Mercredi 31 octobre 2012
- Présidence de MM. Daniel Raoul et Raymond Vall, présidents -Audition de M. Marc Mortureux, Directeur Général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) sur les effets des OGM associés à des pesticides
Lors d'une réunion conjointe avec la commission des affaires économiques, la commission entend M. Marc Mortureux, Directeur Général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) sur l'avis de l'agence du 19 octobre 2012 relatif à l'étude du Professeur Séralini sur les effets à long terme des OGM associés à des pesticides.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Nous sommes heureux d'accueillir M. Marc Mortureux, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), qui va nous présenter l'avis de l'Agence sur l'étude très médiatisée - c'est peu de le dire - du professeur Séralini. Il nous dira quelques mots aussi de l'histoire et des missions de l'Anses.
L'une des questions posées par cette étude est celle de la taille des échantillons statistiques, déjà abordée par notre collègue Gilbert Barbier dans son rapport sur les perturbateurs endocriniens pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). Une autre question est celle de la durée des essais. On se demande en outre comment assurer l'indépendance des recherches financées par les industriels pour obtenir des autorisations de mise sur le marché. Enfin, je sais que l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), ne parvient pas à recruter des doctorants pour des recherches sur les plantes génétiquement modifiées (PGM) - expression que je préfère à celle d' « organismes génétiquement modifiés », cette dernière recouvrant aussi des vaccins, des bières, etc., alors que le débat scientifique et socio-économique porte surtout sur les plantes.
M. Raymond Vall , président de la commission du développement durable. - Mon département, le Gers, a, le premier, entrepris d'interdire les essais de PGM en plein champ. Il a même envisagé d'organiser un référendum sur les PGM, jusqu'à ce que l'Europe l'arrête... J'attends donc de cette audition des éclaircissements sur les études menées et sur les risques encourus. Les essais, poursuivis pendant des semaines ou des mois, peuvent s'avérer coûteux : qui doit payer ?
M. Marc Mortureux, directeur général de l'Anses. - Depuis sa création en 2010, l'Anses est chargée de l'évaluation des risques dans un vaste domaine qui recouvre les anciens champs de compétence de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), et qui a donc trait à la fois à la santé humaine et à la santé animale et végétale. Elle peut ainsi évaluer les risques présentés par une même source de danger - agent chimique, biologique ou physique, comme les rayonnements - à travers différentes expositions : alimentation, travail, environnement quotidien. C'est un modèle original qui suscite beaucoup d'intérêt, en Amérique du Nord comme en Europe : aux Etats-Unis se côtoient la Food and Drug Administration et l'Environmental Protection Agency, en Allemagne le Bundesinstitut für Risikobewertung et l'Umweltbundesamt (UBA), respectivement chargés de l'alimentation et de l'environnement. La fusion de l'Afssa et de l'Afsset n'a pas été simple, certains se demandaient quelle serait la place de la santé au travail ou encore de la santé animale, dans ce vaste ensemble. Mais ces inquiétudes ont été apaisées au terme de longs débats, qui ont bousculé bien des habitudes et c'est tant mieux, car le plus grand risque dans notre domaine de compétence est de laisser s'installer la routine, l'accoutumance.
L'Anses est aussi dotée d'un modèle de gouvernance original, avec une expertise scientifique extrêmement protégée contre toute intervention externe - des procédures rigoureuses prévenant tout conflit d'intérêts - mais aussi de nombreux échanges avec la société civile, en amont, au sein des comités d'orientation thématiques placés auprès du conseil d'administration - lui-même divisé en cinq collèges reproduisant ceux du Grenelle de l'environnement - pour définir le programme de travail. En aval, il y a les discussions et contributions au débat public de la part de l'Anses. Un exemple : notre avis sur l'étude du professeur Séralini a été rendu public un lundi et dès le mardi nous réunissions les parties pour dialoguer, sans chercher à mettre tout le monde d'accord mais en espérant une compréhension mutuelle.
Les experts travaillent au sein de collectifs et sont recrutés pour leur compétence et en évitant tout conflit d'intérêts : l'évaluation des risques est ainsi menée de façon collective et contradictoire, dans un cadre réglementaire, en se fondant alors sur les données obligatoirement fournies par les industriels - c'est le cas pour les produits phytosanitaires et les PGM -, soit en réponse à la saisine du ministère ou d'une des parties représentées au conseil d'administration, soit par auto-saisine. Je regrette au passage que le Parlement n'ait pas le pouvoir de saisir l'Anses, c'est la loi qui a créé les agences sanitaires et nous sommes disposés à répondre à ses sollicitations...
L'Anses s'insère dans un schéma logique qui repose sur la séparation des missions : à l'agence l'évaluation des risques, aux ministères leur gestion. Le rôle de l'Anses est de livrer l'état des données scientifiques pour que les gestionnaires et les autres acteurs puissent prendre les décisions appropriées. L'Anses gère aussi des laboratoires, consacrés à la santé animale, végétale ou aux risques alimentaires. Nous aidons les pouvoirs publics à mettre en place les plans de contrôle et de surveillance prévus par la réglementation. Nous parlerons aujourd'hui des PGM et des produits phytosanitaires, mais nous nous intéressons à bien d'autres choses : biocides, téléphones portables, amiante, perturbateurs endocriniens, nanomatériaux... Bref, nos 1 300 agents, dont la moitié en laboratoire, et nos 800 experts extérieurs, réunis en une vingtaine de collectifs, sont bien occupés.
Au sujet de l'étude du professeur Séralini, le Gouvernement nous a demandé si elle remettait en cause, d'une part les évaluations précédentes du maïs NK603 ou de l'herbicide Roundup, d'autre part les lignes directrices actuelles d'évaluation de ces produits, dans le cadre de la réglementation européenne. Nous avons donc créé un groupe d'expertise collective d'urgence, composé de spécialistes des biotechnologies, des produits phytosanitaires, de toxicologie, de nutrition, de génotoxicité, sous la présidence d'un directeur de recherche de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), spécialiste des faibles doses et des mélanges. Nous avons veillé à écarter tout conflit d'intérêts : les déclarations d'intérêts des membres sont mises en lignes sur notre site.
Nous n'avons pas voulu réagir à chaud : le temps de l'expertise n'est pas celui des médias, même si nous avons rendu notre avis au bout d'un mois, ce qui est court. Nous avons souhaité replacer l'étude Séralini dans le contexte des publications disponibles sur le même sujet, car telle est notre valeur ajoutée. Nous ne sommes pas un super-comité de lecture !
On a de plus en plus tendance à considérer toute nouvelle étude comme décisive, alors qu'il est difficile de prendre des décisions sur la base d'une seule étude. Notre démarche vise toujours à resituer les éléments nouveaux dans l'ensemble du corpus des connaissances. Et nous adoptons une attitude résolument scientifique, sereine et respectueuse : cette étude, malgré ses faiblesses, lance des signaux d'alerte. A l'occasion de l'audition de Gilles-Eric Séralini le 10 octobre dernier, le groupe d'expertise a pu récupérer des données brutes qui ne figurent pas dans sa publication, laquelle doit être suivie par d'autres. Nous avons aussi entendu François Veillerette, représentant de Générations futures et spécialiste des produits phytosanitaires. Les dirigeants de Monsanto n'ont pas souhaité être entendus publiquement, mais nous ont adressé une contribution écrite. Nous avons bien sûr collaboré avec le Haut conseil des biotechnologies - nos missions étant spécifiques, nous avons cependant travaillé en toute indépendance -, avec l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), qui a, très vite, rendu une analyse critique sur l'étude du professeur Séralini, mais rendra à la mi-novembre un avis intégrant les travaux des différentes agences nationales. Nous avons aussi eu des échanges avec les agences allemande et néerlandaise qui ont réagi très rapidement. Toutes ont pointé les faiblesses de l'étude, mais nous avons voulu aller plus loin en faisant un état des lieux de la recherche.
Des méta-analyses avaient déjà balayé l'ensemble des études consacrées aux effets à long terme des PGM, notamment en cas d'association avec des produits phytosanitaires. Celle du professeur Séralini concerne l'herbicide Roundup et le maïs NK603, tolérant au glyphosate, la substance active du Roundup. Les auteurs ayant voulu faire beaucoup de choses à la fois, l'étude porte sur 200 rats, répartis en vingt groupes : des groupes témoins et des groupes auxquels on a fait consommer du maïs NK603 avec ou sans Roundup, à faible dose - correspondant aux résidus maximaux, donc à une exposition possible - ou à forte, voire très forte dose. Gilles-Eric Séralini et son équipe ont observé une mortalité et une incidence de tumeurs plus importantes et plus précoces dans les groupes traités que dans les groupes témoins, et ils ont conclu que ces substances ont des effets à long terme sur la santé.
