Mercredi 18 juillet 2012
- Présidence de M. Philippe Marini, président, puis de Mme Michèle André, vice-présidente -Mise en oeuvre des investissements financés par l'emprunt national - Audition de M. Louis Gallois, commissaire général à l'investissement et de M. Philippe Bouyoux, commissaire général adjoint
La commission procède tout d'abord à l'audition de M. Louis Gallois, commissaire général à l'investissement, et de M. Phlippe Bouyoux, commissaire général adjoint, sur la mise en oeuvre des investissements financés par l'emprunt national.
M. Philippe Marini, président. - Nous entamons cette matinée consacrée à l'innovation et à la recherche par l'audition de M. Louis Gallois, commissaire général à l'investissement. La commission des finances est très attentive à la mise en oeuvre des investissements d'avenir. Avant même le dernier renouvellement sénatorial, Jean Arthuis et moi-même avons tenté d'en comprendre la mécanique assez complexe, procédé à des auditions régulières et au suivi des crédits ; la commission a également été saisie des projets de conventions entre l'Etat et les opérateurs. Nous avions plusieurs fois transmis des observations au Premier ministre, et j'ai fait de même avec Mme Bricq depuis le mois d'octobre : nos constats étaient souvent les mêmes, et le Premier ministre d'alors a souvent tenu compte de nos remarques.
Monsieur le commissaire général, pouvez-vous faire le point sur les engagements, mais aussi sur les décaissements ? Certains bénéficiaires se plaignent de retards. La commission des finances, pour sa part, n'est jamais pressée de dépenser... Quels nouveaux chantiers vous attendent-ils ?
M. Louis Gallois, commissaire général à l'investissement. - Je suis très heureux d'avoir l'occasion de m'exprimer devant vous en qualité de commissaire général à l'investissement, si peu de temps après ma prise de fonctions. J'ai trouvé au commissariat général une équipe restreinte de très grande qualité, et je rends hommage à mon prédécesseur René Ricol pour le travail innovant que ses collaborateurs et lui-même ont accompli. Les initiatives d'excellence (IDEX), par exemple, ont encouragé un regroupement très fructueux entre grandes écoles, universités et centres de recherche.
Les chiffres figurent dans les documents que je vous ai transmis. A la fin juin, 27 milliards d'euros sur 35 milliards avaient été affectés à des projets identifiés, dont environ 15 milliards de dotations non consommables, qui resteront acquises à leurs attributaires - par exemple les IDEX - et leur rapporteront chaque année des intérêts. D'ici à la fin de l'année, entre 29 et 30 milliards d'euros devraient avoir été engagés. Quant aux décaissements, ils ne sont pas l'élément le plus significatif, car, outre le fait que certaines sommes allouées ne sont pas destinées à être dépensées - comme les dotations non consommables -, notre rôle n'est pas de mettre en oeuvre un plan de relance mais de soutenir l'innovation, la recherche et, par là, le redressement productif.
M. Philippe Marini, président. - Notion nouvelle !
M. Louis Gallois. - Je l'ai employée à dessein, mais on peut aussi parler, si vous préférez, de soutien au tissu industriel.
Quels enseignements tirer des deux ans et demi écoulés ? L'année 2010-2011 fut consacrée à la sélection des projets, 2011 et les premiers mois de 2012 à la mobilisation des acteurs en vue de la contractualisation. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et l'Agence nationale de la recherche (ANR) ont été chargées de contracter avec de très nombreuses entités, ce dont elles n'avaient pas l'habitude. Sans doute faut-il accélérer les choses, en soutenant et en stimulant les opérateurs.
La démarche a été définie dans le rapport Juppé-Rocard : les projets sont d'abord soumis à une expertise indépendante, parfois internationale, avant que ne s'engage un travail interministériel, organisé par le commissariat général ; enfin celui-ci formule des propositions au Premier ministre, qui décide. Cette procédure a fait ses preuves et ne devrait pas être modifiée. Les investissements sont bien évidemment soumis au contrôle du Parlement, dans une parfaite transparence : j'espère que vous souhaiterez m'entendre aussi souvent que mon prédécesseur. Les financements sont accordés pour une longue durée, dix ans voire davantage pour les IDEX.
Des rendez-vous sont prévus pour vérifier que les engagements pris sont respectés et que les projets aboutissent ; le cas échéant, il peut être nécessaire de réorienter les investissements. Ce suivi sera l'une de nos tâches importantes ces prochaines années.
Les investissements d'avenir ont un effet d'entraînement que l'on estime à peu près au même montant, soit une trentaine de milliards d'euros. Ces financements supplémentaires proviennent en partie des collectivités territoriales, mais surtout d'acteurs privés. Cette synergie est indispensable pour créer des « écosystèmes ».
Une partie des fonds correspond à des prises de participation ou des investissements dans des entreprises. Le commissariat général est tenu d'être un « investisseur avisé », ce qui se traduit notamment par la recherche d'un retour sur investissement, reversé bien entendu dans les caisses de l'Etat.
M. Philippe Marini, président. - Le commissariat, c'est l'Etat !
M. Louis Gallois. - Nos relations avec les territoires sont sans doute amenées à évoluer. Il faudra voir comment nous pourrions participer à la nouvelle phase de décentralisation, dont on ignore encore les contours. Contrairement à la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR), nous n'avons pas de rôle d'aménagement du territoire ; il n'en demeure pas moins que nous devons apprécier l'impact territorial de nos actions, en collaboration avec les régions surtout, dont les compétences économiques devraient encore être élargies. Nous identifions aussi les zones d'excellence : en Provence-Alpes-Côte d'Azur, par exemple, les investissements d'avenir ont révélé certaines richesses technologiques dont les autorités régionales n'avaient pas pris toute la mesure. Nous sommes en relation directe avec les préfets, mais il faut resserrer nos liens avec les conseils régionaux.
M. Philippe Marini, président. - Et les villes ?
M. Louis Gallois. - Nous travaillons aussi avec elles sur des projets particuliers, mais nous discutons plutôt avec les régions.
M. Jean Arthuis. - Les départements ?
M. Aymeri de Montesquiou. - Les communes rurales ?
M. Louis Gallois. - Ce sont aussi des interlocuteurs, bien sûr.
M. Philippe Marini, président. - N'oubliez pas que vous êtes au Sénat !
M. Louis Gallois. - A certains égards, la procédure pourrait être simplifiée et accélérée : au lieu de fixer le taux de retour sur investissement entreprise par entreprise, nous pourrions par exemple, au vu de l'expérience acquise, définir une règle générale pour les petites et moyennes entreprises (PME).
