort sera également concentré sur ceux peuvent le mieux le supporter. Conformément aux recommandations du rapport Cluzel, j'ai préservé les crédits de l'Audiovisuel Extérieur de la France, afin que cette entreprise essentielle pour la diffusion des médias français à l'étranger poursuive son travail de consolidation et d'apaisement. Radio France verra ses crédits amputés de 0,5 % seulement, Arte, qui a connu de beaux succès d'audience et dont la qualité des programmes ne se dément pas, de 0,3 %. De même, l'Institut national de l'audiovisuel (Ina) sera épargné, car ses succès sont indéniables et ses missions - constitution de fonds d'archives, formation des professionnels - fondamentales.
La diminution des crédits nous a conduits à effectuer des choix courageux afin d'assurer un financement pérenne de l'audiovisuel public. La redevance est la recette la plus sûre, la plus durable, celle qui préserve le mieux l'indépendance des chaînes. Le Gouvernement propose donc un relèvement modéré de 2 euros, à quoi s'ajoute l'évolution liée à l'inflation : la redevance s'établirait donc à 129 euros au lieu de 125. Peut-être le Parlement choisira-t-il de la porter à 131 euros en métropole : le Gouvernement y est très favorable. Cela ne dispensera pas France Télévisions d'efforts de gestion. Notre redevance restera d'ailleurs bien inférieure à celle d'autres pays européens : 180 euros au Royaume-Uni, 216 euros en Allemagne.
Malgré cette hausse, France Télévisions verra ses recettes diminuer de 32,5 millions d'euros, ce qui ne mettra pas en péril ses missions stratégiques. Le contrat d'objectifs et de moyens devra être révisé par un avenant qui sera présenté au Parlement en janvier.
Dans le domaine du cinéma, le principal opérateur est le Centre national de la cinématographie (CNC). Ses résultats sont exceptionnels : le cinéma français est une grande réussite artistique et économique. C'est le seul avec le cinéma indien à résister à l'hégémonie américaine, puisque les films français représentent 40 % de la fréquentation des salles en France. Celle-ci est d'ailleurs en hausse, et l'on devrait encore dépasser 200 millions de spectateurs cette année. Le budget du CNC, souvent contesté, se justifie donc pleinement. L'établissement sera pourtant mis à contribution, comme les autres : 150 millions d'euros seront prélevés sur son fonds de roulement. Que l'on ne dise plus, dans les commissions des finances, que le ministère de la culture est dépensier !
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - J'en profite pour accueillir M. Gaillard, membre de la commission des finances du Sénat, mais membre bienveillant puisqu'il est rapporteur spécial de la mission « Culture »...
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. - J'ai moi-même siégé à la commission des finances de l'Assemblée nationale !
Ce budget se caractérise aussi par un rééquilibrage des moyens entre les régions, puisque les grands opérateurs, soumis aux efforts les plus importants, sont pour la plupart établis à Paris. J'ai veillé à ce que les enveloppes hors investissements des directions régionales de l'action culturelle (Drac) soient préservées. Le budget alloué au spectacle vivant augmentera de 1,2 % pour atteindre 422 millions d'euros, celui des monuments historiques sera maintenu à hauteur de 322 millions. Il en va de même de l'architecture, qui joue un rôle essentiel dans la protection et la mise en valeur des espaces urbains et paysagers, alors que les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) se transforment en aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (Avap). Je souhaite d'ailleurs que la loi sur le patrimoine qui sera présentée fin 2013 supprime la date-limite de 2015, qui paraît difficile à respecter. Les arts plastiques, le livre, la lecture publique, ainsi que - pour la mission « Médias » - le cinéma et la musique voient aussi leurs crédits maintenus. De même, les radios associatives recevront toujours 29 millions d'euros.
J'entends aussi relancer le dialogue avec les élus locaux par le biais du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC), que je souhaite voir doter d'antennes dans les territoires. J'ai demandé à poursuivre l'expérience des contrats territoire-lecture, aujourd'hui au nombre de 80, et des contrats locaux d'éducation artistique et culturelle.
Le Gouvernement donnant priorité à la jeunesse, les moyens de l'enseignement artistique et culturel et de l'enseignement supérieur seront accrus : nous n'appliquons pas un rabot monochrome et aveugle. Certes, l'enseignement artistique et culturel n'est pas doté de moyens immenses, mais ils progresseront de 8 % pour atteindre 33,2 millions d'euros. Un comité de pilotage présidé par Marie Desplechin travaillera à la généralisation des actions remarquables menées dans beaucoup de collectivités, mais qui ne concernent que 10 à 15 % des enfants : il faut faire un état des lieux et travailler localement avec les professionnels de l'éducation et de la culture, avec les élus et les opérateurs nationaux, pour améliorer l'accès aux oeuvres. Quant à l'enseignement supérieur et à la recherche, ce furent longtemps les parents pauvres du ministère : les moyens des écoles d'arts et d'architecture sont deux fois inférieurs à ceux des autres écoles d'enseignement supérieur, alors même que leur excellence est reconnue. Les écoles nationales supérieures d'architecture de Grenoble et Lyon viennent d'ailleurs d'obtenir le prix Solar Decathlon. Il faut achever la mise en place du système LMD, et conforter la recherche qui voit ses crédits progresser de 2 % pour s'établir à 232,2 millions d'euros. Les écoles bénéficieront de 30 emplois supplémentaires, dont 20 pour la recherche. Le dixième mois de bourse sera désormais financé, d'où une hausse de 10,8 %. Ces efforts contribueront à professionnaliser les secteurs culturels, où la France bénéficie déjà d'un avantage comparatif très net. A l'heure du pacte de compétitivité, ne nous lassons pas de le redire : la culture française est très compétitive, il faut l'encourager !
Quant aux emplois d'avenir, j'ai participé avec le Premier ministre à la signature des premières conventions il y a quinze jours. Le Louvre, Versailles, le Centre des monuments nationaux recevront ainsi des jeunes, qui acquerront une expertise et une formation, gages d'insertion professionnelle. C'est d'autant plus important que les métiers de la culture sont très attractifs pour les jeunes, valorisants à défaut d'être toujours bien payés.
La gratuité des musées pour les jeunes de 18 à 25 ans, décidée par le précédent gouvernement et qui vient de faire l'objet d'une excellente évaluation de l'Inspection générale des affaires culturelles, sera maintenue : cette mesure, lorsqu'elle est assortie d'une communication efficace et d'un accompagnement lors des visites, sert à diversifier le public. La compensation versée aux musées n'était pas inscrite jusqu'ici en loi de finances initiale, c'est chose faite, avec une ligne de 18 millions d'euros.
Nos 157 000 entreprises culturelles, qui emploient plus de 700 000 salariés, ont produit 2,8 % du PIB français en 2010, soit un peu moins de 30 milliards d'euros. Musées, théâtres et festivals ne désemplissent pas, nos écrivains et musiciens font toujours preuve de la même créativité : c'est un facteur de croissance et d'attractivité touristique.
Malgré la grave crise de la presse écrite, le programme 180 dédié aux aides à la presse est lui aussi mis à contribution, ses crédits baissant de 3,3 % ; mais cela correspond pour une large part à l'extinction progressive de certains dispositifs, les mécanismes fondamentaux n'étant pas remis en cause, notamment l'aide à la transition numérique. L'Agence France-Presse verra son budget maintenu à hauteur de 119,6 millions d'euros, et le problème soulevé par la Commission européenne - selon qui les abonnements des administrations pourraient être considérés comme des aides d'État - est en voie de résolution. L'État continue à promouvoir le pluralisme de la presse : les aides aux quotidiens nationaux à faibles ressources publicitaires, aux quotidiens régionaux à faibles recettes tirées de petites annonces et à la presse hebdomadaire régionale s'élèveront à 12 millions d'euros. La subvention versée à Presstalis, d'un montant de 18,9 millions d'euros, couvrira une partie des surcoûts liés à la distribution de la presse quotidienne nationale d'information générale dans tous les territoires. L'accord conclu le 30 septembre entre Presstalis, les éditeurs de presse et les Messageries lyonnaises de presse (MLP) doit être appliqué, c'est une question de survie pour tous. La loi Bichet de 1947 a posé le principe de la mutualisation des coûts, les nouveaux entrants comme les MLP en bénéficient ; il est donc normal que tous participent. Presstalis devra cependant réduire ses effectifs pour assurer sa viabilité ; des discussions sont en cours entre partenaires sociaux, et le rapport d'expertise économique demandé par les syndicats et accepté par la direction doit être rendu le 23 novembre ; les syndicats ont d'ailleurs été reçus au ministère.
Les aides à la presse demeurent trop peu sélectives. Il faudra les réformer, afin de mieux accompagner la transition numérique et d'encourager le pluralisme. L'aide à la modernisation se monte à 19,7 millions d'euros, le fonds stratégique pour le développement de la presse est doté de 33,5 millions, et l'aide au portage représente 38 millions.
Dans le domaine du livre, une réflexion est en cours pour mieux soutenir les libraires indépendants. Il existe aussi des aides au transport des livres en outre-mer et à l'étranger, et j'ai voulu que la Banque publique d'investissement (BPI) soutienne la numérisation.
Quant aux entreprises culturelles, qui pour 95 % d'entre elles emploient moins de 20 salariés, elles ont besoin de mesures fiscales adaptées. Le taux réduit de 5,5 % sera ramené à 5 %. Le spectacle vivant recevra 69 millions d'euros. Les sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (Sofica) continueront à soutenir la filière cinématographique, et les dispositifs fiscaux encourageant le mécénat, de même que le Malraux pour l'entretien des bâtiments historiques, seront conservés puisqu'ils ont fait la preuve de leur efficacité. Ces mesures rapportent en fait de l'argent à l'État, puisqu'elles génèrent de l'activité, donc des recettes fiscales. Pour le cinéma, le Gouvernement proposera plusieurs mesures dans le cadre du pacte de compétitivité. Le crédit d'impôt international, qui encourage le tournage de films étrangers en France, sera reconduit : de 3 % de tournages étrangers, on pourrait passer à 30 %. De même, le crédit d'impôt cinéma et audiovisuel, destiné à prévenir la délocalisation du tournage de films français, sera prorogé : c'est important pour les métiers techniques du cinéma. Si l'on y ajoute le crédit d'impôt phonographique, le total de la dépense fiscale s'élève à 794 millions d'euros, dont 573 millions pour la mission « Culture » et 271 millions pour la mission « Médias ». Cette vingtaine de mesures rapporte in fine plus de 1,5 milliard d'euros de recettes fiscales.
L'État aidera aussi les entreprises par des prêts garantis et des dotations en capital, en collaboration avec la BPI. Je me félicite que le rapport Gallois ait souligné l'excellence de nos industries culturelles et appelé à les soutenir.
