- Mardi 25 octobre 2011
- Mercredi 26 octobre 2011
- Loi de finances - Nomination d'un rapporteur spécial
- Débat sur les prélèvements obligatoires - Communication
- Loi de finances pour 2012 - Participation de la France au budget de l'Union européenne - Examen du rapport spécial
- Loi de finances pour 2012 - Mission Santé - Examen du rapport spécial
- Bilan de la réforme des offices agricoles et de la création de l'agence de services et de paiement (ASP) - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
- Péréquation entre les collectivités territoriales - Audition conjointe de MM. Gilles Carrez, député, président du comité des finances locales, et Eric Jalon, directeur général des collectivités territoriales
- Jeudi 27 octobre 2011
- Loi de finances pour 2012 - Mission Régimes sociaux et de retraite, compte d'affectation spéciale Pensions et articles 65 et 66 - Examen du rapport spécial
- Loi de finances pour 2012 - Mission « Immigration, asile et intégration » - Examen du rapport spécial
- Loi de finances pour 2012 - Mission « Sécurité civile » - Examen du rapport spécial
Mardi 25 octobre 2011
- Présidence de M. Philippe Marini, président -Bilan de la fusion de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP) et de la direction générale des impôts (DGI) - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
La commission procède à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le bilan de la fusion de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP) et de la direction générale des impôts (DGI).
M. Philippe Marini, président. - En application de l'article 58-2° de la LOLF, la commission des finances a souhaité en 2011, sous la présidence de Jean Arthuis, que la Cour des comptes puisse dresser un bilan de la fusion de la direction générale des impôts (DGI) et de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP). L'enquête réalisée par les magistrats de la Première chambre m'a été transmise par le Premier président, Didier Migaud, le 10 octobre.
L'initiative de cette mission revient à notre ancien collègue Bernard Angels, qui était rapporteur spécial de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » jusqu'en septembre dernier. Depuis, les attributions de Bernard Angels ont été reprises par Albéric de Montgolfier et Philippe Dallier.
Nous recevons, pour la Cour des comptes, Christian Babusiaux, président de la Première chambre, Jean-Christophe Chouvet, conseiller-maître, et Isabelle Veillet, rapporteure.
La direction générale des finances publiques est représentée par Philippe Parini, son directeur général, et le ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, par Sébastien Proto, directeur de cabinet de Mme Pécresse. Nous accueillons également Dominique Lamiot, secrétaire général des ministères économique et financier, de même que Jean-Philippe de Saint-Martin, au nom du directeur général de la modernisation de l'État.
M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Permettez-moi de revenir sur les motifs qui ont conduit la commission des finances à confier à la Cour des comptes la réalisation d'une enquête sur la fusion de la DGI et de la DGCP.
La réunion de ces deux directions au sein de la nouvelle direction générale des finances publiques (DGFiP) constitue une réforme emblématique de la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Annoncée dès octobre 2007 par le ministre du budget, cette réforme a été actée par le décret du 3 avril 2008.
La constitution de la DGFiP a représenté un défi majeur en termes de gestion des ressources humaines. Epine dorsale de l'administration française, la nouvelle direction compte aujourd'hui près de 119 000 agents, issus de cultures et de métiers différents. À sa création, celle-ci avait en effet dû accueillir près de 75 000 agents issus de la DGI et 54 000 agents appartenant à la DGCP. Il a fallu mener la réforme sur l'ensemble du territoire et fusionner les réseaux des deux anciennes directions.
La création de la DGFiP poursuivait deux objectifs. Tout d'abord, une amélioration de la qualité du service rendu aux usagers. Si la fusion avait pour fil conducteur la création d'un guichet fiscal unique pour les particuliers, elle devait aussi profiter aux collectivités territoriales qui se voyaient proposer un interlocuteur unifié pour toutes les questions de fiscalité et de gestion publique. Ensuite, conformément à la logique de la RGPP, il s'agissait de dégager des gains de productivité, gages de moindres coûts de fonctionnement pour l'État.
Trois ans après la création de la DGFiP, un premier bilan de cette ambitieuse réforme s'imposait. La commission des finances a donc invité la Cour des comptes à évaluer l'amélioration du service rendu aux usagers et l'accompagnement des agents des anciennes DGI et DGCP au cours du processus de fusion. Elle lui a également demandé de considérer l'adaptation des procédures et des méthodes du recouvrement et du contrôle de l'impôt au sein de la nouvelle direction.
La commande de la commission des finances portait aussi sur les coûts complets de la réforme et le suivi de ces coûts par l'administration. En outre, au-delà du bilan de cette fusion, l'enquête de la Cour des comptes nous aidera à en tirer les leçons pour les futures réorganisations administratives et sur la conduite de la modernisation de l'État.
