Mardi 27 mars 2012
- Présidence de Mme Sophie Primas -Table ronde d'auteurs de rapports de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST)
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci à vous quatre d'être venus nous faire partager le fruit de votre travail et de vos réflexions.
Cette mission d'information sur la santé et les pesticides est à la fois un sujet vaste et passionnel, où les intérêts sont assez divers, qu'ils soient économiques, environnementaux, agricoles ou qu'ils aient à voir avec la santé publique.
Nous avons, avec Mme le rapporteur, décidé de resserrer cette mission autour de la santé des hommes et des femmes qui sont en contact direct avec les pesticides, en particulier ceux qui les fabriquent et qui les utilisent - industriels, agriculteurs, saisonniers, personnels non agricoles des collectivités territoriales ou autres.
Nous mènerons dans un second temps un travail sur les pesticides et l'environnement concernant leur rémanence dans l'alimentation, le sol, la mer, l'air, etc.
Nous sommes très intéressés par vos expériences. Je demanderai à chacun d'entre vous de nous présenter la manière dont vous avez procédé, de nous présenter vos méthodes et les conditions dans lesquelles vous avez travaillé. Avez-vous ressenti une certaine pression au cours de vos investigations ? Avez-vous été confrontés à des conflits d'intérêts lors de vos auditions ? Il serait peut-être intéressant que vous nous éclairiez sur les précautions à prendre en la matière...
Si c'était à refaire, mèneriez-vous les choses différemment ? Pouvez-vous nous rappeler vos principales recommandations et en retenir une ou deux ? Quelques années ou quelques mois après la parution de vos rapports, que sont devenues vos recommandations ?
M. Gilbert Barbier. - Ce sera rapide !
Mme Sophie Primas, présidente. - Il est vrai que, dans votre cas, cela ne remonte qu'à quelques mois ! Quelles méthodes pouvez-vous nous suggérer et quelles recommandations pourriez-vous nous adresser ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Je voudrais revenir sur la mission qui est la nôtre, dont je suis l'initiatrice et que mon groupe, puis le Sénat, a acceptée. Il ne s'agit pas de faire double emploi avec les rapports dont vous êtes venus parler mais d'être complémentaire. C'est en ce sens que nous avons besoin de vous, afin de préciser des éléments que vous auriez mis en évidence et que nous pourrions enrichir.
Je suis sénateur, élue de Charente, et je me suis mobilisée à partir de l'alerte lancée par l'association Phyto-Victimes, dont le président est M. Paul François, un agriculteur qui demeure à côté de chez moi. Il a été intoxiqué au Lasso et a eu les plus grandes difficultés à faire reconnaître sont état comme maladie professionnelle. Il a fini par obtenir gain de cause et a intenté un procès à Monsanto. Vous connaissez la suite...
Partant de là, j'ai trouvé intéressant que nous puissions travailler sur cette problématique au travers d'une mission. Tel est donc l'objet de celle-ci qui concerne également, comme l'a dit Mme la présidente, l'ensemble de la chaîne, de la fabrication jusqu'aux riverains, particuliers ou jardiniers du dimanche qui utilisent parfois ces produits dans de mauvaises conditions.
Mme Sophie Primas, présidente. - La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, auteur du rapport le plus ancien sur « Les risques chimiques au quotidien ».
Mme Marie-Christine Blandin. - Ce rapport a été réalisé dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Nous avions été saisis, d'une part, par le groupe socialiste du Sénat et, d'autre part, par la commission des affaires économiques. L'une des deux saisines concernait les éthers de glycol et la seconde les polluants domestiques.
Nous avons regroupé les deux sujets afin d'étudier comment les substances présentes dans la vie quotidienne du citoyen peuvent impacter sa santé. N'étant pas spécialistes, nous nous sommes orientés vers la veille, l'expertise et les connaissances professionnelles afin d'étudier comment celles-ci protègent ou non la sécurité du citoyen. C'est la latitude que se donne l'OPECST quand il est l'objet d'une saisine, après avoir fait valider le sujet les membres de l'office.
Quant à la méthode, nous avons respecté celle de l'OPECST : le parlementaire ou les deux parlementaires mandatés - en l'occurrence, j'étais seule, accompagnée d'un administrateur - auditionnent personnellement toutes les personnes qu'ils souhaitent entendre. Ces auditions ont duré deux ans car on touchait à la cosmétique, à la mécanique, à l'agriculture, aux produits ménagers, à la pollution intérieure qui provient de l'extérieur, aux produits de construction, etc.
Ce qui vous intéresse ne concerne qu'une faible partie de ces sujets, sauf en matière de veille, d'analyse et d'expertise, voire de conflits d'intérêts, ainsi que vous l'avez suggéré.
En revanche, ce rapport a une particularité qui n'est pas celle de tous les rapports de l'OPECST : en effet, le second tome contient les auditions, les personnes auditionnées s'étant engagées sur ce qui a été imprimé, tandis que le premier concerne les conclusions que nous en avons tirées, qui engagent l'OPECST mais non les personnes qui ont été entendues.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Peut-on travailler en profondeur sur un sujet aussi vaste ?
Mme Marie-Christine Blandin. - On peut approfondir la veille en matière de santé du citoyen, du travailleur, du professionnel agricole, etc. et se pencher également sur la façon dont la France suit l'évolution de sa population.
Aux États-Unis d'Amérique, à chaque fois qu'on pratique une analyse d'urine ou de sang des citoyens, on en garde un échantillon pour l'Agence de veille qui étudie les substances qu'il comporte ; on a ainsi une photographie permanente de ce que contient le corps de la moyenne des citoyens des Etats-Unis.
Ce n'est pas le cas en France, sauf en matière de produits agricoles, domaine dans lequel une grande étude est en cours. Elle est menée par la Mutuelle de santé agricole (MSA) et s'adressera aux professionnels. On n'étudie donc pas l'état de santé de l'ensemble de la population. Des associations militantes comme Greenpeace ont mené une étude sur le sang du cordon ombilical. Beaucoup de pollueurs affirmaient en effet qu'on ne pouvait savoir ce que les personnes qui prétendent avoir été contaminées dans le cadre de leur activité professionnelle font chez elles. D'autres considéraient que c'est au travail que les gens se contaminent. Les bébés, eux, ne fument pas, ne consomment pas de substances hallucinogènes et ne manipulent pas l'amiante. Pourtant, on trouve dans le sang du cordon ombilical une vingtaine de molécules qui n'ont rien à y faire ! Or, l'étude de l'impact de ces substances dans le monde du travail montre que celles-ci sont cancérogènes ou constituent des perturbateurs endocriniens.