La culture prend donc sa part de l'effort commun de redressement, mais des incitations fiscales, maintenues ou améliorées, viennent compléter les crédits budgétaires. Je veux promouvoir une vision globale et ambitieuse de la politique culturelle, et donner un sens à ce budget.
Je me réjouis que les effectifs du ministère soient préservés : les administrations centrales ne perdront que 15 équivalents temps plein (ETP), les établissements 85. La réorganisation sera faite avec le plus grand soin, et ce sont surtout des postes non pourvus qui seront supprimés. Voilà qui témoigne de l'attachement du Gouvernement aux missions fondamentales du ministère de la culture.
M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - En tant que co-rapporteur de la mission « Médias », je me félicite que Mme la ministre ait défendu le budget de son ministère avec ténacité : il est difficile de faire comprendre à Bercy que la culture n'est pas seulement un supplément d'âme... La baisse des crédits n'est pas indifférenciée, mais soigneusement ciblée ; en abandonnant des projets encore à l'étude ou mal lancés, on évite l'effondrement d'autres pans de l'action culturelle. De même, dans l'audiovisuel, c'est le groupe France Télévisions qui est le plus sollicité, car c'est là où la manne est la plus importante. Cependant, la réforme de 2009 n'avait pas garanti au groupe de financement durable : il a perdu cette année 70 millions d'euros de recettes publicitaires par rapport à 2011. A cela s'ajoutent les 30 millions reportés par le précédent Gouvernement pour des raisons électorales, et les 50 millions d'efforts demandés par ce projet de budget. Au total, cette perte de 150 millions risque de déstabiliser France Télévisions et de réduire le périmètre de ses interventions, qui justifie pourtant l'aide de l'État. Le budget présenté par Mme la ministre prévoit, en plus de l'inflation, une hausse de 2 euros de la redevance, ce qui représente un gain de 50 millions d'euros. Je proposerai de l'augmenter de 2 euros de plus : ramené à 50 millions d'euros, l'effort demandé au groupe sera supportable. A défaut, on risque d'assister à des licenciements, notamment auprès de la chaîne régionale France 3. Après avoir paré au plus urgent, il importe de trouver d'ici l'an prochain une solution durable pour financer l'audiovisuel public.
Sur la presse, on attend aussi un débat de fond. Pour l'heure, les aides de l'État sont à peu près reconduites malgré des ajustements liés à la contrainte budgétaire, mais il faut réfléchir à une réforme globale, qui devrait reposer sur deux principes. D'une part, il est anormal de financer indifféremment la presse d'information et d'opinion et des magazines qui ne remplissent aucune mission de service public. D'autre part, s'il est légitime d'aider les entreprises de presse par des mécanismes indirects, par exemple fiscaux, est-il encore opportun de leur donner du cash ? Est-ce compatible avec leur indépendance ?
Vous n'avez rien dit de l'aide à apporter à la presse quotidienne nationale qui s'est alliée à la presse quotidienne régionale pour demander à Google un retour sur les recettes publicitaires tirées des contenus de presse référencés. Une action est engagée conjointement avec l'Allemagne, et maintenant même le Portugal s'engage sur cette voie. Tous nous disent que gagner cette bataille facilitera leur mutation vers le numérique.
Mme Claudine Lepage, rapporteure pour avis sur les crédits « Audiovisuel extérieur ». - Merci pour votre présentation exhaustive et précise. La situation d'Audiovisuel extérieur de la France (AEF) étant plus préoccupante qu'attendu à la fois en termes financiers et d'organisation, un audit extérieur ne semblerait-il pas utile ? La trajectoire prévue pour 2013 parviendra-t-elle à rétablir un équilibre financier au cours de l'année ?
Quels sont actuellement les grands enjeux de TV5 Monde ? Où en est la prise de participation de France Télévisions dans la chaîne ?
Quid de la diffusion de France 24 sur la TNT ? Alors qu'un accord avec la future chaine du canal 23 est envisagé, ne serait-il pas plus pertinent de privilégier les coopérations avec d'autres acteurs publics tels que France Télévisions ?
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis du secteur du cinéma. - Les professionnels du cinéma sont préoccupés par la hausse de la TVA à 10 % au 1er janvier 2014, qui aura ainsi presque doublé en deux ans, instaurant une différence de traitement entre le cinéma et les autres secteurs culturels. Le gouvernement envisage-t-il d'étendre au cinéma l'exception culturelle en le faisant bénéficier d'un taux plus réduit ?
Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ne supportera qu'une fois la ponction de 150 millions. Pouvez-vous nous garantir que tel sera bien cas ? De toute façon, cette décision devrait le conduire à réduire la voilure du plan de numérisation des oeuvres. En outre, dans l'attente d'une révision du volet distributeur de la taxe sur les services de télévision, son budget pour 2013 n'est pas encore sécurisé. Pouvez-nous nous en dire plus sur le remplacement de ce système par un autre, moins fragile au regard des règles de Bruxelles ?
Des expérimentations européennes en matière de chronologie des médias sont annoncées consistant en des sorties de films simultanées en salles et en vidéo. Ceci donne lieu à un débat frontal sur lequel j'aimerais connaître votre position.
M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis sur les crédits du livre et des industries culturelles. - Nous serons quelques-uns à partir demain pour le Forum d'Avignon, ville dans laquelle, en un temps extraordinaire, Mme Martine Aubry s'engageait à augmenter de 50 % le budget de la culture ! Vous nous annoncez aujourd'hui que la culture ne sera pas exemptée de l'effort demandé aux autres secteurs, ce que je comprends.
Les crédits consacrés au livre et à la lecture - action 1 du programme 334 - diminueront de près de 5 % en euros constants en 2013. La Bibliothèque nationale de France (BNF) et le Centre national du livre (CNL) contribueront notamment à l'effort général de maîtrise des dépenses en recherchant des économies et en ponctionnant leurs fonds de roulement. La baisse des crédits budgétaires étant prévue jusqu'en 2015, je redoute qu'ils ne soient aussi contraints de rogner sur leurs missions, pourtant essentielles. Cette année, la BnF prévoirait, me dit-on, de ne quasiment pas remplacer des personnels partant en retraite. Qu'en est-il ? Comment allez-vous gérer ces diminutions de crédits sur l'ensemble de la période ?
Les PME et TPE des secteurs culturels trouvant difficilement à se financer auprès du secteur bancaire, un fonds dédié au financement des industries culturelles pourrait être créé au sein de la banque publique d'investissement, dont la gestion serait, compte tenu de son expertise, confiée à l'IFCIC (Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles). Quelle est la position du gouvernement sur ce point ?
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis des crédits du programme « Patrimoines ». - Merci de votre franchise : vous ne pratiquez pas la langue de bois et vous nous dites la vérité !
Tout d'abord, un satisfecit pour la présentation des crédits en faveur de l'architecture. Trop souvent, le patrimoine est perçu comme exclusivement lié au passé, alors qu'il existe un continuum entre les réalisations anciennes et récentes. Nous profitons aussi pleinement du maintien des crédits à la création.
En matière de dispositifs fiscaux de soutien à la restauration et à la rénovation des quartiers anciens sauvegardés - au titre de la loi Malraux, des conventions ville et pays d'art et d'histoire et des zones classées autour des monuments historiques -, les budgets qui se sont succédé entre 2009 et 2012 ont abouti à une fiscalité différenciée selon les types de zones. Les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) ne bénéficient ainsi pas des mêmes aides que les secteurs sauvegardés puisque le taux de réduction fiscale est de 22 % pour les premières contre 30 % pour les seconds. Cette distinction serait liée à des degrés d'exigence différents. Or cet argument est erroné puisque les prescriptions de rénovation y sont les mêmes. Au-delà des mesures fiscales, l'enjeu est celui de la construction de logements sociaux dont nous avons besoin, y compris dans les centres urbains et historiques. Il s'agit de remettre sur le marché des logements vacants tout en protégeant et en valorisant le patrimoine bâti.
Notre commission a adopté en avril dernier les conclusions d'un groupe de travail sur l'influence du droit communautaire sur le financement des services culturels par les collectivités territoriales, qui a mis en évidence : la complexité du droit des aides d'État et de celui de la commande publique, l'existence de situations paradoxales oscillant entre la non-prise en compte des contraintes et un recours croissant aux procédures d'appel d'offres et enfin une déstabilisation des acteurs culturels, en particulier des associations qui ne sont pas outillées pour répondre aux appels d'offres.
Devant notre collègue Pierre Laurent, les représentants des professionnels de l'art contemporain ont récemment fait part de leurs vives inquiétudes, regrettant que certaines directions régionales des affaires culturelles (DRAC) organisent des procédures d'appels à projets pour la réalisation de missions fondamentales de médiation culturelle, excluant ainsi des centres d'art très compétents mais peu aguerris aux techniques de mise en concurrence.
La commission européenne ayant lancé une consultation en vue de faire bénéficier le secteur culturel d'un régime d'exemption de notification, quelle est la position de la France sur ces questions ?
M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis des crédits du programme « Transmission des savoirs ». - Je mesure la difficulté de préserver l'essentiel de vos moyens dans un contexte de crise de finances publiques. Vous avez eu gain de cause sur l'essentiel ; toutefois, pourquoi les crédits de l'action 3 du programme « Transmission des savoirs » ont diminué de 25 %, alors que le reste était globalement protégé ? Il s'agit des subventions aux conservatoires régionaux et départementaux, sujets qui intéressent particulièrement le Sénat d'autant que la musique et la danse jouent un rôle très important dans la diffusion des enseignements artistiques.
Quid de l'enseignement des pratiques artistiques et de l'histoire des arts dans le secondaire ? Les discussions avec le mastodonte de la rue de Grenelle ne doivent pas être faciles ...
M. Pierre Laurent, rapporteur pour avis des crédits « Arts visuels ». - Même si vous avez préservé certaines priorités - ce dont je vous donne acte - ce budget n'échappe pas à la logique générale de diminution des crédits et traduit une précarisation inquiétante des moyens. La baisse des investissements au titre des arts visuels ne s'explique pas seulement par la fin des travaux du Palais de Tokyo. La reconstitution des 6 % de crédits gelés en 2012 sera-t-elle transformée en dégel total par Bercy ?
La culture ne bénéficie pas de la priorité donnée à l'éducation nationale, pourquoi ? Cette situation va-t-elle perdurer au risque de mettre le secteur en difficulté ?
En matière d'éducation artistique, s'agit-il simplement de renforcer votre contribution aux actions des associations et des collectivités ou bien nourrissez-vous une véritable ambition quant à la place de ces enseignements dans l'éducation nationale ? Évidemment, selon les cas, le budget nécessaire n'est pas le même.
Quelle est la portée et le calendrier du processus actuel de structuration professionnelle du secteur des arts plastiques ?