Notre priorité doit être, en soutenant le développement industriel et technologique, de participer à la reconquête de la compétitivité industrielle du pays. Peut-être des marges financières doivent-elles être réorientées vers le redressement productif. Trois chantiers sont devant nous : le financement de la recherche-développement, celui des PME innovantes - nous ne sommes ni le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), ni la DATAR, et notre rôle est d'aider des entreprises qui vont bien et veulent progresser, afin de constituer des filières industrielles - et celui des réseaux numériques et plus généralement de la numérisation de l'industrie, source de développement.
Au sein du commissariat général a été mise en place une cellule d'évaluation, et le Gouvernement envisage de nous confier une mission générale d'évaluation des investissements publics : nous réfléchissons à la manière de nous organiser en conséquence.
M. François Marc, rapporteur général. - La commission des finances, vous le savez, tient à assurer un suivi régulier des investissements d'avenir ; elle a adressé des observations au Premier ministre, et reste attentive aux suites qui y sont données. Dans un de nos derniers courriers, nous déplorions qu'il ait été procédé à certains redéploiements contre l'esprit initial du programme, pour répondre aux sollicitations du Président de la République.
Dans une lettre adressée le 29 mai au Premier ministre, MM. Juppé et Rocard, présidents du comité de surveillance, s'inquiètent, quant à eux, des « résistances de la part d'opérateurs ou de ministères tentant de revenir à leurs instruments, modalités de décision, guichets et bénéficiaires habituels, ou tentant de récupérer des financements en rattrapage d'arbitrages budgétaires perdus sur des actions traditionnelles. De la part aussi des candidats aux financements, tentant de jouer de leur puissance établie, de leur notoriété, de leurs réseaux pour forcer les décisions en leur faveur sans se plier vraiment aux nouvelles règles du jeu. » Partagez-vous ce point de vue ? Comment lever ces obstacles ?
J'en viens au suivi et au contrôle. Le rapport du comité de surveillance pour 2011-2012 note que la phase de contractualisation avec les lauréats des appels à projets a été particulièrement délicate pour l'ANR. Quelles difficultés ont-elles été rencontrées, et qu'a-t-on fait pour y remédier ? Envisage-t-on d'associer à la procédure l'Agence de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) ?
Certaines conventions prévoient des rendez-vous au moment desquels la décision doit être prise de prolonger ou d'arrêter le financement d'un projet. Le cas échéant, comment les fonds seront-ils réalloués ? De nouveaux appels à projets seront-ils organisés, ou des projets déjà sélectionnés réabondés ?
Dans son rapport en vue du débat d'orientation des finances publiques, le Gouvernement indique qu'il « souhaite refonder la procédure de décision en matière d'investissement de l'Etat et des établissements publics et soumettre désormais les projets d'importance à une évaluation socio-économique préalable très poussée et menée de manière indépendante, sous la direction du commissariat général à l'investissement. » Comment comptez-vous assumer ce nouveau rôle ?
Le Premier ministre vient, en outre, de vous confier une mission sur la compétitivité des entreprises, « afin de préparer la mise en oeuvre d'actions concrètes d'ici la fin de l'année ». Quels seront les contours de cette mission et son articulation avec les travaux du commissariat général ?
M. Philippe Marini, président. - Au plan macroéconomique, les investissements d'avenir sont censés augmenter la croissance potentielle de la France, que l'on estimait à 2 % avant la crise, à 1,5 % aujourd'hui. Etes-vous organisés et équipés pour évaluer les projets à cette aune ?
OSEO est un opérateur important du Programme d'investissements d'avenir, et la précédente majorité avait décidé d'utiliser les investissements d'avenir pour capitaliser la « banque de l'industrie ». On parle aujourd'hui d'une banque publique d'investissement, ou peut-être d'une banque du redressement productif... Est-ce la même chose ? Quels seront vos liens avec cette nouvelle entité ?
M. Philippe Bouyoux, commissaire général adjoint. - Quelques redéploiements ont été décidés en 2011-2012, ce qui était assez naturel, toutes les enveloppes ne pouvant à l'avance être parfaitement calibrées. Mais ces redéploiements ont été limités. Nous avons dressé il y a un an l'inventaire des actions, sans découvrir d'erreur manifeste de calibrage. Des redéploiements ont été opérés à l'intérieur des actions dont l'opérateur est l'ANR, c'est-à-dire dans le champ de l'enseignement supérieur et de la recherche ; certains avaient été annoncés d'emblée. Ainsi, une certaine fongibilité était souhaitable entre Idex et laboratoires d'excellence (Labex). Nous n'avons finalement retenu que huit Idex, au lieu des dix possibles, et c'est pourquoi de grands centres universitaires non sélectionnés se sont vu accorder beaucoup de Labex. En outre, dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche, les critères d'excellence sont fixés par les jurys, sans que des enveloppes ou sous-enveloppes soient affectées a priori à telle ou telle thématique. Après une première vague d'appels à projets, le Gouvernement suit les recommandations des jurys. Mais il ne se dispense pas pour autant de toute réflexion stratégique. Aussi peut-il fixer des orientations plus spécifiques lors de la deuxième vague d'appels à projets. On demandait par exemple de consacrer une place à la formation innovante dans tous les projets, mais il est apparu que, si c'était très nettement le cas pour les Idex, ce l'était moins pour les Labex. C'est pourquoi un appel à projets spécifique a ensuite été lancé sur des formations innovantes. De même, aucune thématique n'avait été définie préalablement pour l'appel à projets des instituts hospitalo-universitaires (IHU) ; or, parmi les six dossiers retenus, aucun n'avait trait au cancer. C'était un mauvais signal, même si 120 millions d'euros étaient par ailleurs affectés à la recherche dans ce domaine. Voilà pourquoi nous avons ensuite lancé un appel à projets dédié au cancer, et sélectionné deux lauréats à Paris et Toulouse.
En outre, le précédent Président de la République et son Gouvernement ont décidé de redéployer 1 milliard d'euros au profit de la « banque de l'industrie ». Nous avons donc fait l'inventaire des actions pour lesquelles le rythme de consommation des crédits était inférieur aux attentes : des fonds de garantie gérés par OSEO, des avances remboursables relevant de l'ADEME, des prises de participation dans l'action « Ville de demain »...