Le groupe de pression le plus violent, voire les plus menaçant, a été celui des cosmétiques internationaux. L'Oréal, qui ne sait pas comment fonctionne le Parlement français, nous a en particulier prévenus, depuis la Suisse, que si nous établissions une valeur-guide pour les éthers de glycol, il casserait nos mandats ! Mais en France, on est encore en République ! On ne casse pas ainsi les mandats des élus ! Les autres groupes de pression agissent différemment...
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Vos préconisations ont-elles été suivies ?
Mme Marie-Christine Blandin. - Nous en avons établi beaucoup mais très peu ont été suivies. Nous avons voulu promouvoir une nouvelle catégorie dans la classification européenne des substances chimiques, celle des perturbateurs endocriniens. C'est un domaine très spécifique. Les travaux progressent mais rien ne figure encore dans les tableaux. Il s'agit d'une décision européenne que la France n'a pas bien portée. Nous voulions un projet de loi sur l'alerte et l'expertise qui institue une haute autorité indépendante. Mes collègues ont préféré une instance spécifique de garantie de l'indépendance de l'expertise. Le Gouvernement devait rendre un rapport dans l'année : cela n'a jamais été fait. Nous avons fait figurer un amendement dans le Grenelle de l'environnement : il n'a jamais été suivi d'effet ! J'ai posé une question d'actualité durant le scandale du Mediator au ministre, M. Xavier Bertrand, qui m'a répondu que le sujet était tellement grave qu'on allait mettre en place quelque chose de bien plus ambitieux qu'une haute autorité. C'est pourtant un point central : il s'agissait d'établir un contrôle extérieur aux agences de santé en matière de liens d'intérêts des chercheurs.
Vous auditionnerez sûrement des personnes qui prétendront que les pesticides sont bons pour la santé et d'autres qui affirmeront qu'ils sont très mauvais : en tant que parlementaire, on est très gêné. Cette haute autorité aurait pu confronter les deux points de vue et demander une recherche complémentaire. Malheureusement, elle n'a pas vu le jour !
Cependant, j'ai réussi à faire passer les notions de valeur-guide et d'émissivité dans le Grenelle de l'environnement. Je n'ai pas réussi à imposer de plan de rattrapage pour les chercheurs en toxicologie et en épidémiologie mais l'ensemble de la recherche a tellement perdu de financements qu'ils ont finalement été moins atteints que les autres ! On a le sentiment de les avoir protégés de la disparition.
Les unités santé-environnement au sein des hôpitaux n'ont pas plus été mises en place, Mme Bachelot ayant estimé que la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) concernait uniquement les hôpitaux et l'organisation du système de soins, la loi de santé publique étant repoussée à plus tard. C'est le discours que tient tout le monde et la santé publique demeure sous-équipée !
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - En quoi notre mission pourrait-elle prolonger votre rapport ?
Mme Marie-Christine Blandin. - Je pense qu'il faut revisiter tout ce qui fonctionne à l'OPECST et tout ce qui ne fonctionne pas.
Théoriquement, l'OPECST était destiné à nourrir l'expertise du Parlement et de la société ; il s'agissait d'une loi du Gouvernement Mauroy au service de la santé du citoyen.
Dans une note récente, le Secrétariat général de la Questure du Sénat nous informe que l'Office va disposer de moyens pour établir un rapport sur les perspectives de l'aviation civile. Ce n'est pas son travail ! On a donc modifié la vocation de l'Office. Ce sont les groupes de pression qui sont derrière tout cela...
Mme Catherine Procaccia. - L'Office a beaucoup évolué ; il traite en particulier des déchets nucléaires et non plus seulement de la santé, pour laquelle il existe un autre organisme spécifique. Les choses ont beaucoup changé depuis sept ans que j'y siège !
Mme Marie-Christine Blandin. - Les statuts sont les statuts ! Les choses ont beaucoup évolué au profit des groupes de pression. Il existe ainsi un rapport de l'OPECST sur les vertus des produits issus de la vigne dans le domaine des cosmétiques. Certains milieux sont très intéressés par le sujet, il faut être honnête ! Nous sommes entre nous : si vous ne voulez pas le faire figurer dans le rapport, libre à vous mais je tiens à vous alerter sur ce sujet. C'est très utile !
Si vous voulez travailler sérieusement sur les pesticides, il vous faut nourrir votre information en toute indépendance et choisir ceux que vous voulez entendre. L'Union des industries de la protection des plantes (UIPP) soutiendra que les produits phytosanitaires sont aujourd'hui de quasi-médicaments pour les plantes et elle sera très prompte à vous proposer des experts qui vous affirmeront que cette industrie prend énormément de précautions. C'est à vous de rechercher les personnes que vous voulez auditionner, qui porteront un autre regard sur le sujet. Il existe à l'Institut national de recherche agronomique (INRA) un certain nombre de laboratoires qui étudient les contaminations et leurs effets. Il faut également vous imprégner de la toxicologie actuelle ; beaucoup de gens vous parleront de seuils en affirmant qu'il n'existe pas de danger en deçà d'un certain niveau. Il faut sortir de ce cadre.
Les toxiques s'accumulent en effet dans les graisses. Il s'opère alors dans le corps un phénomène de relargage qui produit chaque jour des dégâts. D'autre part, les perturbateurs endocriniens sont des substances toxiques au centième de milligramme près si elles agissent vers la septième ou la huitième semaine après la formation de l'embryon.
Selon un praticien du CHR de Lille que nous avons entendu, il se produit des dégâts considérables sur la formation des organes de reproduction et des organes urinaires des bébés, au point d'avoir des enfants sans sexe déterminé. Les études du Pr. Charles Sultan, à Montpellier, ont montré des problèmes de cancer du sein chez la petite fille de douze ans induits par les contaminations de la mère durant sa grossesse. Cela n'a rien à voir avec les seuils : il s'agit en fait de molécules qui envoient un faux message à notre système hormonal. On sait aussi que les problèmes de fertilité masculine sont très liés. Un soupçon pèse également, bien que les études ne soient pas achevées, sur la neurotoxicité - maladie de Parkinson, d'Alzheimer, etc.
On ne peut que plaider en faveur d'une recherche indépendante plus importante sur le sujet. Cela renvoie au principe de précaution : quand le soupçon est fort, il faut se garder d'employer ces substances !
Mme Sophie Primas, présidente. - La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. - Notre sujet était très circonscrit : il s'agissait d'étudier les incidences de l'usage de la chlordécone et autres pesticides aux Antilles. La chlordécone est un polluant organique extrêmement persistant : au cours de nos études, nous nous sommes rendu compte que les sols sont pollués pour 150 à 750 ans en Martinique et en Guadeloupe !