La photographie est un secteur en souffrance. Il fut longtemps structuré par les commandes de la presse, mais ce n'est plus le cas. Des réflexions sont toutefois menées sur le photojournalisme, et plus généralement sur la rémunération et les conditions de travail des photographes : où en sont-elles ?
Enfin, la proposition de loi n° 441 de Marie-Christine Blandin sur les oeuvres orphelines viendra-t-elle rapidement en discussion ?
Mme Maryvonne Blondin, rapporteure pour avis des crédits « Spectacle vivant ». - Je salue à mon tour votre courage et le sens que vous donnez à ce budget en termes de lien social, d'emploi et de vitalité dans les territoires ; les collectivités, au-delà de la seule région parisienne, financent en effet 75 % des projets culturels.
Nous demeurons préoccupés par la trop faible diffusion de nombreux spectacles, encore récemment mise en évidence par différents rapports. Comment envisagez-vous d'améliorer cette situation ?
Les musiques actuelles, plébiscitées par les Français, ne bénéficient que d'aides très dispersées et souffrent d'une certaine fragilité. Au-delà de la prorogation du crédit d'impôt phonographique adoptée à l'Assemblée nationale et que nous pourrions voter, vous semblerait-il envisageable de l'élargir au spectacle vivant ?
Les acteurs attendent très fortement une loi d'orientation, un plan de développement, qu'il conviendrait d'articuler avec la réforme de la décentralisation.
Enfin, comme on le voit bien pour l'éducation nationale, chaque ministère doit prendre en compte sa part de culture.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous allons maintenant procéder à une prise de parole par groupe.
M. Bernard Fournier. - Les crédits de la mission « Culture » enregistrent une baisse d'environ 4 %, alors que le candidat François Hollande avait promis un budget sanctuarisé pour tout le quinquennat. Des grands projets sont donc gelés ou arrêtés : la Maison de l'Histoire de France pour des raisons idéologiques, mais aussi le Centre national de la musique, la Maison de la photographie à Paris, la contribution de l'État à Lascaux 4 et le centre des réserves et de restauration de Cergy. Outre l'arrêt des investissements, les dépenses de restauration enregistrent une forte baisse, rendant incertaine la préservation de la diversité de notre patrimoine sur l'ensemble du territoire dans les années à venir. Pourquoi ce revirement alors que la crise était déjà là au moment des déclarations de François Hollande ?
Les crédits de la haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) passent de 10 à 8 millions d'euros, alors qu'un premier bilan met en évidence le succès de son action - 72 % des internautes auxquels elle a adressé un message ont modifié leur comportement - et que cette autorité joue un rôle majeur dans le développement de l'offre légale. Cette baisse des moyens préfigure-t-elle un abandon du dispositif de lutte contre le piratage ?
Mme Catherine Morin-Desailly. - En réponse à M. Eblé, je voudrais dire qu'il n'y a pas deux vérités ; on ne peut prétendre sous un gouvernement de droite, que les économies traduisent un désengagement de l'État, et sous un gouvernement de gauche qu'elles sont vertueuses ! Il y a une réalité, celle de la crise économique, face à laquelle il n'était pas raisonnable d'annoncer une hausse de 50 % du budget de la culture.
Je ne stigmatise pas vos décisions : vous aviez des choix à effectuer, et vous n'avez pas toujours été bien traitée au sein du gouvernement... Force est toutefois de constater qu'il ne s'agit pas ici d'une stabilisation des crédits mais d'un prélèvement sur les établissements.
Pourriez-vous me rassurer sur le maintien de la politique de mécénat culturel ? Pourriez-vous nous éclairer de l'état des réflexions européennes sur la création à l'heure du numérique ?
Certes, une priorité est donnée aux territoires au travers du maintien des moyens des DRAC mais la baisse de 2,25 milliards des transferts aux collectivités aura bien des répercussions sur la culture. Comment co-construire des politiques dans ce contexte ? Les montants transférés pour les enseignements artistiques seront inférieurs à ceux prévus au moment de la loi de 2004 ; il reviendra donc aux villes et aux intercommunalités de compenser pour le financement des conservatoires. Oui à l'éducation artistique à l'école mais il est important qu'elle puisse s'appuyer sur des établissements de référence et ouverts au plus grand nombre. Le bleu budgétaire prétend que le dialogue avec les collectivités reprend sur ce sujet, alors qu'il n'avait jamais cessé. Quoiqu'il en soit, les professionnels du secteur sont très mobilisés et la baisse d'un quart des moyens n'est pas pour les rassurer.
Pourquoi le projet d'élargissement de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public n'est-il pas allé jusqu'au bout ? L'extension d'une demi-part aurait pourtant rapporté 100 millions d'euros, soit deux fois plus que les deux euros proposés par M. Assouline. Pourquoi cette mesure, que la commission avait défendue contre vents et marées, n'est-elle pas allée à son terme ?
M. Jean-Pierre Plancade. - Dans un contexte de crise, vous vous en êtes parfaitement sortie. Face aux méthodes de Bercy, vous avez maintenu l'essentiel, y compris dans les territoires. Il conviendra toutefois de réfléchir à un financement pérenne de France Télévisions ainsi qu'à l'évolution du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ou de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).
M. André Gattolin. - Effectivement, le contrat d'objectifs et de moyens avec France Télévisions doit être révisé. On évoque une augmentation de 2 euros de la redevance, certes, mais la redevance, ça se mérite ! Or, des zones d'ombre existent dans les rapports de l'entreprise publique avec des producteurs privés. Comme nous le proposons, ces dernières ne devraient être que des sociétés publiant leurs comptes. Ce serait facteur d'économie - les marges réalisées pouvant atteindre 35 à 40 % - et éviterait les conflits d'intérêts. Trop d'acheteurs de programmes de France Télévisions deviennent ensuite producteurs et vendeurs. Il faut mettre fin au laxisme et aux dérives éthiques. Ce serait une source d'économie à terme.
Quel n'a pas été mon émoi en entendant le 29 octobre, lors du journal télévisé de France 2, le présentateur annoncer « encore une mauvaise nouvelle, l'augmentation de la redevance », qui finance pourtant les trois quarts de son salaire. C'est choquant !
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication - Cela m'avait échappé !
M. André Gattolin. - Ailleurs, ces propos vaudraient une mise à pied !
Enfin, la direction de France Télévisions vient d'annoncer la suppression de toutes les émissions fraîches diffusées après Soir 3 telles que Ce soir ou jamais ou le magazine d'Histoire. Je ne pense pas que la rationalisation de la gestion doive passer par ce type de mesures.
M. Michel Le Scouarnec. - Le budget de la culture est insuffisant malgré la priorité donnée à l'éducation nationale et en dépit de quelques éléments positifs sur la TVA, sur le livre et le spectacle vivant, l'enseignent artistique et les DRAC. Est-il envisageable de réduire les disparités entre ces directions régionales ?
Deux questions suite à notre rencontre avec le syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) : les intermittents peuvent-ils intervenir dans les établissements scolaires pour assurer l'enseignement artistique ? Allez-vous prendre en compte les activités de formation dans le statut des intermittents, alors qu'aujourd'hui, les heures de formation ne sont comptabilisées qu'à hauteur de 50 heures et uniquement lorsque le nombre total n'excède pas 507 heures.
Mme Françoise Cartron. - Bravo à la ministre qui a réussi à faire mieux avec un peu moins, ce qui était l'essentiel. En période de crise, ce budget fait de choix lisibles qui ont un sens politique : le spectacle vivant et les DRAC, car la culture est riche sur nos territoires.
En matière de création, n'y aurait-il pas une réflexion à mener sur le financement des établissements labellisés existant dans nos départements ? Une grande hétérogénéité existe souvent, davantage liée à des situations historiques qu'aux actions menées.
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. - La question du financement de France Télévisions est évidemment cruciale. La redevance est le système le plus pérenne et le plus indépendant. De plus, il présente un aspect social au travers des exemptions et il peut être le plus moderne. Si, jeune ministre j'ai appris à cette occasion que certains sujets doivent, au sein du gouvernement, n'être abordés qu'en temps et en heure, la réflexion sur l'assiette n'est pas enterrée. La situation ayant été fragilisée par la réforme de 2009, l'effort demandé à France Télévisions est important. Le contrat d'objectifs et de moyens (COM) trouvé à notre arrivée prévoyait déjà la suppression de 500 équivalents temps plein. Cet effort doit aussi conduire à une réflexion sur l'identité des chaînes car l'offre du secteur public est foisonnante.
Quant aux commentaires sur la redevance, entendus au journal télévisé, il est pour le moins paradoxal.
Mes priorités pour la discussion de l'avenant au COM vont à la proximité, notamment au travers les journaux de France 3, à l'offre en direction de la jeunesse et au soutien à la création. Ceci n'empêche pas la transparence : outre l'extension des audits de production aux oeuvres de fiction, la certification des comptes des producteurs extérieurs devrait effectivement être exigée. C'est une mesure de bon sens et de bonne gestion. Nous avons des discussions avec le syndicat des producteurs indépendant (SPI). La réflexion menée actuellement sur les conflits d'intérêts doit s'appliquer aux conseillers des programmes du service public.
L'avenant au COM sera discuté notamment avec la représentation nationale.
A la tête d'Audiovisuel extérieur de la France, Marie-Christine Saragosse a commencé à travailler, nommant Céline Mégie à la rédaction de RFI et Marc Saikili à celle de France 24 pour leur redonner des identités éditoriales fortes. Des synergies doivent bien sûr être développées pour que ce soit bien le secteur public qui profite de la promotion du secteur public. Comme partenaire de France 24, une chaine publique doit donc être préférée à un acteur privé.
Lors des rencontres avec le président de Google, Éric Schmidt, François Hollande a indiqué son souhait de voir mis en place un système de droits voisins - une Lex Google - en faveur de la presse dans la mesure où les moteurs de recherche bénéficient du travail d'actualisation des informations effectué par les éditeurs de presse. Google répond qu'il rémunère des acteurs avec lesquels il a un accord d'hébergement comme c'est le cas de l'AFP. Sans accord avant la fin de l'année, nous aurons recours à la loi.
L'État prendra, par l'intermédiaire de France Télévisions, une participation de 49 % dans TV5 Monde, ce qui permet de mieux respecter les partenaires de la francophonie. Un directeur général sera nommé lors du prochain conseil d'administration, le 5 décembre.
Nous notifierons une nouvelle assiette pour la TSTD, en gardant le principe d'un taux et d'un abattement. Nous n'avons pas retenu l'idée d'un forfait sur les abonnements car cela aurait brisé la mécanique vertueuse que génère le lien avec le chiffre d'affaires des fournisseurs d'accès et des opérateurs télécom.
La discussion sur la chronologie des medias revient à la mission menée par M. Pierre Lescure, dont nous aurons les conclusions au printemps.
