Mardi 8 novembre 2011

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Loi de finances pour 2012 - Audition de M. Laurent Wauquiez, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

La commission procède à l'audition de M. Laurent Wauquiez, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur le projet de loi de finances pour 2012

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Monsieur le Ministre, je suis heureuse de vous accueillir pour la première fois devant la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, compétente également en matière d'enseignement supérieur et de recherche. Ceci mérite d'être précisé car nos collègues de la commission des affaires économiques se préoccupent également de la recherche appliquée.

Nous souhaitons, Monsieur le Ministre, que vous nous présentiez le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche pour 2012 et nous vous donnons donc immédiatement la parole.

M. Laurent Wauquiez, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je suis très heureux de retrouver la commission dans sa nouvelle composition.

Je vais vous rendre rapidement compte du budget tel qu'il est présenté, ce qui permet de restituer l'ampleur des efforts qui ont été accordés à l'enseignement supérieur et à la recherche au cours des années écoulées et de présenter les principales lignes du budget pour 2012.

Le budget 2012 -ce n'est une nouvelle pour personne- est placé sous le signe de la réduction des déficits publics et de la maîtrise de la dépense publique...

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Cela jette un froid...

M. Laurent Wauquiez. - Pour autant, même si l'enseignement et la recherche participent à cet effort collectif, il n'y a pas de rigueur aveugle ; le choix qui a été délibérément fait est de préserver très fortement le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche, en considérant que l'investissement dans les universités et la recherche contribue à préparer notre avenir et doit faire l'objet d'une priorité marquée de notre part.

Cette priorité se mesure à la fois dans ce budget mais également sur la durée puisque nous pouvons maintenant regarder et mesurer l'ampleur de ce qui a été accompli en quatre ans. Plus de 9 milliards d'euros ont été investis dans l'enseignement supérieur sur la période 2007-2012, conforment à l'engagement pris par le Président de la République. N'y sont toutefois pas compris les investissements d'avenir -ce qui pourrait pourtant ajouter 20 milliards d'euros-, le plan de relance ou encore l'opération "Campus" pour 5 milliards d'euros. On est donc uniquement là sur le coeur de notre activité. Avec la plus grande honnêteté possible, si l'on évalue l'ensemble du surcroît de ressources consacrées à ce secteur, il s'agit donc de 9 milliards d'euros.

Ceci se traduit pour la dépense intérieure d'éducation consacrée à l'université, par le passage de 8.600 euros à 10.180 euros en moyenne par étudiant, soit une augmentation de 18 % qui représente environ le double de tous les rythmes d'augmentation qui ont pu être observés au cours des dernières années, toutes majorités confondues.

On constate le même effort en matière de recherche. La dépense intérieure de recherche, qui s'établit à 43,6 milliards d'euros, a progressé de manière très soutenue depuis 2006, à un rythme de 15 % contre un rythme de 10 % pour la période 2002-2006.

En 2012 -année d'efforts pourtant très soutenus imposés à la quasi-totalité des secteurs de la politique publique- l'enseignement supérieur et la recherche seront très largement épargnés. Je ne dis pas que des efforts ne doivent pas être fournis et que nous n'allons pas chercher à améliorer les méthodes de fonctionnement des universités et des organismes de recherche mais cela n'a rien à voir avec les pays qui nous entourent, ni avec les efforts qui sont demandés aux autres domaines ministériels !

Les crédits budgétaires, en autorisations d'engagement, seront en progression de 428 millions d'euros en 2012, soit 1,7 % d'augmentation. La montée en puissance du crédit d'impôt recherche sera poursuivie à hauteur de 174 millions d'euros ; enfin, les intérêts de l'opération "Campus" permettront de réaliser 167 millions d'euros d'investissements supplémentaires en 2012 sur des chantiers que l'on voit fleurir sur les différents campus universitaires. J'étais ce matin à Strasbourg où plusieurs opérations remarquables ont commencé, notamment la réhabilitation de la BNU. On peut également évoquer, à Bordeaux, les chantiers sur les sciences humaines, à Lyon les différentes résidences étudiantes qui ont été lancées soit dans le cadre des opérations "Campus", soit dans le cadre des investissements d'avenir. S'y ajoutent, au titre des investissements d'avenir, 1,2 milliard de crédits qui seront débloqués pour la seule année 2012 au profit de l'ensemble du secteur. Il s'agit donc là d'une poursuite de l'effort qui se traduit pour l'enseignement supérieur et pour la recherche par des priorités simples et claires.

En matière d'enseignement supérieur, la priorité porte sur l'amélioration des conditions d'études pour les classes moyennes avec la décision de passer à dix mois de bourse : nos étudiants étudiaient dix mois mais les bourses étaient versées sur neuf mois. La rentrée débutait en septembre ; les principales dépenses étaient alors réalisées, or les bourses étaient versées en novembre. Les seuils pour accéder aux bourses aboutissaient à exclure de fait les familles des classes moyennes qui percevaient deux SMIC par foyer. Nous sommes montés à 3,3 SMIC. Il y avait au début 480 000 étudiants boursiers ; nous sommes passés à 600 000, ce qui est un record pour notre pays en termes de nombre de familles aidées par le biais de nos dispositifs.

Ce sont des sujets qui me tiennent à coeur, sur lesquels j'ai beaucoup travaillé en tant que parlementaire. Je considère que cette question de l'ascenseur social est vitale ; c'est l'occasion pour nous d'avoir une traduction opérationnelle des choix et des engagements qui ont été pris.

Le second point concerne la consolidation de l'autonomie des universités. De ce point de vue, les établissements d'enseignement supérieur verront encore cette année leurs moyens augmenter de 237 millions d'euros. Environ 200 millions d'euros seront consacrés à l'augmentation de la masse salariale, 46 millions seront dédiés au fonctionnement de l'ensemble des établissements, notamment pour soutenir le passage à l'autonomie. Le glissement vieillesse-technicité (GVT) a été pris en compte afin de s'assurer que nous donnions bien à nos universités les moyens d'accéder à l'autonomie.

Enfin, le chantier des campus de demain nous tient à coeur. La France souffrait de disposer de campus inadaptés aux conditions d'études modernes, sous-dotés en équipements numériques et qui n'étaient pas au niveau de nos concurrents internationaux. Plus de 167 millions d'euros d'intérêts seront débloqués cette année pour le lancement de nouveaux chantiers directement opérationnels ; ils font actuellement l'objet d'une sélection très poussée, même dans mon ministère.

S'agissant de la recherche, le but est de lui donner les moyens d'être compétitive au plus haut niveau mondial. Quand on investit un euro dans la recherche, on génère 4 à 6 euros supplémentaires de croissance potentielle de PIB à moyen terme. Investir dans la recherche, identifier les domaines d'excellence pour notre pays, c'est construire les emplois de demain, les gisements de compétitivité, donner des points d'appui à nos entreprises. L'investissement dans la recherche est donc absolument central.

Nous poursuivons le travail des investissements d'avenir, avec non seulement des mesures pérennes destinées à soutenir les crédits budgétaires -en augmentation de 40 millions d'euros, l'État devant consacrer 214 millions d'euros supplémentaires au total à la recherche- mais également le crédit d'impôt recherche.

Les secteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche sont une voie de sortie déterminante pour notre pays. Il s'agit de lutter contre nos déficits publics, d'économiser partout où nous le pouvons sur nos dépenses de fonctionnement mais non de connaître une traversée du tunnel sans projet au bout de celui-ci. Il convient de faire de ce pays une nation assise sur sa recherche et son enseignement supérieur et qui construit sa compétitivité sur ces domaines.

En quatre ans, tout a changé : la réforme de l'autonomie des universités, les rapprochements et décloisonnements entre les différentes disciplines. Les partenariats construits de façon beaucoup plus ouverte entre les universités et leur environnement territorial et économique ont métamorphosé le paysage classique de l'université. Cela a réussi non parce qu'il s'agissait d'une volonté gouvernementale et politique mais parce que l'ensemble des acteurs se sont approprié ce changement.

L'espoir, pour notre pays, réside dans l'extraordinaire qualité de son université et de sa recherche. C'est là que se trouvent les leviers qui justifient que, tout au long de ces cinq années, nous ayons investi massivement dans ce secteur. C'est pourquoi, cette année encore, même si nous participons à l'effort collectif, une priorité marquée sera accordée à l'enseignement supérieur et à la recherche.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci, Monsieur le Ministre.

La parole est à Mme Dominique Gillot, rapporteure pour les crédits de l'enseignement supérieur.

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour avis. - Merci pour cet exposé dynamique et clair, Monsieur le Ministre, qui comporte cependant beaucoup de chiffres. On a quelque mal à se repérer dans les documents que nous avons eus. Peut-être contesterez-vous donc un certain nombre de remarques mais je pense que mes observations s'appuient globalement sur des constats qui sont validés.

Les moyens de fonctionnement des universités, malgré ce que vous dites, stagnent du fait des gels de crédit -vous l'avez dit, il faut participer à l'effort de rigueur. Dans le cadre de leur passage à l'autonomie, un transfert de la masse salariale insuffisant et un GVT mal pris en compte placent certaines universités dans l'incapacité d'équilibrer leur budget, voire dans l'obligation de geler des postes pour assurer la rémunération de leurs personnels.

Il serait donc intéressant que vous nous disiez où se situent les crédits supplémentaires annoncés et salués par la Conférence des Présidents d'université pour assurer en partie la prise en charge de l'évolution du GVT. Sur quelle ligne budgétaire ces redéploiements interviendront-ils, la compensation n'étant pas intégrale ?

Par ailleurs, quel organe décidera de la répartition de ces 14,5 millions d'euros annoncés pour compenser en partie le GVT entre les universités ? Sur quels critères ces attributions seront-elles réalisées ?

Concernant les moyens, la mise en oeuvre du système de répartition à la performance et à l'activité procède d'une volonté d'encourager les regroupements. Leur taille et leur mode de gouvernance deviennent donc des critères de sélection déterminants. Comment prenez-vous en compte les difficultés des présidents d'université pour mettre en oeuvre l'application de ces critères sans perturber leur fonctionnement ? Comment éviter la marginalisation des petites universités qui ont des taux de réussite inférieurs aux autres ? L'affectation de moyens inférieurs peut aggraver leur situation plutôt qu'encourager leur dynamisme.

Différents dispositifs ont été mis en place par la loi pour faciliter l'orientation et l'insertion professionnelle des diplômés. On en a fait une mission de service public et ils ont été l'objet d'une première évaluation en octobre 2010. La méthodologie de cette enquête a été très critiquée, les résultats ayant été établis trente mois après la sortie des diplômés. Quel est donc le rôle effectif du diplôme dans l'insertion professionnelle dans ces conditions ?

Malheureusement, la seconde enquête a utilisé la même méthodologie : on ne sait toujours pas ce que deviennent les étudiants qui décrochent en cours d'année. L'enquête ne mesure pas le taux d'emploi mais le taux d'actifs employés ; en outre, cette enquête présente de grandes lacunes au regard de l'insertion professionnelle des diplômés en lettres, en langues et dans les matières artistiques.

Enfin, le rapport du Secours catholique établit qu'un étudiant sur quatre vit dans une situation de grande pauvreté. Quels engagements et améliorations peuvent être, selon vous, apportés à la vie étudiante et au logement ? Certes, vous nous avez dit qu'on a connu un accroissement du nombre de boursiers et une amélioration du montant des bourses ; néanmoins, un certain nombre d'étudiants continuent à vivre dans de grandes difficultés. 30 % d'entre eux sont obligés de travailler pour poursuivre leurs études. Près de 20 % renoncent à se faire soigner faute de moyens et ne sont pas titulaires d'une assurance complémentaire. Je crains que les dispositions de la loi de financement de la Sécurité sociale, avec l'augmentation de la taxe sur les mutuelles, ne viennent encore aggraver la situation sanitaire de nos étudiants.

Quant au logement, le rapport Anciaux, qui avait amené le Gouvernement à prendre un certain nombre d'engagements, est loin d'être appliqué ! Il serait utile de connaître votre sentiment sur les procédures et les orientations destinées à remédier à la misère du logement étudiant.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La parole est à M. Plancade, rapporteur pour avis sur les crédits de la recherche.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur pour avis. - Vous avez dit que ce budget intervenait dans un contexte de crise. Je rappelle que le Président de la République s'était engagé à augmenter chaque d'année d'un milliard d'euros pendant cinq ans le budget de l'enseignement supérieur et de 800 millions d'euros celui de la recherche. Cet objectif sera-t-il tenu ?

En second lieu, l'IFP-énergies nouvelles est sûrement le secteur le plus maltraité de ce budget, alors que c'est sûrement l'institution qui, depuis des années, fait le plus d'efforts en matière de gestion du personnel et de dynamisation de ses propres ressources, sans faire appel à qui que ce soit. Or, le budget de cette institution a baissé de 40 % en euros constants depuis 2002.

L'AERES (agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur) estime que l'IFP constitue un modèle économique basé sur une exceptionnelle valorisation de la recherche, générant des revenus et créant des entreprises et des emplois. Malgré cela, on continue à lui tordre le cou ! Je pense que c'est une mauvaise récompense que vous faites à l'IFP, qui mérite mieux compte tenu des résultats qui sont les siens.

Ma troisième question concerne Universcience, gestionnaire des crédits attribués aux centres de culture scientifique, technique et industrielle depuis 2011, qui prévoit de créer un Conseil national qui sera à la tête d'un réseau de plates-formes territoriales. Certains de ces centres sont inquiets à plusieurs titres. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la façon dont seront opérés ces regroupements ? Comment les contextes locaux seront-ils pris en compte si les moyens alloués aux centres dépendent de l'application d'une politique nationale ? En outre, comment justifiez-vous la diminution de près de 1 % des crédits alloués à Universcience ?