J'ai travaillé avec M. Jean-Yves Le Déaut, député socialiste et chimiste de formation, dont les connaissances m'ont bien aidée à appréhender certaines données. Nous avons auditionné énormément de personnes. Nous sommes allés deux fois aux Antilles. Nous n'avons pas subi de pressions. Il est vrai que certains organismes se sont montrés plus empressés que d'autres à se rapprocher de nous mais c'est plutôt nous qui avons mis la pression, en particulier sur les fabricants de produits phytosanitaires.
Je l'ai déjà dit et je le répète : j'ai eu le sentiment d'être dans un roman d'aventures dans lequel il fallait faire des recherches et où toutes les portes se fermaient lorsque nous cherchions à obtenir des informations.
La chlordécone est un pesticide inventé et fabriqué aux États-Unis d'Amérique qui ont connu un incident de fabrication qui a pollué leurs rivières. Ils ont donc interdit ce produit que l'on voit réapparaître aux Antilles bien après. Nous avons cherché à savoir ce qui s'était passé entre-temps et avons fini par découvrir que les États-Unis ne produisaient plus de chlordécone mais la faisaient fabriquer au Brésil.
Un des grands thèmes de notre rapport parodie un peu une aventure d'Indiana Jones. Un des chapitres du rapport s'intitule : « A la recherche de la chlordécone perdue » ! Nous avons en effet eu beaucoup de mal à progresser et avons fini par obtenir des chiffres. Nous nous sommes rendu compte qu'entre les tonnes de chlordécone produites et celles utilisées aux Antilles existait un énorme écart, seule une part marginale y ayant été utilisée.
Notre quête a fini par nous apprendre que la chlordécone a été énormément employée sous une autre forme dans les pays de l'Est et en Allemagne - on se demande même si elle ne l'a pas été en France métropolitaine - pour lutter contre les doryphores dans les cultures de pommes de terre.
Nous nous sommes réparti les missions et je suis allée en Allemagne où j'ai, entre autres, rencontré les Verts au Parlement pour leur expliquer qu'un laboratoire avait trouvé des traces de chlordécone dans l'eau. Cela n'a jamais débouché sur rien ! Le secret industriel et le secret des Etats a fait que des pays qui sont peut-être plus pollués que les Antilles ne sont pas connus et ne font l'objet d'aucune étude ou enquête !
Pourquoi ? On n'a pas trouvé la façon de se débarrasser de cette molécule : quand elle entre en contact avec le sol, elle n'en sort plus ! Notre ambition était de créer, au moins avec l'Allemagne, des équipes de recherche complémentaires pour étudier la manière de se débarrasser de la pollution du sol par la chlordécone. L'Allemagne s'y refusant, les études qui sont menées sont purement françaises.
Que sont devenues nos recommandations ? Beaucoup d'études sur la santé ont été lancées par le Gouvernement dès 1999, ainsi que dans les années 2003 à 2004. Énormément de choses avaient été lancées avant l'alerte du Pr. Belpomme. En particulier, des médecins ont créé d'eux-mêmes un registre du cancer aux Antilles, qui n'existait d'ailleurs pas en France métropolitaine, et ont remis leurs conclusions.
Les choses ont évolué puisqu'au début de notre rapport toutes les études montraient que les Antillais avaient le même taux de cancer de la prostate que les Noirs américains à Chicago ou ailleurs.
L'étude, sans être catastrophique, a néanmoins démontré que la chlordécone avait une incidence plus importante sur le cancer de la prostate des Antillais, certains hommes, qui n'avaient jamais été en contact avec ce produit, pouvant néanmoins développer des cancers en consommant des légumes comme la patate douce, l'igname, etc., racines qui contiennent de la chlordécone.
Il y a deux ans, j'ai accompagné Mme Valérie Pécresse aux Antilles durant deux jours et j'ai revu les chercheurs que nous avions rencontrés. Ils étaient heureux de revoir quelqu'un qui avait travaillé pour la mission. Par ailleurs, cela a permis de sensibiliser la ministre. Ils m'ont appris qu'ils progressaient et pensaient pouvoir trouver une méthode de dépollution des sols d'ici trois ou quatre ans. Ils disposaient d'éléments alors qu'ils n'en avaient aucuns deux ans auparavant. C'est donc un point très important. Nous pensions à la phytoremédiation mais ils ont évoqué des pistes provenant du Japon. Ils n'étaient pas sûrs que celles-ci aboutissent mais ils en détenaient au moins une.
Quant à nos recommandations, un certain nombre a été suivi plus vite que nous ne le voulions. Nous avions rencontré l'IFREMER et fait part de nos inquiétudes au sujet de la contamination des poissons. On savait, en 2008, que les écrevisses et les langoustes étaient contaminées par la chlordécone et quelques prélèvements avaient montré que certains poissons de bord de mer contenaient également de la chlordécone. Les préfets de la Martinique et de la Guadeloupe avaient donc interdit la pêche et la consommation de poissons dans les zones proches des plantations traitées à la chlordécone.
Cette interdiction pose un problème de santé : il existe en effet aux Antilles beaucoup de diabète et autres maladies plus développées qu'en métropole ; les médecins nous avaient dit qu'il valait mieux manger deux fois par semaine du poisson contenant un peu de chlordécone, celle-ci s'éliminant rapidement quand on en absorbe peu, plutôt que de se tourner vers des nourritures industrielles importées, qui posaient davantage de problèmes de santé. On ne l'a pas mesuré mais les incidences de cette interdiction sur la santé peuvent être plus importantes qu'on ne le pense.
Le Gouvernement avait déjà lancé un certain nombre de mesures qui devaient s'arrêter en 2011. Nous avons eu la satisfaction de constater, ainsi que nous le recommandions, que le plan Santé était prolongé et que les études continuaient, en particulier en matière de santé des enfants. Celles-ci avaient également été menées sur les bébés, dont certains naissaient avec de la chlordécone dans le sang. Toutefois, dès lors que la population a changé d'alimentation, la chloredécone a disparu dans les analyses. Ce sont donc des points positifs.
Un travail de fourmi a été réalisé par les autorités sanitaires locales pour identifier toutes les terres sur lesquelles étaient autrefois implantées des bananeraies. La population ayant beaucoup augmenté, les anciennes plantations étaient devenues des terres d'habitation qui comprenaient des petits jardins, dans lesquels on plantait la pomme de terre et l'igname. Ces terres polluées ont été répertoriées et on a informé la population qu'il convenait de ne manger la patate douce ou les produits issus des jardins familiaux que deux fois par semaine.
Ce travail est efficace : les gens ont changé leurs habitudes, achètent leurs produits à l'extérieur lorsqu'ils le peuvent ou sont plus prudents. La difficulté vient du fait qu'il ne faut pas non plus manger n'importe quoi pour remplacer ce que l'on produisait soi-même.