Les crédits de la BnF diminuent de 1 %. C'est un des plus gros opérateurs du ministère de la culture, avec un budget de 200 millions. Le triennal prévoit la même baisse, mais le budget est essentiellement annuel. Il s'agit de deux millions en moins, mais l'effort demandé aux opérateurs peut aller jusqu'à 2,5 %, et il n'y a pas de prélèvement sur le fonds de roulement de la BNF. La subvention de 2,8 millions d'euros au Centre national du livre (CNL) est supprimée : elle n'avait pas lieu d'être, puisqu'il vit du produit de la taxe sur la reprographie qui lui est affectée. Un rapport va m'être remis par l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) sur le fonctionnement du CNL et la répartition des aides qu'il distribue, mais j'ai d'ores et déjà suspendu la réforme des commissions, qui avait été lancée assez brutalement. Je veux réaffirmer la tutelle du ministère de la culture sur ses établissements publics. Une lettre de mission est adressée à chaque président, qui énonce des lignes directrices très nettes, et des représentants du ministère et de Bercy siègent aux conseils d'administration. Le CNC joue très bien le jeu, j'attends du CNL qu'il fasse de même.
Nos emplois ne sont pas affectés par la question du remplacement des départs à la retraite.
Je suis très favorable au fonds dédié aux industries culturelles. Il est indispensable que celles-ci puissent bénéficier de certains fonds de la BPI. J'en ai parlé avec Jean-Pierre Jouyet, qui y est très sensible. Faut-il créer un fonds dédié ? Le but de la BPI est d'unifier. Mais l'objectif est que la BPI puisse intervenir dans ce domaine. Elle va d'ailleurs le faire à la BNF, avec la numérisation des oeuvres indisponibles, par exemple, mais aussi sur le cinéma avec la numérisation du patrimoine.
Le logement social en zone classée nécessitera de nombreux aménagements législatifs. Je souhaite que l'on préserve le principe de l'exception culturelle par rapport au paquet « Almunia » sur les services d'intérêt économique général, et suis donc favorable à ce que le seuil de minimis soit porté à 500 000 euros pour les subventions. Il faut également que les services culturels soient incorporés dans le régime d'exemption pour sécuriser leur financement.
La diminution de 27 % touchant les conservatoires est lourde, certes, mais dans l'enveloppe globale de leur financement - qui relève d'une compétence des collectivités locales - cette diminution ne correspond qu'à une baisse de 1 %.
L'Histoire des arts est un point d'appui essentiel de toute éducation artistique, mais aussi de toute politique culturelle. Le ministre compétent est M. Peillon, mais les établissements publics du ministère de la culture interviennent : je leur ai demandé de réfléchir aux initiatives qu'ils pourraient prendre pour s'inscrire dans ce type de démarche. Le Louvre, par exemple, fournit des mallettes pédagogiques. Il y aura une communication prochaine sur l'éducation artistique et culturelle, et les priorités pour la généralisation sont bien l'histoire des arts, la pratique artistique et le contact avec des oeuvres et avec des artistes.
Concernant les arts plastiques, les crédits de paiement ont diminué avec l'achèvement du Palais de Tokyo, mais les autorisations d'engagement progressent de 70 à 72 millions d'euros, notamment en raison de l'investissement qui sera fait pour mettre en valeur, à Avignon, la collection Lambert qui nous a été léguée cet été.
Le dégel total des crédits qui ont été reconstitués est acquis auprès de Bercy. L'éducation artistique et culturelle implique au premier chef le ministère de l'éducation nationale mais aussi les collectivités locales. Il est donc absolument nécessaire de continuer la concertation menée par Marie Desplechin en ce qui concerne la partie culturelle, pour aboutir à la généralisation. On parlera aussi de ce travail dans le cadre de la loi de décentralisation.
La loi d'orientation, en 2013, abordera la question du spectacle vivant mais aussi les arts plastiques puisqu'elle porte sur la création. Il faudra instaurer un fonds professionnel pour les artistes auteurs, et une convention collective, par exemple d'ici à l'été, ce qui permettra de lutter contre la précarisation des emplois d'artiste.
L'école de photographie d'Arles va déménager, ce que j'approuve ; nous tirerons les conséquences du rapport sur le photojournalisme. Nous avons créé au Centre national des arts plastiques (CNAP) un fonds pour la photographie, doté de 150 000 euros en 2012, dotation qui sera reconduite en 2013. Le festival « Visa pour l'image » de Perpignan, spécialisé dans la photo documentaire, voit sa subvention augmenter, et nous augmentons aussi les crédits consacrés à la commande publique en matière de photographie, gérée par le CNAP. Le problème est la concurrence d'internet : la proposition de loi de Mme Blandin est donc bienvenue.
La réflexion sur la diffusion du spectacle vivant est engagée dans le cadre de la loi d'orientation. Elle porte sur le modèle économique, mais aussi sur la manière dont notre réseau est organisé : certaines oeuvres tournent entre les établissements, quand pour de jeunes compagnies il est parfois difficile de trouver des fenêtres pour montrer leur production. Avec le nouveau directeur général de la création artistique, M. Orier, je travaille sur le rôle des directeurs de centres dramatiques ou chorégraphiques nationaux. Certains sont eux-mêmes créateurs, d'autres ne souhaitent pas exercer de direction mais doivent pouvoir être accueillis pour exercer leur art, sans quoi nous perdrons de jeunes talents.
Le plan SMAC (salles de musiques actuelles) est maintenu, avec 700 000euros. Le crédit d'impôt phonographique sera mieux ciblé sur les PME et passe à 30 % au lieu de 20 %.
Les autres ministères ont tendance à rogner les crédits de leurs propres actions culturelles, c'est dommage : je compte sur vous pour faire passer le message !
Les crédits de la mission « culture » baissent de 3,3 % et non de 4 % : ce dernier chiffre n'intègre pas la progression du compte d'affectation spéciale sur les pensions.
Le centre de réserve de Cergy-Pontoise sera refondu, car la mise en sécurité des réserves du Louvre face à la crue décennale est une question prioritaire. Autour de cet impératif s'était greffé un projet plus large, trop large : il sera modifié.
Le budget de la Hadopi est en baisse, comme tous les budgets des opérateurs. Il sera de huit millions en 2013, en baisse de deux millions : ce budget avait été taillé trop large, puisque le fonds de roulement actuel est trois fois supérieur au seuil prudentiel de trente jours de fonctionnement recommandé par la Cour des comptes. La Hadopi pourra fonctionner jusqu'à la fin de la mission de M. Lescure, au printemps, et des décisions seront prises à ce moment-là sur son devenir.
Les dispositifs fiscaux sur le mécénat sont maintenus ; c'est une belle victoire qui montre l'attachement du Gouvernement à la diversité du financement de la création et du patrimoine.
Le numérique est un large sujet de réflexion, sur lequel nous prenons déjà des décisions sans attendre les conclusions de la mission de M. Lescure. Malgré la démission fracassante, mais regrettable, des industriels du secteur de la commission de la copie privée, le travail va continuer, sous peine de n'avoir plus d'assiette à la fin du mois de décembre pour la redevance, ce qui serait très inquiétant !
La réflexion sur les inconvénients et avantages d'une éventuelle fusion entre CSA et ARCEP se poursuit. En tous cas, il y aura une instance de concertation régulière entre le CSA et l'ARCEP, qui devra se réunir régulièrement et aura vocation à se prononcer sur une liste définie de sujets. M. Montebourg, Mme Pellerin et moi-même vous rendrons un rapport circonstancié sur ce point à la fin du mois.
C'est en 2013 que les annexes 8 et 10 du régime de l'intermittence devront être renégociées par les partenaires sociaux. J'y serai très attentive. Une mission parlementaire sur l'emploi culturel a commencé à travailler à l'Assemblée nationale. Je m'appuierai sur ses résultats, ainsi que sur les travaux du Sénat. Toutes les questions liées à la formation et aux heures de travail des intermittents dans les établissements scolaires seront intégrés dans cette réflexion.
Nous nous retrouverons très prochainement pour la loi d'orientation sur la création, plus que jamais nécessaire.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci. Notre commission, en 2012, s'est concentrée sur l'éducation, mis à part un petit groupe de travail sur les oeuvres spoliées et leur restitution, dont Mme Bouchoux est rapporteure. Pour l'année 2013, nous nous consacrerons à la culture, avec un groupe de travail sur les droits dans l'audiovisuel, sujet que nous savons sensible, et un groupe de travail en collaboration avec la commission des affaires sociales sur l'intermittence. M. Plancade sera l'animateur du premier, Mme Blondin le sera, pour notre commission, du second. Merci encore pour votre disponibilité.
Jeudi 15 novembre 2012
- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -Exécution du contrat d'objectifs et de moyens pour la période 2012-2016 - Audition de Mme Véronique Cayla, présidente d'Arte
La commission procède à l'audition de Mme Véronique Cayla, présidente d'Arte, sur l'exécution du contrat d'objectifs et de moyens pour la période 2012-2016.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous sommes heureux d'accueillir Mme Véronique Cayla, présidente d'Arte, pour évoquer l'exécution du contrat d'objectifs et de moyens de la chaîne pour la période 2012-2016.
Mme Véronique Cayla, présidente d'Arte. - J'ai l'honneur de vous présenter le premier bilan du contrat d'objectifs et de moyens (COM), presque un an après en avoir défendu devant vous les principales orientations. Il poursuit deux objectifs prioritaires : la relance éditoriale d'une part, rendue nécessaire par la concurrence que les chaînes de la TNT ont ranimée sur les audiences et les images de marque ; la poursuite du développement numérique de la chaîne d'autre part.
La relance éditoriale d'Arte a été engagée par le déploiement, à compter du 1er janvier 2012, de sa nouvelle grille de programmes. Les fondamentaux de la chaîne sont préservés : culture, Europe, relations franco-allemandes, recherche de qualité des contenus. La grille est simplifiée par la création de soirées thématiques : cinéma le lundi, investigation le mardi, Europe le mercredi, culture le jeudi... Arte se tourne désormais vers l'avenir, après avoir rempli avec succès, vingt ans durant, sa mission de constitution d'une mémoire commune avec l'Allemagne. Le ton de la chaîne a été rendu moins docte et plus moderne par l'ajout d'une dose d'humour et de doute dans ses programmes, afin de rassembler tous les publics.
