- Mercredi 16 mai 2012
- Audition de Mme Maryse Arditi, pilote du réseau énergie de France Nature Environnement
- Audition de Mme Annegret Groebel, responsable du département des relations internationales du Bundesnetzagentur fûr Elektrizität
- Audition de MM. Luc Poyer, président du directoire d'E.ON France, Olivier Puit, directeur général délégué d'Alpiq france, Michel Crémieux, président d'Enel France et Frédéric de Maneville, président de Vattenfall France
Mercredi 16 mai 2012
- Présidence de M. Ladislas Poniatowski, président -Audition de Mme Maryse Arditi, pilote du réseau énergie de France Nature Environnement
M. Ladislas Poniatowski, président. - L'ordre du jour de ce matin appelle l'audition de Mme Maryse Arditi, pilote du réseau énergie de France Nature Environnement.
Comme vous le savez, madame Arditi, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son « droit de tirage annuel », afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Cela nous amènera notamment à nous interroger sur l'existence d'éventuels « coûts cachés », qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière, et à déterminer les agents économiques sur lesquels reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques de la France.
À cette fin, notre commission d'enquête a jugé utile de vous entendre, afin d'avoir l'éclairage de France Nature Environnement sur le sujet qui nous intéresse.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole au rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment, madame Arditi, de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(Mme Maryse Arditi prête serment.)
M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie.
Monsieur le rapporteur, je vous laisse le soin de rappeler les questions que vous souhaitez poser à Mme Arditi, sachant que vous, ou d'autres membres de la commission d'enquête, pourrez poser des questions complémentaires.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Madame Arditi, quelles actions convient-il prioritairement de mener dans le domaine de l'électricité pour encourager la « sobriété et l'efficacité énergétiques » que vous préconisez ? Le mécanisme des certificats d'économie d'énergie vous paraît-il efficace ? Que pensez-vous des divers dispositifs fiscaux, tels que l'éco-prêt à taux zéro et le crédit d'impôt développement durable, à destination des particuliers ?
Quelle est la position de France Nature Environnement sur le chauffage électrique ?
La France devrait-elle prolonger la durée de vie des centrales existantes, investir dans le développement de nouvelles générations de réacteurs - EPR et réacteurs de quatrième génération - ou, au contraire, envisager une sortie aussi rapide que possible du nucléaire ? Un tel choix serait-il compatible avec une augmentation de la taxe carbone et avec le développement de nouveaux usages, comme la voiture électrique ?
Enfin, selon vous, quelle part de la production électrique française devrait être assurée par les énergies renouvelables ? Quelle appréciation portez-vous, filière par filière, sur les différents mécanismes de soutien aux énergies renouvelables ? Le caractère intermittent de la plupart des énergies renouvelables ne cantonne-t-il pas celles-ci à un rôle d'appoint en matière de production d'électricité ?
Mme Maryse Arditi, pilote du réseau énergie de France Nature Environnement. - France Nature Environnement estime que la question qui est au coeur de la problématique énergétique est celle de l'efficacité énergétique et, au-delà, de la réduction de la consommation, avant même la question de l'approvisionnement.
L'efficacité énergétique est un problème difficile aussi bien pour la France que pour l'Europe. Je vous rappelle que, en Europe, l'efficacité énergétique n'est qu'une ardente obligation dans l'objectif « 3x20 » du paquet énergie-climat. Aujourd'hui, on est en train de préparer une directive sur cette question, car on s'est rendu compte que, nulle part, il n'y avait eu d'avancées.
Sur la question de l'électricité, la problématique concerne surtout le résidentiel et le tertiaire. À cet égard, nous avons deux mesures extrêmement importantes, qui n'existent pas encore, à vous proposer.
Premièrement, il faudrait fixer une date à partir de laquelle toute résidence ou tout local tertiaire « passoire », c'est-à-dire mal classé lors du diagnostic de performance énergétique, ne devrait plus pouvoir être loué ou vendu à une date donnée pour un coefficient de performance donné. Par exemple, à partir de 2015 - une date que je cite au hasard, car il faudra prendre le temps nécessaire pour mettre en oeuvre cette mesure -, toute résidence dont le coefficient de performance est G ne pourrait plus, une fois ses occupants partis, être relouée ou vendue. Puis, deux ans après, il en irait de même pour les maisons dont le coefficient de performance serait F.
Le Grenelle de l'environnement avait fixé un objectif de baisse de 38 % sur l'existant à l'horizon de 2020. Or nous en sommes très loin ! Nous n'y arriverons pas si nous laissons au seul marché libre le soin d'essayer d'atteindre cet objectif : des mesures réglementaires doivent être prises. Je reviendrai sur ce point au moment où j'évoquerai les certificats d'économie d'énergie.
Deuxièmement, pour aller vers une société de la sobriété, il faut absolument arrêter de penser que plus on consomme, moins un produit est vendu cher. À l'heure actuelle, si vous achetez un bien, il coûte un certain prix ; mais si vous en achetez trois, le prix unitaire diminue. Nous devrions faire exactement l'inverse et instaurer une tarification progressive, comme pour l'électricité et les réseaux : le prix des premiers kilowattheures, qui sont absolument nécessaires, doit être accessible à tous, mais il doit augmenter par paliers au fur et à mesure de l'accroissement de la consommation.
Toutefois, il faudra éviter les effets pervers d'un tel dispositif. Une personne qui n'a pu louer qu'une maison « passoire » ne doit pas être fortement impactée. De nombreux détails techniques et sociaux devront être étudiés de près.
Il est donc absolument essentiel de procéder à une rénovation massive - à cette fin, une réglementation est nécessaire - et de changer nos mentalités - plus je consomme, plus je paye, et non l'inverse.
Deux éléments essentiels expliquent nos difficultés à améliorer l'efficacité énergétique : il s'agit du moment de la décision et du choix de la décision, qui me conduira à évoquer les certificats d'économie d'énergie.
S'agissant du moment de la décision, quand l'énergie n'est pas chère, réaliser des économies n'est pas une préoccupation. On se dit que l'investissement sera peu rentable, qu'il faudra attendre vingt-cinq ans pour l'amortir et on y renonce. A contrario, quand le prix de l'électricité, ou de l'énergie en général, a triplé, on estime que l'investissement vaut la peine. Mais comme les coûts énergétiques ont beaucoup augmenté, le particulier ou l'entrepreneur n'a plus les moyens d'investir.
Ainsi, les économies d'énergie sont plus faciles à faire au moment où elles apparaissent peu rentables. Dans notre système économique, cette idée est dure à faire passer.
S'agissant du choix de la mesure, on veut faire ce qui est le plus rentable. Mais quand on regarde ce qui s'est passé pour les certificats d'économie d'énergie, on voit que plus des deux tiers d'entre eux ont été des changements de chaudière dans des maisons « passoires », qui consommaient beaucoup d'énergie. On investit dans une chaudière plus performante, rapidement rentable. Mais si on décide quelques années plus tard d'isoler réellement son habitation, il faudra à nouveau changer la chaudière, qui s'avérera surdimensionnée et donc inadaptée au logement. L'effet pervers de la décision initiale aura été de chercher une rentabilité immédiate.
Un quart des opérations a consisté à mettre du double vitrage : c'est une décision stupide. Certes, pour les femmes qui, comme moi, passent du temps dans leur cuisine, le double vitrage permet d'éviter le ruissellement sur les fenêtres. Mais, du point de vue des économies d'énergie, cette mesure est totalement inintéressante et la rentabilité est absolument nulle rapportée à l'investissement. Pour les certificats d'économie d'énergie, les obligés - ils portent bien leur nom ! - ont dû, et ils l'ont fait à reculons, inciter leurs clients à faire des économies d'énergie pour éviter de payer 2 centimes d'euros de pénalité. Les résultats ne sont pas très probants à ce jour.
Je souhaite également relever un autre point qui me paraît très important. Pour vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui êtes des spécialistes, le kilowattheure cumac ou le térawattheure cumac n'a aucun secret, mais cela ne signifie pas grand-chose pour le grand public. Aussi la mention « cumac » disparaît-elle souvent. Lorsqu'on parle de 60 térawattheures d'économies d'énergie en quatre ans et demi, on estime que ce résultat est satisfaisant. Mais pour passer des térawattheures cumac aux térawattheures « normaux », il faut diviser par dix environ, ce qui ne donne au final que 6 térawattheures d'économies d'énergie en trois ans. À ce rythme-là, nous n'aurons rien fait à l'horizon de 2050 !
Il faut absolument changer de braquet et faire attention à l'effet pervers engendré par l'omission de la mention « cumac ». J'ai même lu des articles dans des revues sur l'énergie, y compris dans des revues de qualité, dans lesquels figurait cette erreur. Quand on entend dire que l'objectif de baisse est de 300 térawattheures en trois ans, toutes énergies comprises, cela revient en réalité à 30 térawattheures, soit 10 par an. Avec ces chiffres, on se situe dans des zones plus que raisonnables, et même bien trop faibles.
Puisque le temps de mon intervention est compté, je ne m'attarderai pas sur les aides fiscales. La précarité énergétique est un problème considérable. Il ne faut pas attendre dans un fauteuil que les choses bougent.
En 1981-1982, une expérience intéressante a été menée avec la création de l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie, qui est l'ancêtre de l'ADEME. L'État a mis sur la table un pactole de 2 milliards de francs et a donné dix-huit mois à l'agence pour lever cinq fois le montant de cette somme en travaux dans toute la France. L'agence devait non pas se contenter d'attendre qu'on vienne la voir, mais elle devait tout mettre en oeuvre pour que, dans le laps de temps qui lui était imparti, l'ensemble des travaux soient engagés. Voilà une véritable volonté politique !
Dans le domaine de l'efficacité énergétique, contrairement à beaucoup d'autres, ce n'est pas la technique qui pilote, mais le politique. S'il y a une volonté politique, les choses avancent.
Avant de passer à la question suivante, je voudrais évoquer le LDD, le livret développement durable. C'est une arnaque ! Il a succédé au livret CODEVI, destiné aux PMI-PME. Normalement, le LDD aurait dû permettre de lever 9,2 milliards d'euros pour réaliser des économies d'énergie, dans une optique de développement durable. En réalité, seuls 2,7 milliards d'euros ont été prêtés. Les banques ont gardé le reste, alors qu'elles auraient dû obligatoirement déposer ce qui n'avait pas été prêté à la Caisse des dépôts et consignations. En tant que citoyen, je trouve qu'il est choquant que mon livret « développement durable » ne serve pas au développement durable ! Soit on change son appellation, soit on garde un CODEVI et on fait à côté un véritable livret de développement durable, même moins important, mais qui ne puisse être utilisé qu'à cette fin et dont l'objet ne puisse donc pas être détourné.
Mesdames, Messieurs les sénateurs, vous connaissez certainement la position de France Nature Environnement sur le chauffage électrique. Je voudrais rappeler en quelques mots les raisons pour lesquelles la France en est arrivée à une situation unique en Europe et même dans le monde : à chaque vague de froid, notre pays représente à lui seul la moitié de l'appel supplémentaire de puissance dans l'Europe des Vingt-Sept ! Les autres pays - je pense particulièrement à l'Allemagne - peuvent nous envoyer sans problème de l'énergie. Nous, nous ne savons pas faire.
Le programme qui a été engagé était complètement surdimensionné. À aucun moment, les citoyens ou les parlementaires n'ont été consultés. On a engagé la France dans le « tout nucléaire » sans jamais avoir recueilli le moindre avis. La seule fois où les parlementaires ont été consultés, c'est lorsqu'il a fallu gérer les déchets nucléaires. Là, le gouvernement ne pouvait faire face seul aux fourches des paysans vendéens. Il avait besoin d'une légitimité supplémentaire et il s'est dit que la question des déchets nucléaires était bonne pour les parlementaires. Je suis désolée de vous dire les choses comme cela, mais ce « péché originel » permet peut-être de comprendre pourquoi les associations sont réticentes à la concertation dans ce domaine.
Le surdimensionnement a été tel que, à partir de 1984, on a arrêté de subventionner les économies d'énergie, comme cela avait été le cas entre 1981 et 1983, au profit du transfert du pétrole à l'électricité. Six centrales étaient construites chaque année, mais la consommation en France n'était pas suffisante.
Pour consommer toute cette électricité supplémentaire, il n'y avait pas d'autre solution que d'entrer sur le marché du chauffage. À l'époque, EDF a réussi à obtenir une loi absolument incroyable qui autorisait la construction d'habitations sans conduit de fumée. Lorsque vous achetez une maison individuelle sur catalogue, l'installation d'un conduit de fumée coûte cher. Si vous n'en mettez pas, et que vous installez à la place un grille-pain, c'est-à-dire un radiateur électrique, dans chaque pièce, la maison vous coûte beaucoup moins cher. C'est d'ailleurs un argument de vente qui a été très utilisé, mais les vendeurs omettaient de préciser aux acheteurs que cela leur coûterait beaucoup plus cher après pour se chauffer...
Ainsi, pendant une vingtaine d'années, des maisons ont été construites sans conduit de fumée. En installer un maintenant coûte très cher.
Dernier point, le plus scandaleux, en 1990-1991, EDF a fait de la publicité pour inciter à laisser le chauffage électrique allumé même lorsqu'on n'est pas chez soi, afin d'éviter d'avoir à chauffer plus à son retour ! Cela montre bien qu'il est tout à fait possible de faire de la publicité mensongère dans notre pays... Comme EDF ne savait plus quoi faire de l'électricité produite, elle a commencé à l'exporter à partir de 1992. Il lui fallait absolument trouver d'autres clients, car elle ne pouvait pas faire « manger » toute cette électricité aux Français. Voilà comment nous en sommes arrivés là.
Selon nous, l'électricité, qui est une énergie noble, qui demande beaucoup d'efforts, ne doit pas être gaspillée en chaleur. On ne doit l'utiliser que pour des besoins spécifiques, les ordinateurs et l'éclairage notamment, pour lesquels elle est indispensable, ou pour des systèmes industriels très performants. Ainsi, pour les osmoses inverses, l'électricité est dix fois plus économique que la chaleur.
Nous avons un réel besoin d'électricité, mais compte tenu de ce que nous perdons à la produire, elle doit être utilisée à bon escient.
Vous m'avez interrogée sur les centrales existantes. Vous le savez, France Nature Environnement pense qu'il faut évidemment en sortir le plus rapidement possible. La prolongation des centrales est inéluctable : prévues pour durer trente ans - Fessenheim a déjà trente-trois ans -, on voit bien que leur durée de vie sera prolongée jusqu'au moins quarante ans. L'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, qui réceptionne les inventaires des déchets, a retenu comme hypothèse une durée de fonctionnement de cinquante ans ; quant à EDF, elle prépare des centrales dont la durée de vie serait de soixante ans.
C'est le pari de Pascal : Dieu existe ou il n'existe pas ; l'accident surviendra ou ne surviendra pas. Je vous rappelle qu'il n'y a que quatre grands pays nucléaires au monde : les États-Unis, la Russie, le Japon et la France. Les trois premiers ont connu un accident gravissime. À qui le tour ?
Le rapport Rasmussen de 1973 avait estimé le risque d'accident nucléaire gravissime, comme une fusion de coeur, à un par million d'années réacteur. Nous en sommes à 15 000 années réacteur et cinq coeurs de réacteurs ont déjà été gravement atteints, ce qui donne un nombre d'accidents 200 fois plus élevé que la probabilité envisagée dans le rapport.
Je vous rappelle que le nucléaire n'assure pas ses risques. Pour Tchernobyl comme pour Fukushima - et il en sera de même en France si un accident survient -, ce sont les citoyens et l'État qui payent. EDF est assurée pour chaque accident à hauteur de 91 millions d'euros. En comparaison, Tchernobyl a coûté des centaines de milliards de dollars et, pour Fukushima, le coût avoisine déjà les 100 milliards de dollars. Et encore, ce n'est pas terminé ! La facture ne cesse de croître. On doit donc bien comprendre que l'on n'est pas assuré.
Le risque est pris par un exploitant, EDF, qui a le pouvoir de décision et qui gère ses centrales, mais EDF n'est pas un exploitant comme les autres. Le patron d'EDF, c'est l'État, donc c'est vous ! Si l'on voit bien les bénéfices engrangés par EDF, il faut aussi mesurer les risques qui seront supportés par les citoyens.
Il faut donc sortir assez vite du nucléaire. On ne peut guère envisager moins de quarante ans, mais entre quarante ans et quarante-cinq ans, il faut les arrêter. Après, ce n'est pas possible.
Vous m'avez demandé s'il fallait investir dans une nouvelle génération de réacteurs. Nous sommes aujourd'hui à un carrefour. La France ne mènera pas les deux de front : soit on s'oriente vers du nucléaire de quatrième génération pour une nouvelle période de soixante ans, soit on choisit les énergies renouvelables, lesquelles sont parfaitement capables de produire largement autant, surtout dans le temps. Mais on ne fera pas les deux ! La preuve en est : c'est parce que nous produisons beaucoup d'électricité d'origine nucléaire - on en vend même aux autres pays ! - que nous n'avons pas vu l'intérêt de nous lancer, contrairement aux autres, dans les énergies renouvelables.
Je voudrais maintenant évoquer la question des coûts.
À la lecture des rapports de la Cour des comptes, celui de 2005 sur le démantèlement des installations nucléaires et la gestion des déchets radioactifs et le rapport récent, une chose m'a fait sursauter : le coût du démantèlement, évalué à 300 euros par kilowatt après actualisation du chiffre de la commission PÉON. D'autres personnes ont dû vous l'expliquer en détail, on estimait, à l'époque, que le démantèlement représenterait 15 % de l'investissement, ce qui, une fois réactualisé, a donné le chiffre de 300 euros par kilowatt.
Pour Brennilis, on peut évaluer le coût total puisque la moitié du démantèlement a déjà été effectuée. Estimé à 20 millions d'euros par la commission PÉON, ce coût atteint déjà 482 millions d'euros, autant dire 500 millions d'euros ! En l'espèce, le coût est donc vingt fois plus élevé que prévu. Malgré tout, selon la Cour des comptes, « parmi ces coûts, les dépenses de démantèlement, c'est-à-dire les dépenses de « démolition » des centrales, sont estimées aujourd'hui à 18,4 milliards d'euros 2010, en charges brutes, pour le démantèlement des 58 réacteurs du parc actuel. » On en revient aux 300 euros par kilowatt, c'est-à-dire une broutille...
« La Cour considère que les méthodes utilisées par EDF pour ce calcul sont pertinentes mais ne peut pas en valider les paramètres techniques, en l'absence d'études approfondies par des experts. » Pour moi, ces méthodes ne sont pas pertinentes !
À la demande de France Nature Environnement, et plus particulièrement à ma demande, les associations ont pu avoir une journée de formation sur le démantèlement. Nous sentons bien qu'il s'agit d'une problématique émergente forte, non pas pour les 58 réacteurs actuels, mais pour ceux qui sont déjà arrêtés. Les centrales UNGG, uranium naturel graphite gaz, sont « vaguement » stoppées : le combustible a été retiré, et on ne sait pas quoi en faire. Nous voulions savoir ce qu'il allait advenir de ces centrales. L'Autorité de sûreté nucléaire a organisé une journée de formation pendant laquelle EDF, Areva et le CEA sont venus nous informer de ce qui avait été fait.
Lors de cette journée, EDF nous a donné un tableau avec les pourcentages - 15 %, 18 %, 22 % - pour chacune des UNGG. Si les dépenses futures sont toujours aléatoires, les dépenses passées sont connues. J'ai donc demandé s'il était possible de connaître le montant des dépenses déjà effectuées pour chacune de ces centrales. Si le pourcentage est de 15 % et que le coût nous était communiqué, il suffisait ensuite de faire la multiplication. Mais on m'a répondu que ces informations étaient secrètes. Et pourtant, nous parlons là de dépenses passées... Devant mon étonnement, on m'a expliqué qu'il s'agissait d'une opération commerciale. Un appel d'offres, c'est top secret ! Celui qui le remporte dépense ce qu'il veut - le moins possible, mais c'est son problème ; on contrôle simplement qu'il a bien fait ce qu'il devait faire.
Aujourd'hui, nous disposons d'un tableau des centrales UNGG, avec des pourcentages compris entre 10 % et 20 %, sans qu'on puisse avoir une idée des montants auxquels cela correspond. Avec un coût vingt fois supérieur aux prévisions, Brennilis est peut-être un cas particulier ; pour les autres, le rapport ne sera que de 1 à 5 ou de 1 à 10, mais j'aimerais connaître les chiffres.
Le démantèlement est véritablement le point faible. Le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, qui ne s'intéressait jusqu'en décembre dernier qu'aux risques industriels, chimiques et pétrochimiques et aux installations classées pour la protection de l'environnement est désormais compétent également en matière nucléaire.
Les arrêtés relatifs au nucléaire seront examinés par ce conseil. Un arrêté important est actuellement en préparation ; il sera relatif aux nouvelles installations nucléaires de base, comme Flamanville et, si cela se fait, Penly. Il tend à prévoir qu'un plan de démantèlement doit être présenté dans la demande de permis de construire et d'exploitation, afin d'anticiper l'arrêt de l'installation.
Nous avons indiqué notre satisfaction qu'une telle disposition soit applicable, le cas échéant, aux prochaines centrales. On aurait pu prévoir qu'un plan de démantèlement soit aussi exigé pour les 58 centrales en fonctionnement, qui n'en ont pas. Mais on n'a pas réussi à faire intégrer cette donnée dans l'arrêté. Pour ces réacteurs, comment voulez-vous évaluer le coût alors qu'il n'y a pas de plan de démantèlement ?
Enfin, je ne suis certainement pas la première à vous le dire, en matière de nucléaire, on suit une courbe de désapprentissage. Normalement, au fur et à mesure qu'une technique se développe, les coûts baissent. Mais, pour le nucléaire, depuis les premiers réacteurs jusqu'à aujourd'hui, les coûts d'investissement, c'est-à-dire les coûts de préparation du réacteur nucléaire, n'ont fait qu'augmenter. Les coûts des énergies renouvelables sont, quant à eux, en baisse. Dans peu de temps, les courbes vont se croiser.
Sur l'augmentation des coûts, je vous rappelle que, dans le dossier Flamanville, EDF prévoyait un coût de 42 euros par mégawattheure, un coût plus élevé qui s'expliquait par le fait qu'il s'agissait d'une nouvelle centrale. Quand EDF a déposé le dossier Penly, seulement cinq ans plus tard, le coût aurait dû diminuer puisque c'était la deuxième centrale, « rodée » après la première ; or il est passé à 55-60 euros par kilowattheure. Aujourd'hui, on sait que ce coût sera plutôt de l'ordre de 70-80 euros par kilowattheure avec le dérapage complet des coûts de l'investissement, qui ont tout de même doublé, passant de 3 milliards d'euros à 6 milliards d'euros. Il n'est pas certain qu'on arrive même au bout. Je ne sais pas si vous avez lu Le Canard enchaîné : je ne voudrais pas pour ma maison de leur béton à trous !
La quatrième question que vous m'avez adressée porte sur les énergies renouvelables. Quelle part résiduelle de nos besoins les énergies renouvelables pourraient-elles assurer ? Cela dépend de l'horizon temporel que l'on se fixe : 80 % en 2050 et la totalité en 2100.
Il faut garder à l'esprit que le flux solaire et ses dérivés - le vent, l'hydraulique, etc., c'est-à-dire tout sauf la géothermie - représentent chaque année en énergie 5 000 fois la consommation de toute l'espèce humaine. Si l'on arrivait un jour à n'en valoriser que 1 %o, on pourrait garantir la pléthore énergétique à l'ensemble de la planète sans que cela ait le moindre impact.
Avant de détailler les dispositifs actuels de soutien aux filières, je veux m'attarder un instant sur 2010, qui a été une année noire pour France Nature Environnement. Je rappelle quatre décisions qui ont été prises : au mois de mars a eu lieu le lancement des autorisations d'exploration des gaz de schiste ; entre avril et juillet a été organisé un débat public sur le second EPR ; au mois de juillet, les éoliennes sont entrées dans les installations classées pour la protection de l'environnement à autorisation, c'est-à-dire parmi les 50 000 usines les plus dangereuses de France ; au mois de décembre a été instauré un moratoire sur le photovoltaïque.