En matière de santé, la France, comparée à l'Allemagne, a été exemplaire, l'idéal étant de trouver la manière de dépolluer tous les sols. Ce n'est même pas un problème de financement mais de recherche.
Que faire de plus dans votre étude ? Lorsqu'on fait un rapport, on revient rarement dessus mais je pense que vous pourriez obtenir un point précis sur la situation vis-à-vis de la chloredécone et le suivi des populations aux Antilles en auditionnant le directeur de la santé.
Je me suis rendu compte que beaucoup de pays disposaient de listes de pesticides et de produits de substitution mais que chacun travaille sans échanger ses informations.
Aux Antilles, nous avions étudié d'autres pesticides. J'ai découvert qu'on ne peut traiter le sujet des pesticides dans cette région ou dans les pays tropicaux comme on le fait dans les pays continentaux tempérés car, les insectes s'y reproduisant toute l'année, l'absence de saison hivernale ne permet pas d'en éliminer le plus grand nombre. Sans pesticides, il n'y a plus de production et cela entraîne un problème pour les populations et pour l'importation. On a découvert que plus de quatre-vingts cultures ne disposaient d'aucun produit agréé pour éliminer les parasites spécifiques. Alors, tout le monde utilisait le glyphosate, les autres produits étant interdits. Or, cette pratique ne permet pas de tuer tous les insectes et favorise les phénomènes de résistance, ce qui constitue un vrai souci.
Je ne crois pas que nous ferions beaucoup mieux aujourd'hui, notre étude ayant duré dix-huit mois.
Enfin, les médecins du travail nous ont dit qu'il n'y a pas eu de contamination des personnes, le produit étant répandu directement sur le sol. C'est la durée de vie dans la terre et le fait que l'on a remplacé les bananes par d'autres cultures qui ont posé problème. Les travailleurs n'ont pas été contaminés mais les populations ont néanmoins été atteintes.
Mme Sophie Primas, présidente. - Avez-vous subi des pressions ?
Mme Catherine Procaccia. - Non. La banane constitue la richesse essentielle du pays ; lorsque nous sommes allés aux Antilles, on nous a montré les bananes « propres » pour laquelle on utilise des pièges à charançons, on recourt à certains types de plantes fourragères et on pratique l'assolement. La culture de la banane a très largement évolué.
Les chercheurs travaillent sur ce qui est rentable et qui concerne le maximum de personnes. Les productions individuelles ne donnent pas lieu à des recherches particulières.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Il existe cependant des méthodes alternatives...
Mme Catherine Procaccia. - Oui. Jean-Yves Le Déaut est allé le constater au Costa Rica. Là-bas, l'épandage a lieu cinquante-deux fois par an contre deux fois par an occasionnellement en Martinique et en Guyane. A chaque fois que je fais mes courses dans un supermarché, je dis haut et fort qu'il faut acheter des bananes de Guadeloupe, les autres étant vraiment polluées...
Mme Sophie Primas, présidente. - Sont-ce les bananes qui sont polluées ou les sols ?
Mme Catherine Procaccia. - Les nôtres ne sont plus traitées par épandage aérien !
Mme Marie-Christine Blandin. - Vous pourrez retrouver sur Internet l'histoire de l'autorisation de la chlordécone qui a été en fait interdite aux États-Unis, puis en France. Une dérogation pour l'outre-mer a été arrachée par le plus grand planteur de bananes de l'époque à un ministre, lequel a oublié de prévenir le préfet, ce qui prouve bien qu'il existait une demande ! J'entends bien la nécessité de protection faute de méthode alternative mais le groupe de pression n'a pas agi a posteriori : il a demandé une dérogation !
Mme Catherine Procaccia. - On parlait là des pressions que nous aurions pu subir en 1992. Je pense que les choses ont pu politiquement évoluer depuis !
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quelles sont les méthodes alternatives ?
Mme Catherine Procaccia. - Le piégeage, l'assolement... Cela figure à la fin du rapport. La grande inquiétude concerne maintenant les cercosporioses. Tous les pays luttent contre cette maladie, sauf la France, qui a interdit tout traitement. Lorsque les cercosporioses arriveront dans les bananeraies françaises, toutes seront décimées !
L'autre solution est celle mise en oeuvre par le CIRAD qui produit uniquement des hybrides de bananiers, tous issus de plans sains, fécondés in vitro.
M. Gérard Le Cam. - La nature des sols doit jouer un rôle important mais toutes les régions n'ont pas la même. Les matières toxiques restent-elles en surface ou descendent-elles progressivement vers les cours d'eau par ruissellement ?
Mme Catherine Procaccia. - Les Antilles bénéficient d'un sol volcanique mais, selon les endroits, la chlordécone peut rester en terre 150 ans ou 750 ans. C'est une molécule tellement encagée qu'elle a même du mal à ruisseler. Lorsqu'elle atteint les rivières, elle contamine les écrevisses mais elle descend très lentement.
M. Jean-Claude Etienne. - La fréquence des cancers de la prostate dans les îles impliquées semble avoir fait un bond important au cours de ces deux dernières années.
Cependant, les investigations diagnostiques ont été multipliées par dix et la comparaison du nombre de cancers de la prostate avec celui des populations qui ne sont pas exposées au chlordécone mais qui ont une communauté génétique soulève la question de la relation génétique et épigénétique.
Mme Catherine Procaccia. - On a un peu progressé mais c'est bien ce que l'on a vu au début de notre étude : les populations noires d'autres régions ont à peu près le même taux de cancers de la prostate que les populations des Antilles, comme les populations originaires d'Europe de l'Est ont beaucoup plus de cancers de la peau que d'autres. Il y a effectivement là un élément génétique.
Les études qui ont été faites par le Pr. Blanchet ont cependant démontré qu'il existait une progression plus importante aux Antilles qu'ailleurs, sans que l'on puisse parler d'une explosion.
M. Jean-Claude Etienne. - Les statistiques ne sont pas encore convaincantes mais il existe une différence qui semble devoir être prise en compte. C'est tout ce que l'on peut dire pour le moment.
Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le Professeur, nous vous écoutons...
M. Jean-Claude Etienne. - L'histoire du rapport « Pesticides et santé » trouve ses origines dans une saisine de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale qui date du 10 octobre 2007, le rapport remontant au printemps 2010.
D'entrée de jeu, l'affaire a posé problème si je me rappelle bien - je parle sous le contrôle de mes collègues qui étaient à l'époque à l'OPECST. Initialement, on n'avait désigné qu'un seul rapporteur, notre collègue député, M. Claude Gatignol.