M. Philippe Marini, président. - Nous n'avons jamais très bien compris de quoi il s'agissait...
M. Philippe Bouyoux. - Conformément aux recommandations de MM. Juppé et Rocard, il a été décidé de soutenir les projets de développement intégré des villes. Mais les sommes disponibles ne suffisent pas pour couvrir la vingtaine de grandes agglomérations françaises, en se substituant aux collectivités concernées. Nous demandons aux villes candidates d'exposer leur vision du développement intégré - mobilité, bâtiment, énergie... - et soutenons des projets particulièrement innovants et exemplaires, comme des « îlots de chaleur », des bâtiments à énergie positive ou des transports innovants.
M. François Marc, rapporteur général. - Je reviens à la « banque de l'industrie ». Ce redéploiement d'un milliard à la demande du Gouvernement et du Président de la République n'illustre-t-il pas la résurgence de pratiques anciennes dont je parlais ? Qu'en est-il aujourd'hui de cette banque d'investissement ?
M. Philippe Bouyoux. - L'une de nos trente-cinq actions, annoncée d'emblée, consistait à recapitaliser OSEO pour un montant d'environ 140 millions d'euros. Lors du lancement de la « banque de l'industrie », le Gouvernement nous a demandé d'y ajouter 1 milliard d'euros. Une première tranche de 500 millions d'euros a été souscrite pour la recapitalisation de la composante industrielle d'OSEO ; les autres actionnaires, et notamment la Caisse des dépôts et consignations, nous ont suivis, de sorte que les sommes dépensées au titre des investissements d'avenir s'élèvent à 360 millions d'euros. Une deuxième tranche est attendue, à moins que le Premier ministre ne décide d'un nouveau redéploiement.
M. Louis Gallois. - Nous reviendrons sur ce sujet lors du lancement de la banque publique d'investissement (BPI) ; je n'ai encore aucune indication sur l'enveloppe.
Indéniablement, on observe la tentation de revenir aux comportements habituels : certains avaient espéré que le changement de Gouvernement les y autoriserait. Mais nous sommes là pour résister à cette tentation. Ainsi, les composantes des Idex sont mécontentes de voir le pouvoir de décision leur échapper, mais il n'est pas question de remettre en cause les structures de gouvernance qui ont été créées. En ce qui concerne les instituts de recherche et de technologie (IRT), certains organismes de recherche estiment qu'ils pourraient assumer eux-mêmes les tâches que nous voulons confier à de nouvelles entités. N'exagérons toutefois pas les difficultés. Afin de les aplanir, j'ai reçu les patrons des organismes de recherche et discuté avec les responsables du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. L'excellence ne suffit pas : il faut une bonne gouvernance. L'une des réussites des investissements d'avenir est justement d'avoir changé les modes de gouvernance, favorisé les coopérations et rapprochements, par exemple entre les dix-neuf institutions d'enseignement et de recherche du plateau de Saclay, dotées pourtant chacune d'une forte identité, comme l'école Polytechnique, Paris XI, le Commissariat à l'énergie atomique (CEA).... De même, des universités dont l'histoire, la culture et parfois les orientations politiques diffèrent se rassemblent.
Quant au suivi et au contrôle, la phase de contractualisation a été délicate pour l'ANR, mais les moyens de l'agence ont été renforcés, une expertise a été acquise et les choses s'améliorent. Il faut maintenant conclure : nous attendons des signatures dans les prochaines semaines. Nous nous appuierons bien évidemment sur l'AERES au moment de l'évaluation, par exemple lors du rendez-vous sur les IDEX dans quatre ans.
En cas d'arrêt du financement d'un projet lors du rendez-vous, l'argent sera réalloué suivant nos méthodes, c'est-à-dire après appel à projets.
Je n'ai pas encore reçu ma lettre de mission, mais j'ai proposé au Gouvernement de travailler à la simplification et à l'accélération des procédures, à la territorialisation des actions dans le cadre de la nouvelle phase de décentralisation, et à leur redéploiement vers l'appareil productif.
Sur la mission qui pourrait nous être confiée d'évaluer tous les investissements de l'Etat et des établissements publics, j'aurai de nouveaux éléments de réponse lors de notre prochaine rencontre. Nous envisageons de mettre en place une équipe permanente de cinq ou six experts du conseil général des ponts, de l'inspection générale des finances ou du Trésor, et un jury ad hoc pour chaque projet. Il faudra définir une méthodologie.
M. Philippe Marini, président. - Examineriez-vous par exemple les projets d'infrastructures de transport ?
M. Louis Gallois. - Oui, comme des lignes à grande vitesse.
C'est à titre personnel, mais en tant que commissaire général à l'investissement, que je me suis vu confier par le Premier ministre une mission sur la compétitivité. J'ai commencé à mettre en place un petit groupe, constitué de fonctionnaires des directions générales de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) et du Trésor. Il faut choisir des rapporteurs. Une première rencontre aura lieu début septembre avec les partenaires sociaux, pour les écouter, une seconde début octobre, pour leur soumettre quelques idées. Le délai est très bref, mais beaucoup de travail a déjà été accompli, et la Conférence sociale de début juillet a été l'occasion de débattre. J'aimerais trouver un nouvel angle d'approche, au lieu de me contenter d'un énième rapport...
Quel est l'impact des investissements d'avenir sur la croissance potentielle ? Je n'ai pas encore réfléchi à la question, mais je ne crois pas qu'il soit possible de mesurer cet impact avant plusieurs années. Encore une fois, il ne s'agit pas d'un plan de relance ; la reconquête de notre croissance potentielle prendra une décennie. A titre personnel, j'estime qu'il faut permettre aux jeunes de travailler plus tôt, aux seniors de travailler plus tard. Elle dépend aussi, bien sûr, de l'innovation.
C'est Bruno Parent et non moi qui est chargé de préfigurer la banque publique d'investissement, mais il est à peu près acquis que son noyau dur sera formé d'OSEO, de la CDC « entreprises » et du Fonds stratégique d'investissement (FSI). Il faut réfléchir à son organisation, au guichet unique pour les entreprises, et au degré de décentralisation de la nouvelle banque, certains envisageant la création de caisses régionales. Il n'est pas exclu que le commissariat général soit appelé à la doter en capital, mais rien n'est décidé à ce stade.
M. Aymeri de Montesquiou. - Vous vous êtes attiré la sympathie de tous en vous déclarant prêt à coopérer avec les régions, départements, villes et communes rurales. Mais vous n'avez pas parlé d'éventuelles coopérations avec la CDC. Vous avez laissé entendre que vous étiez prêt à participer au financement d'infrastructures importantes. Or les campagnes sont souvent dépourvues du haut ou du très haut débit. Pourriez-vous stimuler ou coordonner les opérateurs ?