Enfin, le développement de la recherche sur projet est selon moi nécessaire pour notre pays. Néanmoins, le périmètre des dépenses prises en compte par l'Agence nationale de la recherche est très inférieur au coût complet assumé pas les organismes de recherche. Est-il envisagé de prendre mieux en compte cette réalité ?

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Permettez-moi, Monsieur le Ministre, d'insister sur la question des modes de financement de la culture scientifique sur les territoires. Je donnerai à mes collègues une image qui me tient à coeur : c'est comme si le ministre de la culture donnait tous les budgets du spectacle vivant à l'Odéon, charge à lui de financer sa propre saison culturelle puis de financer les autres théâtres sur le territoire. Il est normal que les centres de culture scientifique technique et industrielle (CCSTI), sur le terrain, soient inquiets.

M. Laurent Wauquiez. - Madame la Rapporteure, s'agissant de la prise en compte du budget par le ministère, je commencerai par rappeler les chiffres des augmentations des dotations budgétaires au profit des différentes universités au cours des quatre dernières années... Saint-Etienne : + 28 % ; Limoges : + 36 % ; Paris V : + 35 % ; Lyon II : + 36 % ; Lille II : + 56 % ; Angers : + 50 %.

J'ai pris à dessein non de « petites universités » -expression que je n'apprécie pas- mais des universités ancrées dans leur territoire, qui vont chercher une excellence conforme à celle du territoire qui les soutient et qui peuvent sans aucun problème, pour certaines d'entre elles, se lancer dans une compétition internationale. Saint-Etienne a ainsi la capacité de développer son excellence dans le domaine des coopérations autour de son tissu industriel, Clermont-Ferrand autour de la technologie des volcans, La Rochelle autour de la mer. Ce ne sont peut-être pas les plus grandes mais elles ont une vraie capacité à imposer un niveau d'excellence !

En second lieu, deux plans budgétaires importants ont donné lieu à discussion entre nous, le premier pendant l'été et l'autre qui vient d'être annoncé. Le secteur de la recherche n'a été concerné par ceux-ci ni de près, ni de loin, pas plus que l'enseignement supérieur. Il n'y a pas de signe plus fort de la volonté du Gouvernement de maintenir son investissement dans ces domaines.

J'ai même pris en compte les demandes formulées par les présidents d'université concernant le GVT. Il faut toutefois y prendre garde car il s'agit d'un domaine qui abrite des réalités différentes. Il existe des universités qui ont un GVT positif, leurs dépenses augmentant naturellement ; d'autres ont un GVT négatif, leurs dépenses baissant naturellement, parfois même à l'intérieur de la même université. Je pense à des contraintes qui peuvent être assez fortes pour certains pôles territoriaux au sein de la même université, comme à La Réunion.

Les présidents d'université souhaitent-ils que l'on prenne en compte les plus et les moins ou estiment-ils difficile de placer une université en négatif ? Je peux le comprendre mais si on ne tient pas compte du négatif, il peut être difficile de tenir compte du positif... C'est la première question de bon sens qui est posée.

En second lieu, je suis évidemment prêt à financer les décisions relevant du niveau national mais je demande à toute la collectivité universitaire de se rendre compte qu'il n'existe pas d'autres domaines de l'État où l'on tient compte du GVT de cette manière. Il n'existe aucun autre compartiment du budget public où le GVT fait l'objet de discussions ou reçoit un surcroît de financement...

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour avis. - Les commissions de transfert de charges sont faites pour cela !

M. Laurent Wauquiez. - Pas en matière de GVT... Le GVT ne fait jamais l'objet d'une position de principe destinée à le compenser.

Enfin, la part que je compte financer dans le GVT relève de décisions nationales qui ont touché des universités autonomes, qui disposent donc de moins de marges de manoeuvre. L'autonomie n'est pas un marché de dupes : pour s'assurer que ce ne soit pas le cas, surtout dans cette période de transition, l'objectif est de faire en sorte que des décisions extérieures à la volonté des présidents d'université, prises au niveau national, soient compensées afin de leur apporter toutes garanties.

Au total, nous disposons de 14,5 millions d'euros ; je prendrais dans ce cadre des mesures transitoires tenant compte d'un certain nombre de décisions catégorielles arrêtées par les présidents d'université. Nous disposons de tableaux qui nous permettent d'évaluer la situation de chaque université ; nous allons donc répartir ces moyens supplémentaires qui sont très attendus et qui ont été très difficiles à obtenir.

S'agissant de l'insertion professionnelle, ainsi que vous l'avez relevé, nous disposons d'un premier indicateur. Il est perfectible. Il ne doit pas constituer l'alpha et l'oméga de la question mais il est toujours bon d'avoir un baromètre. Il nous indique une première tendance et nous renseignent sur les insertions professionnelles qui fonctionnent, les meilleures filières, les meilleures universités. Il faudra bien entendu y ajouter un certain nombre de correctifs au fur et à mesure : combien d'élèves en première année ? Qui et combien vont jusqu'au bout du cursus ? Quels sont les parcours et les diversités sociales ?

Pour le reste, il ne faut jamais oublier qu'un diplôme universitaire est la meilleure assurance chômage. Nous avons tous des exceptions autour de nous, des cas d'étudiants qui ont fait un master en psychologique, en STAPS, en sociologie et qui ont des difficultés pour trouver un emploi mais 90 % des diplômés universitaires trouvent un emploi en moins de six mois ! Le coeur de notre problème, ce sont ceux qui décrochent, principale difficulté de notre système éducatif, et ceux qui s'arrêtent avant le diplôme universitaire. C'est là que la bataille de l'ascenseur social doit se mener.

Enfin, s'agissant des conditions de logement, nous atteignons chaque année les objectifs du plan Anciaux et nous les dépassons. Six mille logements nouveaux ont été construits, 54 nouvelles résidences seront ouvertes et nous tiendrons les objectifs de la réhabilitation puisque nous sommes déjà à 42.000 résidences réhabilitées. Des sites comme Aix-en-Provence ou Avignon sont exemplaires de programmes remarquables en la matière.

Cela suffit-il ? Non ! Existe-t-il un effort à faire porter sur le logement privé ? Évidemment ! Faut-il essayer de travailler dans le sens d'un label permettant d'éviter les marchands de sommeil de profiter de la situation dans certaines villes ? J'y suis ouvert... Il faut agir sur tous les leviers. Nous menons actuellement deux expérimentations, l'une à Lille, l'autre à Lyon avec le passeport logement-étudiant. Nous en analysons les premiers résultats. Les conditions d'études sont une bataille constante. Il faut continuer à travailler dans cette direction mais les choses se sont améliorées.

S'agissant des questions de M. Plancade à propos des 9 milliards d'euros, l'objectif a été tenu en matière d'augmentation des moyens de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Quant à l'IFP, qui constitue un très beau fleuron et un remarquable partenariat public-privé, il n'est pas sous mon contrôle mais sous celui du développement durable. Je me permets cependant de préciser que son fonds de roulement substantiel de 52 millions d'euros laisse quelques marges de manoeuvre à l'IFP. Par ailleurs, j'ai également obtenu qu'il ne fasse pas l'objet d'une mise en réserve supplémentaire de crédits, ce qui va le soulager pour réaliser son exercice budgétaire.

S'agissant d'Universcience, je rejoins vos deux remarques. La bataille pour la culture scientifique est en effet essentielle. Je ne veux pas que notre pays sombre dans l'obscurantisme scientifique. Or, ce risque existe ! Dans notre société d'hypermédiatisation, d'hypersensibilité, le principe de précaution pourrait se transformer en principe de régression scientifique. L'expertise scientifique prend du temps. Les scientifiques passent par des phases d'interrogation qui doivent être acceptées par la culture publique.

Il nous faut défendre la place de la science et de la raison dans un pays comme le nôtre. Cela passe par un travail de fond sur la culture scientifique que nous devons réaliser non à Paris mais dans nos territoires, en faisant en sorte que les expositions scientifiques puissent y tourner, en travaillant avec les associations de nos communes qui oeuvrent pour essayer de diffuser la culture scientifique. On doit également développer le travail en réseau afin de permettre que ce que font les uns bénéficie aux autres, dans le cadre de partenariats.

C'est l'objectif que je souhaite fixer ; si l'on veut développer la culture scientifique, il faut le faire en réseau, dans le cadre d'un travail partenarial où les villes, les conseils généraux et régionaux puissent trouver un interlocuteur partenaire au niveau national. Si chacun oeuvre dans son coin, on n'arrivera pas à démultiplier nos efforts.

Nous travaillons à une réforme de l'organisation et de la gouvernance d'Universcience qui permettra une répartition plus territoriale. Je ne suis pas un élu parisien ; je n'ai pas une vision de l'enseignement supérieur et de la recherche concentrée sur Paris. On a besoin d'une présence innervée dans nos territoires.

Enfin, vous m'avez posé une question sur le développement de la recherche sur projet. Vous avez -et je vous en remercie- eu l'honnêteté de reconnaître que celle-ci constituait une stimulation importante. Je crois primordial de garder une part pour les projets blancs qui permettent de soutenir une recherche fondamentale. Je suis conscient du fait qu'il faut, à l'intérieur des recherches par projet, un calcul beaucoup plus intégré dans le cadre de coûts complets. C'est pourquoi nous avons porté de 11 à 20 % les financements complémentaires qui peuvent être reçus chaque année au titre du préciput, dès lors que les projets sont financés en coût complet.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous propose de donner la parole aux groupes ; après la réponse du ministre, nous ouvrirons plus largement le débat.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'optimisme que vous affichez, Monsieur le Ministre...

M. Laurent Wauquiez. - Ce n'est pas de l'optimisme mais de la détermination !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Le fait de ne pas se plaindre ne peut constituer une politique ! Nous sommes confrontés à un budget de stagnation, si l'on tient compte de l'évolution de l'inflation et des pensions que nous avons à payer.

Ma première question concerne l'évolution du crédit d'impôt recherche qui continue à monter en puissance, alors même que cette niche fiscale a un coût exorbitant de 5 milliards d'euros en poids global et qu'elle n'a pas fait preuve d'une grande efficacité.

En second lieu, j'ai les mêmes interrogations que Mme Dominique Gillot concernant le crédit de vie étudiante. Comment pensez-vous ventiler le dixième mois de bourse étudiante qui a été promis dans la mesure où le fonds d'aide d'urgence est en stagnation ?

Enfin, ma troisième question porte sur l'emploi contractuel, très fortement développé dans la recherche et l'enseignement supérieur. Un grand nombre de jeunes hommes et de jeunes femmes ne pourront bénéficier de titularisations, étant confrontés à des plans massifs de licenciement avant titularisation. C'est le cas du CEMAGREF (institut de recherche en sciences et technologie pour l'environnement) dans mon département. J'ai ici une étude que je tiens à votre disposition qui souligne l'explosion de l'appel à l'emploi précaire et au licenciement avant titularisation ! Je crois que vous avez d'ailleurs été informé de cette question par l'ensemble des organisations syndicales dès l'été.

Je m'interroge donc sur ces trois points eu égard aux ambitions que vous affichez...

M. Jacques Legendre. - Madame la Présidente, mes chers collègues, j'ai le sentiment, en abordant ce budget, qu'il s'agit sans doute là de la traduction de l'action la plus positive qui ait pu être menée pendant tout ce quinquennat. J'écoute donc avec beaucoup d'intérêt ce que vous rappelez, Monsieur le ministre et je crois que c'est beaucoup plus important que toutes les légitimes critiques de détail qui peuvent être ici ou là évoquées.

Néanmoins, quand on mène une action aussi importante et qu'on fait bouger les choses, on crée inévitablement de nouvelles inégalités. Il existe des universités qui, pour différentes raisons, évoluent plus vite que d'autres, se regroupent alors qu'ailleurs, les choses ne bougent pas : on est plus réticent devant le principe d'autonomie et on perd du temps. Ceci risque de se traduire sur le terrain. Mme la présidente Marie-Christine Blandin ne me démentira pas si je dis que nous avons très récemment été consternés d'apprendre que les universités lilloises ne comptaient pas au nombre des projets IDEX (« initiatives d'excellence ») ; nous prenons ceci pour une très mauvaise nouvelle pour notre région !

Nous n'allons pas nous pencher sur ce cas particulier mais je souhaiterais que vous puissiez nous préciser les critères de gouvernance universitaire ainsi que les critères d'intérêt scientifique utilisés par un jury international. Que peut faire le ministère pour que d'importants pôles universitaires qui ne sont pas actuellement retenus ne soient pas complètement marginalisés ? Je pense que ceci est en effet contraire à l'intérêt national -pour sortir du cadre lillois !

M. Dominique Bailly. - Vous vous êtes félicité de l'augmentation du nombre de boursiers mais je ne partage pas votre vision, Monsieur le Ministre. Ma collègue Dominique Gillot vous a interpellé sur la précarité de la vie étudiante. C'est une réalité : d'année en année, de plus en plus d'étudiants sont obligés de travailler pour financer leurs études.

Oui, Monsieur le Ministre, c'est la réalité et ce n'est pas un détail. Je vous demande de prendre ce constat en considération et d'y répondre au-delà des arguments chiffrés et du nombre de logements ! Il s'agit de savoir comment les étudiants doivent vivre. De plus en plus nombreux sont ceux qui sont obligés de travailler pour payer leurs études.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Les groupes se sont exprimés. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Wauquiez. - Madame Gonthier-Maurin, je suis d'accord avec vous : l'idée selon laquelle on ne peut faire autrement ne tient pas lieu de politique ! Mais vous serez sans doute d'accord avec moi : un lamento ne tient pas lieu de politique non plus.

Je voudrais revenir sur trois éléments que vous avez soulignés. Le premier concernait l'emploi : il existe un programme de résorption de la précarité dans la fonction publique qui va débuter l'année prochaine. Les critères ont été fixés et négociés avec les organisations syndicales, avec un soutien extrêmement large. Je suis très attentif à la réalité que vous avez soulignée, parfaitement inacceptable : je ne veux pas avoir d'organismes de recherche qui licencient à tout va avant le programme d'intégration ! A l'inverse, je suis très clair : on ne va pas renouveler des personnes dont la mission est arrivée à échéance parce qu'il existe un programme de résorption de la précarité. Si la mission est pérenne, la personne ne doit pas être licenciée ; si la mission est arrivée à sa fin, il est normal que le contrat s'arrête mais je ne veux pas que la donne soit faussée par l'horizon donné par le programme de résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique ! Je suis naturellement à votre disposition pour que vous puissiez me faire remonter les cas que vous connaissez.

Pour le reste, je ne vois pas très bien à quels crédits de la vie étudiante vous faites allusion. Je pense que vous faites référence aux fonds d'aide d'urgence où, sur un certain nombre de pôles universitaires, notamment celui d'Antilles-Guyane -auquel je sais le sénateur Jean-Etienne Antoinette très sensible- on peut avoir des difficultés parfois dues à des problématiques très locales, comme le soutien apporté à Haïti, qui ont abouti à puiser en partie sur les crédits des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) et qui se sont traduits par des difficultés sur les fonds d'aide d'urgence.

Les fonds d'aide d'urgence sont toujours abondés à mi-parcours pour durer toute l'année universitaire. Nous ferons un point d'étape fin 2011 ; cela doit nous permettre de bénéficier des moyens dont on a besoin pour 2011-2012.

Quant au crédit d'impôt recherche, il s'agit d'une très belle réalisation dont nous pouvons tous être fiers. Je ne cherche pas à dire que certaines choses ne sont pas à corriger ou à améliorer. Il y a, dans tout dispositif public, des abus, des éléments à corriger, des points qui peuvent être améliorés mais on doit reconnaître que ce dispositif a permis de tripler l'investissement de recherche et développement en France, de relocaliser des laboratoires de recherche de grands groupes -Microsoft, Glaxo, Google, Michelin- mais aussi de PME locales comme Cook ou Barbier. L'évaluation ne laisse aucune place au doute ; elle a été réalisée récemment et atteste que, sans le crédit d'impôt recherche, notre pays souffre d'un déficit de 20 % par rapport à l'Angleterre et au Royaume-Uni en termes de localisation des activités de recherche ! Avec le crédit d'impôt recherche, le delta de compétitivité est positif de 30% : un euro investi dans le crédit d'impôt recherche nous en ramène 4 à 6 en emplois et en création d'activités !

En outre, contrairement aux idées reçues, ce dispositif est tourné vers les PME. Nous avons aujourd'hui une augmentation du nombre de PME extrêmement importante : en 2009, 80 % des nouveaux déclarants sont des PME. Ce chiffre est en augmentation de 60 %. Dix mille PME bénéficient aujourd'hui du crédit d'impôt recherche. C'est donc un bon outil. Il faudra une clause d'évaluation qui a été fixée en 2013 ; elle nous permettra de voir ce qu'il convient de corriger.

Entre-temps, de grâce, faisons preuve de stabilité ! Bouger de tels dispositifs tous les six mois revient à les tuer. C'est une maladie française ! On pourra faire évoluer les choses mais il faut de la stabilité. Sans elle, en matière de recherche comme d'universités, rien n'est possible !

Monsieur le Président Legendre, permettez-moi d'abord de vous remercier pour l'action que vous avez vous-même initiée ; beaucoup de ce qui a été fait doit d'ailleurs à l'investissement qui a été réalisé, tous groupes confondus, en matière d'universités et de recherche. Le Sénat a toujours été extrêmement actif sur ces sujets. Je puis ici témoigner que votre implication personnelle a souvent pesé dans nos discussions sur l'évolution de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Quels sont les critères d'évaluation des IDEX ? Le jury est en particulier attentif à la capacité à avoir une excellence internationale et une gouvernance efficace.

Quand on affecte à un pôle universitaire une somme qui peut aller de 500 millions à un milliard d'euros, voire plus, on veut s'assurer que des questions d'ego ne risquent pas localement d'aboutir à rendre ces crédits inapplicables. Or, dans un domaine où les intelligences sont brillantes, les querelles de personnes peuvent être tout aussi affûtées. Le jury veille donc à ce qu'il existe une gouvernance irréprochable qui permette de s'assurer que les crédits affectés seront correctement dépensés.

Le pôle de Lille est exemplaire, notamment dans un domaine où la ville a investi avec beaucoup de vertus, celui de la formation continue. Je m'interroge donc sur la question ; je vais m'assurer que Lille est bien traitée dans le cadre des opérations "Campus" afin de pouvoir compenser. De très beaux résultats ont pourtant été obtenus par Lille -IRT, Equipex, Labex. Lille II a par ailleurs connu une augmentation de plus de 56 % sur les quatre années écoulées. Une question se pose donc à propos de ce pôle...

Pour le reste, la politique universitaire ne se résume pas aux IDEX, comme on le croit trop facilement. Les IDEX représentent 7 milliards d'euros sur plus de 21 milliards d'euros en matière d'investissements d'avenir. Les IDEX ne constituent pas ma politique budgétaire, ni ma politique de campus. Ils ne résument pas non plus ma politique de recherche. Ils en sont une partie mais il existe un avenir sans les IDEX -fort heureusement !

Enfin, Monsieur Dominique Bailly, je ne sous-estime en rien les difficultés de vie étudiante. Je suis issu d'un département où, pour étudier, il faut quitter le domicile familial. Je connais les difficultés d'une famille de la classe moyenne qui doit envoyer ses enfants étudier à Saint-Etienne, Lyon, Montpellier, Clermont-Ferrand, Paris, avec les surcoûts qui peuvent s'y ajouter -dépenses de transport, logement, santé. Dans certaines familles recomposées, les enfants peuvent également être livrés à eux-mêmes, sans soutien familial.

Je rappelle cependant que la France est le pays d'Europe où faire ses études coûte le moins cher ! De ce point de vue, je suis très choqué par certaines propositions, dans le cadre de la campagne présidentielle, où l'on propose de multiplier par trois les frais d'inscription à l'université ! C'est le cas du "think tank" Terra Nova, qui n'est pas proche de l'actuelle majorité ! On débat actuellement pour savoir si une augmentation des frais d'inscription de 1,5 étranglerait les familles de la classe moyenne : les intellectuels en chambre qui constituent Terra Nova feraient mieux de venir sur le terrain. Ce type de proposition est irresponsable et peut ouvrir la voie à de fortes dérives !

M. Dominique Bailly. - Je ne suis pas Terra Nova !

M. Laurent Wauquiez. - Je n'en doute pas mais on doit s'indigner face à des propos aussi irresponsables ! Quand de tels groupes font ce genre de proposition aux partis dans le cadre de la campagne présidentielle, ils sont irresponsables ! En tant de crise, cela revêt une certaine forme de cynisme ! Je le dis clairement : mon modèle ne consiste pas à « racketter » nos étudiants en augmentant les frais d'inscription !

Mme Marie-Christine Blandin, présidente.- La parole est aux commissaires...

Mme Colette Mélot. - Monsieur le Ministre, au cours des quatre dernières années, la réforme a été une véritable réussite et a permis aux universités d'être plus compétitives. La modernisation est indéniable. Bien sur, l'effort doit être poursuivi en matière d'amélioration des conditions d'études. Beaucoup a déjà été fait mais il reste encore à faire.

Je voudrais évoquer ici le décrochage et la mise en place du plan "Réussite en licence" et de connaître, à mi-parcours, le bilan que l'on peut tirer de ce plan.

Mme Bariza Khiari. - Monsieur le Ministre, je voudrais vous interroger sur la circulaire du 31 mai 2011, dite "Guéant-Bertrand", relatif à la maîtrise de l'immigration professionnelle et qui touche les étudiants étrangers.

Je sais que vous êtes personnellement attachés à l'attractivité de nos grandes écoles et de notre système éducatif. C'est pourquoi je voudrais connaître votre sentiment à ce sujet. Vous n'êtes pas sans savoir que ces étudiants, une fois rentrés chez eux, sont les meilleurs prescripteurs pour notre économie. La loi de 2006 avait ouvert une porte de manière à leur apporter une expérience de post-formation leur permettant d'entrer dans les grands groupes et à faciliter les relations entre le Nord et le Sud.

J'ai reçu le collectif composé des représentants de ces jeunes étudiants : un polytechnicien, deux centraliens, trois diplômés d'HEC, en tout une dizaine de jeunes brillants, qui ne comprennent pas cette situation. Allons-nous les former pour qu'ils partent ensuite aux États-Unis ou dans le système anglo-saxon ? Il y va de l'attractivité de la francophonie et de nos grandes écoles, de nos valeurs et, au-delà, de notre économie. En termes de coûts-recettes, le rapport est stupide !

Je ne veux pas porter de jugement mais cette politique du chiffre en matière d'immigration me semble en l'espèce signer une défaite de la pensée.

M. Maurice Vincent. - Monsieur le Ministre, sans vouloir faire rebondir la polémique, nous ne sommes pas Terra Nova, pas plus que vous n'êtes, j'imagine, dépositaire des intérêts de l'université Léonard de Vinci. Nous sommes donc sur le même terrain -encore que Terra Nova n'en soit qu'au stade des idées !

Il vaut mieux revenir aux questions de fond pour notre pays et je voulais attirer votre attention sur différents points.

Tout d'abord, préparer l'avenir, c'est pour moi anticiper le remplacement de nombreux enseignants-chercheurs dans les années à venir. La pyramide des âges est inquiétante. Il faut s'assurer de leur renouvellement. La méthode va désormais s'appuyer beaucoup plus que par le passé sur l'autonomie des établissements.

Mon inquiétude vient de l'insuffisance -non en qualité mais sans doute en quantité- de l'encadrement supérieur de nos universités. Pour que des universités autonomes fonctionnent bien, il faut de nombreux cadres supérieurs aguerris. Selon mon expérience, il faut y être attentif. Ceci est-il intégré dans les prévisions budgétaires, de même que le remplacement pluriannuel de ces enseignants-chercheurs ?

Ma deuxième question rejoint en partie celle de notre collègue Jacques Legendre. S'agissant des IDEX, la mission Ricol fait apparaître un certain bonus en faveur du regroupement massif d'universités en un seul établissement. Il faudrait persuader les évaluateurs et les responsables que l'on peut rassembler les moyens sans créer de mastodontes. On peut, par exemple, proposer des fédérations d'universités qui constituent des formes plus souples permettant d'associer dans ces secteurs d'excellence, des universités de plus petite taille. C'est un enjeu assez important. Même si tout ne se résume pas à l'IDEX, une certaine image de marque y est attachée.

M. Louis Duvernois. - De toutes les réformes conduites par le Gouvernement au cours des dernières années, celle de l'université -cela mérite d'être redit- est certainement l'une des plus emblématiques. On y a mis beaucoup d'énergie et beaucoup de moyens.

Cela étant, la dimension nationale que vous avez évoquée doit être complétée par une action internationale. Vous avez la coresponsabilité de l'établissement public Campus France, créé par la loi du 27 juillet 2010 et dont la constitution en établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) évolue en dents de scie -c'est le moins que l'on puisse dire.

C'est probablement un problème de nature administrative mais aussi et avant tout un problème politique désormais : que veulent faire les ministères de l'enseignement supérieur et des affaires étrangères dans la cotutelle de cet établissement public ? Que veut faire le ministère de l'enseignement supérieur en termes d'investissements, de détachement de personnel et de salaires correspondants dans le nouveau Campus France qui doit intégrer le CNOUS, ce qui ne se passe pas sans difficultés, vous le savez ?

J'aimerais d'autre part que vous nous dressiez un état exact de la situation et que vous nous précisiez les investissements auxquels vous êtes prêts pour que la politique d'attractivité de la France en matière d'accueil des étudiants étrangers soit non seulement maintenue mais développée.

Enfin, nous avons perdu notre troisième place mondiale et sommes devancés désormais par les Australiens. Les raisons sont suffisantes pour que nous nous préoccupions de la mise en route de cet établissement public, Campus France, aux côtés de l'Institut français et de France Expertise internationale, les trois EPIC créés par la loi sur l'action extérieure de l'État en juillet 2010 !

M. Jean-Pierre Leleux. - Monsieur le Ministre, la clarté de votre propos, votre connaissance parfaite des dossiers, l'enthousiasme et la conviction que vous manifestez nous font entrevoir la lumière que vous évoquiez au bout du tunnel.

J'ai eu la chance, comme certains de mes collègues, de participer durant trois années consécutives aux échanges entre les parlementaires, l'Académie des sciences et les jeunes chercheurs. Cette action, menée par l'Académie, permet aux parlementaires de rencontrer à la fois des académiciens expérimentés et de jeunes chercheurs. J'y ai trouvé beaucoup d'intérêt ; c'est une action à valoriser et à promouvoir.