Claude Gatignol est vétérinaire ; or, le thème de « Pesticides et santé » pouvait impliquer la santé de nos concitoyens. Après quelques échanges plutôt rugueux entre le bureau de l'OPECST et le rapporteur désigné à l'Assemblée nationale en réponse à la saisine, il a été décidé de faire appel à un médecin, considérant que la santé humaine ne s'identifiait pas systématiquement à la santé animale. Même si l'homme est une variété d'animal, son mode réactionnaire peut être différent et le fait qu'un médecin puisse apporter un complément d'information à un vétérinaire n'était pas totalement incohérent. C'est ce qui a été décidé pour finir mais je dois dire que le clivage a d'entrée marqué un peu tout le rapport. Mme Marie-Christine Blandin le sait bien...
Mme Marie-Christine Blandin. - Je n'ai connu que la fin...
M. Jean-Claude Etienne. - Je ne dirai pas que j'ai eu des problèmes avec M. Claude Gatignol mais il a bien fallu préciser les choses, la problématique de la santé vue par un vétérinaire pouvant être éclairée différemment par un médecin préoccupé de santé humaine.
Nous avons donc été conduits à séparer la problématique humaine, que j'ai personnellement prise en charge, de la problématique environnementale qui a été essentiellement traitée par Claude Gatignol.
Nous avons eu sur cette affaire des discussions très longues que je ne vous rapporterai pas ici, non par volonté de vous cacher quoi que ce soit mais pour vous faire gagner du temps. Il est très important que cette affaire soit prise en compte comme une interférence obligée. Cette différence d'appréciation entre sa préoccupation et la mienne a été au demeurant plutôt dommageable à la rédaction du rapport. Pourquoi ? Parce que c'est un domaine qui me passionne tout comme il le passionne, chacun avec ses problématiques. Or, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, on ignore par définition ce que l'on ne sait pas ! On vit un peu trop avec des a priori découlant de l'observation immédiate.
On lit énormément, on entend des dizaines d'intervenants, tous plus pointus les uns que les autres, pour recueillir finalement une information qui ne nous satisfaisait pas. Nous sommes même allés aux États-Unis d'Amérique. Devant la problématique telle qu'elle était vécue là-bas, Claude Gatignol et moi-même en avons retiré une appréciation différente.
Cela signifie que la rigueur scientifique, dans ce genre de démarche, ne s'impose pas toujours avec l'absolu que l'on voudrait. Or, de tels travaux doivent être réglés avec une rigueur extrême. C'est l'esprit de Claude Bernard qui doit guider l'investigation. Les choses doivent se faire avec une vertu quasi expérimentale, faute de quoi chacun peut y trouver un élément qui le conforte dans son opinion et en faire une vérité universelle !
Je viens de le vivre au Conseil économique et social à propos de mon rapport sur la prévention et la santé des hommes qui a eu le bonheur d'être approuvé à l'unanimité. Ce rapport peut éclairer rétrospectivement les problèmes que nous avons vécus...
Deux ans plus tard, je me suis retrouvé avec notre collègue Gilbert Barbier pour établir notre rapport sur la santé humaine, qui comportait trois grands chapitres : l'un sur les pesticides et les troubles neurologiques, un autre sur les pesticides et les cancers dans le cadre des études épidémiologiques et un troisième sur les perturbateurs endocriniens, qui justifiaient selon nous à eux seuls un état des lieux des connaissances en la matière. Ce qui fut dit fut fait. Deux ans plus tard, mon collègue Gilbert Barbier et moi avons mené un travail passionnant mais partiel pour ce qui me concerne, ayant dû quitte le Sénat pour rejoindre le Conseil économique et social.
Ce rapport, dont M. Gilbert Barbier vous parlera bien mieux que je ne pourrais le faire, met en évidence le fait que, s'agissant des perturbateurs endocriniens, des troubles neurologiques et des cancers, il se dit tout et rien. Le Pr. Belpomme, honorable collègue féru en cancérologie, affiche certaines certitudes ; d'autres prétendront qu'il n'apporte pas de démonstration scientifique. On manque d'avancées scientifiques en la matière car on a considéré le problème sous l'angle de l'efficience et de l'impact sur les conséquences pour la santé de nos concitoyens avant de mener une étude rigoureuse sur la méthodologie dont il fallait user pour travailler ces questions.
Cette affaire a été étudiée par l'Académie de médecine qui a mis en évidence deux points faibles sur le plan méthodologique qui valent - je crois - pour tous nos rapports. Il s'agit de l'insuffisance de la science toxicologique en France et de la problématique de l'interprétation de l'effet-dose sur les patients. Certaines de ces notions datent mais ont survécu jusque-là ; elles ont été établies à partir de relevés de terrain accumulant quelques observations à un endroit puis à d'autres, dans des environnements pouvant être différents et surtout avec un manque de travail et de recherche sériée prouvant le lien entre la vie de l'homme et son environnement.
L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) l'a bien montré : nous sommes ce que notre carte génétique fait de nous mais ce n'est pas si simple car on conclut que la résonance entre notre carte génétique et l'environnement est singulière et différente d'un type de génome à un autre.
Les États-Unis d'Amérique vont très loin dans cette affaire de génétique et de médecine prédictive : c'est abominable, je n'hésite pas à le dire ! Certains États, certaines entreprises ou groupes d'assurances américains embauchent les personnes ou fixent les tarifs de leur assurance en fonction du génome de leurs clients...
Mme Catherine Procaccia. - Ne dis pas cela à propos des assurances !
M. Jean-Claude Etienne. - Je ne parle pas de la France, j'ai été très clair.
Mme Catherine Procaccia. - C'est une remarque que j'entends régulièrement et elle m'agace !
M. Jean-Claude Etienne. - Je ne dis pas que cela se fait en France : je parlais des États-Unis ! Je t'assure que cela s'est fait et se fait encore dans certains États.
Mme Catherine Procaccia. - Les États-Unis ne sont pas la France !
M. Jean-Claude Etienne. - Ai-je dit le contraire ?
Mme Catherine Procaccia. - Tu as parlé des assureurs !
M. Jean-Claude Etienne. - ... américains ! Cela peut aller très loin et le fait de penser que certaines puissances économiques qui ne sont pas considérées comme étant à la traîne puissent agir de la sorte appelle de notre part une vigilance extrême -que je reprends à mon compte !
Cela étant posé, il est intéressant de connaître les raisons pour lesquelles il existe une relation entre les caractéristiques de l'environnement et la résonance génétique. Nous n'en avons encore que quelques aperçus. M. Gilbert Barbier dira mieux que moi tout à l'heure qu'avec les problèmes de perturbateurs endocriniens, le récepteur peut être sensible non seulement en termes de structure génétique mais aussi dans d'autres domaines. Les choses sont donc très compliquées de ce point de vue.