On peut résumer ces quatre mesures ainsi : une pour soutenir les fossiles, une pour soutenir le nucléaire, une pour plomber l'éolien, une pour plomber le photovoltaïque. Vous analysez cela comme vous voulez. Je me contente de relater les faits.
Pour soutenir les filières, seul fonctionne réellement le tarif de rachat garanti. Les appels d'offres peuvent fonctionner - je dis bien « peuvent », car je ne suis pas sûre - pour de très gros projets, l'éolien en mer par exemple. Je rappelle qu'en 2004 un appel d'offres a été lancé pour l'éolien en mer ; le concours a été réussi, un exploitant a été retenu, mais rien n'a été construit.
Lorsque le Gouvernement a désigné les gagnants des quatre concours, il leur a bien précisé qu'il leur faudrait mener la procédure administrative à son terme. Or il n'est pas dit qu'ils puissent y parvenir.
L'appel d'offres présente l'intérêt de garantir qu'il ne sera pas construit davantage que ce qui a été décidé. En revanche, il peut être construit beaucoup moins, voire rien du tout.
En 1995, quand l'industrie éolienne a démarré, l'objectif fixé était de 50 mégawatts par an jusqu'en 2005. En 2001, c'est-à-dire six ans après, 60 mégawatts avaient été produits. On a compris que l'on ne ferait jamais d'éolien. Recourir aux appels d'offres, c'est, en gros, le moyen de ne pas en faire trop. C'est pourquoi nous y sommes opposés : cela ne marche pas.
Arrêtons-nous un instant sur la filière éolienne. Je n'ai pas le temps de détailler, mais il s'agit d'une filière sur-réglementée. Dans aucun autre pays au monde, il n'existe une réglementation aussi invraisemblable, alors qu'il s'agit d'une filière qui n'est tout de même pas si dangereuse que cela ; c'est véritablement hallucinant ! La loi Grenelle II, malgré toute la bonne volonté du législateur, en a rajouté en créant les schémas régionaux éoliens. Les services de l'État ont alors décidé d'attendre que ces schémas soient élaborés pour commencer à instruire les dossiers.
Puis ont été instaurées les ICPE que l'on n'a pas osé classer « Seveso », mais presque ! On se demande pourtant quels sont les risques... Je vous rappelle qu'un membre de la mission d'information commune sur l'énergie éolienne, dont le nom m'échappe - c'était le mari du ministre de la défense d'alors -, était fortement anti-éolien, mais s'était prononcé contre les ICPE.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Patrick Ollier était le président de la commission, mais il n'en était pas le rapporteur.
Mme Maryse Arditi. - Je ne sais plus qui du rapporteur ou de son président a quitté la mission avant la fin, parce qu'il ne pouvait cautionner ce que contenait le rapport.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Ne partez pas, monsieur le président ! (Sourires.)
Mme Maryse Arditi. - Il reconnaissait lui-même que les ICPE n'étaient pas adaptées aux éoliennes, que cela ne marchait pas. Mais l'idée était tout de même de prendre cette décision et de proposer des ajustements.
Le résultat ne s'est pas fait attendre : en 2011, on a installé 30 % d'éoliennes de moins qu'en 2010. Je pense que c'était l'objectif recherché. Si tel n'était pas le cas, c'est bien dommage ! En tout cas, pour la première fois, on a constaté une chute de 30 %.
Or il faut souligner que l'éolien terrestre est à la marge de la rentabilité. Au mois de février dernier, pendant la crise du froid et la pointe d'électricité qu'a connue la France, RTE et EDF ont racheté le kilowattheure éolien moins cher que ce qu'ils ont acheté aux autres pays étrangers : entre 82 euros et 84 euros, contre 117 euros. Il n'est qu'à demander à tous les spécialistes, ils savent qu'à plusieurs reprises nous avons acheté l'éolien moins cher. Ce fut le cas en 2008, quand le prix des combustibles s'est envolé.
Il se trouve que j'ai une autre casquette à France Nature Environnement : je m'occupe des risques industriels. En ce moment, pour surveiller les 500 000 installations industrielles en France, notamment les 50 000 qui sont les plus dangereuses et qui sont soumises à autorisation, nous disposons seulement de 1 200 inspecteurs. Faites le calcul : cela ne suffit pas !
Des lois ont été votées pour alléger le travail de ces inspecteurs et leur permettre de se concentrer sur les sites les plus dangereux. Il a donc été décidé de dispenser certaines installations de ces autorisations et de les mettre à enregistrement. Il s'agit là d'une situation intermédiaire à laquelle nous sommes violemment opposés, car cela consiste à soumettre à un contrôle très faible des activités vraiment très polluantes ou très dangereuses. Dans le même temps, on demande à ces inspecteurs de contrôler des dossiers entiers d'études de danger sur les éoliennes. C'est de l'incohérence totale ! Les inspecteurs d'installations classées n'ont pas de temps à perdre : ils ne sont pas assez nombreux aujourd'hui pour évaluer des risques véritablement sérieux au moment où on essaie de mettre en place la loi Bachelot et les plans de prévision des risques technologiques, les PPRT. Nous n'avons pas les moyens de gaspiller leur temps. Je le dis par votre intermédiaire à la représentation nationale : un peu de cohérence !
Le moratoire instauré sur le photovoltaïque a probablement atteint une partie de ses objectifs. C'est un exercice difficile, car cela concerne à chaque fois des paquets de cinq à dix personnes, mais on évalue grosso modo à plusieurs milliers le nombre d'emplois perdus dans le secteur photovoltaïque pour la seule année 2011 - certains avancent celui de 7 000 -, et ce dans le silence le plus total. Personne n'en a parlé, cela ne gêne pas : on a tué une filière et des emplois émergents sans que cela suscite la moindre réaction ou préoccupe quiconque. En revanche, quand 300 personnes sont mises au chômage dans le nucléaire, c'est un scandale !
Dans ce domaine encore, il me semble que la France a commis une erreur et qu'une rectification importante s'impose. Pour le particulier qui veut installer le photovoltaïque sur sa toiture, on a exigé l'intégration au bâti.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Ah, ça !
Mme Maryse Arditi. - En d'autres termes, pour installer du photovoltaïque, quelqu'un qui possède une maison depuis vingt ans devra casser sa toiture, alors même que celle-ci est en excellent état et parfaitement étanche...
M. Jean Desessard, rapporteur. - C'est absurde !
Mme Maryse Arditi. - ... et il devra la remplacer par un système nouveau, avec tous les risques d'étanchéité - bac, raccordement - que l'on peut attendre d'une filière émergente. Qui plus est, cela lui coûtera trois fois plus cher, puisqu'il aura cassé sa toiture.
En Allemagne, le photovoltaïque est superposé. Cela coûte infiniment moins cher et, par conséquent, il n'est pas nécessaire de subventionner autant. En outre, comme cela n'entraîne aucun risque d'inétanchéité, les particuliers se lancent plus volontiers dans ces travaux.
Il faut dire stop aux agrocarburants : c'est une filière impossible.
Je conclurai en évoquant l'intermittence.
Tout d'abord, au regard du niveau de production et du pourcentage, il n'y a pas de problème aujourd'hui en France.
Ensuite, comme certains autres pays sont bien plus avancés que nous dans ce domaine, ils auront réglé le problème et trouvé les solutions avant nous et pour nous. Ainsi, on verra ce qui se passe au Danemark, qui fait déjà plus de 20 % d'électricité éolienne, ou au Portugal, qui décolle à toute vitesse.
Par ailleurs, et c'est un sujet important, il faut de la recherche sur le stockage d'électricité, et pas seulement sur les batteries et les volants d'inertie. Je crois savoir que le CEA est devenu le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives. Espérons qu'un jour la première partie de son sigle disparaîtra au profit de la seconde. Toujours est-il que, s'il est bien un commissariat aux énergies alternatives, il faut qu'il se mette à la recherche sur le stockage de l'énergie. Je crois qu'il a déjà entendu cette exhortation.
Enfin, mais c'est une opinion personnelle, je pense que, à l'horizon de 2050, l'hydrogène aura trouvé sa place.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Madame Arditi, je vous remercie beaucoup de ces explications très précises, que vous nous avez fournies avec passion. Nous les connaissions déjà un peu.
Avant de donner la parole à mes collègues, je vous poserai une question à laquelle il n'est pas nécessaire que vous répondiez maintenant. Puisque vous avez travaillé sur l'efficacité énergétique, dont vous avez parlé dans la première partie de votre intervention, vous avez réfléchi sur la directive européenne. Par conséquent, même si ce n'est pas tout à fait notre sujet, pourriez-vous nous envoyer par écrit votre position sur l'avancement de ce texte ? Cela m'intéresserait beaucoup. La directive européenne évolue, change. Le Sénat a commencé à travailler, plus en amont que l'Assemblée nationale, sur la première version de cet avant-projet de directive.
Concernant les questions que vous a adressées le rapporteur, il en est une sur laquelle je souhaite que vous nous apportiez plus de précisions. Il est évident que quitter plus ou moins rapidement la filière nucléaire pour entrer dans le renouvelable ou dans une période intermédiaire ou faire appel à des énergies de substitution aura une conséquence directe sur la taxe carbone. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Enfin, j'aimerais vous apporter une précision et vous rassurer. Nous aussi, sénateurs, nous nous sommes inquiétés du coût du démantèlement. Nous avons posé les mêmes questions que vous avec beaucoup d'insistance. Nous commençons à obtenir des éléments de réponse. Les chiffres que nous avons obtenus ne seront pas confidentiels, ils figureront dans le rapport de la commission d'enquête et seront publics. Ils concernent uniquement sept des neuf centrales de la toute première génération, celles d'EDF ; nous n'avons pas d'informations concernant les usines d'AREVA. Nous saurons ainsi tout ce qui a déjà été dépensé depuis 2000, vous y avez fait allusion tout à l'heure. Je tiens cependant à vous dire que, nous aussi, nous avons eu du mal !
Mme Maryse Arditi. - La taxe carbone est une évidence. J'en ai moins parlé, car elle concerne plus le climat que l'énergie elle-même. Pour nous, il s'agit non pas d'une taxe carbone mais d'une contribution climat-énergie, c'est très important. Pourquoi n'est-ce pas une taxe carbone ? De notre point de vue, elle porte sur deux éléments : sur l'énergie elle-même, d'une part, sur le contenu en carbone, d'autre part.
Notre objectif est d'aller vers une société où l'on ne gaspille pas l'énergie, quelle qu'elle soit. Il faut observer ce que certains pays ont déjà fait. Ainsi, la Suède a instauré une taxe de près de 100 euros, si je ne me trompe pas. Si son montant est si élevé, c'est parce que cette taxe a été créée il y a longtemps et qu'elle augmente progressivement. Il va de soi qu'il sera plus facile de créer cette taxe à l'échelon européen qu'au seul échelon national. Néanmoins, si déjà la France avait une position offensive, ce serait bien. Sur la directive européenne, la France a une position en retrait, comme tous les autres pays d'ailleurs. Le passage de la proposition de la Commission européenne au Conseil des ministres a réduit drastiquement toutes les ambitions.
Il n'en reste pas moins qu'avec cette taxe il faut faire attention d'abord à la justice, ensuite à l'aspect social, enfin à la façon de l'instaurer. En effet, il n'est plus possible de la mettre en place de façon brutale. Je rappelle que ce qui en avait bloqué sa création, c'est que les entreprises en avaient été exonérées au prétexte que, au mois de janvier 2013, c'est-à-dire dans très peu de temps, elles paieraient les quotas. On sait aujourd'hui que beaucoup d'entreprises ne le feront pas et en seront dispensées. Une étude complète doit être menée pour savoir ce qui reste.
Il nous paraît indispensable que, au cours de la prochaine mandature, la contribution climat-énergie soit mise en place. Cependant, compte tenu des nouveaux éléments et des évolutions, on ne pourra pas l'instaurer dans six mois - ce n'est pas suffisamment calé -, sauf à agir dans la précipitation.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. - Madame Arditi, je vous remercie de votre exposé. Vous l'avez souligné, les énergies renouvelables ont des problèmes d'intermittence. Des recherches beaucoup plus prégnantes sur le stockage de l'énergie sont nécessaires. La filière photovoltaïque a été complètement déstructurée, avec de la casse au niveau de l'emploi, vous l'avez rappelé.
Au regard de la complexité du sujet, des avancées et des reculs auxquels nous avons assisté, ne pensez-vous pas qu'il faudrait ouvrir un débat sur la maîtrise publique du secteur de l'énergie pour réorienter les dépenses, afin que, à coût constant, comme on le fait aujourd'hui, on puisse faire réellement face aux défis à venir ?
Mme Maryse Arditi. - Oui, à condition que la maîtrise publique soit une maîtrise citoyenne et pas seulement une maîtrise étatique.
Je prendrai l'exemple du Danemark où il n'est pas possible d'installer un champ éolien sans 20 % d'argent citoyen. En France, regardez la complexité et les difficultés auxquelles on doit faire face ; on essaie de faire évoluer la situation, mais c'est extrêmement difficile.
En France, quand on parle maîtrise publique, on a tendance à penser EDF, c'est-à-dire structure centralisée. Or, en matière d'énergies renouvelables, il faut penser public, citoyen, mais décentralisé.
Il faudrait pouvoir confier des pouvoirs réglementaires aux communes ou aux grandes intercommunalités sur un certain nombre de sujets. Barcelone ou Genève ont pu décider de refuser la construction de tout nouvel immeuble qui ne serait pas doté d'un chauffe-eau solaire thermique, classique, bien évidemment, pas photovoltaïque. Aucune collectivité en France n'a le droit d'agir ainsi.
Quand on envisage la question des énergies renouvelables, en caricaturant, on peut considérer que deux chemins sont possibles.
Premier chemin, on nationalise tout. Je pourrais presque dire qu'on a été obligé de sortir du domaine public et d'EDF pour arriver à faire un peu d'énergies renouvelables en France, c'est regrettable de devoir le dire ainsi, mais c'est ainsi.
Second chemin, on met en place des énergies décentralisées, citoyennes, majoritairement publiques.
Si on ne choisit pas cette dernière voie, on décide de mettre en place des « Desertec », c'est-à-dire d'installer des milliers de mètres carrés dans le désert et d'envoyer une grande ligne pour approvisionner toute l'Europe. Nous y sommes évidemment radicalement opposés. Si des moyens existent pour faciliter la prise en main par les citoyens qui veulent investir, parce qu'ils disposent d'un peu d'argent et préfèrent le faire dans un champ d'éolien plutôt que dans n'importe quelle opération stupide, cela me paraît essentiel. Ce n'est pertinent que sous cet angle-là, décentralisé et citoyen.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Je souhaite poser une question sur les certificats d'économie d'énergie. Lors des différentes auditions, diverses propositions nous ont été soumises. Selon certains, il faudrait établir une répartition différente entre propriétaires et locataires et procéder à une réorganisation.
Pouvez-vous être plus précise sur le bilan des certificats d'économie d'énergie et les incitations existantes ?
Mme Maryse Arditi. - Il n'est pas sorti grand-chose de la première table ronde nationale pour l'efficacité énergétique, sinon qu'il fallait commencer à préparer le troisième temps, de 2014 à 2017.
Après un an et demi de préparation, on peut commencer à dresser un premier bilan.
Tout d'abord, les certificats d'économie d'énergie ne sont finalement pas aussi présents que l'on peut l'imaginer dans la rénovation. Le marché de la rénovation couvre 11 %, mais seuls 2 % correspondent à des certificats d'économie d'énergie.
Le défaut des certificats d'économie d'énergie, c'est qu'ils supposent des « obligés », c'est-à-dire des structures qui n'ont pas très envie d'en faire. Il faut garder cet outil, mais il faut absolument arriver à régler une partie des effets pervers que le plan bâtiment Grenelle de la commission Pelletier a mis au jour. Je citerai par exemple le fait de ne réaliser qu'une partie de l'ensemble des travaux nécessaires. Il ne faudrait pouvoir obtenir des certificats d'économie d'énergie que pour des projets globaux, un peu importants, à tout le moins qui concernent deux ou trois aspects. Or on sait que 25 % des certificats d'économie d'énergie concernent les doubles vitrages. C'est tout à fait absurde.
En plus, lorsque tous les acteurs étaient réunis à la commission Pelletier, puisqu'il s'agissait de lancer le projet, les réticences se faisaient déjà jour ! Les représentants des transports ont prévenu qu'ils ne parviendraient pas à atteindre la moitié des objectifs qui leur étaient fixés ; d'autres ont averti qu'il leur serait impossible d'en faire plus. C'est la raison pour laquelle je pense que la seule vraie mesure - après on peut discuter qui paie, comment, comment cela se répartit, etc. -, consiste à interdire de vendre ou de louer les logements qui ont atteint un certain seuil de dégradation et sont devenus de véritables passoires.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La directive européenne actuellement en projet à Bruxelles s'inspire notamment des certificats d'économie d'énergie français et anglais et envisage de les étendre à l'ensemble des pays européens. Certes, vous avez raison, ce dispositif peut être perfectionné, mais il ne marche pas si mal et, en tout cas, cela va dans la bonne direction.
Mme Maryse Arditi. - C'est un outil en plus.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Je suis d'accord.
La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Madame, vous avez évoqué le concept de citoyenneté pour le passage aux énergies renouvelables et leur administration. Si la configuration que vous avez évoquée était appliquée - une forme de décentralisation et des décisions réglementaires région par région - et que l'on écarte une institution quelle qu'elle soit, par exemple l'État et ses capacités régaliennes, j'ai peur que, à terme, les décisions se prennent sur des critères essentiellement fiscaux ou économiques. De fait, des régions ou des départements deviendront des laissés-pour-compte.
Ma question ne porte pas sur ce sujet. Je souhaite connaître votre point de vue sur les disparités évidentes que nous constatons. Je pense en particulier à ceux qui, pour des raisons sociologiques et économiques, passent complètement à côté de ce dispositif. Cette mutation que vous appelez de vos voeux - comme nous le faisons d'ailleurs - serait réservée à ceux qui, dans l'ancienne utilisation des énergies au sens large, ont tout vu et tout connu.
Mon inquiétude est la suivante, et je rejoins en ce sens ma collègue Mireille Schurch : comment faire pour que l'ensemble des consommateurs de ce pays - je n'ose parler de citoyens consommateurs - soient concernés de près ou de loin ? Si nous n'y parvenons pas, on trouvera d'un côté ceux qui, encore et toujours, bénéficient des dispositifs high tech et, de l'autre, ceux qui ne peuvent même pas envisager des économies d'énergie, parce qu'ils n'en ont pas les moyens économiques.
De manière très générale, comment pensez-vous parvenir à cet objectif souhaitable, tout en faisant en sorte qu'il concerne le plus grand nombre ?
Mme Maryse Arditi. - J'ai été rapide sur ce point, même si j'ai avancé deux idées.
En premier lieu, la précarité énergétique est la préoccupation majeure de France Nature Environnement. Il n'est qu'à se rendre sur le site : ce problème est mis en avant. Évidemment, il ne s'agit pas de se contenter de dire aux gens qu'ils économiseront de l'énergie, même si ce peut être le cas : il faut déjà qu'ils accèdent au confort !
M. Jean-Jacques Mirassou. - Tout à fait d'accord !
Mme Maryse Arditi. - Ils consomment la moitié de ce qu'ils devraient consommer, se gèlent, constatent des moisissures sur les murs de leur logement et leurs enfants sont malades. C'est un souci important pour nous.
Nous réfléchissons à une tarification progressive, en faisant attention aux effets pervers. Une tarification a pour objectif de signifier que tous ceux qui gaspillent allègrement n'ont qu'à payer plus cher : s'ils le font, c'est bien qu'ils en ont les moyens, sinon ils ne le feraient pas.
En second lieu, la précarité énergétique s'accompagne. Selon Philippe Pelletier, on n'a pas réussi à réduire la consommation énergétique et la précarité énergétique parce que le grand emprunt a consisté à prévoir une somme d'argent qui n'était destinée qu'à la réalisation de travaux et non à des politiques d'accompagnement - même pas 3 % - pour aider les gens à prendre conscience de ce qu'ils pourraient faire. Du coup, l'enveloppe n'a pas pu être entièrement dépensée ! C'est un véritable enjeu, car il faut accompagner les gens qui sont en situation de précarité énergétique.
J'ai donné des conférences sur la précarité énergétique en expliquant aux gens comment ils pouvaient améliorer un tout petit peu leur confort, en ne consommant pas plus et même s'ils n'avaient aucun moyen. Je ne rentrerai pas dans le détail, mais on peut intervenir facilement sur sa maison.
J'ai également fait de la formation sur la thermique du bâtiment. Il me paraît absolument indispensable de fournir des explications et des solutions aux gens. Nous voulons que nos discours concernent l'ensemble des citoyens et pas seulement nos 800 000 membres.
Dans les milieux ruraux en particulier, on trouve des foyers qui se trouvent dans des situations difficiles, mais qui n'ont pas besoin de grand-chose pour réaliser des économies d'énergie. L'accompagnement est indispensable, mais la tarification progressive est aussi un signal. Quelqu'un m'a dit : c'est au moins un signal écologique qui n'a aucun impact négatif socialement, il peut même avoir un impact positif. Ce discours-là nous paraît important.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Madame Arditi, je suis d'accord avec vous, la précarité énergétique est un véritable problème qu'il n'est pas facile de traiter. Il touche beaucoup plus de foyers que les 800 000 qui ont droit à cette aide publique : il en concerne probablement entre 4 millions et 6 millions. Or ceux-ci n'ont pas les moyens de réaliser les travaux nécessaires qui les aideraient pourtant à payer leur facture annuelle.
Je vous remercie de la manière passionnée avec laquelle vous êtes exprimée ; cela ne nous a pas surpris ! (Sourires.)
Audition de Mme Annegret Groebel, responsable du département des relations internationales du Bundesnetzagentur fûr Elektrizität
M. Ladislas Poniatowski, président. - La suite de notre ordre du jour de ce matin appelle l'audition de Mme Annegret Groebel, responsable du département des relations internationales du régulateur allemand du marché de l'électricité, le Bundesnetzagentur für Elektrizität.
Du fait de la nationalité de Mme Groebel, une traduction instantanée a été prévue, afin d'être sûrs que nous nous comprenions bien, les sujets abordés étant souvent extrêmement techniques.
Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son « droit de tirage annuel », afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Cela nous amènera notamment à nous interroger sur l'existence d'éventuels « coûts cachés », qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière, et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.
À cette fin, notre commission d'enquête a jugé utile d'entendre Mme Annegret Groebel, afin d'avoir l'éclairage du régulateur allemand sur le sujet qui nous intéresse.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées. Pour ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique et un compte rendu intégral en sera publié.
Madame Groebel, je vous remercie de votre présence parmi nous ce matin. Le sujet dont traite la commission d'enquête intéresse extrêmement les Français. Le coût de l'électricité dépend du mix énergétique. Comme en Allemagne et dans nombre d'autres pays européens, ce dernier est en train d'évoluer compte tenu, notamment, de la conjoncture économique et du sort réservé au nucléaire à la suite de l'accident survenu à Fukushima.
Monsieur le rapporteur, je vous laisse préciser ce qu'attend notre commission, en particulier les informations dont vous avez besoin pour votre enquête, sachant que Mme Groebel aura ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, mais aussi l'ensemble des membres de la commission d'enquête, pourront lui poser.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Madame Groebel, pouvez-vous présenter brièvement le marché de l'électricité de votre pays ? Comment fonctionne-t-il et quels sont les facteurs de détermination du prix payé par les consommateurs ? Existe-t-il des mécanismes favorables à certaines catégories de consommateurs - tarifs sociaux, plafonnement de taxes pour les industriels électro-intensifs ? Constate-t-on une égalité ou, à l'inverse, des différences de prix selon les régions de consommation ?
Par ailleurs, le prix actuel de l'électricité dans votre pays reflète-t-il correctement les « coûts réels » de l'électricité - production et transport -, y compris les externalités négatives, comme les émissions de CO2 ou le risque nucléaire ?