M. François Trucy. - Dans vos actions, vous êtes-vous quelquefois heurté à l'opposition de la Commission européenne ?
M. Philippe Adnot. - De droite ou de gauche, nous avons tous intérêt à ce que le programme des investissements d'avenir réussisse. Mais il est parfois d'une complexité telle, entre Équipex, Labex, Idex..., que l'on peut craindre des doublons ou la concentration excessive des crédits. Veillons aussi à ce que cet afflux d'argent ne décourage pas les candidats de demander des fonds européens.
Vous avez parlé du retour sur investissement. Les sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) vont être dotées d'un milliard d'euros pour financer la « preuve de concept ». Or on a le sentiment que cela servira surtout à créer des usines à gaz, qui coûteront cher en fonctionnement. Sans doute n'est-il pas nécessaire de créer dans les SATT les spécialités qui existent dans d'autres organismes.
M. Richard Yung. - Pouvez-vous nous en dire plus sur la question des retours sur investissement ? Avez-vous une idée des montants en jeu ?
Les dotations non consomptibles s'élèvent à 15 milliards d'euros, capital dont les lauréats perçoivent les intérêts, ce qui est une recette en moins pour l'Etat. Pour les 20 milliards autres, comment les choses se passent-elles ? N'y a-t-il pas deux poids, deux mesures ?
Les pouvoirs publics assurent en France la plus grande part du financement de la R&D tandis que la part du secteur privé est un peu faible. Les investissements d'avenir permettront-ils de développer la recherche dans les PME-PMI, qui sont notre talon d'Achille en ce domaine ?
M. Georges Patient. - Pour les outre-mer, je constate zéro engagement et zéro consommation, sauf pour les internats d'excellence et les prêts OSEO. Les outre-mer ne font-ils pas partie des investissements d'avenir ou bien ne présentent-ils pas de dossiers ?
M. François Patriat. - Vous avez dit que votre vocation n'était pas d'aménager le territoire, mais que vous vouliez des territoires pertinents pour obtenir de réels effets de levier en termes d'innovation.
Je m'interroge sur la Banque publique d'investissement. Lorsqu'OSEO a été créé, l'Agence nationale de valorisation de la recherche a perdu une partie de ses crédits affectés à l'innovation. Assistera-t-on à la même évolution lorsque cette nouvelle banque sera mise en place ?
Certaines régions ont du mal à s'imposer comme territoires d'excellence et les appels à projet sont parfois trop ambitieux. Pourquoi ne pas contractualiser directement avec certains territoires ?
Le trop grand nombre de pôles de compétitivité ne favorise pas le redressement productif. Certaines SATT sont labellisées, d'autres sont en train de se créer de façon artificielle : quel est l'avenir de ces structures ?
Devons-nous nous féliciter des taux d'intérêt négatifs à court terme ?
Mme Fabienne Keller. - Le dispositif dont vous avez désormais la charge permet de répondre à l'érosion des investissements publics. Comment sanctuariser les fonds déposés au Trésor pour éviter toute récupération par le budget de l'Etat ?
Dans le domaine du développement durable, des démonstrateurs ont été financés : comment les pérenniser ?
Les TGV et plus globalement le ferroviaire ont été exclus des investissements d'avenir.
M. Louis Gallois. - Ce qui est très sain.
Mme Fabienne Keller. - Une réallocation n'est-elle pas envisageable ?
Enfin, n'est-on pas en train de réinventer des dispositifs qui existent déjà ?
M. Philippe Marini, président. - Vous avez omis de mentionner les voies fluviales qui sont un mode de transport très écologique et dont l'effet de levier sur la croissance est loin d'être négligeable.
M. Jean Arthuis. - Les investissements d'avenir ont démontré toute l'habileté budgétaire du Trésor : le Gouvernement devrait remercier son prédécesseur pour avoir fait supporter au budget 2010 35 milliards supplémentaires si bien que les dépenses actuelles n'apparaissent plus dans les budgets. Il était habile de mettre à la disposition des opérateurs 35 milliards d'euros et de les restituer immédiatement au Trésor en distinguant ce qui était consommable de ce qui ne l'était pas. Quels seront les taux d'intérêt pratiqués ?
L'instruction des dossiers éligibles aux schémas départementaux d'aménagement numérique va-t-elle s'accélérer ?
Enfin, il ne faudrait pas que les banques classiques se défaussent sur la future Banque publique d'investissement pour tout ce qui concerne le financement de la recherche.
Vous allez reprendre les consultations avec les partenaires sociaux mais certains d'entre eux estiment que les charges sociales sont un frein à la compétitivité de nos entreprises. A l'heure de la mondialisation, à quoi sert-il d'investir dans un pays qui n'est pas compétitif ? On peut reprocher au précédent gouvernement d'avoir trop tardé à engager des réformes structurelles, mais ne pensez-vous pas que la compétitivité est un préalable à l'investissement ?
M. Michel Berson. - La part des investissements publics dans la dépense nationale est passée de 12 % en 1980 à 10 % en 2000 pour tomber à 7 % aujourd'hui. Pour freiner cette évolution, on a créé le grand emprunt, les pôles de compétitivité et de nombreuses autres structures dont il n'est pas toujours aisé de comprendre la finalité. Vous avez d'ailleurs décidé de vous lancer dans le difficile exercice de la simplification qui ne doit pas faire l'impasse sur la question de la gouvernance. Pour le plateau de Saclay, il n'a pas été aisé de faire asseoir autour d'une même table tous les intervenants pour trouver des solutions équilibrées.
Les instituts de recherche technologique (IRT) doivent être au service des grands investissements. Il n'est pas possible de laisser coexister les IRT, les instituts Carnot, les SATT : un regroupement s'impose. Les projets doivent être pilotés à l'échelle des pôles de compétitivité.
Au cours des années 2010 et 2011, les intérêts versés aux universités ont été sensiblement identiques au montant des gels puis des suppressions des crédits récurrentes du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Le précédent Président de la République avait affirmé que l'effet du grand emprunt sur les crédits du budget général devrait être neutre. On donne donc d'une main ce que l'on reprend de l'autre. Allons-nous poursuivre dans cette voie ?
Vous avez dit que les investissements d'avenir n'étaient pas dédiés à l'aménagement du territoire, mais il n'est pas possible de dissocier ce dernier des projets scientifiques ou économiques. Voyez la situation en Rhône-Alpes qui est la deuxième région en R&D après l'Île-de-France. Ne doit-on pas éviter de retomber dans des compétitions effrénées ?