Un état des lieux a néanmoins été établi mais de façon assez disparate ; il s'agit d'observations qui ne sont pas toutes élucidées, loin de là, du fait du manque d'analyses toxicologiques et épidémiologiques. C'est pourquoi les deux disciplines qui vont nous permettre d'avancer sont le recours de façon réglée et ordonnancée aux études toxicologiques et épidémiologiques, les unes n'allant pas sans les autres.
Pour finir, nous devons prendre en compte l'environnement sous l'aspect de l'interférence, de même que les deux autres pathologies traitées dans le rapport, les cancers et les désordres neurologiques. Ceux-ci sont essentiellement le fait de l'étude conduite entre autres par la MSA et apparaissent d'abord chez des agriculteurs. On a bien sûr relié cette problématique au fait que les agriculteurs étaient singulièrement exposés à des doses assez importantes de pesticides. Là encore la vertu épidémiologique n'est pas totalement construite et fait l'objet de travaux.
Quant à l'effet sur les populations, nous avons été confrontés à une méconnaissance des approches toxicologiques fondamentales...
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les choses n'ont-elles tout de même pas avancé depuis 2009 ?
M. Jean-Claude Etienne. - Oui mais plus en matière de toxicologie qu'en matière d'épidémiologie...
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Des efforts sont sans doute à accomplir mais je relève que l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP) figurait parmi les membres du Comité de pilotage du rapport, ainsi que M. François Ewald, opposant notoire au principe de précaution. On peut donc imaginer que, dans ce rapport, on n'allait pas considérer les pesticides comme dangereux pour la santé ! Cela n'y est d'ailleurs pas dit...
M. Jean-Claude Etienne. - A cette époque, un relevé de terrain s'est interrogé sur certains processus neurologiques. Une étude californienne a mis en évidence la relation de cause à effet qui existe entre la manipulation des produits et les conséquences neurologiques.
Les choses sont plus difficiles en matière de cancer mais on sait aussi que des risques peuvent apparaître en cas de doses très élevées. En matière neurologique, des études -qui ne sont pas françaises - tendent également à le démontrer assez fortement. On avait connaissance de ces éléments et j'ai tenu à les prendre en compte ; vous les trouverez dans le rapport. Ces études ont conduit à suspendre la production de certaines usines. Malgré leur imperméabilité à cette problématique, certains États ont pris des mesures !
En 2009, il y avait donc de solides interrogations, au moins en matière neurologique. Je ne dis pas que cela a été souligné de la même manière s'agissant des cancers mais on en a appelé à une étude postérieure au sujet des perturbateurs endocriniens.
Parmi les propositions du rapport qui nous laissent encore sur notre faim, il en est une que je désirerais porter à la connaissance de la mission. On a demandé qu'on réforme l'agrément relatif à la distribution et à l'application de produits phytopharmaceutiques et que l'on mette en place, comme aux États-Unis, des licences professionnelles sans lesquelles il n'est pas possible de commercialiser, d'acheter ou d'utiliser des pesticides. C'est une recommandation de l'OPECST qui est importante et sur laquelle je me permets d'attirer votre attention.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur - A-t-elle été mise en oeuvre ?
M. Jean-Claude Etienne. - Non, c'est pourquoi j'en parle aisément. Des approches ont eu lieu mais cela n'a pas été fait.
En second lieu, une faute vis-à-vis du déterminant préventif pourrait appeler une sanction, dans la mesure où l'on reconnaît que le principe de prévention est scientifiquement assuré ou à forte probabilité. Aujourd'hui, le volet relatif aux sanctions mérite d'être distinct de celui de la prévention. Or, il ne l'est toujours pas. En effet, on confie aux services régionaux de protection des végétaux la mission de prévention et de conseil et on délègue aux services départementaux la mission de sanction alors qu'il ne faudrait pas que ce soit le même service, voire la même personne, qui conseille un jour et sanctionne le lendemain. C'est un aspect sur lequel notre organisation territoriale pourrait évoluer.
Nous avons dit, comme tout le monde, qu'il fallait repenser l'organisation sanitaire en France et que la veille sanitaire organisée par les agences sanitaires en réaction à des crises sanitaires est insuffisante mais on peut se féliciter du fait que les Agences régionales de santé (ARS) aient maintenant mission de faire figurer un volet de prévention dans leur programme d'action.
Il me semble que votre mission pourrait se faire l'écho de l'importance du volet de prévention dévolu territorialement à chaque ARS. Il faut traiter le problème dont vous assurez la charge à partir d'un élément pratique concret afin de limiter les dégâts potentiels et, à plus forte raison, ceux qui sont avérés. Il y a là un outil nouveau dont dispose notre pays qu'il faut savoir solliciter pour essayer de trouver les solutions les plus adéquates.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci de ce point de vue convaincu !
M. Jean-Claude Etienne. - Ce n'est pas dans le rapport...
Mme Sophie Primas, présidente. - La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. - Il faut aborder le sujet des perturbateurs endocriniens avec beaucoup de modestie ; c'est une science relativement nouvelle. Même si, depuis vingt ou trente ans, on a beaucoup évolué, on est encore dans un secteur où il y a beaucoup de travail à mener en matière de recherche. Ce que l'on peut dire aujourd'hui n'est peut-être donc pas définitif : c'est un point d'étape important.
Je pense que ce rapport concerne plus la seconde partie de la mission que vous vous êtes fixée car je n'ai pas abordé le problème des maladies professionnelles que vous évoquez maintenant. Il s'agissait alors essentiellement des relations avec l'environnement soumis aux perturbateurs endocriniens.
Je voudrais revenir sur le sujet traité par Mme Marie-Christine Blandin et M. Jean-Claude Etienne : les perturbateurs endocriniens ont profondément modifié la toxicologie classique. Traditionnellement, un produit avait une dose mortelle ; on la divisait par deux pour connaître la dose journalière admissible. En matière de perturbateurs endocriniens, cela est complètement dépassé, l'effet-dose n'existant pas ! Certains évoquent, concernant ces perturbateurs, une courbe de Gauss qui produirait un effet maximum en fonction de la dose. C'est une notion assez nouvelle qui contredit la toxicologie classique. Pendant longtemps, un certain nombre de produits présents dans les milieux naturels ne pouvaient être détectés du fait de leur très faible quantité. Aujourd'hui, on en est au nanogramme, qui n'existait pas il y a quelques dizaines d'années.
Le second aspect de cette affaire réside dans l'évolution de la toxicologie. Autant il existe, en matière de perturbateurs endocriniens, des expériences sur l'animal, des prélèvements dans la nature, autant les données restent très restreintes en matière épidémiologique.
Certains objectent que ce qui se passe chez la souris ou chez les poissons n'est pas forcément transposable à l'homme. On a évidemment du mal à répondre et à affirmer le contraire.