Selon votre analyse, quelle devrait être l'évolution du prix de l'électricité dans votre pays au cours des cinq années à venir ? Pouvez-vous nous préciser les principaux facteurs d'évolution de ce prix ?
Comment devrait évoluer le mix électrique, notamment la part des énergies renouvelables, dans votre pays dans les dix à vingt prochaines années ? Quelles sont les conséquences des différences de choix opérées par l'Allemagne en matière nucléaire ? Ces choix fontils l'objet d'un débat politique ? De quelles aides les nouvelles filières bénéficient-elles - subventions, tarifs de rachat, notamment ?
Enfin, quelles sont les perspectives d'investissements sur le réseau de transport, en particulier pour ce qui concerne la gestion des énergies renouvelables ou la mise en place de smart grids ainsi que d'interconnexions ? À moyen et long termes, estimez-vous que le développement des interconnexions effacera les différences de prix de l'électricité entre les pays européens quels que soient les choix nationaux opérés en matière de bouquet électrique ou, au contraire, les logiques nationales devraient-elles perdurer ?
Mme Annegret Groebel, responsable du département des relations internationales du Bundesnetzagentur fûr Elektrizität. - Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invitée. J'interviens devant votre commission d'enquête au nom du régulateur allemand qui traite des cinq secteurs du gaz, de l'électricité, des télécommunications, de la poste et des réseaux de recherche et développement.
En Allemagne, l'ouverture du marché à la concurrence a eu lieu en 1998, date de l'adoption des premières directives européennes relatives à l'organisation du marché intérieur. On a alors permis aux consommateurs de changer de fournisseur d'électricité et de gaz.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous devez avoir à l'esprit une particularité du marché allemand. Notre pays dispose de quatre gestionnaires de réseaux de transport d'électricité - RWE, E.On, Vattenfall, EnBW - et de douze gestionnaires de réseaux de transport du gaz. Le réseau de distribution comporte environ 800 gestionnaires pour ce qui concerne l'électricité et 600 gestionnaires pour ce qui concerne le gaz. De ce fait, les responsabilités relatives à la régulation sont diluées.
L'agence que je représente est compétente à l'égard des gestionnaires du réseau de transport et des réseaux auxquels sont raccordés plus de 100 000 clients et qui couvrent une grande partie du territoire. Pour les autres cas de figure interviennent des régulateurs régionaux. Cette structure est certes compliquée, mais elle présente des avantages, notamment pour le benchmarking.
En 2010, la capacité de production d'électricité a augmenté en Allemagne et s'établit à 160 gigawatts. Environ 30 % sont produits grâce au recours aux énergies renouvelables. Plus particulièrement 27 gigawatts sont dus à l'éolien et 17 gigawatts à l'énergie solaire. La part du charbon dans la production d'électricité est encore importante ; 45 gigawatts sont produits à partir du charbon et du lignite. Cette production doit être réduite si nous voulons respecter nos engagements relatifs à la protection de l'environnement.
Avant que ne soit prise la décision de sortir du nucléaire, autrement dit avant 2010, nous produisions 21 gigawatts d'électricité à partir du nucléaire et du gaz. Après la catastrophe de Fukushima, survenue le 11 mars 2011, nous avons décidé d'arrêter un certain nombre de centrales nucléaires. La nouvelle législation a entériné cette prise de position. Neuf centrales nucléaires sur dix-sept ont été définitivement fermées. De ce fait, la production d'électricité a enregistré une perte certaine, mais celle-ci a pu être d'ores et déjà partiellement compensée par le recours aux énergies renouvelables.
En raison de cette décision de sortir du nucléaire, nous devons davantage faire appel à l'éolien. À cette fin est prévue l'installation de parcs éoliens en mer du Nord et en mer Baltique. Bien évidemment, les investissements qui devront être réalisés sont importants.
Par ailleurs, nous devons restructurer et adapter les réseaux de transport d'électricité, afin de prendre en compte les énergies renouvelables. En effet, la production d'électricité à partir de ces énergies est davantage décentralisée que celle qui est réalisée à partir du nucléaire ou du charbon.
En Allemagne, de nombreuses centrales nucléaires situées dans le sud et le sud-ouest du pays qui ont fourni de l'électricité aux industries installées dans ces régions ont été fermées. De plus, l'électricité d'origine éolienne est essentiellement produite en mer du Nord. Il faut donc adapter les réseaux de transport, notamment renforcer le transport de l'électricité produite au nord de l'Allemagne à destination du sud du pays.
La restructuration du réseau est le défi le plus important que doive relever l'Allemagne, après la conduite de la sortie du nucléaire.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Quelle augmentation de la facture d'électricité des consommateurs résultera des investissements que nécessiteront l'éolien en mer et l'adaptation du réseau de transport ?
Mme Annegret Groebel. - Nous avons procédé à certaines estimations, mais les indications que je vais vous fournir ne sont pas absolues, car, comme la France, l'Allemagne conduit des négociations avec les gestionnaires de réseau qui portent sur des programmes à dix ans.
Nous avons présenté trois scénarios qui se différencient essentiellement en fonction de la part des énergies renouvelables. La variable de ces trois scénarios est le mix énergétique, qui détermine le volume des investissements.
L'Allemagne assure une très forte promotion des énergies renouvelables. En 2011, le consommateur a enregistré une augmentation de 2 centimes du tarif de l'électricité, hausse due au recours à ces énergies. Actuellement, à l'échelon national, il paie 25,45 centimes le kilowattheure d'électricité. Au cours des années à venir, nous misons sur une progression des prix comprise entre 3 % et 5 % selon le scénario choisi, autrement dit selon le mix énergétique. Mesdames, messieurs les sénateurs je vous communiquerai des informations plus détaillées sur ce point ultérieurement.
En 2006, le coût de la distribution représentait 35 % du prix de l'électricité. Aujourd'hui, il s'établit à 20 %. Il a donc été réduit. Mais, parallèlement, le prix de production de l'énergie a augmenté. Par conséquent, nous n'avons pas enregistré une baisse globale des prix à la consommation.
Par ailleurs, en Allemagne, les consommateurs recourent très fréquemment à la faculté qui leur est offerte de changer de producteur et de distributeur d'énergie. Certains d'entre eux le font tout simplement parce qu'ils souhaitent favoriser le développement des énergies renouvelables ; ils sont prêts à payer plus cher l'électricité qui leur est fournie. Notre pays a connu une augmentation des prix de l'électricité en raison de la décision prise de sortir du nucléaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais maintenant vous donner des informations relatives à la part des différentes sources d'énergies. Ce point est très important, pour nous comme pour vous.
La production à proprement parler d'électricité représente environ un tiers du prix à la consommation ; la part de la distribution correspond à peu près à 20 % du tarif ; la taxe EEG, qui vise à promouvoir les énergies renouvelables, en représente 13,7 %. Ce pourcentage est appelé à augmenter puisque nous voulons encourager le recours à ces énergies, lesquelles devraient passer de 30 % à 80 % dans le mix énergétique en 2025, date à laquelle les dernières centrales nucléaires allemandes devraient être fermées.
La sortie du nucléaire a été décidée en 2011. Actuellement, nous disposons d'une douzaine d'années pour fermer définitivement toutes les centrales nucléaires et pour opérer la restructuration de la production et de la distribution de l'énergie.
En raison des objectifs fixés à l'échelon européen en matière de lutte contre le réchauffement climatique et contre les émissions de CO2, l'Allemagne doit encore limiter la place occupée par les centrales au charbon. Un certain nombre de ces centrales doivent soit être fermées définitivement, soit être remplacées par des centrales du même type mais plus modernes, qui émettent moins de CO2.
Nous avons décidé de renoncer à l'enfouissement de CO2 dans des couches souterraines, car cette pratique a des conséquences négatives. Par conséquent, dans un avenir proche, nous n'allons pas installer de réservoirs à cette fin.
Un autre élément intervient dans le prix à la consommation, à savoir la taxe qui doit être payée à la municipalité par le distributeur et qui s'élève à 6,5 %. De plus, d'autres taxes correspondent à un quart du prix de l'électricité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous constaterez que l'ensemble des taxes qui doivent être versées à l'État et la taxe tendant à promouvoir les énergies renouvelables représentent 50 % du prix de l'électricité. C'est sur les 50 % restants qu'intervient l'agence que je représente et qui n'est compétente que dans le domaine du réseau de transport.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Madame Groebel, si j'ai bien compris, ces derniers 50 % concernent la production et l'acheminement.
Mme Annegret Groebel. - C'est exact, monsieur le rapporteur.
Mon agence n'est compétente ni en matière de production ni dans le secteur de la distribution, car selon nous ces marchés doivent être soumis à la concurrence et au contrôle de l'Office des cartels. Les prix finaux ne sont pas fixés. Ils sont déterminés par le marché.
Si les tarifs augmentaient de façon trop importante et injustifiée, l'Office des cartels pourrait intervenir pour déterminer si des abus ont été commis. Son rôle dans le domaine du contrôle des prix a été renforcé en 2009, avant la décision de sortir du nucléaire, afin d'éviter toute dérive des prix à la consommation.
Il faut se le rappeler, à cette époque, la concurrence dans les secteurs de la production et de la distribution n'était pas aussi importante qu'aujourd'hui. Depuis lors, l'Office des cartels n'a pas constaté d'abus ou de dérive des prix.
Comme je l'ai indiqué précédemment, les consommateurs tentés de changer de fournisseur ou de distributeur sont de plus en plus nombreux.
En tant que régulateur, nous avons édicté un certain nombre de règles qui normalisent un tel changement. Ainsi, un client souhaitant changer de fournisseur doit en faire part au nouveau fournisseur qu'il a choisi. C'est ensuite celui-ci qui prend contact avec son concurrent afin que tous deux conviennent du jour auquel aura lieu le basculement. La démarche est donc très simple et sécurise le client final. Environ 6,5 % des consommateurs ont d'ores et déjà agi ainsi.
Par ailleurs, nombre de consommateurs ne changent pas de fournisseur mais renégocient avec lui leurs tarifs. Ils modifient leur contrat afin d'obtenir des conditions plus avantageuses. Une telle démarche démontre que les consommateurs connaissent leurs droits ; ils mettent en avant leur faculté de changer de fournisseur pour négocier de meilleurs tarifs.
Dans ce domaine, il existe une jurisprudence. Ainsi, les gestionnaires de réseau doivent fournir aux consommateurs des informations pertinentes justifiant une augmentation de prix. À défaut, le client est en droit de refuser cette hausse. De ce fait, les droits des consommateurs ont été grandement renforcés.
Je l'ai déjà indiqué, le marché allemand a été libéralisé de façon formelle depuis 1998. Mais, en réalité, cette ouverture s'est produite très lentement. Les possibilités de changer de fournisseur étaient extrêmement limitées. Elles n'étaient pas prévues par l'Office des cartels.
En 2005, le législateur a reconnu que seul l'Office des cartels ne pouvait pas opérer cette ouverture. Il a donc adopté un nouveau train de mesures et confié à notre agence cette compétence supplémentaire, à l'instar de celle dont dispose la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, en France. Par conséquent, nous avons maintenant des compétences ex ante. Ce pas fut décisif pour procéder à une meilleure régulation et à l'ouverture des marchés. Les consommateurs ont donc la possibilité de changer de fournisseur et en tirent avantage.
Par ailleurs, nous contrôlons les tarifs des réseaux. Depuis 2009, nous avons opté pour une régulation incitative. Autrement dit, nous fixons un prix plafond qui permet d'amortir les coûts réels. Sont concernés les coûts d'investissement, les coûts opérationnels et les coûts en capitaux. De surcroît, la rentabilité des investissements dans les réseaux est assurée.
Nous déterminons le prix plafond sur la base d'un benchmarking. Nous nous référons aux prix de tous les opérateurs de réseaux puis nous fixons ce prix plafond et définissons les taux de rentabilité que les gestionnaires de réseaux doivent réaliser. En situation de monopole, il n'y a aucune incitation à réduire les coûts et la gestion n'est pas rentable. En effet, les salariés sont très nombreux et jouissent de droits très importants. Par conséquent, dans un tel cas de figure, les coûts très élevés représentent un frein pour le marché. C'est pourquoi nous avons voulu introduire la concurrence sur le marché tout en incitant les entreprises à investir.
Nous misons sur deux éléments : d'une part, la réduction des coûts et, d'autre part, l'incitation aux investissements. C'est la raison pour laquelle nous avons fixé ce prix plafond.
Quelle est l'incitation ? En 2009, nous avons décidé de permettre aux gestionnaires efficaces qui pratiquent des tarifs plus rentables que le prix indicatif de conserver la différence.
Cette année, nous arrivons au terme de la première période de régulation pour les producteurs et distributeurs de gaz. L'année prochaine, tel sera le cas pour les producteurs d'électricité. Puis nous passerons à un deuxième plan « quinquennal ».
Nous voulons favoriser en même temps l'efficacité, la rentabilité des réseaux et les investissements effectués dans ces réseaux. Nous oeuvrons de façon à rendre possibles ces investissements par un retour sur investissement attribué aux gestionnaires de réseaux. Ces derniers prennent les décisions et peuvent amortir leurs investissements grâce à une meilleure rentabilité.
Par ailleurs, nous menons un certain nombre de programmes de subventions. Mais, en général, les investissements doivent s'autofinancer. L'État n'intervient pas de façon décisive pour ce qui concerne l'amortissement des investissements.
À la suite de la décision de sortir du nucléaire, nous avons décidé d'autoriser des budgets d'investissement en dehors de la base de régulation. Les gestionnaires de réseaux sont en droit de bénéficier de nouveaux moyens pour investir afin d'adapter les réseaux.
Comme je l'ai déjà indiqué, selon nous, la sortie du nucléaire ne pose pas de problème pour ce qui concerne les investissements. Nous constatons que les gestionnaires de réseaux investissent beaucoup. De surcroît, des fonds de pension non seulement investissent dans des obligations d'État, mais également souhaitent procéder à des investissements plus structurels, qui garantissent un retour sur investissement.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Quel est le prix plafond pour le réseau ?
Mme Annegret Groebel. - Il est établi de façon individuelle. Nous avons 800 gestionnaires de réseaux de distribution et quatre gestionnaires de réseaux de transport. À chacun d'entre eux est octroyé un taux d'efficacité. Puis, à l'aide d'une clé, le tarif est fixé. Le prix moyen pondéré s'élevait à 5,75 centimes par kilowattheure en 2011, à 5,81 centimes en 2010 et à 6 centimes en 2009 sur tous les réseaux. Comme je l'ai indiqué, ce tarif peut varier en fonction des distributeurs.
Je le répète, selon nous, le financement des investissements ne soulève aucune difficulté. Nous pensons que les capitaux sont disponibles. Le taux de rentabilité est assez attractif pour les producteurs d'électricité et de gaz.
Nous estimons que le problème le plus important concerne les délais de programmation et d'autorisation. À ce jour, en Allemagne, les programmations et les autorisations ont toujours été réalisées à l'échelon des Länder et non pas au niveau fédéral. Ce système peut vous paraître étrange, mesdames, messieurs les sénateurs, car l'organisation française est différente, beaucoup plus centralisée, ce qui peut présenter des avantages. Il se peut donc que certains Länder aient déjà donné leur accord, contrairement à d'autres.
À la suite de la décision de sortir du nucléaire, nous avons constaté qu'il fallait changer cette façon d'organiser la programmation et l'autorisation. C'est pourquoi, depuis 2011, la loi portant sur le développement du réseau a confié la responsabilité de ces opérations à notre agence, qui s'est vu attribuer une nouvelle compétence. Celle-ci vise à favoriser le développement du réseau et à résoudre tous les problèmes résultant du fonctionnement décentralisé de l'Allemagne.
Grâce à cette réforme, nous pensons réduire de moitié les délais de programmation et d'autorisation, qui passeraient de dix à cinq ans, ce qui devrait nous permettre de mieux gérer la sortie du nucléaire. En effet, le principal problème qui se pose n'est pas le démantèlement des centrales et le développement d'autres capacités de production, mais le renforcement des réseaux et leur adaptation aux énergies renouvelables.
Cette compétence a donc été confiée à notre agence ; elle constitue désormais le noyau de notre activité.
Sur la base du plan de dix ans, qui découle également du troisième programme du marché intérieur, et du plan de développement des réseaux, un plan des besoins fédéraux sera élaboré. Nous voulons le finaliser vers la mi-2012, pour que les autres processus puissent commencer ensuite et les autorisations se faire par blocs.
Tel est le concept sur lequel nous travaillons avec les GRT, les gestionnaires de réseaux de transport. Toutefois, sa mise en oeuvre est assez complexe. Nous espérons que la partie « programmation » fera l'objet d'une coordination minimale, comme cela s'est fait par le passé.
En effet, ce point fait l'objet d'un débat aujourd'hui en Allemagne. Une large majorité de la population soutient le changement de cap énergétique et considère qu'il est juste. Toutefois, nombre d'experts affirment qu'il s'agit d'un recul, en ce sens que, désormais, à cause de la libéralisation, le marché n'est plus régulé. Ils réclament plus de planification dans l'économie.
Nous partageons cette crainte, que le président de l'Office des cartels vient d'ailleurs de thématiser. C'est pour cette raison que nous essayons d'accélérer l'extension du réseau, en réduisant au maximum les étapes nécessaires. Toutefois, cela suppose davantage de planification : c'est un point absolument indispensable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne sais pas si j'ai répondu à toutes vos questions... Peut-être voulez-vous en poser d'autres, pour savoir où nous en sommes concrètement en Allemagne ?
M. Ladislas Poniatowski, président. - Merci, madame. Nous avons bien compris le rôle du régulateur, qui est très important en matière de transport et bien moindre en matière de production et de distribution ; je tenais à le rappeler à mes collègues, afin que leurs questions se concentrent sur les problèmes de transport.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Madame Groebel, vous avez répondu à l'ensemble de nos questions, en soulignant que le problème ne résidait pas dans la production et qu'il y avait adaptation du réseau.
Je souhaite dresser un parallèle avec la situation de la France. Quand vous parlez de « réseau », de quoi s'agit-il ? Du seul réseau de transport ou aussi de la distribution ?
M. Ladislas Poniatowski, président. - C'est la même chose qu'en France ! Le système allemand est identique à celui que nous connaissons, sauf qu'il ne compte pas un transporteur, mais quatre grands. Le réseau de transport est le même dans les deux pays et les réseaux de distribution jouent en Allemagne le même rôle qu'ERDF, c'est-à-dire qu'Électricité réseau distribution de France, chez nous. Il faut avoir ces éléments présents à l'esprit pour bien comprendre.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Merci, monsieur le président. Peut-être pourrez-vous répondre à ma question suivante, avec l'aide de Mme Groebel. (Sourires.)
Le coût de 5,75 centimes par kilowattheure correspond-il au réseau à haute tension ou au réseau de distribution ?
Mme Annegret Groebel. - Il s'agit d'une moyenne qui concerne l'ensemble des réseaux de transport et de distribution. En outre, il existe un mécanisme de basculement : le courant électrique est transporté via le réseau de transport puis via le réseau de distribution jusqu'au client final, s'il n'y a pas de régie municipale directe. On calcule alors son coût, en prenant en compte au prorata l'utilisation de chaque réseau, afin que le coût de l'acheminement de l'électricité ne soit pas imputé deux fois. Les 5,75 centimes représentent une moyenne globale ; ils se répercutent dans le coût de la distribution, qui représente 20 % du coût final de l'électricité pour le consommateur.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Madame Groebel, je souhaiterais vous interroger sur le droit de refus qui s'applique à l'augmentation des tarifs.
J'ai bien compris que l'ouverture du marché n'avait été qu'un succès relatif, puisque, comme vous nous l'avez expliqué, 6 % des consommateurs, grosso modo, ont changé de fournisseur. Nous savons très bien que chaque grand fournisseur reste en quelque sorte en situation de monopole dans sa zone d'influence, c'est-à-dire dans les Länder où il intervient. Il est donc très difficile pour un client d'aller se fournir ailleurs. En revanche, comme vous nous l'avez expliqué, la renégociation du contrat avec le fournisseur rencontre davantage de succès.
Le droit de refus m'a toujours intrigué. Je sais qu'il existe, mais, si un fournisseur accepte de ne pas augmenter le prix de l'électricité pour un client, que ce soit un particulier ou un industriel, il doit le faire dans toute sa zone d'influence. Or s'il souhaite accroître ses prix, c'est parce qu'il doit réaliser des investissements, notamment ceux que vous avez évoqués - fermer progressivement ses centrales à charbon « sales » pour les remplacer par d'autres plus « propres », par des centrales à gaz ou par de l'éolien, par exemple -, autrement dit parce que ses coûts de production et d'exploitation augmentent.
L'augmentation des prix vaut pour tout le monde. Or si un client veut exercer son droit de refus et s'il obtient gain de cause, c'est-à-dire si le tarif n'augmente pas pour lui, c'est très mauvais pour le fournisseur, car tous les autres clients risquent d'adopter la même attitude. Comment ce droit de refus fonctionne-t-il ? Quelle est la marge de manoeuvre des acteurs ? Jusqu'où cette démarche peut-elle aller ?
Mme Annegret Groebel. - Le système fonctionne de la manière suivante, me semble-t-il : le gestionnaire de réseau calcule les coûts totaux, qui ne seront répercutés que plus tard sur le prix du kilowattheure. Pour cela, il additionne les coûts d'investissement et les coûts d'exploitation. Le gestionnaire de réseau est également l'institution qui fixe le prix, compris dans une formule, de l'abonnement au kilowattheure. Enfin, il connaît la part des clients industriels qui, au préalable, disposaient d'une certaine puissance de marché et bénéficiaient donc de prix plus bas, car il est toujours possible de les négocier.
Par conséquent, le gestionnaire de réseau doit intégrer dans son prix la perte de certains clients. Il lui faut toujours calculer un quantum de risques, car il existe un bloc de coûts qu'il doit récupérer à 100 %. Il sait qu'il va perdre des clients et intègre donc en amont cet élément dans son prix. Et s'il constate que, finalement, il en perd plus que prévu, il ne lui reste qu'à se focaliser sur les coûts, c'est-à-dire sur les investissements.
Il existe différentes catégories de coûts, mais nous considérons par principe que les coûts de capitaux sont contrôlables ; ce point est très important. Nous estimons également qu'un fournisseur doit parvenir à gérer des coûts. Il ne doit pas se contenter de répercuter leur augmentation sur les clients : il doit tenter de les influencer, notamment s'il perd des clients. Telle est la logique sous-jacente de ce système.
Enfin, si tous ses clients agissent de la même façon, le fournisseur sera forcément confronté à une difficulté. Toutefois, dans ce cas, ses concurrents auront un avantage et je pense que, en fin de compte, le marché s'équilibrera. Au cours du prochain round, il devra procéder à un nouveau calcul des prix.
Il faut le souligner, divers gestionnaires de réseau se sont fédérés, en arguant que l'existence de 800 GRT n'était pas efficace du point de vue économique, car même si ceux-ci produisent de manière efficace et rentable, ils ne sont pas viables économiquement. En outre, la consolidation du marché a joué : des gestionnaires de réseau se sont regroupés parce qu'une telle démarche entraîne toujours une réduction des coûts, donc un avantage.
C'est ainsi que la régulation s'est opérée : des gestionnaires ont fusionné ou encore ont quitté le marché. Une telle régulation incitative repose sur l'idée que les coûts inefficaces ou non rentables financièrement seront supprimés. Elle implique aussi que, lorsqu'un mauvais investissement a été réalisé, le gestionnaire de réseau ne peut s'attendre à récupérer tous ses coûts ; ce point est crucial.
Au final, le gestionnaire peut proposer des prix plus élevés parce qu'il a été inefficace et a mal géré ses coûts, comme cela arrive régulièrement pour certaines entreprises.
Les GRT ont accumulé des réserves importantes, et même trop importantes - c'est du moins mon opinion d'économiste -, justement pour écarter ce risque. Toutefois, on ne peut pas exclure qu'un gestionnaire de réseau doive se retirer complètement du marché - ce cas de figure s'est produit - ou fusionner avec un autre pour atteindre une taille plus importante et devenir plus rentable économiquement.