M. Joël Bourdin. - Il y a une petite dizaine d'années, tous les organismes économiques s'accordaient à dire que la croissance potentielle de notre pays était de 2 % à 2,2 %. Aujourd'hui, avec la crise, nous sommes tombés à 1,5 %. Quel pourrait être l'impact des investissements d'avenir sur la productivité des facteurs de production ? Ne faudrait-il pas créer un observatoire pour mesurer le taux de croissance potentielle ?
Présidence de Mme Michèle André, vice-présidente.
M. Gérard Miquel. - Certains départements ne peuvent financer les schémas d'aménagement numérique car les investissements sont considérables. Les opérateurs n'acceptent de financer que les zones rentables mais il faut trouver des financements spécifiques pour les zones rurales.
La transition énergétique impose de mieux isoler les bâtiments, d'accroître la part de la biomasse, du solaire, de l'éolien, ce qui implique des investissements importants. Même si L'ADEME bénéficie du grand emprunt, ses crédits sont insuffisants pour faire face aux besoins.
Mme Marie-France Beaufils. - En quoi les dotations non consommables sont-elles des modes de financement plus efficaces que les autres ? Comment éviter un effet de substitution entre ces dotations et les crédits budgétaires destinés aux universités ?
Les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ne peuvent pas porter des projets en réponse à des appels, tant les dossiers sont complexes à monter. Ne risque-t-on pas de voir les grandes entreprises bénéficier seules des investissements d'avenir ?
M. Louis Gallois. - Nous travaillons avec la CDC pour mettre en place la BPI, Monsieur de Montesquiou. C'est aussi la Caisse des dépôts qui a été choisie pour financer le très haut débit lorsqu'il n'y a pas d'opérateur, même si telle n'est pas sa vocation initiale. Nous sommes donc très proches de la Caisse, avec laquelle nous avons une interface.
Le haut et le très haut débit peut être financé par des capitaux privés pour sa partie rentable. Pour le reste, l'Etat doit assurer partiellement la péréquation. Notre but est de conduire les départements et les régions à élaborer des plans d'équipement pour le haut débit puisque nous disposons de 2 milliards d'euros pour ce faire. L'effet levier est très important. Nous avons contractualisé avec des collectivités qui avaient déjà préparé leurs dossiers, comme en Auvergne et en Bretagne. Nous allons maintenant nous adresser à celles qui sont moins prêtes. Toutes n'ont pas besoin immédiatement du très haut débit ; nous devrons procéder par étape afin de combler notre retard, mais nous avons du mal à trouver les bons interlocuteurs pour discuter de ces schémas. Je vous enverrai une note plus précise sur ce dossier.
M. Trucy a évoqué la Commission européenne : les rapports avec elle ne sont pas simples.
M. Philippe Bouyoux. - La majorité de nos interventions ne relève pas des aides de l'Etat. Lorsque c'est le cas, nous faisons jouer le régime des exceptions, quand il n'est pas possible de modifier la règlementation existante. Nous avons en tout cas beaucoup d'échanges avec la Commission européenne et nous lui donnons beaucoup de visibilité sur les dossiers que nous lui soumettons, ce qui se révèle très efficace.
M. Louis Gallois. - Convenons que les rapports avec la Commission sont ardus.
Les IDEX sont une excellente chose, Monsieur Adnot, même si leur mise en oeuvre se révèle parfois difficile, comme c'est le cas à Toulouse. Il est très compliqué de faire travailler ensemble Grenoble et Lyon et nous risquons même de voir la constitution de deux SATT à Grenoble, ce que nous n'accepterons pas. L'excellence de ces laboratoires n'est pas en cause, mais il n'est pas simple de faire travailler ces deux villes ensemble.
Les financements européens sont difficiles à obtenir, même s'il y a beaucoup d'argent disponible. Les grandes entreprises s'en sortent relativement bien car elles disposent de services spécialisés, mais les PME sont soumises à un véritable parcours du combattant et beaucoup renoncent. En outre, la taille du dossier a tendance à croître en fonction de l'éloignement. Un patron d'un grand laboratoire m'a ainsi confié qu'il passait plus de temps à aller chercher de l'argent qu'à diriger son entreprise. Les procédures en la matière demandent à être revues.
Il faut éviter que le coût des SATT soit supérieur aux bénéfices attendus. J'ai visité une SATT en PACA et j'ai été assez impressionné car elle s'est substituée tout naturellement à une structure mise en place par la région. Dans d'autres territoires, les choses sont plus compliquées : il faudra essayer de simplifier les structures.
M. Yung m'a interrogé sur les retours sur investissements. Pour le moment, il est trop tôt pour les envisager et n'en attendez pas des milliards. Pour les universités, il n'y a bien évidemment pas de retours sur investissement. Pour les entreprises privées, c'est différent : s'il est normal qu'EADS bénéficie d'investissements d'avenir, il l'est tout autant de lui demander de payer des royalties.
Sur les crédits non consommables, le mécanisme est intelligent, comme l'a fait remarquer M. Arthuis. Quand une IDEX sera dotée d'un milliard, elle touchera tous les ans 3,41 % de ce capital. Si elle franchit le cap des quatre ans et de l'évaluation, elle percevra cette somme de manière illimitée sans remise en cause par des coupes budgétaires. C'est une dotation qui s'apparente à celles que perçoivent les universités américaines et qui leur assure la régularité de leurs financements. En revanche, il ne faut pas que ces sommes se substituent aux crédits publics.
Nous sommes un peu perçus comme un point d'eau dans le Sahara : tout le monde se précipite vers nous, notamment ceux qui voient leurs dotations budgétaires se réduire et qui sont encouragés par Bercy à venir frapper à notre porte. Nous devons donc lutter contre l'effet de substitution, mais nous ne gagnerons pas à tous les coups, car la pression budgétaire est extrêmement forte. Je compte sur vous pour nous appuyer.
Vous estimez que le secteur privé ne fait pas assez d'efforts en matière de R&D. Le niveau de la recherche dans les grandes entreprises est correct et les PME n'ont pas la taille critique pour en faire. Le problème est que nous manquons d'ETI. Si nous avions le même taux d'ETI que l'Allemagne, l'Italie, la Grande-Bretagne ou l'Espagne, notre effort de recherche serait tout à fait satisfaisant. L'appareil industriel français est déséquilibré.
Les outre-mer bénéficient des investissements d'avenir, Monsieur Patient, mais nous avons une certaine difficulté à faire monter les dossiers. Je serai attentif à cette question.