S'agissant des PGM, ils estiment que les études imposées pour vérifier l'absence de risque sur la santé à long terme sont insuffisantes, en particulier parce que leur durée serait trop courte. Quant aux produits phytosanitaires, en l'état actuel de la réglementation, seules les substances actives donnent lieu à des études à long terme. Les produits commerciaux, composés d'une ou plusieurs substances actives et de coformulants, ne sont soumis qu'à des tests composant par composant mais non sur leur mélange. Un test de toxicité aiguë est tout de même pratiqué, mais s'il ne révèle pas d'écart sensible par rapport au même test mené sur la substance active, on en reste là. L'équipe du professeur Séralini réclame des études à long terme sur les mélanges.
Les experts de l'Anses, comme ceux des autres agences, ont estimé que l'étude ne suffisait pas à établir une relation de cause à effet entre la consommation de PGM, éventuellement traitées avec des pesticides, et l'apparition de tumeurs. L'espèce de rats sélectionnée développe spontanément des tumeurs ; il y avait donc au sein de l'échantillon des « faux positifs », des cas où le développement de la tumeur n'est pas lié à la consommation du maïs. Il aurait fallu des groupes d'au moins cinquante à quatre-vingts rats au lieu de dix, pour que l'analyse des écarts fût statistiquement valide.
Une autre étude, due au professeur Sakamoto et plus conforme aux protocoles classiques de l'OCDE, portait sur une variété génétiquement modifiée de soja, très largement consommée au Japon. Souvent citée, l'étude n'avait guère été lue et nous l'avons fait traduire du japonais. Or elle ne montre aucune différence entre les rats ayant consommé ce soja et les autres. Une troisième étude, menée par le professeur Malatesta et consacrée aux effets hépatiques d'une alimentation composée à 14 % de soja génétiquement modifié, concluait aussi à l'absence d'effets significatifs sur la mortalité ou la taille du foie.
L'Anses a donc considéré que l'étude Séralini formulait des conclusions non soutenues par les données, autrement dit qu'elle surinterprétait celles-ci ; la réglementation en vigueur sur le maïs NK603 et le Roundup n'est donc pas remise en cause. Déplorant cependant la rareté des études sur les effets potentiels à long terme des PGM, associées ou non à des préparations phytosanitaires, l'agence a appelé dès le début de 2011 à renforcer la réglementation européenne pour imposer davantage de tests subchroniques, à 90 jours ; cette réforme est en cours, et notre première recommandation est de la faire aboutir au plus vite.
Nous préconisons en outre de lancer de nouvelles études sur les effets à long terme de ces produits, en définissant clairement les objectifs poursuivis, les types de produits étudiés, et en assurant l'indépendance de l'expertise par la mobilisation de fonds publics. L'Anses est prête, avec d'autres agences, à travailler à l'élaboration des principes généraux de ces futures études.
L'Agence appelle aussi à accroître la recherche sur les effets « cocktail », à propos desquels il existe déjà un projet de recherche Périclès de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Vu la complexité des mélanges et leur nombre potentiel, de nouvelles méthodologies de recherche s'imposent, autres que l'expérimentation animale.
Nous aimerions pouvoir mobiliser des fonds publics pour des études d'envergure sur des risques sanitaires insuffisamment étudiés. Actuellement, il existe des études réglementaires, financées par l'industrie ; et une recherche publique, aux moyens beaucoup plus réduits, qui ne porte pas en priorité sur ces risques auxquels les chercheurs ne trouvent qu'un intérêt scientifique limité. Le problème n'est pas propre aux PGM. Il est bon que l'industrie soit obligée de prouver l'innocuité des produits qu'elle fabrique, mais sur certaines questions, il faudrait pouvoir mener des études complémentaires et indépendantes. Nous ne demandons pas directement d'argent, mais la possibilité de mobiliser des financements publics dans le cadre des mécanismes existants, afin de crédibiliser un peu notre dispositif. Il faut s'appuyer sur les études des industriels et financer des études complémentaires larges mais coûteuses, lorsque nécessaire.
Nous pourrions suivre l'exemple du National Toxicology Program américain, auquel sont associées plusieurs agences et qui, grâce à une dotation de 120 millions de dollars, a pu mener il y a deux ans des travaux sur les perturbateurs endocriniens comme le bisphénol A. Votre mission d'information sur les pesticides a abouti aux mêmes conclusions au terme d'une analyse très poussée. Avant même la publication de l'étude Séralini, j'avais eu l'occasion de faire cette demande lors des Assises de la recherche et de l'enseignement supérieur.
M. Jean Bizet. - C'est à nos anciens collègues Charles Descours et Claude Huriet que l'on doit en 1995 et 1996 la création des agences sanitaires, coiffées par une autorité européenne. Cette organisation a fait la preuve de son efficacité, en établissant par exemple que des graines de soja germé étaient à l'origine d'une série d'intoxications par la bactérie E.coli. En revanche, je suis déçu de constater que le comité économique, éthique et social du Haut conseil des biotechnologies ne fonctionne pas bien. Sa composition est déséquilibrée : un tiers de personnes favorables aux OGM et deux tiers d'anti-OGM. En outre, alors que seul le comité scientifique peut rendre des avis d'une grande technicité, le comité économique se mêle de science. Cela m'a conduit à démissionner au bout d'un an. On a tout fait pour instaurer la confiance, or, à force de communications intempestives, on inquiète la population. Les hommes politiques ne sont pas toujours en reste.
Quant au professeur Séralini, c'est un militant avant d'être un chercheur, et il s'est livré à mes yeux à une véritable manipulation : après avoir annoncé des découvertes dès le quatrième mois, il a attendu deux ans avant de livrer ses conclusions, au lieu d'avertir immédiatement la communauté scientifique internationale de ce qu'il considère comme un problème de santé publique !
Sur les OGM, sur l'expertise, la France a perdu : les chercheurs sont partis.
Afin d'éviter d'inutiles souffrances aux animaux de laboratoire, pourquoi ne pas passer à des méthodes toxicogénomiques, plus modernes, plus efficaces et moins chères ?
Mme Sophie Primas. - La mission d'information sur les pesticides dont j'étais présidente et Nicole Bonnefoy rapporteure a souhaité, comme l'Anses, qu'un fonds abondé par des financeurs publics ou privés serve à mener des études indépendantes sur les effets à long terme de ces produits. Trois études sur un sujet si important, c'est trop peu. L'Anses ne manque pas de moyens, grâce aux fonds que les industriels doivent verser avant toute autorisation de mise sur le marché. Reste à obtenir de Bercy que les effectifs de l'Anses autorisés au-dessus de son plafond d'emplois soient relevés.
Sur de tels sujets, il faut travailler sereinement, avec expertise, en écoutant chacun. Les agences doivent être au coeur de l'évaluation des risques et en avoir les moyens financiers et humains.
Mme Renée Nicoux. - Merci à M. Mortureux de son exposé, qui montre bien qu'une agence nationale indépendante est indispensable. Je ne vous ai pas entendu parler de l'espèce de rats qu'emploie Monsanto dans ses propres études : qu'en est-il ?
Vous portez sur l'étude de Gilles-Eric Séralini une appréciation sévère, tout en concédant qu'elle lance un signal d'alerte et en appelant à intensifier les recherches. C'est indispensable pour rassurer les consommateurs que nous sommes tous, directement ou par le biais de l'alimentation du bétail.
M. Gérard Bailly. - Excellente idée que d'avoir invité M. Mortureux : j'espère que nous le reverrons régulièrement. Président du groupe d'études sur l'élevage, j'ai été très attentif à la publication de l'étude Séralini. Quel bruit n'a-t-elle pas fait ! Vous avez souligné ses faiblesses, mais le mal était fait. Les éleveurs ont déjà beaucoup souffert de la crise de la vache folle et des farines animales : prenons garde. Avant d'être publiées, les études devraient être validées.
La compétitivité de notre agriculture est en jeu : je suis bien placé pour le savoir, étant moi-même producteur de lait. Il faudra nourrir 3 milliards d'êtres humains de plus dans cinquante ans. Si les OGM ne sont pas nocifs, ce serait dommage de ne pas les utiliser ! Mais s'ils sont nocifs, il faut les bannir. L'évaluation des risques doit se faire au niveau européen. Oui, il faut y consacrer plus de moyens. La question des OGM est importante pour l'avenir des campagnes : Renée Nicoux et moi-même le savons bien, qui devons rendre un rapport à ce sujet au nom de la délégation sénatoriale à la prospective.
Une question : quelles sont les relations de l'Anses avec l'Inra ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Comment l'Anses se prémunit-elle contre les conflits d'intérêts, même indirects ? Ne devrait-elle pas joindre à ses avis la liste des experts consultés, par mesure de transparence ?