Il s'agit d'ailleurs d'un effet escompté de la régulation : favoriser la mise en place de gestionnaires dont la taille est plus importante et qui sont donc plus efficaces du point de vue de la gestion. En effet, l'existence de 800 gestionnaires en Allemagne, qui s'explique par des raisons historiques - chaque commune avait sa régie de distribution - n'est pas toujours optimale économiquement. Nous avons agi consciemment en ce sens : au travers de la régulation incitative, nous avons essayé de rendre le secteur des réseaux plus efficace.
Toutefois, les gestionnaires de réseau vous tiendront un autre discours ! (Sourires.)
M. Ladislas Poniatowski, président. - Ce que l'on appelle en Allemagne les « gestionnaires de réseau », ce sont en France les distributeurs locaux.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Comment sont appelés les quatre gestionnaires des réseaux de transport ?
M. Ladislas Poniatowski, président. - Ce sont les quatre grands transporteurs. Ils ont été cités tout à l'heure.
Mme Annegret Groebel. - RWE, E.On, Vattenfall et EnBW.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Mais quel nom leur donner ?
M. Ladislas Poniatowski, président. - Ce sont des transporteurs, comme chez nous.
La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. - J'ai plusieurs questions à poser.
Premièrement, vous avez indiqué que le prix de 5,75 centimes était une moyenne. Pouvez-vous nous donner les écarts de tarification constatés ? J'ai compris que les prix étaient différents selon les gestionnaires, mais varient-ils également en fonction des Länder ? Vous avez expliqué que l'abandon du nucléaire et le choix de l'éolien impliquaient de restructurer complètement le réseau, ce qui signifie que certaines régions se trouveront plus éloignées qu'auparavant des centres de production. Constatez-vous que, dans ces régions, le tarif a augmenté, ce qui créerait une disparité dans les tarifs en fonction de la géographie ?
Deuxièmement, si j'ai bien compris, des investissements seront réalisés par des gestionnaires différents, ce qui veut dire que la propriété des réseaux appartient à divers GRT. Ces derniers éprouvent-ils des difficultés à utiliser le réseau de leurs concurrents ? Comment réglez-vous cette question ? L'autorité dont vous êtes l'une des responsables y suffit-elle, ou peut-on imaginer que, à terme, des conflits s'élèveront entre les gestionnaires pour, en quelque sorte, empêcher la concurrence de se développer sur les réseaux où elle n'est pas présente ?
Troisièmement, et enfin, quelle est la part de l'électricité dans le chauffage en Allemagne ?
Mme Annegret Groebel. - Pour répondre à votre première question, l'éventail des prix va de 3 à 12 centimes. (Marques d'étonnement.).
M. Jean Desessard, rapporteur. - Ce n'est pas rien !
Mme Mireille Schurch. - Le rapport va de un à quatre !
Mme Annegret Groebel. - Je pourrai donner des chiffres plus précis au secrétariat de votre commission si vous le souhaitez, mesdames, messieurs les sénateurs.
Jusqu'à présent, un plus grand décalage tarifaire n'est pas attesté entre les régions, mais une telle évolution n'est pas non plus à exclure.
Le niveau de la rémunération dépend en fin de compte de la taille du réseau, du nombre des clients qui y sont raccordés, des coûts d'enfouissement - par exemple, quand des tranchées doivent être creusées -, et de la localisation. Les prix varient selon que l'on est en ville ou à la campagne, dans le nord de l'Allemagne, où le pays est assez plat, ou dans le sud, où il est parfois nécessaire de creuser à travers les Alpes, par exemple. Il y a des particularités régionales dont il faut tenir compte.
Lorsqu'un Land est très homogène, ce qui n'est pas souvent le cas en Allemagne, on arrive à couvrir les coûts. Dans le Schleswig-Holstein, près de la Mer du Nord, le pays est en général plus plat qu'en Bavière, au sud de l'Allemagne, une région plus montagneuse. Toutefois, les coûts peuvent être plus élevés dans certaines zones du Schleswig-Holstein qu'à Munich, par exemple, où l'électricité est abordable en raison de la forte densité urbaine, qui réduit les frais d'enfouissement. Les coûts des réseaux dépendent de la densité, de la longueur et du nombre des câbles que l'on peut installer dans une tranchée. Cela vaut également pour les nouveaux réseaux de télécommunications.
D'après notre règlement, il faut tenir compte d'un grand nombre de paramètres susceptibles d'influencer directement les coûts, dont les plus importants sont les particularités géologiques ou géographiques. Toutefois, si un territoire est homogène, les rémunérations des réseaux de transport le sont également.
J'en viens à votre deuxième question, qui portait sur l'accès au réseau. Celui-ci est réglementé, et non plus négocié comme c'était le cas par le passé. Le problème que vous avez évoqué a pu survenir jusqu'en 2005, c'est-à-dire tant que les gestionnaires négociaient les prix. Toutefois, au final, ce système n'était pas viable économiquement. C'est pourquoi nous avons mis en place une procédure ex ante, elle aussi prévue par les directives européennes, aux termes de laquelle nous pouvons obliger un gestionnaire à donner accès à un réseau.
La loi allemande, tout comme la française, me semble-t-il, prévoit un droit à l'accès au réseau ou, à l'inverse, une obligation pour le propriétaire d'un réseau d'accorder un accès à ses infrastructures. Ces deux principes sont impératifs.
Le seul point sur lequel il peut y avoir conflit, ce sont les rémunérations, mais, là encore, nous avons voix au chapitre. Si un gestionnaire refuse l'accès à son réseau, son concurrent peut s'en plaindre, et nous avons alors la faculté d'imposer l'accès au réseau. Ce point est déterminant, et il s'agit d'une différence importante par rapport à l'accès négocié qui existait antérieurement. La régulation en Allemagne a commencé en 2005 ; depuis lors, l'accès au réseau est réglementé et nous organisons ex ante une régulation de la rémunération des réseaux qui est centrée sur l'efficacité. Je le répète, des conflits peuvent s'élever, mais l'autorité pour laquelle je travaille est alors chargée de les résoudre.
J'ai oublié votre troisième question, j'en suis désolée...
Mme Mireille Schurch. - Je vais la répéter, mais, tout d'abord, votre réponse m'en inspire une autre : ne pensez-vous pas qu'il faudrait aller vers une péréquation du tarif, de façon à ne pas infliger une « double peine » aux régions qui sont les plus montagnardes et les moins denses ? Cette question fait-elle débat en Allemagne ? En effet, l'écart de prix que vous évoquez est extraordinaire.
Ma troisième question était la suivante : quelle est la part de l'électricité dans le chauffage en Allemagne ?
Mme Annegret Groebel. - Nous fixons les rémunérations sur la base des coûts. Leurs différences se reflètent dans les tarifs que nous accordons, et nous ne voulons justement pas d'un prix uniforme.
En ce qui concerne l'électricité, la péréquation n'a jamais été une revendication. Je le répète, nous avons 800 réseaux différents, ce qui est une singularité. En revanche, dans le secteur des télécommunications il y a un seul grand gestionnaire ou opérateur, et l'État a fixé un seul tarif homogène, comme on s'y attendait.
Dans l'électricité, il y a toujours eu des fournisseurs locaux, et chacun savait que les prix étaient différents. En Allemagne, le débat que vous évoquez, madame la sénatrice, n'a pas lieu d'être, et c'est d'ailleurs intéressant.
En outre, il existe une règle qui chapeaute les autres et qui découle directement de la Loi fondamentale allemande. Celle-ci pose le principe de « l'homogénéité des conditions de vie ». Il faudrait donc que les coûts soient homogènes. Toutefois, dans le secteur de l'électricité, à l'inverse de ce qui s'est passé dans celui des télécommunications, cette démarche n'a jamais abouti.
Je pense que les gens sont tout simplement habitués à ce qu'il y ait un gestionnaire ou un fournisseur local. Pour eux, cet élément s'impute au coût de la vie traditionnel, et cela ne les dérange pas. Il n'y a pas en Allemagne de débat sur ces différences de prix. Certes, on discute lorsque l'électricité augmente, mais on ne remet pas en cause les variations géographiques tarifaires.
En outre, il existe une réponse à ce problème, qui est avancée par le secteur des télécommunications : par principe, un prix uniforme ne peut refléter les différences de coûts ; ce n'est pas possible ! Comme le disent toujours les économistes, en ville on paye des loyers plus élevés, mais on a d'autres avantages, liés à la proximité. À l'inverse, si on habite à la campagne, on a l'avantage d'un loyer plus faible ou de posséder une maison individuelle, mais on pâtit de coûts de transport plus élevés. C'est normal ! C'est de cette façon que se répercutent des préférences différentes.
J'en viens à votre question sur la part de l'électricité dans le chauffage en Allemagne. Je ne peux pas vous donner la quote-part exacte, mais je puis vous indiquer qu'elle est nettement plus faible qu'en France. On utilise beaucoup moins l'électricité pour se chauffer en Allemagne, mais je vous donnerai ultérieurement les chiffres exacts.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La péréquation, qui est l'une des particularités de la France, n'existe pas en Allemagne, et on ne la rencontre quasiment nulle part en Europe.
Mme Mireille Schurch. - Nous sommes pionniers !
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. - Vous avez indiqué que, pour sortir du nucléaire, vous serez amenés à restructurer les réseaux de transport. J'ai cru comprendre qu'une grande partie de l'électricité qui venait du sud viendra désormais du nord. Il faudra injecter dans le réseau le produit d'autres sources d'énergie. J'ai deux questions à vous poser.
Tout d'abord, est-ce que ces lignes seront aériennes ou souterraines ?
Ensuite, avez-vous eu ou aurez-vous des difficultés à les implanter et à les construire ?
Mme Annegret Groebel. - Il s'agit d'une question d'actualité, qui est intensément discutée en Allemagne. Les deux formules seront utilisées. À ce jour, nous avons surtout eu recours au transport aérien, mais différents Länder préconisent l'enfouissement des câbles, ce qui induit évidemment des coûts plus élevés - jusqu'à six fois plus. Ce surcoût doit aussi être intégré et reconnu, évidemment.
L'autorité de régulation allemande a incité les différents Länder à se pencher sur cette question, notamment parce que nous aurons à faire face à un surcroît de coûts en matière énergétique en raison de la sortie du nucléaire. L'enfouissement des câbles aggrave encore ce problème.
Par ailleurs, on a constaté entre-temps que l'enfouissement n'était pas forcément plus écologique. Si vous enfouissez un câble de 380 kilowatts, plus rien ne pousse au-dessus, car il dégage une tension et une chaleur importantes. Cette constatation incite évidemment à reconsidérer le problème. On commence à dire que l'utilisation du transport aérien serait non seulement plus économique, mais aussi, peut-être, plus écologique.
On a souvent prétendu que le transport aérien n'était pas écologique. Je ne sais pas ce qui justifie cette assertion, car nous ne disposons d'aucune étude scientifique mettant en évidence l'impact du transport aérien de l'électricité sur l'environnement. Cela me rappelle la discussion qui a eu lieu sur les émetteurs de téléphonie mobile... De toute façon, les coûts progresseront à la suite de l'adaptation des réseaux, et je pense que cette considération pèsera également sur le choix d'un transport aérien ou souterrain de l'électricité.
J'en arrive à votre seconde question, monsieur le sénateur. Actuellement, nous organisons des réunions avec les citoyens pour leur expliquer les évolutions à venir et les mesures qui peuvent être prises.
J'ai indiqué qu'une très large majorité de la population s'était prononcée en faveur de la sortie du nucléaire. Toutefois, lorsque l'on installe une ligne à haute tension à proximité de certains villages, cela suscite naturellement des réactions. Tout le monde accepte la ligne, mais pas chez lui !
C'est précisément pour essayer de convaincre ces citoyens que nous organisons ce type de rencontres, au cours desquelles nous faisons valoir qu'il faut faire des choix. On ne peut pas en même temps renoncer au nucléaire et refuser les autres installations. C'est comme lorsqu'il s'agit de créer un aéroport : il faut toujours peser le pour et le contre. Nous espérons, au travers de ce travail d'information, convaincre nos citoyens d'accepter l'agrandissement des réseaux.
Très souvent, dans le passé, des projets ont été contrecarrés parce que les citoyens avaient protesté. C'est pour cette raison que nous essayons désormais d'informer très en amont les citoyens, de leur expliquer la situation, de leur montrer comment elle pourrait évoluer à l'avenir et, surtout, d'intégrer leurs propositions. En effet, les citoyens nous disent parfois qu'il suffit de déplacer les poteaux de cinq mètres à droite ou à gauche pour éviter un certain nombre de conséquences négatives. Nous essayons donc de mettre l'accent sur ce processus interactif et participatif, c'est-à-dire de tenir compte également des idées des citoyens.
M. Ladislas Poniatowski, président. - C'est le not in my backyard ! (Sourires.)
Mme Annegret Groebel. - Tout à fait !
M. Ladislas Poniatowski, président. - Madame Groebel, je vous remercie beaucoup de votre participation aux travaux de notre commission.
Audition de MM. Luc Poyer, président du directoire d'E.ON France, Olivier Puit, directeur général délégué d'Alpiq france, Michel Crémieux, président d'Enel France et Frédéric de Maneville, président de Vattenfall France
M. Ladislas Poniatowski, président. - L'ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de MM. Luc Poyer, président du directoire d'E.ON France, Olivier Puit, directeur général délégué d'Alpiq France, Frédéric de Maneville, président de Vattenfall France, et Michel Crémieux, président d'Enel France.
Messieurs, comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son « droit de tirage annuel », afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Cela nous amènera notamment à nous interroger sur l'existence d'éventuels « coûts cachés », qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière, et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.
Dans cette perspective, notre commission d'enquête a jugé utile d'entendre des représentants d'opérateurs étrangers du marché de l'électricité, afin qu'ils nous apportent un regard extérieur sur le marché français, mais également qu'ils partagent avec nous leurs expériences sur leur marché d'origine ainsi que sur d'autres marchés européens.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
La commission a souhaité que la présente audition soit publique et un compte rendu intégral en sera publié.
Concernant le déroulement de cette table ronde, je vous propose qu'à la suite de chaque question posée par M. le rapporteur chaque intervenant réponde en une dizaine de minutes. À la suite de ces réponses, nous pourrons avoir un échange général sur le thème de la question posée, avant de passer à la question suivante. À la fin des questions, vous disposerez de quelques minutes de conclusion.
Avant de donner la parole au rapporteur, qui commencera en vous rappelant la première question, je vais maintenant faire prêter serment aux personnes que nous auditionnons, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête :
Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(MM. Luc Poyer, Olivier Puit, Michel Crémieux et Frédéric de Maneville prêtent serment.)
Je vous remercie.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Messieurs, vous êtes les représentants en France de quatre entreprises dont le siège social se situe dans un autre pays : Enel en Italie, Vattenfall en Suède, E.On en Allemagne et Alpiq en Suisse.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Je précise qu'une petite partie du capital d'Alpiq appartient à EDF.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Comme vous êtes quatre, je vous propose de traiter les questions une par une, afin que vous puissiez tous y répondre. Une fois que vous aurez tous répondu à l'ensemble des questions que nous vous avons adressées, vous disposerez de quelques minutes de conclusion pour aborder librement des points qui n'auraient pas été évoqués ou formuler d'éventuelles suggestions.
Je commence donc par la première série de questions. Pouvez-vous indiquer, en fonction de l'expérience de votre entreprise dans les différents pays où elle exerce son activité, et notamment dans son pays d'origine, quels sont les coûts de production que vous constatez pour les différentes filières de production d'électricité ? Quel sera demain, selon vous, un « mix électrique » compétitif ? Comment cela se traduira-t-il en termes de prix de l'électricité ?
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Michel Crémieux.
M. Michel Crémieux, président d'Enel France. - Si vous le permettez, je souhaite d'abord présenter le groupe Enel.
Nos quatre entreprises représentent collectivement des ventes de l'ordre de 1 800 térawattheures, soit plus de trois fois la consommation française. Elles sont présentes en France, où elles représentent environ 40 % du marché ouvert, c'est-à-dire hors tarifs.
Le groupe Enel est l'un des quatre principaux opérateurs européens, avec un EBIDTA de l'ordre de 18 milliards d'euros. Notre groupe est, vous l'avez dit, l'opérateur historique italien, mais c'est aussi le numéro un en Espagne, puisque Enel a acheté l'opérateur historique espagnol, qui s'appelait Endesa. Nous sommes donc numéro un en Italie, en Espagne, mais aussi en Amérique latine, et nous sommes très présents en Russie et en Europe centrale.
En France, nous avons plusieurs activités.
D'abord, nous avons une activité de coopération nucléaire avec EDF, qui se matérialise par une participation à la réalisation et, demain, à la gestion de l'EPR de Flamanville. Nous avons une participation de 12,5 % et une soixantaine d'ingénieurs sont intégrés dans les équipes d'EDF sur ce projet.
Ensuite, nous développons les énergies renouvelables en France. Nous avons une société française qui possède aujourd'hui 168 mégawatts installés d'éolien et un portefeuille relativement important en matière d'éolien et de solaire. Et nous sommes en attente du lancement des appels d'offres pour le renouvellement des concessions hydrauliques ; nous avons l'intention d'y répondre systématiquement.
Enfin, nous vendons de l'électricité, environ 10 % du marché ouvert, et du gaz sur le marché français.
J'en viens maintenant à la question des coûts. Je me référerai à ce qui se passe en Italie.
En Italie, en 1987, à la suite de Tchernobyl, il y a eu un référendum d'initiative populaire qui a banni le nucléaire. Il y avait cinq centrales en fonctionnement ou en fin de construction, et elles ont été totalement démantelées, de sorte qu'il ne se produit pas un seul kilowattheure nucléaire en Italie.
Il y a eu des conséquences positives, comme le développement des énergies renouvelables. Aujourd'hui, Enel est le premier producteur mondial d'énergies renouvelables.
Mais l'essentiel de la production en Italie provient tout de même de combustibles fossiles. Cela a des conséquences en termes de sécurité d'approvisionnement, plus difficile à assurer, de volatilité des prix et de coûts, qui sont structurellement supérieurs aux coûts français, de vingt euros. Quand les coûts de production français sont à cinquante euros, en Italie, on est à soixante-dix euros.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Ils sont à soixante-dix euros actuellement ?
M. Michel Crémieux. - Actuellement, cela varie entre soixante-dix euros et cent euros selon le prix du gaz.
Cela a été assumé par le peuple italien, qui, à l'occasion d'un nouveau référendum à la suite de Fukushima, a confirmé son choix de bannir le nucléaire. Ce n'est pas sans conséquences sur la productivité et la compétitivité de l'industrie italienne, mais voilà qui montre l'impact d'une décision de retrait du nucléaire et l'enjeu que cela représente. Je pense que c'est intéressant pour vos travaux.
Pour ce qui concerne la France, en matière de mix énergétique, il me semble que les décisions à prendre à court terme sont relativement limitées. Les grands choix se présenteront surtout autour de 2020. Ce qui importe pour nous, c'est surtout de préserver toutes les options ouvertes le plus longtemps possible et, en particulier, de mener une politique de maîtrise de l'énergie très active, de développer les énergies renouvelables, mais aussi de maintenir la possibilité de développer les générations suivantes de réacteurs nucléaires dans les prochaines années, même si les délais peuvent être un peu longs.
S'agissant de l'impact des choix de mix énergétique en France à horizon 2030, nous avons collaboré à l'étude qui a été réalisée par l'Union française de l'électricité, l'UFE, et qui vous a été présentée. Je n'ai rien à ajouter par rapport à cette étude, à laquelle nous souscrivons totalement.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Frédéric de Maneville.
M. Frédéric de Maneville, président de Vattenfall France. - Je suis président de Vattenfall France. Nos quatre entreprises sont membres de l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz, l'AFIEG, qui a pour objet social de promouvoir l'ouverture du marché de l'énergie en France.
La société Vattenfall est d'origine suédoise, détenue à 100 % par l'État suédois. Nous sommes présents dans neuf pays d'Europe, opérateur nucléaire en Suède et en Allemagne, et nous nous distinguons en étant numéro deux dans l'Union européenne dans deux technologies : l'hydroélectricité et l'éolien offshore.
En France, Vattenfall fut le premier étranger à vendre de l'électricité aux industriels français, à la suite de la loi de libéralisation de 2000. Depuis, nous avons connu une croissance régulière jusqu'à vendre cette année environ 10 térawattheures d'électricité au consommateur français.
Après cette brève présentation, j'en viens à votre question. Comme vous l'avez souhaité, je vais vous parler de la situation des prix de l'électricité en Suède, puisque vous souhaitez avoir quelques éléments de comparaison.
À mon sens, ce qui est important, c'est de comprendre que le prix de l'électricité est la résultante d'un système. Un prix, c'est la résultante d'une organisation de marché et d'un système électrique. Je vais donc vous décrire comment cela fonctionne en Suède et vous donner quelques éléments de prix.
Au mois de janvier 2011, le prix de l'électricité en Suède pour un ménage en maison individuelle et doté du chauffage électrique a une part « énergie » de 45 %, une part « réseau » de 17 % et une part « taxes » de 38 %. En valeur absolue, le prix TTC de l'électricité pour un ménage en Suède est d'environ 18 centimes le kilowattheure, contre 26 centimes en Allemagne et 13 centimes en France. Ce sont des statistiques de l'Union européenne. Et pour un consommateur industriel, le prix du kilowattheure est de 12 centimes en Allemagne, de 8 centimes en Suède et de 7 centimes en France, pour vous situer les ordres de grandeur.
À noter qu'il n'existe pas de tarif réglementé par l'État en Suède, ni de péréquation géographique. D'ailleurs, la distribution d'électricité y est très fortement décentralisée auprès d'environ 250 sociétés locales de distribution.
Le coeur du système électrique suédois, c'est le Nord Pool, c'est-à-dire le marché de gros nordique, qui a été créé en 1993 et qui regroupe le Danemark, la Finlande, la Suède, la Norvège et maintenant l'Estonie. En 2001, 316 térawattheures ont transité sur ce marché ; c'est le plus liquide et le plus transparent d'Europe. On peut y trouver des produits de couverture jusqu'à un horizon de six ans. Cela signifie qu'un acteur peut acheter son électricité à prix ferme jusqu'à un horizon de six ans. Le prix moyen mensuel sur le spot de Nord Pool était le mois dernier de 31,71 euros le mégawattheure.
Si je vous avais donné la même valeur pour l'hiver 2010, j'aurais pu vous dire 80 euros. Je ne suis pas en train de vous dire que l'électricité est forcément toujours bon marché. Le prix de l'électricité sur le Nord Pool reflète étroitement l'équilibre de l'offre et de la demande. En fait, quand vous regardez des statistiques sur le long terme, ce prix varie entre environ 30 euros et 80 euros. Quand une année est sèche, quand il y a peu d'eau, ou quand il y a des longues maintenances de réacteur nucléaire, sur le Nord Pool, le prix de l'électricité peut même monter jusqu'à, on l'a vu, 80 euros. Cela dit, il est en général, et c'est le cas en ce moment, plutôt de l'ordre de 31 euros ou 32 euros sur cette bourse.
L'un des enseignements de cette volatilité, qui reflète finalement l'équilibre entre l'offre et la demande, c'est qu'il faut un mix diversifié, afin, justement, de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, notamment en fonction des aléas climatiques.
La production électrique en Suède était composée en 2010 de 46 % d'hydroélectricité, de 38 % de nucléaire et de 2,4 % d'éolien, la petite partie restante provenant marginalement d'énergies fossiles et de biomasse.
C'est un mix énergétique compétitif, très peu émetteur de CO2. D'ailleurs, le régulateur suédois, qui est par ailleurs doté de très forts pouvoirs réglementaires et de sanction, évalue l'efficacité du système électrique à l'aune non pas uniquement du prix de l'électricité, mais aussi de sa compétitivité environnementale. On prend donc en compte les dimensions financière, environnementale et énergétique.
La production électrique en Suède est ouverte à la concurrence, et aucun acteur, même Vattenfall, n'atteint 50 % des parts de marché sur quelque segment que ce soit. Par exemple, E.ON a des actifs de production hydroélectrique en Suède. EDF avait aussi voilà quelques années encore un certain nombre d'actifs de production en Suède, mais l'entreprise les a revendus depuis.
La règle en ce qui concerne le nucléaire en Suède, c'est la copropriété des centrales nucléaires. Toute centrale nucléaire est une société anonyme ayant des actionnaires : un actionnaire majoritaire qui est l'opérateur de la centrale, responsable devant l'autorité de sûreté, et des actionnaires minoritaires, qui peuvent, là encore, être E.ON ou Fortum, voire un industriel électro-intensif, et qui, eux, ont des droits de tirage sur la production de la centrale au prorata de leur part. Le gros intérêt qu'une centrale nucléaire soit une société anonyme, c'est surtout la transparence des coûts : séparation patrimoniale et juridique implique transparence totale et « auditabilité » des comptes de la société.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Y a-t-il un message sous-jacent ?
M. Frédéric de Maneville. - Je vous laisse interpréter mes propos comme il vous plaira.
D'ailleurs, la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, ou loi NOME, mentionne dans un de ses articles une telle possibilité. N'est-ce pas, monsieur le sénateur ? (Sourires.)
M. Ladislas Poniatowski, président. - Et cela me tient à coeur ! (Nouveaux sourires.)
M. Frédéric de Maneville. - Pour terminer la description du système électrique suédois, sachez que l'équivalent suédois de Réseau de transport d'électricité, ou RTE, en Suède a très récemment divisé le pays en quatre zones de prix, afin de donner un signal correct de prix pour les investissements de production, pour les investissements d'effacement ou pour les renforcements de réseaux. En effet, la Suède est un pays déséquilibré, avec plus de production dans le nord et plus de consommation dans le sud. Une manière pour le régulateur suédois de traiter cette question a été de découper le pays en quatre zones de prix, afin de donner les signaux corrects tant aux consommateurs qu'aux producteurs pour leurs investissements.
Voilà pour la description du marché suédois.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Luc Poyer.
M. Luc Poyer, président du directoire d'E.ON France. - À l'instar de mes collègues, je vais faire un petit rappel sur ma société. (M. Luc Poyer fait distribuer un document aux membres de la commission d'enquête.)
L'entreprise E.ON est l'un des premiers utilities européens, l'un des premiers opérateurs de gaz et d'électricité. Elle a une activité significative dans onze pays. C'est le premier groupe à être sorti de son marché naturel, l'Allemagne, pour être aujourd'hui présent au Royaume-Uni, en Scandinavie, en Russie. Elle a un rôle souvent méconnu de deuxième producteur d'électricité nucléaire en Europe, avec aujourd'hui vingt-et-un réacteurs, dont neuf en tant qu'opérateur, en Allemagne et en Suède, comme cela été dit. Nous sommes le troisième opérateur au monde d'éolien offshore. Nous sommes également très présents dans l'hydroélectricité. Nous sommes directement concernés, vous le savez, par les choix politiques faits en Allemagne, ce que l'on appelle la transition énergétique. Nous sommes aux premières loges pour subir, mais également nous adapter à cette nouvelle donne sur le premier marché énergétique européen, où nos parts de marché nous placent au premier rang. Mais, comme le disait mon collègue, le marché allemand est ouvert, très ouvert, et nous avons moins de 30 % de parts de marché en matière de production. Nous avons dû céder en plusieurs étapes de nombreux actifs à d'autres acteurs européens, dont des acteurs français.
Je ferai peut-être un clin d'oeil sur notre activité en France. Nous sommes un petit peu à part. Nous sommes quatre acteurs présents ici, et nous sommes solidaires, mais nous, nous sommes un acteur européen ; c'est à ce titre que je comprends mon invitation à m'exprimer devant vous. Nous sommes aussi un opérateur historique. Nous sommes fiers de notre ancrage dans quatre bassins miniers français : la Lorraine, la Provence, la Bourgogne et le Nord-Pas-de-Calais. Je crois donc que nous sommes aujourd'hui le seul acteur européen autre qu'EDF et GDF Suez qui opère avec un parc de plusieurs centrales. Nous sommes donc des praticiens du sujet. Nous avons investi plus de 500 millions d'euros dans les cinq dernières années sur notre parc, et nous avons encore plusieurs projets, qui représentent des centaines de millions d'euros, pour moderniser et diversifier ce parc.
Je veux juste souligner - c'est tout de même sous-jacent derrière le mix électrique et les coûts réels de l'électricité - que nous sommes dépendants des évolutions réglementaires et législatives. Nous avons donc suivi avec beaucoup d'attention les développements des dispositifs prévus dans la loi NOME, qui sont tout à fait essentiels.
Je pense, d'une part, à la disparition progressive d'ici à 2015 de tous les tarifs, sauf les tarifs bleus - c'est du moins ce que nous avons compris de la loi NOME - et, d'autre part, à ce grand changement : comme cela a été indiqué, le fait que d'autres opérateurs puissent investir dans toutes les technologies de production, y compris le nucléaire, nous paraît tout à fait fondamental dans le cadre européen, où tous les acteurs peuvent investir dans tous les pays. La France en a bénéficié. Il faut aujourd'hui que les autres acteurs européens puissent aussi entrer dans ce jeu. En tant qu'acteur français, nous sommes convaincus que c'est l'intérêt national.
J'en viens aux coûts de l'électricité. Je ferai un petit préalable pédagogique. Il faut bien distinguer de quoi on parle.
Quand on parle de « coûts de l'électricité », il y a ce qu'on appelle l'ordre de mérite, en anglais le merit order, qui est en fait le coût variable sur lequel sont dispatchées les centrales. C'est celui qui se crée sur le marché électricité. Vous avez une courbe sur le slide 5. On voit l'offre et la demande qui se rencontrent. C'est donc bien le coût variable de l'unité de production la plus chère nécessaire pour couvrir la demande qui rencontre la courbe de demande. Ce qu'il est important de souligner, c'est qu'on voit bien l'échelle des productions, et on voit bien l'effet : le nucléaire, qui est la base, est le moins cher ; ensuite, quand la demande augmente, on passe au charbon, au cycle combiné gaz, voire au turbine gaz.
Ce qui est intéressant - je ne m'étendrai pas, sauf si vous voulez approfondir la discussion -, c'est d'observer le développement du renouvelable, auquel E.ON participe puisque nous sommes un des premiers producteurs de renouvelable. J'ai parlé de l'offshore, de l'hydroélectricité. Mais les développements, en particulier les développements de l'aide, les incitations à produire, à installer du solaire, de l'éolien, notamment en Allemagne, avec plus de 25 000 mégawatts de solaire, viennent, nous le voyons, modifier cette courbe et transformer profondément les équilibres économiques, donc transformer ou impacter les signaux de prix et, in fine, les décisions d'investissement. C'est un sujet tout à fait fondamental.
Mais il y a une autre manière d'aborder les coûts de production. C'est ce que l'on appelle les coûts de développement. On ne parle pas de la même chose. Par exemple, dans le rapport Champsaur ou dans le débat sur le coût du nucléaire dans le rapport de la Cour des comptes, là, on parle de l'ensemble des coûts qu'on actualise pour voir combien coûte un investissement. Dans l'opinion, c'est important. On confond souvent les deux notions.
On vous a distribué un document. Sur les slides 6 et 7, vous voyez un peu ce que dit - on peut évidemment vous communiquer le rapport complet - l'étude du pendant allemand de l'UFE, qui s'appelle VGB, c'est-à-dire l'association des grands producteurs d'électricité en Allemagne. Vous avez ainsi les coûts de développement vus du côté allemand. En fait, vous voyez une grande similitude avec l'étude de l'UFE. C'est heureux qu'on arrive aux mêmes conclusions des deux côtés du Rhin.
Je signale juste ce qu'on voit sur le slide 7. Ce qui est intéressant, sans aucun parti pris de mix énergétique, c'est qu'avec l'EPR, en tout cas dans sa forme standard - je ne parle pas des coûts de tête de série -, on arrive à des coûts de développement autour de 60 euros le mégawattheure, d'après une analyse germanique.
Vous voyez qu'on est à 60 euros le mégawattheure. C'est cohérent avec les estimations de l'UFE. Encore une fois, cela ne se base pas sur une tête de série. Cela date de 2011 ; on n'avait pas les dernières estimations à l'époque des coûts de l'EPR en construction, mais on peut raisonnablement espérer que l'on arrive, sur des séries, à ces coûts. Cela se compare évidemment aussi au coût du nucléaire historique, que vous connaissez - cela a dû être évoqué lors des précédentes auditions -, avec le rapport Champsaur et les autres méthodologies. Là, selon les évaluations, on est entre 35 euros et 40 euros le mégawattheure.
Toujours sur le slide 7, c'est intéressant de voir l'analyse sur les coûts de développement du renouvelable. Et là, il faut être attentif. On revient assez vite à la problématique du marché, car le rôle du progrès technologique est fondamental pour faire baisser les coûts du renouvelable. Si vous voulez inciter les acteurs comme nous à faire des progrès technologiques, il faut faire très attention à la manière dont on incite à construire des installations de renouvelable. Sinon, tout le monde s'endort derrière les tarifs de rachat, et l'émulation par la concurrence - c'est quand même le coeur de la concurrence - ne se fait pas. Sur le tableau, on retrouve là aussi le ranking, l'ordre de mérite français. Le point de vue d'E.ON est que c'est dans le photovoltaïque, et dans une moindre mesure dans l'offshore, qu'on s'attend à la baisse la plus importante des coûts. Et E.ON met toute sa capacité d'investissement, c'est-à-dire plus de 1,5 milliard d'euros par an dans le renouvelable, à contribuer à cette baisse des prix en matière de renouvelable, qui est une contribution importante aux finances publiques, puisque, in fine, en Allemagne comme en France, on a un dispositif de tarif de rachat. Le rôle d'acteurs comme nous, c'est, en stimulant la concurrence et en étant très fermes dans nos appels d'offres en matière de technologie de renouvelable, de faire baisser les coûts. C'est cette baisse des coûts qui permet aux États de baisser les tarifs de rachat, donc de se rapprocher le plus possible de ce qu'on appelle le grid to parity, qui permettra un jour, le plus vite possible, d'éviter de verser des subventions pour que puisse se développer le renouvelable.
Sur le slide 8, vous voyez les coûts de développement selon l'étude de l'UFE.
En conclusion, je rejoins ce qui a été dit. Il faut un mix énergétique optimal et, bien sûr, un ensemble équilibré de moyens mis en oeuvre, avec des moyens peu capitalistiques ou avec des amortissements courts, comme les cycles combinés gaz, qui sont très importants pour constituer le support du renouvelable, avec les problèmes d'intermittence dont on a parlé, et des moyens très capitalistiques, à amortissement long, tels que le nucléaire ou le charbon si la technologie CCS peut devenir rentable. Je parle bien sûr de renouvelable développé sur une base compétitive.
On parle de mix énergétique, mais ce que l'on voit avec la transition allemande, et j'en terminerai par là, c'est qu'il y a deux points à souligner.
Premièrement, les moyens de production ne sont qu'un élément d'un autre mix, celui qui comprend le stockage, les interconnexions, les effacements.
Deuxièmement, le mix peut évidemment rester un choix national, mais les opérateurs européens comme nous, en tout cas E.ON, invitent les autorités nationales à se coordonner peut-être encore plus qu'elles ne le font aujourd'hui, en particulier entre la France et l'Allemagne. Tout ce qui ira dans le sens d'une coopération plus grande entre nos deux États ira dans le bon sens pour des industriels comme nous.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Olivier Puit.
M. Olivier Puit, directeur général délégué d'Alpiq France. - À l'instar de mes confrères et néanmoins concurrents, je commencerai en présentant le groupe auquel j'appartiens.
Le groupe Alpiq est la première entreprise de négoce d'énergie et de services énergétiques en Suisse. Le groupe est né en 2009 du rapprochement de deux pionniers de l'énergie hydraulique en Suisse : le groupe Atel et Énergie Ouest Suisse, un groupe alémanique et un groupe roman. Comme vous pouvez le constater, Alpiq est un groupe qui n'est pas simplement actif en Suisse ; il est également actif dans une vingtaine de pays en Europe, et a réalisé un chiffre d'affaires en 2011 de plus de 11 milliards d'euros. Il est actif dans la production, le transport, la vente et le négoce d'énergie.
En Suisse plus particulièrement, Alpiq assure environ un tiers de l'approvisionnement électrique du pays. En Europe, il dispose d'un mix énergétique constitué à 38 % d'énergie hydraulique, à 12 % de nucléaire, à 39 % de thermique classique et à 3 % de nouveau renouvelable.
Dernier point important, et cela a été mentionné auparavant, le capital d'Alpiq est détenu, dans une situation très suisse, essentiellement par deux consortiums suisses qui rassemblent des électriciens locaux des cantons, donc un ensemble de sociétés à capitaux publics, et nous avons aussi à notre capital la particularité d'avoir EDF en tant qu'actionnaire minoritaire sans capacité de contrôle, ni même de co-contrôle de l'entreprise.
Pour Alpiq, la France constitue un marché clé. Le groupe y est présent depuis dix ans, depuis 2002, sur le segment de la fourniture d'électricité aux grands consommateurs industriels et tertiaires au travers de sa filiale Alpiq Énergie France, que j'ai l'honneur de représenter aujourd'hui. En 2011, Alpiq Énergie France a livré environ 15 térawattheures d'électricité à cet ensemble de grands consommateurs.
Par ailleurs, le groupe Alpiq a développé, et continue à développer un parc de production d'électricité en France. Notre première centrale est une centrale à cycle combiné gaz qui a été mise en service l'an dernier à Bayet dans l'Allier et qui est opérationnelle depuis un peu plus d'un an. Nous disposons également de manière plus limitée de capacités de production hydroélectrique, petit hydraulique, ainsi que de renouvelable éolien.
Après cette présentation, je ferai un petit aparté. Nous n'avons pas reçu la nouvelle liste de questions, qui a dû nous être envoyée mais se perdre. Vous voudrez donc bien m'excuser si mon intervention ne correspond pas parfaitement à la nouvelle liste des questions. Elle était axée sur la liste précédente, en particulier sur la première question, qui était et reste pour nous une question d'importance, s'agissant notamment du fonctionnement de la concurrence en France et de la mise en place du mécanisme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH.
Mais j'ai cru comprendre que nous aurons la possibilité d'y revenir si nous en avons le temps ; je l'espère.
J'en viens à la question que M. le rapporteur vient de nous poser. Je souhaite apporter quelques éclaircissements sur la situation en Suisse en matière de marché de l'électricité, qu'il s'agisse de production ou de distribution.
La Suisse est un petit pays, par comparaison avec la France. Ce pays a la particularité d'avoir une production d'électricité à 40 % nucléaire et à 60 % hydraulique. Il y a très peu de thermique classique et peu de nouveaux moyens de production renouvelable. La Suisse est un pays montagneux dans lequel il n'est pas aisé d'installer des productions éoliennes ou solaires, ce qui ne signifie pas que cela ne se fera pas.
C'est donc un mix énergétique assez particulier en Europe. Finalement, cela reflète plus la géographie et les conditions locales qu'une stratégie délibérée d'aller en ce sens. La production hydraulique a été une priorité dans chacun des pays : on épuise d'abord le potentiel de production hydraulique avant de se lancer dans des productions de type différent.
Même si c'est un petit pays, la Suisse est une plaque tournante du commerce de l'électricité, de manière historique. Sa position au centre de l'Europe, même si elle n'appartient pas à l'Union européenne, la met vraiment au coeur des mouvements d'électricité et de l'équilibrage au niveau européen. La Suisse importe beaucoup d'électricité de base, à production constante, toute l'année, et exporte beaucoup d'électricité, mais cette fois-ci de pointe et d'extrême pointe vers l'ensemble des pays limitrophes. Cela reflète aussi les capacités propres de son parc de production, avec beaucoup de barrages de haute chute en matière de production hydraulique.
La situation en matière de distribution d'électricité est aussi assez particulière. Le marché n'a pas été complètement libéralisé à la suite de votations, de référendums suisses, qui ont repoussé la libéralisation en cours. Le système de distribution suisse reste très localisé, très décentralisé, avec plusieurs centaines d'opérateurs. À l'échelle du pays, on a quasiment autant d'opérateurs en Suisse aujourd'hui qu'il y en avait en Allemagne en 1999, pour un pays dix fois moins peuplé.
De ce fait, le prix de l'électricité en Suisse, qui est aussi basé sur un niveau de prix de marché, suit d'assez près les prix que l'on peut observer en Allemagne, qui sont le prix directeur sur la plaque ouest-européenne. Le prix de l'Allemagne et le prix de la France, en dehors du mécanisme de l'ARENH, suivent quasiment les mêmes trajectoires.
Si je passe à la question du mix électrique compétitif, la première chose que nous souhaiterions mentionner est qu'il faudrait en réalité, me semble-t-il, sortir de la logique du mix énergétique compétitif et passer à une logique consistant à penser ce mix énergétique au regard de son efficacité en termes d'intégration des nouvelles énergies renouvelables. Cela a d'ailleurs été en partie évoqué par les personnes qui sont intervenues avant moi.
En effet, nous, nous considérons que la question du mix énergétique optimal ne se résume pas simplement à la détermination du meilleur merit order en termes de préséance économique, qui consiste à faire appel aux différentes unités de production électrique en fonction de leurs coûts marginaux de production croissants. Pour nous, l'arrivée des nouvelles énergies renouvelables sur le marché, sur la base des ambitions et objectifs européens et nationaux, trouble complètement cette préséance économique classique.
Pourquoi ? Parce que ces énergies nouvelles et renouvelables ont deux caractéristiques principales : d'une part, la production est fatale et intermittente et, d'autre part, la production bénéficie de subventions en termes de tarif d'achat dans la plupart des pays d'Europe, ce qui incite les producteurs à livrer leur production quel que soit le niveau du prix de marché à l'instant où ces installations produisent.
Du fait de leur intermittence, pour intégrer au mieux ces nouveaux moyens de production au sein de nos systèmes électriques, en dehors de la performance des réseaux, sujet sur lequel je ne reviendrai pas, il faut immanquablement d'autres centrales, des centrales d'appoint en termes de production de pointe et de production de semi-base, qui doivent être capables par leur flexibilité d'être un complément pour faire face à l'intermittence des énergies nouvelles et renouvelables.
Par ailleurs, et cet aspect est plus français, le besoin d'évolution de notre mix énergétique - je parle en tant que représentant d'une société de droit français - concerne à notre sens moins la production de base que la production de pointe et de semi-base. En effet, pour la base électrique en France aujourd'hui, nous ne constatons pas qu'il y ait un déséquilibre entre une demande insatisfaite et une production insuffisante ; c'est même probablement le contraire. À titre d'illustration, les 62 gigawatts de capacité installée nucléaire en France sont très largement au-dessus du niveau de la demande que nous allons constater dans quelques semaines, la demande d'été, lorsque la pointe de consommation dans la journée culmine à moins de 60 gigawatts, donc largement en dessous du dimensionnement du parc nucléaire, et que le minimum approche simplement les 40 gigawatts, donc plus de 20 gigawatts en dessous du parc de production nucléaire.
La problématique aujourd'hui que nous constatons pour la France n'est pas tellement l'adaptabilité ou le dimensionnement de la production de base ; c'est d'être capable de répondre aux besoins de pointe, qui sont cette fois-ci des besoins hivernaux.
Si nous allions cela au renversement de logique qui a déjà été enclenché, et les choses se passent très vite en matière de nouveau renouvelable - le développement du photovoltaïque en Allemagne a abouti en quelques années à mettre en production plus de 25 gigawatts de capacité installée -, nous arrivons à un nouvel équilibre au sein du mix, dans lequel se posera évidemment la question du prix.
Sur ce point, ce que je souhaiterais souligner, c'est que la conjoncture est déterminante. Les hypothèses que nous avons tous aujourd'hui au sein de nos différents groupes en matière de coût de développement de nouveaux moyens de production dépendront d'hypothèses sur le prix d'autres énergies.
C'est en particulier le cas pour tous les moyens de production à partir de gaz naturel. Le gaz naturel, que nous connaissons bien - nous avons mis en service un certain nombre de cycles combinés gaz en France et dans d'autres pays d'Europe au cours de ces dernières années -, a un coût de production qui tourne autour de 75 euros par mégawattheure. C'est sensiblement au-dessus du coût de développement d'un nouveau moyen de production nucléaire aujourd'hui. Mais ce coût dépend, lui, essentiellement du prix du gaz.
Si nous faisons le petit exercice de remplacer le prix du gaz que nous connaissons aujourd'hui en Europe de l'Ouest par le prix du gaz que nous connaissons aujourd'hui en Amérique du Nord, nous passons grosso modo d'un prix de 75 euros par mégawattheure pour un cycle combiné gaz à un prix de 45 euros par mégawattheure. Ainsi, la détermination du mix optimal ne dépend pas simplement de problématiques purement électriques ; elle dépend aussi concrètement de problématiques qui dépassent l'électricité et qui embrassent l'ensemble du secteur énergétique.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie, messieurs.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Je suis un peu surpris par l'une des choses que le représentant d'Alpiq a dites. Il a indiqué que les prix s'alignaient sur ceux de l'Allemagne, puis il a fait une petite remarque en disant qu'ils pourraient s'aligner sur ceux de la France, tout en soulignant qu'il y avait la situation particulière de l'ARENH. Nous avons bien entendu son message sous-jacent, et il pourra le développer lors de sa conclusion s'il en a le temps.
Dans les différentes auditions auxquelles nous avons assisté, nous avons souvent entendu que la Suisse - cela se traduisait-il par Alpiq ? - bénéficiait tout de même de fortes productions de l'éolien à certains moments, rachetait l'électricité à bas prix, stockait grâce à son réseau hydraulique et revendait fort cher.
J'ai très bien compris que vous aligniez ensuite vos prix sur l'Allemagne.
Mais, comme l'hydraulique est bon marché dans toute l'Europe, en rachetant à bas prix l'électricité produite pour la revendre plus cher, vous devez tout de même être excédentaire. Surtout si vous vendez l'électricité aux mêmes tarifs en Suisse que partout ailleurs.
M. Olivier Puit. - Je ne sais pas exactement ce que vous entendez par « excédentaire ».
M. Jean Desessard, rapporteur. - Avez-vous des fortes marges ? Même si, je l'ai bien noté, le capital est détenu par des collectivités publiques.
M. Olivier Puit. - Je pourrais vous faire parvenir les résultats du groupe Alpiq de l'an dernier, qui ne montrent pas une telle situation, et ce pour un ensemble de facteurs liés à l'évolution du marché de l'électricité. Pour parler clairement, le groupe Alpiq a connu une perte l'an dernier.
Cela tient essentiellement à l'évolution du marché de l'électricité. Aujourd'hui, l'écart, ce qu'on appelle le spread, entre le prix de l'électricité de base et le prix de l'électricité de pointe s'est extraordinairement réduit.
Par conséquent, la souplesse que le groupe Alpiq peut avoir en termes d'utilisation de ses centrales hydrauliques de stockage, donc de remontée de l'eau pendant les heures creuses pour l'utiliser en termes de production d'électricité pendant les heures de pointe, n'aboutit pas aux marges que, j'ai l'impression, vous imaginez.
Malgré tout, il s'agit d'un usage des centrales hydrauliques qui est fondamental pour l'équilibre du réseau électrique, non seulement suisse, mais aussi européen.
M. Frédéric de Maneville. - Je voudrais rebondir sur cette question.
En supposant que les Suisses aient une rente liée à l'activité d'achat d'énergie aux heures creuses et de revente aux heures de pointe, en économie de marché, quand il y a une rente quelque part, il y a normalement un concurrent qui va s'installer pour lui prendre sa rente, en vendant un peu moins cher que lui. C'est comme cela que fonctionne l'économie de marché.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Il faut avoir les barrages !
M. Frédéric de Maneville. - Justement. Soit cela se fait, et cela signifie que l'économie de marché fonctionne et que la rente va baisser, soit cela ne se fait pas, et il faut se demander pourquoi.
En effet, qu'est-ce qui interdit à un pays qui a les Alpes, comme l'Autriche, la France ou la Suisse, donc qui a des montagnes et de l'hydraulique de construire les stations de transfert d'énergie par pompage, ou STEP - cela s'appelle ainsi -, pour faire la même chose ? Il y a des interconnexions entre la France et l'Allemagne qui permettent aux STEP d'EDF - EDF a entre 4 000 et 5 000 mégawatts de STEP en France - de faire exactement la même chose.
S'il y avait une rente en Suisse, il ne tient qu'à nous, s'il y a un marché, de construire des STEP en France pour en profiter également.
M. Luc Poyer. - Je rebondis sur ce que vient de dire mon collègue et néanmoins concurrent.
En Allemagne, un marché interconnecté avec la Suisse et la France, un acteur comme E.ON a décidé d'augmenter de 50 % la capacité de sa STEP de Waldeck. Quel est l'opérateur français qui, aujourd'hui, construit une STEP ?
Nous avons une STEP de 600 mégawatts au centre de l'Allemagne, à Waldeck, et nous allons passer à 900 mégawatts. Nous construisons donc 300 mégawatts de plus, sur la base du raisonnement que vient de décrire mon voisin.
M. Ronan Dantec. - Mais les opérateurs français nous disent que le potentiel en STEP en France est très faible. Vous le contestez ? Si c'est le cas, c'est très intéressant.
M. Frédéric de Maneville. - On ne doit pas parler aux mêmes personnes chez l'opérateur historique !
Parce que nous, l'opérateur historique nous dit : « J'ai des projets de STEP dans mes cartons. Je n'attends que le lancement du renouvellement des concessions hydrauliques pour les proposer à l'État. » Tout le monde sait par exemple qu'il y a un projet de STEP à Redenat en Dordogne de plus de 1 000 mégawatts qui n'attend que ça.
Par conséquent, il y a du potentiel de STEP en France. Le problème, c'est que nous attendons tous depuis maintenant quatre ans le lancement d'appels d'offres pour le renouvellement des concessions hydrauliques, qui n'est toujours pas planifié. Et il ne faut pas forcément jeter la pierre à l'opérateur historique. Quel opérateur historique dont le contrat de concession se termine dans un an ou deux ans investirait dans une STEP ?
M. Jean Desessard, rapporteur. - On a bien compris : c'est la responsabilité des politiques...
M. Ronan Dantec. - Avez-vous une idée du potentiel de STEP en mégawatts en France aujourd'hui ?
M. Frédéric de Maneville. - L'UFE a évalué un potentiel de production hydroélectrique encore inexploitée à 11 térawattheures. Aujourd'hui, la France produit entre 60 et 70 térawattheures selon les années. Cela fait donc du 15 %. Vous pouvez faire une règle de trois...
Il y a certainement en puissance de quoi faire - le problème est que j'ai prêté serment, donc je ne voudrais pas donner un chiffre erroné - 2 gigawatts de STEP en France si on le souhaite.
Il y a aussi une question de modèle économique.
M. Luc Poyer. - On peut renvoyer la question au politique.
Quelles seraient les règles qui permettraient le développement des STEP ? Il y a notamment - là, on entre dans la technicité - le coût d'injection dans le réseau. Le fait que ce coût soit le même que sur une installation normale joue beaucoup. Si vous payez à la fois quand vous soutirez et quand vous injectez et que votre modèle économique, c'est d'entrée/sortie, cela peut très vite être peu économique. Il faut donc créer d'abord un cadre réglementaire stable, lisible. C'est aussi une des raisons pour lesquelles les acteurs actuels sont, avec beaucoup de bien-fondé, prudents en matière de décision d'investissements.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous rassure. Le Parlement a, tout comme vous, interrogé le ministre de tutelle - nous le ferons également avec son successeur - sur l'échéancier des appels d'offres hydrauliques. Nous avons les mêmes interrogations que vous.
Je donne la parole à M. le rapporteur, qui va poser sa deuxième série de questions.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Messieurs, je vous remercie d'avoir répondu à notre première série de questions et d'en avoir profité pour nous présenter votre entreprise. Il est intéressant pour nous tous de mieux vous connaître.
La question de l'aller/retour lorsque vous rendez service aux pointes et le fait d'utiliser les réseaux lorsque vous achetez l'électricité pour la stocker et lorsque vous la restituez seront certainement évoqués dans le rapport.
Je pense que la deuxième question appelle des réponses plus courtes, car elle est plus simple. Cela vous laissera du temps pour la conclusion.
Quel jugement portez-vous filière par filière sur les mécanismes français de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération au regard de ceux que vous connaissez du fait de l'expérience de votre entreprise dans les différents pays où elle exerce son activité, notamment dans son pays d'origine ?
M. Michel Crémieux. - Premièrement, la principale préoccupation que nous avons est une préoccupation relative à la prévisibilité de la réglementation.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous ne voulez pas que ça change tous les ans ? (Sourires.)
M. Michel Crémieux. - C'est extrêmement difficile à gérer. Nous-mêmes, dans l'activité éolienne, dans l'activité solaire, une année, on essaie de foncer, et l'année suivante, on s'arrête. Ce n'est pas gérable.
Il faut vraiment qu'il y ait un cadre stable, un mécanisme de soutien stable aux différentes énergies renouvelables.
Deuxièmement, pour faire des comparaisons avec ce qui se fait en Italie et en Espagne, en Italie a été développé un système de certificat vert plutôt qu'un système de tarif de rachat réglementé. Ce système a prouvé son inefficacité, parce que la volatilité du certificat vert, la volatilité de ce marché trop étroit ne permet pas aux investisseurs de planifier correctement les investissements.
Le certificat vert valait 150 euros une année, et il valait deux fois moins l'année suivante. Cela rend impossible une gestion correcte.
Nous sommes donc partisans du maintien des tarifs de rachat.
Troisièmement, dans les trois pays, je crois, en France, en Italie et en Espagne, on avait mis en place des systèmes à guichet ouvert, sans régulation des volumes. Et on s'est aperçu qu'en Italie des demandes d'autorisation pour 6 gigawatts de solaire sont arrivées l'an dernier. Elles ont d'ailleurs été réalisées, saturant complètement tous les systèmes de subvention prévus et perturbant le réseau.
Nous sommes donc partisans, en France comme en Italie et en Espagne, d'une régulation par les volumes, par un mécanisme d'appels d'offres, qui permet par ailleurs de sélectionner les bons dossiers et d'écarter ceux qui sont des dossiers moins bons, tout en maintenant le tarif de rachat.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Ceux qui sont moins bons dans le sens spéculatif ?
M. Michel Crémieux. - Oui, ou ceux dont les autorisations sont mal ficelées ou ne sont pas encore totalement obtenues.
M. Frédéric de Maneville. - En Suède, il n'y a pas d'obligation d'achat, ni de contribution au service public de l'électricité, ou CSPE. C'est un système de certificat vert. Et il y a un marché commun des certificats verts entre la Suède et la Norvège. En fait, c'est une première que deux pays arrivent à se mettre d'accord sur un marché de certificats verts. C'est intéressant pour les prémices de la création d'un possible marché de l'électricité verte, qui n'existe pas aujourd'hui et qui fait sans doute défaut.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous en tirez donc un bilan positif, à la différence de votre voisin ?
M. Frédéric de Maneville. - Tous les mécanismes de certificat vert ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Il faut donc regarder en détail comment cela fonctionne.
Je veux juste signaler qu'il est intéressant que deux pays aient réussi à se mettre d'accord - d'ailleurs, ça n'a pas été facile - sur un marché commun de certificats verts.
M. Ladislas Poniatowski, président. - C'est un certificat vert sur les pays nordiques ?
M. Frédéric de Maneville. - Pour l'instant, il n'y a que deux pays : la Norvège et la Suède. Ce n'est même pas le Nord Pool.
M. Michel Crémieux. - Ce point est très important. Le marché du certificat vert dans un seul pays ne peut qu'être volatil.
La mise en place d'un système de certificat vert au niveau européen pourrait avoir un sens, et nous n'y serions pas opposés. Mais au niveau d'un seul pays, c'est ingérable.
M. Frédéric de Maneville. - Je voudrais à présent faire quelques commentaires sur la CSPE française.
Premièrement, le fait que l'on continue à subventionner de la cogénération gaz dans la CSPE alors qu'il faut aujourd'hui mettre toutes nos forces dans les énergies renouvelables me semble étonnant. D'une manière générale, il faut, à mon sens, qu'on accepte en France de terminer des contrats d'obligation d'achat et de passer sur le marché quand les installations sont amorties sans aller réclamer en permanence des prolongations de situations qui sont en fait des rentes.
Deuxièmement, et là je vous parle plus en tant que consommateur français, on trouve beaucoup de choses très différentes dans la CSPE. Des subventions aux énergies renouvelables au mécanisme de solidarité avec l'outre-mer, ce n'est quand même pas du tout la même nature de choses. Or c'est dans le même paquet. Franchement, le consommateur n'y comprend rien. Par conséquent, si jamais vous pouviez offrir de la lisibilité sur ce sujet, ça ne serait pas mal.
Troisièmement, et mes voisins en ont déjà parlé tout à l'heure, les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables, qui sont tous des conséquences du « 3 fois 20 », c'est-à-dire des engagements que tous les États ont pris d'atteindre 20% d'énergies renouvelables, ont pour résultat la création de surcapacités de production en Europe.
Nous avons donc des investissements qui se font dans l'éolien, dans toutes les énergies renouvelables, basés sur des subventions, sur des tarifs de rachat quel que soit l'équilibre offre/demande. Et comme l'Europe est en crise et la demande est plutôt stagnante, voire fléchit légèrement, nous sommes en train de créer en Europe un excès d'offre sur les marchés de l'électricité, ce qui a pour conséquence une chute des prix. Et vous devez le voir, les prix de gros en base viennent de chuter de 55 euros à 50 euros en quelques semaines. Nous le vivons donc tous les jours.
Il y a un déséquilibre en Europe : ces mécanismes, qui ont été très efficaces pour qu'il y ait de l'éolien en France, ont un effet pervers de création d'offre sur un marché de gros qui est censé se réguler tout de même par le prix et qui est censé donner un signal d'investissement. C'est donc un vrai sujet que notre industrie doit traiter.
Autre effet pervers de ce mécanisme, la valeur ou la non-valeur de l'intermittence n'est pas calculée par le marché. À partir du moment où EDF rachète à un opérateur éolien son électricité à 80 euros pendant quinze ans, on est incapable de dire quelle est la valeur ou la perte de valeur liée à l'intermittence, puisqu'il n'y a aucun mécanisme qui la calcule en France.
Et ça, je pense que c'est préjudiciable. C'est notamment préjudiciable parce que ça vient alimenter les anti-éoliens, qui disent : « C'est intermittent, ça ne vaut rien, etc. » Alors que si on était capable d'objectiver la valeur ou la perte de valeur de cette intermittence, cela permettrait d'objectiver cette discussion et de couper court à un certain nombre de fantasmes développés par les anti-éoliens primaires, qui donnent à l'intermittence une valeur ou une non-valeur beaucoup plus grosse que ce qu'elle est en réalité.
Et, dernier point à propos de la CSPE, j'ai calculé, à partir du communiqué de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, que le prix de rachat de l'éolien offshore du premier round, qui a eu lieu très récemment, va être en moyenne à 230 euros le mégawattheure. Je voulais juste attirer votre attention sur le fait que ce prix est élevé et qu'il va peser lourd dans la CSPE. Je crois que nous devrions nous interroger sur le mode de fonctionnement de cet appel d'offres, qui crée intrinsèquement des prix élevés, notamment en ne donnant pas aux candidats le temps de faire des études suffisamment profondes. Ils mettent donc des primes de risque dans leurs prix et, au final, on arrive avec des prix nettement plus élevés que nos voisins au Royaume-Uni. Ce que le Royaume-Uni a fait évoluer de son round one à son round two et à son round three en termes de gouvernance du système d'octroi de concession devrait nous inspirer si on veut contraindre un petit peu ce prix de l'éolien offshore, qui restera tout de même élevé, mais qui n'a pas de raison d'être aussi élevé en France.
M. Luc Poyer. - En complément, j'évoquerai le retour d'expérience du cas germanique. De fait, c'est en Allemagne qu'ont été créés les tarifs de rachat qui ont ensuite inspiré le modèle français.
Les chiffres allemands présentés à la page 12 du document traduisent une croissance très rapide : de fait, il faut savoir doser ce mécanisme, aider cette transition énergétique en arrivant suffisamment tôt, mais ni trop tôt, car on entrerait dès lors dans un régime d'innovation, ni trop tard, ce qui reviendrait à subventionner une technologie mature, en engendrant des effets d'aubaine.
Ainsi, tout l'enjeu réside dans le timing ; en Allemagne, on observe vers quoi peut tendre un système qui se perpétue, tout en restant assez sophistiqué. Comme vous le savez, les tarifs de rachat sont régulièrement réduits. Malgré ces mesures, on observe une augmentation très rapide, étant donné que la CSPE allemande s'élève à trente-cinq pour un niveau de dix en France, soit plus de trois fois plus : il y a des leçons à tirer de ce constat.
Le financement de cette transition énergétique fait également débat en Allemagne, notamment pour ce qui concerne la sortie des tarifs de rachat. De même que mon collègue, pour ce qui concerne la cogénération gaz, j'estime que certaines questions restent en suspens.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Pour la biomasse ?
M. Luc Poyer. - Pour le gaz tout court, monsieur le rapporteur. En revanche, pour ce qui concerne la cogénération biomasse, c'est tout autre chose, on entre dans le domaine des énergies renouvelables.
Lorsqu'un mécanisme de tarifs de rachat existe, il faut préparer et assurer la sortie du dispositif : c'est bien sûr difficile. Cela suppose qu'un marché suffisamment profond et liquide existe ; il faut inciter un maximum d'acteurs du domaine des énergies renouvelables à placer leurs productions sur le marché, quitte à prévoir des incitations via des mécanismes de certificats verts, dans le cadre le plus européen possible. Ici aussi, il faut que le marché soit liquide et profond, et il faut prévoir un mécanisme de capacité, d'ailleurs fixé par la loi NOME. En la matière, nous commençons à percevoir des signaux d'inquiétude : de fait, nous avons compris que le calendrier d'application risquait de subir des à-coups. Sur ce point, il est donc également urgent de disposer d'une conception globale.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Mais si les volumes suffisants sont disponibles, il sera possible d'atteindre cet objectif.
M. Luc Poyer. - Tout à fait, monsieur le président.
Enfin, je le souligne, il faut distinguer renouvelable et renouvelable : certaines productions d'énergies renouvelables sont très créatrices d'emplois, notamment la biomasse. E.ON est très bien placé pour en parler : nous avons hérité de quelques centrales au charbon et nous sommes un acteur absolument essentiel dans les domaines de la semi-base et du thermique. Certaines de nos centrales au charbon doivent être converties : un moyen de les convertir, c'est précisément la biomasse, qui permet de maintenir un niveau d'emplois important sur les sites concernés tout en structurant en amont une filière.
En la matière, gardons-nous des dogmes, essayons d'explorer de nouveaux mécanismes permettant de créer des emplois et de maintenir de l'industrie en France.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. René Beaumont.
M. René Beaumont. - Monsieur Poyer, ma question est d'ordre local, et plus précisément bourguignon.
Compte tenu des informations que vous venez de nous communiquer, quelle est l'espérance de vie de la centrale thermique au charbon de Lucy à Montceau-les-Mines ? Plus précisément, envisagez-vous de convertir cette centrale dans le domaine du gaz de biomasse ?
M. Luc Poyer. - Monsieur le sénateur, l'espérance de vie de ces structures dépend de la réglementation européenne ; de fait, la tranche de Lucy fait partie des douze tranches dites « GIC », soumises à la directive « grandes installations de combustion », dont la durée de vie est limitée au 31 décembre 2015.
En outre, eu égard aux effets de réduction des marges précédemment évoqués, certaines de ces tranches ne seront plus économiquement viables à compter de 2013, date à laquelle prendra fin l'allocation gratuite des quotas de CO2. La question se posera donc entre 2013 et 2015, sauf à réinvestir, à consentir de nouveaux investissements pour remettre à neuf ces installations, ce qu'aucun acteur de la filière n'a consenti à ce jour, notamment pas le principal d'entre eux, EDF : sauf erreur de ma part, cet opérateur a déjà fermé huit tranches de cette nature.
Je le souligne, c'est par décision du politique que l'industriel va devoir fermer ces tranches avant le 31 décembre 2015.
La question de la biomasse, je me la suis déjà posée, monsieur le sénateur, étant donné que, pour une autre centrale, nous sommes parvenus à développer et à faire bien avancer un projet de cette nature ; je n'entrerai pas dans les détails techniques, mais je précise qu'en matière de biomasse il convient d'assurer la cogénération - en d'autres termes, vous cherchez un débouché de chaleur, sauf cas exceptionnel, lorsque l'appel d'offre le permet.
Pour ce qui concerne Lucy, il faut donc déterminer un débouché chaleur. Or, à ce stade, à ma connaissance, le débouché n'est pas assez important. Qu'il s'agisse d'un débouché vers un réseau de chaleur - il faudrait, dans ce cas, une population plus importante que celle de Montceau-les-Mines - ou d'un débouché industriel, qui, en l'occurrence, n'est malheureusement pas suffisant, nous nous heurtons à de grandes difficultés, sans évoquer la question de l'approvisionnement en charbon,...
M. René Beaumont. - Qui est très coûteux.
M. Luc Poyer. - ... qui est bien sûr très onéreux : en effet, depuis 2004, la France doit importer son charbon, dans le cas présent via Dunkerque ou Fos-sur-Mer - voyez un peu le chemin qu'il faut parcourir -, avec d'importantes ruptures de charge.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Olivier Puit.
M. Olivier Puit. - Je ne répéterai pas les arguments développés par les précédents intervenants. Mon intervention sera donc courte, étant donné que, globalement, et de manière assez étonnante, d'ailleurs, nous avons tous les quatre des positions assez proches pour ce qui concerne la CSPE.
En effet, on observe un problème de fond quant aux charges liées au soutien de certaines filières au travers de la CSPE : ce soutien n'a pas vocation à être éternel, et nous devrions soutenir uniquement des filières émergentes, qui ne sont pas encore matures économiquement.
Or, telle n'est pas tout à fait la situation que nous constatons aujourd'hui. Il faut réellement se poser la question suivante : comment gérer la transition d'un mécanisme de soutien vers un mécanisme de marché ? Cette problématique était du reste énoncée par la programmation pluriannuelle des investissements de production 2009-2020 qui prévoyait qu'à l'échéance des contrats d'obligations d'achat, il appartenait au producteur de valoriser ses capacités de production en contractualisant avec les acteurs du marché.
Aujourd'hui, il faut réellement déterminer comment restreindre le soutien accordé, au travers des tarifs d'achat, aux filières devenues matures, concernant les centrales amorties, que je ne citerai pas nommément.
De surcroît, il faut se pencher sur un certain nombre de filières, qui, actuellement, tendent à passer d'un statut d'émergence à une certaine maturité. En particulier, la filière photovoltaïque évolue à une vitesse qui l'apparente bien plus à l'industrie de l'électronique qu'à celle de l'électricité. On n'a pas forcément l'habitude de voir les coûts de construction divisés par deux tous les deux ou trois ans ! Cette évolution bouleverse totalement le monde de l'électricité tel que nous l'avons connu.
Ainsi, certains développeurs de parcs photovoltaïques commencent à se demander comment valoriser leur production à long terme sur le marché, ce qui nous semble la meilleure logique pour éviter que la CSPE ne continue d'exercer une pression sur le budget des ménages. C'est aujourd'hui l'un des facteurs majeurs de la hausse prévue du tarif de l'électricité pour les cinq ans à venir.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Messieurs, je vous remercie. J'ai apprécié vos interventions très responsables pour ce qui concerne la CSPE.
La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. - Messieurs, je conclus de vos interventions respectives - notamment concernant E.ON et Vattenfall - que vous continuez d'investir extrêmement massivement à l'échelle européenne dans le domaine des énergies renouvelables : c'est la logique de votre action. Or, au cours de vos interventions, vous avez surtout aligné des difficultés conjoncturelles. Sans doute développez-vous également une vision de moyen terme ? À mes yeux, celle-ci apparaît relativement peu dans vos réponses, au total.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Je ne suis pas d'accord avec vous, mon cher collègue.
M. Ronan Dantec. - Il est très clair, messieurs, que vous investissez massivement dans le renouvelable. En outre, comme vous le soulignez, les problèmes de l'intermittent sont en définitive moins graves qu'il n'y paraît ; nous avons d'importantes capacités STEP. Cela signifie que, à moyen terme, des structures doivent fermer, les centrales thermiques et probablement une partie des centrales nucléaires - en tout cas, les coûts vont se renchérir. De fait, vous avez bien affirmé qu'en production basse la France était largement excédentaire. Or, étant donné que le merit order va baisser, vous anticipez probablement déjà une augmentation du prix du nucléaire.
Les impératifs horaires s'imposent à nous, j'en suis conscient. Néanmoins, pouvez-vous nous exposer, en quelques mots, cette stratégie globale, que l'on devine derrière les propos que vous avez développés ? Ce sujet n'apparaît pas dans les questions suivantes, monsieur le président !
M. Ladislas Poniatowski, président. - Certes, mon cher collègue, mais vos propos esquissent déjà la position que vous risquez d'adopter concernant le rapport. (M. Ronan Dantec manifeste son désaccord.) Or, ces opérateurs qui sont face à nous ne fixent pas les règles du jeu : celles-ci sont définies en France et à l'échelle européenne, ils en profitent, tant mieux pour eux ! Cependant, j'apprécie que les représentants de ces opérateurs tiennent un discours responsable, en soulignant que ces règles du jeu vont parfois trop loin, qu'il faut savoir les arrêter, les limiter.
Voilà pourquoi, messieurs, je le répète, je salue vos interventions.
La parole est à M. Luc Poyer.
M. Luc Poyer. - Permettez-moi de dresser un constat qui n'est tout de même pas fréquent, notamment entre des opérateurs qui défendent une rente et des politiques qui tentent de l'amoindrir : en la matière, on observe tout de même une grande conjonction des intérêts entre le politique et les opérateurs !
E.ON investit 1,5 milliard d'euros par an dans les énergies renouvelables, dont une grande part en Europe. Sans vous livrer des chiffres confidentiels et stratégiques, je peux vous indiquer que notre objectif est d'investir plusieurs dizaines de pour-cent dans l'offshore d'ici à cinq ans. Nous nous fixons des objectifs très précis concernant les producteurs. Cette politique permet de réduire la CSPE et de nous diriger vers des mécanismes de marché que nous appelons de nos voeux.
L'intérêt particulier rejoint donc bien, à nos yeux, l'intérêt général.
M. Ronan Dantec. - Monsieur Poyer, à mon sens, nous sommes bien d'accord sur ce point, et même plus d'accord avec M. le président que celui-ci ne semble se le figurer. D'autres occasions nous permettront de débattre de ce sujet.
Quoi qu'il en soit, nous sommes d'ores et déjà en surcapacité et vous allez continuer à investir massivement. Voilà pourquoi je souhaite vous entendre très rapidement sur ce point : quelles sont les structures appelées à fermer ? Certaines d'entre elles disparaîtront bien du paysage !
M. Luc Poyer. - En effet, monsieur le sénateur. Cette question est très importante, car, dans l'opinion, ce message n'est pas encore totalement passé : dès lors que l'on choisit d'augmenter la part des énergies renouvelables, certaines structures doivent effectivement disparaître. De plus, dans le contexte de la lutte contre le changement climatique, les centrales au charbon sont devenues obsolètes, en vertu de la réglementation : elles sont donc appelées à fermer.
Toutefois, face au renouvelable, d'autres technologies devront être développées, dans les domaines du stockage et de la pointe, d'où l'importance du marché de capacité. Mais, effectivement, il ne s'agira pas nécessairement d'un volume aussi important de mégawatts, d'autant plus que nous accroîtrons notre efficacité énergétique.
M. Ronan Dantec. - De fait, votre modèle, c'est énormément de puissance renouvelable à l'échelle européenne, des contrats de mécanismes de capacité - ce n'est pas le marché qui permettra de s'en sortir en la matière -, mais vous allez également attaquer la surcapacité nucléaire, nécessairement !
M. Luc Poyer. - En Allemagne, c'est déjà fait : ce pays doit sortir du nucléaire en 2022.
M. Ronan Dantec. - Vous allez donc attaquer également le nucléaire ?
M. Luc Poyer. - Non, monsieur le sénateur, nous ne l'attaquons pas : nous analyserons l'évolution des courbes du prix sur les marchés, mais je ne suis pas certain que le nucléaire sera touché.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Mon cher collègue, c'est vous le responsable politique, ce n'est pas eux ! (Sourires.)
M. Luc Poyer. - Du reste, monsieur le sénateur, si vous observez la courbe de mérite que j'ai mentionnée, vous constatez que l'énergie nucléaire est en bas : de fait, le coût marginal du nucléaire reste le plus faible, après celui des énergies renouvelables.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Ce débat nous conduit dans une impasse, or il convient d'avancer : vous l'avez bien souligné, monsieur Poyer, la surcapacité ne se limite pas au nucléaire, mais concerne également les énergies renouvelables et, au-delà, l'ensemble des secteurs.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Messieurs, comme je vous l'ai déjà indiqué, vos constats nous intéressent au titre de notre réflexion générale. Dans ce cadre, pouvez-vous nous indiquer, en quelques mots, si vous êtes en capacité de devenir des opérateurs d'effacement tout en restant à la fois producteurs et fournisseurs ? Est-il possible pour un fournisseur de déclarer, à un certain stade : « Je ne produis plus, j'efface » ? L'effacement concerne principalement la gestion des pointes, bien évidemment. Pouvez-vous nous préciser votre position concernant les pointes ? En tant que producteurs et fournisseurs, pouvez-vous jouer un rôle en la matière et, si oui, comment ?
M. Michel Crémieux. - Pour ce qui nous concerne, nous assumons déjà le rôle d'opérateur en matière d'effacement. Au mois de février, la France a subi une pointe de froid qui a duré une quinzaine de jours. Durant cette période, nous avons monté une opération d'effacement avec deux de nos principaux clients, à savoir des industriels, en leur permettant d'opérer des économies significatives.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Pouvez-vous nous fournir des précisions sur ce dernier point ?
M. Michel Crémieux. - Tout à fait, monsieur le rapporteur. Nous avions établi un contrat nous permettant de leur rétrocéder les économies que nous réalisions.
Je serai très bref sur ce sujet, en faisant, comme précédemment, référence aux actions menées en Espagne et en Italie. Ces deux pays sont dotés de marchés de soutien aux capacités nouvelles : ainsi, l'Espagne dispose d'une prime aux investissements permettant d'augmenter la capacité, de l'ordre de 28 000 euros par mégawatt et par an. Dans ces deux États, le système n'englobe pas l'effacement : de fait, comme l'Espagne, l'Italie a considéré qu'il était trop compliqué de mettre sur le même plan une procédure de soutien au développement de capacités nouvelles de pointe et la gestion des procédés d'effacements, compte tenu de l'hétérogénéité de ces derniers.
En France, nous avons longuement discuté avec nos collègues au sein de l'UFE et de l'AFIEG - en lien avec les pouvoirs publics - du décret qui devait être publié et qui, finalement, a été reporté, concernant la mise en place de ce marché de capacité. Nous sommes absolument convaincus que ce marché est nécessaire et que nous ne pouvons pas rester sur un marché energy only comme on le dit dans notre jargon. Toutefois, nous rencontrons la même difficulté en France qu'en Italie et en Espagne : les temps de réponse ne sont pas toujours les mêmes, les modes de gestion de l'effacement peuvent être extrêmement hétérogènes - s'agit-il d'un effacement du jour pour le lendemain, de l'heure pour la suivante ? - et sont donc difficiles à organiser. Nous restons donc un peu perplexes face au projet de tout mettre ensemble. Je laisserai mes collègues développer les autres aspects.
M. Jean Desessard, rapporteur. - À vos yeux, ce doit être soit l'un, soit l'autre ?
M. Ladislas Poniatowski, président. - C'est ce qu'ont décidé l'Espagne et l'Italie.
M. Michel Crémieux. - Tout à fait, monsieur le président. Toutefois, cela ne signifie pas qu'il ne faut pas encourager l'effacement ! (M. le rapporteur acquiesce.)
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Frédéric de Maneville.
M. Frédéric de Maneville. - En raison de l'existence de tarifs réglementés de vente sur les segments bleu, jaune et vert, nous ne sommes actifs que sur le marché libre des industriels et du grand tertiaire. Toutefois, c'est sur ce marché qu'existe le plus gros potentiel d'effacement : il réside avant tout dans l'industrie, bien plus que chez les particuliers.
En tant que fournisseur d'électricité dans ce domaine industriel et grand tertiaire, nous sommes tout naturellement un opérateur d'effacement, cette fonction tombe sous le sens ! Du reste, le fait qu'un certain nombre de start-up se soient développées dans le domaine de l'effacement n'est pas rédhibitoire. Ces entreprises viennent compléter notre action : un besoin d'activité s'était fait jour, les start-up ont trouvé leur place, c'est très bien ainsi !
Néanmoins, à nos yeux, en tant qu'opérateur d'énergie, nous devons également proposer à nos clients des prestations d'effacement ; c'est dans la logique de notre rôle vis-à-vis de ces derniers.
Depuis la mise en oeuvre de la loi NOME, nous fournissons de l'énergie à nos clients, mais il s'agit, à hauteur de 90 %, de la revente d'ARENH venant d'EDF. Nous sommes donc, à hauteur de 10 %, des fournisseurs d'énergie : ces proportions doivent être clairement rappelées.
De fait, cette situation pose un problème en matière d'effacement, notamment parce que le contrat ARENH - pardonnez-moi, je suis contraint d'entrer quelque peu dans la technique - contient un certain nombre de clauses, de monotonie ou de complément de prix - j'ignore si les précédentes auditions ont permis d'évoquer ces questions - auxquelles l'opérateur historique n'est pas soumis : seuls les acheteurs d'ARENH que nous sommes y sont astreints. Compte tenu de ces clauses, nous sommes très contraints quant à la qualité de notre programmation de consommation d'ARENH.
Ainsi, nous demander d'être très flexibles et de proposer de l'effacement à nos clients tout en étant très contraints et soumis à des pénalités si nous ne respectons pas les seuils d'ARENH que nous sommes censés consommer, c'est tout simplement contradictoire ! Il faut bien comprendre que le dispositif ARENH ne nous incite absolument pas à proposer de l'effacement à nos clients.
M. Olivier Puit. - Si vous me le permettez, j'apporterai une légère précision.
Le constat que dresse Frédéric de Maneville est très juste : il n'y a pas de compatibilité entre le mécanisme ARENH et les effacements tels que l'on peut les concevoir sur une base de marché. Il n'y a qu'un seul mode, faisant intervenir RTE, nous permettant d'effacer effectivement des sites industriels sans que notre contrat ARENH avec EDF ne s'y oppose, notamment pour ce qui concerne les clauses de prix complémentaires que nous serions conduits à verser à EDF dans ce cadre.
M. Frédéric de Maneville. - Tout à fait.
Cela étant dit, à travers le mécanisme d'ajustement, qui est donc la réserve tertiaire gérée par RTE, des solutions de valorisation d'effacement existent d'ores et déjà, et des sociétés - celle qui rencontre le plus grand succès dans ce domaine s'appelle Energy Pool - parviennent aujourd'hui à vivre et à développer l'effacement. À l'heure actuelle, la question n'est donc pas totalement bloquée dans notre pays.
Concernant l'obligation de capacité prévue par la loi NOME, j'émets un certain nombre de réserves, tout comme l'Autorité de la concurrence et la CRE, qui ont récemment publié leurs avis sur cette question.
En particulier, il me semble bien plus important, notamment pour l'essor de l'effacement, de développer un réel marché des services système. Sur ce point, pardonnez-moi, j'entrerai également un peu dans la technique : chaque jour, RTE doit acheter aux producteurs des services système que l'on nomme les réserves primaire, secondaire et tertiaire, permettant de gérer l'équilibre du réseau en temps réel et s'assurer qu'à chaque instant la fréquence reste toujours strictement de 50 hertz.
Or, à l'heure actuelle, nous sommes quasiment le dernier pays de l'Union européenne à ne pas disposer d'un mécanisme de marché sur lequel RTE achète ces services aux producteurs : nous fonctionnons toujours selon un système défini par décret, alors que partout ailleurs les opérateurs de réseaux acquièrent ces services auprès des producteurs selon des mécanismes d'enchères, qui, soit dit en passant, constituent en général le modèle économique sous-jacent du développement des STEP.
Les STEP, que vous voyez se multiplier en Autriche, en Suisse ou en Allemagne, mais non en France - ce sujet a été évoqué il y a quelques instants -, disposent d'un modèle économique qui repose avant tout sur la fourniture de services système aux réseaux. Il s'agit donc de l'achat d'un peu plus ou d'un peu moins d'énergie en temps réel, parfois à l'échelle de quelques minutes. Ce marché est, en soi, différent du marché de l'énergie à J-1...
M. Jean Desessard, rapporteur. - Vous êtes d'accord, concernant le J-1 ?
M. Frédéric de Maneville. - Bien sûr, monsieur le rapporteur. Je souligne qu'il s'agit simplement d'un marché complémentaire, lequel est insuffisamment développé en France.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Soyons clairs : on distingue le marché de gré à gré, en amont, pour ce qui concerne le prix et la fourniture ; le marché J-1, pour l'énergie que l'on fournira demain ; et, enfin, le marché journalier. (M. Frédéric de Maneville acquiesce.) Or, à vos yeux, ce dernier marché n'est pas assez souple ?
M. Frédéric de Maneville. - Aujourd'hui, le marché dit infrajournalier, dans les vingt-quatre heures, existe en France et il est organisé. Le marché que je viens d'évoquer agit encore à plus court terme : de fait, le réseau a parfois besoin, en dix ou en trente minutes, de disposer d'une centrale tournant un peu plus ou un peu moins fort. Ce marché est encore différent des précédents : c'est celui des services système.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Et ce marché est imposé par RTE, il n'est donc pas soumis à la loi de l'offre et de la demande ?
M. Frédéric de Maneville. - Exactement, monsieur le rapporteur. Ce contexte est, à mon sens, très dommageable. En effet, d'une part, il suscite une mauvaise allocation économique des services système : une grosse centrale, valant 5 milliards d'euros, sera ainsi contrainte de fournir des services système, tandis qu'une centrale beaucoup plus flexible pourrait remplir cette fonction à sa place. D'autre part, cette situation engendre indirectement un manque de revenu pour les STEP, qui, chez nos voisins, reposent avant tout sur ce mécanisme.
Pour conclure, à ce jour, il me semble plus important de créer un marché de ces services système en France plutôt que d'y développer une obligation de capacité, en tout cas telle qu'elle est prévue par le décret qui nous a été présenté il y a quelques semaines.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Luc Poyer.
M. Luc Poyer. - E.ON a un point de vue de producteur mais aussi de « commercialisateur » : en effet, nous commercialisons auprès de nos clients les plus importants, essentiellement des industriels, des produits d'effacement, avec les contraintes précédemment citées concernant l'ARENH.
Par ailleurs, je souscris aux propos qui ont été développés concernant les services système. Toutefois, s'agissant de l'effacement, s'il convient de développer des offres, il ne faut pas se leurrer : une offre en matière d'effacement n'équivaut pas à l'offre d'un producteur. Lorsque vous effacez, vous affirmez à votre client industriel : « Vous devez tenir cinq heures, réduire votre production et vous serez rémunéré ». De fait, la rémunération est la même que lorsque vous mettez en oeuvre un système de production. Mais le problème, c'est qu'au bout de cinq heures votre client industriel doit redémarrer ses installations. S'il a investi dans un outil de production et si on lui dit alors « Nous sommes désolés, il faut continuer une heure », cela engendre un coût supplémentaire.
Un des problèmes en matière d'effacement, c'est précisément cette symétrie entre l'offre et la demande. En résulte l'importance du marché de capacité et l'enjeu d'une véritable incitation à investir. J'attire l'attention des pouvoirs publics sur ce sujet, notamment pour ce qui concerne l'horizon 2015-2016. Si les fameux 2 700 mégawatts qui manquent ne sont réglés que par l'effacement, des problèmes apparaîtront, comme on l'a observé lors de la période de grand froid que notre pays a connue en février dernier : le premier jour, les clients réduisent effectivement leur consommation, les appartements sont chauffés à 17°C. Mais, dès le lendemain, les personnes de plus de 65 ans commencent à avoir un peu froid et tendent à remonter le thermostat.
Ainsi, lorsque vous devez répéter l'effacement, vous constatez que vous ne parvenez pas à le maîtriser comme un outil de production. Notre message est donc le suivant : oui à l'effacement, avec des outils de marché comme les services système, et en complément un soutien à la capacité via un mécanisme de marché. Il faut que ce mécanisme de la loi NOME soit mis en oeuvre très rapidement, car, pour ce qui concerne l'hiver 2015-2016, les investissements s'opèrent dès maintenant !
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. - À vous entendre, messieurs, vous ne semblez pas totalement en accord sur la stratégie à suivre en la matière,...
M. Luc Poyer. - Mais tant mieux, monsieur le sénateur ! Ainsi, Vattenfall n'investira pas dans les moyens de pointe, tandis que nous le ferons !
M. Ronan Dantec. - ... est-ce parce que vous considérez que vous divergez quant à la réponse de capacité ? De fait, si on évolue sur des marchés système, on va de plus en plus chercher cette capacité dans l'ensemble de l'Europe connectée, tandis que, dans un modèle plus national, on aura plus largement recours à des capacités intérieures.
M. Luc Poyer. - Monsieur le sénateur, permettez-moi de clarifier mes propos.
Premièrement, concernant les services système, je souscris à 100 % à ce qui vient d'être dit. Je souligne simplement que le signal sera une optimisation. Sans entrer dans la technique, je vous précise que les services système ne représentent qu'une faible part des revenus d'une centrale, au plus une dizaine de pour-cent : ce n'est pas un facteur déterminant, sauf pour les STEP, qui, du reste, ne suffisent pas !
Deuxièmement, nous sommes partisans du marché de capacité le plus européen possible.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Frédéric de Maneville.
M. Frédéric de Maneville. - Pour clarifier nos points d'accord et de divergence, je tiens à dresser ce constat : le projet de mécanisme de capacité présenté par la direction générale de l'énergie et du climat, la DGEC, il y a quelques semaines ne nous satisfait pas, et, à mon sens, nous sommes unanimes sur ce point : nous quatre appartenons à une association qui a critiqué, par écrit, ce projet. Nous ne nous opposons pas au principe d'un mécanisme de capacité, mais le projet qui nous a été soumis présente beaucoup de défauts. Du reste, l'Autorité de la concurrence l'a souligné, ainsi que la CRE.
M. Ronan Dantec. - En quelques mots, quel est, à vos yeux, le principal défaut de ce mécanisme ?
M. Frédéric de Maneville. - Il y en a tellement, monsieur le sénateur, que ce sujet exigerait de longs développements !
M. Ronan Dantec. - C'est pourtant un élément important de l'histoire...
M. Ladislas Poniatowski, président. - Dans ce cas, monsieur de Maneville, je vous demande d'être le plus concis possible.
M. Frédéric de Maneville. - Je serai bref, monsieur le président. La loi NOME précise que les fournisseurs ayant accès à l'ARENH doivent assumer une obligation de capacité. Ce faisant, est créé un mécanisme de capacité décentralisé : les fournisseurs doivent assurer l'équilibre en puissance du système alors que nous nous inscrivons, aujourd'hui, dans une logique différente où RTE garantit cet équilibre de manière centralisée.
Partant de ce principe, une longue concertation a eu lieu, et nous nous sommes notamment heurtés à cette difficulté : la loi impose la création d'un système décentralisé, et les acteurs affirment que, si l'on se réfère aux prévisions de besoins de puissance de l'ensemble du marché, cela ne va pas boucler, il faut donc préserver un certain degré de centralisation. Voilà l'un des gros problèmes que nous avons rencontrés.
Partant, la DGEC a ajouté un « mécanisme de bouclage » ; mais lorsqu'on sait un peu comment fonctionnent les marchés, on ne peut pas affirmer : « On va créer un marché de l'offre et de la demande, et si le marché ne fonctionne pas nous aurons recours à ce mécanisme de bouclage » ! De fait, dans ce cas, tous les acteurs attendront la mise en oeuvre de ce mécanisme pour engager leurs investissements ! Ce dispositif ne fonctionnera tout simplement pas.
M. Jean Desessard, rapporteur. - En d'autres termes, vous traversez une période de transition difficile.
M. Frédéric de Maneville. - Pas exactement, monsieur le rapporteur, il s'agit simplement du mécanisme de capacité qui, à nos yeux, doit être révisé. Selon nous, il faut revoir la conception même de ce dispositif...
M. Ronan Dantec. - Et prévoir un dispositif plus interconnecté au niveau européen ?
M. Frédéric de Maneville. - Certainement.
M. Ronan Dantec. - Voilà qui est dit.
M. Luc Poyer. - Permettez-moi simplement d'ajouter que, si ce dispositif présente des défauts, il reste indispensable sur le principe : pour notre part, nous devons prendre dès cette année des décisions d'investissements concernant nos sites. Ces décisions dépendront précisément de la nature de ce mécanisme.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Olivier Puit.
M. Olivier Puit. - Je commencerai par rebondir sur la question du marché de capacité. Dans le contexte actuel du domaine de l'électricité en France et en Europe de l'Ouest, il est indispensable de transformer un marché qui, aujourd'hui, est purement énergétique en un marché « énergie et capacité ». Faute de quoi, nous risquons d'aller droit dans le mur.
De fait, le panorama a entièrement changé. Nous ne sommes plus simplement en train de décider d'investissements dans de nouveaux moyens de production en fonction d'un merit order fondé sur des données que nous connaissions depuis des dizaines d'années : désormais, nous nous inscrivons dans un marché qui, du fait de l'intermittence de certains moyens de production, est beaucoup plus complexe qu'auparavant, et qui n'offre pas aujourd'hui de rentabilité aux nouveaux moyens de production.
Je serai très clair : aujourd'hui, il est impossible d'investir dans un cycle combiné gaz en France - vous pouvez d'ailleurs dresser la liste des projets actuellement à l'étude sur notre territoire, aucun ne se concrétise, à moins de bénéficier d'une subvention par un biais ou par un autre. Si on veut éviter d'aller dans le mur, il faut véritablement se poser la question de la construction d'un marché de capacité.
Par ailleurs, le projet que nous avons pu étudier, concernant un marché de capacité, et sur lequel l'AFIEG s'est prononcé, n'est pas satisfaisant : il ne répond pas de manière convenable à cette préoccupation, ce qui ne signifie pas que celle-ci n'existe pas et qu'il n'est pas nécessaire d'y faire face !
En ce qui concerne l'effacement, on peut établir ce constat, en quelques mots : aujourd'hui, après plus de trois ans de tarif réglementé transitoire d'ajustement de marché, le TARTAM, après quelques mois d'ARENH, et avant d'entrer en situation de marché, le potentiel d'effacement, qui existe sans doute encore aujourd'hui, est bien moins actif qu'auparavant. Le TARTAM a d'ailleurs contribué à restreindre les possibilités d'effacement, et le mécanisme de l'ARENH, qui n'est pas simple à gérer pour un fournisseur d'électricité, ne facilite pas non plus le développement de l'effacement.
De surcroît, les prix de marché, à savoir la part énergie telle qu'elle est constatée sur le marché de l'électricité, ne s'élèvent pas non plus à des niveaux extraordinairement élevés : on a connu des prix quasiment doubles en la matière il y a un peu plus de trois ans. Partant, il semble d'autant plus difficile d'aller chercher ce potentiel d'effacement.
Alpiq Énergie France est un acteur d'effacement, nous avons conclu des contrats d'effacement avec certains de nos clients, nous sommes par ailleurs le seul fournisseur d'électricité dont RTE a retenu la candidature pour la contractualisation de capacités d'effacement à travers le mécanisme d'ajustement en 2012. Ainsi, c'est un service que nous proposons à nos clients, pour leur permettre de réduire le montant de leurs factures : c'est clairement l'objectif visé.
Je le répète, dans le contexte actuel de l'ARENH, sur lequel, je l'espère, nous aurons le temps de revenir, l'effacement est un service fondamental : de fait, dans ce cadre, l'activité de fournisseur d'électricité a été réduite à la portion congrue. Nous sommes les revendeurs d'un produit fini à prix public, dans des conditions publiques : en la matière, nous n'offrons presque aucune valeur ajoutée, et cette situation ne peut donc pas nous apporter satisfaction. Via l'ARENH, la fonction de fournisseur d'électricité a été dévoyée. Nous tentons donc, en quelque sorte, d'apporter un peu de valeur ajoutée au-delà des 10 % d'électricité que nous fournissons effectivement.
Cet objectif est d'autant plus logique que la loi NOME contient des dispositions incitatives en matière de développement d'offres d'effacement, et tout particulièrement au travers du marché de capacité. À mon sens, dès aujourd'hui, et au-delà de la volonté affirmée par l'ensemble des acteurs de développer cet effacement, il faut se poser concrètement les questions économiques incontournables : aujourd'hui, sommes-nous capables de proposer des solutions d'effacement aux industriels ?
Pour ces derniers, il ne s'agit pas simplement d'arrêter et de redémarrer la production avec toute la souplesse imaginable. L'effacement induit également d'importantes conséquences concernant les process, les carnets de commandes, en matière de flexibilité ; par ailleurs, cette méthode implique des réinvestissements dans des process permettant de gérer l'effacement, qui ont été oubliés depuis le temps de l'effacement des jours de pointe, l'EJP, au début des années 2000.
Pour réinvestir dans l'effacement, ce qui est nécessaire, il faut pouvoir établir un business plan, et donc disposer de projections de prix et de valorisations pour l'avenir. Or, à ce jour, nous ne sommes pas en mesure de proposer de tels services : en effet, nous ne savons pas quel sera le prix de l'énergie dans les années à venir. Nous ne connaissons ni le prix futur de l'ARENH ni les conditions qui seront fixées. Nous ignorons si un marché de capacité sera créé, et, le cas échéant, comment il sera construit.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Michel Crémieux.
M. Michel Crémieux. - Comme l'a souligné Luc Poyer, nous nous demandons si, au cours des deux ou trois années à venir, nous devrons investir dans des équipements qui seront mis en service après 2015, 2016 ou 2017. Il s'agit d'équipements de pointe ou de semi-base.
Si la demande recule, s'il fait chaud pendant trois années consécutives, ces équipements ne fonctionneront pas du tout et ne dégageront aucune rémunération. En revanche, ces dispositifs seront extrêmement utiles et même indispensables à la France si nous subissons des pointes de froid, ou des dysfonctionnements de système à l'échelle européenne.
Il faut donc fournir une prime d'assurance : le marché de capacité vise cet objectif. Toutefois, à notre sens, il faudrait que le montant de cette prime soit connu.
Si un marché définit le montant de la prime d'assurance pour l'année 2016, tandis qu'il faut attendre l'année suivante pour connaître son montant pour 2017 ou 2018, l'outil ne nous aidera pas à prendre nos décisions d'investissements. Nous souhaitons disposer d'un outil véritablement viable.
D'autres mécanismes existent : il y a quelque temps, l'État a lancé un appel d'offre en Bretagne pour la construction d'une centrale à cycle combiné gaz, ou CCGT, en prévoyant une rémunération de capacité annuelle pendant vingt ans. Cette durée est sans doute trop longue : nous n'avons pas besoin d'une assurance aussi forte.
M. Jean Desessard, rapporteur. - C'est noté ! (Sourires.)
M. Michel Crémieux. - Cette rémunération résultait d'un appel d'offre, le meilleur l'a remporté, à savoir celui qui a proposé la rémunération la plus faible. Mais, quoi qu'il en soit, ce dernier savait à quoi s'en tenir, et on constate que cette rémunération a révélé combien l'État devait donner pour construire une CCGT évitant un black-out en Bretagne à l'horizon 2016-2017. Il s'agit d'un montant de l'ordre de 60 000 à 70 000 euros par mégawattheure.