Dix mois ont suffi pour que cette nouvelle grille fasse ses preuves. L'étude d'image que nous réalisons régulièrement nous l'a confirmé dès le premier trimestre 2012. Les téléspectateurs ont manifesté leur satisfaction, et perçoivent désormais Arte comme une chaîne européenne davantage que franco-allemande, bien que ses deux actionnaires exclusifs restent la France et l'Allemagne. Après le frémissement des premiers mois dû notamment à la concurrence des Jeux olympiques sur France Télévisions, les audiences se sont consolidées en Allemagne - elles étaient fortes depuis deux ans - et ont bondi en France. Un certain nombre de programmes remarqués ont achevé de fidéliser le public : notre festival du cinéma d'abord, qui a permis de diffuser en première partie de soirée le film turc Miel avant-hier, puis Mammuth le lendemain ; notre sélection documentaire ensuite, résolument ancrée dans le présent, avec la série De l'Orient à l'Occident et nos enquêtes sur Goldman Sachs et la finance folle ; nos fictions enfin, grâce au franc succès rencontré par les cinq séminaristes d'Ainsi soient-ils, miroir de la diversité de la société française, et à la série danoise Borgen dont nous programmons bientôt la seconde saison. La progression de notre part d'audience atteste du succès de cette nouvelle grille : en passant de 1,5 % à 1,8 %, elle a en effet bondi de 20 % en un an.
Notre stratégie de développement numérique a été mise en oeuvre de manière satisfaisante. C'est un atout historique de la chaîne, puisque Arte a été la première à créer un système de télévision de rattrapage, baptisé « Arte+7 ». La hausse de fréquentation de 30 % qu'a connue l'ensemble de nos sites en 2012 et la croissance de 60 % de la seule plateforme « Arte+7 » nous encouragent à poursuivre dans cette voie. Cette croissance, tirée à ses débuts par l'enrichissement en programmes du site, est désormais imputable à sa dynamique propre, puisque 90 % des programmes y sont aujourd'hui accessibles. Certains d'entre eux, tels les reportages sur Goldman Sachs et la finance folle, ont enregistré une fréquentation comparable à l'antenne et sur le web, respectivement de 900 000 et de 700 000 téléspectateurs. Ce phénomène est largement le fait des plus jeunes téléspectateurs, qui ont massivement déserté la télévision classique.
Nous avons mis un point d'honneur à définir un projet de groupe ambitieux. Baptisé « Galaxie Arte », il prend acte de l'avènement inéluctable de la télévision connectée. En effet, un simple bouton de la télécommande permettra bientôt de passer imperceptiblement de l'antenne au web. Mieux articuler les deux canaux pour élargir la base de notre public, et toucher en particulier les plus jeunes constitue le coeur de la stratégie validée par Arte Deutschland, Arte-France, et notre centre de diffusion à Strasbourg. Nous finalisons dans ce cadre la réforme des organigrammes autour d'un principe original : au contraire des autres chaînes dans lesquelles les services web et antenne sont séparés, les équipes d'Arte sont organisées par grands programmes thématiques (fiction, documentaire, etc.) au sein desquels elles développent simultanément l'offre numérique et télévisuelle classique. Par conséquent, la priorité est donnée aux contenus, des économies de personnel sont rendues possibles, et la concurrence éventuelle entre les services est réduite à néant. Cette réforme, qui permet une conduite du changement plus rapide, donne à ce stade entière satisfaction.
Quelques mots sur nos projets pour l'année prochaine. Année anniversaire du traité de l'Élysée, 2013 sera l'année franco-allemande. Le phénomène n'a lieu que tous les cinquante ans... Nous entendons donner l'écho le plus large aux manifestations qui seront organisées à cette occasion. En janvier, l'anniversaire de l'accord proprement dit sera célébré à Berlin. Les 20, 21, et 22 janvier 2013, nous consacrerons l'ensemble de nos programmes aux relations franco-allemandes, ainsi qu'au cinquantenaire de la création de l'Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj). Une place particulière sera donnée aux programmes développés par la chaîne elle-même : Arte a notamment réalisé, conjointement avec Radio France, une enquête sur l'avenir de la relation franco-allemande, dont les résultats seront rendus publics au début du mois de janvier, et organisé avec Libération un forum sur l'avenir de l'Europe et de la relation franco-allemande, qui se tiendra à Strasbourg les 5 et 6 avril 2013. Nous pensons que l'Europe ne se résume pas à la crise économique qu'elle traverse, et qu'il faut soutenir les utopies qu'elle continue de susciter.
La fiction est un chantier majeur de l'année à venir. C'est l'un des thèmes les plus délicats à manier, car bien qu'il s'agisse d'un pilier de la télévision contemporaine parfois créateur d'un imaginaire commun, les critères d'un bon programme varient fortement d'un pays à un autre. Nous travaillons avec le ministère de la culture allemand à l'élaboration d'une politique volontariste, à l'instar de celle qui a été menée dans le cinéma, susceptible de forger une vision commune du continent européen.
Les objectifs du contrat d'objectifs et de moyens seront poursuivis, et la relance éditoriale confortée, en dépit d'un contexte rendu plus difficile par la concurrence accrue dans le secteur audiovisuel d'une part, et par les difficultés budgétaires d'autre part. En effet, le rachat par Canal Plus de la chaîne D8, dont la programmation cinématographique est proche de la nôtre, aura pour conséquence de faire grimper les prix ; le même effet est attendu de l'apparition de six nouvelles chaînes numériques au 6 décembre 2012, dont une est spécialisée dans les documentaires - créneau occupé par 45 % des programmes d'Arte. L'effet inflationniste de cette nouvelle demande de programmes intervient dans un contexte budgétaire plus contraint. Nous savons gré au Gouvernement d'avoir pris en compte la spécificité d'Arte, qui ne dépense que 10 millions d'euros en frais de structure, 20 millions d'euros en masse salariale, et consacre les deux tiers de son budget à investir dans la création. Avec une diminution de notre budget de 0,3 %, soit 800 000 euros, nous avons conscience du traitement privilégié qui nous est réservé, relativement à France Télévisions par exemple.
Les programmes diffusés en journée ont fait l'objet d'investissements importants. Le passage à la télévision numérique terrestre (TNT) a en effet conduit la chaîne à rediffuser le jour ce qui était auparavant ses uniques programmes de soirée. Cette faiblesse originelle demeure. Idéalement, nous souhaiterions enrichir la grille de jour d'une nouvelle émission quotidienne, mais les contraintes budgétaires nous en empêchent. Nos moyens financiers seront par conséquent entièrement consacrés à l'approfondissement des réformes engagées en 2012.
M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Merci de votre exposé très complet, qui répond en grande partie aux questions que j'avais préparées.
La stratégie de la ministre de la culture a consisté à faire supporter par France Télévisions les efforts les plus importants. Par conséquent, votre budget ne diminue que de 0,3 %, comme sont épargnés l'INA ou Radio France.
Bien que le monde politique ignore souvent tout de la place d'Arte dans le paysage audiovisuel français, cette commission l'a toujours défendue. Vous avez fait le pari de la qualité et de l'originalité, et la croissance de vos audiences vous en récompense aujourd'hui. Tandis que les grands groupes comme TF1 déclinent, on ne peut que se réjouir de la bonne santé du service public audiovisuel français, à plus forte raison lorsque leurs efforts pour proposer une programmation de qualité ont fait l'objet de moqueries.
La trajectoire financière du groupe pour 2013 est-elle soutenable, notamment en termes de maîtrise de la masse salariale ?
Le contrat d'objectifs et de moyens ambitionne de rajeunir l'audience de la chaîne. Avez-vous des études par classes d'âge qui vont dans ce sens ?
Quelle part du budget consacrez-vous aux productions originales ?
Enfin, les chaînes publiques allemandes fournissent de nombreux programmes à Arte Deutschland, ce qui accroît ses capacités de production et rend plus confortable sa situation financière. Arte-France, elle, reste dans son coin avec son petit budget ! Est-il souhaitable qu'Arte-France développe des synergies avec les chaînes publiques françaises, et dans l'affirmative, que faites-vous pour concrétiser de tels partenariats ?
Mme Véronique Cayla, présidente d'Arte. - Nous nous réjouissons également de la bonne santé du service public français de l'audiovisuel. L'exemple de France Inter et de France Culture montre que les stratégies fondées sur une certaine exigence peuvent se révéler payantes en termes d'audience, à tout le moins en France.
Nous n'avons pas d'inquiétudes quant à notre situation financière pour 2013 : les résultats époustouflants d'hier soir nous confortent dans l'idée que la stratégie que nous avons engagée continuera à porter ses fruits. Les effets des restrictions budgétaires et de l'inflation des prix des programmes ne seront source d'inquiétude qu'à partir de 2014-2015.
Nous avons refusé d'inclure dans le contrat d'objectifs et de moyens un objectif explicite de rajeunissement de nos audiences, car le ciblage exclusif des jeunes fait généralement fuir les plus âgés. Nous comptons davantage sur le développement numérique de la chaîne pour gagner la confiance du jeune public. Le succès rencontré par les documentaires sur Goldman Sachs nous donne jusqu'à présent raison : les jeunes sont allés voir l'émission sur Internet.
Le service public allemand est assez différent du nôtre. Selon le ministre allemand, Arte serait même la seule chaîne publique allemande... Les chaînes publiques ARD (Arbeitsgemeinschaft der öffentlich-rechtlichen Rundfunkanstalten der Bundesrepublik Deutschland) et ZDF (Zweites Deutsches Fernsehen) y sont en effet plus grand public, et plus proches des chaînes privées : ce sont elles qui ont inventé la scripted reality qui inspire désormais la fiction française.
Depuis un peu moins d'un an, nous cherchons à développer les passerelles entre Arte et l'ensemble des chaînes publiques françaises. J'ai écrit à M. Pflimlin à ce sujet. Nous avons créé un groupe de travail dédié. Nous devons toutefois, sous peine de diluer l'originalité et de saper la raison d'être d'Arte, cultiver une certaine distance à l'égard des grands groupes. Certains domaines, comme la fiction, se heurtent en outre aux différences de ligne éditoriale qui peuvent nous séparer : si nous sommes là, c'est pour proposer autre chose que France Télévisions. Le mariage de la carpe et de l'alouette donne rarement de beaux enfants ! Nous avons en revanche tissé des liens étroits avec TV5, qui diffuse avec un décalage de 30 minutes le journal de la chaîne. Celui-ci - qui n'a rien à voir avec ceux des autres chaînes puisqu'il est dépourvu de faits divers et traite en profondeur de l'actualité internationale - connaît une croissance de son audience de 30 à 40 % depuis un an. Nous travaillons à rendre sa diffusion sur TV5 plus large. En matière de documentaires, nous avons de nombreux projets en cours de développement avec France Télévisions. Vous le voyez : nous réfléchissons à la conception d'un noyau dur de programmes qu'Arte pourrait faire rayonner sur les autres chaînes, en complément des deux autres outils de rayonnement que sont Internet et la vente de nos programmes à l'étranger. Sur ce dernier point, je souligne qu'Arte est sans doute le dernier producteur de documentaires d'auteur à travers le monde. Enfin, notre relation avec Radio France fonctionne à merveille. La proximité qu'elle entretient avec la radio publique allemande ouvre de surcroît des perspectives de travail tout à fait intéressantes.