Au fil de ces rencontres, on recueille beaucoup d'éléments sur le monde de la recherche et sur celui de l'université. Je voudrais y puiser deux exemples. Le premier est celui d'un jeune chercheur qui anime depuis trois ans une équipe de chercheurs en biologie dans le cadre de l'INSERM ; il nous alerte sur le statut de ces jeunes chercheurs, ingénieurs, techniciens, doctorants, en CDD pour la plupart pour une durée de cinq ans maximum, semble-t-il. On dit qu'on pourrait l'abaisser à quatre ans et six mois. Après ce terme, il n'existe plus de possibilité de retrouver un autre CDD dans une autre équipe de recherche publique. Au bout de trois à quatre ans, ces jeunes collaborateurs commencent à perdre le moral. A titre dérogatoire ou exceptionnel, dans des équipes de recherche où le temps compte, où la durée et l'expérience doivent pouvoir s'inscrire dans les résultats, ne pourrait-on avoir des CDD à l'allemande qui durent dix ou douze ans ? C'est là la question d'un jeune chercheur qui anime une équipe de neuf personnes dans un laboratoire du Sud de la France...

Le second témoignage est celui d'un professeur enseignant-chercheur, de surcroît académicien, qui pense -et c'est là que je voudrais recueillir votre avis- qu'une des fragilités de l'université française réside dans son hétérogénéité de cursus et de niveaux. La même université mène à la fois des actions pluridisciplinaires au sens large du terme et vise des formations de niveau moyen jusqu'à l'excellence. Cet enseignant, au terme de sa carrière il est vrai, affirme qu'il s'agit là d'un élément qui aurait pour effet de faire que nos universités ne sont pas extrêmement performantes dans les différents classements, comme celui de Shanghai. Il préconise plus d'homogénéité afin de promouvoir davantage d'excellence.

Ce sont là deux questions qui m'ont été inspirées par les échanges que j'ai eus avec plusieurs personnes...

Mme Maryvonne Blondin. - Je voudrais vous interroger, Monsieur le Ministre, sur la crainte exprimée lors de la mise en place de cette réforme par les instituts universitaires de technologie qui craignaient de se voir absorber et de disparaître au sein des universités. Avez-vous pu mesurer ce point ?

Par ailleurs, vous avez évoqué la présence innervée des universités sur le territoire. Or, la Bretagne Sud connaît quelques difficultés dues au gel des crédits. Une vingtaine de postes n'est pas pourvue du fait des difficultés et du manque de moyens.

Plusieurs commissaires ont insisté sur les conditions de vie étudiante. Vous avez évoqué les fonds d'urgence. Je crois que les crédits du CNOUS ont également baissé de 5,5 %. Il faudra y prêter beaucoup d'attention car nombre d'étudiants connaissent la précarité.

Les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé constituent vraiment une médecine délaissée, en souffrance. 20 % des étudiants renoncent à des soins faute de moyens. Que pensez-vous pourvoir faire à propos de ces différents points ?

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La parole est au ministre.

M. Laurent Wauquiez. - Tout d'abord, s'agissant du plan "Réussir en licence", les initiatives ont foisonné dans toutes les universités et ont toutes été évaluées, ce qui nous permet de mesurer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. A mon sens, trois domaines se dégagent clairement.

En premier lieu, on prépare avec un luxe incroyable la bascule des élèves du primaire vers le collège mais on les jette dans le grand bain de l'université qui représente souvent un choc culturel, psychologique et familial bien plus important, sans aucune préparation ! Les étudiants se retrouvent dans des amphithéâtres de 1 000 personnes avec des problèmes d'isolement psychologique ; ils peuvent être coupés de leur famille ; les méthodes de travail sont très difficiles et tout cela se fait du jour en lendemain ! La solution consiste à préparer cette bascule, à l'accompagner dès le lycée -au moins le premier mois- et à avoir des cours de méthodologie -je pense à ce qui a été fait à l'université de Strasbourg. On réduit alors fortement le taux d'échec.

La seconde initiative concerne les tuteurs. Bordeaux a beaucoup travaillé sur ce sujet ; Clermont-Ferrand également. A terme, c'est la voie vers laquelle on doit évoluer ; elle fonctionne très bien dans un certain nombre de sites universitaires étrangers, notamment en Allemagne. Je crois beaucoup à ce modèle où l'on est capable d'avoir des relations plus personnalisées et des méthodes de travail différentes.

La troisième initiative est relative aux passerelles. Notre modèle repose sur la non-sélection ; cela suppose une orientation beaucoup plus active et de permettre une réorientation. Je ne veux pas qu'un étudiant qui choisit une filière dont il s'aperçoit qu'elle ne lui convient pas gâche une année complète. C'est ensuite très difficile de le remettre dans le système.

Il existe un domaine dans lequel on a très bien réussi, celui de la médecine où les réorientations se font au bout d'un semestre et fonctionnent bien. Elles commencent à se mettre en place, permettent de meilleures orientations et d'utiliser toutes les orientations professionnelles. J'y crois beaucoup.

Madame Khiari, je vous remercie de votre question sur un sujet qui a été pour moi un objet de combat. C'est pour moi une conviction : un étudiant formé en France est un ambassadeur à vie de notre pays. Aujourd'hui, la compétition entre les nations est une compétition entre les talents. La France doit rester -c'était également le sens de l'intervention de M. Duvernois- une grande nation qui accueille les étudiants étrangers et les talents du monde et les forme.

Cette circulaire dite "Guéant-Bertrand" ne porte pas sur les étudiants étrangers qui ne sont concernés que par un paragraphe d'un document qui définit une politique sans doute plus restrictive en matière d'immigration. Le point traité par la circulaire concerne l'étudiant étranger qui a achevé sa formation et qui demande l'autorisation de travailler dans notre pays. C'est un simple rappel du droit qui s'est cependant traduit par une application incorrecte sur le terrain.

Des préfets, dans le contexte global de la circulaire, en ont déduit qu'on durcissait le droit du travail pour des étudiants étrangers talentueux. Ce sont des cas très isolés. On parle de 300 à 400 personnes -en tout cas moins de 1 000. Nous avons immédiatement corrigé les choses. J'ai reçu les différents responsables. Nous avons tenu ensemble une séance de travail, adopté une méthode de travail. Nous traitons les dossiers les uns après les autres pour pouvoir corriger les cas aberrants que vous avez mentionnés : le polytechnicien indien embauché chez Orange, l'ingénieur ou le commercial d'HEC embauché chez Airbus et auquel on a dit non, ce qui est absurde : dès lors qu'on l'a formé, il faut profiter de la formation qu'il a reçue, d'autant qu'on ne forme pas suffisamment d'ingénieurs. On traite les dossiers en instance le plus vite possible pour les corriger. Nous avons fait passer un message très clair à nos partenaires pour signifier que la France veut accueillir les talents du monde. C'est notre orientation politique.

Monsieur Vincent, vous avez raison : il faut augmenter l'encadrement supérieur. C'est l'un des objectifs de l'autonomie. De plus en plus de présidents d'université s'y emploient, notamment celui de Saint-Etienne, qui est remarquable et qui fait un travail extrêmement intéressant. Il s'agit de quelqu'un pour qui j'ai beaucoup d'estime. Nous allons l'accompagner dans le cadre d'un partenariat sur la faculté de médecine. J'espère que nous arriverons à sortir ce dossier. J'y travaille activement ; il est très important pour moi. C'est là l'exemple d'une université qui a bien compris la nécessité de travailler sur la réallocation de ses moyens.

Pour ce qui est des IDEX, je ne suis pas d'accord avec vous. Il est vrai que certains schémas sont des schémas de fusion. C'est sans doute le cas de celui de Strasbourg. Il y a également des schémas de coopération poussée mais ce ne sont pas des schémas de fusion -en tout cas, pas à ce stade- comme Bordeaux. Il existe enfin des schémas fédératifs très souples, comme Paris Sciences et Lettres (PSL) qui ne constitue pas un schéma de fusion. Ils n'ont aucune intention de fusionner. Ils sont dans un établissement de coopération d'enseignement et de recherche mais non dans une logique de fusion. On a vraiment une palette et un éventail de gouvernance divers. On n'est pas dans un modèle unique.

Cependant les universités incapables de s'entendre -suivez mon regard- qui comportent des conseils d'administration pléthoriques dans lesquels on affiche une unité de façade mais qui, sous l'épreuve du jury, révèlent des béances dans la vision commune, ne tiennent pas la route.

Monsieur Duvernois, Campus France constitue un outil essentiel qui va nous permettre d'avoir une vision commune en matière de prospective et d'accueil. Rien ne sert de faire de la prospective si l'on n'accueille pas derrière et vice-versa. Nous travaillons avec M. Alain Juppé sur ce sujet. La France est une belle nation ; elle a une belle histoire ; elle doit rayonner dans le monde. Ce rayonnement se traduit par l'enseignement supérieur et la recherche, par des coopérations actives avec de nouveaux pays étrangers. Campus France sera notre bras armé.

Nous achevons les négociations. Une personne qui a souvent été innervée par la sagesse sénatoriale se voit chargée de mission en la matière et je suis assez confiant sur une issue qui devrait être positive et rapide.

Monsieur Leleux, permettez-moi de vous remercier : vous faites effectivement partie des sénateurs qui ont suivi ce programme d'échanges porté par l'Académie des sciences. C'est très précieux.

Dans le cadre du programme de titularisation, j'essaie de veiller à ce qu'on ne s'enferme pas dans des bornes contractuelles trop étroites et qui ne permettent pas de prendre en compte les réalités que vous soulevez. C'est une négociation avec la fonction publique.

Pour le reste, pourquoi, en Allemagne, un doctorant peut-il être embauché sans aucun problème dans une entreprise privée ? Pourquoi, en France, considère-t-on qu'un doctorant n'est bon qu'à faire de la recherche fondamentale et est inadapté au monde de l'entreprise ? Pourquoi nos entreprises ont-elles des pratiques aussi réactionnaires et conservatrices ? Je suis très agacé par les pratiques mises en oeuvre dans nos entreprises en matière de ressources humaines ! Pourquoi cette défiance à l'égard de nos étudiants ? Pourquoi croire que seuls les étudiants des grandes écoles sont adaptés à certain postes ? C'est absurde ! Pourquoi penser qu'un étudiant en sciences humaines ne peut ensuite exercer d'autres fonctions ? Il est capable de travailler en équipe, de rédiger. Ce sont des valeurs et des acquis qui peuvent être ensuite transposables dans d'autres domaines. On a en France des pratiques de ressources humaines trop archaïques, trop conservatrices et qui se retournent contre les entreprises ! Je travaille avec l'association des directeurs de ressources humaines pour essayer de faire évoluer les choses.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Notre commission avait porté un amendement de conditionnalité du crédit d'impôt recherche pour que de jeunes doctorants puissent être embauchés. C'est une idée que nous vous livrons. Vous pouvez en faire fruit si vous le souhaitez : cela ferait très plaisir à la commission !

M. Laurent Wauquiez. - Je vous remercie d'enrichir ma réflexion. Toutefois, en matière d'emploi, on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif ! Il faut que les entreprises intègrent elles-mêmes le fait que c'est dans leur intérêt.

Pour ce qui est du classement de Shanghai, il faut faire bouger celui-ci : trop restreint, il ne prend en compte qu'une partie du spectre. Je trouve gênant que le classement des universités mondiales dépende uniquement d'un classement fait à Shanghai par les Chinois ! Ce n'est pas une mauvaise idée que l'Europe se réveille et établisse son propre classement européen !

Madame Blondin, les instituts universitaires de technologie (IUT) constituent un univers que je connais bien. J'y suis très attaché. Ils ne sont peut-être pas totalement conformes à l'esprit initial dans lequel ils avaient été créés mais ils fonctionnent. Nous n'allons pas casser ce qui fonctionne ! Ils permettent d'actionner l'ascenseur social mieux que d'autres niveaux, aboutissent à une intégration professionnelle très bonne, les partenariats avec les entreprises sont très forts.

Je suis convaincu que les IUT ont à gagner de leur intégration dans les universités mais que les universités ont également intérêt à respecter l'identité propre de nos IUT. Des règles ont été fixées ; elles sont destinées à s'assurer que les budgets propres sont respectés et à avoir une maîtrise de certains aspects de la politique de ressources humaines. Tout cela est très important ; nous n'y sommes pas encore. J'ai rencontré récemment l'Association des directeurs d'IUT. Nous travaillons avec eux pour corriger un certain nombre de dérives et s'assurer de l'existence d'un contrat pluriannuel. Cela fait partie de ces discussions fortes comme celles que l'on peut avoir dans l'enseignement supérieur.

Je reste toutefois confiant : l'université d'Auvergne a mis en place des partenariats de recherche à un très haut niveau d'excellence sur l'imagerie médicale entre un laboratoire de recherche universitaire et un IUT. Cela ne serait jamais arrivé il y a sept ans -et c'est positif ! C'est là ce que je souhaite et non que l'on règle ses comptes.

Enfin, je précise que le fonds d'urgence figure bien dans les crédits des CROUS.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Pouvez-vous encore répondre à quelques questions, Monsieur le Ministre ?

M. Laurent Wauquiez. - Je suis à la disposition de la représentation sénatoriale...

M. Jean-Jacques Pignard. - J'ai été très sensible, Monsieur le Ministre, à ce que vous avez dit à propos de la culture scientifique. Cela rejoint des problèmes que l'on a abordés et qui peuvent se regrouper. Nous avons évoqué les étudiants qui sont obligés de travailler. Quelques-uns d'entre nous, ici, l'ont fait pour payer leurs études.

Certains travaux qui sont confiés à des étudiants en lien avec des collectivités territoriales, peuvent les aider. Il faut qu'il y ait davantage de liens entre les universités et les musées scientifiques qui existent en France ou qui se créent. J'en sais quelque chose puisque j'ai en charge le Grand Musée des confluences à Lyon qui doit ouvrir ses portes dans dix-huit mois. On a besoin de 60 médiateurs ; un gardien de musée, aujourd'hui, n'est plus quelqu'un qui reste assis sur sa chaise. Il s'agit de quelqu'un qui explique une exposition. Nous sommes en train de travailler avec l'université, comme on a commencé à le faire également dans un autre domaine muséographique, celui de la culture gallo-romaine.

Il faut qu'il y ait un partenariat avec les collectivités territoriales qui gèrent ces établissements muséographiques. Cela ne résoudra pas le problème du travail des étudiants, je vous l'accorde -mais cela peut les aider.

Une des plus grandes écoles de la scène en France, celle de la rue Blanche, l'école nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (ENSATT), est désormais à Lyon. Elle est restée dans votre giron et non dans celui de la culture. Je sais que vous y tenez. Les étudiants qui étaient autrefois à Paris réalisaient des clips télévisés le soir pour gagner un peu d'argent. A Lyon, c'est plus difficile. On a donc essayé de mettre en place des initiations théâtrales avec des collèges dans le cadre du département. Il existe des initiatives pour mettre en lien les collectivités territoriales, les universités et les étudiants qui peuvent effectivement rencontrer des problèmes financiers.

M. Laurent Wauquiez. - Merci de cette intervention à propos d'une école qui m'est en effet très chère, pour une raison simple : c'est la seule école, dans le domaine culturel, qui relève directement de mon ministère -et je crois qu'ils ne s'en plaignent pas !

Il convient de mener une réflexion de fond sur cette dispersion des ministères de tutelle. Lorsqu'on est dans l'enseignement supérieur, il faut être rattaché à un ministère clairement identifié. Cette dispersion se fait parfois au détriment des organismes d'enseignement supérieur qui la subissent car ils constituent une variable d'ajustement au sein de leur ministère de tutelle alors que nous avons, nous, une vision d'ensemble.

En second lieu, l'ENSATT et le pôle de Lyon ont travaillé sur une véritable pluridisciplinarité en faisant en sorte que des enseignements très divers puissent profiter de passerelles et de formations croisées. Je trouve cela extrêmement intéressant ; Lyon est sans doute un des sites où la transdisciplinarité a été poussée le plus loin. C'est un des atouts du site de Lyon selon moi !

Pour le reste, je vous rejoins tout à fait : le travail étudiant n'est pas en soi le signe d'une certaine misère. Il peut être négatif pour les étudiants mais il ne l'est pas systématiquement. Ce qui est négatif, c'est l'étudiant de famille modeste, qui n'est pas boursier, juste au-dessus des seuils d'aides, avec une famille qui a un autre enfant qui étudie en même temps et qui se retrouve, pour financer ses études, à devoir faire un temps plein à des horaires incompatibles avec ses études. C'est cela qui est mauvais.

A l'inverse, dans les chiffres que l'on cite, seule une infime partie correspond à ce cas. Pour le reste, il s'agit d'étudiants qui travaillent uniquement pendant l'été, voire durant des périodes de stage intégrées dans leur cursus. Il faut prendre garde à ne pas tout mélanger.

Quand le travail apporte un plus aux études ou qu'il s'agit d'un travail dans le cadre d'une formation professionnalisante, c'est une bonne chose. Travailler durant l'été met du plomb dans la cervelle. Je l'ai fait ; je pense qu'il en va de même pour vous. C'est bien.

Ainsi que vous l'avez dit, il faut rester attentif aux risques de dérives concernant des emplois où l'on trouve des étudiants qui n'arrivent pas à s'en sortir. On enclenche une spirale infernale pour un travail de peu d'intérêt, qui prend tout leur temps et les conduit à l'échec. Je crois que l'on peut tous se retrouver pour reconnaître que c'est là que nous devons concentrer notre action ! Merci à tous.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci, Monsieur le Ministre. Vous n'avez évité aucun sujet. Nous vous en remercions, ainsi que de votre disponibilité.

Mercredi 9 novembre 2011

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Loi de finances pour 2012 - Mission Médias, livre et industries culturelles - Programme Livre et industries culturelles - Examen du rapport pour avis

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission examine le rapport pour avis de M. Jacques Legendre sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles - Programme Livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2012.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je voudrais faire tout d'abord un petit rappel concernant la présence des représentants des secrétariats des groupes politiques en commission. Chaque groupe politique a la possibilité de désigner un de ses collaborateurs qui ne peut prendre la parole et est tenu au respect de la confidentialité des réunions. Je précise qu'il ne peut y en avoir qu'un, qu'il est nécessaire que soient présents des élus du groupe qui envoie un collaborateur et qu'il ne s'agit pas d'un assistant de sénateur.

Par ailleurs, des demandes sont venues d'élus qui sont rapporteurs budgétaires pour que leur assistant personnel puisse assister à leurs auditions. Cette question sera transmise au Bureau du Sénat qui va siéger le 16 novembre et qui est le seul légitime à fixer la règle. Nous l'appliquerons telle qu'elle aura été dite.

M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis. - Notre Bureau a décidé de dédier un rapport spécifique à ces secteurs majeurs que sont le livre, la lecture, la musique enregistrée et le jeu vidéo, visés par le programme 334 dont je rapporte les crédits au nom de notre commission.

Je m'en réjouis à un double titre :

- ces secteurs sont au coeur à la fois des pratiques culturelles des Français et des mutations technologiques ;

- pour ces raisons mêmes, le Parlement, et singulièrement le Sénat, se sont particulièrement mobilisés en leur faveur ces dernières années. J'évoquerai les débats sur le livre numérique et son prix, sur la TVA à taux réduit pour le livre numérique.

Sur le front de l'actualité législative, je vous rappelle en effet que :

- le taux réduit de TVA sur le livre numérique, voté à l'occasion de la précédente loi de finances, devrait s'appliquer - à l'instar du livre papier - au 1er janvier 2012. A cet égard, je tiens à féliciter Jacques Toubon, dont la mission de médiation auprès des institutions européennes et des États membres de l'Union s'est avérée très constructive ;

- s'agissant de la loi du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, le Sénat a eu raison de se battre pour que les règles de fixation des prix s'appliquent à tous les professionnels, qu'ils soient ou non implantés en France. L'adoption de la Résolution européenne, que j'avais déposée pour appuyer notre combat politique en faveur de la diversité culturelle à l'ère numérique, a aussi permis « d'enfoncer le clou ». En définitive, prenant en compte, d'une part, les réponses de notre Gouvernement aux deux avis circonstanciés que la Commission européenne avait émis au cours de l'examen de notre proposition de loi et, d'autre part, les règles appliquées par l'Allemagne et l'Espagne, la Commission européenne n'a pas exprimé de réserves sur cette loi. Celle-ci va donc pouvoir s'appliquer, le décret devant être publié incessamment.

Nous avons donc quelques motifs d'optimisme : le marché du livre numérique va pouvoir se développer dans le respect de la chaîne de valeur de la filière et avec une offre légale croissante.

Renforcer cette offre au bénéfice de tous, y compris bien sûr du lecteur, suppose aussi de légiférer afin de rendre disponibles les oeuvres du XXe siècle. En effet, la titularité des droits numériques les concernant est aujourd'hui incertaine. Les différents acteurs de la filière ayant trouvé un terrain d'accord sur ce point, j'ai déposé récemment une proposition de loi relative à l'exploitation numérique de ces oeuvres. Ce texte est très attendu par les professionnels, prêts à se lancer dans leur numérisation, et je forme le voeu que le Parlement puisse l'examiner dès que possible.

Dans ce contexte, comment le projet de budget pour 2012 se présente-t-il ?

259,3 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 275 millions en crédits de paiement (CP) seront consacrés au programme 334, en 2012. 95,50 % de ces crédits sont consacrés au livre et à la lecture (Action 1), 4,5 % étant dédiés aux industries culturelles (Action 2).

Globalement, l'évolution de ces crédits par rapport à 2011 recouvre :

- une légère diminution de la subvention attribuée à la Bibliothèque nationale de France (BnF) ;

- le changement de périmètre concernant le soutien dans le domaine du cinéma, en particulier à la Cinémathèque, désormais assumé en totalité par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ;

- le financement de la « Carte musique » ne nécessite pas d'inscription budgétaire nouvelle en 2012 car il sera assuré par le report des crédits non consommés en 2011 ;

- enfin, on enregistre une hausse des crédits de paiement de 10 millions d'euros au titre de la contribution spécifique de la BnF au financement des travaux de réaménagement du quadrilatère Richelieu.

S'agissant maintenant plus précisément des crédits de l'action 1 de ce programme, consacrée au livre et à la lecture : si les autorisations d'engagement (AE) stagnent (247,7 millions), les crédits de paiement (CP) (263,3 millions) augmentent en revanche de 10,5 millions d'euros, soit + 4,1 %, afin d'assurer le financement de la rénovation du « Quadrilatère Richelieu » évoqué précédemment. Je vous rappelle que ce site de la BnF doit contribuer à renforcer le pôle scientifique et culturel en matière d'histoire de l'art.

La réduction des effectifs de la BnF (-1,6 %) se traduit par une légère diminution (- 0,23 %) de la subvention attribuée à la BnF (hors Quadrilatère Richelieu) : 205,7 millions d'euros en CP=AE.

Les crédits inscrits au titre de l'édition, de la librairie et des professions du livre s'établissent à un montant identique à celui du projet de loi de finances initial pour 2011, soit 22,3 millions d'euros de fonctionnement, dont 2,8 millions pour le Centre national du livre (CNL), lequel est essentiellement financé par le produit de taxes affectées.

L'Assemblée nationale a adopté des amendements du Gouvernement tendant à plafonner le produit des taxes affectées aux opérateurs de l'État à partir de 2012. Cette démarche a pour objectif de les soumettre à l'effort de modération de la dépense publique et de réintégrer dans le champ de l'autorisation parlementaire annuelle le niveau des taxes qui leur sont affectées, ainsi que l'a recommandé le rapport de MM. Dell'Agnola, Perruchot et Rogemont, au nom la de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC) de l'Assemblée nationale.

Il ne faudrait pas cependant qu'elle fragilise cet opérateur. Or, il semble que l'impact de cette mesure soit limité pour le CNL, en tout cas en 2012 :

- la taxe sur l'édition serait plafonnée à 5,1 millions d'euros mais cela devrait être neutre, car son rendement tend à diminuer et est évalué à 5,04 millions d'euros en 2010 ;

- la taxe reprographie/impression serait plafonnée à 28,2 millions d'euros. Les recettes attendues pour 2011 se situant entre 30,2 et 30,4 millions, le manque à gagner est évalué entre 2 et 2,2 millions. D'après les informations qui m'ont été transmises, il devrait cependant être compensé par une dotation budgétaire d'un niveau équivalent. Je propose de demander au ministre des garanties sur ce point et, par ailleurs, des précisions sur les intentions du Gouvernement relatives à un éventuel projet de modification de l'assiette de cette taxe, déjà évoqué l'an dernier.

En effet, les ressources du CNL méritent d'être sécurisées, compte tenu du renforcement de ses missions et du caractère prioritaire des actions à engager. Je pense notamment au livre numérique et aux librairies. Mon rapport écrit détaille la bonne application du « plan livre », renforcé par les mesures annoncées en mai 2011. Les critères d'attribution du label « librairie de référence » ont notamment été élargis et 510 librairies en bénéficient désormais.

Enfin, les crédits consacrés au développement de la lecture et des collections s'établissent à 19,6 millions d'euros en CP=AE, dont 7,1 millions destinés à la Bibliothèque publique d'information (BPI), soit une hausse de 1,55 % par rapport au projet de loi de finances initial pour 2011.

Je vous renvoie à mon rapport écrit qui fait le point, d'une part, du plan de numérisation des oeuvres sous l'égide de la BnF et, d'autre part, de la mise en oeuvre des 14 propositions pour le développement de la lecture, que le ministre avait annoncées le 30 mars 2010. Ces deux projets sont ambitieux et progressent de façon satisfaisante.

A cet égard, donner ou redonner le goût de la lecture me semble être un enjeu majeur, compte tenu de l'évolution des pratiques culturelles des Français. Le renouvellement des approches gagne à être multipolaire : via les nouvelles technologies, notamment pour toucher les jeunes, mais aussi à travers des initiatives telles que les « Villages du livre ». On en compte actuellement 8 en France, dont un dans une petite ville des Flandres qui m'est chère : Esquelbecq. Ces villes et villages développent ainsi à la fois une identité culturelle forte et du lien social.

Par ailleurs, 11,7 millions d'euros seront consacrés à l'action 2 du programme, qui a vocation à soutenir les industries culturelles, notamment le livre et la musique enregistrée.

Pour la musique enregistrée, les crédits sont maintenus en euros courants à 681 000 euros de dépenses de fonctionnement en AE et CP. Comme je l'ai déjà indiqué, le financement de la Carte musique n'appelle pas d'inscription budgétaire nouvelle en 2012 car il sera assuré par le report des crédits non consommés en 2011, compte tenu du peu de succès rencontré jusqu'ici par la carte. Je vous rappelle que l'objectif est de favoriser l'accès des jeunes de moins de 25 ans à l'offre en ligne légale et payante de musique. Ce dispositif a été créé pour deux ans et il a été décidé de lui donner une seconde chance pour 2012, avec le développement d'une version physique de la carte et une campagne de communication, qui avait fait défaut cette année. Nous pourrons donc en établir un bilan fin 2012 afin d'évaluer si ces mesures permettront ou non d'en renforcer l'efficience.

Par ailleurs, les difficultés du secteur persistent compte tenu de la nouvelle baisse du marché, même si pour la première fois en 2010, on a compté autant d'achats physiques que numériques. En valeur cependant, la progression des ventes numériques ne compense que 42 % de la perte du marché physique. Un renforcement du soutien au secteur s'avère donc nécessaire. Ceci pourrait passer par :

- une amélioration du crédit d'impôt phonographique, comme suggéré par le rapport Zelnik, Toubon et Cerutti de janvier 2010. Des améliorations du dispositif sont à l'étude et je vous propose d'interroger le ministre sur les intentions du Gouvernement à ce sujet ;

- le vote du projet de loi relatif à la rémunération pour copie privée adopté par le Conseil des ministres du 26 octobre dernier ;

- par ailleurs, la mission sur le financement de la diversité musicale à l'ère numérique, confiée en avril 2011, à MM. Riester, Colling, Chamfort, Thonon et Selles, a remis son rapport en septembre 2011. Elle propose de rassembler le soutien à la musique enregistrée et au spectacle vivant dans un établissement public couvrant l'ensemble de la filière : le Centre national de la musique (CNM). Je vous renvoie à mon rapport écrit s'agissant du volet production de musique enregistrée, pour lequel les besoins de ressources supplémentaires sont évalués à 40 millions d'euros. Le rapport juge que les opérateurs de télécommunications devraient contribuer au financement de la création et de la diversité musicale. Je souhaite interroger le ministre sur les modalités et le calendrier de mise en oeuvre de ces recommandations.

Autre sujet, qui n'est pas sans lien cependant : le budget de fonctionnement de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) est fixé à 11 millions pour 2012, soit une baisse de 3,6 % ; ses besoins étant évalués à 13,5 millions, elle devra donc opérer un prélèvement sur son fonds de roulement.

Enfin, la Cinémathèque française étant désormais soutenue en totalité par le CNC, contre 50 % l'an dernier, cette débudgétisation explique la disparition des crédits afférents dans le présent programme.

Je me suis aussi penché sur le secteur du jeu vidéo, soutenu non par le biais de crédits d'impôt et du CNC. Cette industrie créative en forte croissance crée de nombreux emplois qualifiés et exporte largement sa production. Elle mérite toute notre attention.

Enfin, dans mon rapport écrit, je fais le point sur l'actualité européenne. Outre la stratégie de la Commission européenne en matière de propriété intellectuelle, j'y évoque la révision très positive des programmes européens « Média » et « Culture ». Un nouveau fonds de garantie aux industries culturelles et créatives non audiovisuelles est créé et il pourra être ouvert aux secteurs de la musique et du livre à compter de 2014. Je précise que notre pays a plaidé en ce sens avec succès.

En conclusion, si l'ensemble de ces secteurs sont moins aidés budgétairement que d'autres, les difficultés et mutations auxquels ils sont confrontés justifient pleinement le soutien croissant que leurs consacrent le Gouvernement et l'attention que leurs accordent le Parlement.

C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits alloués au programme 334.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Lorsque nous avons des auditions de ministres ou des présentations de rapport, je vous propose de donner la parole d'abord aux rapporteurs sur la thématique concernée, puis une parole par groupe ; ensuite, si nous avons le temps, nous ouvrirons plus largement un débat. Si cette méthode vous convient, nous pourrons entendre un maximum de personnes et aussi tenir le temps.

M. Claude Domeizel. - J'ai écouté avec beaucoup d'attention le rapport de notre collègue. Il est vrai qu'il s'agit d'un rapport concernant la loi de finances pour 2012. Je pense que votre rapport devrait mentionner l'effort considérable réalisé par les collectivités territoriales en matière d'accès à la lecture. Je découvre que des sommes importantes y sont consacrées dans le budget de l'État et qu'elles n'arrivent pas dans nos communes. Il serait intéressant de faire le point sur les sommes consacrées par nos collectivités aux médiathèques, bibliothèques, bibliobus... Elles doivent être considérables.

Mme Colette Mélot. - Je voudrais m'associer au satisfecit évoqué concernant le cheminement de la proposition de loi relative au prix du livre numérique, notamment à propos de la clause d'extraterritorialité. En fait, nous avons eu raison de batailler. Cette clause est importante pour nos éditeurs et nos libraires.

Vous avez évoqué le label « libraire de référence ». Disposez-vous d'information sur le portail 1001 libraires.com ? Y-a-t-il beaucoup de libraires qui y adhéré ? Est-ce que ce site a pu avoir le succès qu'il méritait ?

M. André Gattolin. - Vous avez évoqué la question des jeux vidéo. Ils sont considérés comme un produit culturel nouveau émergeant. Je me dois de vous faire remarquer que lorsqu'on regarde les budgets engagés par les industries du jeu vidéo on se situe dans des niveaux comparables aux plus grands films américains. La France a eu depuis les années 1980, tant en termes de fabrication de supports que de contenus, une industrie extrêmement riche, mais on a toujours négligé cette industrie. On s'intéresse beaucoup au cinéma, à la lecture, mais très peu, en termes d'aide, à l'industrie du jeu vidéo. Il existe en France plusieurs écoles privées ou aidées publiquement par les chambres de commerce qui sont considérées d'excellence dans le monde. Un tiers à la moitié des étudiants qui en sortent partent travailler à l'étranger, notamment aux États-Unis et au Canada. Les grandes industries françaises ont l'essentiel de leurs activités à New York ou à Montréal. Notre pays n'a pas en matière d'investissement industriel une politique forte, ce qui se traduit par des contenus assez critiquables alors que cette industrie se diversifie dans ces apports. Elle est essentielle aujourd'hui en termes de diffusion auprès de la jeunesse. On reste dans les meilleures ventes avec des jeux de guerre, dans des univers totalement américains.

Il est regrettable qu'il n'y ait pas de véritable levier au niveau de la puissance publique pour orienter cette industrie qui a mon sens en est au passage de l'équivalent de ce qui s'est produit entre le cinéma muet et le cinéma parlant. En termes de chiffre d'affaires, d'investissement dans les produits, c'est colossal. J'ai l'impression que les pouvoirs publics français sont encore très en deçà de cette nouvelle réalité. Malheureusement, nos génies nationaux en la matière tant entrepreneuriale que créative partent à l'étranger.

Mme Françoise Cartron. - Je voudrais inscrire ce rapport dans une vision globale et cohérente d'une politique.

Redonner le goût de la lecture est une très belle ambition que nous partageons. Il faut cependant élargir le champ de notre regard. Cela passera par une politique éducative très ambitieuse. Ce goût de la lecture se donne très jeune.

Il est également soutenu très fortement par les communes, par les bibliothèques et les médiathèques, par les départements avec les opérations des bibliothèques départementales de prêt. Je voudrais connaître le niveau d'implication de l'État par rapport à celui des collectivités territoriales. La région Aquitaine a été aussi précurseur auprès de la librairie indépendante. Les régions ont choisi de la soutenir très fortement pour la sauver. Il ne faudrait pas que cette ligne budgétaire ne soit qu'une ligne d'affectation sans véritable mobilisation.

Je m'interroge aussi sur les pistes évoquées de nouveaux crédits d'impôt à l'heure où on nous demande de supprimer les niches fiscales et de muscler le budget de l'État. Cela me paraît antinomique.

Mme Maryvonne Blondin. - Redonner le goût de la lecture est essentiel. Le rôle des collectivités territoriales est important par la mise en place de schémas départementaux de la lecture publique, en créant des structures d'équipement de proximité, des médiathèques, en mettant en place les bibliobus qui circulent dans les départements, en aidant à la professionnalisation souvent de petites structures bénévoles, en affectant des catégories A spécialisées dans les équipements, ce qui impacte le fonctionnement.

L'État avait mis en place en place un Observatoire national de la lecture publique qui comprenait une dizaine de collectivités dont le département du Finistère. Avez-vous eu des résultats ? Nous n'en disposons pas en tant que collectivité.

Existe-il des échanges approfondis entre les éditeurs et les imprimeurs pour une aide à la reconversion professionnelle ?

M. Jean-Pierre Leleux. - Dans la loi que nous avons votée sur le livre numérique, nous nous sommes cantonnés au livre homothétique. Bien entendu, ces livres ne sont pas destinés à être imprimés et lus sur papier. Donc ils vont très vite évoluer. Ne faudrait-il pas anticiper sur l'évolution législative qu'il va falloir vraisemblablement engagée ?

Je suis intéressé par une étude sur l'évolution de nos bibliothèques, notamment dans les communes qui travaillent sur la création d'une nouvelle médiathèque. La rédaction du cahier des charges devient complexe voire risquée. L'évolution des modes d'accès à la lecture est telle que les structures de lecture publique vont nécessairement évoluer. Il y a vraisemblablement des études prospectives à réaliser sur ce que seront les lieux physiques de bibliothèques-médiathèques dans les années à venir. Je m'interrogerai sur l'opportunité de créer une réflexion sur le devenir des bibliothèques et des médiathèques.

M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis - Le nombre des questions montre bien que l'on se situe pleinement dans l'actualité et que tout change très vite.

Je me suis limité à analyser le budget que nous avons à voter. Le département, voire la région, concourent fortement à la lecture publique. C'est intéressant de faire le point de l'action menée par les collectivités territoriales. Elles y jouent un rôle important.

Le portail 1001 libraires.com constituait une réponse à l'invasion de Google. Or cette réponse est ratée. Ce portail a été mal réalisé par la société prestataire. Il était trop ambitieux. Les libraires et le ministère de la culture sont convaincus qu'il faut se recentrer. Les acteurs de la librairie ciblent sur la géolocalisation des ouvrages. Je ne leur ai pas caché un certain scepticisme. Leur produit n'est pas vraiment un concurrent à Amazon dont les moyens engagés sont considérables. Je crois qu'il est difficile pour un ensemble de libraires de se rassembler. La question n'est pas réglée. J'avoue une inquiétude. L'action doit continuer à être réfléchie sur ce point. L'important est la capacité à maintenir un réseau de libraires sur notre territoire. Saluons cet effort. Le label est certes un élément important. Mais la qualité des personnels présents dans les librairies est une réponse plus déterminante. La médiation culturelle me semble être plus efficace dans ce domaine.

S'agissant des jeux vidéo, vous avez raison de regretter que la France ait fourni les créateurs et que l'accueil soit fait dans d'autres pays. Notre commission s'est ainsi rendue au Canada pour étudier ce secteur. Nous avons constaté qu'il regroupe de nombreux emplois dont plusieurs centaines occupés par des Français. J'ai constaté un intérêt nouveau du ministre de la culture sur ce point. Il s'est rendu dans le département du Nord pour visiter l'école SupInfogame à Valenciennes et un centre de formation situé à Roubaix. Nous devons souhaiter que la France mobilise davantage ses talents dans ce secteur. Le Canada réalise un effort massif pour devenir une grande puissance : dans ce domaine, par exemple 45 % des salaires sont pris en charge par la ville de Montréal. Il faut insister auprès du ministère. C'est une forme moderne de l'expression artistique. L'univers virtuel qui est popularisé est très anglo-saxon. Il serait bien de populariser un univers plus européen avec autant d'attractivité.

Nous partageons un même souci de redonner le goût de la lecture. Vous avez raison de dire que cela ne concerne pas seulement les bibliothèques et l'action du ministère de la culture. Cela passe aussi par l'école. C'est une action d'un ensemble d'acteurs, de l'État, des collectivités territoriales.

Les maires sont souvent passionnés en France par la réalisation d'une médiathèque. Notre grande interrogation est le cahier des charges compte tenu des évolutions. Par les nouvelles technologies, les jeunes sont amenés à revenir au livre papier. L'engagement des bibliothécaires est essentiel. Les différentes actions menées en ce sens nécessitent beaucoup d'imagination des acteurs locaux. Il serait intéressant de pouvoir faire le point sur ces initiatives passionnantes, comme les villages du livre qui attirent eux un public plus classique. Tout est important dans ce domaine. Notre action doit porter en parallèle sur le livre numérique et le livre papier ; le public arbitrera.

La mise en oeuvre du site de l'Observatoire de la lecture publique est prévue pour la fin 2011. Il est donc difficile de vous dresser un bilan pour l'instant.

Je n'ai pas d'informations concernant les imprimeurs. Une association s'est créée pour soutenir le livre papier, Culturepapier. Nous les avons entendus.

Nous avons légiférer sur le livre numérique homothétique car c'était le seul qui existait à ce moment-là. Cette loi sera de ce point de vue assez vite dépassée. Nous aurons à légiférer sur le livre non homothétique. S'il le faut, il est normal qu'une nouvelle loi soit envisagée deux à trois ans après pour tenir compte des évolutions constatées. Nous ne devons pas nous laisser dépasser. Si on laisse des pratiques importées par de puissantes sociétés étrangères s'implantaient sur le marché, des mauvaises habitudes auront été éventuellement mises en place. Acceptons dans ce domaine de nous dire que nos lois ne sont pas gravées dans le marbre. C'est d'abord un appel à la vigilance qu'il faut y avoir sur ce point.

Une réflexion sur l'action des collectivités et sur ce que peut être la médiathèque du XXIe siècle pourrait être utile aux élus.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je voudrais apporter une précision. Culturepapier est une formation de type lobbying ayant un débouché sur un groupe d'études à l'Assemblée nationale, mais rattachée à la commission des affaires économiques.

S'agissant du soutien à une véritable filière du jeu vidéo, notre commission avait soutenu et fait adopter, l'an dernier, un amendement pour maintenir le statut des jeunes entreprises innovantes, mais la commission mixte paritaire ne nous avait pas suivis.

Je souhaite insister sur la mention dans votre rapport de l'effort des collectivités territoriales dans le domaine de la lecture publique et la nécessité de muscler l'appel à une vraie politique industrielle pour les jeux vidéo. Je connais beaucoup d'étudiants qui sont devenus mondialement reconnus pour leurs talents. Ils sont partis en Australie, à Londres, ils ont des propositions pour travailler au Québec, ils ont envie de revenir ici mais ils ne trouvent pas de terrain pour exprimer leurs talents et avoir des emplois à leur hauteur.

A l'issue de cet échange de vues, le rapporteur pour avis propose, à titre personnel, de donner un avis favorable aux crédits du programme « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2012.

Cependant, le vote sur l'ensemble des crédits de la mission est réservé jusqu'au mercredi 16 novembre, date de l'examen des crédits des autres programmes de la mission.

M. Claude Domeizel. - Les dernières paroles de Jacques Legendre me permettent de faire une transition : je voudrais inscrire une question diverse. Les propos que je vais tenir pourraient aussi bien être tenus au Bureau du Sénat, dans la salle des conférences ou à la buvette. J'ai choisi d'en parler ici car cela concerne la vie des commissions. Le Règlement du Sénat précise que les présences en commission sont publiées au Journal Officiel - et cela concerne toutes les commissions. Or cette publication n'a rien de malsain, mais elle sert à des personnes qui cherchent à savoir ce que se passe dans les assemblées parlementaires. Tout cela n'est pas anormal ; le seul problème, c'est que lorsqu'on publie les présences ou les absences, on ne fait pas la différence parmi les absents entre ceux qui sont absents parce qu'ils sont empêchés, ceux qui ont eu la délicatesse de s'excuser, ceux qui ont des obligations dans leur département... Ce qui manque, c'est la mention de ceux qui sont en mission pour le Sénat. Hier, je n'ai pas pu assister à la réunion de la commission parce que j'étais à la commission de vérification des comptes et que j'espérais qu'elle serait assez brève pour vous rejoindre. Je n'ai pas pu. Il n'empêche que je serai noté absent et que je ne serai pas excusé. Je me demande, madame la présidente, s'il ne faudrait pas que le Bureau réfléchisse à une réforme. Cela pourrait être une modification du Règlement pour supprimer cette clause au Journal Officiel, et personne ne saurait qui était présent - mais je ne suis pas pour cette solution. Si on maintient cette publication, alors il faudrait une rubrique « En mission pour le Sénat ». Lorsqu'il y a superposition de plusieurs commissions, on ne peut pas être aux deux endroits. Je trouve tout à fait sain que nos concitoyens puissent savoir ce qui ce passe dans les assemblées, mais il faut qu'ils aient toutes les informations.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci de cette remarque ; je la porterai en tant que présidente de commission auprès du Secrétariat général. C'est aussi à vous de le porter par vos groupes politiques au sein du Bureau. Effectivement, il serait bienvenu d'être excusé parce qu'on est délégué - quelquefois par notre propre commission - pour assister à un conseil d'administration, ou suivre une mission comme celle sur le Médiator, ou aller en audition à l'Office parlementaire (où l'on est très fiers que notre commission soit représentée). On nous assimile à ceux qui n'ont pas désiré se lever ce jour-là, qui sont beaucoup plus minoritaires qu'on ne veut bien le faire croire dans une certaine presse.

- Présidence commune de Mme Marie-Christine Blandin, présidente, et de M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -

Contrat d'objectifs et de moyens entre l'État et l'Institut français - Audition de M. Xavier Darcos, ambassadeur en mission pour la politique culturelle extérieure de la France, président exécutif de l'Institut français

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission procède, conjointement avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à l'audition de M. Xavier Darcos, ambassadeur en mission pour la politique culturelle extérieure de la France, président exécutif de l'Institut français, sur le contrat d'objectifs et de moyens entre l'État et l'Institut français pour la période 2011-2013.

Mme Marie-Christine Blandin, co-présidente - Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Xavier Darcos en sa qualité de président de l'Institut français afin de nous dresser un premier bilan d'étape de la mise en place de la nouvelle agence culturelle et de l'exécution des missions qui lui ont été confiées par la loi du 27 juillet 2010. Cette audition sera également l'occasion de l'interroger sur le contenu du projet de contrat d'objectifs et de moyens qui liera l'Institut à l'État pour la période 2011-2013 et qui a été transmis pour avis à nos deux commissions au début de cette semaine.

Après avoir longtemps milité pour un sursaut de notre diplomatie culturelle et d'influence, nous serons particulièrement attentifs à la définition stratégique de notre action culturelle extérieure et aux moyens que les pouvoirs publics sont prêts à consentir à prestige intellectuel, culturel, linguistique et moral que nous entretenons à l'étranger.

M. Jean-Louis Carrère, co-président - Je souhaite la bienvenue à notre ancien collègue Xavier Darcos. Vous savez l'intérêt que portent nos deux commissions à l'action culturelle extérieure de la France. Je rappelle que le Sénat a beaucoup travaillé sur l'acte de naissance de l'Institut français, c'est-à-dire le projet devenu loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État, rapporté par MM. Joseph Kergueris et Louis Duvernois.

Nous sommes donc impatients d'entendre son nouveau président. J'observe également que la stratégie de l'Institut français est indissociable de son financement, comme le précise explicitement le contrat d'objectifs et de moyens sur lequel nous vous entendons. C'est pourquoi nos rapporteurs budgétaires sur les crédits de l'action extérieure de l'Etat, MM. Jean Besson et René Beaumont, auront l'occasion de vous interroger en détail sur les enjeux du déploiement de l'Institut français.

M. Xavier Darcos, président de l'Institut français. - Je vous remercie de votre accueil et suis particulièrement heureux de venir devant les deux commissions de la Culture et des Affaires étrangères du Sénat pour présenter le contrat d'objectifs et de moyens de l'Institut français, qui, je le rappelle est le nouvel opérateur de l'action culturelle extérieure, depuis sa création, le 1er janvier 2011. J'adresse tout particulièrement mon amical souvenir aux rapporteurs René Beaumont et Jean Besson.

Il s'agit pour moi d'accomplir, au nom de l'Institut français, une obligation statutaire. En effet, le contrat d'objectifs et de moyens (COM) doit recevoir, conformément à l'article premier de la loi du 27 juillet 2010 sur l'action extérieure de l'Etat, un avis des deux assemblées avant son approbation par le Conseil d'administration. Le projet de contrat d'objectifs et de moyens a d'ores et déjà reçu un avis favorable du Comité d'orientation stratégique de l'Institut français, le 28 septembre dernier, sous la présidence du ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes, M. Alain Juppé, et du ministre de la culture et de la communication, M. Frédéric Mitterrand. Il est prévu, par la suite, de soumettre le COM à l'approbation définitive du conseil d'administration de l'Institut le 15 décembre prochain. Je rappelle également que le projet de COM prévu par les statuts et proposé par le ministère des affaires étrangères et européennes doit être co-signé par le ministère de la culture et de la communication et le ministère du budget, même si l'Institut français n'est soumis à la tutelle du seul ministère des affaires étrangères et européennes.

Ce projet s'articule en quatre objectifs : le premier est d'inscrire l'action culturelle extérieure dans les objectifs de notre politique étrangère ; le deuxième consiste à soutenir et à développer l'action du réseau culturel dans le monde : permettez-moi à ce sujet de souligner combien les personnels de ce réseau parviennent à « soulever des montagnes », avec des moyens réduits mais un dévouement exceptionnel. Le troisième objectif fixé par le COM est de développer des partenariats au profit d'une action plus cohérente et efficace. C'est une nécessité pour le rayonnement et l'efficacité de l'action du nouvel Institut français. Enfin, le quatrième objectif vise à améliorer le pilotage et l'efficience dans la gestion des ressources.

Le préambule du contrat d'objectifs assigne à l'Institut français une mission claire : porter une ambition renouvelée pour notre diplomatie d'influence, contribuer au rayonnement de la France à l'étranger, accompagner le développement culturel des pays envers lesquels nous avons un devoir de solidarité et promouvoir la diversité culturelle et linguistique, dans une démarche d'écoute et de partenariat. L'Institut français a également pour mission de renouveler les modalités d'action de notre diplomatie culturelle, de renforcer nos leviers d'influence et de dialogue avec les sociétés civiles et les nouvelles élites. Il met en oeuvre les priorités géographiques définies par le département.

Pour compléter ce rappel des quatre objectifs, je veux souligner l'ambition qui sous-tend ces différents chapitres du projet de contrat d'objectifs et de moyens.

Tout d'abord, il nous est demandé d'adapter nos actions aux zones géographiques prioritaires pour le ministère et de les orienter plus particulièrement cette année vers le sud de la Méditerranée ainsi que de mettre l'accent sur les pays émergents. Une discussion avec notre autorité de tutelle est en cours pour définir précisément les pays prescripteurs pour notre action. Ensuite, l'accent est mis sur l'appui à la création française contemporaine, dans tous les domaines : artistique, littéraire, cinématographique, et pour la diffusion des savoirs. Cela confirme notre rôle essentiel en matière de soutien aux créateurs vivants, d'arts visuels et d'aide à la traduction d'auteurs. Je tiens à souligner que la diffusion à l'étranger de la création française actuelle est fondamentale à mes yeux : elle implique les hommes et les femmes auteurs, acteurs, artistes, metteurs en scène qui vont entretenir l'image de la France dans les grands médias internationaux. Nous voulons aussi que les créateurs du monde de nationalité étrangère puissent venir se manifester chez nous. Nous favoriserons également le débat d'idées, c'est-à-dire la diffusion de la pensée française, économique, sociale ou scientifique pour défendre notre place intellectuelle dans le monde. J'ajoute que l'enseignement de la langue française, qui est le socle commun de notre action, est pour moi une priorité essentielle et transversale pour l'Institut français. La coopération culturelle et la promotion de la diversité culturelle fait également partie de nos priorités : mes déplacements récents m'ont permis de constater à nouveau combien les créateurs et les artistes africains, par exemples, comptent sur nous pour trouver des plateformes leur permettant de trouver une visibilité et de renforcer leurs chances d'accéder ensuite aux grands circuits internationaux de distribution commerciale.

Sur le terrain, c'est, bien entendu, le réseau culturel de coopération qui a un rôle essentiel dans la mise en oeuvre de ces objectifs. L'Institut français qui a pour mission de créer une nouvelle relation avec ce réseau - dans lequel, je le souligne, les alliances françaises ont une place éminente - doit d'abord s'efforcer de le soutenir au mieux. Pour cela, nous mettons tout d'abord en place des outils numériques mutualisés et structurants : un effort particulier est consenti pour la diffusion des films français qui seront très aisément accessibles pour le réseau culturel grâce à la mise à la disposition instantanée de fichiers. Ensuite, l'Institut est chargé de l'ensemble des actions de formation des agents du réseau culturel, à la fois les agents expatriés et les agents de recrutement local ; deux millions d'euros ont été consacrés cette année à cette action, qui a concerné 900 personnes, que nous prenons très au sérieux. Nous avons également pour objectif de développer une stratégie de communication visant à construire une image forte, d'instituer une nouvelle marque et de la faire vivre dans le réseau, en coopération avec les alliances françaises avec lesquelles nous travaillons en commun.

Nous sommes par ailleurs en train de nouer des partenariats avec l'ensemble des grands opérateurs de l'action culturelle ; cette politique active nous conduit à signer de nombreuses conventions de partenariat afin de démultiplier notre action. Tel est, par exemple, le cas avec le Centre national du cinéma, avec la Bibliothèque nationale de France et bientôt Campus France. Cette contractualisation permettra de délimiter avec précision nos champs d'intervention respectifs et d'éviter les confusions.

Enfin, conformément à la loi, nous sommes conduits à mener une expérimentation de rattachement de douze postes diplomatiques à l'Institut français. Un bilan d'évaluation en sera tiré d'ici 2013 : il sera soumis aux commissions parlementaires et servira de base à l'éventuelle généralisation de cette expérience.

J'en viens aux questions budgétaires car les objectifs opérationnels formulés dans le projet de contrat sont assortis de moyens nécessaires à leur mise en oeuvre. Je me félicite, au vu de la conjoncture actuelle, que l'Institut français ait pu bénéficier dès sa création d'un cadrage budgétaire triennal. Ainsi, le projet de COM prévoit que l'établissement public dispose d'un budget annuel de 37,6 M€ en 2011, de 37,06 M€ en 2012 et de 36,5 M€ en 2013. Un tableau d'indicateurs de performance et de gestion, en cours de finalisation, servira à vérifier la bonne exécution de ce budget.

Pour conclure, je tiens à souligner, que depuis l'audition à laquelle vous m'aviez convié le du 7 février dernier, le processus d'installation de l'Institut français et de lancement de la réforme a bien avancé dans des délais très brefs. Aujourd'hui même, l'Institut français déménage dans ses nouveaux locaux. L'année 2011 est une année de démarrage pour le nouvel opérateur et l'adoption de son COM marquera une étape importante de sa création.

M. Jean Besson - Ma première question porte sur le caractère industriel et commercial de l'Institut Français. Du point de vue fonctionnel, ce choix peut assurément se justifier par une souplesse de gestion accrue. Cependant, je note d'abord, de façon générale, que le recours aux « agences » est de nature à affaiblir la précision du contrôle parlementaire sur les dotations qui leur sont allouées : c'est pourquoi nous devons observer une vigilance particulière à l'égard de leur stratégie ainsi que de leur gestion et votre audition est, à ce titre, particulièrement opportune. En second lieu, je me demande également de quelle façon vous prenez en compte la dimension symbolique de cette gestion par un établissement industriel et commercial car elle semble, selon certaines organisations syndicales, comporter un risque de démotivation pour certains personnels dont le dévouement procède d'un engagement au service d'une cause désintéressée.