La création de la DGFiP constitue-t-elle un modèle valide ? La réforme a-t-elle permis de dégager des économies ? A-t-elle été efficacement pilotée par l'administration ? Comment les gains de productivité ont-ils été mesurés et exploités ? Quel est l'avenir de la DGFiP, quelles seront ses nouvelles priorités et de quelle manière les bénéfices de la réforme vont-ils être confirmés ?
Puisque la fusion des organigrammes, des corps et des structures a été réalisée, il est temps d'entrer dans une démarche plus prospective. Je m'interroge donc sur les orientations envisagées pour la nouvelle administration, volontiers présentée comme l'aboutissement le plus complet de la RGPP. Mes interrogations sont également grandes en ce qui concerne les instruments de pilotage qui seront choisis pour la mise en oeuvre de ces orientations.
Je remercie les magistrats de la Cour pour leur travail et les autres intervenants présents aujourd'hui d'avoir bien voulu venir éclairer la Représentation nationale sur ce sujet.
M. Christian Babusiaux, président de la Première chambre de la Cour des comptes. - Votre demande était toute naturelle, puisque l'administration objet de cette réforme est une colonne vertébrale de la gestion de l'État et des collectivités locales, un élément majeur de la présence territoriale des services publics, un acteur important de la vie économique du pays. Si ce bilan paraît prématuré à certains, il vient néanmoins à son heure, car nous sommes à une période charnière. La fusion a été réalisée, il faut s'interroger sur ce qui doit être fait à partir d'aujourd'hui.
Un bilan de cette fusion appelle des réponses à quatre questions : les objectifs ont-ils été atteints ; quelles en sont les incidences budgétaires ; quelle est la portée réelle de la fusion sur la manière dont les missions confiées à la DGFiP sont dorénavant exercées ; quelles sont les perspectives ouvertes par cette réforme et quels sont les principaux problèmes encore à traiter ?
La réalisation, tout d'abord, a été bien ordonnée. De multiples actions devaient être menées de manière interdépendante : mettre en place une nouvelle structure administrative, à l'échelon central comme à l'échelon territorial, instaurer de nouvelles procédures, des langages communs, réaliser la fusion des corps de fonctionnaires, gérer le nouvel ensemble. Les calendriers ont été tenus. Les opérations nécessaires (juridiques, statutaires, d'organisation, d'immobilier) ont été menées à bien et selon un schéma rationnel. Il faut souligner les efforts consentis, l'efficacité du pilotage et la qualité de l'exécution.
L'acceptation de la réforme par les agents était une condition majeure du succès. Les cadres, et notamment les cadres supérieurs, ont été motivés en tant qu'acteurs du changement. En revanche, parmi les autres agents, la fusion pouvait susciter des craintes. Crainte, d'abord, de perdre leurs repères, car les identités professionnelles étaient fortes, au sein de chacune des entités. Surtout, la fusion, lancée après plusieurs années de réduction des effectifs, pouvait être ressentie comme le moyen de poursuivre, voire d'accentuer cette tendance, en y fournissant une justification. Elle pouvait être appréhendée comme le point de départ d'une vague de changements susceptibles de toucher personnellement les agents.
Ces craintes ont été anticipées. Un dialogue a été engagé à la fois à l'échelon central et à l'échelon déconcentré. Les garanties données aux agents ont circonscrit les effets immédiats de la fusion : absence de mobilité géographique forcée au-delà des limites d'une commune, respect du métier, maintien dans la spécialité professionnelle. En outre, des avantages ont été consentis en termes de rémunération et de statut. Les organisations syndicales, tout en dénonçant un fait accompli, se sont concentrées sur la négociation des modalités et des compensations. Malgré des réticences propres à certaines catégories d'agents et des conflits localisés, il n'y a pas eu de mouvement social de grande ampleur. Les agents ont pu considérer qu'à terme, dans un contexte de changements que chacun savait inéluctables, la constitution d'une plus grande entité, occupant une place essentielle dans l'État, allait dans leur propre intérêt et pouvait renforcer leur poids collectif.
En même temps, le souci de mener à bien la fusion a eu des contreparties, qui en ont limité la portée immédiate et ont ralenti le calendrier des changements. L'appropriation complète de la fusion par les agents prendra du temps, et sera parachevée à travers la relève des générations et grâce à l'unification de l'appareil de formation, déjà bien engagée. Le maintien de la cohésion du nouvel ensemble nécessite un suivi attentif et serait facilité par la mise en place d'une charte du dialogue social.
Les coûts, ensuite. La fusion a eu des coûts budgétaires directs. Il est malaisé d'identifier tous les coûts afférents à la fusion faute de véritable comptabilité analytique, ainsi que la Cour l'a regretté de longue date. Ces coûts ont comporté deux volets principaux. En matière immobilière, l'installation des nouvelles directions locales et surtout des services des impôts des particuliers (SIP) a entraîné des travaux évalués à 213 millions d'euros. Ce montant n'est certes pas négligeable, mais une partie de ces travaux aurait été réalisée en l'absence de fusion, et les dépenses ont été pour une part couvertes par des produits de cession et des économies de loyers. Ces dépenses seront amorties à un horizon de plusieurs années. Nous ne critiquons donc pas un coût immobilier excessif de la fusion.