M. Philippe Bouyoux. - Cela dit, nous traitons un certain nombre de dossiers qui viennent des outre-mer.
M. Louis Gallois. - Est-ce le rôle d'OSEO d'aider des territoires à se relever ? Je n'en suis pas certain. Les pôles de compétitivité, mais aussi de grandes entreprises peuvent faire émerger des projets. Nous sommes en train de mettre en place les SATT : il faudra simplifier le système pour mieux les articuler avec les IRT et avec les Instituts Carnot.
Certes, on compte beaucoup de pôles de compétitivité, mais je ne suis pas persuadé que ce soit un mal : simplement, ils ne doivent pas être traités de la même manière puisqu'une quinzaine est de niveau mondial, comme celui de Toulouse, tandis que trente sont de niveau national et quarante de niveau régional. L'acte III de la décentralisation devrait permettre aux conseils régionaux de gérer ces pôles locaux.
La sanctuarisation des fonds est essentielle, Madame Keller. Je ne puis imaginer que l'Etat renie sa parole. Si tel était le cas, notre opposition serait très forte. Cela ne signifie pourtant pas que toutes les IDEX bénéficieront éternellement d'enveloppes.
Les investissements d'avenir ne concernent heureusement pas le ferroviaire, car si tel était le cas, il consommerait la totalité de l'enveloppe.
Nous devrons accélérer le développement des schémas numériques avec l'aide des collectivités et de la Caisse des dépôts.
Pour la gestion des risques, j'ai changé d'avis : il ne doit pas y avoir de prêt de la BPI sans prêt d'une banque privée.
La compétitivité, préalable aux investissements ? Je ne vous suivrai pas dans cette voie, Monsieur Arthuis : l'environnement mondial a changé et la compétition ne se cantonne pas aux prix : nous devons nous positionner sur la qualité et l'innovation. Ainsi, des investissements peuvent améliorer la compétitivité.
Comme l'a dit M. Berson, l'investissement public s'est réduit. Cela est dû à l'évolution des finances publiques de notre pays.
La substitution budgétaire est un risque de tous les instants : à nous d'y faire face.
Certes, nous devons nous préoccuper de la dimension territoriale de nos interventions, mais nous n'avons pas à nous substituer à la DATAR. Nous en restons au triptyque : excellence, gouvernance, innovation. L'aménagement du territoire n'est pas de notre ressort.
Si le taux de croissance potentielle a diminué en Europe, c'est encore plus flagrant dans notre pays. Il faudra vérifier que les investissements d'avenir aient un impact positif sur la productivité des facteurs.
Nous nous situons en amont de la transition énergétique, Monsieur Miquel, et l'ADEME en aval.
Le but est de pérenniser les dotations non consommables, Madame Beaufils. Les appels à projet sont complexes, mais à chaque fois que l'on tente de simplifier, des voix s'élèvent pour nous en dissuader. Un ancien Premier ministre avait dit que dans chaque niche, il y avait un chien. C'est aussi le cas lorsqu'on tente de simplifier les procédures.
Mme Michèle André, présidente. - Merci pour cet exposé passionnant.
Contrôle budgétaire - Crédit d'impôt recherche (CIR) - Communication
La commission entend ensuite une communication de M. Michel Berson, rapporteur spécial, sur le crédit d'impôt recherche (CIR).
M. Michel Berson, rapporteur spécial. - En 2010, trois rapports sur le crédit d'impôt recherche (CIR) ont été publiés : celui de notre ancien collègue Christian Gaudin, celui de la mission d'évaluation et de contrôle de la commission des finances de l'Assemblée nationale et celui de l'inspection générale des finances. En 2011, la Cour des comptes s'est également penchée sur le CIR. Dès lors, pourquoi ce nouveau rapport alors que nous disposons déjà de suffisamment d'éléments pour apprécier l'efficacité de ce dispositif fiscal ? Il m'a semblé utile que notre commission puisse donner son avis sur le bilan de la réforme de 2008, qui a fait passer le montant du CIR de 1,5 à 5 milliards d'euros par an, d'autant qu'une réforme de ce dispositif est évoquée, peut-être dès la loi de finances pour 2013.
De plus, nous avons entendu des affirmations peu fondées sur le CIR, qui faussent le débat public. En revanche, il serait utile de corriger le dispositif, du fait de certaines incohérences.
Quelques mots, tout d'abord, sur le crédit d'impôt recherche : nous devons distinguer le coût budgétaire des créances des entreprises. En 2012, la créance de ces dernières s'élevait à 5,3 milliards alors que le coût budgétaire ne se montait qu'à 2,3 milliards. Le dispositif est en effet conçu pour que le remboursement du CIR soit étalé sur quatre ans. Le décalage est aujourd'hui d'autant plus important que le plan de relance a prévu en 2009 et 2010 le paiement par l'Etat de la totalité de sa dette vis-à-vis des entreprises. Nous avons donc assisté à des remboursements importants durant ces deux années, suivis d'un creux. A partir de 2014, les montants devraient s'équilibrer entre 5 et 6 milliards d'euros par an. L'évolution sera ensuite fonction de la croissance du PIB.
Je veux revenir sur six affirmations contestables concernant le CIR.
Le CIR, dit-on, bénéficierait essentiellement aux services, et pour environ 20 % aux banques et aux assurances. Ces chiffres figuraient dans un rapport de l'Assemblée nationale, mais il s'agissait de chiffres transmis par le gouvernement de l'époque, qui avait classé avec les banques et les assurances les holdings industrielles. En réalité, le CIR bénéficie au secteur industriel pour ses deux tiers, le tiers restant allant à des services souvent très proches des branches industrielles, les banques et les assurances ne représentant que 1,8 % de la dépense fiscale.
Deuxième critique : le CIR ne bénéficierait qu'aux grandes entreprises. Là encore, l'affirmation est contestable : les bénéficiaires d'au moins 5 000 salariés ne perçoivent que 32 % du CIR, contre 37 % pour ceux de 250 à 4 999 salariés et 29 % pour ceux de moins de 250 salariés.
Troisième critique non fondée : le coût du CIR augmenterait de façon incontrôlable. A l'automne 2007, le coût du crédit d'impôt recherche avait été estimé à 3 milliards par an au terme de la réforme qui devait être engagée en 2008. Le rythme est plutôt de 5 à 6 milliards. Cette difficulté à en apprécier précisément le coût tient notamment à l'effet de levier qui peut aller de 1 à 2. Pour l'instant, une étude économétrique réalisée en 2011 pour le ministère de la recherche évalue cet effet de levier à 1,3 : pour un euro de CIR, il en résulterait 1,3 euro d'investissement supplémentaire en R&D.
