Mercredi 11 avril 2012
- Présidence commune de M. Daniel Raoul, président, et de M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable -Constitution d'un groupe de travail sur la politique commune de la pêche
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Pour être efficace, il faudrait que le Sénat prenne position sur la politique commune de la pêche (PCP) avant la fin juin. J'ai proposé au président Raymond Vall de constituer un groupe de travail commun sur les projets de texte européens qui comprendrait, pour la commission des Affaires économiques, Bruno Retailleau et Gérard Le Cam, pour la commission du Développement durable, Odette Herviaux et Charles Revet. A ce groupe participerait également Joël Guerriau, au nom de la commission des Affaires européennes qui prépare une proposition de résolution qui serait déposée fin mai. Bruno Retailleau pourrait être rapporteur de cette proposition de résolution devant la commission des affaires économiques. La délégation à l'Outre-mer se penche également sur la réforme de la PCP, sur son volet ultra-marin ; elle compte elle aussi élaborer une proposition de résolution. Nous aurions intérêt à examiner ces deux propositions de résolution ensemble et Serge Larcher serait rapporteur de la seconde. Nous pourrions ainsi réunir les trois commissions et la délégation dans la semaine du 11 juin pour examiner en commun la proposition de résolution et préparer un débat en séance publique sur la réforme de la PCP durant la dernière semaine de juin. Avec le président Raymond Vall, nous avons écrit en ce sens au président Jean-Pierre Bel.
Conférence internationale « Rio+20 » sur les liens entre commerce et environnement - Audition de M. Pascal Lamy, directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC)
Nous avons l'honneur d'accueillir Pascal Lamy, directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 2005, que nous souhaitons interroger sur la préparation de la Conférence Rio + 20. Pourrait-il y avoir une Organisation mondiale de l'environnement (OME) à côté de l'OMC ? Plusieurs chantiers sont actuellement ouverts en matière de commerce international : pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Les élections américaines de novembre ne vont guère faciliter les choses.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Je vous confirme le plaisir que nous avons à vous recevoir. Avant même la création de notre nouvelle commission du développement durable, un groupe de travail sur le climat, présidé par Laurence Rossignol, a entamé une réflexion approfondie. Comment en effet ne pas être attentif à ces enjeux et préoccupé des liens entre commerce et climat ! Vous ne semblez pas défavorable à la création d'une OME, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
M. Pascal Lamy, directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) - Merci de m'avoir convié à vos réflexions.
Nous espérons que Rio + 20 aura un écho digne de celui du Rio d'il y a vingt ans : ce fut à l'époque un grand moment de coopération internationale. Hélas, il n'y a pas eu de réplique ensuite. Depuis la fin des années 90, après le sommet de Rio, la fin du cycle de négociations de l'OMC d'Uruguay et la création de la Cour pénale internationale, nous n'avons pas assisté à de vraies nouvelles avancées du multilatéralisme. Vingt ans après, notre planète est dans un état environnemental plus préoccupant. Or, on a besoin pour le XXIème siècle d'une plateforme à la mesure des enjeux de la planète d'aujourd'hui.
Le concept d'« économie verte » qui est le nom marketing de ce que l'on appelait « croissance durable » à l'époque est au coeur de la préparation de Rio + 20. Des décisions de nature économique vont devoir être prises pour inverser la courbe environnementale qui n'est pas bonne.
L'OMC considère que l'ouverture des échanges, socle idéologique qui réunit les 153 - bientôt 157 - membres de l'OMC, est au service de certains buts, dont la durabilité environnementale, laquelle est inscrite au fronton de ses objectifs. Il n'y a pas antagonisme entre préservation de l'environnement et ouverture des échanges, celle-ci permettant une meilleure utilisation des facteurs de production. Les ressources doivent donc être mieux utilisées, en dépit de l'empreinte écologique qu'implique l'accroissement des échanges. Si l'Arabie Saoudite n'a pas poursuivi son projet de produire des céréales - décision rationnelle d'un point de vue environnemental - c'est qu'elle savait pouvoir en acquérir sur le marché international.
Cette notion de « croissance verte » ne fait pas l'unanimité. Les pays en voie de développement y voient du protectionnisme vert et un nouveau modèle de domination occidentale. Dès samedi prochain, aux Nations unies, nous allons tenter de réduire cette fracture. Nous devons démontrer qu'il ne s'agit pas d'une idée perverse au bénéfice des pays privés de croissance.