Mme Anne Durupty, directrice générale d'Arte-France. - Les projets de relance éditoriale et de développement des programmes en journée retenus par le contrat d'objectifs et de moyens ont nécessité des ressources supplémentaires estimées alors à 18 millions d'euros, puis ramenées à 16 millions d'euros pour 2012, ainsi que 12 millions d'euros au titre de 2013. En définitive, si la diminution de notre budget atteint 0,3 % par rapport à la précédente dotation en loi de finances, nous enregistrons donc une perte de 5 % par rapport à ce qui était escompté dans le COM pour atteindre nos objectifs, eux-mêmes en deçà de nos premières espérances ! La date tardive à laquelle nous avons eu connaissance des données de la loi de finances initiale nous a contraints à nous adapter, c'est-à-dire à limiter la baisse du budget de programmes et à préserver le budget de la création.
M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Quelle part du budget la création représente-t-elle ?
Mme Anne Durupty. - Au sens patrimonial, celui des oeuvres, la création mobilise plus de la moitié de notre budget. En valeur absolue, il s'agit de 77 millions d'euros, qu'il faut rapporter aux 130 millions d'euros de notre budget de programmes. L'objectif est de préserver cette enveloppe en 2013, sachant que le budget de programmes suit une tendance à la baisse d'environ 8 millions d'euros.
Nous travaillons sur trois fronts pour limiter au maximum la diminution de cette enveloppe. D'abord, par le transfert d'un certain nombre de charges liées au développement numérique d'Arte-France vers Arte GEIE à Strasbourg. Nous avons en outre écrit à l'ensemble de nos producteurs de magazines pour leur demander des propositions d'économies à hauteur de 5 % du budget sans nuire à la qualité des programmes. Enfin, nous passons en revue l'ensemble des dépenses dans l'espoir de réaliser des économies de l'ordre de 2 % à 10 %. Pour 2013, nos ressources sont donc orientées efficacement vers le soutien à nos priorités. Si leur baisse devait se poursuivre en 2014 et 2015, nous serions dans une situation préoccupante.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je félicite Arte pour la bonne gestion et la bonne exécution de son contrat d'objectifs et de moyens. Notre collègue Claude Belot de la commission des finances a d'ailleurs rendu un rapport positif sur le travail que vous avez accompli.
Lors de votre audition en juillet 2011, vous aviez répondu de manière satisfaisante à nos questions relatives à l'évolution des personnels, à votre stratégie numérique ainsi qu'à l'élargissement des publics. Les célébrations du traité franco-allemand suscitent toutefois des demandes de précision : avez-vous des pistes de développement d'Arte au niveau européen et de coopération avec les chaînes d'autres pays disposant d'un service public audiovisuel ?
M. André Gattolin. - Je salue le travail réalisé ces dernières années sous la présidence de Mme Cayla. Les défis que doit relever une chaîne franco-allemande ne sont pas simples.
La branche allemande d'Arte était au départ directement liée à ARD et ZDF, ce qui favorisait les synergies entre les chaînes. Aujourd'hui, 90 % des programmes d'Arte y sont diffusés. Ils pourraient l'être également sur les chaînes publiques françaises, qui voient leurs moyens se réduire de manière significative. Arte doit conserver sa capacité propre de conception et de production de programmes, car elle apporte beaucoup à l'offre audiovisuelle publique, mais pourrait partager davantage ses compétences.
L'Allemagne produit plus de deux mille heures de fiction par an, contre à peine sept cent heures pour la France : ce déficit est dramatique. Comment Arte pourrait-elle être pilote dans la synergie européenne de la fiction ?
Le développement des programmes en journée est effectivement une gageure, car Arte n'est pas connu par les téléspectateurs comme producteur de programmes en journée. Des moyens importants doivent y être consacrés afin d'éviter la rediffusion de programmes conçus pour le soir.
Arte était d'abord une chaîne de production, plus qu'une chaîne de réception. Son évaluation se faisait d'ailleurs à l'aune des critères professionnels, et non en passant par les téléspectateurs : je me rappelle des débats qu'avait suscité l'introduction des versions françaises... Il y a eu une évolution, et l'on se préoccupe davantage de l'accessibilité des programmes. Comptez-vous la conforter ?
M. Pierre Laurent. - Je vous félicite de la reprise du développement de la chaîne et de son audience. Pour qu'elle continue, toutefois, nous devrons rester vigilants sur la trajectoire budgétaire au cours des prochaines années. S'accompagne-t-elle d'une évolution de la composition du public ?
Vous êtes, comme moi, au coeur de l'actualité européenne. Les visions qu'en ont les différents pays d'Europe divergent. Au-delà de la célébration, l'an prochain, du cinquantième anniversaire du traité de l'Élysée, cette tension croissante vous pose-t-elle des problèmes ?
M. Jacques Legendre. - J'ai toujours autant de plaisir à regarder Arte. Vos émissions historiques, toutefois, me semblent conçues davantage pour un public allemand que pour des Français. Quelle est votre politique en ce domaine ?
M. Ambroise Dupont. - La fiction semble poser des problèmes. Comment est-elle fabriquée ? L'Allemagne et la France travaillent-elles séparément, ou conjointement ?
Mme Véronique Cayla, présidente d'Arte. - Toutes les émissions d'Arte ont un volet historique, afin que l'histoire soit vue à travers le prisme du présent, et qu'elle apparaisse non pas en tant qu'objet d'émissions spécialisées mais comme le terreau dans lequel nous nous inscrivons, même si nous avons encore quelques émissions historiques de facture plus classique. La coopération franco-allemande se passe très bien dans ce domaine, et je ne pense pas qu'on puisse y constater un tropisme allemand.
La fiction, en revanche, est l'un des domaines où il y a le moins de coproductions entre la France et l'Allemagne, ou avec d'autres pays. La solution : créer, comme je suis en train de le faire en profitant de l'année franco-allemande, un fonds de coproduction entre la France et l'Allemagne, afin que les auteurs et les producteurs apprennent à travailler ensemble, ce qui ne semble pas naturel dans la fiction. Mais si la France est centralisée, avec un seul ministre de la culture et de la communication, en Allemagne il faut faire le tour des Länder, tâche démesurée... Pour que tous se mobilisent, il faut qu'une volonté politique s'exprime : quel avenir pour l'Europe si l'on n'est pas capable de développer, par l'imaginaire qui s'exprime à travers les fictions, une vision partagée de nos sociétés et de leur devenir ?
La tendance au repli sur soi provoquée par la crise économique nous inquiète tous, même si les mesures prises pour contrer la crise consolident l'Europe. Dans ce contexte, Arte est plus indispensable que jamais pour lutter contre les tentations de protectionnisme culturel, tout en reconnaissant bien sûr que l'Europe est une succession de cultures diverses qu'il faut respecter. A cet égard, la structure binationale d'Arte est exemplaire, mais il serait illusoire de vouloir y associer un troisième pays, tant le travail franco-allemand qui s'y effectue quotidiennement est déjà, tout passionnant qu'il soit, complexe.
Il faut pourtant bien qu'Arte s'européanise, cela se fera probablement grâce au numérique, dès que les services publics audiovisuels auront retrouvé un peu de lustre. Notre galaxie Arte comprend notamment, depuis quelques années, des plateformes thématiques numériques : l'une, Arte Live Web, porte sur le spectacle vivant, l'autre, Arte Creative, présente les avant-gardes européennes en matière d'arts plastiques, et bientôt une troisième sera consacrée à l'environnement, thème cher aux Français comme aux Allemands et porteur aussi bien à l'antenne que sur le Web. Nous pourrons envisager de créer des partenariats fondés sur ces plateformes, avec les services publics italiens ou espagnols par exemple, et débouchant sur la création d'un petit « Arte Italia », ou d'un petit « Arte España » qui, sur un tronc venant d'Arte, développeront les spécificités de chaque pays européen. Au lieu d'avoir une chaîne culturelle européenne hégémonique, nous aurions une chaîne franco-allemande capable de diffuser par Internet une série de petites chaînes culturelles reflétant la diversité culturelle européenne. Le problème de l'européanisation me semble plus facile à résoudre aujourd'hui qu'il y a dix ans, lorsque la seule solution était de procéder à l'ouverture du capital d'Arte à d'autres chaînes.
Nous espérons pouvoir mettre en oeuvre rapidement tous ces projets, et nous souhaitons que l'amendement du rapporteur soit adopté d'ici la fin de la session.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Il y a beaucoup d'étapes...
M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Tout ira à France Télévisions !
Mme Véronique Cayla, présidente d'Arte. - J'espère bien que non ! Je n'ai pas parlé du groupe de travail que nous avons mis en place avec France Télévisions pour créer davantage de passerelles.
Mme Anne Durupty. - Les séries sont très identitaires, donc il est difficile de les coproduire, et Arte ne fait guère plus que cinq ou six unitaires par an. C'est dans le documentaire, surtout, qu'on pourrait développer la coproduction. Nous y travaillons. Mais la puissance de France Télévisions est sans commune mesure avec celle de l'ARD ou de la ZDF, qui produisent eux-mêmes des milliers d'heures de programme, et en achètent donc peu, alors que les coproductions qui peuvent se faire entre Arte et France Télévisions sont bien moins nombreuses. A chaque fois que nous diffusons un programme coproduit avec un producteur privé en France, il faut le payer. Cela augmente l'exposition des programmes de la télévision publique, mais n'est pas une source d'économies...
Bien souvent, le rachat d'une oeuvre de France Télévisions est plus coûteux que celui de documentaires de la BBC par exemple. Nous arriverons à développer une bonne complémentarité entre nos plateformes numériques dans le domaine de la culture et du spectacle.
Mme Véronique Cayla, présidente d'Arte. - Tous les programmes allemands qui sont coproduits entre Arte et la ZDF ou l'ARD passent toujours sur Arte en première diffusion. Il n'en va pas de même, je crois, chez France Télévisions...
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci pour la clarté de votre explication, et bravo pour vos résultats. Vos propos nous confortent dans le soutien que nous apportons tous à Arte. Notre commission va mettre en place un groupe de travail sur la question épineuse des droits. J'apprécie particulièrement le traitement que vous faites des sujets de science et de société, admirable d'objectivité, de richesse, et d'accessibilité.
Exécution du contrat d'objectifs et de moyens pour la période 2012-2014 - Audition de M. Jean-Luc Hees, président de Radio France
Puis, la commission entend M. Jean-Luc Hees, président de Radio-France, sur l'exécution du contrat d'objectifs et de moyens pour la période 2010-2014.
M. Jean-Luc Hees, président de Radio France. - Il me paraît toujours difficile de commenter l'exécution du contrat d'objectifs et de moyens de l'année précédente, car nous vivons surtout dans le présent et le futur.
