Mardi 21 février 2012
- Présidence de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, vice-président -Loi de finances rectificative pour 2012 - Audition de M. Jean Arthuis
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Nous accueillons aujourd'hui Jean Arthuis, ardent défenseur de la TVA sociale.
M. Yves Daudigny, rapporteur général, rapporteur pour avis. - Vous êtes depuis longtemps un fervent partisan de la TVA sociale. Pouvez-vous nous présenter rapidement les arguments qui vous conduisent à soutenir une telle réforme ?
Que pensez-vous de la mesure proposée par le Gouvernement dans le collectif budgétaire ?
Croyez-vous vraiment que l'on peut écarter le risque inflationniste pourtant envisagé par beaucoup d'experts ? La possibilité de créer, grâce à la mesure, cent mille emplois vous paraît-elle crédible ?
Comment, selon vous, devrait-on financer, de manière optimale, la protection sociale ?
Pensez-vous que notre modèle de protection sociale peut être maintenu dans les conditions actuelles dès lors que l'on parvient à augmenter les recettes qui le financent, ou bien faudra-t-il revenir sur certaines de ses modalités ?
M. Jean Arthuis. - Je vous remercie de m'associer à votre réflexion sur le financement de la protection sociale. Je mesure le risque que vous prenez à soumettre la question à un fidèle partisan, non de la TVA sociale, mais de l'allègement des charges sociales !
On présente à tort la TVA sociale comme le point central du projet de loi de finances rectificative. Le vrai sujet est l'allègement des charges sociales, destiné à lutter contre le chômage. Dans un rapport de juin 1993, j'avais voulu, en tant que rapporteur général de la commission des finances, sonner l'alarme sur les enjeux de la mondialisation. J'y pressentais la connivence, sinon le complot, entre les acteurs économiques du marché, qui contraindrait les producteurs à la délocalisation. Comme si les consommateurs et les producteurs étaient opposés ! Comme si le pouvoir d'achat ne provenait pas du travail ! Le niveau d'endettement public est lié au déficit commercial, qui a atteint 70 milliards d'euros en 2011. L'indépendance commerciale de notre pays est en jeu.
A l'époque à la fois expert-comptable et maire, je souffrais de schizophrénie en conseillant aux entreprises de délocaliser leurs activités, tout en travaillant à la création d'emplois et au renforcement du pouvoir d'achat dans ma commune. Dès 1993, mon rapport soulignait que, si la mondialisation était une chance, elle mettait aussi en danger la cohésion sociale.
La TVA sociale ne réglera pas à elle seule le problème de l'emploi mais constituera un outil. Alors que le taux de prélèvements obligatoires en France est un des plus élevés de l'OCDE et que la monnaie unique interdit la dévaluation, se pose la question de la compétitivité des entreprises et des cotisations pesant sur le travail. Est-il logique d'asseoir le financement de la politique familiale et de l'assurance maladie sur les salaires ? Je ne le crois pas. En revanche, il est logique d'assurer le financement des retraites, de l'assurance chômage et des risques professionnels sur les salaires. De nouveaux modes de financement des branches famille et maladie doivent être trouvés. J'entends qu'on pourrait mettre en place un impôt payé par les entreprises. Mais n'y a-t-il pas une part d'impôt dans le prix payé actuellement par le consommateur ? On a discuté en son temps des parts respectives à mettre à la charge de l'entreprise et du consommateur pour le financement de la taxe carbone. C'est une vue de l'esprit : le consommateur aurait in fine payé la partie dévolue à l'entreprise.
Je me réjouis de ce débat, après avoir vécu comme un drame la condamnation de la TVA sociale au soir du premier tour des élections législatives de 2007. A l'époque, la polémique l'avait emporté. Si l'on admet que seuls les Français doivent financer la protection sociale, quel impôt choisir ? Le produit supplémentaire de l'impôt sur le revenu sera nécessaire à la réduction de l'endettement. L'impôt sur le patrimoine ne bénéficie pas de marge d'augmentation suffisante pour fournir les dizaines de milliards d'euros nécessaires au financement de la protection sociale. Le troisième impôt possible est donc l'impôt sur la consommation. On objecte qu'il est injuste car il pèse sur les plus faibles. Mais y a-t-il plus grande justice que de permettre à tous de reprendre le chemin de l'emploi ? La taxe sur les salaires, équivalent d'un droit de douane intérieur, accélère les délocalisations. Au contraire, ce sont les importations que l'on taxerait avec la TVA sociale. C'est cette solution que l'on doit privilégier.
Sans ajustement monétaire possible dans la zone euro, la TVA sociale est la seule dévaluation envisageable. J'entends que les salaires ne correspondent souvent qu'à 15 % des dépenses d'exploitation des entreprises. Mais ces frais de personnel ont un impact sur toutes les autres dépenses, qu'il s'agisse de l'achat de matières premières ou de prestations de services.
Les chefs d'entreprises vont-ils profiter de l'allègement des cotisations sociales pour augmenter leurs marges bénéficiaires ? Si la concurrence ou le souci de la cohésion sociale ne les en dissuadent pas, il reviendra à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de mener des actions pour le faire.
On estime que l'allègement des cotisations sociales et la hausse de la TVA conduiront à une diminution des coûts de production de 5 % en France, sans augmentation du prix de vente. En revanche, l'augmentation de la TVA sera répercutée sur les produits importés.
J'ignore si la mesure proposée créera des emplois. On dit que les écarts de coût du travail sont trop élevés entre la France et les pays émergents. Mais ne rien faire, c'est accepter la dévitalisation du système de production comme une fatalité. Je suis engagé dans une croisade en faveur non pas de la TVA sociale, mais de l'allègement des charges sociales.
Les normes qui pèsent sur les entreprises, tant au niveau national qu'européen, se multiplient et sont une autre forme de contrainte. Le préfet de Mayenne me demandait ainsi récemment de lui transmettre la carte du bruit du département, en application d'une directive européenne de 2002 ! Veillons à ne pas ériger des règles qui activeraient des dépenses publiques ou freineraient la compétitivité des entreprises.
Nous devons également orienter le dialogue social vers les voies et moyens nécessaires à la création d'emplois plutôt que vers le traitement du chômage. C'est en renforçant la compétitivité que les acteurs économiques retrouveront de la confiance.
Je regrette néanmoins que ces mesures soient examinées en fin de législature, à la veille des élections présidentielles. Chaque année, au moment du débat d'orientation des finances publiques et de l'examen de la loi de finances initiale, je soulève la question du financement de la protection sociale et propose de substituer un supplément de TVA aux cotisations sociales. Le texte arrive trop tard dans la législature. Je plaide également pour une mesure plus lisible que la hausse annoncée de 1,6 point. Pourquoi ne pas choisir un chiffre simple et rond et fixer le taux de TVA à 21 % ou 22 % ?
Tout l'intérêt est néanmoins dans le débat, même s'il ne se déroule pas dans des conditions optimales. Pourquoi, en effet, voter maintenant des mesures qui ne seront appliquées qu'à l'automne ? Cela dit, il faut souligner la volonté d'alléger les cotisations sociales. Dès 1987, les Danois ont supprimé les cotisations sociales et porté la TVA à 25 % dans un consensus social total. En 2007, les Allemands ont à leur tour allégé les cotisations sociales et instauré un supplément de TVA de trois points - deux points pour financer le déficit et un point pour compenser les allégements.
Une meilleure régulation des dépenses sociales est également nécessaire. Si l'on veut bien admettre que la dépendance sera un grand sujet des prochaines années, la révision des droits de succession constituera une solution. La régulation des hôpitaux, quant à elle, suppose des systèmes d'information plus fiables : certaines modalités de pilotage datées doivent être modernisées pour que les arbitrages soient rendus avec plus de lucidité.
M. Yves Daudigny, rapporteur général, rapporteur pour avis. - Vous avez évoqué deux aspects de la TVA sociale : la compétitivité et le financement de la protection sociale. Vous avez cité l'impôt sur le revenu, l'impôt sur le patrimoine et l'impôt sur la consommation. Mais vous avez omis la CSG, dont l'assiette large et le taux faible en font un impôt efficace. Quel peut être, selon vous, le rôle de la CSG dans le financement de la protection sociale ?
M. Jean Arthuis. - La fiscalisation de la protection sociale progresse chaque année. Les cotisations sociales ne suffisent plus. Nous l'avons vu avec la CSG : sa dénomination n'était qu'une convention de langage destinée à respecter le souhait des partenaires sociaux. Elle était en fait un impôt sur le revenu. C'est un bon impôt, qu'il va falloir articuler avec l'impôt progressif.