M. Ladislas Poniatowski, président. - En l'occurrence, cette centrale répondait non pas à un besoin de production, mais à un besoin de transport ! (M. Ronan Dantec acquiesce.)
M. Michel Crémieux. - Il s'agit d'un besoin de capacité régionale, compte tenu des congestions...
M. Ronan Dantec. - Cet enjeu est malgré tout lié au transport, le président a raison.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Ma quatrième question est la suivante : quelles sont votre opinion, vos conceptions et vos réalisations concernant les réseaux et les compteurs intelligents ?
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Michel Crémieux.
M. Michel Crémieux. - Enel fait figure de précurseur mondial dans le domaine des compteurs électroniques et, aujourd'hui, quelque 30 millions de compteurs de ce type sont en service en Italie ; 13 autres millions sont en cours d'installation en Espagne...
M. Ladislas Poniatowski, président. - Quels sont les atouts et les défauts du compteur italien ?
M. Michel Crémieux. - Ce compteur fournit une information aux consommateurs quant à leur consommation d'électricité ; il opère un relevé automatique en vue de la facturation ; il permet d'identifier localement les pointes de consommation afin de déterminer où il sera nécessaire de renforcer le réseau de distribution, et ce de manière très fine. Voilà un certain nombre des avantages que présente ce compteur.
Certes, du point de vue de l'acteur dominant en Italie, Enel, ce dispositif a l'inconvénient d'ouvrir la voie à la concurrence - mais en France nous trouvons cela très bien ! -, étant donné qu'il permet à tous les opérateurs de proposer des tarifs beaucoup plus sophistiqués et adaptés à la consommation de chaque client que les dispositifs actuels.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Cela signifie que ce système permet une gestion plus fine des tarifs selon les horaires ?
M. Michel Crémieux. - Tout à fait, il permet de relever le compteur heure par heure.
Je le répète : 31 millions de compteurs sont en service en Italie ; 13 millions sont en cours d'installation en Espagne et 2,5 millions en Roumanie.
Je précise qu'une autre raison fondamentale justifie l'installation de ces compteurs : c'est la lutte contre la fraude. Dans des pays comme l'Italie, l'Espagne et la Roumanie, il s'agit d'une préoccupation majeure des distributeurs d'électricité. Je suis très clair sur ce point.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Le compteur appartient au distributeur ?
M. Michel Crémieux. - Tout à fait, monsieur le rapporteur, et il est financé par lui.
M. Ladislas Poniatowski, président. - N'y a-t-il qu'un seul distributeur ?
M. Michel Crémieux. - Non, monsieur le président, de nombreuses collectivités ont statut de distributeur, plus précisément via des régies locales de distribution : certaines d'entre elles ont développé des compteurs du même type, d'autres non. Toutefois, en Italie, la distribution est très largement dominée par Enel.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Pouvez-vous nous indiquer le nom de ce compteur ?
M. Michel Crémieux. - Telegestore, monsieur le rapporteur.
Je souligne que des accords ont été conclus avec les fabricants d'électroménager, notamment Electrolux et Indesit, qui sont les grands fournisseurs dans ce domaine en Italie. Ainsi, à travers le compteur, il sera possible de programmer ces équipements selon les variations locales de charge d'électricité. Ce dispositif est en cours d'expérimentation.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Frédéric de Maneville.
M. Frédéric de Maneville. - Après l'Italie, la Suède est le deuxième pays connaissant un déploiement massif des automatic meter reading, les AMR. Comme je vous l'ai indiqué précédemment, en Suède, la distribution de l'électricité est largement décentralisée : on y compte près de 250 sociétés de distribution. Ce sont elles qui ont mis en place ce compteur communicant, selon le modèle que vous connaissez.
Il convient de souligner que cet aspect de maîtrise de la demande - car tel est, en définitive, le sujet que nous évoquons - est, au total, de dimension assez locale.
Par exemple, nous développons avec ABB un projet sur l'île suédoise de Gottland, que nous essayons, avec des smart grids, avec un parc éolien et avec ces compteurs communicants, de transformer en « île intelligente », quant à la production d'énergie et à la maîtrise de la demande. Dans un contexte insulaire, on observe qu'il est particulièrement pertinent de développer des smart grids et toutes les technologies afférentes.
L'enjeu est d'impliquer les consommateurs dans l'équilibre du réseau en temps réel, ce qui suppose, au demeurant, de disposer de tarifs adaptés, et non de tarifs réglementés et uniformes - dans ce cas, cela n'a plus aucun sens de vouloir assurer la maîtrise de la demande.
Nous menons d'autres expériences, par exemple à Hambourg : en l'occurrence, il s'agit d'une initiative menée par cette grande agglomération. Dans le cadre du programme sustainable cities, Vattenfall et la ville de Hambourg développent des actions de maîtrise de la demande, en tenant compte de cette notion d'intégration système entre consommateur et producteur, avec un réseau de chauffage très intégré.
Ces actions se développent beaucoup en Europe, mais souvent sur un périmètre assez restreint, à une échelle régionale ou locale, où on peut maîtriser les divers facteurs et où le réseau électrique forme une entité cohérente.
L'aspect « stockage » est fondamental pour les smart grids. Par exemple, pour citer le même projet de Hambourg, nous avons développé une station de stockage par hydrogène nous permettant d'amortir ces aléas concernant la production et la consommation. Plus généralement, dans les pays où nous opérons, essentiellement la Suède et l'Allemagne, nous observons une forte dynamique autour des smart grids, de la maîtrise de la demande et des systèmes intelligents.
À mon sens, l'interrogation : « Qui doit gérer ce dispositif, le fournisseur ou bien le distributeur ? » est une mauvaise question : ces deux acteurs doivent travailler main dans la main, l'un n'est pas nécessairement mieux placé que l'autre. Une bonne coopération entre les deux est nécessaire pour qu'une telle initiative puisse voir le jour, ce constat me semble évident.
Enfin, je souligne qu'il faut coordonner les actions en faveur du véhicule électrique : de fait, si l'on souhaite que la batterie du véhicule électrique puisse servir de poumon - je me réfère, ici aussi, à des initiatives locales, car véhicule électrique dit borne de recharge, et borne de recharge signifie initiative de l'agglomération, de la communauté, de l'entreprise locale de distribution. Le message majeur qu'il faut retenir du benchmark européen, c'est le suivant : à mes yeux, ces initiatives voient le jour dans un périmètre assez restreint. C'est dans ce cadre qu'elles peuvent être efficaces.
M. Ronan Dantec. - Dans ce cas, il s'agit de sociétés locales disposant d'une forte présence de la puissance publique ?
M. Frédéric de Maneville. - Vous évoquez la puissance publique au sens des collectivités locales ?
M. Ronan Dantec. - Tout à fait : à mon sens, la puissance publique englobe l'ensemble des acteurs publics, des collectivités territoriales à l'État.
M. Frédéric de Maneville. - Dans ce cas, la réponse est oui, monsieur le sénateur.
M. Ronan Dantec. - Je connais également les régions dynamiques d'Europe : généralement, derrière les sociétés locales, il y a les collectivités territoriales.
M. Frédéric de Maneville. - Clairement.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Luc Poyer.
M. Luc Poyer. - Nous avons tenté de vous résumer en quelques pages l'analyse stratégique de E.ON dans le document précédent, en reprenant cette vision des réseaux intelligents : nous intégrons ces derniers dans ce que l'on a appelé de manière sans doute un peu ambitieuse « la troisième révolution industrielle ».
Jeremy Rifkin nous a d'ailleurs fait l'honneur de nous citer comme l'un des premiers opérateurs européens à avoir réfléchi à cette transformation globale, les réseaux intelligents n'étant que l'un des cinq piliers de cette révolution, mais un pilier fondamental, à côté de la production décentralisée, de la maîtrise de la demande, du stockage - point que l'on a évoqué avec les problèmes d'intermittence - et de l'e-mobility, à savoir les voitures électriques.
On intègre ces critères dans cette analyse, en développant des pilotes dans les pays où nous sommes présents. Progressivement, nous intégrons ces pilotes afin de tenter de créer une branche. Cette action influe sur notre organisation ; une branche européenne se charge de ces différentes initiatives.
Je souscris tout à fait à l'analyse développée par M. de Maneville : ces initiatives partent des territoires. Toutefois, nous nous heurtons à une difficulté qui rejoint le « trop tôt ou trop tard » de la CSPE. Comment choisir le bon momentum pour accorder l'aide publique et comment stopper cette dernière à temps ? Comment permet-on aux opérateurs comme nous d'intégrer les différentes briques du modèle pour parvenir à nous transformer sans être toujours sous perfusion ?
Ici encore, nous appliquons un peu la même recette, la diffusion européenne des expériences, que nous organisons au sein du groupe. Je me renseigne donc, pour connaître les initiatives menées par mes collègues suédois ou espagnol concernant les compteurs intelligents. La même action devrait, à mon sens, être mise en oeuvre au niveau des États européens : une nouvelle fois, plus il y aura de relations, mieux ce sera pour tout le monde !
L'histoire de l'énergie, c'est celle de mécanismes d'aide publique qui cèdent la place à des marchés plus ou moins optimaux. Ici, c'est la même problématique ; comment sortir de la subvention pour se diriger le plus vite possible vers des mécanismes de marché ? Les réseaux intelligents sont les plus ambitieux, ils atteignent en quelque sorte le niveau de l'Internet : avec Internet, on a observé des phénomènes d'accélération peut-être encore plus phénoménaux que ceux que nous avons connus dans le domaine du photovoltaïque. Comment concevoir de nouveaux modèles économiques ? Celui qui les déterminera gagnera cette révolution.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur Olivier Puit, la Suisse va-t-elle se doter de compteurs communicants ?
M. Olivier Puit. - Tout à fait, monsieur le président. Cependant, sur cette question, je serai encore plus bref que précédemment. De fait, je ne dispose que de peu d'éléments en la matière, pour une raison très simple : en Suisse, Alpiq n'est ni un distributeur ni un fournisseur de clients particuliers. D'autres entreprises se chargent de cette mission. Nous n'avons donc pas d'action particulière à mener dans ce domaine.
Des projets sont actuellement à l'étude : un premier projet pilote de smart metering a été lancé à Lausanne en 2011, mais je n'ai guère d'éléments sur lesquels m'appesantir.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Sur cette question, on observe clairement que certains chantiers sont déjà bien avancés, notamment en Espagne et en Italie, que des expériences intéressantes sont menées par des collectivités locales et qu'une volonté globale commence à se faire jour. Vous le savez tous, il est capital de mettre en place des compteurs communicants, tant pour les producteurs et les fournisseurs que pour les consommateurs, et vous affirmez qu'il serait bon qu'un échange d'expériences soit organisé à l'échelle européenne, pour tenter d'harmoniser les actions, ou, à tout le moins, pour que des fonctions communes puissent être définies pour l'un ou l'autre des fournisseurs. Voilà ce que je conclus de ce tour de table sur cette question.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Luc Poyer.
M. Luc Poyer. - Permettez-moi de citer le cas des voitures électriques, cristallisant un débat sans fin entre Européens sur la norme des prises à installer. Ce débat concerne les acteurs publics, les constructeurs automobiles et les opérateurs électriques, dont nous faisons partie : c'est peut-être par là qu'il faut commencer !
M. Ladislas Poniatowski, président. - Si j'ai bien compris, monsieur Poyer, vous souhaitiez profiter de cette audition pour nous transmettre un message complémentaire, qui n'est pas directement lié aux travaux de notre commission d'enquête... Si vos trois collègues voulaient transmettre le même message, vous vous êtes donc accordés pour que celui-ci soit délivré par un seul d'entre vous...
Cela étant dit, messieurs, vos diverses interventions nous ont permis d'entendre plusieurs messages forts. Peut-être voulez-vous nous apporter encore quelques précisions ? Comme vous, j'attends la prise de fonctions du nouveau ministre chargé de l'énergie, pour lui adresser un certain nombre de questions.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Il n'est pas encore nommé ! (Sourires.)
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Luc Poyer.
M. Luc Poyer. - Monsieur le président, je vous précise que nous ne nous sommes nullement rendus à cette audition en tant que collectif : il s'agit d'un ensemble de démarches individuelles, menées par chacun des groupes que nous représentons. (M. le président acquiesce.)
M. Jean Desessard, rapporteur. - Messieurs, vous souhaitez sans doute dire quelques mots en guise de conclusion.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Michel Crémieux.
M. Michel Crémieux. - Premièrement, j'insisterai sur le hiatus existant entre les coûts et les tarifs, à l'aide d'un petit exemple tiré du cas espagnol : à partir de 2000, les coûts de production de l'électricité ont commencé à croître fortement en Espagne, du fait non seulement de la nécessaire modernisation du parc électrique espagnol, mais surtout du poids très lourd des investissements dans le domaine des énergies renouvelables.
Le gouvernement espagnol a choisi d'imposer aux opérateurs des tarifs qui, rapidement, sont devenus inférieurs aux coûts, en affirmant : « Pour l'heure, vous ne pouvez pas augmenter vos prix de vente, mais vous bénéficierez d'un à-valoir sur l'augmentation future des tarifs que nous ne manquerons pas d'opérer. » Le problème, c'est que, l'année suivante, les tarifs n'ont pas augmenté, d'où un effet boule de neige, représentant aujourd'hui un montant de 23 milliards d'euros.
M. Jean Desessard, rapporteur. - Une somme qui vous est due ?
M. Michel Crémieux. - Elle est due aux opérateurs : de fait, ce montant est inscrit aux comptes de ces derniers, puisqu'il s'agit d'une créance.
M. Ronan Dantec. - Cette somme concourt donc à la dette de l'État ?
M. Michel Crémieux. - Pas précisément, monsieur le sénateur : elle pèse sur les tarifs à venir, donc sur les consommateurs futurs. C'est très intelligent ! Une part de ces sommes a été titrisée, pour soulager des entreprises qui n'en pouvaient plus : cela signifie que l'on a remboursé les opérateurs en confiant cet espoir de remboursement à des investisseurs privés. Aujourd'hui, cette solution explose : l'une des premières décisions de M. Rajoy, sitôt arrivé au pouvoir, a été d'augmenter les tarifs de 7 %, mais cette hausse devrait être suivie d'autres augmentations pour couvrir les coûts et annuler l'ensemble de ce passif. Compte tenu de la situation actuelle de l'Espagne,...
M. Jean Desessard, rapporteur. - C'est compliqué...
M. Michel Crémieux. - ... ce n'est pas le meilleur moment pour le faire.
Pourquoi vous donner ces précisions ? Parce que, en France, la loi NOME impose de passer d'un système de tarifs fixés par l'État, lesquels sont aujourd'hui inférieurs aux coûts, à un système de tarifs calculés par additionnalité des coûts. Comme vous l'a indiqué le président de la CRE, cette mesure devrait se traduire mécaniquement, en 2016, par une augmentation de 30 % des tarifs de l'électricité.
Nous sommes très inquiets de savoir ce qui va réellement avoir lieu. De fait, nous comprenons bien qu'il s'agit d'un enjeu politique : une telle augmentation des tarifs résoudrait certes bien des problèmes. Elle permettrait de payer la CSPE, dont les charges ne sont pas acquittées actuellement. Elle permettrait de payer l'énergie, dont le tarif est actuellement inférieur à 42 euros - il varie plutôt entre 37 euros et 39 euros, alors que les prix, eux, vont croître. Du reste, pour l'heure, nous, opérateurs indépendants, n'avons aucun accès au marché réglementé : les tarifs sont trop bas, et il n'y a pas de place pour nos productions : voilà pourquoi l'ouverture du marché est aussi faible.
Je tiens à vous alerter sur ce problème, que vous connaissez bien, j'en suis conscient : pour nous, il s'agit d'une question vitale. Allons-nous pouvoir prendre position sur le marché français et y investir pour servir les consommateurs ?
Deuxièmement, - je serai très bref sur ce point - on constate aujourd'hui que le prix auquel nous vendons l'énergie sur le marché est inférieur au prix de l'ARENH qui nous est alloué pour les clients, prix de marché compris. Cela signifie que, sur le marché français, les marges sont négatives : seuls des opérateurs jouissant de rentes historiques peuvent continuer à supporter cette charge.
Certes, on peut dire : « C'est une très bonne affaire pour les consommateurs français ». Peut-être est-ce le cas à court terme, mais, à long terme, je ne suis pas certain que la constitution d'un duopole conduise à une situation souhaitable pour la France.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Frédéric de Maneville.
M. Frédéric de Maneville. - En guise de conclusion, je tiens à souligner que l'exemple scandinave nous livre quelques enseignements.
Premièrement, lorsque le système est bien régulé par un régulateur fort, on peut faire confiance à la loi de l'offre et de la demande pour fixer correctement le prix de l'électricité, et cela demi-heure par demi-heure. Il n'y a pas de raison que cette méthode ne soit pas applicable dans notre pays : en France, l'État ne fixe pas le prix de la baguette de pain ou du litre d'essence, pourquoi devrait-il absolument fixer celui de l'électricité ? À mon sens, il n'y a pas de raison à cela, sinon des motifs culturels. L'exemple de pays ne cultivant pas un capitalisme sauvage, comme les États scandinaves, prouve qu'il est tout à fait possible de faire confiance à des mécanismes de marché sains pour fixer les prix de l'électricité, y compris les tarifs de détail et non seulement les prix de gros.
Deuxièmement, à mes yeux, nous sommes tous les quatre prêts à contribuer au dynamisme de la production, de l'innovation et de l'effacement en France : mais encore faut-il nous accorder une place ! Force est de reconnaître que l'ouverture du marché français est marquée par un péché originel : on a ouvert la fourniture d'électricité sans ouvrir la production. Mais qui peut vendre un bien sans avoir la possibilité de le produire ? Cette situation n'est tout simplement pas tenable.
C'est ce péché originel qui explique que, depuis douze ans, nous luttons tant bien que mal pour survivre sur ce marché, mais à l'aide de solutions qui ne sont pas pérennes. C'est donc réellement là qu'est la clef du problème : il faut que nous puissions produire sur place.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Avec un peu de copropriété peut-être ?
M. Frédéric de Maneville. - Pourquoi pas ?
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Luc Poyer.
M. Luc Poyer. - Nous arrivons au terme d'un cycle d'investissements et, à mon sens, les coûts réels de l'électricité doivent être analysés avec ce recul historique. La question de la concurrence - fait-elle croître ou baisser les prix ? - doit toujours être posée à travers ce prisme.
Comment limiter la hausse des coûts réels de l'électricité - c'est tout de même la perspective qui nous attend -, que cette augmentation soit provoquée par les enjeux relatifs au nucléaire, à l'intermittence et donc aux nouveaux moyens, aux investissements dans le renouvelable ou à la modernisation du mix thermique ? L'ensemble de ces facteurs va conduire à une hausse des coûts.
En outre, il est indispensable de partager les investissements entre acteurs. C'est également une raison pour laquelle il faut plusieurs opérateurs par pays, de même que les opérateurs pétroliers n'investissent pas seuls dans de grandes plates-formes offshore : du reste, on le constate, lorsque survient un incident sur une plate-forme, on est content de partager la responsabilité. On partage les risques ! Voilà pourquoi les mécanismes d'assurance que nous avons évoqués et d'investissements communs de copropriété sont absolument indispensables.
Un autre aspect de la concurrence, distinct des prix et qui est indispensable, c'est l'innovation, l'émulation : je le mentionne, aucun acteur historique français n'avait songé à convertir une tranche thermique en tranche « biomasse ». Il a fallu qu'un acteur européen arrive et s'interroge : « Pourquoi ne le ferait-on pas ? » Pourquoi pas, étant donné que l'on dispose d'un lit fluidisé en Suède de 100 mégawatts ? On sait donc que c'est possible ! Ce faisant, on rapproche des idées. Cela ne signifie pas qu'un opérateur est nécessairement meilleur qu'un autre, mais que nous avons des expériences différentes.
Selon nous, cette question est également vitale : pour ce qui me concerne, je vais devoir prendre des décisions majeures sur les plans social et industriel au cours des mois et des années à venir. Mes arbitrages dépendront largement des positions adoptées par les pouvoirs publics, de cette fameuse politique énergétique française qui, jusqu'à présent, est restée assez cohérente dans la durée. Pourvu que cette constance perdure !
À mon sens, trois mesures importantes doivent être adoptées au cours des mois à venir.
Premièrement, il faut assurer la mise en oeuvre de la loi NOME, avec, ce qui a été souligné, un dispositif conduisant vers davantage de concurrence. Cela signifie la fin des tarifs jaune et vert et l'additionnalité des coûts permettant d'aboutir à la vérité des prix et des tarifs. Cela signifie la mise en oeuvre du marché de capacité, avec un bon market design, critère indispensable pour que soient réalisés les investissements à l'hiver 2015-2016.
Deuxièmement, au fil des années, les acteurs publics devront tenir leurs engagements quant à l'ouverture du marché en matière d'hydroélectricité. Ils devront encourager les énergies renouvelables créatrices d'emplois, comme la biomasse.
Troisièmement, et enfin, dans un cadre européen, il faut tout faire pour que le marché du CO2 « reprenne du poil de la bête », en envoyant de nouveau les bons signaux de prix : à ce jour, ce marché s'est effondré, il n'a plus la moindre visibilité. Or, ce critère est fondamental pour prendre les décisions d'investissement.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Olivier Puit.
M. Olivier Puit. - Je partage un grand nombre des opinions qui viennent d'être énoncées, je ne vais donc pas les répéter.
Premièrement, je souligne que cette cohérence entre le mécanisme de l'ARENH et la construction tarifaire, donc la construction des tarifs à partir des coûts et pas simplement à partir d'une décision politique - selon un système hérité d'une longue histoire de fixation des tarifs de l'électricité - doit voir le jour assez rapidement, afin que nous disposions d'une certaine visibilité quant à nos possibilités d'évolution en France, en tant que fournisseur, producteur et opérateur intégré d'électricité. À l'heure actuelle, cela n'est pas aisé, compte tenu de l'incertitude quasi complète dans laquelle nous sommes plongés quant aux prochaines années.
Deuxièmement, je suis heureux de pouvoir intervenir sur un sujet qui me tient à coeur, et qui relevait d'ailleurs de la première question du premier questionnaire que nous avions reçu et sur lequel j'étais resté, à savoir le développement de la concurrence en France. Aujourd'hui, le mécanisme est réglementé en amont, la source d'approvisionnement est devenue obligatoire, via l'ARENH. On ne peut pas exister en tant que fournisseur d'électricité en France sans acheter d'ARENH. Or ne pas acheter d'ARENH c'est mourir tout de suite, et acheter de l'ARENH c'est mourir demain...
M. Jean Desessard, rapporteur. - Nous sommes tous condamnés ! (Sourires.)
M. Olivier Puit. - La question est donc la suivante : comment améliorer ce processus, sachant que demain peut arriver plus ou moins rapidement, monsieur le rapporteur ! (Nouveaux sourires.) Il convient d'accorder plus d'espace aux fournisseurs d'électricité qui, aujourd'hui, ne souhaitent pas rester cantonnés dans le rôle de revendeurs d'un produit fini livré par EDF.
Comment laisser de la place à l'innovation, en matière de services ou en matière tarifaire ? Un fournisseur d'électricité fait de l'ingénierie commerciale, il transforme un produit que je qualifierais d'insubstantiel en une offre destinée à satisfaire un client. Comment nous donner de nouveau les moyens de satisfaire les besoins de notre clientèle et pas simplement de revendre un produit fini ?
Pour ce qui nous concerne, nous développons un certain nombre d'idées quant à l'évolution du mécanisme de l'ARENH. À mon sens, il est indispensable de mettre en oeuvre ces recommandations dès les mois à venir. Alpiq ainsi que, je suppose, l'AFIEG seront heureux de pouvoir participer à l'ensemble des concertations possibles, sur ce sujet tout particulièrement.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Messieurs, je vous remercie de l'intérêt de vos interventions qui, j'en suis certain, contribueront à enrichir notre rapport.