L'impact sur les rémunérations doit en revanche retenir davantage l'attention. La majeure partie des coûts est imputable aux avantages statutaires et indemnitaires accordés aux agents, qui ont été généreux : alignement sur la situation la plus favorable prévalant dans les deux directions fusionnées, reclassements, généralisation et pérennisation des primes et indemnités, dans de très nombreux cas sans justification fonctionnelle, c'est-à-dire sans que le travail des agents ait été modifié. Le coût cumulé des mesures directement liées à la fusion est évalué à 590 millions d'euros sur la période 2007-2012 - 890 millions d'euros avec les mesures catégorielles non directement liées à la fusion dont les agents ont bénéficié. Constituant des acquis, elles entraîneront des coûts récurrents de l'ordre de 209 millions d'euros par an, et se répercuteront pour partie dans le calcul des pensions de ces agents.
La norme fixée pour la RGPP, un retour aux agents de 50 % des gains tirés des réductions d'effectifs, a été dépassée sur les années 2009-2011, mais elle serait quasiment respectée sur la période 2008-2012. Ce taux général de 50 % nous paraît excessif dans la mesure où il ne nous parait pas compatible avec l'indispensable maîtrise de la masse salariale. Le gain moyen par agent a d'ailleurs été majoré du fait que les réductions d'effectifs ont été plus fortes à la DGFiP qu'en moyenne, puisqu'il y a eu non-remplacement de deux fonctionnaires partant à la retraite sur trois.
En regard de ces coûts avérés, le montant des économies permises par la fusion est plus difficile à évaluer. Encore à venir, donc incertains, les gains dépendent surtout de la réduction des effectifs. Or, le rythme de réduction d'emplois, certes plutôt élevé, est resté depuis la fusion exactement sur la même pente que depuis 2006, c'est-à-dire dès avant la fusion. Il est donc impossible de dire si les suppressions de postes survenues depuis la fusion en sont un effet.
Logiquement, c'est dans les fonctions transverses - gestion des ressources humaines, fonctions informatiques et immobilières - que la fusion devrait permettre d'économiser des postes de travail. La DGFiP estime que ces gains devraient se concrétiser assez rapidement. Dans ces métiers spécifiques, les évolutions dépendront notamment de l'adaptation des systèmes d'information.
Pour l'avenir, la visibilité reste limitée. Le fait qu'il soit impossible de disposer d'un calendrier, même approximatif, de l'évolution et de la répartition des effectifs marque la difficulté à mesurer les besoins par tâches et à anticiper leur évolution. La Cour n'est pas en mesure de savoir si la DGFiP n'évalue pas ses propres marges de manoeuvre, ou si elle préfère ne pas en faire état, tant en interne que vis-à-vis de l'extérieur...
L'impact sur l'exercice des missions, enfin, reste limité. Les méthodes retenues pour gagner l'adhésion des agents, voire rassurer certains partenaires, dont les collectivités locales, ont conduit à figer certaines situations, y compris sur le plan de l'implantation géographique. En termes fonctionnels, au-delà de la constitution d'une administration centrale unifiée et des nouvelles directions départementales, les modifications ont été centrées sur l'offre de guichets fiscaux uniques aux particuliers et la création de services de la fiscalité directe locale dans les directions départementales. En application de la règle du respect des métiers préexistants, l'établissement des nouvelles structures a souvent consisté en la juxtaposition d'agents continuant à exercer leurs tâches antérieures.
Des synergies ont commencé à se manifester ; la formation des pôles de recouvrement spécialisé - en partie engagée avant la fusion - a permis des rapprochements entre les activités de recouvrement et de contrôle fiscal ; la création des services de la fiscalité directe locale a eu également des premiers effets positifs ; l'action économique des services de la DGFiP a été renforcée, comme on l'a constaté dans la gestion du plan de relance.
Reste que des pans entiers des secteurs d'activité de la DGFiP n'ont pas été touchés : par exemple les relations avec les entreprises, le contrôle fiscal, le pôle foncier et domanial. De plus, les services aux collectivités territoriales n'ont pas été sensiblement accrus. Les évolutions de l'exercice des fonctions sont venues beaucoup plus des politiques déjà engagées avant la fusion (Chorus ; opérateur national de paye). Cependant, la DGFiP, en dépit de la fusion qu'elle avait à gérer, a su faire face à ces évolutions externes.