Nos premiers résultats d'audience sont tombés hier. Ils ne diffèrent pas fondamentalement des chiffres de 2011, même s'ils sont meilleurs. Je suis assez satisfait des performances de Radio France en termes de contenus, et de la confiance que nous font les Français : cela signifie qu'un service public peut allier qualité et résultats. Nous avons gagné quatre cent mille auditeurs en un an, ce qui est très encourageant.
Lorsque je suis arrivé à Radio France, au début de la période couverte par ce COM, mon ambition était de renforcer notre rôle dans trois activités : informer, éduquer, distraire, le tout avec un haut niveau d'exigence. C'est dans ce sens qu'ont travaillé nos antennes, guidées aussi par la réaction de leur audience.
France Culture a battu hier son record historique en ralliant 2,1 % d'audience. Au-delà de la satisfaction qu'il nous apporte en validant le travail de nos équipes, ce chiffre signifie qu'en France, les auditeurs ne sont plus rebutés par la complexité, l'exigence, la qualité, qui sont les axes que nous avions choisis pour toutes nos chaînes. Je suis fier que la radio puisse apporter cela à nos concitoyens. La stratégie que nous avions retenue il y a deux ans a donc montré tout son sens.
France Inter, notre navire amiral, se porte très bien. Elle a gagné des auditeurs, et est revenue à ses fondamentaux, qui sont exigeants : informer les Français en décryptant une actualité qui a été très chargée cette année. Les Français nous font confiance. Je demande aux dirigeants de prendre des risques : proposer un coup d'oeil sur Montaigne en plein été, par exemple. Nos auditeurs semblent adhérer. L'arrivée de Frédéric Lopez, entre 11 h et 12 h 30, n'allait pas non plus de soi. Nous avons diversifié le profil des intervenants, et cela apporte en richesse à nos débats. Le pari d'élever le niveau du divertissement semble réussi. Un programme ambitieux comme Sur les épaules de Darwin, qui a été soutenu par Philippe Val, montre bien qu'on n'a pas besoin de tirer toujours le public vers le bas pour avoir des résultats.
France Info, qui est l'une des chaînes essentielles de notre groupe, est sur un marché plus difficile. La concurrence menée par les chaînes d'information, notamment télévisuelles, est extrêmement rude. Certains avaient fait le pari que dans une année chargée en actualités les Français se détourneraient de l'information, nous avons fait le pari inverse, et cela a été très positif pour France Info. Après une perte d'audience il y a deux ou trois ans, liée à l'introduction de nouveaux modes de consommation de l'information, France Info a retrouvé ses positions, malgré une légère baisse d'audience, de 0,2 %, par rapport à l'an dernier.
J'accorde une attention particulière au réseau de France Bleu, qui représente un tiers du budget et du personnel de Radio France, pour quarante-trois stations. Les résultats de cette période de rentrée sont excellents : une part de marché de 7,3 %, soit presque quatre millions d'auditeurs, et une durée d'écoute en augmentation, ce qui signifie que France Bleu n'est plus écoutée pour des actualités locales, mais que son auditoire est fidélisé. Malheureusement, France Bleu ne couvre pas encore toute l'étendue de notre territoire, ce qui est anormal : tous les citoyens paient des impôts et devraient donc bénéficier du même service. Dans les territoires desservis par France Bleu je sens une véritable adhésion du public. C'est l'un de nos principaux axes de développement d'audience, mais l'augmentation de la couverture du territoire représente un investissement important. Nous avons déjà ouvert deux stations, au Mans, et à Toulouse, et nous allons en ouvrir une à Saint-Étienne, où la discussion avec les élus locaux se déroule dans un très bon climat. Nous tâchons d'obtenir davantage de fréquences, mais la ressource est limitée.
France Musique a une audience stable, ce qui ne me satisfait guère. Cette station doit s'ouvrir davantage : il faut aimer la musique, mais aussi la radio. On ne saurait la comparer à Radio Classique, dont la nature et les contraintes sont différentes, mais on doit pouvoir mieux faire.
FIP se porte vraiment très bien. Elle dispose de dix fréquences, ce qui est peu. Elle a célébré l'an dernier ses quarante ans, et a revu sa programmation pour revenir vers ses fondamentaux : non seulement de la musique de la variété mais aussi du jazz et de la musique classique. C'est plus un enjeu de prestige pour Radio France que d'audience : à cet égard, la mission est remplie.
Le Mouv' m'intéresse infiniment. Cette station existait depuis douze ans à mon arrivée. Elle était basée à Toulouse. Mais elle n'avait pas rencontré son audience : son taux de notoriété ne dépassait pas 60 % à Toulouse même. Or je considère que c'est une mission fondamentale du service public que de s'occuper des populations jeunes, en leur proposant le niveau de qualité qui est celui que nous cherchons à développer. Fallait-il arrêter Le Mouv' ? Je ne me suis posé la question qu'une nanoseconde ! Il faut continuer, même s'il est très difficile de faire renaître une station existante qui a peu de succès. Nous y travaillons, toutefois : nous avons reconstruit Le Mouv', en installant son siège à Paris, en restructurant l'équipe. L'audience a d'abord baissé, passant de 1 % à 0,4 %, soit deux cent mille auditeurs, ce qui n'est certes pas satisfaisant, mais elle vient de remonter à 0,5 %, soit une hausse de 20 %, ce qui est encourageant. Je souhaite que Le Mouv' soit la vitrine numérique de Radio France.
Les formations musicales : orchestre national, orchestre symphonique, orchestre philharmonique, choeur de Radio France et nos maîtrises, vivent un moment difficile, car la Maison de la Radio est en travaux, imposés par les impératifs de sécurité incendie. Nos formations sont donc nomades. Nous attendons avec impatience la réouverture de nos locaux.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Quel est l'horizon pour cette réouverture ?
M. Jean-Luc Hees, président de Radio France. - J'avais un rêve : inaugurer l'auditorium le 20 décembre 2013 à 20 heures, cinquante ans exactement après l'inauguration de la Maison de la Radio par le général de Gaulle, qui avait prononcé à cette occasion un discours magnifique. Malheureusement, les travaux ont pris au moins quatre mois de retard, dont deux sont dus à des intempéries, et deux à la nécessité de revoir nos relations avec l'architecte. La meilleure perspective pour l'instant est donc une livraison à la fin du mois de mars ou en avril 2014.
M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Ce panorama est encourageant : l'audiovisuel public a une bonne audience, tout en étant l'avant-garde de la qualité. La panoplie de vos chaînes est hétérogène, mais pour la principale, France Inter, on ne voit pas pourquoi les résultats ne continueraient pas de s'améliorer. On sait bien, en effet, pourquoi elle gagne de l'audience et pourquoi les concurrents en perdent : ils n'ont pas fait, comme vous, le pari de l'exigence. Je ne pense pas que Le Mouv' soit condamné à stagner dans une part d'audience aussi basse : nous ne devons pas nous satisfaire de la légère augmentation récemment enregistrée. C'est un défi qu'a aussi France Télévisions. La qualité et l'exigence du service public doivent être mises à la disposition des jeunes. La fidélisation commence avec la jeunesse. Il faut trouver ce qu'ils attendent, et avoir l'audace de faire émerger de nouvelles générations d'animateurs et d'artistes pour lancer des modes.
Je vous pose deux questions de la part de M. Maurice Vincent, qui m'a succédé il y a peu à votre conseil d'administration. Quels sont les projets de nouvelles implantations, après Saint-Étienne ? Des recettes publicitaires complémentaires liées au développement sur internet sont-elles prévues ? J'ajoute pour ma part deux questions. Où en est-on des négociations sur la convention collective, et quel est le calendrier d'adoption d'un accord d'entreprise ? Le chantier a connu cet été un changement de prestataire : quand la maison pourra-t-elle enfin travailler dans ses murs ?
M. Jean-Luc Hees, président de Radio France. - Le Mouv' dispose de 31 fréquences. Nous nous battons pour en obtenir de nouvelles, à chaque fois que l'opportunité en est donnée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), mais c'est difficile. Cette station est très importante pour moi, car nous devons nous préoccuper du renouvellement de notre public, et donc capter en permanence l'attention des jeunes générations, en leur apportant le niveau de qualité et d'exigence qui est le nôtre, ce qui n'empêche nullement la fantaisie, le rire, la détente. L'arrivée de notre nouvelle directrice générale déléguée, Mme Catherine Sueur, me permet de dégager du temps pour m'occuper de ce dossier, avec M. Patrice Blanc-Francard et son équipe. Le numérique va beaucoup nous aider à redresser la situation.
Nous vivons un temps contraint sur le plan budgétaire. J'aimerais ouvrir deux stations en 2014 dans le Midi-Pyrénées, mais la situation de nos finances publiques ne me le permet pas.
En ce qui concerne les recettes publicitaires, j'ai été le premier surpris de lire ce matin dans Libération que j'aurais demandé leur augmentation pour compenser les économies que nous impose l'État. Nous n'en sommes pas là ! Ce qui est vrai en revanche, c'est que nos recettes publicitaires sur le web augmentent, et que nous cherchons à développer ce qui marche le mieux, la vidéo. De manière générale, nous essayons d'éviter au maximum la « pollution » sur les antennes. Les publicités y sont discrètes, c'est ce qui a fait notre succès : ne tuons pas la poule aux oeufs d'or.
Lorsque j'ai pris mes fonctions le 12 mai 2009, j'ai aussi dû composer avec deux héritages : le projet de convention collective et le chantier de l'auditorium, qui a démarré le 8 juin 2009. Cela n'a pas été simple. Pour la convention, les négociations ont duré trois ans avant d'aboutir, en février 2011, à un accord avec les journalistes. De nombreux paramètres sont à prendre en compte, notamment l'évolution des métiers et de l'environnement économique. Les deux principaux syndicats, le Syndicat national des journalistes (SNJ) et Force ouvrière, ont signé l'accord mais trois autres syndicats manquent à l'appel. Les salariés vivent donc encore sous un régime de mesures unilatérales, ce qui n'est pas sain pour une entreprise de cette taille. La négociation se poursuit, notamment avec les personnels techniques et administratifs, mais nous nous heurtons à une difficulté supplémentaire, l'organisation des élections professionnelles qui doivent avoir lieu dans les semaines à venir. Leur date n'a pas encore été choisie, mais j'espère qu'elles auront lieu dans les deux ou trois mois à venir. Malgré ma hâte d'aboutir, il m'a semblé difficile de négocier la convention au moment où les syndicats sont en compétition, aussi ai-je accédé à leur demande de report de la date butoir du 8 octobre à la fin du premier semestre 2013.