Autre critique : le CIR ferait l'objet de fraudes et d'optimisations importantes. Là encore, l'affirmation est contestable. L'éligibilité de la dépense au CIR est assez complexe. Craignant les contrôles fiscaux, les entreprises tendent plutôt à sous-estimer le montant de leurs dépenses en R&D. L'ensemble de celles-ci s'élève à 26,3 milliards. Or, seuls 17 milliards sont déclarés au CIR. Cela vient certes notamment du fait que les dépenses réalisées par des sous-traitants sont plafonnées ; mais cet écart ne peut être expliqué sans supposer une certaine sous-déclaration de la part des entreprises.
M. François Marc, rapporteur général. - Notre commission s'est déjà penchée maintes fois sur la question : certains cabinets spécialisés dans le conseil aux entreprises leur auraient permis d'optimiser diverses dépenses sans lien direct avec le CIR. Qu'en est-il ?
M. Michel Berson, rapporteur spécial. - Il existe bien sûr des pratiques de fraude et d'optimisation, mais le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche estime que s'il faut être « attentif à de possibles créations artificielles de filiales à des fins d'optimisation fiscale, l'administration n'a pas constaté d'abus à cet égard ». Il ne semble donc pas y avoir de fraude à grande échelle, comme on a pu l'entendre dire. Pour ce qui concerne les cabinets spécialisés, des mesures spécifiques ont été prises dans la loi de finances pour 2011 afin de maîtriser le phénomène. Le problème de l'optimisation est le fait de grandes entreprises dont le taux marginal de CIR baisse à 5 %, dès le seuil de 100 millions de R&D franchi. On cite parfois le cas d'un grand groupe pétrolier qui a créé une centaine de filiales pour bénéficier du taux de 30 %.
Autre affirmation qu'il convient de relativiser : le CIR ne sert que très peu à financer les dépenses de R&D à l'étranger. Le droit communautaire permet de sous-traiter des activités de recherche dans d'autres pays, mais la loi a plafonné ces dépenses externalisées dans l'espace économique européen si bien que, selon le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, seuls 2 % du CIR financent des dépenses réalisées hors de France.
Le crédit d'impôt recherche apparaît comme une des rares dépenses fiscales efficientes. Le rapport Guillaume de l'IGF a même attribué au CIR la note maximale de 3, soit celle attribuée à seulement 15 % du montant total des dépenses fiscales. Selon mes estimations, la réforme de 2008 devrait entraîner une augmentation d'environ 0,5 point du PIB au bout d'une quinzaine d'années. Le CIR s'autofinancerait ainsi à l'issue de ce délai, les recettes supplémentaires couvrant le coût du dispositif fiscal. De plus, le CIR permet d'améliorer la compétitivité de l'industrie. Comme la crise de la zone euro oblige les Etats membres à réduire leurs déficits extérieurs, ils sont obligés soit de réduire leur croissance, soit d'améliorer leur compétitivité.
J'en viens à mes 25 propositions : je ne présenterai que les douze principales, qui tiennent compte de nos contraintes budgétaires et qui visent toutes à supprimer l'effet d'aubaine pour les grands groupes et à réorienter le CIR vers les PME et les ETI. Tout d'abord, le Gouvernement doit indiquer rapidement les orientations qu'il entend prendre pour les cinq années à venir car les entreprises souhaitent être éclairées sur l'avenir du CIR.
Ma première proposition vise à instaurer un barème à trois taux : il faudrait faire passer le taux de 30 % à 40 % pour les PME et les ETI indépendantes, garder les 30 % pour le régime commun et passer de 30 % à 20 % pour les bénéficiaires de plus de 5 000 salariés. Ce dispositif serait plus efficace dans la mesure où les incitations seraient plus importantes pour les PME et les ETI et permettrait de mettre fin au gaspillage de l'argent public pour les grandes entreprises : le CIR n'a en effet aucun effet incitatif sur les dépenses de R&D supérieures à 100 millions puisque le taux de 5 % est négligeable. Le coût de cette mesure serait de 200 millions d'euros pour les PME indépendantes et de 150 millions d'euros pour les ETI, et le gain espéré de la suppression de la tranche à 5 % de 300 millions. Le dispositif que je vous propose est donc globalement équilibré.
Je préconise aussi le versement trimestriel du CIR aux PME et ETI, ou du moins l'extension aux ETI du remboursement l'année n+1. Cela ne coûterait pas un sou à l'Etat, hormis la première année : 1,2 milliard d'euros, ou 800 millions si l'on réserve la mesure aux seules PME indépendantes.
Il convient aussi d'exclure du bénéfice du CIR les dépenses de recherche-développement réalisées à des fins d'intervention sur les marchés financiers : quoique les banques et les assurances perçoivent moins de 2 % du CIR, le fait qu'elles en bénéficient est très mal perçu par l'opinion, non sans raison.
Il faut aussi encourager la collaboration entre le public et le privé et inciter les grands groupes à sous-traiter leurs travaux de recherche à des organismes publics, en portant le plafond de 12 à 20 millions d'euros. Pour favoriser l'embauche de jeunes docteurs, je préconise de continuer à doubler le CIR les deux premières années, mais en supprimant la clause de stabilité des effectifs globaux.
Je souhaite que soit préservée la neutralité sectorielle du CIR. En revanche, les subventions sur projet aux entreprises des filières d'avenir pourraient être augmentées. Bruxelles s'opposerait sans doute à ce que le CIR soit réservé à certains secteurs.
Actuellement, les dépenses externalisées prises en compte pour le CIR sont plafonnées : cela en réduit l'assiette d'environ 5 milliards d'euros. Il serait envisageable de supprimer ces plafonds et, pour limiter la fraude, de faire des sous-traitants les bénéficiaires. Cette mesure, efficace et saine, pourrait cependant coûter jusqu'à 1,5 milliard d'euros à taux constant...
Je fais la proposition nouvelle de créer un dispositif de suivi en temps réel et de pilotage de l'offre de chercheurs, car il faut éviter que le CIR ne serve qu'à augmenter le salaire des chercheurs sans effet sur le PIB, alors que l'objectif est de faire embaucher de nouveaux chercheurs, qui doivent donc être formés. Selon une étude du Trésor de janvier 2009, la réforme de 2008 impliquerait de porter temporairement de 6 000 à 11 000 le nombre annuel d'embauches de chercheurs par les entreprises. L'offre de l'enseignement supérieur n'y suffira pas, et il faudra recourir à l'immigration ; l'abrogation de la circulaire Guéant est à cet égard très bienvenue. Peut-être faudra-t-il prendre d'autres mesures législatives ou réglementaires, sans se dispenser de mieux valoriser les métiers de la recherche.