Des tâches de grande ampleur restent à mener. La fusion a consisté à créer un nouvel outil, non à en définir les conditions d'emploi à terme. Le parti a été pris de ne mener qu'une réforme à la fois, ce qui est sans doute sage. Cette méthode a permis d'atteindre l'objectif poursuivi, ce qui n'était pas gagné d'avance. Néanmoins, elle a limité la portée de la fusion et la DGFiP doit se doter d'une véritable capacité de réflexion stratégique. Certes, elle a élaboré un document d'orientation stratégique dont la période de référence se termine en 2012 et elle a lancé une démarche de réingénierie des processus bien utile mais à finalité technique et de portée limitée. Elle doit dorénavant accorder le plus haut degré de priorité à une indispensable démarche prospective intégrant les secteurs laissés en dehors de la fusion stricto sensu, et qui permette de repenser l'exercice des métiers, d'améliorer les relations avec les usagers, de fédérer et d'articuler un ensemble très vaste et composite, en le dotant d''une gouvernance adaptée à sa taille, et d'objectifs précis assortis de réels indicateurs de performance.
Pour conclure, le message de la Cour est simple : des chantiers majeurs ont été accomplis, mais des chantiers majeurs restent à ouvrir qui devront mobiliser encore cette direction essentielle pour le fonctionnement de l'État pendant des années. Le moment est venu aujourd'hui d'engager cette nouvelle étape.
M. Philippe Marini, président. - Merci pour cette conclusion bien balancée.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Cette réforme avait deux objectifs : améliorer le service et réduire les coûts. En ce qui concerne la qualité de service, il y a encore des problèmes et quelques inégalités pour les particuliers. En revanche, la fusion n'a rien changé pour les entreprises. Enfin, les associations d'élus se plaignent que les collectivités locales ne soient pas forcément bien traitées.
Quant aux coûts, il y a 3 % d'effectifs en moins tandis que la masse salariale a augmenté de 1 %. Des compensations ont donc été accordées pour ne pas revivre la réforme avortée de 1999, que j'ai suivie de très près. En ce sens, elle a été utile, car elle a permis d'éviter les écueils que nous avions alors rencontrés. La Cour des comptes n'a pas été en mesure d'établir le coût de l'harmonisation des règles de vie. Mais peut-être que les représentants du ministère du budget seront en mesurer de nous apporter des éléments sur ce point.
La nouvelle DGFiP ne dispose actuellement pas d'instruments prospectifs. Alors que les deux ex-directions étaient dotées de contrats pluriannuels de performance et de moyens. Comment la nouvelle direction va-t-elle mener ce travail prospectif ?
Enfin, je suis particulièrement sensible à la fraude internationale : quelle sera la politique de la DGFiP en ce domaine ?
M. Sébastien Proto, directeur de cabinet de la ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État. - Ayant occupé les mêmes fonctions auprès d'Éric Woerth, je me rappelle que nous avons abordé cette fusion avec beaucoup d'humilité. Comme l'a dit Mme Bricq, nous avons connu il y a dix ans un grand échec, avec la réforme avortée de Bercy, et nous voulions tout faire pour éviter de connaître un nouveau blocage, qui aurait ébranlé la réforme de l'État dans son ensemble.
Nous devions faire face à trois difficultés majeures. Difficulté politique tout d'abord : il fallait convaincre nos interlocuteurs locaux que la fusion n'allait pas entraîner la disparition des administrations en milieu rural ni dans les banlieues. Ensuite, nous devions expliquer aux agents que leur avenir serait meilleur dans un ensemble fusionné. Enfin, il ne fallait pas que la fusion affecte l'efficacité des deux administrations, leur coeur de métier, notamment en ce qui concerne le recouvrement de près de 300 milliards d'euros d'impôt. Si la fusion se traduisait par la perturbation du métier du recouvrement, l'État aurait pu perdre des dizaines de millions d'euros. Le risque était également grand pour le règlement des factures, notamment auprès des PME, et pour le versement du salaire des fonctionnaires.
Le contexte historique ne plaidant pas en faveur de la fusion, nous avons essayé de prendre en compte les erreurs de 2000 pour réussir cette réforme. Le ministre s'est beaucoup investi pour expliquer cette fusion et pour rassurer les agents. Nous avons donc donné des garanties concrètes, car dans ce type de réformes, les blocages viennent rapidement de questions simples mais fondamentales pour les agents : quel métier, à quel endroit, et pour quel salaire ? Nous avons essayé de répondre à toutes ces questions. En outre, nous ne voulions pas qu'une administration l'emporte sur une autre : la parité était un principe intangible.
Aujourd'hui totalement réalisée, la fusion est conforme au projet que nous avions élaboré. Politiquement, nous n'avons pas eu d'opposition frontale, même si des questions demeurent, notamment chez les élus locaux. Socialement, nous avons connu des journées d'action, mais qui n'ont pas bloqué la réforme. Au final, la création de la DGFiP a engendré de la fierté chez beaucoup d'agents et de cadres des deux administrations.