En quoi peut consister la « croissance verte » ? C'est d'abord recourir à une boîte à outils d'internalisation de la contrainte environnementale dans le jeu de l'économie globale. C'est d'autre part développer la recherche de solutions alternatives. Les outils sont bien identifiés : la fiscalité, les quotas et la réglementation. Il ne s'agit pas de choisir entre eux mais d'en trouver la meilleure combinaison. La question ne doit pas être « faut-il verdir la croissance ? » mais « comment le faire ? ». Notre modèle de référence est le protocole de Montréal pour protéger la couche d'ozone, grâce auquel on a rapidement trouvé des produits de substitution aux chlorofluorocarbures (CFC).
Quel est le rôle de l'OMC ? Il s'agit d'un rôle d'appui, offrant aux pays en développement une assurance antiprotectionniste. La jurisprudence de l'OMC établit un équilibre précis entre les contraintes de la préservation de l'environnement et les contraintes de l'ouverture des échanges. Les mesures de restriction doivent être légitimes et non pas de nature protectionniste déguisée. Les conditions de cet équilibre ont été précisées ces dernières années, par exemple pour l'amiante.
L'OMC, de par ses textes et son expérience, peut contribuer à définir une croissance verte qui ne conduirait pas au protectionnisme. Dans l'ordre du jour des négociations de Doha, plusieurs sujets devront être pris en compte à Rio, dont l'ouverture des échanges de services et biens environnementaux, énorme marché qui fait encore l'objet d'obstacles à l'échange. Autre exemple, la pêche. L'OMC essaie d'établir une discipline pour les subventions à la pêche. A l'heure actuelle, il y a surpêche, en partie due à des subventions qui contreviennent à la préservation des ressources halieutiques.
La gouvernance internationale en matière d'environnement ? Les positions divergent sur la question de savoir s'il faut vraiment une architecture internationale. Après tout, il y a déjà deux cents accords multilatéraux, certes dans un désordre préoccupant. Pourquoi ne pas instaurer une hiérarchie entre ces accords et fusionner les diverses institutions ? La question ne devrait pas relever de l'esthétique mais de l'efficacité. Avant de créer une organisation internationale, il faudrait se demander si l'on y gagnera en efficacité. En France, on veut mettre de l'ordre partout et l'on aimerait bien créer une OME... Du point de vue de l'OMC, tout ce qui renforce la gouvernance multilatérale de l'environnement est une bonne chose. Nous avons déjà un système international très spécialisé, avec des organisations comme l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou l'Organisation internationale du travail (OIT). Parce que le commerce relie de nombreux domaines sectoriels, il se trouve au centre des négociations ; ce n'est pas pour autant que l'OMC a vocation à être le régulateur de tous les secteurs de la vie internationale. Pour l'environnement, l'essentiel est d'avancer dans la création de règles internationales. A ce jour, l'absence d'une discipline internationale pour la réduction des émissions de carbone fait peser un risque de mesures unilatérales. Plus il y a de normes internationales et mieux c'est pour l'OMC. Quand il n'y a pas de standards internationaux, fussent-ils privés, le commerce en pâtit.
Quelle que soit la réponse donnée à la bonne architecture en matière environnementale, l'OMC appelle de ses voeux l'instauration de normes internationales.
Mme Odette Herviaux. - Vous incluez la durabilité environnementale dans les buts de l'OMC, dont l'ouverture des échanges est le socle idéologique. Par rapport à l'ONU, l'Unesco, l'OMS, les objectifs de l'OMC sont-ils supérieurs ? Ou bien celle-ci doit-elle prendre en compte d'autres règles ?
Vous appelez de vos voeux de nouvelles normes multilatérales applicables par tous. Si elles sont intégrées à l'OMC, pourquoi pas ? Mais s'il s'agit d'une autre structure, devra-t-elle suivre les principes de l'OMC ?
Mme Laurence Rossignol. - A quelques semaines de Rio + 20, nous sommes inquiets. Allons-nous parvenir à de véritables engagements internationaux ? Le thème de la croissance verte ne fait pas l'unanimité, avez-vous dit. En outre, les aspects sociaux du développement durable semblent avoir disparu de Rio + 20. Quid de l'éco-conditionnalité des aides ? Du dumping social et environnemental ? Comment passer d'une économie carbonée productiviste à un nouveau modèle de développement ? Que peut apporter l'OMC à Rio + 20 ?
M. Jean Bizet. - Le principe de réciprocité n'a pas été abordé. L'OME existera peut-être demain mais des règles sont déjà en place. Ne suffit-il pas de les normaliser ?
L'évolution de l'OMC va-t-elle se faire à la mode anglo-saxonne par l'empilement de jurisprudences ou bien va-t-on établir de nouvelles normes pour instaurer le principe de réciprocité ? Il faut exiger des PVD le respect de certaines règles pour que le jeu ne devienne pas inéquitable. Allez-vous édicter vous-même de nouvelles règles ?
M. Ronan Dantec. - Vous avez parlé des CFC mais ce problème était simple à traiter : un problème, un produit, une causalité linéaire. Les problèmes d'environnement qui se posent aujourd'hui sont bien plus complexes. Il nous faut essayer de resimplifier les choses. La création d'une OME ne vous simplifierait-elle pas la tâche ?
Sur les questions climatiques, la machine internationale est grippée ; elle n'est pas encore cassée mais on est au bord de la rupture. Demain, que se passera-t-il ? Les grands émergents sont-ils conscients qu'ils seraient les perdants en cas de rupture ? Sont-ils prêts à bouger ? L'Europe a-t-elle la capacité d'aller au-delà de ses déclarations de matamore ? Ne va-t-elle pas devoir changer de logiciel, pour aller vers une garantie planifiée de rattrapage des pays émergents ?
Mme Évelyne Didier. - Vous dites qu'il n'y a pas antagonisme entre ouverture des échanges et développement durable. Je fais une découverte ! Est-ce de votre part autre chose qu'un a priori ?
Nous peinons à régler la question des eaux internationales. Cela pourrait concerner l'OMC puisque cela conditionne les échanges. Auquel cas on chercherait peut-être moins à créer une OME. Il faudra bien qu'un organisme se préoccupe prioritairement de l'environnement. Internaliser les coûts, dites-vous. Qui en prendrait l'initiative ? Si l'on va trop loin sans se poser ces questions, cela risque de nous revenir en boomerang.
Quand vous dites que, par construction, une meilleure fluidité des échanges améliore l'utilisation du capital, des hommes et de la nature, j'entends plutôt « exploitation » qu'« utilisation ».
M. Alain Fouché. - Vous avez évoqué le besoin de remise en ordre internationale. Quel pourrait être le rôle de la France ?
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Vous avez dit que les statuts de l'OMC prévoient la durabilité environnementale. Avez-vous fait une analyse des répercussions du commerce international sur le changement climatique et le développement durable ?
Que pensez-vous d'un sujet qui nous est cher, celui du désenclavement numérique d'un pays, de ses territoires ? Ce n'est en effet pas seulement en taxant les opérateurs que l'on peut y parvenir car il y a aussi ceux qui mettent des contenus dans les tuyaux. L'OMC peut-elle intervenir sur une question telle que celle-ci ?
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Je ne suis pas sûr que l'OMC aurait intérêt à laisser de côté l'environnement pour avancer plus vite dans le cycle de Doha. On avait mis l'agriculture sous le tapis et l'on n'a pas pour autant avancé plus vite.
M. Pascal Lamy. - Quelle hiérarchie des priorités dans le système international ? Il n'y en a pas. Tous les accords internationaux, quels qu'ils soient, engagent autant les uns que les autres les États souverains qui les ont signés ; ils sont du même niveau juridique. Les États sont juges de la cohérence des engagements qu'ils prennent. C'est la théorie westphalienne des relations internationales : il revient aux États-nations de décider ou non de contracter des obligations internationales. Il en va ainsi pour les normes sociales fondamentales comme pour les règles du commerce international. Les États sont tenus par ces normes. Par toutes ces normes en même temps. En tant que membres de l'OMC, ils ont pris des engagements en matière de commerce extérieur.
Une partie de cette équivalence est certes virtuelle car l'un des privilèges de la souveraineté est l'incohérence. Le système international a cependant jeté des ponts de cohérence, comme l'accord sur les experts commerciaux de la propriété intellectuelle ou en matière de normes phytosanitaires ou environnementales.
L'OMC peut donner l'impression d'être en surplomb en raison de la spécificité de son mécanisme de règlement des différends. Le mécanisme de Kyoto, par contraste, n'a jamais été réellement mis en place, en dépit des règles nombreuses qui avaient été instaurées. Ce mécanisme est le seul obligatoire en droit international. A l'OMC, quand on perd, on peut être soumis à des sanctions commerciales. Un État qui a perdu à la cour de La Haye peut entériner cet échec et ajouter qu'il n'obéira pas. L'OMC a un mécanisme de sanctions. Il faut des normes en dur, interprétables précisément. Quand on préfère des normes en mou, c'est pour éviter le mécanisme de règlement des différends. Il ne s'agit pas de savoir si l'environnement est intégré à l'OMC. Il l'est. Ce n'est pas le commerce contre l'environnement !
L'inquiétude globale sur la santé du multilatéralisme, je la partage. La gouvernance internationale piétine. Les problèmes sont de plus en plus globaux et la gouvernance internationale de plus en plus incapable de les maîtriser correctement, et le hiatus va encore s'aggraver. Dans un livre récent, Jean-Michel Severino a nommé le « grand basculement » qui fait de 2012 une année charnière : auparavant, le poids économique des pays développés était supérieur à celui des pays en développement ; c'est désormais l'inverse. Il en résulte de profondes modifications, notamment géopolitiques. Or, le temps qu'il faut à ces nouveaux équilibres pour trouver leur place dans les organisations internationales est beaucoup plus long que le temps de ces transformations. Des pays pauvres deviennent puissants. C'est ce qui bloque le cycle de Doha : comment déterminer si ce sont désormais des pays riches avec beaucoup de pauvres ou des pays encore pauvres avec désormais un grand nombre de riches ? Les conséquences, du point de vue des droits et obligations internationaux, sont très différentes. C'est le désaccord sino-américain.
Les principes qui ont gouverné ces soixante dernières années étaient fondés sur la réciprocité entre les riches et la flexibilité avec les pauvres, ce qui, dans notre jargon, s'appelle « traitement spécial et différencié ». Entre riches et pauvres, il y a désormais les émergents. Sont-ils l'un ou l'autre ? La question n'est pas réglée ; elle est identique dans les négociations commerciales et climatiques.
Depuis 2008, les gouvernements ont d'autres priorités que le multilatéralisme, liées à la crise et aux problèmes intérieurs. Mais s'ils coopéraient davantage, ils sortiraient plus vite de la crise ; pourtant, c'est le local qui prime ! Il n'y avait pas eu de crise aussi globale et profonde dans notre histoire. Dans ces circonstances, le peu d'énergie politique qui reste est consacré à régler les problèmes internes. A preuve les G 20 successifs, où le repli sur soi est visible, au simple comportement de chacun. C'est une réalité qui durera aussi longtemps que la crise.
La recomposition géopolitique et les effets de la crise sont liés. Avant la crise, le différentiel de croissance entre pays développés et émergents était de 1 à 2. Il est passé de 1 à 4. D'où cette croyance que le chômage des pays développés serait dû à la croissance des pays émergents. Hélas, nous allons vivre avec cela aussi longtemps que la coopération internationale n'aura pas pris le pas sur les préoccupations locales. La gouvernance globale, ce n'est pas globaliser les problèmes locaux, c'est localiser les problèmes globaux.
Comme je l'ai écrit au secrétaire général des Nations unies, je vois un certain rétrécissement de la notion de développement durable. Rio prônait la durabilité environnementale, sociale, économique. Pour Rio + 20, la dimension sociale et économique parait se rétrécir ; c'est préoccupant car ces trois éléments sont indissociables.
Dumping social et/ou environnemental, qu'est-ce au juste ? Il faudrait une définition précise.
Sur l'apport de l'OMC à Rio, je vois progresser la négociation dans le cadre du cycle de Doha sur la réduction des obstacles aux échanges ; certes, il n'y a d'accord sur rien tant qu'il n'y a pas d'accord sur tout. Mais pourquoi ne pas faire avancer la négociation sur les aspects liés aux biens et services environnementaux ou à la pêche de manière prioritaire ?
Gardons le principe, sauf preuve du contraire, selon lequel chacun a sa spécialité. Les accords multilatéraux sur l'environnement ont leur spécificité. Beaucoup d'entre eux comportent une dimension commerciale. L'OMC ne peut pas se transformer en instance de régulation sectorielle. Il y a des pôles de régulation différents : l'office international des épizooties est responsable de la régulation du commerce international de la viande ; il y a maintenant à Bâle une organisation mondiale de la finance, qui porte le nom de « Forum pour la stabilité financière » et qui est compétente pour déterminer les règles dans ce domaine. L'OMC n'a pas vocation à se substituer à ces organisations spécialisées.