En second lieu, on a souvent déploré une excessive complexité du réseau culturel qui s'accompagnait d'une certaine dissémination des crédits. La mise en place de l'Institut français est, de ce point de vue, un progrès indéniable. Mais certains craignent que le développement de l'Institut amène une dépossession progressive de l'ambassadeur sur la partie culturelle du réseau : qu'en pensez-vous ?

M. René Beaumont - Je le réaffirme : la France n'a pas de meilleur ambassadeur que sa culture et je souhaite donc avant tout vous féliciter pour la rapidité de la mise en place de l'Institut français. Comme vous le savez, les Alliances françaises s'inquiètent des conséquences du déploiement de l'Institut Français et font valoir qu'au moment de la discussion de la loi du 27 juillet 2010, le Gouvernement s'était engagé, pour éviter les « doublons », à ce qu'on ne crée d'Instituts français par fusion que dans les villes où existaient un service culturel (SCAC) et un centre culturel (EAF) ; les alliances française ont besoin d'être confortées sur ce point. Par ailleurs, n'y a-t-il pas un risque de confusion entre les deux « marques » ou logos de l'Institut français et de l'Alliance française pour le citoyen qui a peut-être quelques difficultés à comprendre la distinction entre les entités qui composent le réseau culturel. En outre, au plan financier, le projet de contrat d'objectifs et de moyens comporte des dispositions extrêmement volontaristes pour, je cite, « lever des cofinancements » à tous les niveaux (entreprises, collectivités territoriales et Union européenne) : il est, dès lors, compréhensible que les Alliances françaises puissent s'inquiéter de l'éventuelle concurrence qui pourrait résulter de cette démarche ? Sur ces deux points, quels apaisements et garanties pouvez-vous apporter au réseau des alliances françaises : la voie conventionnelle vous parait-elle suffisante ou faut-il, à votre avis, légiférer dans ce domaine ?

En second lieu, à mon avis, à l'heure de l'Internet, la diplomatie culturelle et la francophonie seront numériques ou ne le seront pas : où en sont la stratégie de l'Institut français et les mesures prises dans ce domaine ?

M. Louis Duvernois, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - La conception et l'élaboration de la loi du 27 juillet 2010 a été un exercice compliqué pour diverses raisons. Mais, un an après, on peut se féliciter du chemin parcouru. Aujourd'hui, l'Institut français est en ordre de marche.

Parmi les difficultés déjà évoquées, l'une d'entre elle concerne les relations avec les postes diplomatiques. Au-delà des 12 postes concernés par l'expérimentation, l'Institut français parvient-il à nouer des relations étroites et constructives avec les missions diplomatiques ?

Et quelles sont les perspectives de la refonte du décret relatif au pouvoir des ambassadeurs ?

Enfin, quel est le rôle des collectivités territoriales, déjà présentes bien avant l'adoption la loi ? Elles sont plus que jamais des sources de financement. Elles travaillent déjà à l'international. Ne faut-il pas prévoir un indicateur de résultat dans le contrat d'objectifs et de moyens sur le nombre de partenariats conclus avec les collectivités territoriales afin d'évaluer votre ambition dans le soutien à la coopération décentralisée qui est un acteur important de notre action extérieure de l'État ?

M. Xavier Darcos, président de l'Institut français. - En réponse à M. Besson sur la question du choix du statut de l'EPIC, il s'agit tout d'abord de la volonté du législateur. C'est une structure souple. Aujourd'hui, on a besoin de partenariats, du soutien des entreprises, de la mobilisation des administrations publiques, d'associations croisées. Je comprends bien que vous vous inquiétez du contrôle parlementaire. Les grandes manifestations que porte l'Institut comme les Années croisées se font évidemment avec une partie du budget qui provient de partenaires et de soutiens de toute nature. Porter l'image « France » est valorisant. C'est une tradition française d'utiliser sa culture et son patrimoine comme un moyen de valoriser sa présence dans des pays où elle voudrait par ailleurs avoir une action commerciale et économique. C'est une force.

S'agissant de la complexité du statut du personnel, c'est l'inverse. Il demeure sous statut privé dans la continuité du statut existant à CulturesFrance. Quant à l'Institut, il supervise le rattachement des personnels et la formation, ce qui favorise les débouchés et facilite la transformation des contrats en CDI. Le passage en comptabilité publique est plutôt un avantage aussi bien pour la transparence du contrôle parlementaire que pour la gestion.

En réponse à M. Beaumont, sur la question des rapports avec les alliances françaises, il y a eu une débauche d'affichage de l'Institut français pendant sa période de promotion. Nous avons tout à fait conscience que les alliances françaises représentent la moitié du réseau culturel français, qu'elles sont présentes à des endroits différents de l'Institut et que leur action est tout à fait essentielle, en particulier en matière de promotion de la langue française. Nous aurions pu représenter un nouveau concurrent qui s'installerait avec une nouvelle signalétique et une grande puissance de feu. Mais, l'objectif est bien sûr de travailler ensemble, d'être complémentaire et non concurrent. Nous travaillons ensemble à une convention qui devrait voir le jour en janvier prochain. Je regrette juste que l'on n'ait pas réussi un rapprochement visuel.

Sur la question du numérique, nous mettons un effort considérable dans ce domaine (IF cinéma, IF map). Nous cherchons à mettre en place un site unique qui soit un centre de ressources et d'information. Par contre, il existe encore des difficultés au niveau des récepteurs, le haut débit étant encore loin d'être reçu partout.

En réponse à M. Duvernois, sur les relations entre l'Institut français et les postes diplomatiques, il y a eu dans les premiers temps une inquiétude de la part des ambassadeurs, qui est aujourd'hui levée. L'ambassadeur reste bien entendu le coordonateur de l'action culturelle. Il perçoit clairement les enjeux et inscrit la politique culturelle dans la stratégie diplomatique qui est la sienne.

En ce qui concerne la place des collectivités territoriales, nous avons conscience de la difficulté d'embrasser tous les secteurs de la coopération décentralisée. Nous sommes bien entendu en contact avec les grandes associations d'élus, notamment l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'Association des régions de France (ARF) afin de coordonner au mieux les actions et d'apporter notre soutien aux actions d'envergure. Mais nous ne souhaitons pas tout quadriller.

Mme Hélène Conway Mouret. - Je souhaite revenir sur deux points : pouvez-vous préciser les termes de la convention qui doit être signée en janvier prochain avec l'Alliance française et quelle est la position des conseillers culturels qui seront chargés d'un nouvel organisme dans leur relation avec l'ambassadeur et le ministère ?

M. Bernard Piras. - Je m'intéresse aux comparaisons internationales.

Le British Council dispose d'un budget de 600 millions d'euros dont 220 millions proviennent de financements publics, ce qui lui permet d'être présent dans 109 pays.

L'Institut Goethe bénéficie d'implantations dans 183 pays avec un budget de 260 millions d'euros dont 215 millions de subventions publiques.

L'institut dispose d'un budget de 37 millions d'euros.

Pourquoi de telles différences ?

Mme Claudine Lepage. - Je voudrais revenir sur les relations entre l'Institut et l'Alliance française. Si les relations entre les deux organismes sont amicales, elles sont aussi tendues. Pouvez-vous apporter des précisions sur les termes de la future convention et quelles sont les difficultés que vous rencontrez ? Par ailleurs, concernant les 12 postes expérimentaux, comment se passe le rattachement quand il y a déjà une alliance sur place et quelles sont les conséquences pour l'Institut en terme de gestion de projet et de gestion de personnel ?

M. Xavier Darcos, président de l'Institut français. - Concernant les termes de la convention entre l'Institut et l'Alliance française, une première convention avait déjà été signée en septembre 2010 à l'initiative de M. Bernard Kouchner, avant la création de l'Institut, qui précisait la nécessité de travailler ensemble.

La nouvelle convention portera sur la rationalisation du travail, la répartition des tâches, la collaboration des personnels et les effectifs à mobiliser, dans une démarche de qualité.

Tout ceci dans un souci de respect des territoires et des compétences de chacun.

Sur la question du rattachement, il y a eu un malentendu. Il s'agissait d'une question très ponctuelle localisée à Abou Dabi due à une législation locale particulière. Le problème a été réglé et il n'est absolument pas question de rattacher le personnel des alliances françaises à l'Institut.

Sur la question de M. Piras, il faut comparer ce qui est comparable. Le British Council est une « charity », association à caractère caritatif (qui inclut des financements privés), et l'Institut Goethe est également une association. La structure juridique de ces organismes est donc très éloignée de celle de l'Institut français qui est un établissement public à caractère industriel et commercial. Si on intègre les fonds privés et les appels à projet au budget central, nous obtenons des chiffres comparables qui atteignent 200 millions d'euros.

Nous avons d'ores et déjà signé une lettre d'intention avec l'Institut Goethe en vue de coordonner nos actions. Et, nous avons un projet similaire avec le British Council.

Mme Marie-Christine Blandin, co-présidente. - La commission de la culture est très attachée à la culture scientifique et je sais que le British Council est très avancé sur le sujet.

Mme Josette Durrieu. - Je regrette que la culture ne soit pas assez au centre des actions de coopération décentralisée dans les départements.

Dans mon département des Hautes-Pyrénées, je me pose la question de savoir comment mieux accompagner les collectivités qui veulent s'investir dans des projets culturels.

Je constate et regrette un manque de coordination dans l'organisation des initiatives locales. D'où la nécessité d'être accompagné et informé par le ministère.

Nous avons créé, il y a une quinzaine d'années, une « maison du savoir » qui se révèle être un outil de terrain qui devrait être mieux exploité, car il peut être très performant notamment en terme de francophonie. J'aimerais savoir comment faire pour créer un réseau de ces maisons du savoir, maintenant que je sais qu'il en existe déjà un certain nombre.

M. André Gattolin. - Je me pose la question de la programmation et des choix artistiques qui seront mis en avant par l'Institut.

L'action événementielle dispose d'une forte visibilité surtout celle de l'année croisée. Mais l'instabilité des choix de programmation, comme l'annulation de l'année du Mexique due à des considérations diplomatico-politiques, ne facilite pas l'obtention de subventions, ni la levée de fonds au titre du mécénat et des partenariats. Il me paraît important de redonner de la stabilité dans la programmation.

Par ailleurs, des problèmes structurels demeurent. L'action extérieure menée par des grandes institutions comme le Louvre, le château de Versailles ou encore la Comédie française participe à la propagation de la culture française à l'étranger. Mais j'ai le sentiment qu'ils considèrent plus CulturesFrance et maintenant l'Institut français comme un pourvoyeur de subventions que comme un partenaire qu'ils associent à leurs choix de programmation.

Enfin, je note l'importance que vous accordez à la promotion des acteurs contemporains émergents de la culture. Toutefois, il existe une contestation sur les choix de programmation considérés parfois comme arbitraires et relationnels.

Comment allez-vous faire dans cette nouvelle structure pour redonner à la fois une diversité, une stabilité, une vigueur et un engagement créatif de notre pays, tout en stabilisant notre programmation et en trouvant des partenaires capables d'amplifier vos capacités budgétaires ?

M. Xavier Darcos, président de l'Institut français. - Il existe beaucoup de micro-projets qui débouchent sur des opérations importantes. L'Institut français est-il là pour les accompagner ? Nous allons examiner la compétence de l'Institut sur tous ces petits projets locaux.

Sur la question de la programmation, je voudrais vous dire tout d'abord que la programmation s'élabore de longue date que ce soit dans le cadre des années croisées, des saisons ou des opérations « tandem ». Nous préparons actuellement les années croisées avec l'Afrique du Sud qui se dérouleront en 2012-2013. C'est vrai que nous avons parfois des déceptions parce que nous avons effectué des choix discutables avec des répercussions financières, mais généralement cela fonctionne bien et nous avons de bons résultats.

Concernant l'action extérieure des très grands établissements publics, ce sont des projets très lourds qui doivent bien entendu être soutenus par l'Institut. C'est notre rôle d'accompagner ces grands opérateurs.

Enfin, sur la question du choix des contenus, quelque soit le choix il sera toujours discuté. Je laisse la programmation à ceux dont c'est le métier, même si leurs choix me laissent parfois perplexe.

M. Jean-Jacques Pignard. - Ma remarque concerne la complexité des projets de coopération décentralisée. Nous sommes en relation avec CulturesFrance, l'Alliance française, le conseiller culturel de l'ambassade. Il s'agit d'un véritable parcours du combattant. Je souhaite que l'Institut français devienne l'interlocuteur unique des collectivités territoriales dans ce domaine, surtout dans le contexte actuel d'argent public rare.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je m'interroge sur deux points : la gestion du personnel expatrié et les projets de coopération avec l'audiovisuel extérieur de la France (AEF) afin de promouvoir notre patrimoine culturel et notre tourisme.

M. Xavier Darcos, président de l'Institut français. - Que l'Institut soit l'interlocuteur principal des collectivités, c'est l'esprit même de la loi. Nous verrons comment les choses évolueront.

Sur le personnel expatrié, il dépend du ministère des affaires étrangères et européennes. C'est la loi.

Sur les relations avec l'AEF, le sujet est compliqué. Ce domaine d'activité a été écarté de la compétence de l'Institut. Nous avons donc essayé de contourner cette difficulté en passant des accords avec les organismes compétents : France 24, TV Monde, RFI, afin de préciser nos missions respectives. Il y a bien entendu des secteurs où nous devons agir ensemble comme dans le domaine du patrimoine cinématographique. Tout n'est pas encore stabilisé du côté de l'AEF.