Sur le plan économique, la fusion se révèle rentable, qu'il s'agisse du coût de fonctionnement ou de la masse salariale. Chacun des grands métiers est plus rentable après la fusion qu'avant. Ainsi, les taux de recouvrement ont augmenté que ce soit pour les professionnels, pour les particuliers, pour le contrôle fiscal, ou pour les amendes. Les délais de paiement de l'État ont été réduits ces dernières années et la paye des fonctionnaires a été assurée sans connaître de « bugs ». Ce résultat est d'autant plus remarquable que de nombreuses entreprises rencontrent des difficultés sur leur coeur de métier lorsqu'elles fusionnent.
Cette réforme a également démontré que le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux était possible et que cette politique n'était pas l'ennemie de la qualité du service public.
La Cour des comptes s'interroge sur l'avenir : nous allons continuer à fixer des orientations stratégiques à la DGFiP. Je suis néanmoins convaincu qu'il fallait agir en deux temps : réussir la fusion puis fixer des caps. Je ne crois pas au « big bang » : tout faire en même temps, c'est risquer de tout rater.
Nous avons attaché beaucoup de prix au dialogue social lors de cette réforme. Au départ, le ministre s'est beaucoup investi : il fallait que l'administration se sente soutenue. Plus le portage politique est élevé, plus les chances de succès d'une réforme de cette ampleur sont importantes - cela nous distingue sans doute de la réforme de 2000.
M. Philippe Marini, président. - Cette réforme, qui a été sans doute la plus importante jamais menée dans nos services publics, a-t-elle atteint ses objectifs ? A-t-on acheté la paix sociale à son juste prix ?
M. Philippe Parini, directeur général des finances publiques. - Je tiens à remercier la Cour des comptes pour son travail très complet et pour son objectivité.
Le formidable raté de 2000 n'a pas eu qu'une influence cette année-là, il a bloqué pendant de nombreuses années toute réforme au ministère des finances : absence de mesure de productivité pendant trois ans, poursuite de la construction entre ces deux administrations d'une « ligne Maginot », développement séparé de systèmes informatiques concurrents. Le succès a un coût, mais l'échec en a un beaucoup plus important.
Les deux grands objectifs de la réforme ont été atteints. Le service rendu à l'usager et l'efficacité administrative ont été améliorés, tout en offrant un espace professionnel unique. Il n'y a plus, désormais, qu'un interlocuteur pour un même impôt. Le conseil fiscal au sens large s'est ajouté au service rendu aux collectivités locales.
Pour y parvenir, nous avons mené une réforme administrative lourde. Toutes les fonctions de recouvrement de l'ex-DGCP sont passées à l'ex-DGI tandis que les relations financières avec les collectivités locales ont connu le mouvement inverse. Nous nous sommes appuyés sur le réseau existant, car la couverture du territoire nous paraissait satisfaisante.
Levons un malentendu. Nous avons voulu aussi une administration plus efficace et plus productive. Le mandat donné par le ministre était d'avoir de meilleurs résultats pour un moindre coût. Aujourd'hui, la DGFiP coûte moins cher que la DGI et la DGCP réunies. En 2008, la masse salariale se montait à 4,963 milliards d'euros et en 2012, elle sera de 4,953 milliards d'euros, hors inflation.
M. Philippe Marini, président. - La Cour des comptes reconnaît-elle ces chiffres ?
M. Christian Babusiaux. - Voilà le chiffre validé par la DGFiP : la masse salariale est passée en exécution de 4,943 milliards en 2008 à 4,994 milliards d'euros en 2010.
M. Philippe Parini. - La masse salariale est quasiment stable, et elle diminue en prévision pour 2012.
M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Mais les effectifs ont diminué !
M. Philippe Parini. - Ces chiffres intègrent les mesures catégorielles. Sans la fusion, l'augmentation aurait été bien plus élevée.
M. Sébastien Proto. - Nous avons supprimé 150 000 emplois et, pour la première fois, la masse salariale baissera de 170 millions d'euros en 2012. En raison de la dynamique de celle-ci, il faut beaucoup de suppressions d'emplois pour la stabiliser puis pour la diminuer. La DGFiP a stabilisé sa masse salariale avant les autres ministères, car elle a fait un effort plus important, et elle la réduira en 2012. On ne peut donc pas dire que la réforme a coûté trop cher.
M. Philippe Marini, président. - Personne n'a dit que la réforme avait coûté trop cher. Mais a-t-on payé le juste prix ?
M. Christian Babusiaux. - Les chiffres que j'ai cités sont en exécution. Ceux du directeur général sont en prévision. J'ai la faiblesse de préférer l'exécution à la prévision. M. Proto a évoqué les 150 000 suppressions d'emplois, mais il omet de mentionner la création de 25 000 emplois chez les opérateurs.
M. Sébastien Proto. - Nous avons supprimé 3 700 postes hors Pôle emploi entre 2011 et 2012.
M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Nous aimerions connaître l'impact de la fusion sur la masse salariale. La diminution des effectifs avait commencé avant cette réforme. Si cette dernière n'avait pas eu lieu, serait-on parvenu à une masse salariale équivalente ? Disposez-vous d'exemples pour nous convaincre que la fusion a permis de réaliser des économies ?
M. Philippe Parini. - Je connais la rigueur sénatoriale en matière de chiffres. Les miens ont été validés par la Cour des comptes. La masse salariale en 2008 représentait 4 963 millions d'euros, en y intégrant le service des pensions. La masse salariale réalisée en 2010 s'élève à 4 994 millions d'euros. Dès lors, nous avons stabilisé la masse salariale et nous l'infléchissons à la baisse. Il faut comparer des choses comparables. Si l'on prend les cinq à six ans qui ont suivi l'échec de la réforme de l'an 2000, on est à moins 8 000 emplois. Pendant la période de la fusion, 2008-2012, nous aurons supprimé plus de 12 000 emplois.
Nous allons plus loin car le deuxième objectif d'une administration plus productive est de rendre de meilleurs services. Or tous nos indicateurs sont à la hausse. Les synergies liées à la fusion produisent des effets concrets, notamment en matière informatique. Les crédits de fonctionnement ont diminué de 10 % depuis le début de l'opération, parce que la gouvernance informatique a été unifiée. On n'est plus obligé de supporter deux informatiques différentes, voire concurrentes. On a commencé à faire des économies sur le back office. La fusion complète a été effectuée à la fin 2010. Nous sommes à l'automne 2011. Il y a un gisement de productivité. Le fait d'avoir placé les services de recouvrement et d'assiette sous une autorité unique fait gagner beaucoup de temps sur les relations entre les ex-services de la DGI et de la DGCP. Je l'ai vécu, en tant que trésorier-payeur général ! Il fallait quasiment, pour échanger des informations, élaborer un protocole, qui dépendait finalement du bon vouloir du personnel respectif de chaque service ! Désormais, des procédures contraignent les deux administrations à travailler ensemble.
Je suis persuadé, comme la Cour des comptes, que dans les années à venir, le taux de recouvrement, à la suite des contrôles fiscaux, connaîtra des améliorations. Les synergies sont à l'oeuvre. Il faut les laisser opérer. En 2007, les ministres ont pris les décisions. En 2008, la réforme a été expérimentée. En 2010, elle a été généralisée à l'ensemble du territoire. Il faut laisser du temps aux synergies pour qu'elles fonctionnent.
Le deuxième objectif d'une administration plus efficace, quant à son coût ou quant au renforcement de l'efficacité dans l'accomplissement de ses missions traditionnelles, est donc au rendez-vous.
Troisième objectif, moins visible, mais culturellement décisif, non seulement pour la DGFiP mais pour l'ensemble de l'appareil d'État, la mise en place d'un espace professionnel unique et la chute du mur entre deux administrations. Un agent des impôts ne pouvait pas aller à la comptabilité publique sans passer un concours ! Les affectations étaient complètement séparées, comme pour deux ministères différents, avec deux managements, deux types de sélection de l'encadrement supérieur ! Nous avons fusionné tout cela. Désormais, grâce à une formation, les agents pourront indistinctement se porter candidats à des postes relevant de l'une ou l'autre des ex-directions.
M. Jean Arthuis. - Je tiens à saluer cette réforme qui concerne un service clef. Un pays qui prétend à une notation triple A doit disposer de services financiers et fiscaux irréprochables. L'efficience de la DGFiP est un élément déterminant de la notation de la France. Il fallait sans doute un peu... de lubrifiant pour assurer cette réforme, et nous avons compris que cela a été appliqué avec beaucoup de dextérité. Cependant, pour quels motifs la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) n'est-elle pas entrée dans la DGFiP ?
M. Sébastien Proto. - La DGDDI est double, elle comprend deux métiers très différents : les opérations commerciales, qui mobilisent la moitié des agents pour sécuriser les entrées de marchandises sur le territoire ; la surveillance douanière, qui se divise à son tour entre le recouvrement et la surveillance proprement dite, et la recherche d'infractions relatives aux stupéfiants - la DGDDI réalise 54 % des saisies de drogue en France.
Nous nous sommes posé la question de la fusion des régies financières des douanes, des impôts et du Trésor, c'est-à-dire du découpage de la petite partie des douanes vouée au recouvrement, très liée aux opérations commerciales, et de son rattachement aux administrations des impôts et du Trésor. C'est une question de conviction. En matière de « meccano » administratif, on peut tout faire, mais il faut une cohérence culturelle. Or la différence culturelle entre les agents des douanes et ceux de la DGFiP est bien plus profonde qu'elle n'était entre les agents des impôts et ceux du Trésor. Un tel « big bang » administratif aurait conduit à ce que s'entrechoquent trois cultures très différentes. En termes statutaires également, les différences étaient très fortes à tous les niveaux.
Cette fusion aurait rajouté de la complexité. Pour quel gain ? Peut-être aurait-on progressé, selon le voeu de Mme Bricq, dans la lutte contre les fraudes du type « carrousel de TVA », mais, dans ces domaines complexes, la DGFiP et la DGDDI travaillent aujourd'hui naturellement ensemble. Fallait-il, pour de petites synergies de métiers, encourir un tel choc fonctionnel et culturel ? Je ne le crois pas. Le métier du recouvrement ne représente, je le répète, qu'une petite partie des activités des douanes. Nous avons estimé qu'une fusion aurait été hasardeuse...
M. Jean Arthuis. - Est-ce à dire que vous y avez définitivement renoncé ?
M. Sébastien Proto. - Cela ne fait pas partie du projet de la DGFiP. En outre, pour reprendre le souhait de la Cour des comptes, donner de la visibilité stratégique aux métiers de la DGFiP et au service rendu aux usagers ne passe pas, à nos yeux, par une fusion avec la DGDDI.
M. Philippe Parini. - Sans la création d'une communauté professionnelle, qui donne son sens profond à la réforme, elle se limiterait à une addition de services. La priorité, c'est la fusion des statuts, des règles de gestion et de formation. Le statut de l'encadrement a été complètement modifié. Dès la fin de l'année, il n'y aura plus de TPG, ni de directeurs des services fiscaux et dans le courant de l'année prochaine, il n'y aura plus de conservateurs des hypothèques. La Cour des comptes avait souligné le caractère anachronique de ces statuts. Il a fallu organiser les carrières...
M. Philippe Marini, président. - Pour la réforme des rémunérations, on a eu besoin du Sénat...
M. Philippe Parini. - Nous aurons satisfait à la fois la Cour des comptes et les sénateurs...
A-t-on « acheté » la réforme ? Très franchement, non. À la différence d'autres, nous avons, de manière volontairement managériale, étiqueté les avantages que nous avons donnés, dans le cadre des marges de manoeuvre accordées par le Gouvernement, soit la moitié des crédits dégagés par les suppressions d'emploi. Tous les ministères ont eu les mêmes, mais certains ont décidé de les identifier et de les flécher, d'autres de les distribuer. En application d'une décision d'Éric Woerth, nous avons dit : « ces marges de manoeuvre nous sont données et nous les redistribuerons ». Nous n'avons pas créé de prime, comme je l'ai lu ici ou là, nous avons augmenté une prime existante et nous l'avons financée en totalité par les suppressions d'emplois. Je suis d'accord avec les chiffres de la Cour des comptes : avec 200 millions d'euros, nous avons réalisé 400 millions d'euros d'économies. Si l'on prend les chiffres consolidés - ce qui est une première pour une réforme administrative - avec 800 à 900 millions d'euros, nous réalisons 1,7 milliard d'euros d'économies. Nous avons redistribué à 52 %. Nous avons dit aux agents : « Vous faites des efforts, vous changez, vous modernisez, et nous vous récompensons ».
Quant à l'avenir, il y a les missions actuelles de la DGFiP et celles qui nous sont données par le Gouvernement. L'outil est disponible. Il a montré, dans la crise économique, toute sa réactivité. Faut-il un nouveau document ? Oui, bien sûr. Le document qui couvre la période 2008-2012 a accompagné la fusion. Un document prospectif sur les misions et les métiers est nécessaire, et nous allons commencer à y travailler, pour 2012-2015. Faut-il que la DGFiP se dote d'un outil stratégique ? Oui. Cela avait été évoqué, mais on y avait renoncé, puisque le projet du ministre était suffisamment clair et stratégique. Nous allons créer un comité stratégique, pour réfléchir à court et moyen terme, comme il est naturel en régime de croisière...
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Le coût de l'accord sur les règles de vie n'a pas été chiffré ?
M. Philippe Parini. - Cela n'a pas de coût, c'est une simple harmonisation. Nous avons eu de très nombreuses discussions avec les syndicats à ce sujet. À la comptabilité publique, la gestion des horaires était décidée par entité, elle était individuelle aux impôts. Harmoniser les pratiques n'entraîne pas de coût particulier. Nous l'avons fait pour les horaires d'ouverture, les règles de congés, de mobilité, d'affectation ...
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Harmoniser sur le régime le plus favorable entraîne forcément un coût...
M. Philippe Parini. - Oui, pour les primes, et ce coût fait partie des 200 millions, mais était-il plus favorable de « badger » collectivement ou individuellement ?
M. Philippe Marini, président. - Il est clair que pour décloisonner et accroître la mobilité, il fallait faire prévaloir des règles identiques.