Une des propositions importantes de ce rapport porte sur la nécessité de savoir. On peut avancer toutes les hypothèses que l'on veut, les données épidémiologiques sont encore insuffisantes.
Un autre point complique ce rapport : environ 800 molécules sont recensées concernant les pesticides ; à peu près la moitié est aujourd'hui interdite. Il en reste une bonne moitié à étudier et il y aurait lieu d'interdire assez rapidement vingt-deux substances répertoriées.
Cela se fait à travers la directive européenne « Registration, evaluation, authorisation and restriction of chemicals » (REACH) mais les choses vont doucement.
La notion importante qui a été prise en compte au cours des dernières décennies a concerné les cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR). Le problème de cancérogénèse n'est guère évident à diagnostiquer rapidement. La reprotoxicité nécessite encore plus de temps pour pouvoir être observée. On en a un exemple célèbre avec le problème du distilbène qui a été donné aux femmes enceintes pour éviter de perdre leur enfant, dans les années 1960 à 1970. Les deuxièmes générations en subissent aujourd'hui encore les effets. Le taux de malformations génito-urinaires, notamment chez les filles, est dix fois supérieur aux malformations décelées habituellement. On en est parfois à la troisième génération. Personnellement, en tant que chirurgien, je n'ai jamais prescrit de distilbène ...
M. Jean-Claude Etienne. - Certains gynécologues l'ont prescrit à leur propre fille. Ils sont aujourd'hui grands-pères et leur petite-fille est malade !
M. Gilbert Barbier. - On étudie beaucoup les perturbations des organes de reproduction chez l'homme et chez la femme. En matière de cancers, certains sont plus fréquents que d'autres comme le cancer des testicules ou celui du sein. On s'éloigne toutefois ici du sujet des pesticides puisque les cancers du sein sont en relation avec des produits chimiques qui ne sont pas utilisés dans l'agriculture.
Pour ce qui est du domaine qui nous préoccupe, on n'a pas de données suffisamment étayées concernant la reprotoxicité de produits comme la chlordécone pour pouvoir définir de manière précise les problèmes qui peuvent se poser par la suite.
On avance cependant en matière d'épidémiologie. Une étude longitudinale française depuis l'enfance (ELFE) est actuellement menée en France. Elle porte sur les perturbations qui peuvent survenir chez des enfants qui seront suivis par cette étude durant vingt ans. Elle concerne 20 000 enfants qui ont été répertoriés entre 2009 et 2011. Cette étude constitue une méthode intéressante mais coûte cependant assez cher. Cette méthode pourrait néanmoins être appliquée dans d'autres domaines, dont celui qui vous intéresse. Elle permettra probablement de remettre en question un certain nombre de théories. Elle nécessite cependant un investissement certain. Faut-il le faire figurer au chapitre de la prévention ? Peut-être...
Malheureusement - je le dis alors que vous connaissez mon appartenance politique - on a supprimé pour la première fois cette année les crédits prévus pour ce genre d'études. L'Agence nationale de la recherche (ANR), même si elle donnait peu, n'a pas reconduit cette année un certain nombre d'études, dont celle portant sur les perturbateurs endocriniens. J'en ai parlé avec la directrice générale, Mme Briand, qui m'a expliqué qu'il s'agissait d'un choix. Je lui ai dit que c'était un mauvais choix car c'est un domaine où les équipes françaises sont relativement bien placées. Un certain nombre sont très performantes au niveau mondial ; interrompre leur financement de manière brutale n'encouragera pas les chercheurs !
En matière de perturbateurs endocriniens, tout le problème réside dans la prévention. Les produits sont tellement nombreux que tout interdire paraît actuellement utopique. Comme l'a évoqué Mme Marie-Christine Blandin, il existe des fenêtres de sensibilité aux perturbateurs endocriniens qui concernent la femme enceinte à une certaine période de sa grossesse ; celles-ci restent à définir mais l'on sait qu'il faudrait interdire les perturbateurs endocriniens jusqu'au quatrième mois. Les jeunes enfants, jusqu'à l'adolescence, sont également certainement beaucoup plus sensibles que les autres tranches d'âge.
C'est pourquoi j'avais proposé que l'on informe les populations par un logo. Celui qui a été mis sur les bouteilles d'alcool n'a pas remporté un grand succès. Il est maintenant réduit à quelques centimètres. On le doit à Mme Anne-Marie Payet, ancien sénateur de la Réunion, qui avait essayé de prévenir l'alcoolisme chez les femmes enceintes...
Il est nécessaire d'alerter les gens sur la toxicité du parabène présent dans certains produits. Je m'éloigne là des pesticides mais le sujet est important en matière de nourriture. Vous savez que le groupe politique auquel j'appartiens a fait voter au Sénat l'interdiction du bisphénol A dans les biberons. C'est une première étape. Le bisphénol A se retrouve partout. Faut-il l'interdire complètement ? Oui, probablement dans certaines utilisations, beaucoup moins dans d'autres. En effet, on trouve aussi du bisphénol A dans les pare-chocs de voiture...
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Vous parliez de prévention : la campagne sur la nocivité des pesticides est une catastrophe en termes d'information et de prévention : on y voit, sur une pelouse, un jeune enfant déguisé en abeille ; le slogan indique que « l'abus » de pesticides est dangereux pour la santé. Cette campagne est financée par le ministère de l'écologie et par l'ONEMA !
M. Gilbert Barbier. - En effet...
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - C'est en totale contradiction avec le message que l'on veut faire passer !
M. Gilbert Barbier. - La troisième recommandation concerne l'interdiction. En la matière, l'action européenne est la plus efficace. On sait que la liste REACH a conduit à interdire certains produits ; peut-être s'agit-il d'une action trop lente mais l'effort au niveau européen est important et il faudrait l'encourager - d'autant qu'il prend en compte la reprotoxicité, peu concernée jusqu'à présent.
S'agissant des maladies professionnelles, je ne puis vous dire grand-chose...
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Qu'en est-il des autorisations de mise sur le marché (AMM) ?
M. Gilbert Barbier. - On interdit certaines molécules. Le problème, un peu comme en matière de médicaments, vient du fait que les études sur ces molécules sont fournies par les fabricants. Certaines peuvent être falsifiées.
La commission environnement de l'Union européenne a le pouvoir de contrôler ces études mais dispose de moyens très faibles par rapport au nombre de molécules qui mériteraient d'être étudiées.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Il faut aussi tenir compte des effets « cocktail »...
M. Gilbert Barbier. - Certains effets sont multiplicateurs, d'autres annihilateurs. Le flou scientifique n'est pas encore totalement dissipé.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Comment faire ?