Pour renforcer la sécurité juridique des entreprises, je suggère de préciser dès 2012 dans un protocole les modalités de coopération du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche avec les directions du contrôle fiscal. Les experts de la rue Descartes évaluent si des dépenses sont éligibles au CIR, mais le contrôle est réalisé par Bercy. Il n'existe d'ailleurs aucun critère pour le recrutement des experts, ni aucune liste nationale ; il peut y avoir des conflits d'intérêts. Des règles non écrites existent, mais elles datent d'il y a dix ans, quand il y avait trois ou quatre fois moins d'entreprises à contrôler. J'estime aussi qu'un décret devrait être pris dès cette année pour assurer le respect du principe du contradictoire vis-à-vis de l'expert du ministère. A en croire le Gouvernement, le protocole et le décret sont en cours d'élaboration.
D'autres propositions figurent dans le rapport, et je me permets de vous y renvoyer.
M. François Marc, rapporteur général. - Merci de ces informations éclairantes. Le CIR, dit-on, doit coûter entre 5 et 6 milliards d'euros par an en régime de croisière. Or la commission des finances a pour mission de vérifier que les deniers publics sont dépensés utilement. Comme pour tous les avantages fiscaux, on est tenté de se demander ce qui se passerait si le CIR n'existait pas. Après tout, selon la théorie schumpeterienne, une entreprise n'innove-t-elle et n'investit-elle pas par nature ? Il ressort des modèles économétriques que le CIR nous fait gagner 0,5 point de croissance par an, mais de tels modèles consistent à mettre en parallèle des variables sans établir de liens de causalité... A n'en pas douter, la recherche est une condition de la croissance, mais comment la stimuler ? Telle est la question.
M. Jean-Paul Emorine. - Je remercie M. Berson de son rapport. Ancien président de la commission de l'économie et du développement durable, je sais l'importance du CIR, auquel les chefs d'entreprise sont très attachés. S'il coûte 5 milliards d'euros par an, il s'autofinance au bout de quinze ans. N'oublions pas qu'en Chine et en Inde, on investit beaucoup, et qu'il y a là dix fois plus d'ingénieurs ou de chercheurs qu'en France. Sans le CIR, notre taux de croissance n'atteindrait même pas non niveau actuel, que le gain soit ou non de 0,5 point de PIB. Je partage donc l'analyse de M. Berson et souscris à ses remarques. On parle beaucoup de réindustrialisation. Or le CIR bénéficie pour les deux tiers à l'industrie ! Il n'est pas normal, en revanche, qu'il serve à financer des prestations de cabinets spécialisés qui aident à contourner les règles du dispositif.
N'accablons pas les grandes entreprises. En revanche, un réajustement du taux paraît légitime. Il faut aussi veiller à ce que le CIR ne finance pas la sous-traitance de travaux de recherche à l'étranger. J'approuve donc les propositions fiscales de notre collègue. L'exemple du pôle nucléaire bourguignon montre que des PME sous-traitantes d'une grande entreprise n'ont pas toujours les capacités de recherche et d'innovation nécessaires.
M. François Patriat. - Je remercie à mon tour M. Berson de son rapport sur ce sujet essentiel. Le CIR est bien une niche fiscale, et l'on dit qu'il y aurait là 1 ou 2 milliards à gratter pour renflouer les caisses de l'Etat... A mon sens, les grandes entreprises pourraient s'en passer, et l'on pourrait réserver ces crédits aux PME.
M. Michel Berson, rapporteur spécial. - Une vingtaine de pays industrialisés développés ont créé une dépense fiscale pour favoriser la recherche privée. N'oublions pas que les entreprises françaises sous-investissent dans la recherche. L'objectif de Lisbonne était de porter le taux d'investissement dans ce domaine à 3 % du PIB, 2 % pour les entreprises et 1 % pour les administrations. Nous en sommes à 0,9 % pour le secteur public, mais à 1,3 % seulement pour les entreprises ! Certes, les branches où la recherche est intensive, comme le numérique ou les technologies de l'information et de la communication, sont moins développées en France qu'en Scandinavie, au Japon ou en Corée du Sud. Mais surtout, les entreprises hésitent à lancer des programmes de recherche toujours risqués, qui bénéficient quelquefois à leurs concurrentes autant qu'à elles-mêmes. Il faut donc les y inciter, le rendement social étant supérieur au rendement privé. Le CIR n'est pas un outil de financement de la recherche, mais d'incitation au financement de la recherche.
Le rapporteur général n'a pas tort de souligner les failles des modèles économétriques. Cependant les études suggèrent que le CIR a un effet de levier au moins égal à 1, et que son impact sur la croissance est de l'ordre de 0,5 point, ce qui suffirait à le financer. Je n'aime pas beaucoup en parler comme d'une niche, car il s'agit d'un instrument de développement collectif. Toujours est-il qu'aucune étude ne montre que les incitations fiscales à la R&D seraient moins efficaces pour les grandes entreprises. On a toutefois l'intuition que le CIR aide davantage les PME et ETI indépendantes : d'où ma proposition d'en transférer une partie à leur profit, sans bouleverser l'architecture du système. L'attente est très forte du côté de celles-ci.
M. François Marc, rapporteur général. - M. Emorine dit qu'il faut des chercheurs et des ingénieurs dans les entreprises. Je n'en disconviens pas, mais le CIR est-il le meilleur système pour encourager ce type d'embauches ? De même que l'Etat subventionnait jadis le recrutement de personnel aidant à l'export, pourquoi n'aiderait-il pas au recrutement de chercheurs ?
M. Jean-Paul Emorine. - Je suis, pour les raisons que j'ai dites, favorable à la publication de ce rapport. N'oublions pas que le groupe EADS, avec Airbus et Eurocopter, est en concurrence directe avec Boeing dont les efforts de R&D sont financés par le ministère de la défense américain. Dans ces conditions, nos entreprises doivent bénéficier de l'aide de l'Etat.
Mme Michèle André, présidente. - Nous reviendrons sur ce sujet d'une grande importance.
A l'issue de ce débat, la commission donne acte de sa communication au rapporteur spécial et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.