Pourquoi un impôt sur la consommation ? Je ne crois pas à la démondialisation. Adaptons-nous à la mondialisation pour éviter la fuite du travail. Avec la TVA sociale, il sera possible de récupérer de la compétitivité et d'exporter à des prix inférieurs. Doit-on inclure le coût de la protection sociale dans les exportations ? Non, nous devons la financer à hauteur du revenu que nous créons.
Comme le rapporteur général, je pense que nous devons réduire le nombre des impôts. Quant au taux de TVA, il faut aussi veiller à l'établir à un niveau permettant d'éviter le développement d'une économie informelle. Prenons exemple sur les pays nordiques, d'inspiration sociale-démocrate, qui ont déjà des taux élevés d'impôt sur la consommation.
Enfin, nous avons besoin d'une présentation consolidée des prélèvements obligatoires. Par exemple, le débat sur l'assurance vie est actuellement dispersé entre le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances. Une vision cohérente est nécessaire à la prise de décision.
M. Jean-Noël Cardoux. - Adepte de la TVA sociale, je souscris à votre analyse. Vous regrettez sa mise en oeuvre tardive mais, vous l'avez rappelé, la polémique de 2007 a interdit de réengager le débat en dehors d'une période de crise.
Dans quelle mesure pouvons-nous prendre le temps nécessaire pour améliorer le système ? Peut-être aurions-nous intérêt à nous en tenir à trois taux de TVA. Le premier à 6,5 % serait la moyenne des taux actuels de 5,5 % et 7 %, son produit supplémentaire compensant les allègements de charges ; le deuxième constituerait un taux intermédiaire ; le dernier, s'élevant à 25 % par exemple, concernerait les produits de luxe et les nouveaux produits importés. La taxation de la consommation serait proportionnelle aux revenus de chacun, ce qui serait plus facile à expliquer à la population.
M. Claude Jeannerot. - Je ne suis pas convaincu par vos arguments. En augmentant la TVA, nous soumettons la consommation à un impôt injuste. L'opération, compensée par un allègement des charges sociales, serait indolore. Or, l'impôt le plus juste porte sur le revenu, y compris la CSG, qui permet de moduler les charges en fonction des ressources. Nous avons besoin de davantage de précisions pour nous forger une opinion.
M. Claude Léonard. - Qu'en est-il de la CSG sur les revenus immobiliers modestes qui ampute la retraite des petits commerçants ?
M. René Teulade. - Nous devons nous interroger sur la pertinence des termes que nous employons. La protection sociale est-elle une charge ou un investissement ? La difficulté résulte du fait que nous essayons de trouver un équilibre entre deux notions opposées : des prescriptions libérales et des prises en charge socialisées. Avons-nous tout tenté pour responsabiliser les acteurs ? La modification des comportements est-elle possible ?
Mme Laurence Cohen. - Votre politique est claire : elle est fondée sur l'exonération des cotisations sociales pour créer de l'emploi. Malheureusement, l'expérience, notamment en période de crise, prouve le contraire.
Les mots ont de l'importance : la TVA est antisociale, puisqu'elle touche les populations les plus fragilisées. Comment justifier, en période de crise, de taxer une consommation que l'on veut dynamique ? C'est illogique !
Des solutions alternatives existent. Beaucoup d'entreprises bénéficient de subventions publiques. Elles doivent être suspendues en cas de licenciements. Il faut aussi mettre fin aux exonérations de cotisations sociales. La protection sociale doit être financée par les salaires et les revenus financiers. Si la proposition de loi relative à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, que nous venons d'examiner, était appliquée, la pénalité versée par les entreprises réduirait de moitié le déficit de la sécurité sociale !
M. Michel Vergoz. - Vous semblez frileux sur les mesures annoncées, déçu par le taux de 1,6 point et sceptique sur leur application en octobre prochain. Vous vous dites défavorable à une hausse des cotisations sociales. Mais il nous faut plus d'éclairages sur le financement de la protection sociale.
Peu d'entre nous croyons à la démondialisation. Vous avez parlé d'adaptation : doit-elle signifier un alignement vers le bas ? Jusqu'à quand serons-nous de simples spectateurs, alors que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et le Bureau international du travail (BIT) pourraient imposer des normes sociales ? Nous nous éloignons du débat en évoquant la compétitivité. Nous devons oeuvrer pour une mondialisation à visage humain et ne pas nous résoudre à un alignement vers le bas !
M. René-Paul Savary. - Après le réquisitoire de Thomas Piketty qui estime la TVA sociale inflationniste et aveugle, nous entendons votre analyse sur la baisse du coût du travail. Mais je note un point commun à vos discours : la TVA sociale semble favoriser la compétitivité.
D'autres schémas de financement de la protection sociale existent : la cotisation patronale généralisée et la prise en charge des charges sociales par les entreprises dans leurs frais généraux. Quelle est votre approche de ces deux systèmes ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Trop pour certains, trop peu pour d'autres ! Pour tous, la proposition du Gouvernement n'est pas à la hauteur des enjeux. Thomas Piketty nous a indiqué que 230 milliards d'euros seraient nécessaires pour alléger les entreprises des cotisations d'assurance maladie et de la famille. Les mesures proposées sont infinitésimales et n'auront aucun impact sur la compétitivité.
Comme Michel Vergoz, je me demande pourquoi les règles environnementales et sociales ne sont pas appliquées par l'OMC. Les règles de l'Organisation internationale du travail (OIT) seront-elles un jour sanctionnées, grâce à une coopération entre l'OMC et l'OIT ?
M. Jean Arthuis. - La TVA sociale telle qu'elle est proposée aujourd'hui est, selon moi, un galop d'essai. La tentation d'agiter les peurs m'atterre. Si nous ne faisons rien, nous entamerons une trajectoire de déclin. Je ne suis pas élu pour ça.
S'agissant de l'allègement des cotisations salariales, on a déjà supprimé huit points de cotisations maladie pour créer six points de CSG, étendue aux revenus du patrimoine, du capital et aux revenus fonciers. Dix ans après l'élargissement de l'assiette, il reste 0,75 point à faire disparaître des cotisations salariales. Quant aux deux points de CSG supplémentaires pour les petits commerçants, ils devront être intégralement payés.
Je ne suis pas favorable à la coexistence de trois taux, à 5,5 %, 7 % et 25 %. A l'avenir, il faudra envisager un taux intermédiaire de 12 % pour les activités de proximité - réparation automobile ou restauration - afin d'éviter le développement d'une économie parallèle.
Monsieur Jeannerot, la TVA n'est, selon vous, pas un bon impôt. Mais les cotisations sociales pèsent sur tous, y compris les bénéficiaires de minima sociaux. Au contraire, la TVA sociale est d'abord à la charge des importations et elle allège les exportations. Ceux qui gagnent le plus d'argent sont ceux qui distribuent des produits importés. Renforcer la compétitivité est fondamental. La production au sein des ateliers des prisons françaises n'est-elle pas une forme de délocalisation interne ?
Monsieur Teulade, qu'il s'agisse d'une charge ou d'un investissement, la protection sociale a un coût dont il faut assurer le financement. Les prestations sociales peuvent constituer un filet de sécurité minimal assorti d'un système assurantiel. Elles peuvent aussi être un système de protection générale. J'attends de votre commission qu'elle définisse les parts respectives du système assurantiel et de la protection générale. A mon sens, une partie devra être étatisée, les partenaires sociaux ne pilotant actuellement pas le système.
Sur les réserves de Mme Cohen, je préférerais qu'il soit mis fin aux subventions publiques et que les impôts sur les entreprises soient allégés, d'autant qu'à mon sens, les subventions financent le plus souvent des surcoûts qui leur sont imposés et faussent les prix. En outre, les banques et les assurances ne sont pas soumises à la TVA mais à la taxe sur les salaires atteignant 14 %. Il faut prendre garde à la délocalisation de ces activités, c'est déjà le cas à la City de Londres notamment.
Monsieur Vergoz, il n'est pas question que la mondialisation nous tire vers le bas. Deux types d'Etats coexistent. Les premiers perdent leur activité productive mais maintiennent leur niveau de consommation : ils sont donc caractérisés par leur dette souveraine. Les seconds, dits émergents, produisent plus qu'ils ne consomment : ils accumulent les fonds souverains. A tort, nous avons longtemps cru que l'endettement souverain était infini : il suffit de voir la situation de la Grèce pour comprendre que le souverain est le créancier. En tant que ministre, j'ai été amené à présenter, en G7, notre modèle social : on m'opposait déjà les limites de son financement. Les règles de l'OMC et de l'OIT constituent des gages, mais gardons-nous de tout angélisme. Certaines activités ne peuvent plus être accomplies sur le territoire national. Le G20 peut faire des déclarations, mais n'attendons pas que les grandes organisations règlent nos problèmes !
L'impôt sur la marge bénéficiaire est en fait une taxe sur la valeur ajoutée, c'est-à-dire sur les salaires, les charges sociales et les bénéfices. Faut-il courir le risque de son optimisation par les grands groupes ?
Monsieur Vanlerenberghe, une partie des charges sociales est actuellement payée par la puissance publique, une partie des charges des entreprises est déjà exonérée. Le basculement des charges vers la TVA devrait être, à mon sens, de 50 milliards, soit cinq points de TVA.
Mercredi 22 février 2012
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Loi de finances rectificative pour 2012 - Examen du rapport pour avis
Mme Annie David, présidente. - Nous examinons le rapport d'Yves Daudigny sur le projet de loi de finances rectificatif pour 2012.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Deux articles du projet de loi de finances rectificative pour 2012 intéressent directement notre commission des affaires sociales qui s'en est donc saisie pour avis : l'article 1er, intitulé « dispositions fiscales améliorant la compétitivité des entreprises », qui comporte la mesure dite « TVA sociale » et tous les ajustements qui lui sont liés ; l'article 8, relatif à la contribution supplémentaire à l'apprentissage, dont le barème est augmenté pour les entreprises de plus de 250 salariés qui ne respectent pas un quota d'alternants, lui-même en augmentation.
Avant de vous présenter le dispositif détaillé de ces deux articles et de vous livrer mes principales observations sur leur contenu, je voudrais d'abord insister sur la méthode employée par le Gouvernement.
Nous sommes le 22 février, à deux mois exactement d'une échéance politique majeure pour notre pays, et le Gouvernement nous demande de voter - en urgence - une réforme de grande ampleur, qu'il dit déterminante pour l'avenir de notre économie et la compétitivité de nos entreprises, touchant à la fois la structure de nos prélèvements obligatoires et le mode de financement de notre système de protection sociale. Est-ce bien le moment ?
De deux choses l'une en effet : soit il fallait faire cette réforme avant, et je vous renvoie alors aux rapports Besson et Lagarde de la fin 2007 qui n'étaient clairement pas favorables à la mise en place d'une telle mesure ; soit il faut en faire l'un des éléments phares et prioritaires du programme présidentiel et en prévoir la mise en place après les échéances électorales du printemps. Je note d'ailleurs qu'à l'Assemblée nationale, tant Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales, que Gilles Carrez, rapporteur général du budget, ont vigoureusement soutenu à la tribune que, selon eux, il s'agit là d'une réforme de début de législature. Jean Arthuis ne nous a pas dit autre chose hier.
Deux autres points encore me paraissent contestables dans la méthode :
- premièrement, l'urgence dans laquelle nous débattons. Le projet de collectif a été adopté en Conseil des ministres il y a tout juste deux semaines. La commission des finances de l'Assemblée nationale l'a examiné le jour même - une performance à mettre au crédit de cette commission et de son rapporteur général, mais qui laisse planer un doute sur la nature suffisamment approfondie du travail effectué. Enfin, après le vote hier après-midi par l'Assemblée nationale, notre commission des finances a examiné le texte dès hier soir et notre commission des affaires sociales ce matin, avant d'entamer la discussion en séance publique cet après-midi... La suite du calendrier est elle aussi déjà acquise. Au total, le Parlement aura donc adopté en à peine trois semaines un texte aux conséquences très loin d'être négligeables pour l'ensemble de nos concitoyens. Quel parlementaire, quelle que soit son appartenance politique, peut décemment accepter un tel passage en force ? Et qui plus est, sur des sujets aussi importants ? Ce sont les fondements même de notre démocratie que l'on remet en question : les Parlements n'ont-ils pas été créés précisément pour examiner et voter en toute indépendance et sérénité les lois budgétaires des Etats ?
- deuxième source d'interrogation : les dates d'entrée en vigueur des réformes qu'on nous demande d'adopter. La mesure « TVA sociale » est prévue pour s'appliquer à compter du 1er octobre prochain : comment dès lors justifier l'urgence d'un vote avant les élections ? Sauf bien sûr à croire son promoteur qui attend un rebond de consommation du seul fait de l'annonce de la mesure... alors que, dans le même temps, il se dit persuadé qu'aucune hausse des prix n'interviendra après l'augmentation de la TVA ! Il en va de même pour la mesure apprentissage : l'article 8 prévoit de relever à 5 % le quota d'alternants dans l'effectif de l'entreprise à compter des rémunérations versées en 2015, c'est-à-dire pour le calcul de la taxe payée en 2016 ! Qui peut comprendre, là encore, l'urgence de la réforme ?
Ces motifs pourraient à eux seuls justifier le rejet du collectif et le dépôt d'une question préalable, ce qu'a fait hier soir la commission des finances. Je ne m'en tiendrai toutefois pas à ces seuls arguments et voudrai donc maintenant vous parler du contenu des deux articles qui nous concernent.
L'article « TVA sociale » tout d'abord.
Il s'agit d'une mesure à plusieurs facettes :
- le premier volet est une baisse des cotisations sociales patronales affectées à la branche famille. Actuellement, celles-ci s'élèvent à 5,4 % de la totalité des salaires versés par les entreprises. Le dispositif proposé tend à les supprimer complètement jusqu'à 2,1 Smic, puis à prévoir leur diminution progressive jusqu'à 2,4 Smic. Ce faisant, la mesure étend le dispositif d'allégement général dit « Fillon » sur les bas salaires. Elle vise en particulier l'emploi industriel. Au total, la baisse de cotisations envisagée atteindrait 13,2 milliards d'euros ;
- pour compenser cette perte de recettes pour la branche famille, deux ressources sont mobilisées : la TVA et la CSG. Le taux normal de la TVA serait ainsi relevé de 1,6 point, passant de 19,6 % à 21,2 %, ce qui rapporterait 10,6 milliards d'euros. Le taux de la CSG sur les revenus du capital serait relevé de deux points, passant de 8,2 % à 10,2 %, pour un produit attendu de 2,6 milliards d'euros ;
- un compte de concours financiers est créé pour permettre le suivi des versements de l'Etat aux caisses de sécurité sociale. En effet, outre l'affectation d'une fraction de 6,7 % de la TVA à la branche famille, il est prévu de supprimer les affectations de TVA particulières, sur les produits pharmaceutiques, le tabac ou l'alcool, qui alimentent aujourd'hui les comptes de la Cnam et de l'ensemble des caisses au titre des exonérations de charges sur les heures supplémentaires, et de les remplacer par deux nouvelles fractions de la TVA nette.
Je passe sur les autres mesures de moindre importance contenues dans cet article. Vous en trouverez l'analyse dans le rapport écrit.
L'Assemblée nationale a adopté plusieurs amendements dont deux me paraissent devoir être mentionnés : la substitution de la hausse du prélèvement social portant sur les revenus du patrimoine et de placement à l'augmentation de la CSG sur ces mêmes revenus ; la répercussion de la modification du taux normal de TVA sur le taux de remboursement forfaitaire du FCTVA, deux compléments judicieux.
Cela étant, la mesure en elle-même, c'est-à-dire la mise en place d'une TVA curieusement dite « sociale », ne me paraît pas acceptable. En effet, malgré tous les démentis du Gouvernement, il est clair que la hausse de la TVA aura un effet inflationniste, au moins partiel, - cela a toujours été le cas, en France comme dans les autres pays lorsqu'on a augmenté les taux - et donc un impact sur la consommation des ménages et, par voie de conséquence, sur la croissance. N'est-ce pas l'inverse de l'effet recherché ?
Par ailleurs, comme nous l'avons toujours dit, la TVA est un impôt injuste qui touche particulièrement les plus modestes dont la totalité du revenu est consommée. Tous ceux qui aujourd'hui ont des fins de mois difficiles auront, dès la rentrée, des fins de mois impossibles !
L'effet attendu en termes de compétitivité semble aussi devoir être relativisé. Thomas Piketty nous a dit qu'il n'aurait qu'un temps limité car nos partenaires et voisins européens s'adapteront vite au nouveau contexte. Jean Arthuis a, de son côté, assimilé la mesure à une dévaluation ; or, chacun sait que les dévaluations n'ont qu'un effet à court terme. Notre problème de compétitivité est en effet d'une tout autre nature : il résulte d'un retard en termes de création, de recherche, d'innovation. C'est d'une vraie politique industrielle dont notre pays a besoin aujourd'hui !
Enfin, que dire de l'objectif affiché par le Gouvernement qui attend de la mesure 100 000 créations d'emplois ! Même dans les rapports de 2007, rédigés par deux membres du Gouvernement de l'époque, Eric Besson et Christine Lagarde, on ne tablait pas sur plus de 30 000 à 40 000 emplois créés et cela dans un délai de plusieurs années.
Vous le voyez, mes chers collègues, quel que soit l'angle sous lequel on examine la réforme proposée - qui, je ne le conteste pas, peut avoir des aspects, en théorie, séduisants - on est conduit à douter fortement de son efficacité. Il me paraît donc impossible de l'adopter aujourd'hui en l'état et d'imposer à nos concitoyens une hausse aveugle de la TVA.
J'ajouterai encore un mot pour dire qu'aucune garantie réelle n'est apportée pour une compensation à l'euro près à la branche famille de la perte d'une partie de ses recettes. Certes un rapport au Parlement, faisant le bilan des comptes, est prévu. Mais notre commission a déjà connu de telles situations dans le passé. On en revient toujours au fait que la sécurité sociale est une variable d'ajustement commode pour le budget de l'Etat ! Dans la situation dégradée des comptes de la branche famille, nous ne pouvons cautionner une telle légèreté.
J'en viens à l'article 8 sur la réforme de la contribution supplémentaire à l'apprentissage.
Cet article, d'une moindre ampleur, n'en est pas moins surprenant car il entrera pleinement en vigueur en 2016 seulement... Une fois de plus, il s'agit avant tout d'affichage ! Or, je vous le rappelle, nous avons réformé ce mécanisme de soutien à l'apprentissage il y a quelques mois à peine, en juillet dernier, lorsque nous avons décidé de le rendre progressif afin de récompenser les entreprises qui augmentent leur nombre d'alternants ou dépassent l'obligation légale, soit actuellement 4 % de salariés en alternance.
La mesure proposée relève à 5 % ce quota d'alternants à compter de 2015. Elle prévoit également une modification des taux de la contribution, en fonction de l'écart des entreprises au seuil fixé par la loi.
N'aurait-il pas été plus pertinent d'attendre quelques mois la complète application de la loi de juillet dernier et d'en effectuer une évaluation sérieuse avant de modifier ses dispositions ? Tout cela milite en faveur du rejet de cet article. C'est pourquoi, je vous propose de nous rallier à la motion adoptée hier soir par la commission des finances et de nous associer au vote de la question préalable qu'elle a décidé de présenter cet après-midi au Sénat.
Mme Isabelle Pasquet, rapporteure pour la branche famille du projet de loi de financement de la sécurité sociale. - Une fois de plus, la branche famille sert de variable d'ajustement. J'avais déjà émis des doutes et des inquiétudes sur sa pérennité financière lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 : alors qu'elle était traditionnellement bénéficiaire, la branche famille connaît depuis plusieurs années une trajectoire déficitaire. Le projet de TVA sociale renforce mes inquiétudes. Dans la période de crise que nous connaissons, comment va-t-on parvenir à financer les prestations des familles qui sont de plus en plus nombreuses à être en situation de précarité ?
M. René-Paul Savary. - Nous débattons aujourd'hui d'un texte avant tout technique. Qui peut contester le fait que le coût du travail en France est trop élevé ? Qui ne souhaite pas éviter les délocalisations ? Certes, le coût du travail n'est qu'un élément de la compétitivité française. D'autres mesures ont été mises en oeuvre comme le grand emprunt, la réforme de la taxe professionnelle ou le crédit d'impôt recherche. Il ne s'agit pas de réformer le financement de la protection sociale, sujet sur lequel nous devrons revenir pour trouver des solutions globales. Les auditions par la commission des affaires sociales, de Thomas Piketty et Jean Arthuis, ouvrent des pistes pour une réforme à long terme du financement de la protection sociale. Mais dans la période de crise actuelle, nous devons prendre des mesures immédiates. Si les esprits n'étaient sans doute pas assez mûrs il y a quelques années pour adopter la TVA sociale, ce n'est plus le cas maintenant. Pour cette raison, nous voterons contre l'adoption de la question préalable.
Mme Patricia Schillinger. - Je souhaiterais faire remonter les préoccupations de certaines collectivités territoriales. Les agents de la fonction publique ne seront pas concernés par la baisse des charges sociales. Pouvez-vous m'éclairer sur ce point ?
M. Ronan Kerdraon. - Je partage entièrement les propos du rapporteur général, tant sur la méthode que sur le fond. Le Président de la République nous a promis une idée par jour jusqu'à la fin de la mandature, c'est ce à quoi nous assistons. Cependant, lorsqu'on a des idées, il faut savoir les mettre en perspective : pourquoi nous présenter ce projet maintenant ? Ne soyons pas dupes. La crise existe depuis longtemps et le Gouvernement pouvait prendre des mesures bien avant, ce qui aurait laissé au Parlement le temps de les examiner. Nous avons adopté hier la proposition de loi relative aux recherches impliquant la personne humaine, texte pour lequel la navette parlementaire a duré trois ans. Dans le cas présent, il s'agit de faire payer les consommateurs pour alléger les charges des entreprises. Je trouve cela déplorable dans le contexte actuel.
Mme Isabelle Debré. - L'initiative de la France n'est pas isolée. Le Danemark et l'Allemagne, qui ont des taux de chômage bien moins élevés que le nôtre, ont mis en place une TVA anti-délocalisations ou TVA de compétitivité. La Commission européenne ne recommande pas autre chose, en encourageant le développement des taxes carbone et des impôts sur la consommation. La déclaration finale du sommet européen du 30 janvier 2012 souligne la nécessité d'alléger le coût du travail. Nous devons trouver les moyens d'être plus compétitifs dans le monde actuel.
Qui seront les salariés concernés par la baisse des charges ? Il s'agit particulièrement du monde agricole et de l'industrie. Je pense notamment à l'industrie automobile dont 85 % des salariés devraient être concernés. Or nous savons bien que l'industrie automobile tend à délocaliser ses activités.
Quand j'observe la situation de la Grèce, de l'Italie, du Portugal ou de l'Espagne, j'estime qu'il faut agir au plus vite. Il est donc légitime que le Président de la République et le Gouvernement continuent de travailler, même en période électorale.
Mme Catherine Deroche. - La TVA sociale constitue une mesure parmi d'autres pour renforcer notre compétitivité, j'y suis favorable. Le texte proposé concerne les charges patronales, il s'agit d'un premier pas. Lorsque j'étais en campagne avec Christophe Béchu dans notre département, nous avons très souvent évoqué la TVA sociale. Il s'agit d'un sujet technique, difficile à expliquer, mais qui, au final, est assez bien compris. Une question récurrente revenait : aurez-vous le courage nécessaire pour la mettre en oeuvre ? Aujourd'hui, l'augmentation de TVA proposée est mesurée : elle ne touche pas les taux réduits et ne s'applique donc pas aux produits de première nécessité. Si j'attendais cette mesure depuis longtemps, je ne suis pas étonnée par le calendrier. Contrairement à Ronan Kerdraon lorsqu'il évoque la proposition de loi relative aux recherches sur la personne, je ne pense pas que nous puissions imposer aux entreprises des délais démesurés pour la mise en oeuvre d'une telle réforme.
Mme Samia Ghali. - Les propos de nos collègues UMP me semblent en contradiction avec ceux du Président de la République. Ce dernier souhaite se rapprocher des Français. Pourquoi alors ne pas organiser de référendum sur la TVA sociale ? Il existe aujourd'hui un fossé entre ses propos et les actes de son Gouvernement.
Par ailleurs, je pense que les chefs d'entreprise se plaignent moins du manque de rapidité des réformes que de l'instabilité législative. Nous devons prendre davantage notre temps car les réformes que nous votons engagent le pays dans son ensemble.
Mme Colette Giudicelli. - En 2007, personne ne pouvait anticiper l'impact qu'aurait la crise. Il y a une grande différence entre ce que nous souhaitions faire alors et ce qui est aujourd'hui possible. Cela s'applique aussi bien à nous sénateurs qu'au Président de la République. Quant à organiser un référendum, cela ne paraît pas adapté. Il faudrait alors soumettre chaque budget à référendum ?
J'admets que l'augmentation de la TVA peut sembler importante et qu'une hausse des prix, même modérée, est loin d'être négligeable pour les Français.
Le rapporteur général n'a pas parlé de la taxe sur les transactions financières, qui permet de faire contribuer le secteur financier au redressement de nos finances publiques. Il s'agit pourtant d'un élément important de ce collectif budgétaire. Concernant la méthode proposée, je trouve regrettable de demander l'adoption d'une question préalable sur un sujet aussi important, ce qui empêche tout débat.
Mme Isabelle Pasquet.- Isabelle Debré parle de TVA anti-délocalisations. Est-ce que cela veut dire qu'une telle mesure inciterait Renault à construire son usine en France plutôt qu'à Tanger ? Je reste dubitative.
M. Gilbert Barbier. - Je regrette que notre assemblée ne puisse débattre plus avant et utilise cet artifice que constitue la question préalable. On peut certes contester la date à laquelle nous est présenté ce projet de loi. Je voterai cependant contre la question préalable. Je rappellerai également qu'avec Alain Vasselle, nous avons essayé de longue date de rééquilibrer nos comptes sociaux à travers une augmentation de la CSG. Or le projet de loi qui nous est présenté propose une augmentation de deux points de la CSG sur les revenus du capital. La majorité sénatoriale pourrait au moins être d'accord avec cette mesure. Je regrette qu'on ne puisse décortiquer ce projet de loi afin d'aller plus au fond des choses et d'adopter des mesures permettant de rééquilibrer les comptes sociaux.
M. Jacky Le Menn. - Si nous sommes tous soucieux de revoir le mode de financement de notre protection sociale, deux approches économiques s'opposent. L'élection présidentielle constitue un moment fort pour confronter ces deux approches et permettre aux Français de trancher. J'estime pour ma part qu'il y a une erreur économique à vouloir transférer les impôts des entreprises sur les ménages : cela leur fait perdre du pouvoir d'achat et enfonce un peu plus notre pays dans la crise. La ministre du budget explique que la TVA sociale permettra de créer environ 100 000 emplois. La rapporteure générale de la commission des finances table plutôt sur une fourchette allant de 40 000 emplois non détruits à 10 000 emplois créés. En outre, le Gouvernement voit dans le coût du travail l'élément central de notre compétitivité. Cela est discutable. L'Allemagne n'est d'ailleurs pas si éloignée que nous du point de vue du coût horaire du travail.
Je crains qu'on ne confonde ici vitesse et précipitation, d'autant que les mesures proposées n'auront d'effet qu'après l'élection présidentielle. S'il y a urgence à revoir notre système de financement de la protection sociale, il faudrait profiter de la période présidentielle pour permettre à nos concitoyens de trancher entre les deux approches qui leur sont proposées.
M. Claude Jeannerot. - La minorité sénatoriale considère que nous abaissons le rôle du Parlement en ayant recours à la question préalable. Ce raisonnement, qui a déjà été utilisé de façon inutilement agressive lors de l'examen de la proposition de loi sur le transport aérien, me semble faux. Opposer la question préalable constitue un acte politique fort : il s'agit d'affirmer que les conditions nécessaires pour le débat ne sont pas réunies. Nous avons justement trop de respect pour le Parlement pour nous contenter de faux semblants. Vous confondez l'empirisme, c'est-à-dire une réponse mécanique ne s'inscrivant pas dans une réflexion d'ensemble, et pragmatisme. Refuser aujourd'hui le débat, c'est respecter le Sénat.
M. Jean-Noël Cardoux. - Au regard de l'agressivité des débats qui ont eu lieu sur la proposition de loi relative aux licenciements boursiers, je serais tenté de dire « un partout, balle au centre ».
La TVA sociale permet de corriger une anomalie historique qui consiste à faire peser le financement de la branche famille sur les entreprises. En outre, nous oublions que la mesure proposée n'entraîne pas une augmentation sèche de la TVA mais aura des conséquences sur les coûts de revient des entreprises. Enfin, je souligne que la TVA peut être un impôt juste lorsque l'on tient compte du panier de biens du consommateur. Nous devons donner aujourd'hui des signaux forts. Il s'agit d'un premier pas qu'il faudra compléter par la suite en jouant sur les taux réduits ou en créant un taux plus élevé pour les produits haut de gamme. Tout l'enjeu est de parvenir à utiliser de façon intelligente le levier de la TVA. Je note par ailleurs qu'il y a encore quelques temps, certains amis de la majorité sénatoriale étaient favorables à une TVA anti-délocalisations.
Mme Muguette Dini. - Je regrette que la discussion sur la TVA sociale arrive aussi tard dans la mandature et sans une étude d'impact réelle. Le groupe centriste partage de longue date la position de Jean Arthuis et, comme lui, nous considérons que le présent projet de loi ne va pas suffisamment loin et devrait s'inscrire dans une réforme beaucoup plus globale du financement de la protection sociale. Je voterai cependant contre la question préalable.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Nous sommes certes à deux mois de l'élection présidentielle mais la gravité de la situation économique nous impose de continuer à travailler. Pourquoi se priver des gains de compétitivité que permettrait la TVA sociale ? Je suis convaincue que cette question fera bientôt l'objet d'un consensus.
Mme Michelle Meunier. - Il s'agit de tout sauf d'une mesure technique mais bien d'une réforme révélant deux positions politiques opposées. Je partage les inquiétudes qui ont été exprimées concernant la situation financière de la branche famille : aucune garantie ne permet d'assurer la neutralité de la réforme sur son financement. Je suis également sensible aux arguments de Claude Jeannerot sur le respect du travail législatif. Compte tenu de l'ampleur du sujet, il serait nécessaire d'être en mesure de travailler correctement.
Mme Isabelle Debré. - Pour répondre à la question d'Isabelle Pasquet, je ne suis pas sûre que la TVA sociale empêcherait une telle délocalisation. Je me souviens cependant qu'un précédent candidat à l'élection présidentielle avait déclaré : « contre le chômage, on a tout essayé ». De notre côté, nous continuons d'essayer et de travailler.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Nous connaissons tous la situation économique de la France. Son déficit commercial s'élève à 70 milliards d'euros, un record jamais atteint. La dette de la Cades atteint 140 milliards d'euros. La France est aujourd'hui la seule démocratie occidentale à financer à crédit sa protection sociale. Comme le disait Gilbert Barbier, il faut retourner à l'équilibre des comptes sociaux.
Nous voulons tous donner plus de compétitivité à notre industrie mais nous n'avons pas la même vision de l'impact qu'auraient des mesures portant sur le coût du travail. Ce n'est pas seulement le coût du travail qui explique notre déficit de compétitivité vis-à-vis de l'Allemagne et la TVA sociale n'aura que peu d'effets. Si l'on prend l'exemple de l'industrie automobile, une Laguna coûtera un peu moins cher et une Audi un peu plus cher. Est-ce que cela veut dire que les consommateurs français n'achèteront plus de voitures allemandes ?
Concernant les circonstances dans lesquelles cette réforme nous est présentée, la ficelle est un peu grosse : certes, il faut agir en fonction de la conjoncture, mais pas uniquement du calendrier électoral. Le Gouvernement veut montrer qu'il continue de travailler en ouvrant des chantiers dont la mise en oeuvre n'interviendra que dans plusieurs mois voire plusieurs années.
Comme je l'ai écrit dans mon rapport, il y a dans la TVA sociale des aspects intellectuellement intéressants. Mais si j'ai écouté hier Jean Arthuis avec intérêt, les bienfaits qu'il envisage de la mesure ne peuvent se réaliser pleinement que dans un monde économique idéal. Or c'est loin d'être le cas. Face à la baisse des charges sociales, un chef d'entreprise peut aussi bien choisir de diminuer ses prix que d'augmenter ses marges, d'investir ou d'augmenter les salaires.
Le Medef proposait de diminuer les cotisations salariales en plus des cotisations patronales. Le Gouvernement n'a pas fait ce choix : les salariés ne bénéficieront donc pas directement de la baisse de charges mais seront pleinement pénalisés en tant que consommateurs par la hausse des prix.
Pour répondre à Patricia Schillinger, les salariés du secteur public, qui sont à l'abri de toute concurrence internationale, ne sont en effet pas concernés par la mesure. Ils subiront cependant de plein fouet la hausse des prix.
Pour répondre à Gilbert Barbier, la TVA sociale n'apporte aucune réponse à la question du financement de la protection sociale puisque son impact sera, dans le meilleur des cas, neutre sur le niveau des recettes.
Concernant l'intervention de Jean-Noël Cardoux, il n'est pas si simple de moduler le taux de TVA en fonction des produits. Nous sommes en effet liés sur ce point par les contraintes communautaires. S'agissant de l'anomalie historique qu'il conviendrait de corriger, je rappelle que notre système de protection sociale a été pensé à la fin de la Seconde Guerre mondiale sur un mode contributif et assurantiel, à une époque de plein emploi. Les évolutions intervenues ces dernières années, notamment la fiscalisation d'une partie des recettes de la protection sociale, nous invitent à le faire évoluer. Il s'agit là d'un débat bien plus général.
J'acquiesce totalement à l'intervention de Claude Jeannerot sur le rôle du Parlement. Respecter le Parlement, c'est tenir compte des calendriers électoraux et respecter le temps d'analyse nécessaire.
Gilbert Barbier soulignait que certaines propositions du collectif budgétaire pourraient nous convenir. Il est cependant difficile de sélectionner certaines dispositions au sein de cet article « fourre-tout » qu'est l'article premier. Il est plus clair de refuser en bloc la démarche du Gouvernement.
Colette Giudicelli a parlé de la taxe sur les transactions financières. Il s'agit en effet d'une mesure intéressante mais qui n'est pas du ressort de la commission des affaires sociales.
Sur la question de la compétitivité dont personne ne remet en cause le sérieux, un document de la Commission européenne a été présenté hier à la commission des finances qui place la France en deuxième position en termes de perte de parts de marché sur les cinq dernières années, derrière la Grèce et à égalité avec Chypre. L'Allemagne a certes perdu de la compétitivité mais dans une moindre mesure.
Je terminerai sur ce qui nous a été avancé concernant la difficulté à mettre en oeuvre immédiatement la TVA sociale. Je remarque que le projet de loi de finances pour 2012 prévoyait une augmentation du taux réduit de TVA qui s'est appliquée dès le mois de janvier dernier. S'il est aussi urgent de mettre en place la TVA sociale, pourquoi reporter sa mise en application au mois d'octobre? Aucun argument technique ne semble en tout cas s'opposer à son application rapide.
La commission des affaires sociales décide qu'elle votera la motion tendant à opposer la question préalable présentée par la commission des finances sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012.
Evaluation de l'impact du plan autisme 2008-2010 - Audition de Mme Valérie Létard
Mme Annie David, présidente. - Avant d'entendre Valérie Létard, je souhaite la bienvenue à notre collègue de la commission de la culture, Françoise Laborde, qui s'intéresse de très près au sujet de l'autisme et que j'ai invitée à assister à notre réunion.
Mme Valérie Létard. - La ministre des solidarités, Roselyne Bachelot-Narquin, m'a confié, au printemps dernier, une mission d'évaluation du troisième plan autisme, près de quatre ans après le début de sa mise en oeuvre. L'objectif était d'établir un premier point d'étape sur les différentes mesures préconisées en 2008. Ont-elles répondu aux attentes des familles en souffrance dans les domaines du diagnostic précoce ou de l'accompagnement des jeunes adultes ? Le rapprochement avec le handicap a été confirmé. Dans la perspective d'un prochain plan, faudra-t-il inventer de nouveaux dispositifs ou réactiver les outils en place ?
D'abord, le constat. Les chiffres parlent d'eux-mêmes sur la nécessité de donner un coup d'accélérateur à l'accompagnement de l'autisme. En effet, 5 000 à 8 000 enfants naissent chaque année atteints d'autisme ou de troubles envahissants du développement (TED). Aucune enquête épidémiologique poussée n'a jamais été menée en raison des difficultés à établir le diagnostic. On estime néanmoins que la France compte entre 350 000 et 600 000 autistes. A minima, le taux de prévalence est d'un enfant sur cent cinquante ; une fille pour quatre garçons serait atteinte d'autisme ou de TED. Comparable par son ampleur à la maladie d'Alzheimer, l'autisme représente une charge très lourde pour les familles.
Grâce au plan 2008-2010, de réelles avancées ont eu lieu. Au niveau quantitatif, de nouveaux moyens ont été déployés : 187 millions d'euros, dont 173 affectés à la création de 4 100 places supplémentaires en établissements spécialisés. Si 1 672 places sont effectivement installées, toutes n'ont pas encore vu le jour en raison du délai entre l'obtention de l'autorisation et leur ouverture effective. Un effort particulier a aussi été porté sur l'accompagnement hors établissement, puisque 711 places de services d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) ont été autorisées en trois ans. Le plan n'en prévoyait que six cents en cinq ans. Les objectifs chiffrés ont donc été atteints. En outre, vingt-quatre structures expérimentales ont été mises en place, ce qui représente 381 places pour un coût global de 20 millions d'euros. Le montant par an et par enfant s'y élève à 50 000 euros. S'y exercent plusieurs méthodes, parmi lesquelles ABA, Teacch et Makaton, dans le but de fournir aux enfants un accompagnement spécifique. Nous sommes actuellement dans une phase d'expérimentation ; il faudra attendre plusieurs années pour dresser le bilan de ces centres.
Au niveau qualitatif, la Haute Autorité de santé (HAS) a validé, en mars 2010, le socle de connaissances partagé, qui donne pour la première fois une définition de l'autisme et des TED, en précisant les spécificités du fonctionnement d'une personne autiste et les outils de repérage, de diagnostic et de suivi de l'évolution de son état de santé. A la différence des Etats-Unis et des autres Etats européens, l'autisme était en France jusqu'alors assimilé à une psychose infantile, classée parmi les maladies mentales. La prise en charge était pilotée par la psychiatrie et la psychanalyse. La validation du socle de connaissances a constitué un point de départ pour un nouveau mode de suivi, qui utilise tous les outils disponibles pour accompagner individuellement les enfants et les adultes autistes. A la suite de mes auditions avec les différents acteurs, il m'est apparu nécessaire de nous inspirer des exemples étrangers pour cheminer vers un accompagnement individualisé, dit pluriméthode. Un autiste atteint d'un trouble sévère ne doit ainsi pas être pris en charge de la même façon qu'un enfant atteint du syndrome d'Asperger. Quand le premier devra être accueilli dans un établissement hospitalier spécialisé, le second pourra, avec l'aide d'un auxiliaire de vie scolaire (AVS), bénéficier de méthodes comportementales à l'école et dans sa famille.
Cependant, les délais restent insupportables pour les familles. Dix mois sont nécessaires pour accéder au dépistage dans un centre de ressources autisme (CRA) et un an pour obtenir une place dans une structure spécialisée. Dans le Nord-Pas-de-Calais par exemple, ce délai est porté à deux ans et cent cinquante enfants attendent d'être dépistés. L'approche des CRA est conforme à la nouvelle définition de l'autisme. Très recherchés pour leur diagnostic, ils sont engorgés et s'écartent de leur mission fondamentale d'information et de diffusion des bonnes pratiques. Enfin, le délai d'examen des plans d'aide par les commissions d'accès aux droits varie de six à dix-huit mois.
En outre, le diagnostic n'est pas encore assez précoce, ce qui se traduit par une diminution des chances de l'enfant de gagner en autonomie. En moyenne, un enfant est dépisté vers l'âge de six ans, alors que des outils existent pour un dépistage dès l'âge de trois ans.
De plus, certaines mesures n'ont pas donné le résultat escompté. L'étude de l'épidémiologie de l'autisme n'en est qu'à ses balbutiements. En février 2010, l'institut national de veille sanitaire (InVS) et l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ont lancé un programme d'élaboration d'un protocole d'études épidémiologiques. Mais on ne dispose pas encore d'outils épidémiologiques opérationnels. Or, le premier objectif du plan était de mieux connaître l'autisme.
La formation des professionnels est, quant à elle, encore insuffisante et le pilotage, au niveau national, de la politique de formation à l'autisme manque de cohérence.
Enfin, en raison du retard de la validation de la définition de l'autisme, d'autres mesures listées par le plan n'ont, jusqu'à présent, pas été suivies d'effet : l'évolution des métiers du médico-social, la prise en charge des adultes, l'accompagnement dans l'emploi et le logement ou l'accès aux soins somatiques.
Après l'élan du démarrage, le plan s'est progressivement essoufflé. Le comité national réunissant les représentants de la psychiatrie, du secteur médico-social, de l'éducation nationale et les associations familiales, ne se réunit plus depuis deux ans. Or, il constituait le lieu du dialogue et de l'évaluation entre les acteurs du secteur. Nous perdons du temps. Un travail supplémentaire de définition est nécessaire, notamment sur le contenu de la formation des AVS. Je vous propose de définir cinq champs de travail.
D'abord, il faut piloter, c'est-à-dire relancer une gouvernance dynamique et cohérente du plan. C'est en apaisant les différences d'approches que la nouvelle définition de l'autisme pourra servir de point de départ au suivi individualisé des enfants. Après le pilotage interministériel, le plan doit se décliner au niveau régional à travers les agences régionales de santé (ARS) et les CRA.
Deuxième axe, la connaissance. Il faut s'appuyer sur l'état des connaissances partagées pour mettre en place les prises en charge individualisées.
Il est nécessaire également de former, en se fondant sur la définition acceptée par la communauté internationale. Un groupe de travail dédié à la formation doit réunir tous les acteurs. Sans forcément déployer de nouveaux moyens, il convient d'adapter la formation continue à tous professionnels, de mieux encadrer l'agrément des formateurs et d'activer les formations en place.
Un autre champ d'action est celui de l'accompagnement dans le parcours de vie. En l'absence de diffusion des outils d'accompagnement sur le territoire national, aucun modèle national d'insertion professionnelle ni d'accès au logement adapté n'est disponible. C'est pourquoi il est important que l'autisme soit, cette année, élevé au rang de Grande cause nationale.
Enfin, le dernier axe consiste à diversifier la palette des solutions d'accueil et d'accompagnement. Les méthodes doivent être adaptées à la forme d'autisme et à l'environnement de l'individu.
En réactivant le comité national, nous serons en mesure de dépassionner le débat. En nous appuyant sur le socle de connaissances partagé, nous pourrons tourner la page des modes de prise en charge traditionnels, dans l'intérêt des personnes autistes.
Mme Annie David, présidente. - Votre rapport propose trente mesures et cinquante recommandations. Vous dites que la définition de l'autisme est fondamentale pour déterminer les modalités de prise en charge. Pouvez-vous nous préciser les dispositifs d'accompagnement des familles ?
M. Georges Labazée. - En tant que président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, je travaille actuellement sur le schéma départemental de l'autonomie, en partenariat avec l'ARS. Il concerne à la fois les personnes âgées, autistes et handicapées et sera adopté en juin prochain. Quels moyens seront donnés aux ARS pour la mise en oeuvre de ce schéma ?
A mesure que nous l'établissons, nous constatons le manque de porteurs de projets solides et de périmètre juridique clair. A la différence du handicap et de la dépendance, la compétence des collectivités territoriales en matière d'autisme est floue. Alors que les familles souhaitent sortir des grandes structures au profit d'établissements plus humains, quels types de personnel seront reconnus et validés par les ARS ?
Enfin, des programmes de formation sur l'autisme se développent, par exemple entre les universités de Bilbao et des pays de l'Adour. Comment encourager ce type de formation universitaire ?
M. Gilbert Barbier. - Quelles sont les parts respectives de l'autisme et des TED dans les statistiques que vous nous avez exposées ? La différence est de taille puisque des TED sont diagnostiqués comme de l'autisme, qualification dont on connaît les effets culpabilisants sur les parents. Je suis étonné que le dépistage mène à un classement des enfants dans une catégorie donnée. Il devrait être évolutif.
Le conflit relatif à la mainmise de la psychiatrie, en particulier de la psychanalyse, sur l'autisme a été porté sur la place publique. La décision de la HAS de mars 2010 constitue une avancée, mais doit être suivie d'autres publications scientifiques. Quelle est votre position sur l'approche comportementale, jusqu'à présent cantonnée à un rôle subalterne ?
Il me semble que la connaissance devrait figurer avant le pilotage dans le classement de vos axes d'action. On est loin de tout savoir : les recherches génétiques n'en sont qu'au stade du balbutiement.
Mme Catherine Génisson. - En France comme ailleurs, l'autisme doit être abordé de manière empirique. La recherche est la priorité et la condition pour mettre en oeuvre une démarche épidémiologique. Je me félicite du changement de définition de l'autisme. Mais il n'appartient pas aux politiques d'entrer dans le débat médical. La recherche doit se poursuivre : comment, par exemple, expliquer la différence de prévalence entre les filles et les garçons ?
Les autistes et leur famille vivent des drames. On a insisté sur l'importance de la diversification de la formation des professionnels. Il faut également donner des clés aux parents, qui se trouvent souvent dans un état d'incompréhension et de désespérance. Une approche diversifiée et adaptée à chaque catégorie sociale est donc également nécessaire.
Sans entrer dans un débat politicien, je pense que l'autisme est réellement une grande cause nationale. Il touche 600 000 personnes, sans que les moyens suffisants soient fournis pour améliorer le dépistage précoce et le suivi individuel. Ainsi, chaque année, des AVS sont contraints de quitter leur poste, quand la permanence du lien est en l'espèce si fondamentale. Comment traduire le plan national au niveau régional, puis individuel ? Peut-être pouvons-nous nous inspirer des lieux de vie communs qui, à Arras par exemple, fournissent à la fois un suivi médico-social et médical ainsi qu'un logement adapté ?
Mme Samia Ghali. - Certains AVS travaillent douze heures par semaine : ce n'est pas suffisant. Le contingent horaire des AVS doit être augmenté et leur emploi pérennisé.
L'enfant autiste est souvent renvoyé dans sa famille avant tout dépistage ou accompagnement. On a créé 4 100 places pour 600 000 personnes, avez-vous dit : l'écart est effrayant ! En outre, les vingt-quatre structures expérimentales se situent-elles exclusivement en région parisienne ? C'est une discrimination territoriale de plus.
Enfin, alors qu'une famille aisée trouvera toujours des solutions de prise en charge de l'enfant autiste, une famille défavorisée ou monoparentale sera totalement démunie.
Mme Valérie Létard. - Il est vrai que certaines familles sont contraintes de déménager pour se rapprocher des structures adaptées.
Mme Gisèle Printz. - Comment dépiste-t-on l'autisme ? Les enseignants et les médecins sont-ils formés pour identifier un enfant autiste ?
Mme Claire-Lise Campion. - Nous devons garder vos chiffres à l'esprit. Beaucoup de familles, désespérées, sont livrées à elles-mêmes. Certaines doivent en effet déménager, j'ai en mémoire l'exemple d'un couple de fonctionnaires, dont l'un a été contraint de demander sa mutation en zone frontalière, afin que leur enfant autiste puisse bénéficier des méthodes utilisées en Belgique.
La connaissance doit constituer la priorité. Je comprends la volonté de Valérie Létard de mettre l'accent sur le pilotage, qui est fondamental pour la recherche. La validation de la nouvelle définition de l'autisme par la HAS est un progrès. Mais il est regrettable que le comité national ne se réunisse plus depuis deux ans. Ce sont autant d'années perdues pour les autistes et leurs familles ! Une volonté politique nationale forte est indispensable pour que les moyens, notamment en matière de scolarisation, soient renforcés. Il est urgent de rattraper notre retard qui, malgré le plan autisme et la Grande cause nationale, continue de se creuser.
Au sein de la commission pour l'application des lois, nous étudions actuellement l'application de loi handicap votée en 2005. A l'époque, aucun distinguo n'avait été fait entre l'autisme et le handicap. En ma qualité de corapporteure, je veillerai à ce que l'autisme entre dans le champ de notre rapport.
Mme Patricia Schillinger. - Les chiffres annoncés sont effectivement inquiétants. Les parents sont souvent poussés au nomadisme : ils passent de médecin en médecin, parfois dans des territoires désertés par les pédiatres. Les charges peuvent s'élever à 3 000 euros par mois pour certaines familles, qui doivent chercher des financements par elles-mêmes. Nous devons leur donner des réponses sans attendre, en nous inspirant du modèle allemand par exemple.
M. René-Paul Savary. - N'oublions pas le rôle du conseil général : il assure souvent l'hébergement des personnes autistes via la prestation de compensation du handicap (PCH). Les plans de compensation du handicap vont jusqu'à 10 000 euros par personne et par mois, car les personnes autistes peuvent être polyhandicapés. Il est temps de reconnaître l'engagement du conseil général dans ce domaine.
Mme Catherine Génisson. - Il faut clarifier ce qui relève du conseil général, de la Grande cause nationale et des ARS. Ces dernières doivent davantage s'approprier cette mission.
Mme Michelle Meunier. - Certains mots ont un tel poids qu'il faut se garder de les extraire de leur contexte. C'est le cas de l'autisme. Il est pertinent d'appréhender chaque personne autiste en fonction de sa place au sein de la famille, de l'école et de la cité. Je suis également favorable à la démarche pluriméthode. Comme Gilbert Barbier, je pense qu'il est temps de mettre un terme aux trente ans de guerre qui oppose les comportementalistes aux psychanalystes. Mais comment appliquer de manière pragmatique cette décision politique ?
Deux pistes doivent être explorées : la sensibilisation des professionnels de la petite enfance au dépistage de l'autisme et la mise en place d'une véritable guidance parentale grâce au renforcement de l'information.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Comme les autres présidents de conseil général, je m'interroge sur le financement du plan autisme. La contribution de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) sera-t-elle déduite des crédits globaux de la PCH et de l'aide personnalisée à l'autonomie (APA) ?
Par ailleurs, la querelle entre les partisans de la psychanalyse et ceux des théories comportementales se poursuit-elle ? Le député Daniel Fasquelle a déposé, le mois dernier, une proposition de loi visant à mettre fin aux pratiques psychanalytiques dans l'accompagnement des personnes autistes. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, comment soutenir les familles ? Dans l'Aisne, j'ai l'exemple d'un enfant autiste pris en charge par ses grands-parents, parce qu'il n'existe aucun centre spécialisé dans le département. Comment résoudre les difficultés juridiques et financières des familles ?
M. Jacky Le Menn. - Des structures spécifiques sont-elles dédiées aux personnes âgées autistes ? Des places leur sont-elles réservées dans les établissements d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ephad) ? Quelles sont les parts prises en charge respectivement par le plan gérontologie et par le plan autisme dans le département ?
Mme Françoise Laborde. - Beaucoup d'AVS ne sont pas suffisamment formés et sont susceptibles d'être remplacés au bout de deux ans d'exercice, à tout moment de l'année scolaire. Il est indispensable de progresser sur cette question.
Je constate aussi qu'une véritable inégalité territoriale sévit dans la prise en charge de l'autisme. Il semble préférable pour une famille d'habiter non loin de la Belgique ! Le degré d'implication de l'ARS compte également, en particulier pour l'encadrement des appels à projet.
Par ailleurs, je suis étonnée que les professionnels continuent d'être formés à la méthode du packing. Un cadrage politique de cette pratique, qui relève de la maltraitance, s'impose.
Enfin, la nouvelle définition de l'autisme déculpabilise les parents. Merci de dire haut et fort que les mères ne sont pas responsables !
M. Claude Jeannerot. - Je diffuserai votre rapport, Madame Létard, dans le Doubs, où le dialogue entre les élus, les familles et les associations est permanent. En tant que président de conseil général, je ne ferai pas un plaidoyer en faveur de l'institution, mais il est vrai que le rôle du conseil général est cité trop tard dans le rapport. C'est bien à lui que les associations et les parents font appel. La responsabilité départementale doit être clarifiée et reconnue.
Je m'interroge également sur le choix de la méthode que vous avez adoptée. Vous avez privilégié, semble-t-il, l'étude des grandes régions urbanisées. J'ai l'intuition que les difficultés n'y sont pas les mêmes que dans les territoires ruraux...
Mme Annie David, présidente. - Quels enseignements tirez-vous des expériences belge et néerlandaise ? Sous quel délai pourrons-nous espérer être performants dans la prise en charge de l'autisme ?
Mme Valérie Létard. - Grâce à la Grande cause nationale, la société et les médias vont être mobilisés. Il faut avant tout expliquer au plus grand nombre ce qu'est l'autisme pour que les regards changent. A chaque niveau de la société et du territoire, tous les acteurs doivent faire évoluer l'image caricaturale et réductrice qui en est véhiculée.
Concernant les appels à projet, des structures associatives organisent des réseaux d'accompagnement des projets de qualité. En développant un maillage territorial, elles constituent une réponse aux difficultés de gestion connues par les porteurs de projet, en particulier dans les zones rurales.
Le nombre de places créées - 4 200 - peut paraître dérisoire, mais c'est un premier pas. Il est possible d'aller tellement plus loin ! Par exemple, dans les instituts médico-éducatifs (IME) généralistes, une dizaine de places pourrait être dédiée aux autistes, selon une accréditation et un budget définis par l'ARS. Sans se substituer aux places en établissement spécialisé, ce contingent pourrait être une solution complémentaire, parmi un panel de modes de prise en charge. En outre, grâce à des transferts de moyens du sanitaire vers le médicosocial, nous pourrions converger vers une prise en charge plus équilibrée. Cette fongibilité asymétrique dégagerait des marges de manoeuvre.
S'agissant des AVS, il est certain que l'enfant autiste a besoin d'un fil rouge entre le domicile et l'école. Mais la mise en place d'un AVS unique implique une formation plus étendue que les soixante heures dispensées actuellement et un contrat de plus longue durée. Peut-être faut-il envisager qu'une association reconnue, jouant le rôle de référent régional, emploie et forme les AVS ? Ces derniers ont indéniablement un rôle majeur à jouer dans la continuité territoriale et temporelle de l'accompagnement.
Evidemment, le conseil général a beaucoup contribué, en association avec les ARS, à la prise en charge, notamment financière, de l'autisme. Mais le plan handicap départemental n'est pas toujours adapté. Des problèmes de compensation demeurent.
Dans le domaine du diagnostic, mieux les professionnels de première intervention - médecins généralistes, orthophonistes - et les enseignants seront formés, plus le dépistage sera précoce. Une fois le diagnostic posé, l'accompagnement des familles doit débuter. Il ne s'agit pas de stigmatiser les enfants mais de leur fournir, le plus rapidement possible, un suivi médical adapté. Un maillage territorial resserré réduira les délais de diagnostic et le nomadisme des parents.
La connaissance était la première mesure du plan autisme. Mais elle dépend directement du pilotage : la recherche ne progressera que si tous les acteurs peuvent dialoguer au sein du comité national. En 2012, l'autisme est une Grande cause nationale. C'est l'année ou jamais d'agir pour lutter contre la souffrance des personnes concernées et les inégalités territoriales.
La proposition de loi de Daniel Fasquelle tend à supprimer le remboursement des soins psychanalytiques dans la prise en charge de l'autisme. Je pense que la définition validée par la HAS doit avant tout se traduire par la mise en place de bonnes pratiques d'accompagnement et de formation. Historiquement, tout a été organisé autour du sanitaire : il faut du temps pour que la prise en charge évolue.
Enfin, le packing ne peut désormais plus être utilisé sans lien avec une structure hospitalière et un suivi médical, sous peine de poursuites pour maltraitance. Les familles et les associations rejettent cette méthode. A partir de l'évaluation du professeur Delion à Lille, des décisions devront être prises avec sang-froid. Il faut faire cesser cette guerre et tourner la page.
Mme Annie David, présidente. - Il est en effet temps que cesse le conflit sur un sujet si important. Nous resterons vigilants sur les suites de votre rapport et les moyens à apporter pour rattraper notre retard en matière de prise en charge de l'autisme.
Je vous indique, pour finir, que j'ai sollicité la cellule de l'initiative parlementaire du Sénat, pour qu'elle nous fasse des propositions juridiques précises destinées à faire sortir les AVS de la précarité.
Suivi des enfants en danger par la transmission des informations - Examen des amendements au texte de la commission
Mme Annie David, présidente. - Nous examinons maintenant l'unique amendement déposé sur la proposition de loi relative au suivi des enfants en danger par la transmission des informations.
Mme Muguette Dini, rapporteure. - Cet amendement présenté par le groupe RDSE, que je suppose d'appel, entend garantir le droit des enfants et de leurs grands-parents à entretenir des relations personnelles, et notamment dans les situations où le ou les titulaires de l'autorité parentale sont victimes d'une dérive sectaire.
Bien sûr, je partage pleinement la préoccupation de ses auteurs, mais je ne peux y être favorable car, comme je vous l'ai indiqué la semaine dernière lors de l'examen du rapport, je souhaite un vote conforme sur ce texte afin qu'il soit adopté avant la suspension de nos travaux.
Je demanderai donc le retrait de l'amendement, sinon mon avis sera défavorable.
La commission émet un avis défavorable sur l'amendement.
Questions diverses
Mme Annie David, présidente. - Je vous donne lecture de la composition du groupe de travail interne que nous avons décidé de consacrer à la situation sanitaire des étudiants et à leur couverture sociale.
Sont désignés Luc Carvounas (Soc.), Christiane Demontès (Soc.), Ronan Kerdraon (Soc.), Jacky Le Menn (Soc.), Michelle Meunier (Soc.), Patricia Schillinger (Soc.), Marie-Thérèse Bruguière (UMP), Colette Giudicelli (UMP), Marc Laménie (UMP), Claude Léonard (UMP), Catherine Procaccia (UMP), René-Paul Savary (UMP), Jean-Léonce Dupont (UCR), Jean-Marie Vanlerenberghe (UCR), Isabelle Pasquet (CRC), Dominique Watrin (CRC), Anne-Marie Escoffier (RDSE) et Aline Archimbaud (Ecolo).
M. Jean-Noël Cardoux. - Sait-on déjà à quelle fréquence ce groupe se réunira ? Nous sommes sollicités par de nombreuses structures de travail durant cette période de suspension parlementaire.
Mme Annie David, présidente. - Vous serez convoqués dès la semaine prochaine pour constituer le bureau de ce groupe et organiser son programme de travail. Nous essaierons de veiller à ce que les réunions des différentes instances ne se chevauchent pas.
Mme Isabelle Debré. - Je viens d'être informée qu'au cours de la réunion du Bureau du Sénat de ce matin, aurait été présentée une demande de notre commission pour constituer un groupe d'études sur l'amiante, sujet au demeurant très intéressant, mais que nous n'avions jusqu'à présent pas évoqué. De quoi s'agit-il ?
Mme Annie David, présidente. - Je l'ignore mais je peux vous assurer que la commission n'a fait aucune demande en ce sens, d'autant que, traditionnellement, nous privilégions la constitution de groupes de travail internes dans l'objectif de déboucher sur un rapport ou une proposition d'amélioration législative.