Ce système de régulation internationale restera spécialisé. Nous avons bien sûr, depuis 1995 à l'OMC, des comités spécialisés, comme le comité commerce et environnement. Quand l'Union européenne légifère sur la traçabilité des produits finis, un de nos comités spécialisés s'en saisit.
Où sont les règles ? Dans les accords spécialisés. L'OMC ne doit pas se substituer à ces régulations en vigueur. Ce n'est pas notre rôle. Nous n'avons pas à définir le bon niveau d'émissions de carbone pour tel ou tel pays. S'il y a un jour contentieux, en l'absence d'un système de régulation internationale, alors le tribunal de l'OMC examinera au cas par cas le test de nécessité entre les uns et les autres. Ce fut le cas il y a quelques années entre l'Union européenne et le Brésil, lequel avait interdit l'importation de pneus rechapés. L'Union européenne a intenté un procès au Brésil qui a gagné sur le fond - la prise en compte d'une nocivité environnementale -, mais l'Union européenne sur les faits, puisque le Brésil acceptait l'importation de ces pneus s'ils venaient d'un pays du Mercosur, preuve que l'argument de la nocivité pour l'environnement n'était, dans le cas précis, pas le vrai.
Sur les grands émergents, je vous renvoie à un article que je viens d'écrire à paraître dans Esprit. C'est le problème fondamental. Sont-ils prêts à prendre des responsabilités dans le système issu de la Seconde Guerre mondiale, sans influencer sur les règles de ce système ? Je résume : non ! Ils veulent que les règles soient rééquilibrées. Ils ne se contenteront pas de participer à un système tel que celui-ci sans en fixer les règles. Ils sont marqués par la préservation de leur souveraineté. L'émergence de ces pays marque aussi un retour du souverainisme. Votre intuition est juste : c'est une question de temps, nous faisons tous l'hypothèse que les pays en développement seront développés un jour. Comment l'internaliser dans nos accords ? Cette question nous amène à sortir de la logique à deux vitesses, ce qui n'est pas évident dans la logique mise en place aux Nations unies.
Vous ai-je surpris en disant que l'ouverture des échanges servait le développement durable ? Je pourrais le démontrer longuement ; je vous renvoie à Ricardo et aux avantages comparatifs. Si l'on dit qu'un pays produit mieux telle marchandise qu'un autre pays, il y a dans ce « mieux » l'utilisation des ressources mises en oeuvre.
L'essentiel du commerce aujourd'hui, ce sont des composants, au sein de chaînes de productions globales : 70 % des importations de la France sont des matières premières ou des composants. Le contenu en importations de nos exportations est passé en quelques années de 20 à 40 %, et l'on va vers 60 % et ce, à cause de la réduction du coût de la distance.
Le commerce international est devenu un commerce de tâches et non plus de produits. L'Asie fait 60 % de son commerce international avec elle-même, l'Europe aussi ; l'Afrique seulement 10 %. Ceci est une bonne nouvelle pour l'environnement car cela implique une économie de ressources, d'eau, d'énergie. Le transport s'est néanmoins beaucoup développé. Cela étant, 90 % du commerce mondial est transporté par mer, moyen le moins polluant pour l'environnement. En termes de croissance verte, il faut vraiment faire un calcul précis des coûts de transport, et donc des externalisations environnementales. Parfois, il vaut mieux faire venir des haricots du Kenya que de les produire sous serre à Amsterdam.
Nous n'avons pas d'OME. Nous avons seulement un système mondial de gouvernance de l'environnement autour d'une multitude de conventions et d'accords. Doit-on passer d'un système à une organisation ? J'ai dit ma préférence personnelle : mieux cela sera organisé, moins nous aurons de difficultés. Gare au raccourci : pas d'organisation ne signifie pas qu'il n'y ait pas de gouvernance.
Pour moi, le rôle de la France passe par l'Europe. L'environnement demeure le drapeau européen au plan international, avec le développement. Le drapeau européen est fortement teinté de vert. C'est pourquoi je regrette que l'Europe ne soit pas allée plus loin en matière de majorité qualifiée sur les questions d'environnement.
Ne nous trompons pas sur les chiffres du commerce international ! Le compteur augmente à chaque franchissement de frontière. Plus de commerce international ne signifie pas nécessairement plus de valeur ajoutée. Quand une voiture est produite dans cinq pays différents, la valeur ajoutée n'est pas accrue à proportion. Mesurons le commerce international non plus en volume mais en valeur ajoutée, comme je l'ai demandé lors d'un colloque organisé il y a deux ans au Sénat.
Sur le numérique, je reconnais mon incompétence.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Pourquoi l'OMC ne se saisit-elle pas de ce problème ?
M. Pascal Lamy. - Personne ne le lui a demandé. Si vous le souhaitez, il faut d'abord passer par Bruxelles. Si c'est une affaire de taxation interne, nous n'intervenons pas.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Google ne saisirait pas l'OMC ?
M. Pascal Lamy. - Vous voulez le taxer sur quoi et comment ? Pour la fiscalité française, vous gardez votre souveraineté fiscale, dès lors que votre système de taxation ne discrimine pas entre des fournisseurs français et étrangers.
L'accord agricole est en bonne voie. Doha bloque sur les tarifs industriels mais pas sur les questions agricoles. Le monde a changé. Les obstacles à l'échange déprimaient les prix agricoles. Nous sommes passés à une période de hausse tendancielle des prix. Dans ces conditions, la question des subventions est devenue moins urgente.
Mme Laurence Rossignol. - Je reviens à la question du « dumping social et environnemental » parce que je redoute ce « on ne peut pas » qui est l'alibi des impuissances du politique.
Sur l'éventuelle contradiction entre commerce international et environnemental, Evelyne Didier a bien posé la question : qu'est-ce qu'optimiser les ressources naturelles et la main-d'oeuvre : les utiliser au moindre coût ou tâcher de mieux les préserver ?
Quid des panneaux photovoltaïques chinois ? Est-il possible d'introduire un critère environnemental tenant compte du mode de production des panneaux, utilisant le charbon comme source principale d'énergie ? C'est à quoi je pensais en parlant de « dumping social et environnemental ».
Pour le « grand basculement », les normes internationales ont produit ce qu'on pouvait en attendre de mieux, il y a donc lieu d'être satisfait, mais le développement ne peut pas continuer sur ce même modèle. L'OMC peut-elle amener la planète sur le chemin de la transition économique vers un plus juste partage ?
M. Pascal Lamy. - Je ne connais pas le bilan carbone des importations de panneaux photovoltaïques chinois. A supposer que l'idée soit d'imposer une contribution à ce titre, il faudrait accepter que, dans le cas contraire, on subventionne les importations. Compte tenu de la spécialisation de l'Europe dans l'échange international, elle a multiplié son excédent industriel par trois depuis dix ans, soit 200 milliards de surplus, formé de machines, voitures, chimie, médicaments, toutes exportations à empreinte carbone élevée. Ce que l'Europe exporte est beaucoup plus carboné que ce qu'elle importe. Je vous mets donc en garde sur ce type de raisonnement.
M. Ronan Dantec. - Cette taxation ne peut qu'aller de pair avec une taxation interne ?
M. Pascal Lamy. - Pourquoi taxer ? Pour se procurer de l'argent ou pour modifier les comportements ? La taxation de l'essence ne réduit guère sa consommation. L'OMC ne vous empêchera pas de taxer le carbone en Europe. Mais ne partez pas de l'a priori que nous serions plus verts que les autres.
Il est vrai que beaucoup de pays émergents se sont développés grâce au commerce international, mais cela n'a pas été gratuit. La Chine, pour bénéficier de l'assurance antiprotectionniste de l'OMC, a fait des concessions importantes. Le plafond de ses droits de douane industriels se situe à 9 %, contre près de 30 % auparavant. Elle a ouvert son marché.
L'OMC, en tant que régulateur, peut aller vers « le juste échange » à condition que les partenaires se mettent d'accord sur ce que signifie « juste ». Or c'est précisément l'enjeu des négociations ! Les marchés passeront à un mode de croissance plus durable parce qu'ils opéreront au sein de telles ou telles règles, avec telle fiscalité. Si les prix des externalités n'apparaissent pas, l'économie de marché n'en tiendra pas compte ; si l'on demande aux marchés d'en tenir compte, ils le feront, quoique pas immédiatement. L'économie des échanges internationalisés est réceptrice de standards internationaux. L'OMC ne va pas créer des standards à la place des autres mais nous souhaitons qu'il y en ait. Cela dit, nous mesurons bien la difficulté à y parvenir, d'autant que les membres de l'OMC ne sont pas d'accord entre eux, tout comme ils ne sont pas d'accord dans d'autres enceintes, puisqu'il s'agit des mêmes. Ils ne sont pas incohérents à ce point !