La France a pris beaucoup de retard en matière de toxicologie. J'ai suivi de près au Parlement européen la mise en place du programme Reach (Registration, Evaluation and Authorisation of Chemicals), et j'ai constaté que l'âge moyen de nos toxicologues était supérieur au mien ! Nous ne faisons pas assez de recherche dans cette discipline, et nous ne l'enseignons pas assez : pour avoir des experts, il faut beaucoup de gens compétents.
On appelle au renforcement du système européen d'évaluation des risques, mais beaucoup de nos partenaires, favorables aux OGM, n'en veulent pas. Quant nous obtenons l'interdiction de la mise en culture, nous n'interdisons pas les importations ! Mettons fin à cette schizophrénie, et résolvons-nous au bras de fer, sinon les multinationales gagneront. Nous sommes allés jusqu'au conflit avec les Etats-Unis à propos des hormones, nous avons payé, mais au moins on n'élève pas de veaux aux hormones en Europe !
M. Jean Bizet. - On en mange...
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - C'est que l'on n'en a pas interdit l'importation !
M. Marc Mortureux. - Indépendance et expertise sont deux caractéristiques fondamentales de l'Anses. Nous avons tout mis en oeuvre pour les préserver, d'autant que la fusion Afsset-Afssa suscitait des craintes et des critiques à cet égard. Au niveau de la sélection des experts d'abord, nous avons cherché à prévenir les conflits d'intérêts. La composition des collectifs d'experts est renouvelée tous les trois ans ; les membres sont sélectionnés sur des critères de compétence ; ils remplissent systématiquement une déclaration publique d'intérêts. Le conseil scientifique, indépendant de la direction de l'agence, participe à l'examen des candidatures. J'ajoute que les appels à candidatures sont aussi ouverts que possible. Les déclarations d'intérêts ne sont jamais vierges, d'autant moins que la nouvelle législation les a rendues très détaillées. Permettez-moi de souligner que cette technique est la seule possible : on s'interrogerait légitimement sur la crédibilité d'un chercheur absolument dépourvu d'activités extérieures !
Avant chaque réunion et pour chaque point de l'ordre du jour, nous établissons une matrice d'identification des risques d'intérêts, pour identifier les liens d'intérêts jugés non rédhibitoires mais porteurs d'un risque de conflit sur un dossier particulier. Ainsi l'agence prend-elle ses responsabilités et elle évite de laisser à l'expert seul l'entière responsabilité de déclarer son conflit d'intérêts.
Ce dispositif a été testé en pratique : il y a quelques mois, une étude visait à analyser l'influence des facteurs de croissance du lait sur le déclenchement de certains cancers. Or, certains experts du collectif censé la valider étaient membres de la fondation Danone. Nous avons estimé qu'ils ne pouvaient participer aux travaux. Notre décision a été mal comprise. Pourtant nous ne remettons nullement en cause l'intégrité des chercheurs, nous appliquons simplement les règles indispensables à la crédibilité du système. Ne confondons pas, soit dit en passant, liens et conflits d'intérêts.
Les chercheurs s'interrogent parfois sur l'intérêt qu'il y a à entrer dans de tels comités d'experts, dès lors qu'un seul mot dans une déclaration publique de vingt pages est susceptible de déboucher sur une mise en cause de leur déontologie. A prolonger cette tendance au soupçon, nous risquons de nous priver de compétences indispensables.
Nous tenons beaucoup au caractère collectif et contradictoire de nos expertises. Celles-ci sont explicitées et rendues publiques, afin de garantir l'expression d'une pluralité de points de vue. A cet égard, prenons garde également à ne pas juger une structure ou une expertise à son maillon le plus faible. Nous travaillons sur de nombreuses sources d'information. Nous ne faisons pas nous-mêmes de la recherche, nous nous appuyons sur toute la documentation existante et cultivons le respect et l'écoute de l'ensemble des parties prenantes. Les lanceurs d'alerte agacent parfois dans leur manière de présenter les choses, mais nous devons tenir compte des signaux qu'ils envoient. L'audition de Gilles-Eric Séralini a donné lieu à un bon dialogue. Lui-même reconnaît les limites de son étude et appelle de ses voeux des recherches plus complètes.
Sur les PGM, notre rôle est d'anticiper, d'aller plus loin dans les connaissances scientifiques. Si le NK603 ne modifie qu'une seule protéine pour rendre une plante résistante au Roundup, les derniers OGM conçus permettent d'en modifier jusqu'à cinq. La plante génétiquement modifiée s'éloigne progressivement de la plante d'origine. Dans ce contexte, notre rôle est d'anticiper en permanence l'évolution des connaissances et de proposer, en conséquence, l'adaptation des protocoles. Nous sommes plus sévères sur l'espèce de rat utilisée dans l'étude.
M. Gérard Lasfargues, directeur général adjoint de l'Anses. - La critique a essentiellement porté sur l'interprétation que fait le professeur Séralini des données de son étude. Lors de son audition, il a motivé le choix de rats Sprague-Dawley par la nécessité d'utiliser un protocole comparable à celui retenu dans les études réglementaires. Or, cette souche de rat est surtout utile pour les études de toxicité à 90 jours, ou les tests de toxicité aigüe. Cette souche est naturellement plus sujette aux tumeurs, donc plus difficile à utiliser dans des études de cancérogenèse à plus long terme : au bout de deux ans, on observe une prévalence de 60 % de tumeurs mammaires spontanées. Dès lors cette étude n'aurait de puissance statistique acceptable qu'à partir de 80 à 100 rats par groupe... ce qui aurait fait passer son coût à 5 voire 10 millions d'euros.
Le professeur Séralini souhaitait surtout vérifier si les tests à 90 jours sont prédictifs d'effets sur la cancérogenèse à plus long terme ; et si l'on doit s'attendre à la survenance de cancers. Je rappelle que les méthodes alternatives posent un délicat problème financier.
La nouvelle réglementation européenne, sur les phytosanitaires notamment, rend possible la réalisation selon des méthodes alternatives de tests in vitro permettant d'identifier les dangers de certaines substances actives et coformulants. Il s'agit par exemple d'études portant sur la génotoxicité de certains produits - qui modifient un gène ou un chromosome - ou sur les effets perturbateurs endocriniens. Dans le cas des désherbants comme le Roundup, ces tests ont permis d'identifier l'action de coformulants dérivés du nonylphénol.
M. Martial Bourquin. - L'indépendance est une vraie question. Plus il y a d'intérêts en jeu, plus elle est difficile à préserver. De larges études épidémiologiques internationales ont montré que certains détenteurs d'une grande notoriété scientifique ont pu être rapidement discrédités par la révélation des liens qu'ils entretenaient avec des groupes industriels. Je ne voudrais pas que l'étude de Gilles-Eric Séralini, qui a fait l'effet d'un coup de tonnerre, passe à la trappe. Sous de multiples prétextes, comme la nécessité de nourrir le monde, d'aucuns nous proposent d'accepter les OGM comme un fait accompli ! Or, après cette étude, rien ne sera plus comme avant.
La situation n'évolue pas dans le bon sens en matière de pesticides. Le Grenelle de l'environnement a fixé l'objectif d'une baisse de leur utilisation de 50 % d'ici à 2018. Or la consommation continue d'augmenter. Jusqu'où ira-t-on ?
Une étude de l'université britannique d'Aston a montré que la combinaison d'un effet cocktail et d'un effet de durée pouvait entraîner le déclenchement de maladies comme celle de Parkinson ou d'Alzheimer. Or les résultats de cette étude ont été passés sous silence, sans doute parce qu'ils portent atteinte à d'énormes intérêts financiers.
Mme Bernadette Bourzai. - Je parle au nom de Nicole Bonnefoy, rapporteure de la mission d'information du Sénat relative aux pesticides. L'analyse de l'Anses a le mérite d'identifier, dans l'étude du professeur Séralini, ce qui est discutable et ce qui est profitable, c'est-à-dire les lacunes et problèmes que nous devrons régler à l'avenir.
Comme Sophie Primas, présidente de la mission d'information sur les pesticides, je pense qu'il nous faut travailler dans la sérénité. Monsieur le directeur général, vous avez souhaité crédibiliser « un peu » les études réalisées. Je préférerai qu'on les rende totalement crédibles ! L'opinion publique ne peut supporter la demi-mesure. Cela suppose que vous disposiez des moyens de travailler. Vous nous avez parlé des précautions prises pour garantir l'indépendance de l'Agence, c'est très bien. Mais il faut également supprimer son plafond d'emplois. Je conseille la lecture du rapport de Sophie Primas et Nicole Bonnefoy, notamment ses recommandations relatives à l'indépendance des études, aux lanceurs d'alerte ainsi qu'à l'évaluation des perturbateurs endocriniens. A partir de ce rapport, nous pourrons travailler avec les scientifiques et les responsables politiques pour progresser dans ce domaine particulièrement délicat.
M. Ronan Dantec. - L'étude du professeur Séralini a atteint au moins 90 % de ses objectifs en forçant la puissance publique à commander les études nécessaires sur les OGM. Mais de précédents avis de l'Anses étaient hostiles à la mise en culture de certaines variétés, de soja notamment, faute d'études complémentaires. Ce coup de tonnerre médiatique va conduire la puissance publique à commander enfin des recherches rigoureuses sur cette question. Mais pourquoi les avis antérieurs, fondés sur les lacunes des études présentées, n'ont-ils déclenché aucune commande de l'Etat ? Pourquoi faut-il repasser encore une fois par la case départ ? La chaîne de décision, à partir des avis que vous rendez, ne fonctionne pas !
Mme Patricia Schillinger. - J'étais rapporteure du projet de loi relatif au bisphénol A, et je remercie le directeur de l'Anses du récent changement de classification.
Au niveau européen, le flou règne sur la production et l'importation d'OGM. Or, les effets sur le développement de cancers, de maladies de Parkinson, commencent à être connus. La presse apporte chaque jour de nouveaux motifs d'angoisse. Peut-on se donner les moyens, au niveau mondial, de faire prévaloir la santé publique sur les considérations économiques, contrairement à ce qui se fait aujourd'hui ? C'est une situation honteuse, qui entraînera de graves conséquences pour notre jeunesse. Comment nous faire entendre au plan européen ? Les députés européens doivent se saisir du sujet.
M. Yannick Vaugrenard. - Ces sujets ont été portés au niveau européen, Marie-Noëlle Lienemann l'a évoqué, mais ils sont très compliqués.
Je déplore l'utilisation de la peur à des fins politiques. Je déplore tout autant le recours de l'industrie à des produits nuisibles à la santé publique, dans le seul but d'accroître le profit à court terme. Je souhaite que la raison l'emporte sur la crainte, instrumentalisée parfois pour vendre du papier.
Nous gagnerions à nous faire notre propre opinion. J'ignore si nous avons la possibilité de procéder à une audition contradictoire. Y inviter le professeur Séralini me semblerait opportun.
Enfin, s'il s'avère que ce dernier a utilisé les médias à mauvais escient, son comportement est condamnable. Y aurait-il, contre cela, des recours juridiques ?
M. Benoît Huré. - Je remercie le directeur de l'Anses pour la clarté de son exposé, sa grande expertise, l'humilité et la prudence de ses propos.
Pour réaliser ses missions, l'Anses doit disposer de moyens dédiés suffisants. La médiatisation des études non abouties ou insuffisamment expertisées entraîne immédiatement de graves conséquences économiques : en l'occurrence, on a fragilisé toute une filière industrielle. Le mal est fait : les médias ne montreront jamais le même intérêt à corriger ou nuancer ce qui a été annoncé dans un premier temps avec fracas. Nous pourrions d'ailleurs nous trouver dans le cadre des articles L. 120-1 et suivants du code de la consommation relatifs au dénigrement. On ne peut impunément donner un tel écho à des recherches non achevées.
M. Martial Bourquin. - Le professeur Séralini a gagné son procès !
M. Ronan Dantec. - Il a publié dans des revues scientifiques.
Mme Sophie Primas. - Pas des revues majeures. En revanche, il écrit des livres !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Cela n'est pas interdit.
M. Daniel Raoul, président. - Il y a sans conteste un problème de recherche indépendante. Mais le problème de l'expertise et du conflit d'intérêts sont deux choses différentes. Dans la phase des essais cliniques, il y a nécessairement un lien d'intérêts entre le fournisseur de la molécule et la recherche clinique ; il n'y a pas conflit d'intérêts pour autant. Menacer ce lien nous priverait des experts dont nous avons besoin. Nous devons trouver un équilibre.
M. Marc Mortureux. - La liste des experts est systématiquement rendue publique. De même, les déclarations publiques d'intérêts sont en ligne sur notre site.
L'étude du professeur Séralini ne doit pas être enterrée, dites-vous. Notre position est claire : les résultats ont été sur-interprétés. Mais nous ne l'avons pas attendue pour faire un certain nombre de propositions. Le cadre européen, qui est l'un des plus exigeants au monde, a déjà progressé. Nous avons émis des avis défavorables lorsque nos exigences n'étaient pas respectées : ce fut le cas sur la question des essais à 90 jours, et lorsque la puissance statistique de l'étude ne nous semblait pas suffisante. Aujourd'hui, la réglementation n'impose pas des essais à deux ans, ni une expérimentation animale lorsqu'elle n'est pas nécessaire. Mais de ce fait, le nombre d'études incluant des essais à deux ans reste faible. Nous préconisons dès lors systématiquement des essais à 90 jours, bons signaux pour détecter les effets à plus long terme. Dans l'étude Séralini, ces données manquent. C'est pourquoi il faudrait procéder à des études complémentaires.
Nous souhaitons travailler avec d'autres pour définir des objectifs clairs, élaborer des protocoles et des méthodes adaptés. Les études d'envergure sont indispensables pour crédibiliser notre travail et recréer de la confiance.
La consommation de produits phytosanitaires n'est pas réellement de la compétence de l'Anses. Mais nous voyons croître le nombre de dossiers relatifs à des produits alternatifs à des substances chimiques, employés en combinaison avec les phytosanitaires et qui en réduisent donc l'utilisation. Le plan Ecophyto 2018 se déploie...
M. Ronan Dantec. - Je ne suis pas satisfait de votre réponse. L'Anses a rendu des avis dans le passé, auxquels l'Etat n'a pas réagi. Dès lors, l'agence ne doit-elle pas obtenir la mainmise sur son budget et sur ses emplois, afin de hiérarchiser ses priorités, plutôt que de négocier ses financements au cas par cas avec les ministères ?
M. Marc Mortureux. - Ce débat me dépasse en partie. Des propositions avaient été faites dans la discussion début 2011. Deux ans plus tard il est vrai, le cadre réglementaire a peu évolué. Cela prend du temps. Les ministères nous ont toutefois aidés, et nos propositions devraient être progressivement prises en compte.
Sur le financement de l'agence, il m'est difficile de répondre. Le contexte budgétaire est complexe. Le problème des plafonds d'emploi est très spécifique. Sur l'évaluation des produits phytosanitaires par exemple, la réglementation donne aux industriels le choix, pour déposer un dossier d'AMM, entre les pays de la zone à laquelle ils appartiennent - la France fait partie de la zone sud avec l'Espagne, le Portugal, l'Italie et la Grèce. Or, compte tenu de la situation économique de ces pays, presque tous les dossiers sont déposés chez nous. Nous avons le volume de travail, l'argent nécessaire, grâce au produit des taxes, mais pas le personnel dont nous aurions besoin. Le stock s'accroit et les délais s'allongent. Tant pis ! Nous ne braderons pas le travail d'évaluation.
M. Gérard Lasfargues. - Il existe, sur les maladies neurodégénératives comme celle de Parkinson ou d'Alzheimer, des études expérimentales mettant en avant le lien avec les pesticides. Des études épidémiologiques chez l'homme l'ont confirmé. Ces études ont été rapportées à la commission des maladies professionnelles du régime agricole. Le tableau des maladies professionnelles inclut désormais la maladie de Parkinson, comme conséquence de l'exposition aux pesticides. On a ainsi avancé sur la réparation comme sur la prévention.
M. Marc Mortureux. - L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a prévu une audition contradictoire du professeur Séralini, le 20 novembre prochain. Nous y participerons.
Notre collaboration avec l'Inra est fructueuse sur tous ces sujets. Néanmoins, nous ne sommes pas donneur d'ordre vis-à-vis de lui. Nous discutons ensemble. Le président de l'Institut a rappelé récemment que la réalisation d'études de grande envergure n'est pas du ressort de son institution. Cela étant dit, nous devons éviter de tous nous renvoyer la balle - et éviter aussi la duplication des expertises. Nous poussons à des études à l'échelle européenne.
M. Martial Bourquin. - Vous n'avez pas répondu sur l'étude publiée par l'université britannique d'Aston.
M. Gérard Lasfargues. - Nous avons commencé, à l'Anses, à évaluer les polyexpositions. Par exemple, lorsqu'il existe deux substances actives dans une même préparation, nous analysons leurs effets séparés ainsi que leurs effets conjoints. Nous militons au niveau européen pour que ces polyexpositions soient prises en compte, ce qui n'est pas encore le cas.
M. Daniel Raoul, président. - Si vous détectez un problème sérieux, vous ne pouvez imposer des études aux autres établissements, l'Inserm, Inra,... Quel parcours la prise de décision peut-elle emprunter ?