M. Gilbert Barbier. - Je pense qu'il faut encourager la recherche.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - ... Indépendante !
Mme Marie-Christine Blandin. - Il faut aussi encourager la parole des citoyens et des usagers. Le protocole de recherche relève du chercheur mais ajouter un mode d'action peut être le fait des usagers. Les apiculteurs contestent ainsi les études sur les abeilles que l'on met en contact avec un seul pesticide, qui ne les détruit pas mais les empêche ensuite de communiquer avec les autres et de s'orienter. Ce sont les apiculteurs qui ont attiré l'attention sur ce point et qui conseillent de s'en préoccuper.
Les vétérinaires ont également mis en garde contre la toxicité des substances contenues dans les colliers anti-puces ; s'ils sont bien étudiés pour l'animal, qui ne peut les lécher, ils présentent néanmoins des risques pour les jeunes enfants qui possèdent un gros chien à la maison : ils s'accrochent au collier, le touchent... L'expologie est devenue une science en soi. Elle consiste à réfléchir à la façon dont telle ou telle personne est exposée, à tel ou tel moment de sa vie. On ne peut tout interdire mais on peut dispenser des conseils de prévention. Les citoyens et les usagers ont, en la matière, parfois de bonnes idées. Il ne faut pas tout rejeter.
M. Gilbert Barbier. - On a vu les effets du DDT aux États-Unis, où il avait provoqué la disparition totale de l'aigle américain, qui se trouve au bout de la chaîne alimentaire. L'interdiction de ce pesticide aux États-Unis résulte de cette observation.
La pollution de l'environnement vient bien sûr des pesticides mais également d'un autre domaine peu étudié, celui de la présence des oestrogènes dans les eaux de rejet des stations d'épuration. On a ainsi observé une féminisation de certaines espèces de poissons qui se nourrissent à la sortie de ces stations.
Le problème des antibiotiques est également un autre sujet que les sociétés de traitement de l'eau ne veulent pas aborder. Il existe des phénomènes de transformation du milieu aquatique du fait des rejets par certains établissements hospitaliers de molécules anticancéreuses dans l'environnement.
Mme Sophie Primas, présidente. - Cela pose des problèmes philosophiques...
M. Gérard Le Cam. - Pour en revenir à l'octroi de licences pour l'utilisation de pesticides, elles existent déjà dans le monde agricole. Les coopératives font aujourd'hui un travail important sur le réglage des appareils de pulvérisation ; elles organisent des stages de formation et ceux qui ne les suivent pas ne reçoivent pas de produits. L'obligation technique n'est donc pas négligeable. Il peut être intéressant de voir ce qui peut être fait en la matière. Il en va de même pour l'utilisation de l'eau.
M. Jean-Claude Etienne. - Il faut avancer. Il y a des précautions à prendre ; il serait dommage de ne pas le faire. C'est une question de bon sens !
Mme Sophie Primas, présidente. - Avant de trouver la solution, protégeons-nous !
M. Gilbert Barbier. - Il est relativement facile d'interdire les perturbateurs endocriniens mais par quoi les remplacer ? Les bouteilles en PVC contiennent du bisphénol A. Si on l'interdit, le PVC sera tout blanc, rigide et très inesthétique ! Faut-il revenir à la bouteille en verre ? ... Pourquoi pas ? Cela comporte néanmoins des incidences économiques...
Mme Marie-Christine Blandin. - ... Une bonne carafe !
Mme Sophie Primas, présidente. - Mais qu'y a-t-il dans le verre ?
M. Gilbert Barbier. - Le verre est relativement neutre.
Chauffer le bisphénol A provoque des échanges : c'est le problème des biberons... On a interdit le bisphénol A dans le biberon des enfants mais certaines études démontrent qu'il s'en trouve autant dans le lait de certaines mères, qui en absorbent par d'autres voies !
M. Jean-Claude Etienne. - Le globe terrestre concentre tellement de déchets de pesticides à ses pôles que le lait maternel des mères Inuits renferme des niveaux toxiques de produits issus des pesticides vingt fois supérieurs à la norme européenne. Les pôles deviennent les poubelles du globe terrestre !
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Il faut interdire les pesticides !
M. Jean-Claude Etienne. - Il faut réfléchir au problème car on est en train de commettre de sacrés dégâts !
Mme Sophie Primas, présidente. - Le problème est de savoir par quoi les remplacer !
M. Jean-Claude Etienne. - Il faut que l'agriculture nourrisse les populations. L'interdiction des pesticides conduirait à un état de famine.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Il faut réorienter certaines pratiques.
M. Gilbert Barbier. - Les phtalates à chaîne courte sont aussi très nocifs. Ils provoquent des échanges hormonaux très importants. La chimie produit actuellement des phtalates à chaîne beaucoup plus longue qui ne franchissent pas la barrière de la cellule mais ils coûtent bien plus cher.
On a interdit les deux phtalates à chaînes les plus courtes. Peut-être y en a-t-il d'autres à supprimer mais cela représente une incidence financière. On ne peut interdire tous les phtalates. Ils sont utilisés dans de nombreux domaines et certains sont beaucoup moins dangereux que d'autres. De plus, c'est avec le temps que l'on s'aperçoit de la nocivité de certaines molécules. Si on les remplace par des molécules nouvelles, on peut connaître les mêmes problèmes dans vingt ans !
Mme Marie-Christine Blandin. - Il faut établir une clause de revoyure, comme pour les médicaments !
M. Gilbert Barbier. - C'est ce qu'il est important de faire avec la directive REACH.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - N'est-ce pas déjà le cas ?
M. Gilbert Barbier. - Pour le moment, on est en train de traiter l'ensemble des produits qui figurent sur cette liste. Toutes les molécules ne sont pas expertisées de manière suffisante. Je crois qu'il faut forcer les choses mais il faut aussi en avoir les moyens.
Mme Sophie Primas, présidente. - Les autorisations de mise sur le marché (AMM) des pesticides ne sont-elles pas valables dix ans ? Est-ce suffisant ?
M. Gilbert Barbier. - Je ne sais pas. En matière de médicaments, les AMM sont revues tous les cinq ans.
M. Jean-Claude Etienne. - Nous n'avons pas évoqué la question des accidents aigus dus aux pesticides. Le simple fait de vaporiser un produit sur une plante peut provoquer des accidents cardio-respiratoires.
M. Gilbert Barbier. - Je rappelle que le Sénat, lors de l'examen de la loi de finances pour 2012, a voté un amendement visant à inclure les perturbateurs endocriniens dans la taxe sur la pollution. Cette modification a été rejetée par l'Assemblée nationale. Peut-être peut-on l'adopter lors de la prochaine loi de finances - ou dans un autre cadre ? Cet épisode est passé quelque peu inaperçu...
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup.