Mardi 24 janvier 2012
- Présidence de M. Yvon Collin, vice-président -Centre national pour le développement du sport (CNDS) - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
La commission procède à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le Centre national pour le développement du sport (CNDS) et entend MM. Patrick Lefas, président de la troisième chambre, Pascal Duchadeuil, président de section, Serge Barichard, conseiller référendaire et Walid Benaabou, auditeur, de la Cour des comptes, MM. Gérald Darmanin, directeur de cabinet et Pierre Messerlin, directeur-adjoint de cabinet du ministre des sports, M. Richard Monnereau, directeur des sports, M. Julien Nizri, directeur général, et Mme Francine Mary, directrice des affaires financières du CNDS, M. Jean-Jacques Mulot, trésorier du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et Mme Marie-Astrid Ravon, sous-directrice à la direction du budget.
M. Yvon Collin, président. - Mes chers collègues, nous sommes réunis afin de procéder à la traditionnelle audition « pour suite à donner » aux travaux que nous avons demandés à la Cour des comptes, conformément au 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur le Centre national pour le développement du sport (CNDS). Au vu de sa nature et de son intérêt, cette audition est ouverte à nos collègues de la commission de la culture ainsi qu'à la presse.
Je vous rappelle que notre collègue Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial, est à l'initiative de ces travaux. Je lui donne donc la parole afin qu'il nous rappelle les raisons qui l'ont conduit à les solliciter.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Merci Monsieur le Président.
J'ai, en effet, souhaité bénéficier de l'éclairage de la Cour des comptes sur le CNDS pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la taille même de l'opérateur, créé en 2006, justifiait que l'on se penche sur sa gestion. De fait, en 2012, cet établissement public devrait disposer de davantage de crédits que le programme « Sport ». La qualité de la gestion et les modalités de prise de décision revêtent donc une grande importance. Les fortes fluctuations de la trésorerie du CNDS au fil des années méritaient aussi, à mon sens, un examen particulier. Enfin, les missions confiées au CNDS par l'Etat m'ont semblé particulièrement larges et mouvantes au fil des années. Le jugement avisé de la Cour des comptes devrait nous aider à voir si tout est toujours justifié.
Outre la prise de connaissance des travaux de la Cour, l'audition de ce jour nous apportera, je l'espère, d'utiles précisions en croisant les visions de chacun.
M. Yvon Collin, président. - Pour commencer, je donne donc la parole au président Lefas afin qu'il nous présente les résultats de l'enquête de la Cour des comptes.
M. Patrick Lefas, président de la troisième chambre de la Cour des comptes. - Je suis heureux que la commission des finances du Sénat ait souhaité organiser la réunion de ce jour. Elle fait suite au premier contrôle du CNDS réalisé par la Cour des comptes, lequel couvre la période 2006-2010.
Comme vous le savez, ce jeune établissement public a succédé, depuis 2006, au Fonds national pour le développement du sport (FNDS), dont les caractéristiques contrevenaient à l'article 21 de la LOLF. Il octroie trois grandes catégories de subventions :
- des subventions de fonctionnement à destination des associations sportives ou des ligues, désignées sous le nom de « part territoriale » du CNDS. Cela représente 43 % des dépenses prévisionnelles de 2012 ;
- des subventions d'équipement sportif, pesant 38 % de ces mêmes dépenses ;
- et des financements nationaux, à destination, notamment, du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), soit 7 % des dépenses.
S'y ajoutent d'autres dépenses, comme le fonds de concours à destination du programme « Sport » de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », un complément exceptionnel de la part territoriale en faveur des jeunes scolarisés et les frais de structure de l'établissement.
Pour financer ces dépenses, le CNDS bénéficie de recettes affectées pour un montant prévisionnel de plus de 272 millions d'euros en 2012, à savoir :
- la contribution sur la cession à un service de télévision des droits de diffusion de manifestations ou de compétitions sportives de 5 %, dite « taxe Buffet » ;
- un prélèvement de 1,8 %, plafonné, sur les sommes misées dans le cadre des jeux exploités par la Française des jeux, la loi de finances pour 2011 ayant toutefois porté ce taux à 2,1 % (plafonné à 24 M€ supplémentaires) pendant cinq ans afin de tenir compte de la prise en charge, par le CNDS d'une partie du financement de la rénovation des stades pour l'Euro 2016 de football ;
- et, depuis 2010, une contribution sur les sommes misées dans le cadre des paris sportifs de la Française des jeux et des nouveaux opérateurs agréés, dont le taux sera porté à 1,8 % à compter de 2012.
Trois idées-forces ressortent des travaux que nous avons menés.
En premier lieu, le CNDS s'est doté d'une organisation et d'un cadre de gestion adapté à ses missions.
En effet, il est un lieu de concertation entre les principaux acteurs de la politique du sport, ce qui lui impose de fonctionner selon des règles déontologiques strictes. La Cour a recommandé que la déclaration publique d'intérêt soit étendue aux invités permanents ou réguliers au conseil d'administration. Pour son organisation administrative, le CNDS a fait le choix de centraliser les paiements et de déconcentrer l'instruction de la majeure partie des dossiers, ce qui explique la relative modestie du budget de fonctionnement. On peut noter cependant que les effectifs du siège sont passés de 17 équivalents temps plein travaillés (ETPT) en 2007 à 25 actuellement, soit une hausse de 47 % et qu'en prenant en compte le coût d'utilisation des services déconcentrés, soit 14 millions d'euros pour 350 emplois, selon une estimation ancienne fournie à la Cour, les charges de personnel sont en réalité beaucoup plus élevées.
Les procédures mises en place permettent d'instruire les demandes de subvention avec professionnalisme et de traiter les interventions diverses selon un mode opératoire précis et une approche concertée. L'établissement s'est par ailleurs doté d'une cartographie des risques et d'un dispositif de contrôle interne.
Le principal problème comptable concerne le suivi des engagements hors bilan, qui s'élevaient à 244,5 millions d'euros fin 2009 et à 340,9 millions d'euros fin 2011, et qui sont constitués de décisions de subventions d'équipement dont les paiements dépendent de la réalisation des opérations et, pour 112 millions d'euros, des décisions afférentes à l'euro 2016. La Cour recommande de veiller particulièrement à ce que l'établissement sache à tout moment s'il peut prendre des engagements nouveaux compte tenu des engagements pluriannuels déjà souscrits, ce qui suppose qu'il en connaisse avec précision l'écoulement et se donne les moyens de limiter la durée de ses engagements. La possibilité de passer des provisions pour charges dans cette perspective devrait sans doute être étudiée.
En deuxième lieu, la Cour considère que des améliorations doivent être apportées aux modalités d'octroi et de suivi des subventions.
S'agissant de la part territoriale tout d'abord, la Cour recommande de définir un nombre plus restreint de priorités, celles-ci s'étant accumulées au fil des années. C'est la voie dans laquelle semblait s'engager l'établissement en 2011. Par ailleurs, pour exercer pleinement leur effet de levier et leur complémentarité avec les collectivités territoriales, les subventions du CNDS doivent être allouées sur la base d'un projet concourant au développement du sport pour tous. Cette orientation stratégique peine à se concrétiser. Le montant moyen relativement faible des dotations - 2 974 euros en 2009 pour un total de 45 000 subventions - et leur caractère souvent récurrent conduisent à les assimiler à des subventions de fonctionnement courant. Le CNDS s'est toutefois engagé dans la voie du relèvement du seuil minimum de subvention (de 750 euros en 2011 à 1 000 euros en 2013).
Enfin, toujours au titre de la part territoriale, l'octroi d'aides à la consolidation d'emplois sportifs qualifiés dans le cadre du plan sport emploi (PSE) n'est pas subordonné à une évaluation systématique du projet de restructuration. Quant au soutien aux activités sportives d'accompagnement éducatif, après un lancement difficile, il souffre d'importantes disparités entre les territoires.
S'agissant maintenant des subventions d'équipement (67 millions d'euros en 2010), il y a également des progrès à faire dans la gestion. La Cour recommande que le CNDS développe les outils d'aide à la décision et qu'il précise sa doctrine d'intervention. Les fédérations sportives doivent s'engager plus avant dans la définition de schémas pluriannuels d'équipement sur lesquels puissent s'appuyer les avis du mouvement sportif, sans que cela lie pour autant le CNDS. Il importe aussi de mieux encadrer le montant de l'aide octroyée à partir de critères homogènes par nature d'équipements.
Enfin, il a été relevé des difficultés dans le versement des subventions d'équipement qui tiennent à deux types de raison. D'une part, la qualité des dossiers de mandatement préparés par les services déconcentrés est médiocre, et l'effort de formation technique et financière doit être accentué. D'autre part, le CNDS ne maîtrise pas le calendrier de réalisation des opérations concernées, qui dépend des maîtres d'ouvrage : la Cour recommande de mettre en place un suivi plus exigeant des dossiers en faisant des relances formelles et systématiques, afin d'apurer plus rapidement les situations (par exemple, le CNDS avait encore dans ses comptes 44 dossiers non apurés qui sont antérieurs à 2006).
En troisième lieu, l'enquête conclut que le CNDS doit avoir plus de visibilité sur l'évolution de ses missions et sur l'affectation de ses financements.
En effet, une volonté de recentrage a présidé à la création de cet établissement public, sur la base de la répartition suivante : au ministère des sports l'action régalienne et normative, le financement des politiques nationales et du sport de haut niveau principalement, et au CNDS le développement du sport pour tous au niveau territorial.
La Cour constate que cette répartition n'est pas aussi claire. Ainsi - mais les textes l'ont prévu dès l'origine - le CNDS subventionne le CNOSF, ce qui permet au mouvement olympique de ne pas subir la forte contrainte qui pèse sur l'évolution des crédits votés en loi de finances, sa subvention de fonctionnement annuel ayant progressé, en moyenne, de 7,5 % par an de 2005 à 2010.
Ensuite cette volonté de rationalisation a subi dès 2006 un accroc significatif avec la mise en oeuvre du Programme national de développement du sport (PNDS), financé via le CNDS de 2006 à 2008 au moyen d'un prélèvement complémentaire sur la Française des Jeux mais entièrement maîtrisé par le ministère. Les financements attribués via le PNDS ont ainsi introduit une confusion entre le rôle de l'Etat et celui du CNDS, établissement public doté de la personnalité morale et de l'autonomie comptable. Si ce système n'avait pas été prévu par les textes, il aurait d'ailleurs pu relever, pour la Cour des comptes, d'une gestion de fait des deniers de l'Etat.
La fin du PNDS a entraîné des difficultés de financement pour des actions dont les bénéficiaires souhaitaient le maintien. Deux voies ont alors été mises en oeuvre par le ministère pour pérenniser ces financements en s'appuyant sur les ressources du CNDS :
- première voie : la création d'un fonds de concours permettant au CNDS d'abonder les crédits du programme budgétaire n° 219 « sport » de l'Etat : de 6,31 millions d'euros en 2009, ce fonds devrait s'élever à 19,5 millions d'euros en 2012. S'il appartient au conseil d'administration du CNDS d'en décider l'octroi, celui-ci est néanmoins largement mis devant le fait accompli. Par ailleurs, il peut être observé qu'aux termes de l'article 17 de la LOLF, les fonds de concours sont normalement constitués de « fonds à caractère non fiscal... pour concourir à des dépenses d'intérêt public... ». La Cour recommande de mettre fin à l'abondement récurrent des crédits budgétaires de l'Etat par le CNDS et l'Etat serait bien inspiré de relire la décision du Conseil constitutionnel du 15 décembre 2005 (point 23) ;
- deuxième voie : la reprise de certaines actions de l'Etat au titre des missions propres du CNDS ; il en est ainsi, depuis 2009, du soutien à l'organisation d'évènements sportifs internationaux : pour 2011, le budget du CNDS prévoyait d'affecter 7 millions d'euros à cette mission, et un emploi dédié a été créé. C'est vrai aussi de la prévention du dopage (600 000 euros).
D'autres charges nouvelles sont supportées ou risquent de l'être par le CNDS. Ainsi celle liée à l'organisation de l'Euro 2016 de football, pour laquelle le CNDS sera le vecteur de la contribution de l'Etat. Le prélèvement exceptionnel prévu pour la période 2011-2015 devrait permettre de lever au maximum 120 millions d'euros. Or cette somme est inférieure à la participation annoncée par l'Etat à hauteur de 168 millions d'euros. D'autres besoins ont été exprimés, comme celui relatif aux grandes salles qui ont fait l'objet du rapport Costantini « Arenas 2015 ».
En tout état de cause, la Cour constate que la jeune histoire du CNDS montre une tension permanente entre la volonté de rationaliser les canaux de financement du sport, et la tentation de puiser dans les ressources de l'établissement en élargissant ses missions, comme s'il s'agissait d'une corne d'abondance.
Le dynamisme des dépenses doit être contenu, ne serait-ce que pour des raisons d'équilibre budgétaire de l'établissement. A cet égard la réduction du fonds de roulement qui était de 78,4 millions d'euros en 2008 et devrait être négatif en 2012 selon les dernières prévisions (- 3,1 millions d'euros) doit inciter à la prudence et au suivi correct des engagements pluriannuels.
En conclusion, le système mis en place à travers le CNDS présente l'avantage d'organiser un apport financier stable en faveur du sport pour tous. Il importe cependant de mieux définir ses objectifs et la doctrine d'utilisation de ses fonds, de mieux mesurer les conditions de son équilibre financier à moyen terme au regard de ses missions, enfin d'évaluer l'impact réel de ses actions.
M. Yvon Collin, président. - Merci, Monsieur le Président, pour cette présentation claire et complète. Peut-être inspire-t-elle des questions à notre rapporteur spécial...
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - En effet, Monsieur le Président. Je voudrais, tout d'abord, remercier, moi aussi, la Cour des comptes pour la qualité du travail accompli. Il me semble que cette enquête soulève plusieurs interrogations, auxquelles nos invités vont pouvoir répondre.
En premier lieu, cela concerne les missions qui incombent au CNDS, en particulier ce qu'on pourrait appeler les « missions extraordinaires ». Je pense au plan national pour le développement du sport, de 2006 à 2008. Je pense aussi à la participation à la construction et à la rénovation des stades en vue de l'Euro 2016 ? Quelle est l'autonomie de décision du CNDS dans ce genre de cas ? N'est-il pas qu'un outil de débudgétisation de décisions régaliennes ? Le CNDS et le ministère des sports pourraient répondre à ces questions.
En deuxième lieu, je souhaite revenir sur la question de la trésorerie du CNDS. Après avoir crû jusqu'en 2008, elle diminue et devrait même subir une sévère ponction du fait du programme « Euro 2016 » - 48 millions d'euros devant rester à sa charge sans compensation. De plus, le fonds de concours du CNDS au programme « Sport » devrait demeurer à un niveau élevé au cours des prochaines années. Nous en avons débattu cet automne lors de l'examen du projet de loi de finances. Le CNDS et la direction du budget pourraient nous livrer leur vision de ces problèmes et nous indiquer si ces prélèvements ne vont pas, à force, peser sur les missions « de base » de l'opérateur.
Enfin, la Cour des comptes s'étonne dans son enquête du fait que les avis de la plupart des fédérations sportives en matière d'allocations de subventions du CNDS ne se fondent pas sur une vision globale du territoire - et ne tiennent notamment aucun compte du recensement national des équipements sportifs. Le CNOSF pourrait peut-être nous apporter un éclairage là-dessus et, plus généralement, sur le rôle du mouvement sportif au sein du CNDS.
M. Gérald Darmanin, directeur de cabinet du ministre des sports. - Nous sommes heureux de pouvoir évoquer devant vous le CNDS, établissement public autonome, mais non indépendant, et opérateur financier de son ministère de tutelle.
S'agissant du PNDS, l'autonomie du conseil d'administration du CNDS était, certes, nulle, mais cela était prévu par la loi.
Au sujet des subventions de fonctionnement, je voudrais dire que le ministre n'est pas favorable au relèvement de leur seuil de 750 euros à 1 000 euros car la politique du sport pour tous, y compris en milieu rural, passe notamment par l'octroi de petites aides en valeur absolue mais précieuses pour des associations modestes. En outre, je tiens à souligner que ces subventions reposent sur des critères, portant sur l'intérêt des projets portés par les bénéficiaires en matière de développement du sport pour tous.
Bien entendu, les projets sélectionnés pour bénéficier de subventions d'équipement répondent eux aussi à des critères, les fédérations sportives émettant d'ailleurs des avis sur ces projets. Le conseil d'administration du CNDS décide, de manière collégiale, au cours de deux réunions spécifiques organisées chaque année. Nous savons bien qu'au-delà des 15 % à 20 % du coût du projet ainsi soutenu directement par le CNDS, ce « coup de pouce » a un effet d'entraînement auprès d'autres collectivités ou financeurs privés. Il doit être clair que les critères de sélection sont exclusivement liés à l'intérêt sportif des projets, et non à un quelconque intérêt politique.
D'autre part, nous entendons les remarques de la Cour des comptes sur la nécessité de faire signer des déclarations d'intérêts à toutes les personnes assistant au conseil d'administration du CNDS. Il devrait être proposé au conseil de mars d'intégrer de telles dispositions dans le règlement intérieur de l'établissement.
De manière générale, nous considérons que le CNDS doit grandir et avoir une vision plus stratégique. Nous y réfléchissons et le ministre a ainsi mis en place un comité stratégique, avec Denis Masseglia, président du CNOSF. Ce comité aura pour tâche de réfléchir, en liaison avec le conseil d'administration du CNDS, aux candidatures françaises à de grands événements sportifs internationaux et aux grandes constructions.
Quelques mots enfin sur l'Euro 2016 et les Arenas. Sur le premier point, l'Euro est une compétition majeure, intéressant légitimement les élus. Je souligne également qu'in fine, c'est bien le conseil d'administration du CNDS qui votera le montant des aides attribuées par stade. Quant au « rapport Costantini », il s'agit d'un document utile mais qui ne lie pas le Gouvernement. L'effort de l'Etat devrait s'élever à 50 millions d'euros.
M. Julien Nizri, directeur général du CNDS. - Je tiens tout d'abord à souligner la qualité des relations avec la Cour des comptes à l'occasion de ce contrôle, qui doit nous permettre de progresser.
Au sujet des observations, je voudrais dire que nous utilisons bien le recensement des équipements sportifs et divers systèmes d'aide à la décision très précis afin d'attribuer nos subventions.
S'agissant du suivi des éléments hors bilan évoqué par la Cour des comptes, nous avons sans doute à progresser en matière de formalisme et de relance des porteurs de projets. Nous allons mettre en place des procédures plus étoffées sur ce point. Mais aujourd'hui, aux termes du décret encadrant le CNDS et du règlement général de l'établissement, un porteur a jusqu'à onze ans pour développer son projet, le début des travaux devant se faire dans un délai de deux ans avec, au pire, un report d'un an. En termes administratifs et comptables, nous avons des systèmes d'information de suivi précis et nous savons où nous en sommes.
Mme Francine Mary, directrice des affaires financières du CNDS. - J'ajouterai simplement que le choix d'un traitement hors bilan des engagements futurs du CNDS résulte du caractère éventuel du passif au sens des instructions comptables : elle n'est pas certaine, non exigible en totalité sur l'exercice, et surtout elle doit être financée par des recettes pluriannuelles.
La dette n'est, certes, pas retracée comptablement. Néanmoins, une information est transmise au conseil d'administration. On pourrait d'ailleurs l'améliorer puisque l'établissement dispose d'un suivi détaillé. En revanche, les solutions proposées par la Cour ne nous paraissent pas souhaitables : la comptabilisation des charges constatées d'avance en fin d'exercice du montant des restes à payer n'a pas de fondement réglementaire au niveau comptable car les sommes ne sont pas décaissées ; le passage d'une provision pour charges en fin d'exercice pour ce même montant serait très complexe, et ce système engendrerait de multiples écritures rendant, au final, moins compréhensible le résultat du CNDS. De plus, cela reviendrait à dégrader considérablement, et de manière artificielle, le niveau des fonds propres de l'établissement.
M. Julien Nizri. - Nous avons le souci de la sincérité des comptes et de l'amélioration de l'information du conseil d'administration et il ne nous semble pas que le passage de telles provisions aboutirait à ce résultat... En outre, au moment de notre création, nous avons repris la dette du FNDS, soit 113 millions d'euros, sans les crédits correspondants. Avec un tel système, nous aurions donc débuté avec des fonds propres négatifs.
Une autre solution pourrait être de procéder comme l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), dotée d'une trésorerie très importante et qui n'est autorisée à passer un engagement que si elle dispose des fonds correspondants. Mais cela reviendrait à immobiliser des sommes conséquentes au sein du CNDS, ce qui n'est peut-être pas souhaitable... Pour notre part, nous préférons en rester à la situation actuelle, dans laquelle nos engagements sont gagés sur les recettes futures.
M. Richard Monnereau, directeur des sports.- Pour compléter ce qui a été dit, j'ajouterai simplement, s'agissant de la tutelle de l'Etat, qu'il ressort de l'étude du Conseil d'Etat d'octobre 2009 sur les établissements publics que les ministères de tutelle doivent piloter l'action de leurs opérateurs financiers. Tel est le sens de l'action du ministère des sports à l'égard du CNDS. Simplement, la « tradition » de concertation de l'Etat avec le mouvement sportif, qui prévalait déjà au sein du FNDS, a été reprise pour la gestion du CNDS.
J'observe, par ailleurs, que les compétences respectives du ministère, au travers du programme « Sport » et de l'opérateur tendent à se clarifier au fil des années, notamment sous l'effet de la contrainte budgétaire. Dans ce cadre, nous assumons le fait de confier à cet établissement public le financement des grands équipements sportifs - et non seulement le développement de la pratique sportive. Nous assumons également le choix de développer une vraie gouvernance sur la stratégie du sport à l'international au sein du CNDS, étant entendu que le monde sportif a des prérogatives propres en la matière. Quant au budget général, il lui revient de financer le soutien aux fédérations sur la base des conventions d'objectifs, la protection des sportifs et les métiers du sport.
S'agissant des critères d'intervention du CNDS, la Cour des comptes a pointé leur « empilement », ce qui est pertinent. Mais la réforme est faite, depuis l'année dernière. Désormais, le CNDS finance les ligues et les comités sur la base de leur plan stratégique et les clubs sur le fondement de projets associatifs tendant à réduire les inégalités sportives.
D'autre part, je ne considère pas qu'il soit pertinent de chercher le « coût complet » de l'utilisation des services déconcentrés du ministère par le CNDS car les travaux accomplis à ce titre par les services entrent dans le cadre de leurs « missions naturelles ».
Enfin, je tiens à souligner le caractère indispensable du fonds de concours du CNDS au programme « Sport », quelque 20 millions d'euros sur les 97 millions de subventions attribuées aux fédérations en étant issus. Une telle « coupe » serait insupportable et nécessiterait un réexamen conséquent du budget du programme.
M. Philippe Dallier. - Je souhaiterais vous interroger sur la politique de la ville du CNDS. Mon département de Seine-Saint-Denis se place en avant-dernière position en matière d'équipements sportifs. Or, d'après le tableau figurant dans l'enquête, le CNDS n'a consacré, en 2009, que 3,5 millions d'euros de sa subvention d'équipement aux quartiers en difficultés, ce qui est très modeste au vu des déséquilibres existants. Même avec le plan de 15 millions d'euros récemment annoncé par le Gouvernement, je doute que l'on puisse vraiment réduire les écarts - d'autant que, comme me l'a montré un dossier récent, la part de financement du CNDS peut être très faible. A partir de là, pensez-vous que les critères de sélection sur lesquels vous vous appuyez sont assez discriminants pour résorber ces inégalités ?
M. Éric Doligé. - Au sujet des « grandes salles », auxquelles, selon vos propos, 50 millions d'euros devraient être dévolus, qui prendra les décisions d'octroi, dans quel délai et quel sera le montant par projet retenu ?
D'autre part, de manière générale, les équipements sportifs font presque toujours intervenir un grand nombre de co-financeurs, en particulier publics. Cela est source de grande complexité avec de multiples instructions. Comment pourrions-nous simplifier ce système, qui n'apparaît pas très optimal ?
Enfin, les sommes accordées en bout de chaîne - parfois quelques centaines d'euros - semblent assez « ridicules » au vu de temps passé pour monter et instruire les dossiers...
M. Christian Bourquin. - En matière de gouvernance du CNDS, je voudrais y voir clair : cet établissement public est-il autonome ou bien n'est-il qu'une caisse dans laquelle le Gouvernement peut puiser à sa guise ?
De plus, les propos de M. Monnereau m'interpellent : vous dites « assumer » l'intervention directe de l'Etat sur diverses thématiques au sein du CNDS. Mais nous, parlementaires, sommes fondés à préciser ce qui doit l'être dans les textes régissant l'établissement, et à dire qui doit faire quoi. Donc je demande à la Cour des comptes si, à son sens, nous devons modifier les règles législatives relatives au CNDS.
M. Gérald Darmanin. - Pour répondre à M. Dallier, je suis bien conscient des difficultés de la Seine-Saint-Denis. Mais, comme vous l'avez souligné, nous avons mis sur la table un plan exceptionnel de rattrapage, le ministre devant d'ailleurs effectuer pas moins de neuf déplacements sur le terrain afin de soutenir cette action.
Quant à la critique relative au « saupoudrage » du CNDS, je précise qu'en zone urbaine sensible, sa part doit être comprise entre 20 % et 30 % du financement total du projet. S'il y a eu un « raté » sur un dossier précis, je suis prêt à regarder cela puisque, au vu de nos règles, cela ne devrait pas arriver.
M. Philippe Dallier. - Le plan de 15 millions d'euros que vous évoquez concernera 40 communes, ce qui relativise la part que recevra chacun... mais, au-delà de la Seine-Saint-Denis, ma question portait sur les quartiers sensibles en général.
M. Gérald Darmanin. - Encore une fois, l'Etat a décidé de faire un effort conséquent. De plus, au-delà des « petits » équipements, il ne faut pas oublier que les grands équipements sont une « vitrine » très appréciable. Je pense au Stade de France et, peut-être demain, à la piscine d'Aubervilliers.
Pour répondre à M. Bourquin qui se demande si le CNDS n'est pas une « caisse », je lui indique que ce terme ne convient pas : les fonds dont dispose le CNDS sont de l'argent public. L'Etat est donc fondé à s'intéresser à leur emploi - et il ne dispose d'ailleurs que d'un tiers des sièges au conseil d'administration.
Sinon, je répète que nous « assumons » nos choix en matière d'orientation du CNDS, en concertation avec le mouvement sportif et les élus locaux. Et je rappelle que le Parlement fait la loi mais que c'est un décret qui a créé l'établissement public et énuméré ses missions. Dans ce cadre, le Gouvernement considère qu'il est légitime que le CNDS ait à financer en partie les grands équipements sportifs nationaux.
M. Pierre Messerlin, directeur-adjoint de cabinet du ministre des sports. - A propos des Arenas, notre pays s'est vu confier l'organisation du Championnat du monde de handball masculin de 2017. A cette échéance, il devra disposer de dix salles d'une capacité d'au moins 10 000 places. Dans cette perspective, la fédération française de handball a présélectionné dix projets, dont les statuts diffèrent. On y retrouve :
- des projets purement privés, comme l'Arena 92 ou la grande salle de Villeurbanne ;
- la rénovation du Palais omnisport de Paris-Bercy, qui sera financée par l'exploitant ;
- le projet de Montpellier, dont le financement, essentiellement public, est déjà bouclé ;
- et les autres projets. Parmi eux, seul le projet orléanais a déjà été formellement déposé. Il sera étudié dès le mois de mars au sein du CNDS.
Evidemment, l'examen des projets, très complexe du fait de la multiplicité des enjeux, nécessitera une expertise approfondie, à laquelle procèdera un « comité des grands équipements » de 22 membres. Ce comité se prononcera notamment sur le niveau de financement souhaitable par le CNDS sur les différents projets qui lui seront soumis.
M. Richard Monnereau. - Pour revenir sur la question du « guichet unique » évoqué par M. Doligé, je note que le sport fait partie des domaines pour lesquels la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales autorise les cofinancements, ce qui correspond à la réalité profonde du financement des équipements sportifs sur le plan local. Pour sa part, le CNDS a une grande liberté pour l'attribution de ses subventions ; d'où l'importance de bien définir ses critères d'intervention. Tel est le sens de notre action - ce qui est une « petite révolution ». Et, par ses interventions, le CNDS interpelle les collectivités concernées et les invite à agir, elles aussi, sur tel ou tel projet d'intérêt local.
M. François Fortassin. - Je n'ai pas vraiment de question, mais je voudrais simplement souligner le contraste entre le financement du sport sur le terrain et l'indécence des rémunérations de certains sportifs - qui, de surcroît, émigrent parfois pour des raisons fiscales. Tout cela est-il bien exemplaire et même républicain ?
Mme Marie-France Beaufils. - Tous les sportifs de haut niveau ne sont heureusement pas à blâmer. Le champion de football Mikaël Sylvestre n'a pas oublié son petit club d'origine de Saint-Pierre-des-Corps et vient nous aider...
Par rapport à l'une des préconisations de la Cour des comptes, je voudrais, moi aussi, affirmer l'importance, financière et morale, du soutien du CNDS à des petits clubs, même si certaines sommes peuvent paraître dérisoires. Je crois qu'il faut préserver ces financements.
En outre, il faut continuer de porter une attention particulière aux jeunes issus des quartiers sensibles et aux structures sportives susceptibles de les prendre en charge - lesquelles ne se situent d'ailleurs pas toutes dans ces quartiers.
Enfin, l'enquête de la Cour des comptes pointe des difficultés particulières que poseraient les contrats de projets Etat-régions (CPER) au CNDS. Le président Lefas pourrait-il préciser la nature de ces difficultés ?
M. Yvon Collin, président. - Pour ma part, j'observe qu'une tendance lourde du budget du sport ces dernières années, soulignée par nos rapporteurs spéciaux successifs, est la forte diminution des crédits de l'Etat en faveur de l'action « sport pour tous » et, d'autre part, l'importance croissante du CNDS. Faut-il en déduire que le CNDS est désormais, dans les faits, le seul prescripteur de la dépense en faveur du « sport pour tous » - voire du sport amateur ?
M. Jean-Jacques Mulot, trésorier du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). - Sur ce dernier sujet, au niveau des fédérations, le montant total consacré au développement du sport pour tous diminue peut-être mais ce montant doit être consolidé avec les autres aides existantes. En particulier, la part territoriale du CNDS a, elle, significativement progressé. L'action de l'Etat en faveur du sport pour tous est bien la somme de ces deux éléments, et elle augmente.
Mme Marie-Astrid Ravon, sous-directrice à la direction du budget. - Du point de vue de la direction du budget, le mode de financement du CNDS par des taxes affectées le préserve de la régulation budgétaire que peuvent subir d'autres opérateurs. Ceci est un facteur d'explication de l'augmentation de la trésorerie de cet établissement public jusqu'en 2008. C'est pourquoi, avec l'accord du CNDS, celui-ci prendra en charge le soutien de l'Etat au financement de la construction ou de la rénovation des stades en vue de l'Euro 2016 de football - tout en bénéficiant, à ce titre, d'une augmentation du prélèvement qu'il perçoit sur les mises enregistrées par la Française des jeux. Au final, cette mission ne se fera donc pas au détriment de ses autres actions.
S'agissant du traitement des engagements hors bilan, nous partageons l'analyse développée par le CNDS. Toutefois, nous rejoignons la Cour des comptes quand elle affirme la nécessité d'améliorer le suivi desdits engagements afin d'assurer la soutenabilité des budgets futurs de l'opérateur. Des efforts sont engagés en ce sens et il convient de les poursuivre.
M. Patrick Lefas. - En réponse à Mme Beaufils, la Cour dit simplement que, dans le cadre des CPER, c'est l'Etat qui contracte avec les régions. Le CNDS n'arrive qu'en bout de chaîne, en exécution, et ne maîtrise à aucun moment des décisions qu'au final il subit.
D'autre part, au-delà du problème budgétaire évident, il faudra bien aborder le sujet de l'abondement régulier du programme « Sport » par le fonds de concours du CNDS. Son importance peut poser d'autant plus problème que sa régularité ne nous paraît pas assurée et que la trésorerie de l'établissement se tend au fil des ans.
M. Gérald Darmanin. - Au sujet des « valeurs républicaines » évoquées par M. Fortassin, je dirais simplement que nous comprenons son interpellation. Le sport est, à notre sens, un vecteur de promotion de ses valeurs, comme le montrent les nombreux bénévoles engagés dans le monde sportif. Au-delà, le ministre a fortement soutenu la proposition de loi de M. Collin visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs qui contient des éléments forts, tels que le plafonnement des salaires par les fédérations.
A propos des publics prioritaires, je rappellerai simplement la mise en place par le Gouvernement d'un plan de formation des cadres bénévoles dans les zones urbaines sensibles ou dans le monde rural, à hauteur d'un million d'euros.
M. Jean-Jacques Mulot. - Je voudrais ajouter que le CNOSF partage les propos du ministère des sports sur la concertation qui prévaut entre l'Etat et le monde sportif au sein du CNDS, même si tout est toujours perfectible.
Nous approuvons également la décision de maintenir le seuil d'intervention du CNDS à 750 euros.
A propos de l'augmentation de 40 % en cinq ans de la subvention octroyée au CNOSF, je précise que la moitié de la hausse s'explique par la reprise, par le Comité, d'emplois auparavant assurés en son sein par des personnels de l'Etat qui y étaient détachés. Cela relativise le constat de la Cour des comptes.
Enfin, je tiens à souligner la qualité du travail accompli par le comité de programmation qui instruit les dossiers d'équipement au sein du CNDS. Sur 340 dossiers, il parvient à en sélectionner une centaine dans des conditions satisfaisantes, ce qui permet au conseil d'administration de trancher de façon généralement consensuelle, en toute transparence.
M. Philippe Dallier. - Avez-vous une idée du coût induit par les normes édictées par les fédérations et pourriez-vous leur demander de se montrer raisonnables en la matière ?
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - A la suite des propos de Mme Ravon, je rappelle que, faute de l'adoption définitive par le Parlement d'un amendement que j'ai présenté et que le Sénat a voté, le CNDS subira un déficit de 48 millions d'euros sur l'opération des stades de l'Euro 2016. Dans le schéma initial, le déficit ne s'élevait qu'à 30 millions d'euros. Comme le dit la Cour des comptes, si on charge trop la barque, les actions de base du CNDS finiront par subir l'effet des coupes budgétaires.
M. Richard Monnereau. - Nous avons beaucoup travaillé sur les normes. Il est vrai qu'il a pu y avoir des conjonctions malheureuses, beaucoup ayant été édictées en peu de temps. Il existe une commission d'encadrement de ces normes, au sein de laquelle nous pourrions peut-être renforcer le poids des collectivités territoriales, étant entendu que le pouvoir appartient, in fine, aux fédérations.
Il est à noter que seules les normes relatives au jeu lui-même sont opposables aux collectivités, les normes plus commerciales, concernant par exemple les tribunes, présentant un caractère plus contractuel, de capacité d'accueil de telle ou telle compétition.
Nous devons rester vigilants sur ces questions et bien distinguer ce qui est opposable aux collectivités et ce qui ne l'est pas.
M. Gérald Darmanin. - De plus, certaines normes sont produites par les fédérations internationales. Le ministre évoquera prochainement ce sujet avec Jacques Rogge, président du Comité international olympique (CIO).
Pour revenir sur les crédits du CNDS, une incertitude existe sur le niveau des droits télévisuels, assiette de la « taxe Buffet ». Les recettes de l'établissement public pourraient diminuer de 5 millions d'euros en fonction de la renégociation en cours des droits du football.
De manière générale, nous sommes disposés à ce qu'un auditeur externe puisse examiner les comptes de cet opérateur.
M. Patrick Lefas. - En conclusion, le rôle de la Cour des comptes est de bien faire apparaître la situation de l'établissement public et de formuler des recommandations en matière de gestion.
L'initiative de la commission des finances du Sénat est heureuse en ce qu'elle permet au Parlement de se saisir de ces questions.
La commission autorise, à l'unanimité, la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte-rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.
Mercredi 25 janvier 2012
- Présidence de M. Philippe Marini, président -Conventions fiscales avec l'île Maurice, l'Arabie Saoudite et l'Autriche - Examen des rapports et des textes de la commission
Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission procède à l'examen des rapports de Mme Nicole Bricq, rapporteure, sur les projets de loi, adoptés par l'Assemblée nationale :
- n° 181 (2011-2012) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'île Maurice tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- n° 182 (2011-2012) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d'Arabie saoudite en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu, sur les successions et sur la fortune ;
- n° 183 (2011-2012) autorisant la ratification de l'avenant à la convention entre la République française et la République d'Autriche en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune.
Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Nous sommes aujourd'hui réunis afin d'examiner les projets de loi visant à approuver trois avenants à des conventions fiscales de suppression des doubles impositions entre la France et, respectivement, l'Autriche, l'Arabie Saoudite et l'île Maurice. Cela ressemble à un inventaire à la « Prévert ». Pour autant, notre analyse a été structurée selon les enjeux que ces avenants représentent.
L'avenant saoudien vise à insérer une clause d'échange de renseignements dans ladite convention.
En revanche, l'objet des avenants autrichiens et mauriciens est uniquement de mettre les conventions en conformité avec les derniers standards de l'OCDE en matière d'échange de renseignements. Il s'agit essentiellement de lever les restrictions à la coopération fiscale : le secret bancaire et l'absence d'intérêt fiscal propre de l'Etat dans la collecte de ces renseignements.
En d'autres termes, ces pays ne pourront pas refuser de transmettre des renseignements qui seraient détenus par une banque ou un établissement financier, ou bien encore qui ne présenteraient pas un intérêt propre au pays requis pour l'application de sa fiscalité.
Si, au final, les clauses d'échange de renseignements sont pratiquement identiques et conformes au modèle OCDE, les interrogations qu'elles suscitent diffèrent selon les pays.
S'agissant de l'île Maurice et de l'Arabie Saoudite, comme ce fut le cas pour le Panama, l'interrogation porte sur la capacité normative de ces pays à coopérer. Je rappelle que le Sénat avait refusé de ratifier la convention de suppression des doubles impositions panaméenne sur ce motif et celui des conséquences qu'elle emportait, c'est-à-dire la radiation du pays de la liste.
L'avenant autrichien s'inscrit, quant à lui, dans une problématique plus large que celle de l'échange de renseignements sur demande : l'échange automatique.
Les avenants signés avec l'Arabie saoudite et l'île Maurice ne constituent qu'une étape formelle. Rappelons qu'un premier examen du cadre juridique de l'île Maurice, réalisé par le Forum mondial sur la transparence fiscale de l'OCDE, le 28 janvier 2011, a été négatif. La disponibilité des informations n'étaient pas alors garantie en toutes circonstances. Les sociétés off shore n'étaient tenues alors à aucune comptabilité.
Je remarque, qu'à l'instar du Panama, ces conclusions n'ont pas retardé la signature de l'avenant mauricien qui est intervenu le 23 juin 2011. La seconde évaluation du Forum mondial du 26 octobre n'était donc pas encore publiée. L'ensemble des réformes sur les obligations comptables notamment n'avaient pas été prises.
Le cadre juridique mauricien est jugé aujourd'hui globalement satisfaisant mais des améliorations sont nécessaires selon le Forum afin de remédier notamment à l'indisponibilité des renseignements relatifs aux trusts non résidents de l'île et géré par un trustee mauricien qui n'est pas une société de gestion. En d'autres termes, voici à nouveau qu'on nous propose une « porte blindée avec une fenêtre grande ouverte ».
Quant à l'avenant avec l'Arabie Saoudite, il a été conclu le 18 février 2011, avant confirmation par le Forum mondial de l'existence d'un cadre juridique permettant l'échange de renseignements. Son évaluation est en cours. Face à cette politique de négociation sans frontière, on ne peut que s'interroger sur son efficacité. Encore faut-il en avoir les moyens.
Deux annexes au projet de loi de finances pour 2012 devaient être transmises au Parlement, au moment de la discussion du budget :
- un bilan sur le contrôle des filiales détenues à l'étranger par les entreprises françaises ;
- un bilan du réseau conventionnel français en matière d'échange de renseignements.
Nous attendons toujours le premier. Il devrait nous livrer des éléments tangibles d'évaluation tels que le nombre de réponses à nos demandes d'assistance. La loi de finances pour 2011, qui a créé cette annexe, précise même que ce bilan doit permettre « d'actualiser la liste nationale des territoires non coopératifs ». Le second nous est parvenu avant hier soir. Or, il fournit des informations qui avaient été en partie communiquées dès le 24 novembre 2011 par Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, lors de sa conférence de presse sur la fraude fiscale.
Ce bilan est inquiétant : le taux de réponse aux demandes françaises de renseignements est de 30 %, dont la plupart des éléments fournis étaient déjà connus de nos services. Il ne marque aucun progrès et révèle les limites de cette politique conventionnelle. La ministre a, par ailleurs, renouvelé son constat lundi dernier sur une antenne privée et envisage de durcir les sanctions.
La méthode est curieuse. Je rappelle que les sanctions s'appliquent automatiquement aux Etats qui figurent sur la liste. Pourquoi d'un côté durcir les sanctions si, de l'autre, la politique du Gouvernement consiste à vider la liste de nos Etats non coopératifs pour les sortir du champ même d'application de ces sanctions ?
Ne serait-il pas plus judicieux d'attendre la mise en place des capacités administratives et juridiques à coopérer des territoires, avant de signer, afin de ne pas être amené à radier un pays de la liste puis devoir l'inscrire à nouveau, une fois constaté l'échec de la coopération ? Pourquoi tant de hâte à signer ces accords fiscaux ? Quels sont les critères qui conduisent le Gouvernement à sélectionner un pays plutôt qu'un autre ?
Privilégier l'étape formelle de la signature ne fait pas progresser la lutte contre l'opacité fiscale, bien au contraire, il la ralentit. Il conviendra d'approfondir notre réflexion sur le réseau conventionnel français en matière d'échange de renseignements.
Par ailleurs, je constate que la liste française qui doit être mise à jour annuellement à compter du 1er janvier n'est toujours pas publiée. Il est probable qu'elle le sera en février, date de l'entrée en vigueur de l'accord panaméen, ce qui conduira à la radiation de ce pays de la liste.
M. Philippe Marini, président. - La ratification des accords entraîne-t-elle une quelconque radiation de l'un de ces pays de la liste française ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Non, ce n'est pas le cas. Vous anticipez mes propos. Je vais y revenir en conclusion.
Concernant l'avenant autrichien, il est conforme au modèle OCDE, mais il renvoie également à une question d'efficacité, celle de la politique européenne de lutte contre la fraude fiscale. Le renforcement de l'assistance fiscale en matière d'échange sur demande doit se poursuivre dans le domaine de l'échange automatique.
La directive « Epargne » de 2003 prévoit un mécanisme d'échange automatique d'informations entre les Etats membres. Cependant, son champ est trop restreint quant aux personnes et aux produits visés. Il ne concerne que les paiements d'intérêts et les personnes physiques. En d'autres termes, ce n'est pas une brèche, c'est un gouffre qui permet la défiscalisation des bénéficiaires effectifs en faisant intervenir des sociétés intermédiaires.
Un projet de révision existe depuis 2008. Cependant le Luxembourg et l'Autriche, qui bénéficient de manière temporaire d'un mécanisme de retenue à la source, en lieu et place de l'échange automatique, s'y opposent. Je ne suis pas certaine de la détermination de l'Allemagne à faire aboutir le processus.
La conclusion cet été des accords suisses, dits « Rubik », avec respectivement l'Allemagne et le Royaume-Uni, tendent à interférer dans le processus de révision puisqu'ils permettent à la Suisse de conserver le secret bancaire en contrepartie d'un impôt libératoire prélevé sur les avoirs allemands et anglais détenus dans les banques suisses.
Là encore, le Parlement ne dispose pas des éléments qui lui sont dus. Un rapport sur les avantages et inconvénients de ces accords devait nous être remis avant le 1er décembre dernier. Nous avons besoin de ce rapport, même si Valérie Pécresse a clarifié la position de la France à la tribune du Sénat en déclarant de ne pas vouloir conclure un tel accord.
L'opportunité de réviser la directive se présentera à nouveau très prochainement. Nous étions proches d'y parvenir en mai dernier. Les facteurs d'opposition pourraient être, à horizon lointain, surmontés. En effet, en mai dernier, on était proche d'un déblocage.
La commission européenne a émis des réserves quant à la conformité des accords « Rubik ». La ratification de l'accord allemand rencontre des oppositions et enfin, dès le 1er janvier 2013, devrait être appliquée la réglementation américaine FATCA (Foreign account tax compliance Act) qui prévoit un échange automatique d'informations sur tous les comptes des contribuables américains détenus dans le monde.
Nous ne disposons pas, à ce jour, de l'impact de cette réglementation, en termes de coût et de coopération fiscale. Cependant, elle pourrait probablement avoir un impact plus ou moins direct sur les négociations en cours quant à la révision de la directive, dans la mesure où FATCA pourrait conduire à surmonter les réticences à l'échange automatique ainsi que les obstacles techniques qui en découlent.
Avant de conclure, je voudrais vous présenter les raisons pour lesquelles je vous propose la ratification des trois avenants, alors que j'avais préconisé le rejet de la convention panaméenne. En effet, les enjeux sont différents.
La ratification de Panama entraînait sa radiation de la liste française des paradis, autrement dit pas d'application de sanctions fiscales pour ce pays. Ce qui n'est pas le cas de l'île Maurice qui n'est pas inscrite sur notre liste. La ratification a donc pour objet de les contraindre à échanger.
En outre, le contexte est différent. La ratification de Panama est intervenue avant la seconde évaluation du Forum qui doit confirmer la capacité normative de Panama à échanger des renseignements. Quant à l'île Maurice, le Forum a confirmé dans un second examen que l'île disposait d'un cadre normatif suffisant pour coopérer même s'il existe encore des marges d'amélioration, notamment dans la réglementation des trusts.
Si nous ne disposons d'aucune évaluation du Forum mondial sur l'Arabie Saoudite, il convient de souligner que ce pays n'est pas sur notre liste. La ratification de l'avenant n'entraînera pas, par définition, de radiation. En revanche elle l'obligera à coopérer puisque la convention actuelle ne contient pas de clauses d'échange de renseignements.
Nous ratifions, mais nous veillerons à ce que ces pays soient intégrés dans la liste, comme la loi le prévoit, s'il s'avère qu'ils ne coopèrent pas.
En conclusion, sous réserve des observations précédentes et de la vigilance de la commission des finances, je vous propose d'adopter, en procédure simplifiée, les présents projets de loi visant à approuver les avenants aux conventions fiscales en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune qui ont été respectivement conclus avec l'Arabie Saoudite, l'Autriche et l'île Maurice.
M. Philippe Marini, président. - Je vous remercie de votre approche globale, pertinente, utile et très claire. Puisque je n'ai pas de demande de question, je souhaiterais, à titre liminaire, faire part à la commission des réflexions échangées avec la rapporteure générale avant le début de notre réunion. Sans remettre en cause le droit de tirage et l'automaticité de la création des commissions d'enquête et des missions communes d'information (MCI), leur mise en place peut soulever un problème de moyens et de disponibilité des ressources humaines. En effet, elle requiert d'y affecter du personnel administratif nécessaire également au fonctionnement des commissions permanentes.
Cette question pourrait donner lieu à une réflexion générale afin de mettre en perspective les enjeux de la création des commissions d'enquête et des MCI, sans pour autant brider l'initiative des groupes. Il convient d'avoir conscience des limites des ressources humaines disponibles. Cette réflexion viserait à répondre aux conflits d'usage entre la commission d'enquête ou de la MCI, qui constitue un outil temporaire, et la commission permanente, seul instrument permettant d'acquérir un patrimoine de connaissances et de le traduire en propositions portées en séance plénière du Sénat. Vous avez raison de mettre l'accent sur le sujet de la fraude fiscale qui va faire prochainement l'objet d'une commission d'enquête. Il faudrait néanmoins, avec votre soutien, débattre, au sein de la conférence des présidents, de ces questions afin de mesurer ce phénomène et de parvenir à une éventuelle auto discipline.
Revenant sur l'objet de notre réunion, j'observe que la ratification de l'avenant autrichien tend à s'inscrire dans le cadre européen de la lutte contre la fraude fiscale et les failles normatives qui la permettent. La commission des finances tient à jouer son rôle dans ce combat.
Je distingue, ainsi que vous l'avez fait, le contexte international de l'échange de renseignements sur demande de celui européen qui conduit à s'interroger sur la directive « Epargne » et l'échange automatique. Les relations avec la Suisse hors Union européenne soulèvent les mêmes sujets que celles avec l'Autriche et le Luxembourg. La résolution du blocage du processus de révision de la directive « Epargne » ne peut se résumer à des éléments techniques. Elle relève de facteurs profondément politiques relatifs à nos systèmes de régulation.
S'agissant des pays pour lesquels il n'y a pas d'accord de renseignements, l'insertion d'une clause à cet effet constitue un progrès.
Quelles seraient vos préconisations pour garantir le suivi de ce sujet ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Je tiens à insister sur le fait que le Gouvernement doit transmettre les rapports qui nous sont dus. Ils sont nécessaires à l'établissement du bilan de la politique conventionnelle française de lutte contre les Etats non coopératifs. Je vous rappelle que nous auditionnons Mme Pécresse cet après-midi.
M. Philippe Marini, président. - Où en est la révision de la directive « Epargne » ? Quand peut-on espérer un déblocage ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure. - L'horizon est incertain, je le crains, ainsi qu'on nous l'a dit en avril dernier à Bruxelles. Il semblerait qu'en mai dernier, nous étions très proches de la conclusion d'un compromis.
M. Philippe Marini, président. - Que peut-on faire ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Le problème est essentiellement politique. L'Allemagne doit clairement soutenir la révision. Lors de notre déplacement à Berlin, celle-ci ne semblait pas constituer une priorité.
J'ai par ailleurs reçu, à leur demande, les représentants des banquiers suisses qui ont présenté les principales stipulations des accords suisses. Leur détermination à promouvoir ces accords les conduiraient certainement à vouloir être auditionnés par la commission.
Je vais également me rendre à deux reprises à Bruxelles. J'essaierai, dans cette perspective, d'obtenir des renseignements supplémentaires et d'agir dans le sens de la conclusion du processus de révision de la directive.
M. Philippe Marini, président. - Ces perspectives sont utiles. La problématique des accords « Rubik » ne doit pas empêcher l'aboutissement de la révision de la directive « Epargne ».
Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Il est également nécessaire d'obtenir le bilan de l'application de cette directive. Celui-ci est prévu de manière triennale. Le premier bilan a été publié en 2008. Nous attendons celui prévu en 2011.
M. Philippe Marini, président. - Pourriez-vous nous indiquer un plan de route avec des échéances afin de fixer les différentes étapes de la continuité de notre action en ce domaine ?
En conclusion, mes chers collègues, il vous est proposé l'examen en procédure simplifiée des trois avenants aux conventions fiscales de suppression des doubles impositions, respectivement conclues avec l'île Maurice, l'Arabie Saoudite et l'Autriche.
La commission adopte les rapports.
Elle adopte les trois projets de loi tendant à autoriser l'approbation d'avenants aux conventions fiscales entre la France et, respectivement, l'île Maurice, l'Arabie Saoudite et l'Autriche.
Elle propose que ces textes fassent l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique, en application des dispositions de l'article 47 decies du Règlement du Sénat.
Exécution du budget de 2011 et perspectives pour 2012 - Audition de Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat
Au cours d'une seconde réunion tenue l'après-midi, la commission procède à l'audition de Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, sur l'exécution du budget de 2011 et les perspectives pour 2012.
M. Philippe Marini, président. - Nous entendons Mme le ministre du budget sur l'exécution du budget de 2011 et les perspectives pour 2012. À cette période de l'année, on commence à y voir clair sur le résultat de l'exercice précédent. Il n'est pas impossible que nous ayons à nous retrouver autour d'un texte financier d'ici quelques semaines : pouvez-vous lever le voile sur les conditions économiques et financières dans lesquelles a été entamé l'exercice 2012 ?
Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat. - Tenir nos engagements de réduction des déficits sans peser sur une croissance encore fragile : tel est l'équilibre qui est au coeur de la politique du Gouvernement.
Les résultats de l'exécution 2011 le démontrent, cette stratégie porte ses fruits : nos objectifs ont été respectés et bien souvent dépassés. Le solde définitif de l'Etat s'établit à 90,8 milliards d'euros : c'est une amélioration de 4,6 milliards, soit 0,2 % du PIB, par rapport à la dernière loi de finances rectificative.
Ces très bons résultats témoignent d'abord de la rigueur, de la sincérité et de la réactivité avec lesquelles le Gouvernement gère les comptes publics. Loin de prendre prétexte des circonstances pour relâcher nos efforts de maîtrise des dépenses, nous les avons poursuivis et accentués, malgré le changement brutal de conjoncture. Par deux fois, le 24 août et le 7 novembre dernier, le Premier ministre a pris toutes les décisions qui s'imposaient face au ralentissement de l'économie mondiale et a établi des plans de redressement. Cette réactivité a payé : les résultats des quatre projets de loi de finances rectificatifs de 2011 dépassent nos attentes.
Nous avons pris de l'avance sur nos engagements de réduction des dépenses. Pour la première fois depuis 1945, les dépenses de l'État diminuent : moins 260 millions, hors dette et pensions, par rapport à 2012. C'est un tournant historique.
Les recettes s'établissent, elles, à un niveau supérieur à la dernière prévision, en hausse de 1,3 milliard. Preuve du réalisme et de la prudence de nos prévisions, mais aussi de la pertinence des mesures de redressement, grâce auxquelles nous avons protégé nos recettes, en particulier l'impôt sur les sociétés, sans entamer la résistance de l'économie française.
Enfin, le Gouvernement tient son engagement en consacrant l'ensemble des produits exceptionnels, soit 3,1 milliards d'euros, à la réduction du déficit.
La baisse des dépenses de l'Etat ne correspond pas à un effet d'aubaine. Si certaines dépenses ont été moins élevées que prévu - le fonds de compensation de la TVA pour 650 millions, ou les primes d'épargne logement, pour 340 millions - nous avons aussi eu à financer des dépenses exceptionnelles : frégates de Taïwan, pour 433 millions, opérations extérieures, en Libye et en Côte d'Ivoire, pour un demi-milliard, augmentation de 590 millions de l'allocation adultes handicapés et des prestations sociales, pour tenir compte de l'inflation.
Cette baisse n'est pas due au hasard, mais à nos politiques de réforme, lancées dès 2007. C'est grâce à la RGPP, grâce au non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux dans la fonction publique d'Etat et grâce à un effort sans précédent sur les dépenses de fonctionnement que nous maîtrisons aujourd'hui les dépenses publiques.
Nous avons également géré avec prudence la masse salariale, afin d'éviter tout dérapage. L'exécution en 2011 est exactement conforme à la loi de finances initiale : l'écart de fin d'année est de 26 millions, sur un total de 117 milliards d'euros. Dans le passé, l'écart était généralement d'environ 250 millions. Cette baisse des dépenses n'a jamais remis en cause les priorités du Gouvernement, qu'il s'agisse de l'enseignement supérieur, de la recherche ou de la justice, dont les moyens ont été préservés et augmentés.
À cette baisse sans précédent des dépenses, s'ajoute une réduction de la charge de la dette, car si l'appréciation des agences de notation à notre sujet est contrastée, les taux n'ont jamais été aussi faibles, en particulier à court terme : 140 millions de moins que ne le prévoyait la loi de finances rectificative.
Les résultats de l'exécution 2011 démontrent que nos choix budgétaires ont été les bons. Nous avons réagi sans surréagir au ralentissement de la croissance, en veillant à doser notre effort. Ceux qui prétendaient que notre objectif de croissance de 1,75 % ne serait jamais tenu ou que nos plans d'août et novembre étaient insuffisants ont eu tort.
Nous avons protégé les recettes, en agissant notamment sur l'impôt sur les sociétés et sur les prélèvements sur le patrimoine. Les résultats sont là : nos recettes sont en hausse de 1,3 milliard, en nette amélioration par rapport à la dernière prévision. L'impôt sur les sociétés s'établit à 39,1 milliards, en hausse de plus de 19 % par rapport à 2010, et ce malgré l'autolimitation des entreprises, qui ont anticipé une baisse de résultats en 2011. La limitation du report en avant des déficits rapporte, dès cette année, 700 millions de plus, la suppression du bénéfice mondial consolidé, décidée par l'Assemblée nationale, 500 millions.
La TVA a rapporté 131,9 milliards, 3,6 % de mieux qu'en 2010 et en hausse également par rapport à la loi de finances initiale. Son rendement stable témoigne de la bonne tenue de la consommation française. Les plans de redressement n'ont pas eu d'effet sur la consommation.
Loin de casser la croissance, notre stratégie de redressement des finances publiques est la réponse adaptée à la situation.
La taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) augmente de 300 millions, essentiellement parce que certaines recettes n'avaient pas été comptabilisées en 2010 ; l'augmentation du volume de la consommation de produits pétroliers intervient pour moins du tiers.
Les impôts patrimoniaux, impôt de solidarité sur la fortune, droits de mutation et revenus des capitaux mobiliers sont en hausse d'environ 400 millions, preuve que la réforme de 1'ISF de juin était équilibrée.
Les remboursements et dégrèvements qui viennent réduire le montant et des recettes sont inférieurs de 1,9 milliard d'euros à notre prévision, conséquence de la réforme de la taxe professionnelle et d'une baisse des dépenses de contentieux.
Les conséquences de la crise, en particulier en Grèce, sont restées dans la marge de nos évaluations.
Nos recettes permettent également de sécuriser la réduction du déficit pour 2012 : sur 1,3 milliard de recettes supplémentaires, près de 1 milliard viendra consolider nos ressources en 2012.
Le solde des comptes spéciaux contribue également à réduire le déficit public de 3,1 milliards par rapport à la dernière loi de finances rectificative. Preuve d'une gestion extrêmement rigoureuse, toute rentrée nouvelle est directement affectée à la réduction des déficits.
La moindre mobilisation des prêts bilatéraux destinés à la Grèce intervient pour 1 milliard. Nous avons poursuivi l'effort de valorisation du patrimoine de l'Etat : la vente aux enchères des fréquences 4G a rapporté 850 millions - le vrai prix, mais nous ne nous attendions pas à vendre si cher ! - et les cessions immobilières, 200 millions. Le milliard restant s'explique par le solde des avances aux collectivités territoriales, le solde du compte d'affectation spéciale apprentissage et des produits de gestion de la dette des actifs de l'Etat.
Tous ces bons résultats s'inscrivent dans la trajectoire pluriannuelle qui prévoit 51,5 milliards d'euros d'efforts sur 2011 et 2012, répartis à parts égales entre les dépenses et les recettes. Cette trajectoire, comme les économies structurelles qui la sécurisent, a été jugée crédible par les agences de notation : pour elles, le risque principal qui pèse sur la France n'est pas sa stratégie budgétaire, mais la possibilité d'une récession dans la zone euro.
Sur la sécurité sociale et les collectivités territoriales, les éléments d'exécution ne seront disponibles que mi-mars. Compte tenu des premières tendances, le déficit public sera sans doute inférieur à l'objectif de 5,7 % ; il se situera à 5,5 %, voire plus bas.
La réduction du déficit public, supérieure à 1,4 % du PIB, est la plus importante depuis 1945 : le déficit budgétaire aura diminué de plus de 58 milliards. Nous avons fait mieux qu'en 1979, mieux qu'en 1996 : le record est battu et ce, dans une conjoncture de faible croissance.
Comme je l'ai dit hier au président Cahuzac, le déficit structurel de l'État devrait s'établir au même niveau, voire en deçà du niveau de 2007, qui était de 3,7 % : nous aurons effacé la hausse du déficit structurel qu'a entraînée la crise.
M. Philippe Marini, président. - Je vous remercie. Cette première audition de l'année, sur l'exécution budgétaire, est toujours un moment important.
La méthodologie employée pour déterminer le déficit structurel est-elle stabilisée ? Où en est-on dans le travail de qualification juridique de la notion de solde structurel, inscrite dans l'accord intergouvernemental européen du 9 décembre ?
Vous nous avez dit tout le bien qu'il faut penser des projets de loi de finances rectificative de 2011. La commission des finances ne peut qu'être favorable à des collectifs fréquents, qui lui permettent d'exister plus intensément ! Celui qui nous est annoncé pour début 2012 modifiera-t-il la réserve de précaution ? Y aura-t-il un infléchissement de ce que nous avons approuvé dans le projet de loi de finances pour 2012 ?
Dans le cadre du semestre européen, le Gouvernement enverra le programme de stabilité à la Commission européenne au plus tard le 30 avril. Quels que soient les aléas du calendrier, il serait souhaitable d'avoir sur ce sujet un débat en commission des finances, qui incarnera la continuité de la République pendant cette période particulière !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - S'agissant de l'exécution du budget, madame la Ministre, vous avez communiqué assez précisément sur les recettes - la presse s'en est fait l'écho - mais avez été moins prolixe sur les dépenses. Les dépenses de fonctionnement courant et les interventions discrétionnaires devraient baisser de 2,5 % et les interventions de guichet se stabiliser. Quel est le coût définitif de la réforme de la taxe professionnelle pour le budget de l'Etat en 2011 ? Quel est le coût global des dépenses fiscales en 2011 ? La règle de stabilisation en valeur à périmètre constant prévue par la loi de programmation des finances publiques est-elle respectée ? Quand connaîtrons-nous le coût définitif, mesure par mesure, des dépenses fiscales ?
Une niche en particulier a fait beaucoup débat au Sénat lors de l'examen budgétaire : l'exonération de charges sociales en matière de services à la personne. Le Gouvernement avait annoncé une économie de 460 millions en 2011, et de 700 millions les années suivantes. Cette prévision s'est-elle vérifiée l'an passé ?
J'en viens à la trajectoire des finances publiques et à la loi de finances rectificative. Vous avez déclaré à l'Assemblée nationale que le déficit pour 2011 s'établirait à 5,5 %, voire moins.
Mme Valérie Pécresse. - Je le confirme.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - L'engagement européen pour 2012 est de ramener le déficit à 4,5 %. Or vous allez sans doute revoir la prévision de croissance dans le prochain projet de loi de finances rectificative, de 1 % à 0,5 %... Aucun problème, dites-vous, point besoin d'un troisième plan de rigueur, car il y a la réserve de précaution, qui s'élève à 6 milliards d'euros. Mais celle-ci n'est pas faite pour alléger les charges ! Dans l'exécution budgétaire de 2010, seuls 201 millions de crédits ont été annulés : on est loin de 6 milliards. Combien d'annulations en 2011 ? Je rappelle que la commission des finances doit être informée de tout acte, quelle qu'en soit la nature, ayant pour effet ou pour objet de rendre des crédits indisponibles : ce n'est pas le cas.
Le programme de stabilité et de croissance doit être transmis au Parlement au plus tard le 15 avril, puis à Bruxelles le 30 : c'est donc peut-être entre les deux tours que nous en discuterons. Le Parlement ne siègera pas à cette date mais la session se poursuivra. La commission des finances entend débattre et donner son avis sur ce programme ; viendrez-vous, Madame la ministre ? Car vous serez toujours en fonction à cette date.
Vous avez beaucoup communiqué depuis novembre dernier sur la lutte contre la fraude fiscale. Vous annoncez un renforcement des sanctions mais quelle assurance avez-vous que la politique conventionnelle menée par la France donnera des résultats ? Je ne suis pas certaine de son efficacité. En 2011, vous deviez nous remettre deux rapports à ce sujet, l'un sur le contrôle de leurs filiales à l'étranger par les entreprises françaises, l'autre sur les échanges de renseignements. Ces données nous sont nécessaires pour dresser un bilan quantitatif et lucratif : nombre d'actions engagées, rendement fiscal... Nous avons reçu le premier rapport avant-hier soir ; hélas il ne dit rien que nous ne sachions déjà depuis deux mois. Nous sommes les seuls, au Parlement, à nous pencher sur cette question et à suivre attentivement les résultats de la politique conventionnelle. Nous aurions dû recevoir le 1er décembre un rapport sur les accords bilatéraux Rubik conclus par la Suisse avec l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Rien n'est venu.
Enfin, que pense le Gouvernement de la loi américaine « Foreign account tax compliance Act » ou « Fatca », qui pourrait favoriser les échanges automatiques et qui devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2013 ?
Mme Valérie Pécresse. - Nous sommes en train de travailler, avec François Baroin, sur la rédaction du futur traité et de la règle d'or européenne, notamment sur la définition exacte du déficit structurel, qui devra être inférieur à 0,5 % du PIB. L'objectif en 2012 est de parvenir à un déficit structurel de 2,3 %, le solde étant dû aux difficultés conjoncturelles. J'attends de connaître dimanche les décisions du président de la République après le sommet de crise : elles détermineront la nature du texte à élaborer, probablement un collectif budgétaire. Quoi qu'il en soit, le Gouvernement ne changera pas de stratégie : sincérité et réactivité. Nous reverrons si nécessaire les prévisions macroéconomiques, en fonction des informations disponibles, en particulier la croissance réalisée depuis le début de l'année.
En 2010, la réserve de précaution avait été utilisée à hauteur de 200 millions d'euros ; en 2011, 2 milliards d'euros. Nous progressons dans la bonne gestion des deniers publics et dans le contrôle de tous les leviers de régulation des dépenses.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - De combien était la réserve en 2011 ?
Mme Valérie Pécresse. - De 5 milliards. La réserve de précaution pour 2011 était fixée à 5 milliards d'euros et il y a eu 2 milliards d'annulations. Pour 2012, la réserve se monte à 6 milliards.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Tout dépend de votre hypothèse de croissance : avec 0,5 %, le compte n'y est pas. Ou alors vous utiliserez la réserve en totalité.
Mme Valérie Pécresse. - Ne mettons pas la charrue avant les boeufs. Nous ignorons encore s'il y aura ou non un collectif budgétaire. Si oui, nous serons au rendez-vous. La marge de manoeuvre est de 6 milliards, il faudra en garder une petite part pour l'exécution budgétaire. Mais peut-être aurons-nous d'autres bonnes nouvelles, après celles de l'exercice budgétaire 2011 ?
Je suis bien sûr à votre disposition pour venir devant vous, avec M. Baroin, discuter du programme de stabilité. Inévitablement, un tel débat, à cette date, nous semblera surréaliste, mais pourquoi pas ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - À votre demande, vous êtes venue en septembre dernier présenter un projet de loi de finances rectificative à l'ancienne commission des finances, pendant la campagne des sénatoriales. Nous n'avons pas qualifié votre audition de « surréaliste » !
Mme Valérie Pécresse. - Si le prochain Gouvernement quel qu'il soit s'engage à respecter le programme de stabilité, fort bien, j'y verrai une saine continuité de la gestion des finances publiques.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Le futur président de la République, François Hollande, a dit que ce serait le cas.
M. Philippe Marini, président. - Ne vendez pas la peau de l'ours !
Mme Valérie Pécresse. - Pas si vite !
M. Philippe Marini, président. - Il conviendra d'associer le Parlement à l'élaboration des chiffres, car ils nous engagent vis-à-vis de nos partenaires européens et ils constitueront donc le cadre de nos futures lois de finances.
Mme Valérie Pécresse. - S'agissant des dépenses de fonctionnement, nous aurons les informations exactes dans la loi de règlement et les rapports annuels de performances, mais dès que les chiffres seront disponibles, au début du deuxième trimestre, je vous les transmettrai. Le coût de la réforme de la taxe professionnelle a été légèrement inférieur en 2011 à la prévision, 4,8 milliards d'euros, contre 7,8 en 2010. Pour 2012, la réalisation sera très proche de la prévision. Le coût total de la réforme pour la période 2010-2012 sera finalement revu à la baisse : 17 milliards et non 21,5.
Les dépenses fiscales représentent 67,5 milliards d'euros. S'agissant des exonérations de charges sur les emplois d'aide à la personne, je n'ai pas encore le chiffre précis.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Une économie était prévue.
Mme Valérie Pécresse. - Je vous en donnerai le détail.
Le Gouvernement mène depuis 2007 une stratégie payante dans la lutte contre la fraude fiscale. Celle-ci a rapporté en 2010 un milliard d'euros de plus qu'en 2009, 16 milliards au lieu de 15. La cellule de régularisation a traité 7 milliards d'euros d'avoirs et a récolté 1,2 milliard d'euros en droits et pénalités. La politique conventionnelle a commencé par une action de la France auprès du G20 pour faire adopter une liste des pays non coopératifs ; cette liste adoptée, nous sommes allés voir les pays inscrits, un par un - ils étaient désireux de négocier, pour échapper à l'infamante publicité. Quant aux résultats produits, nous serons en mesure de vous donner les chiffres exacts le 2 février prochain. Si nous discutons un collectif prochainement, nous en profiterons pour durcir les sanctions à l'égard des détenteurs de comptes dans les paradis fiscaux.
Nous évaluons à présent les effets des conventions de coopération signées. Nous verrons si elles sont un leurre. Mais nous ne sommes pas naïfs et nous avons prolongé de trois ans le mandat de la police fiscale créée pour mener des investigations complexes dans les pays signataires. Dans tous les paradis fiscaux, la durée de la prescription sera de dix ans. Le temps joue en notre faveur. Nos services de police disposent de délais suffisants pour décortiquer des montages fiscaux très sophistiqués, sociétés écrans et off-shore en cascade. Resserrer l'étau sur ces gros fraudeurs exige du temps, des moyens humains et techniques. Nous avons l'intention d'accroître les pouvoirs de la police fiscale mais aussi de durcir les sanctions, qui n'ont pas été réévaluées depuis trente ans. Une amende de 1 500 euros pour un compte à l'étranger non déclaré, c'est beaucoup pour un petit déposant, mais c'est une poussière pour l'auteur d'un carrousel à la TVA qui a détourné des centaines de milliers d'euros. L'amende désormais atteindra jusqu'à 5 % des sommes et les sanctions pénales seront renforcées si le compte est situé dans un paradis fiscal ou s'il y a récidive.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - La nouvelle liste française des pays non coopératifs n'a pas été publiée.
Mme Valérie Pécresse. - C'est que nous devons l'actualiser ; nous venons notamment de signer une convention avec un Etat qui doit sortir de la liste.
Vous recevrez le rapport sur Rubik en début de semaine prochaine. À première vue, ces accords semblent intéressants. À deuxième vue aussi, puisque l'Allemagne et la Grande-Bretagne ont décidé de les signer. Mais à bien y regarder, ils comportent des inconvénients. Du reste le parlement allemand, selon toute évidence, ne ratifiera pas... Ces textes sont en contradiction avec la directive épargne, qui vise la levée du secret bancaire. Or, ces accords visent à sanctuariser le secret. En outre, les banques suisses seront-elles capables de prélever l'impôt ? Comment feront-elles le tri entre les contribuables, pour identifier les contribuables français, ou anglais, ou allemands, alors que les fraudeurs utilisent des sociétés écran, par exemple de droit panaméen logées dans une banque suisse ? Peut-on avoir une absolue confiance dans les banques suisses pour parvenir à « loger » l'actionnaire principal de chaque structure ? Nous avons là un sujet...
De tels accords sont une forme d'amnistie fiscale pour le passé ; et pour l'avenir, ils nous privent des données nécessaires à l'évaluation du patrimoine total, sur laquelle sont calculés l'impôt sur la fortune ou les droits de successions. L'anonymat des détenteurs de comptes demeure. Quant aux recettes à attendre, ne nous laissons pas leurrer par des perspectives mirobolantes, car l'intervalle de temps entre la signature d'un accord et sa ratification par le Parlement serait mis à profit : les sommes déposées en Suisse migreraient temporairement sous d'autres latitudes.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Nous sommes d'accord.
Mme Valérie Pécresse. - La loi américaine Fatca imposera aux banques françaises - comme à celles des autres pays - de dévoiler, sur demande de l'administration fiscale des Etats-Unis, tous les mouvements de fonds sur des comptes détenus par des ressortissants américains. Si les banques françaises ou d'autres pays refusent, elles n'auront plus le droit d'exercer aux Etats-Unis. Décision unilatérale d'un pays puissant, qui montre ainsi l'idée qu'il a de son importance...
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Mais l'Europe ne pourrait-elle pas faire la même chose ?
Mme Valérie Pécresse. - Exactement. Le dossier mériterait d'être soumis aux instances européennes. Nous devrons répondre aux Américains d'ici 2014. Pourquoi ne pas demander la réciprocité ? La France ne pourra agir seule, c'est l'Union européenne qu'il faut mobiliser, dans un sens conforme à la directive épargne. Le Sénat pourrait jouer un rôle moteur, en lien avec le Parlement européen.
M. Christian Bourquin. - Nouveau sénateur, je suis impressionné par l'exercice remarquable auquel la ministre s'est livrée. J'éprouve pourtant quelques doutes : « bon résultat », baisser les dépenses de 260 millions d'euros, dans un budget de 280 milliards ? Bon résultat, utiliser les fonctionnaires et les collectivités locales comme variable d'ajustement ? Bon résultat, une économie de 140 millions d'euros sur les intérêts de la dette, quand la charge représente 48 milliards par an ? Que pèse tout cela au regard du coup de frein annoncé aux Français ? L'investissement représente 3 % du budget de l'Etat, une proportion infinitésimale. Comptez-vous relancer ainsi l'activité et l'emploi ? Dans ma collectivité, le pourcentage est de 43 % !
Quel est le niveau de consommation des crédits de 2011 pour les universités ? Votre successeur croit maintenir un écran de fumée en accusant les régions, dont ce n'est pas la compétence, de ne pas investir dans les universités. Enfin, en tant que rapporteur spécial des crédits du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), je déplore la coupe claire intervenue une fois encore cette année. Quel est le niveau de consommation ?
M. François Fortassin. - Madame la Ministre, vous avez parlé avec un talent certain, mais une conviction plus tiède. La baisse des dépenses atteint « un record depuis 1945 ». Dépenses salariales conformes aux prévisions, diminution de la charge de la dette, recettes satisfaisantes,... Alors par quelle turpitude les agences de notation ont-elles pu abaisser la note de la France ?
M. Philippe Dallier. - Une agence, pas « les » agences !
M. Philippe Marini, président. - Je l'avoue, lorsque nous nous sommes rendus chez Standard & Poor's à New-York, en 2009, nous sommes ressortis perplexes, sans idée très claire de leur manière de raisonner.
M. Serge Dassault. - J'ai là un document intitulé 2007-2012, le mandat des engagements tenus. Vous indiquez que l'endettement aura été réduit de 4,4 milliards d'euros en cinq ans. Mais on ne pourra parler de réduction de la dette avant d'être revenus à l'équilibre budgétaire !
Mme Valérie Pécresse. - Nous avons réduit notre endettement. Je vous rappelle qu'un budget peut être en excédent primaire, mais finalement déficitaire en raison d'un lourd passif de dette.
M. Serge Dassault. - Vous n'allez pas assez vite dans la réduction du déficit budgétaire, alors que l'on pourrait revenir à l'équilibre dès 2013, en utilisant la TVA par exemple.
Vous pourchassez les détenteurs de comptes en Suisse, pour récupérer quelques millions d'euros. Vous refusez, au nom de cet objectif, de signer l'accord Rubik, mais la conséquence en est que la Suisse a annulé de gros contrats : le manque à gagner s'élève à des milliards d'euros. Si un paradis fiscal se trouve être un pays qui importe beaucoup de nos produits, il y a lieu de réfléchir. Même chose avec les Turcs : nos exportations vers leur pays vont reculer de milliards d'euros. Il faut choisir : faire du commerce ou faire la morale. La priorité devrait être de donner du travail aux Français ! Les détenteurs de comptes en Suisse ont déjà filé. Nous avons commis une erreur énorme, que nous allons payer très cher.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je suis impressionnée par l'exécution du budget en 2011 ; et heureuse que l'on parle, pour une fois, de réalisations, au lieu de s'écharper sur les prévisions. Je félicite le Gouvernement, dont l'expérience, les choix cohérents et la persévérance produisent à présent leurs résultats. Les économies recherchées sur les dépenses et les réformes structurelles sont payantes.
L'attitude des agences de notation me choque, qui dégradent notre note en dépit de nos bons résultats. Elles ont quitté la stricte évaluation du risque financier pour se livrer désormais à des évaluations juridiques, institutionnelles, politiques, forcément subjectives. Il est temps de se pencher sur la question - par exemple, quels sont les modèles utilisés par les analystes ? - et de reprendre la main. La décision de l'Allemagne de démanteler toutes ses centrales nucléaires aura des conséquences énormes sur la trajectoire financière, or les agences n'en tiennent aucun compte.
Ne soyons pas effrayés par la perspective d'un collectif budgétaire : l'important est de respecter la trajectoire financière. Cette façon de travailler est nouvelle pour tout le monde, mais si la France s'en sort mieux que les autres, c'est bien grâce à la réactivité du Gouvernement. Le prochain collectif est normal et bienvenu.
M. François Patriat. - Il y a une part de cynisme dans l'exposé de Mme la ministre, car l'Etat débudgétise à tout va, y compris aux dépens des fonds gérés par les partenaires sociaux. Où est la cohérence, quand on nous fait voter en décembre des crédits en baisse de 11 % sur la mission « Emploi », soit 1,4 milliard d'euros, pour annoncer fièrement au sommet social du 18 janvier une rallonge de 480 millions ? Et l'on recourt à des emplois temporaires à Pôle Emploi, après des suppressions massives de postes.
Je ne vois pas comment l'Etat pourrait diminuer la charge de sa dette avec un déficit qui s'accroît chaque année. Et surtout, pourquoi le Gouvernement attend-il la fin de la mandature pour définir une nouvelle règle d'or ? Il en existait déjà une, elle imposait un déficit inférieur à 3 % du PIB, mais le Gouvernement a demandé aux autorités européennes de pouvoir dépasser ce seuil.
Les agences de notation ne sont pas partisanes. Elles observent les tendances lourdes et se prononcent. Évitons les faux débats. On juge excellente l'agence qui maintient la note, mauvaise celle qui dégrade.
- Présidence M. Yvon Collin, vice-président -
Mme Valérie Pécresse. - À M. Bourquin je veux dire que le non-remplacement d'un départ sur deux dans la fonction publique d'État s'est traduit par la suppression de 30 000 postes, mais les 900 millions d'euros économisés par an ont été, presque en totalité, reversés au titre de mesures catégorielles. Pour la première fois en 2012, la dépense diminuera vraiment. Je souligne que le pouvoir d'achat des fonctionnaires a progressé de 10 % entre 2007 et 2012. C'était l'engagement du président de la République : moins de fonctionnaires, mais mieux payés ! Le salaire d'un enseignant en début de carrière a été porté à 2 000 euros bruts par mois, soit 18% de hausse en deux ou trois ans.
Il faut continuer la politique de non-remplacement car il y a là une source d'économies sensible. La Grande-Bretagne supprime 700 000 postes de fonctionnaires, la France 150 000. Les salaires des fonctionnaires baissent en Espagne, en France ils progressent. L'effort doit se poursuivre, d'autant que la masse salariale augmente mécaniquement de 3 % par an si l'on maintient le nombre des fonctionnaires...
Toutes les dépenses de l'Etat ont été gelées en volume, les dotations aux collectivités territoriales aussi : ce n'est pas une économie mais un gel et aucun autre effort n'a été demandé aux collectivités. Au contraire, elles ont reçu 1 milliard d'euros de plus que prévu, en compensation des pertes de recettes de la taxe professionnelle. Les collectivités ont moins investi que prévu en 2011, ce qui explique les 400 millions de dépenses économisées sur le FCTVA. L'Etat a débloqué 5 milliards d'euros pour que la Caisse des dépôts et consignations puisse consentir des prêts aux collectivités.
Certes, 140 millions d'euros d'intérêts en moins, c'est peu : mais emprunter à un taux inférieur à celui prévu est déjà une bonne nouvelle ! En dépit d'appréciations contrastées des agences, les investisseurs nous conservent leur confiance. Le Trésor emprunte à 3,1 % depuis le début de l'année, contre 3,7 % budgétés en 2012. La charge diminuera peut-être cette année de 1 ou 2 milliards d'euros si la tendance se confirme. La France n'est pas un mauvais risque et la demande à chaque adjudication est de deux à trois fois le montant émis. L'opposition ne s'en réjouit pas, c'est dommage. Les investisseurs jugent nos réformes : leur affluence montre que notre politique est bonne.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - La BCE rend service aux Etats, en ce moment...
Mme Valérie Pécresse. - Elle ne le ferait pas s'ils n'avaient pas pris des engagements et démontré la solidarité au sein de la zone euro. L'accord historique du 9 décembre conclu grâce aux efforts conjoints du président de la République et de la chancelière allemande est en train de sortir la zone euro de la crise. C'est un accord gagnant-gagnant entre solidarité et discipline. L'Allemagne, en dépit de la prévision pessimiste du FMI, croit à une reprise dès le deuxième semestre.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Elle a augmenté sa prévision de croissance pour 2012.
Mme Valérie Pécresse. - À 0,75 %, alors que le FMI prévoit 0,3 %. On peut être optimiste : ne cédons pas à l'autodénigrement !
L'Etat a transféré aux collectivités l'essentiel des compétences d'investissement. Pour les écoles par exemple, la compétence a été transférée en totalité, mais l'Etat paye toutes les dépenses de fonctionnement.
M. Christian Bourquin. - TGV ou autoroutes relèvent bien de l'Etat.
Mme Valérie Pécresse. - Les routes n'ont-elles pas été transférées ? Lorsque l'investissement des collectivités chute, le pays s'en ressent. L'Etat quant à lui assume les dépenses de fonctionnement, par exemple, puisque vous parlez de l'enseignement supérieur, les achats scientifiques non mutualisés de tous les opérateurs de recherche, tels que les abonnements aux revues spécialisées, souscrits en ordre dispersé... Le budget de fonctionnement des universités a augmenté de 28% en cinq ans, avec des disparités, certes, mais Laurent Wauquiez a calculé que les fonds de roulement consolidés ont globalement augmenté de 120 millions d'euros. Seules sept universités sont en déficit. Les établissements s'approprient, peu à peu, la gestion autonome. Le bilan est positif. Le plan Campus est mis en oeuvre de façon inégale selon les régions, et cela ne dépend pas de leur niveau de richesse... Je dirai seulement que le Languedoc-Roussillon a été exemplaire depuis le début ; l'Aquitaine est également en pointe.
Aller trop vite, monsieur Dassault, serait porter un coup fatal à la consommation des ménages. C'est elle qui alimente la croissance, et non les exportations, pardon de vous le dire. Lorsque les deux, consommation et exportation, progresseront, la baisse du déficit pourra s'accélérer. Notre choix sur Rubik a sans doute perturbé certaines décisions industrielles, mais il n'est pas question de perdre notre âme et trahir les principes républicains pour quelques milliards d'euros.
Merci à Marie-Hélène Des Esgaulx de souligner la cohérence de notre action. Pour parvenir au zéro déficit en 2016, l'effort représente 115 milliards d'euros sur la période. Il a été partagé à 50-50 entre dépenses et recettes en 2010, mais il sera fourni désormais aux deux tiers sur les dépenses. La montée en charge de la réforme des retraites constituera un puissant levier d'économies. En attendant, le non-remplacement d'un départ sur deux chez les fonctionnaires doit se poursuivre ; un pacte avec les collectivités territoriales est nécessaire également, car il y a chez elles des gisements d'économies possibles.
M. Christian Bourquin. - C'est-à-dire ?
Mme Valérie Pécresse. - Il n'est pas normal que la fonction publique d'Etat supprime 35 000 emplois et que les collectivités territoriales dans le même temps en créent 37 000 hors transferts. La Cour des comptes s'en émeut ; son Premier président, M. Didier Migaud, en a parlé dans ses voeux de rentrée. Il existe au sein des collectivités des sources de productivité et d'économies sur les dépenses. Mais l'effort doit être décidé par les intéressées elles-mêmes, conformément au principe de libre administration. Les dotations d'Etat aux Länder, aux collectivités locales anglaises, ont diminué respectivement de 13 % et 19 %. Les collectivités françaises ont été singulièrement épargnées !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Le Gouvernement allemand a négocié, ce que le Gouvernement français ne fait jamais.
Mme Valérie Pécresse, ministre. - C'est pourquoi je dis qu'il faut un pacte. Il existe en Allemagne une culture de la négociation, du compromis, de l'accord, dont nous pourrions nous inspirer utilement.
M. Christian Bourquin. - Quelle part des 115 milliards d'euros serait à prendre en charge ?
Mme Valérie Pécresse. - Le programme de stabilité comprendra un effort de 2 milliards d'euros pour les collectivités, de 19 milliards pour la sécurité sociale, de 16 milliards au titre de la réforme des retraites. Il faudra économiser 74 milliards de dépenses et trouver 41 milliards de recettes supplémentaires.
Monsieur Patriat, avec la fusion des Assedic et de l'ANPE, 5 000 emplois ont été créés à Pôle Emploi depuis 2007. Nous en ajouterons 2 000 par redéploiements - et 1 000 autres ont été annoncés au sommet social. La priorité est de personnaliser l'accompagnement des chômeurs. Le recul des crédits de la mission est dû à une modification de périmètre et à l'extinction du dispositif du plan de relance.
M. Éric Doligé. - Je vous félicite, madame la ministre. Plus de recettes et moins de dépenses que prévu : nous en rêvons tous, dans nos collectivités.
Pouvez-vous demander à vos services de ne pas changer le périmètre du FCTVA tous les ans ? On nous transfère maintenant dans du fonctionnement des dépenses qui relevaient avant de l'investissement !
Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) devraient baisser leurs exigences, qui freinent l'investissement. Un exemple : Amazon a les mêmes entrepôts en Allemagne et en France. Chez nous, on est obligé de monter des murs coupe-feu qui coûtent une fortune ; en Allemagne, aucune contrainte de ce genre.
Enfin, il faut accélérer la mise en oeuvre de la taxe poids lourds : les départements tablent sur cette recette !
M. Francis Delattre. - Pour investir, les collectivités territoriales ont besoin de crédit. Or il manque 10 à 15 milliards. La Banque Postale ne sera pas sur le marché avant septembre, Dexia est dans la situation que l'on sait, la Fédération bancaire dit que financer les collectivités territoriales coûte trop cher... Tout cela pénalise l'investissement, donc l'activité ! Le projet d'Agence de financement des collectivités locales voulu par les associations d'élus rencontre des problèmes avec le ministère. Comment va-t-on faire ?
Un mot aussi sur la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) : on ne peut continuer à emprunter sur les marchés pour financer les retraites. Ce sont des traites sur l'avenir ! Organisons l'extinction de la Cades à horizon de trois ou quatre ans.
M. Yannick Botrel. - S'agissant des besoins de financement des collectivités locales, où en est la discussion entre la Banque Postale et la Caisse des dépôts ? Quelle est la position du Gouvernement ?
Celui-ci affirme volontiers que l'État aurait fait des économies tandis que les collectivités territoriales, elles, auraient recruté à tour de bras. Mais où avons-nous créé des postes ? Dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, dans les foyers-logement, ou encore dans l'accueil périscolaire, pour compenser la non-prise en charge des enfants en maternelle et permettre aux parents de travailler ! Les collectivités locales n'ont pas créé des emplois uniquement pour se faire plaisir !
Mme Marie-France Beaufils. - Vous dites, madame la Ministre, que les collectivités locales devraient participer à l'effort d'économie à hauteur de 2 milliards d'euros l'an prochain ?
Mme Valérie Pécresse. - Non : 2 milliards d'ici 2016. Pour 2012, leur contribution serait de 200 millions.
Mme Marie-France Beaufils. - Les collectivités peinent à financer leurs investissements, ce qui a des conséquences directes sur la vie économique et l'emploi.
Enfin, c'est surtout à court terme que les taux d'intérêt sont faibles. Quelle en est l'incidence budgétaire à plus long terme ?
Mme Valérie Pécresse. - Monsieur Doligé, nous nous retrouvons sur la simplification des normes.
Il est vrai, monsieur Botrel, qu'il y a eu des transferts de charges. Loin de moi l'idée d'accuser toutes les collectivités d'être dépensières : ce serait la meilleure façon de braquer celles qui ont fait des efforts de bonne gestion ! On ne peut dire « les » collectivités locales, quand il y a en a presque quarante mille.
Je vous ai entendu sur le changement de périmètre du FCTVA et sur les Dreal, monsieur Doligé. Sur la taxe poids lourds, le retard est dû au contentieux dans l'attribution du marché ; il est maintenant tranché et la taxe sera en place à l'été 2013.
Sur l'Agence de financement des collectivités locales, nous sommes très prudents. Notre objectif est de réduire le risque des banques. Or une banque spécifique pour financer les collectivités locales serait nécessairement assortie de la garantie de l'État, et pèserait sur l'ensemble des risques couverts par l'État. Étant donné la fragilité du système financier, nous préférons, à ce stade, dégager une enveloppe de prêt de 5 milliards à la Caisse des dépôts pour la mettre à disposition des collectivités. Faut-il davantage ? Épuisons d'abord cette enveloppe, et nous verrons. L'heure n'est pas à la création de structures à risque. Nous sommes prudents. Dexia n'est-elle pas le contre-exemple absolu ?
M. Francis Delattre. - Parce qu'elle est sortie du secteur !
Mme Valérie Pécresse. - Les emprunts ont été souscrits par des collectivités ! On ne peut confier aux collectivités territoriales la gestion d'une banque : ce n'est pas leur métier. Il faut être très ferme sur les règles prudentielles : la CDC offre une garantie de stabilité et de fiabilité.
M. Francis Delattre. - Il nous manque toujours 15 milliards !
Mme Valérie Pécresse. - J'ai entendu votre appel. Nous ne laisserons pas sacrifier le financement de l'investissement local. Le Gouvernement sera aux côtés des collectivités locales.
Quant à la dette sociale, elle doit bien entendu être remboursée, mais il faut d'abord résorber les déficits. Nous avons réduit de 40 % le déficit de la sécurité sociale en deux ans, de 50 % celui de l'assurance maladie. Nous pouvons revenir à l'équilibre des comptes sociaux en 2015, si les Ondam sont tenus.
M. Francis Delattre. - Et les recettes des privatisations ?
Mme Valérie Pécresse. - La valeur des participations de l'État est très basse, ce n'est pas le meilleur moment pour vendre. En la matière, nous agissons avec pragmatisme, sans aucune idéologie. Notre priorité, c'est le désendettement.
Madame Beaufils, 2 milliards d'euros, sur 50 milliards de DGF, représente un effort de 4 % par an. La chose est possible, mais suppose de passer un accord avec les collectivités.
Les taux d'intérêt sont faibles pour le long terme comme pour le court terme. Nous empruntons sur dix ans à 3,1 %, alors que nous avions budgété un taux de 3,7 % pour 2012. Sur le très court terme, nous avions budgété 1,4 %, nous empruntons à 0,4 %. C'est important, car une partie de la dette se refinance sur le court terme. La France émet 180 milliards de titres par an : un point d'intérêt de moins, c'est 1,8 milliard de gagné. La dette à court terme représente 15 % du stock de dette. Nous pouvons espérer une économie de 1 à 2 milliards d'euros en 2012, si les taux restent stables.
M. Yvon Collin, président. - La commission des finances vous remercie.
Jeudi 26 janvier 2012
- Présidence de M. Philippe Marini, président -Situation de la zone euro - Audition de M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
La commission procède à l'audition de M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur la situation de la zone euro.
M. Philippe Marini, président. - Monsieur le ministre, pour ne pas perdre de temps, je propose d'en venir directement aux questions. Pour ma part, je voudrais vous interroger sur la facilité d'emprunt de trois ans que la Banque centrale européenne offre au système bancaire. Cette facilité est probablement l'innovation la plus concluante de l'accord intergouvernemental du 9 décembre. Faut-il s'attendre à d'autres tranches de cette facilité ? Plus généralement, quels premiers enseignements en tirez-vous ? Cette facilité est-elle, pour le Gouvernement et la banque centrale d'un État comme le nôtre, une opportunité pour mieux dialoguer avec le système bancaire ?
Ma seconde question tient davantage au calendrier. Nous l'avons abordée avec Mme Pécresse, mais je ne vous dévoilerai pas sa réponse pour pimenter le débat... Si le Sénat, de par la Constitution, est souvent en état d'infériorité, il représentera, au moins dans la période prochaine, l'élément de continuité de la République. En tant que tel, il aimerait vous entendre, lors de la période critique du semestre européen de mi-avril, sur le programme de stabilité et de croissance. Notre voeu, que je formule sous le contrôle de Mme la rapporteure générale, est que ce programme, comme l'an dernier, fasse l'objet d'un débat au sein de la commission.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Merci, monsieur le ministre, d'avoir accepté notre invitation. Votre temps est compté, nous le savons.
Premier sujet, le Mécanisme européen de stabilité (MES). Quels sont les véhicules législatifs nécessaires à son entrée en vigueur en juillet 2012 ? Quand seront-ils examinés ?
Quel sera le montant global de la capacité de prêt ? Christine Lagarde a encouragé les Etats européens à additionner les 250 milliards du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et les 500 milliards du MES. Qu'en pensez-vous ? L'Allemagne ne semble pas enthousiaste... Si nous ne parvenions même pas à 750 milliards, cela poserait problème. Nous avions estimé les besoins à au moins 1 000 milliards. Du reste, ce sujet sera certainement sur la table du prochain sommet européen. Question subsidiaire, l'effet de levier du FESF a curieusement disparu de l'écran radar. Comment l'expliquer ?
Qu'en est-il des versements de la France au capital du MES et de l'échéancier de ces versements ? L'Allemagne semble préférer un versement unique ; en tout cas, elle dit pouvoir le faire.
Deuxième sujet, la règle d'or. La France aurait accepté la demande allemande de lier discipline et solidarité budgétaires dans les traités. Confirmez-vous cette information ? Le point est important, car les marchés pourraient anticiper les difficultés de ratification ou de mise en oeuvre des traités dans les États en difficulté, ce qui aurait un impact direct sur la crédibilité du mécanisme de stabilité.
Pensez-vous que la règle d'or soit de nature à régler les déséquilibres macro-économiques dans la zone euro ? Mme Lagarde a parlé d'inquiétudes à propos de la croissance européenne. Et l'on murmure que le FMI serait allé jusqu'à déconseiller à l'Espagne de respecter sa trajectoire budgétaire afin de ne pas pénaliser la croissance.
Dernier point, le FMI demande 600 milliards d'euros supplémentaires. Cela vous semble-t-il justifié ?
M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. - Merci de votre invitation. Le Gouvernement, je le rappelle, est à la disposition du Parlement.
Monsieur le président, la ligne de prêt de 500 milliards à un taux préférentiel de 1 % que la BCE a mise à disposition des banques explique, à notre sens, la relative stabilité des marchés aujourd'hui. Et ce, malgré les dégradations opérées par Standard and Poor's. De fait, elle règle la question des liquidités, après que les exigences de juin sur le renforcement des fonds propres en dur ont résolu la question de la solvabilité. Incontestablement, il s'agit d'une étape importante, avec l'équilibre entre discipline et solidarité proposé dans l'accord du 9 décembre, à laquelle nous devons la restauration, petite mais réelle, de la confiance des investisseurs envers les titres d'État des membres de la zone euro. Cela dit, échaudés par les crises à répétition précédentes, nous restons vigilants. De mémoire, une deuxième tranche est prévue en février.
Quels enseignements en tirer ? Pour dire les choses, cette mesure est la réponse qu'a trouvée le BCE pour pallier son incapacité, qui découle, selon elle, du traité, de faire office de prêteur en dernier ressort. Une solution de contournement donc, mais une solution efficace pour préserver la capacité de financement des banques. Aux banques, qui bénéficient de cette facilité, de maintenir l'activité de crédit et de participer à la restauration de la confiance envers les titres d'État. Nous les y poussons.
Le dialogue avec le système bancaire ? Il est maintenu ; nous tenons des réunions de place très régulièrement avec des circuits très courts. Notre souci est d'éviter le credit crunch. La France, malgré la crise, connaît un niveau de crédit à la fin de l'exercice 2011 très supérieur à la moyenne européenne : une progression de plus 5 % contre 1,8 %. Cela dit, un resserrement du crédit est à craindre à cause du renforcement des fonds propres demandé aux banques en juin. Maintien de l'activité de crédit, nécessité de se positionner sur les emprunts d'État, voilà le message que nous faisons passer aux banques.
Je me tiens à la disposition de votre commission pour un débat sur le programme de stabilité, comme je l'avais fait une quinzaine de jours avant sa transmission lorsque j'étais, dans une autre vie, ministre du budget.
Madame la rapporteure générale, le débat est en cours sur le montant global du MES ; ce sera probablement l'un des enjeux du sommet de lundi prochain. L'Allemagne n'a pas donné son accord à la solution du FMI que la France défend. Pourquoi ? Parce que ce mécanisme a vocation, non pas seulement à régler la question grecque, mais à devenir un pare-feu pour les Etats en difficulté : l'Italie avec ses 120 % d'endettement, l'Espagne et ses 20 % de chômage qui impactent les jeunes et la classe moyenne. Concernant l'Espagne, cela éclaire certainement la position du FMI.
Pour autant, l'accord du 9 décembre 2011 lie clairement, d'une part, renforcement de la discipline budgétaire, convergence économique et mesures de sanctions et, d'autre part, progression de la solidarité au sein de la zone euro. Ce sera l'un des sujets du sommet du 30 janvier prochain.
L'échéancier des versements n'est pas arbitré, nous plaidons pour une accélération du calendrier. Deux tranches sont prévues. Le prochain texte financier...
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Pouvez-vous préciser ?
M. François Baroin. - Pour rester prudent, disons que je pourrais être en mesure de présenter un volet sur le MES dans la prochaine loi de finances rectificative si, d'aventure, le Parlement devait examiner une telle loi.
M. Philippe Marini, président. - Voilà qui est très positif !
M. François Baroin. - Une concrétisation rapide de nos positions européennes et internationales démontrerait la détermination et la cohérence de la France. Au reste, nous avons toujours procédé ainsi.
La règle d'or figure clairement dans l'accord européen. A la demande de l'Allemagne, il a été prévu une validation de sa compatibilité avec le traité par la Cour de justice. La règle d'or fera l'objet d'un traité, cela a été acté, et non d'un accord intergouvernemental. Quels sont ses éléments de référence ? Pour une large part, les dispositions déjà actées dans le « Six Pack » : pas de déficit structurel supérieur à 0,5 % du PIB et des sanctions immédiates en cas de déficit supérieur à 3 %. Reste un point en discussion : la référence à la dette. Les Allemands veulent des pénalités automatiques en cas de dette supérieure à 60 % du PIB, ce qui nous semble une mesure difficile pour certains pays. Notre position est minoritaire, de nombreux Etats membres défendent un parallélisme des formes avec les textes adoptés par le Parlement européen.
Le débat sur la croissance ? Le G20 l'a, pour partie, arbitré : les pays, à mesure de leurs moyens, contribuent soit à la poursuite de la consolidation budgétaire soit à la relance de la demande. La France n'est pas dans le second cas.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Et les 600 milliards du FMI ?
M. François Baroin. - Un relatif consensus se dessine autour de cette demande. Les Américains ont exprimé des réserves, les Britanniques aussi. Mais ces derniers acceptent de participer à la discussion lors du G20 de Mexico.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Qu'en est-il du calendrier des traités ? On envisagerait son accélération.
M. François Baroin. - Les traités sont encore à peaufiner au plan juridique. Effectivement, il y a une volonté d'accélération.
M. Jean Germain. - La nouvelle facilité d'emprunt de la BCE écarte-t-elle toute menace d'un resserrement du crédit ? La souscription, explique-t-on ici et là, serait constituée à deux tiers de crédits recyclés. En outre, l'émission d'octobre aurait été particulièrement faible parce que les banques s'attendaient à une nouvelle baisse de taux d'intérêt de la BCE.
M. Éric Doligé. - Quelle est la position des autres Etats membres sur la règle d'or ?
M. Philippe Marini, président. - Où en sommes-nous de la rédaction des mesures qui, en France, seront nécessaires pour la mise en oeuvre du futur accord ? Quelle sera la définition juridique du déficit structurel ?
M. François Baroin. - Monsieur Germain, j'ai évoqué moi-même un risque. Cela dit, il serait considérablement plus élevé si la BCE n'avait pas décidé cette mesure. Le fait qu'il y ait une deuxième tranche, sans doute du même montant, est le signe qu'il y a une appétence et un besoin. Pour parer au risque, tous les ministres de la zone euro s'entendent à exercer une pression vertueuse sur les banques nationales. De fait, l'accès au crédit est la clé du soutien à l'activité et à la croissance, qui est l'un des critères sur lesquels se fondent les investisseurs, les instances internationales et les agences de notation.
Monsieur Doligé, les discussions se poursuivent sur la règle d'or avec un point d'interrogation sur le critère de la dette.
Monsieur le président, nous devrons reprendre la rédaction des dispositions nécessaires à l'application du traité par la France. Notre travail de révision de la Constitution l'été dernier était bon, mais reste en-deçà des exigences européennes. Quant à la définition du déficit structurel, qui est « le solde - l'impact de la croissance », nous devrons nous adapter à une norme internationale afin d'autoriser les comparaisons.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Mme Pécresse nous a donné une réponse très ferme en termes de montant.
M. Philippe Marini, président. - Mme Pécresse a naturellement une vision budgétaire ; le ministre de l'économie a une vision plus large...
Toute norme de droit, en particulier constitutionnelle, est sujette à interprétation. Il faudra donc trouver un tiers neutre et indépendant. D'où la problématique des comités budgétaires indépendants.
M. François Baroin. - Vaste débat ! La question se pose aussi pour la publication des statistiques...
M. Philippe Marini, président. - En d'autres temps, notre commission avait suggéré, mais elle prêchait alors dans le désert, de transformer Eurostat en une autorité comptable indépendante. Nous y viendrons peut-être...
M. François Baroin. - C'est un débat !
M. Yann Gaillard. - Je lis des choses très désagréables sur la Grèce, la situation y serait épouvantable, la crise s'aggraverait. Les ministres des finances européens en ont-ils parlé ?
M. François Baroin. - Naturellement ! Nous avons décidé de ne pas dévier de la trajectoire de l'accord du 9 décembre : une participation volontaire des créanciers privés pour ramener la dette grecque entre 120 % et 125 % du PIB en 2020. Les négociations ne sont pas simples. En particulier sur la rémunération du coupon, nous, nous défendions un taux de 4 %. Toute la subtilité est de savoir quand se constate le défaut. L'objectif reste d'éviter un défaut de la Grèce, qui serait un Lehman Brothers à la puissance trente, tout en rappelant aux Grecs leurs responsabilités.
M. Albéric de Montgolfier. - La semaine dernière, le Sénat a examiné une proposition de résolution émettant des réserves sur une règle d'or qui serait imposée par un règlement communautaire. Si j'ai bien compris, cette crainte n'a plus lieu d'être.
M. François Baroin. - Tout à fait.
M. Vincent Delahaye. - Quels sont les Etats membres dont la situation donne le plus matière à inquiétude ?
M. François Baroin. - Je vous transmettrai tous les éléments chiffrés ; vous vous ferez ainsi votre propre jugement.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Quel est le but de la coordination des programmes d'émission de dettes prévue dans le traité intergouvernemental ?
M. François Baroin. - Les grands pays européens ont 240 milliards d'euros à positionner entre janvier et mars. Les besoins de financement varient d'un pays à l'autre : celui de la France est inférieur à celui de l'an passé, et moins important que celui de l'Italie. Retirer le virus du doute, restaurer la confiance des marchés passe par la convergence, y compris du traitement des émissions.
M. Philippe Marini, président. - Permettez-moi une question, que j'espère très partagée en ces temps de préparation des budgets des collectivités territoriales dans lesquelles nous exerçons les responsabilités que l'on sait. La plupart d'entre nous s'inquiètent des conditions de réalisation des programmes d'emprunt. L'année 2011 a été bouclée, et très correctement d'ailleurs, grâce au dispositif spécifique mis en place par l'État et la CDC. Serait-il complètement absurde d'imaginer un relèvement, éventuellement temporaire, du plafond du livret A ? Je parle uniquement du financement des collectivités territoriales...
M. François Baroin. - Les tensions observées sont apaisées grâce à la facilité de la BCE. Cela dit, les banques, qui doivent réduire leur bilan, feront porter l'effort sur les secteurs qui rapportent peu, tel celui des collectivités territoriales. D'où la décision du Premier ministre de gonfler l'enveloppe de 3 à 5 milliards d'euros, sachant qu'il reste 700 millions d'euros disponibles à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Nous faisons tout pour accélérer la mise en place de la joint-venture entre la CDC et la Banque postale pour le nouvel établissement public dédié au financement des collectivités territoriales. Nous avons un peu de marge sur les fonds d'épargne. En bref, la situation n'impose pas un relèvement du plafond du livret A. D'ici la fin de la législature, nous trouverons les moyens de répondre aux besoins de financements des collectivités territoriales.
M. Philippe Marini, président. - D'après MM. Bailly et Wahl, les négociations avec Dexia se passent mal. Cette société poserait des conditions croissantes pour mettre à disposition ses outils d'analyse et d'instruction des dossiers de crédit, ce qui créerait des retards. Nous avons retiré de cette audition une certaine inquiétude.
M. François Baroin. - Dexia est un sujet compliqué par son envergure systémique. L'accord entre les trois Etats, sur lequel nous nous sommes engagés devant la représentation nationale, est intangible. Chacun ses responsabilités ; notre rôle est de tout faire pour accélérer le calendrier et rassurer.
M. Éric Doligé. - Les besoins de financement des collectivités territoriales et assimilés s'élèveraient à 18 ou 20 milliards, un chiffre bien plus élevé que l'enveloppe de 5 milliards.
M. François Baroin. - Certes, mais il ne s'agit pas de 18 milliards d'eurosen un mois. Il faut aussi compter sur les grandes banques systémiques aux côtés du nouvel établissement public pour financer les collectivités territoriales.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - A propos des 700 millions d'euros restants, c'est bien le signe que les banques systémiques ne sont pas venues aux adjudications.
M. Philippe Marini, président. - Je suis ravi de cette audition brève, mais vivante et substantielle.