M. Marc Mortureux. - Nous émettons des recommandations de recherche, qui sont parfois rendues publiques, puis portées dans le système des alliances. Nous avons en effet des liens avec l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) et l'Alliance nationale pour l'environnement (AllEnvi) notamment. Nous avons des relations avec l'ANR. Mais nos échelles de temps sont différentes et nous réfléchissons à des mécanismes de mobilisation plus rapides. Nous disposons d'un certain montant de crédits destinés à soutenir des projets de recherche de taille modeste, de l'ordre de 200 000 euros. Des études sur l'effet cocktail en ont bénéficié. Enfin, nous pouvons alerter les ministères ou les autorités compétentes au niveau européen. Le modèle en la matière est américain, qui organise les liens inter-agences au niveau fédéral.
M. Daniel Raoul, président. - Vous pourriez avoir un droit de tirage sur les programmes de recherche de l'ANR...
M. Raymond Vall, président. - Il nous faut travailler à deux niveaux essentiels. A l'échelle européenne, car il est ridicule de financer des études redondantes. Au niveau du ministère de la santé, qui doit, lorsque l'alerte est donnée, prendre ses responsabilités, c'est-à-dire considérer les rapports de l'Anses, débloquer les financements nécessaires pour faire face à la situation, organiser la coordination d'un réseau d'action européen.
M. Daniel Raoul, président. - Nous vous remercions.
- Présidence de M. Raymond Vall, président -
Principe de participation du public - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission procède à l'examen du rapport et du texte sur le projet de loi n° 7 (2012-2013) relatif à la mise en oeuvre du principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement (procédure accélérée engagée).
M. Raymond Vall, président. - Le principe de participation du public en matière d'environnement doit être clarifié. Tel est l'objet du projet de loi qui nous est soumis et qui fait l'objet d'une procédure accélérée.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Le projet de loi relatif à la mise en oeuvre du principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement a été déposé le 3 octobre 2012 sur le bureau de notre assemblée, après avoir été soumis à consultation du public du 11 au 24 septembre, conformément au principe qu'il entend mettre en oeuvre.
Une Feuille de route pour la transition écologique a été établie à l'issue de la conférence environnementale, qui appelle à une participation effective du public dans la mise en oeuvre et le suivi des politiques. Tirant les conclusions de quatre décisions de censure du Conseil constitutionnel, ce projet de loi a pour but de définir les conditions et les limites de la participation du public aux décisions ayant une incidence sur l'environnement.
Le principe de participation du public provient du droit international. La déclaration de Rio de 1992 a énoncé que « la meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens au niveau qui convient ». La Convention d'Aarhus, signée le 25 juin 1998 par la France, vise à garantir le droit à l'information des citoyens en matière environnementale, leur participation au processus décisionnel, leur accès à la justice.
De nombreux États ont mis en oeuvre ce principe. Les États-Unis font figure de modèle, bien qu'ils ne soient pas exemplaires en matière de respect de l'environnement. L'Administrative procedure act de 1946 prévoit une procédure extrêmement détaillée, s'appliquant à la majorité des textes réglementaires. Au Québec, un Bureau d'audiences publiques permet, depuis 1978, de consulter la population sur les dossiers relatifs à l'environnement et les projets d'infrastructures.
En France, la consécration du principe de participation est intervenue en 2004 avec l'adoption de la Charte de l'environnement, adossée en 2005 à la Constitution. Dans son article 7, la Charte dispose que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. » Cette disposition a été codifiée, à l'occasion de la loi Grenelle II, à l'article L. 120-1 du code de l'environnement. Cet article s'applique quand aucun autre dispositif n'est prévu, une enquête publique par exemple.
Les décisions ayant « une incidence directe et significative sur l'environnement » sont soumises à participation. Si la saisine d'un organisme consultatif est obligatoire, le projet de décision fait l'objet d'une publication, avant d'être transmis à cet organisme. Quand aucun avis n'est requis, le projet de décision est publié par voie électronique et le public formule ses observations.
A l'occasion de l'examen de questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a jugé non conformes à la Constitution quatre dispositifs spécifiques prévus dans le code de l'environnement et similaires à celui de l'article L. 120-1. Le Conseil a estimé que les décisions individuelles devaient, au même titre que les décisions réglementaires et les décisions d'espèce, faire l'objet d'une participation du public. L'abrogation des dispositions concernées interviendra au 1er janvier et au 1er septembre 2013. Une autre décision du Conseil devrait intervenir en novembre, portant cette fois directement sur la constitutionnalité de l'article L. 120-1.
C'est dans ce cadre contraint que nous travaillons. Que cela ne nous empêche pas de proposer des modalités d'application faisant vivre pleinement le principe de participation !
L'article 1er réécrit l'article L. 120-1, anticipant la décision à venir du Conseil constitutionnel. Son champ d'application, limité actuellement aux seules décisions réglementaires de l'État et de ses établissements publics, est étendu à l'ensemble des décisions autres qu'individuelles. Le critère d'incidence directe et significative sur l'environnement est abandonné, ce qui constitue une réelle avancée. Une procédure de recueil direct des observations du public devra être suivie, avec publication par l'administration d'une synthèse des observations reçues.
Je vous proposerai d'adopter sept amendements sur ce premier article, pour en renforcer la portée, rappeler les objectifs et les principes de la participation du public afin de bien faire comprendre l'intérêt de la réforme, préciser le contenu de la note technique jointe au projet de décision, modifier les délais de transmission des observations - avec le souci de n'exclure aucun citoyen -, prévoir la publicité des observations, comme c'est l'usage aux Etats-Unis, rendre la participation plus efficace et plus transparente, mieux articuler consultation d'un organe collégial consultatif et participation du public, assurer la prise en considération des observations par l'administration, enfin, préciser les critères de dispense de participation, ou au moins de contraction du délai, en cas d'urgence.
Les articles 2 et 3 mettent le droit des installations classées en conformité avec la Constitution. Les dispositions de l'article L. 120-1 leur deviendront applicables. Je vous proposerai un article additionnel après l'article 2, afin de tirer les leçons des censures du Conseil constitutionnel en matière de canalisations de transport d'hydrocarbures et de produits chimiques et de plans de prévention des risques naturels prévisibles, deux volets oubliés dans le projet de loi.
L'article 4 met en conformité avec la Constitution l'article L. 211-3 du code de l'environnement relatif aux zones d'alimentation des captages d'eau potable et aux zones d'érosion.
Je vous proposerai un article additionnel après cet article 4, dans le but d'aménager la composition des comités régionaux des trames verte et bleue pour y intégrer les gestionnaires d'espaces naturels, les représentants des usagers de la nature, l'État et ses établissements publics, ou encore les organismes de recherche. L'article 5 modifie l'article L. 914-3 du code rural et de la pêche maritime pour assurer la cohérence avec l'article L. 120-1.
L'article 6 module l'entrée en vigueur du nouveau dispositif. Le texte prendra effet au 1er janvier 2013, sauf pour les décisions qui ont déjà donné lieu à participation du public en application des articles L. 120-1 du code de l'environnement et L. 914-3 du code rural. C'est une solution de sagesse, afin de ne pas obliger les autorités à réitérer la procédure de participation.
Enfin, l'article 7 habilite le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour prévoir la participation du public aux décisions qui ne sont pas mentionnées à l'article L. 120-1 - décisions des collectivités territoriales et des autorités administratives indépendantes, décisions individuelles. Pour celles-ci, une modulation des exigences sera nécessaire. Le Gouvernement a conscience du paradoxe qu'il y a à légiférer par ordonnance sur un tel sujet. Mais le Conseil constitutionnel ayant fixé la date limite de mise en conformité au 1er septembre 2013, cette solution apparaît la meilleure. Elle garantira la concertation la plus large avec les collectivités locales et leurs représentants.
Bien que ce texte soit né d'une sanction du Conseil constitutionnel, il n'en constitue pas moins une opportunité pour rendre pleinement effectif le principe fondamental de participation du public. Avec ce texte, nous ferons, je l'espère, un pas de plus vers la mise en place d'une véritable démocratie environnementale. Les délais sont courts, mais imposés par le Conseil constitutionnel. Espérons qu'il ne les censurera pas...
M. Michel Teston. - Je partage la position de Mme la rapporteure. Une question prioritaire de constitutionnalité a été posée. Le Conseil constitutionnel, cohérent avec sa jurisprudence, abrogera sans doute l'article L. 120-1. Anticipons cette censure par une nouvelle rédaction, qui élargit le champ de la participation.
M. Henri Tandonnet. - La distinction, artificielle, entre décisions réglementaires et décisions individuelles, et ce pour permettre au gouvernement de légiférer par ordonnance sur ces dernières, est une très mauvaise méthode. Au moment de prévoir la consultation du public, on exclut le Parlement ! La différence entre décisions individuelles et décisions réglementaires est difficile à établir, d'autant que le Conseil constitutionnel y ajoute une catégorie supplémentaire, les décisions d'espèce.
Certaines décisions, en outre, n'appartiennent à aucune catégorie. Mieux vaut parler de décisions publiques ayant une incidence environnementale. D'où mon amendement n°1 qui inclut les décisions individuelles dans le champ du dispositif de participation.