Il est dans notre intérêt à tous d'avancer sur ce dossier : notre maison doit se moderniser, donner un avenir à son personnel. Cela suppose un changement de méthode. La révolution numérique nous offre des perspectives inouïes en termes de création, mais nous ne pouvons nous contenter d'en engranger les bénéfices en termes d'audience. Elles doivent avoir leur traduction dans la convention collective, en particulier dans ce contexte de contrainte budgétaire. J'ai bon espoir d'aboutir rapidement ; une convention collective n'est pas un luxe dans une maison comme la nôtre.
Le chantier de l'auditorium ? Il a pris quatre mois de retard. Depuis l'élaboration du projet en 2005 pour des raisons de sécurité, les relations sont houleuses entre le maître d'ouvrage, Radio France, et le maître d'oeuvre, qui assure la conduite du chantier. Pour assainir la situation, j'ai décidé de résilier notre contrat à la fin de la phase 2 des travaux en 2014. A cette date, l'auditorium sera livré ; les phases 3 et 4 du chantier sont beaucoup moins compliquées. Du point de vue budgétaire, il n'y pas eu de dérive sur ce chantier : en euros constants, il a augmenté de 2,4 %, pour un montant global qui atteint près d'un demi-milliard d'euros. Nous ne sommes pas de mauvais élèves, d'autant que nous avons négocié un avenant définitif avec le maître d'oeuvre. Nous avons beaucoup négocié, cela n'a pas été facile mais je suis fier de pouvoir dire que l'argent du contribuable a été préservé. Les journaux nous annoncent souvent des dérives dans les chantiers publics...
M. Bernard Fournier. - Je tiens à vous féliciter pour le bon accomplissement de votre mission.
Je suis très satisfait de la création d'une antenne de France Bleu à Saint-Étienne, ville de 200 000 habitants dans un département de 750 000 habitants. Quand cette antenne sera-t-elle opérationnelle ?
Mme Catherine Morin-Desailly. - Nous avons pris connaissance hier des chiffres de Médiamétrie et je tiens à vous féliciter. La mutation numérique, la multiplication des nouveaux supports et la nouvelle façon dont les jeunes abordent la radio, en associant le texte et l'image, expliquent-elles à elles seules l'accroissement et l'élargissement du public ? C'est en tout cas l'analyse de Mme Cayla, la présidente d'Arte, que nous venons d'auditionner.
Vous avez en filigrane évoqué l'évolution des métiers à travers la convention collective. Cette déclinaison multi-support est-elle bien intégrée par les journalistes ?
Où en sont les expérimentations par Radio France de la radio numérique terrestre (RNT) ?
M. André Gattolin. - Je vous félicite également au nom du groupe écologiste pour cette hausse globale de l'audience des chaînes de Radio France. Vous avez évoqué les programmes et l'audience, moins les questions de management et d'organisation. Arte a créé depuis 2010 un observatoire des risques psycho-sociaux. Des initiatives de ce type existent-elles à Radio France dont les personnels sont très dispersés ?
Radio France se repose beaucoup, notamment à France Culture, sur des producteurs extérieurs. Les conditions de rémunération ne sont pas les mêmes qu'à la télévision, mais avec de petits moyens, on réussit cependant des émissions de grande qualité.
Pour France Info, vous avez évoqué la concurrence de plus en plus pressante des chaînes télévisées d'information continue. Il existe des synergies entre les milieux journalistiques des différentes stations de Radio France ; une collaboration horizontale serait-elle envisageable ? Pour relever le défi de l'information continue, France Info ne doit-elle pas étoffer ses effectifs, qui sont trois à quatre fois inférieurs à ceux d'une chaîne de télévision ? J'apprécie le travail qu'effectue Le Mouv' pour informer les jeunes : les partenariats d'antenne, comme ceux opérés lors de « Radio Cannes », contribuent, là où les stations jeunes font l'impasse sur l'information, à donner une plus-value particulière à cette station.
M. Jean-Luc Hees, président de Radio France. - Je vous remercie, au nom de mes équipes, pour ces félicitations qui sont aussi des encouragements.
France Culture accueille 1,2 million d'auditeurs tous les jours. La réussite de cette radio unique au monde ne doit rien au hasard : elle est le fruit d'une stratégie et d'investissements qui lui ont donné d'importantes ressources en matière d'information et à l'étranger. Nous avons atteint la masse critique d'audience à partir de laquelle il est possible d'établir une sociographie, de savoir qui nous écoute et pourquoi. France Culture est beaucoup plus accessible, elle n'est plus un ghetto d'intellectuels et d'universitaires et touche maintenant les étudiants, de plus en plus nombreux. Objectifs et résultats sont donc en adéquation. Réjouissons-nous en, mais ne nous focalisons pas sur les sondages qui peuvent varier. L'important, c'est que cette station inouïe est ouïe.
En ce qui concerne l'installation de Radio Bleu à Saint-Étienne, je dois dire que j'ai beaucoup apprécié les échanges que j'ai eus avec les élus de tous bords qui se préoccupent avant tout de l'intérêt général. Les travaux ont démarré ; nous avons pléthore de candidats pour le poste de directeur qui sera pourvu en janvier 2013, en attendant l'ouverture de l'antenne au deuxième semestre.
Il n'y a pas de modèle économique pour le numérique et nous manquons de visibilité. Pour un chef d'entreprise, la difficulté est d'établir le niveau des investissements. Bien sûr, nous ne risquons pas de nous tromper en investissant des millions dans le numérique, mais nos contraintes budgétaires et financières m'incitent à être prudent et à attendre que se manifeste une vraie synergie entre l'antenne et nos sites web. La situation évolue très vite. En même temps, il y aura toujours des irréductibles, ne fréquentant que les antennes radio. En attendant, nos applications mobiles et nos sites web ont tous été rénovés : le dernier en date, celui de France Bleu, sera opérationnel à la fin du mois. Du point de vue des investissements, c'est l'ensemble de ce conglomérat qui est à prendre en compte, pour viser au plus juste.
Le personnel n'est pas en reste : plus de cent personnes sont dédiées au numérique. Le numérique est une aventure fascinante qui suscite beaucoup d'attentes et d'interrogations. Jusqu'où va-t-on aller ? L'aventure a-t-elle une fin ? Quels sont les produits et les contenus de demain ? Une sorte de frénésie du numérique s'est emparée de la maison et les gens sont véritablement assoiffés. Mais je ne peux pas décider de créer des postes du jour au lendemain, je suis contraint par le périmètre d'emplois défini par le COM. Nous procédons à des redéploiements, les choix ne sont pas faciles. Un départ en retraite doit-il être remplacé alors que nous avons de nouveaux besoins ? Le personnel s'interroge aussi, je le comprends. J'encourage la mobilité, toujours sur la base du volontariat. De nombreuses personnes voient leur avenir dans le numérique et aimeraient rejoindre la direction des nouveaux médias. Beaucoup de nos 700 techniciens baignent dans le numérique et souhaitent s'orienter vers les nouveaux médias. A nous d'apprécier les besoins avec prudence. Si certaines stations du réseau France Bleu sont mieux dotées en personnel que d'autres, c'est que les besoins des 50 000 habitants de Guéret ne sont pas ceux du million de Lillois. Poste par poste, nous négocions, au risque de grèves, comme celui d'octobre dernier, pour le redéploiement d'un poste et demi de technicien de Nancy à Metz. A nous d'être adroits et persuasifs : l'anxiété n'est jamais loin quand il s'agit d'emploi. Cela étant dit, nous sommes en fin de parcours concernant le multimédia, dans un périmètre d'emplois que je suis contraint de respecter. Les années que nous vivons ne sont pas faciles, mais l'aventure est excitante, même pour le personnel : il y a un monde à explorer ! À nous de placer le curseur au bon endroit en matière de finances publiques.
Nous avons signé en 2010 un accord sur la prévention des risques psycho-sociaux. Dans une entreprise de 5 000 personnes, c'était d'autant plus indispensable que dans un environnement assez actif, il est facile de minorer ces problèmes. Les ressources humaines sont en alerte permanente. L'impression d'être vertueux n'est souvent qu'une manifestation d'inconscience ! Nous avons aussi demandé le label diversité, que nous devrions obtenir au début de l'année prochaine. Il ne s'agit pas simplement d'une opération de communication : il est très important que l'entreprise soit amenée à codifier certaines choses. Il en va de même pour les risques psycho-sociaux.
Je suis très favorable à la RNT. Je suis un homme de radio et j'ai effectué la quasi-totalité de ma carrière dans le service public. La RNT nous garantit la gratuité, l'anonymat, la sécurité, l'indépendance vis-à-vis des opérateurs téléphoniques : en un mot, la liberté. Cependant, le bon élève que je suis ne méconnaît pas les difficultés financières de son actionnaire. En outre, nous devrons affronter l'hostilité manifeste des autres opérateurs de radio qui craignent la concurrence. Il est probable que dans les mois à venir, la France n'aura pas les quelques millions d'euros nécessaires au financement d'une double diffusion. Ce que j'ai demandé à ma tutelle, et je crois avoir été entendu, c'est de ne pas enterrer l'idée. Nos voisins vivent avec la RNT, l'Angleterre en est à un tiers de diffusion numérique sur le DAB (Digital audio broadcasting). Le processus est lent, mais tout le pays est couvert, un nouvel investissement doit permettre d'achever le maillage RNT pour les stations locales. Nous ne pourrons pas vivre isolés entre la Suisse, l'Allemagne, qui s'est lancée l'année dernière, et la Belgique, qui s'y prépare. L'idée sera d'autant moins enterrée que je ne lui connais pas d'ennemis théoriques. D'ailleurs, les voitures fabriquées en Angleterre et en Allemagne sont désormais équipées RNT. Pour aller de Londres à Berlin, il faudra traverser un pays non équipé : la France. Pourrons-nous éternellement faire bande à part ?
Quant à France Info, je rends d'abord hommage à ses équipes qui renouvellent chaque jour la radio et ouvrent quotidiennement une page blanche dans un univers où il faut se battre pour apporter tous les jours une valeur ajoutée journalistique. C'est cela le journalisme, dans une maison qui n'est faite que de journalistes : ils sont un peu plus de cent, ce qui n'est pas considérable compte tenu du débit. Son directeur, Pierre-Marie Christin, est lui-même un excellent journaliste, et nous nous entretenons régulièrement autour du thème : qu'offrir de plus que les autres ? C'est un travail passionnant mais il faut repenser la stratégie tous les jours, en fonction de ce qu'offrent nos concurrents. L'offre en matière d'information est, je retiens un « hélas », gigantesque, et nous voulons faire de France Info la référence en la matière. J'avais un slogan, « Informer, c'est un métier », c'est «L'information, c'est une vocation » qui a été choisi.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Vous partez avec les compliments, la bienveillance et la vigilance de cette commission qui s'engage à vous accompagner dans vos différents chantiers.