L'article L. 120-2 ne concerne pas des décisions individuelles, comme votre formulation étrange le laisse penser, mais vise des décisions réglementaires, puisqu'il est question de plans, de programmes, etc. Nous partons sur de mauvaises bases. Or, chacun le sait : mal parti, mal arrivé.
Mme Évelyne Didier. - Il faut du temps pour qu'une lettre envoyée par la poste nous parvienne. Il faut du temps pour que chacun soit disponible pour participer à une consultation. Je plaide pour un allongement de certains délais.
Nous devons garantir l'effectivité de la participation. Donnons la possibilité aux citoyens de s'approprier la consultation, laissons-leur le temps de participer, employons un vocabulaire simple - la démocratie est l'art de se mettre à la portée de tous.
Ce texte, examiné dans l'urgence, n'est sans doute pas l'ultima verba, mais nous avançons dans la bonne direction.
M. Louis Nègre. - Le mieux est parfois l'ennemi du bien. Dans mon département, la réalisation d'une ferme photovoltaïque a demandé quatre ans de procédures, pour quatre mois de travaux... Je crains avec ces amendements un alourdissement des démarches ou des délais, déjà très longs et préjudiciables à la démocratie. L'affichage en mairie est nécessaire, mais, de grâce, n'allongeons pas inutilement les délais.
M. Ronan Dantec. - Nous avons l'occasion de progresser d'un cran vers plus de démocratie - en cela nous avons des marges de progression... Le public ne doit pas se sentir dépossédé du débat. Mme Didier a raison, un délai de quinze jours est trop court. M. Nègre parle d'un autre sujet, l'empilement des procédures. C'est cela qui crée les difficultés, non une consultation du public. Il manque un garant dans la procédure, une autorité indépendante, validant son bon déroulement, afin de limiter les risques de recours.
Les délais ne sont pas satisfaisants. Nous proposerons des amendements en séance. En outre, si le gouvernement demande une habilitation, il devra nous donner des engagements forts, voire recourir à un texte-cadre suivi de décrets. Certes il y a urgence à mettre le système en cohérence, mais donnons-nous le temps de le faire.
M. Roland Ries. - L'empilement des procédures complique la décision publique. Associer les citoyens à la réflexion, oui, mais c'est ensuite aux élus de décider. Ne rendons pas leur tâche plus difficile encore. Dans les grands projets, la réalisation proprement dite est bien plus courte que le travail de préparation, de consultation, de concertation, de traitement des recours, etc.
La concertation avec les collectivités est essentielle pour définir les modalités de la participation du public sur les projets les concernant. Quel en sera le calendrier ? Evitons l'incontinence normative et procédurale, source de blocages.
M. Hervé Maurey. - Il faut donner du temps au temps, disait François Mitterrand, avant Mme Didier. Or tous les textes que le gouvernement nous a soumis depuis la rentrée sont examinés en procédure accélérée ! Certes le Conseil constitutionnel nous fixe le 1er janvier 2013 comme date butoir, mais sur ce texte court, il y a moyen de mener à son terme une discussion parlementaire. Quant aux décisions individuelles, pour lesquelles le gouvernement demande une habilitation, le délai est plus lointain, 1er septembre 2013. Dans tous les cas, même si nous sommes un peu en retard sur ces échéances, ce ne sera pas très grave... On prétend donner plus de temps au public pour s'exprimer mais le Parlement, lui, est prié de se dépêcher. Le temps de la concertation doit être suffisant sans être dilatoire ni source de blocage, car les projets sont de plus en plus longs à aboutir.
Mme Évelyne Didier. - En tant que maire je connais ces difficultés et ne souhaite pas les aggraver. Mes amendements s'inscrivent dans la continuité des travaux de notre rapporteure.
M. Philippe Esnol. - Une concertation bien menée en amont évite des déboires en aval. De grands projets lancés par l'État peuvent être bloqués faute de consensus. La loi concerne-t-elle aussi ceux portés par les collectivités territoriales ?
M. Raymond Vall, président. - Tous.
M. Jean-Luc Fichet. - Une concertation bâclée, c'est une perte de temps. Sur les grands projets, les recours devant le tribunal administratif sont devenus systématiques. Mais à quel moment la concertation sera-t-elle considérée comme achevée ? Qu'ajoute le texte aux procédures de concertation existantes ?
M. Henri Tandonnet. - Il ne s'agit pas ici de la concertation en amont sur les projets mais de la participation aux décisions publiques. La seconde procédure suit la première.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - La consultation est une condition de la légalité des décisions. L'objet du texte est de garantir la participation du public, principe de valeur constitutionnelle inscrit dans la Charte de l'environnement. Il faut nous prémunir contre le risque d'impuissance de l'action administrative, et éviter de multiplier les occasions de contentieux.
Sur la procédure accélérée, est-ce la faute du gouvernement actuel si le Grenelle II a été censuré par le Conseil constitutionnel, nous forçant à prendre des décisions en l'espace de deux mois ? Monsieur Maurey, partageons le fardeau de la responsabilité...
M. Hervé Maurey. - Soit.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Le texte vise uniquement les actes administratifs non soumis à d'autres opérations de consultation, enquête publique, commission nationale du débat public, etc. Le texte ne crée donc pas d'empilement. Quatre types de décisions sont concernées : celles de l'État, celles des collectivités territoriales, les décisions individuelles, dont l'exclusion du champ de la participation par la loi Grenelle II a provoqué la censure par le Conseil constitutionnel, et les décisions d'espèce - nouveauté en droit administratif - sans portée générale, limitées à un dossier mais non individuelles. L'article 1er concerne les décisions de l'État ou de ses établissements publics ainsi que les décisions d'espèce, l'article 7 les décisions individuelles et les décisions des collectivités locales.
M. Ronan Dantec. - Qu'est-ce qu'une décision individuelle ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Elle s'applique à une personne physique ou morale particulière.
M. Stéphane Mazars. - Une autorisation, un permis de construire,...
Mme Évelyne Didier. - Un permis d'exploiter, aussi !
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Oui. Mais on ne parviendra pas par le biais du présent projet de loi à réformer le code minier...
M. Henri Tandonnet. - Si le régime juridique varie en fonction des catégories de décisions alors qu'il n'est pas toujours aisé de les distinguer, l'incertitude juridique va régner.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - C'est tout le contraire ! Ne pas distinguer entre les décisions selon leur portée, aligner toutes les procédures sur la forme la plus exigeante serait source de paralysie. Des milliers de décisions quotidiennes sont en jeu. Le texte module le degré d'exigence. Le renvoi à une ordonnance pour les décisions individuelles et des collectivités territoriales donnera du temps au Gouvernement pour élaborer les procédures les plus adaptées, en concertation avec les collectivités. Le Parlement n'est pas dépossédé, il se prononcera sur la loi de ratification. Le Gouvernement a proposé de venir discuter du projet d'ordonnance devant notre commission, conscient de l'expertise sénatoriale en matière de collectivités territoriales.
Mme Évelyne Didier. - Des décisions ayant un fort impact sur l'environnement et sur une population ne sauraient être prises sans information ni consultation du public. Dans notre bassin lorrain, j'ai appris les projets d'enfouissement du CO2 ou d'exploration des réserves de gaz de schiste par une association écologiste. A la préfecture, on m'a répondu que les autorisations avaient été publiées et que je n'avais qu'à les lire.
Même si je n'aime pas le recours aux ordonnances, je suis hostile à l'idée de soumettre toutes les décisions à une même procédure. Nous resterons vigilants.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Dans votre exemple, c'est justement parce qu'il s'agissait d'une décision individuelle qu'elle a pu être prise sans information des collectivités locales. M. Maurey croit qu'il ne serait pas grave de prendre un peu de retard. Au-delà des dates citées, toute décision administrative serait frappée de nullité, si nous ne votions pas un texte.
M. Raymond Vall, président. - Pouvons-nous aboutir à une rédaction consensuelle ?
M. Hervé Maurey. - Je ne veux rien bloquer. Nous comprenons les exigences constitutionnelles et la nécessité de distinguer différentes catégories de décision. Mais plutôt que le recours aux ordonnances pour les décisions individuelles, nous souhaitons le vote d'une loi par le Parlement. Les lois de ratification sont rarement rejetées, elles sont à prendre ou à laisser.
M. Henri Tandonnet. - Je propose de retirer l'amendement n°1 si la commission accepte notre amendement supprimant l'article 7.
M. Roland Ries. - La distinction entre décisions générales et particulières n'est pas toujours aisée : un permis de construire mêle ainsi des décisions réglementaires et individuelles. Il y a des interpénétrations.
M. Stéphane Mazars. - Il s'agit d'une distinction élémentaire en droit public. Les décisions réglementaires s'appliquent à tous tandis que les décisions individuelles s'appliquent à un particulier.
M. Raymond Vall, président - Mais si un particulier souhaite ouvrir une carrière sur sa propriété ? La procédure n'est pas encadrée, alors que l'environnement est touché.
M. Stéphane Mazars. - Le texte ne sera applicable qu'en l'absence de procédures déjà existantes. Autant dire qu'il s'agit de cas marginaux.
M. Raymond Vall, président. - Comme l'installation d'un élevage de 15 000 poulets, avec de multiples conséquences sur l'environnement.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Le texte ne comporte aucune innovation juridique, mais se fonde sur des catégories bien établies en droit public. Peu de cas échappent à l'heure actuelle à toute procédure, même si se posent des problèmes d'information. L'implantation d'une étable de 1000 bêtes passe par des procédures très compliquées. Mais la question est : comment le public est-il informé ?
Si le Conseil constitutionnel distingue plusieurs types de décisions, elles ne peuvent être traitées pareillement.
M. Henri Tandonnet. - L'habilitation du gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance vise l'article L. 120-2. Décisions individuelles, dites-vous ? Or cet article mentionne des plans, des programmes. Il vise donc bien des décisions à portée générale. De plus, les décisions d'espèce sont définies comme ne revêtant ni le caractère de décision individuelle ni de décision réglementaire : un classement de site, par exemple, ou une préemption. Elles ont donc une portée générale. D'où des difficultés.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Cet article évite l'empilement des procédures.
M. Jean-Jacques Filleul. - Le texte a simplement pour objet d'organiser des procédures de participation du public sur les décisions individuelles qui ont un impact en matière d'environnement. C'est un progrès. Dédramatisons cette affaire !
M. Henri Tandonnet. - Nous avons le temps. Profitons-en pour mener à bien une concertation sur ce sujet qui concerne les collectivités locales.
M. Jean-Jacques Filleul. - Les procédures dans lesquelles n'est pas prévue une consultation sont rares. Ce sont celles-là qui sont visées par le texte.
Examen des articles
M. Henri Tandonnet. - Je retire l'amendement n°1, mais maintiens l'amendement n° 2 supprimant l'article 7.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - L'amendement n° 9 vise à donner un peu de chair à l'article 1er, en rappelant les grands principes et objectifs de la participation du public.
M. Hervé Maurey. - La dernière phrase de l'amendement, « les autorités publiques concernées tiennent compte des résultats de la participation », ouvre la voie à de nombreux contentieux, allonge les procédures et fragilise le dispositif.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Cet amendement est cohérent avec un autre qui visera à renforcer la notion de « tenir compte ». Il ne faut pas que le public ait le sentiment de s'exprimer sans être entendu, ce serait une source de frustration.
M. Hervé Maurey. - Telle association ira se plaindre aux tribunaux que l'on n'a pas pris ses observations en compte...
M. Henri Tandonnet. - Des modalités de la participation « proportionnées à la complexité » des décisions, voilà qui va nourrir également un contentieux abondant. L'amendement n'apporte rien.
M. Stéphane Mazars. - Je partage cet avis. Ces dispositions créent un risque de contentieux sans apporter grand-chose au texte : « complexité », « incidences sur l'environnement » sont des notions floues.
Mme Évelyne Didier. - Lorsque les concepts sont flous, moins la loi est bavarde, mieux c'est.
M. Raymond Vall, président. - Supprimons les deux dernières phrases.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Cette suppression, qui affaiblit le dispositif de participation, réjouira l'administration.
M. Stéphane Mazars. - Notre souci premier doit être la sécurité juridique.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - La formulation « tient compte » ne lie pas l'administration. Mais si l'on ne précise pas comment le public sera entendu, il n'y a plus de participation, seulement une expression.
M. Raymond Vall, président. - Il ne faudrait pas retarder les procédures ni affaiblir le texte.
M. Michel Teston. - Supprimons ces deux phrases, car la même idée figure dans l'amendement n° 14.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Soit.
L'amendement n° 9 rectifié est adopté.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - L'amendement n° 10 renforce la phase de l'information, préalable à la participation. Une note non technique, « rappelant le contexte de la décision », doit accompagner les projets de décisions pour en expliquer les enjeux en langage compréhensible.
Mme Évelyne Didier. - De même, avant toute réunion de conseil municipal, les élus reçoivent une note de synthèse explicitant le sens des mesures proposées à leur vote.
L'amendement n° 10 est adopté.
Mme Évelyne Didier. - L'amendement n° 3 prévoit que les projets de décisions font l'objet d'un affichage dans les mairies concernées et en préfecture. Il s'agit d'attirer l'attention du public, non d'afficher tout le document.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Le texte concerne également les décisions de l'État ou de ses établissements publics. Ajoutons la mention « le cas échéant ».
Mme Évelyne Didier. - Prévoyons un affichage dans les mairies « concernées ».
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Cela susciterait des contentieux.
M. Stéphane Mazars. - Il est difficile de définir le périmètre des textes réglementaires.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Peut-être « le cas échéant en préfecture ou en mairie » ? Car toutes les décisions ne sont pas territorialisées.
M. Raymond Vall, président. - Ou alors : « dans les préfectures ou mairies concernées territorialement » ?
M. Jean-Luc Fichet. - On a vu des PLU annulés pour un simple défaut d'affichage.
M. Michel Teston. - Je propose : « en tant que de besoin ».
Mme Évelyne Didier. - Je retire l'amendement et le proposerai en séance dans une meilleure rédaction.
Mme Évelyne Didier. - L'information du public par la seule voie électronique n'est pas suffisante car de nombreuses personnes ne disposent pas d'internet. L'amendement n°8 prévoit que l'intégralité du dossier puisse être consultée dans un lieu physique, sur version papier ou sur ordinateur.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Cet amendement crée une obligation de présentation matérielle, nouvelle condition de légalité. Si le texte concerne un périmètre territorial bien défini, soit, mais qu'en est-il des circulaires ou règlements à portée nationale ? Où devront-ils être consultables ? Le risque d'annulation contentieuse est élevé.
Mme Évelyne Didier. - La note doit être rendue accessible au public. Je me borne à ajouter, dans les modalités, la consultation dans un lieu physique.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Mais où ? C'est tout le problème.
M. Philippe Esnol. - Ceux qui n'ont pas internet ne seront pas informés.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - On informe plus de gens par internet qu'en placardant une affiche sur le mur de la préfecture, à 70 kilomètres de là où vivent les intéressés.
M. Henri Tandonnet. - La formulation du projet de loi est la bonne. L'article 7 de la Charte de l'environnement laisse le soin au législateur de fixer les conditions et les limites dans lesquelles chacun a droit d'accéder aux informations. Nous sommes au vingt-et-unième siècle ! Si l'on n'a pas internet chez soi, on peut aller à la mairie.
Mme Évelyne Didier. - Soit : je suis convaincue. Je retire l'amendement.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Nous pourrons tout de même interroger le Gouvernement sur cette question.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Pour ceux qui n'ont pas accès à internet, des documents imprimés circuleront. En revanche, tout le monde n'a pas d'adresse électronique, ne sait pas taper sur un clavier : le public doit être en mesure d'adresser ses observations par voie postale. Pour tenir compte des délais d'acheminement du courrier, je propose dans l'amendement n° 14 de fixer un délai minimal de quinze jours pour le courrier postal et de vingt-et-un jours pour le courrier électronique, faute de quoi nous nous exposerions à des contentieux.
M. Hervé Maurey. - Ne faudrait-il pas plutôt l'inverse ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Non : si le délai est de vingt-et-un jours pour tout le monde, les courriers postés la veille de son expiration n'arriveront qu'après. Il faut donc fixer un délai plus court pour adresser ses observations par voie postale.
Pourquoi vingt-et-un jours plutôt que trente, comme Evelyne Didier le propose dans l'amendement n°4 ? Parce que je vous proposerai plus loin un amendement prévoyant que la synthèse des observations du public est transmise aux organismes consultatifs compétents avant que ceux-ci ne rendent leur avis, afin qu'ils puissent en tirer profit. N'allongeons donc pas trop les délais, sinon la procédure risque de durer trois mois.
M. Philippe Esnol. - Je comprends mal la rédaction : pourquoi écrire que le délai « ne peut être inférieur à quinze jours » ?
Mme Évelyne Didier. - Quinze jours pour le courrier postal, c'est court. Les lettres qui me sont envoyées de la commune voisine mettent trois jours à me parvenir !
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Le texte impose à l'administration un délai minimal, sans fixer de délai maximal - son intérêt est que ses projets aboutissent sans tarder. Rien ne lui interdit d'accorder un délai plus long.
M. Hervé Maurey. - Trente jours, c'est trop long. N'ai-je pas entendu plusieurs d'entre vous appeler à ne pas trop accroître la durée des procédures ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - En effet, du point de vue de l'administration, trente jours, c'est beaucoup. Ne l'incitons pas à recourir trop souvent à l'urgence.
Mme Évelyne Didier. - La célérité de l'administration ne m'était pas apparue...
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Portons si vous le souhaitez le délai à vingt-et-un jours par voie postale et trente jours par voie électronique - je rectifie l'amendement n°11 en ce sens - et laissons le Gouvernement nous exposer toutes les bonnes raisons pour lesquelles il faut aller plus vite.
L'amendement n° 4 est retiré.
L'amendement n° 11 rectifié est adopté.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Mon amendement n° 12, très important, impose que les observations de chacun soient consultables par tout le monde. Ainsi la participation ne sera pas seulement verticale, entre les particuliers et l'administration, mais aussi horizontale.
L'amendement n° 12 est adopté.
Mme Évelyne Didier. - Le délai de quatre jours à compter de la clôture de la consultation, que doit observer l'administration avant de rendre sa décision, me paraît trop court : mon amendement n° 5 le porte à une semaine.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - J'ai évoqué la question avec le ministère. La plupart des projets de décisions ne donnent lieu à aucune observation, il n'est donc pas nécessaire d'attendre plus longtemps. Cependant, ce n'est qu'un délai minimal. L'administration ne pourra de toute façon rendre sa décision qu'après avoir fait la synthèse des observations du public, s'il y en a.
Mme Évelyne Didier. - Les municipalités doivent être informées des projets de décisions qui les concernent. Ma commune de Conflans-en-Jarnisy était située dans un périmètre d'exploration des réserves de gaz de schiste et nous ne le savions pas ! Il suffit d'une lettre simple, invitant à consulter le site du ministère. Laissons aussi aux conseils municipaux le temps de se réunir, car ceux des petites communes ne le font pas chaque semaine, loin s'en faut. Tel est l'objet de l'amendement n° 7.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Votre préoccupation est juste et fondée sur l'expérience, mais on ne pas généraliser cette mesure, l'imposer pour n'importe quel arrêté préfectoral : il faut qualifier les projets concernés. Je vous propose de redéposer cet amendement en séance, afin que le Gouvernement trouve une rédaction satisfaisante.
Mme Évelyne Didier. - D'accord, à condition d'avoir votre soutien.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Vous pouvez y compter. La chose n'est pas simple : on ne peut demander à une secrétaire de mairie qui travaille deux demi-journées par semaine d'examiner tous les projets d'arrêtés pour voir s'ils méritent ou non une réunion du conseil municipal.
M. Ronan Dantec. - L'Etat doit prendre l'habitude d'envoyer aux collectivités tout projet de décision les concernant, sans décider à leur place de ce qui est important ou non. Un courriel peut suffire. Les municipalités trieront, disposeront d'un délai pour se prononcer, et dans neuf cas sur dix ne donneront aucune suite. Je préférerais que nous votions l'amendement, afin d'obliger le Gouvernement à prendre position.
M. Jean-Jacques Filleul. - Moi aussi.
M. Raymond Vall, président. - Soit, mais n'en faisons pas un motif de blocage.
Mme Évelyne Didier. - Je suis prête à réduire le délai à trois semaines.
M. Henri Tandonnet. - Cela me paraît exclu : on donne trente jours au public, peut-on en donner moins aux conseils municipaux ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Evitons cependant que les délais s'ajoutent les uns aux autres.
Mme Évelyne Didier. - Les procédures de consultation peuvent se poursuivre parallèlement.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Mon amendement n° 13 oblige à transmettre les observations du public aux organismes consultés, afin que les procédures ne soient pas étanches. Le public peut avoir des choses intéressantes à dire.
L'amendement n° 13 est adopté.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - L'administration devra assortir sa décision définitive d'une synthèse des observations du public. Evelyne Didier réclame, par l'amendement n° 6, qu'elle motive sa décision. C'est un sujet délicat. La loi de 1979 impose à l'administration de motiver toute décision individuelle défavorable ; elle n'a pas à le faire dans les autres cas, même si elle peut y être amenée en cas de recours pour excès de pouvoir. Il serait déraisonnable de bouleverser ces règles au détour de ce projet de loi.
Cependant, mon amendement n° 14 fait un pas dans votre sens en exigeant que la synthèse fournie par l'administration indique les observations dont elle a tenu compte.
M. Raymond Vall, président. - L'Etat reconnaîtra ainsi les résultats de la concertation.
M. Henri Tandonnet. - L'amendement de la rapporteure nous ferait franchir un cap, puisqu'il impose bien une forme de motivation. L'administration ne devra-t-elle pas alors se justifier de n'avoir pas tenu compte des autres observations ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Non, car la loi ne le prescrira pas.
M. Ronan Dantec. - Les observations dont il est tenu compte... C'est un peu dangereux. Je propose que l'on fasse la synthèse des observations.
Mme Évelyne Didier. - Le projet de loi prévoit déjà cette synthèse et personne ne la supprime.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Je maintiens mon amendement. Cette proposition ne crée pas d'obligation lourde pour l'administration : on lui demande simplement d'indiquer les observations dont elle a tenu compte, pas de s'expliquer sur les autres. La question du contentieux ne se pose pas. C'est un premier texte, mais nos ambitions en matière de participation du public sont plus grandes pour l'avenir.
M. Ronan Dantec. - Je propose un amendement différent : « la synthèse des observations indique la manière dont les observations du public ont été prises en compte ». En l'état, le texte prévoit de mentionner ce dont il a été tenu compte, et il occulte le reste. Il faut une synthèse globale !
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Si la décision change en cours de procédure de participation, l'administration dira simplement ce qui a fait évoluer sa position. Dans le cas contraire, elle n'a pas d'obligation de se justifier.
M. Michel Teston. - La rapporteure a expliqué les raisons de fond. J'y ajoute des raisons de forme : lors de l'examen du deuxième amendement, on a apporté des modifications et supprimé certaines dispositions au motif qu'on les reprendrait à l'amendement n° 14. Nous y sommes !
M. Raymond Vall, président. - Même si la ligne directrice de la commission consistait à ne pas trop allonger les délais, cela me paraît justifié.
Mme Évelyne Didier. - L'amendement de la rapporteure est intéressant car il consiste à ne retenir que les éléments positifs. En outre, il nous permettra d'évaluer le nombre de décisions dans lesquelles il a été tenu compte des remarques du public.
M. Jean-Jacques Filleul. - Je suis d'accord. Il est bon d'informer ainsi le public des suites.
M. Raymond Vall, président. - Donner le sentiment de mettre des contributions à la poubelle serait méprisant. L'information sera de nature à calmer ceux qui espéraient voir retenues toutes leurs observations.
L'amendement n° 14 est adopté.
L'amendement n° 6 devient sans objet.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Le III de l'article L. 120-1 offre la possibilité de contourner l'étape de la participation en cas d'urgence. C'est indispensable : le préfet ne peut pas toujours attendre un mois pour prendre une décision. L'amendement n° 15 est un amendement de précision, pour qu'il n'y ait pas, entre les deux alinéas où le mot est employé, élargissement des critères de l'urgence.
L'amendement n° 15 est adopté.
L'article 1 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 2 est adopté sans modification.
Article additionnel après l'article 2
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Cet amendement tire les conséquences des décisions du Conseil constitutionnel et rend applicable la procédure de participation aux dispositions du code de l'environnement relatives aux canalisations de transport et aux plans de prévention des risques naturels prévisibles.
L'amendement n° 16 est adopté et devient article additionnel.
Les articles 3 et 4 sont adoptés sans modification.
Article additionnel après l'article 4
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - L'amendement n° 17 met les comités trames verte et bleue en conformité avec le nouveau projet de loi.
Mme Évelyne Didier. - Est-ce un cavalier ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Non, c'est un article additionnel exclusivement consacré à la participation du public dans les comités trames verte et bleue, en musclant leur composition. Dans sa rédaction actuelle en effet, le code de l'environnement prévoit une liste limitative de membres qui n'inclut pas plusieurs parties prenantes, comme les représentants des gestionnaires d'espaces naturels, des propriétaires et usagers de la nature, de l'État et de ses établissements publics, de la communauté scientifique, d'organismes de recherche, d'études ou d'appui aux politiques publiques et des personnalités qualifiées.
L'amendement n° 17 est adopté et devient article additionnel.
Les articles 5 et 6 sont adoptés sans modification.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - L'amendement n° 2 de notre collègue Tandonnet tend à supprimer la possibilité pour le gouvernement de légiférer par ordonnance.
Mme Évelyne Didier. - Nous aurions eu le temps de faire une loi d'ici septembre 2013...
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - J'attire votre attention sur l'étape de consultation des collectivités territoriales. Si jamais, pour des raisons de calendrier parlementaire, cette deuxième loi n'était pas adoptée dans les délais, vous seriez le 1er septembre dans une situation difficile.
L'amendement n° 2 est rejeté.
L'article 7 est adopté sans modification.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.