M. Christian Babusiaux. - Sur la stabilisation de la masse salariale, nous apportons des éléments qui peuvent être utiles à la commission. Le graphique figurant page 115 de notre rapport, retraçant l'évolution de la masse salariale, fait apparaître une droite dont la pente est identique avant et après la fusion. De même, le tableau à la page 114 montre que la stabilisation remonte à 2006, ce qui est logique, puisque c'est à ce moment là que l'on commence à appliquer la règle du deux sur trois. Agir sur les éléments annexes, comme les règles de vie, agir sur le temps de travail, la mobilité, a forcément un coût, même s'il est restreint.
Sur la DGDDI, M. le directeur de cabinet a raison de dire que l'essentiel aujourd'hui est la visibilité stratégique pour les agents au sein de la DGFiP. Un autre document de la Cour l'a souligné, un rapprochement entre les systèmes d'information de la DGDDI et ceux de la DGFiP pourrait entraîner des gains d'efficacité très importants.
Dans son rapport public annuel, qui sera publié fin janvier, la Cour analyse l'organisation du contrôle fiscal, un autre chapitre disséquant une fraude à la TVA qui défraie la chronique aujourd'hui. Nous savons que la DGFiP s'en préoccupe et nous espérons qu'elle tiendra compte de ce que nous lui avons écrit.
Outre la visibilité stratégique, il y a enfin l'encouragement à quantifier. Les propos du directeur général et du directeur de cabinet laissent entrevoir des sources potentielles de productivité. Le tout est de mesurer ce que représentent ces gains de productivité par rapport à l'évolution des effectifs. Pour qu'il y ait un cap clair, il faut sans doute préciser davantage.
M. Sébastien Proto. - Sur les 200 millions d'euros de mesures catégorielles liées à la fusion, il y a une différence fondamentale entre l'harmonisation des rémunérations et le reste. Aucune fusion ne se fait en harmonisant vers le bas. On est obligé d'harmoniser vers le haut, et ce faisant, on ne satisfait que 40 % des personnes concernées, celles qui sont déjà en haut n'obtenant aucun gain. Les cadres supérieurs de la DGCP sont mieux payés que leurs homologues, les agents de catégorie B et C de la DGI aussi. Je ne mets pas cela sur un pied d'égalité avec l'augmentation de l'indemnité mensuelle technicité requalifiée « prime de fusion », puisque dès le départ, les organisations syndicales tenaient l'harmonisation pour acquise. La marge politique dans la conduite du changement ne porte donc pas sur les 200 millions d'euros, puisque harmoniser par le milieu ou par le bas, c'était remiser le projet dans un carton. La décision politique a porté sur l'à-côté, c'est-à-dire la qualification, l'investissement sur les hommes, pour qu'ils fassent leurs métiers plus efficacement et l'indemnité mensuelle de technicité, qui doit représenter 40 millions sur 200 millions d'euros. C'est pourquoi la fusion n'a pas été surpayée : c'est ma conviction profonde, car il est illusoire de croire qu'elle aurait pu se faire en harmonisant par le bas.
M. Philippe Marini, président. - Cela a le mérite d'être clair. Toute expérience de restructuration se traduit par un coût. L'atteinte des objectifs permet d'escompter des gains ultérieurs en efficacité, en bonne gestion, qui rendent ce coût acceptable.
M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Vous prenez pour un fait acquis l'amélioration de la qualité du service rendu, qui était un objectif de la réforme. Les remontées du terrain sont plus nuancées, tant pour les particuliers que pour les collectivités locales. Avez-vous une marge de progression importante en la matière ? Est-elle limitée par la garantie que vous avez donnée aux agents qu'ils ne changeraient de métier ou de lieu d'affectation que sur la base du volontariat ? A quelle échéance pensez-vous pouvoir faire un saut qualitatif en direction des collectivités locales ? On a beaucoup parlé des « emprunts toxiques » récemment et les élus sont nombreux à déplorer un manque de conseil.
M. Philippe Parini. - Nous avons des indicateurs de mesure de la qualité du service, et nous allons les renforcer, comme le préconise la Cour des comptes. Les indicateurs de satisfaction des particuliers sont positifs. Nous allons corriger les points faibles, à l'instigation de la Cour, comme les réponses au téléphone. Nous allons créer une structure spécialisée dans l'analyse des relations avec les usagers citoyens. Nous voulons davantage professionnaliser ; en analysant les modes de relations, par téléphone, mél, accueil physique - 15 millions de contacts physiques au printemps et à l'automne ! Je ne dis pas que nous avons atteint la perfection, mais nous avons rempli l'objectif d'éviter les doubles déplacements. Désormais les contribuables ont un seul interlocuteur, ce qui leur économise du temps, de l'énergie et sans doute aussi un peu d'énervement. L'une de nos premières réflexions stratégiques portera sur la mesure des attentes de nos usagers et sur l'amélioration de nos prestations.
Quant aux collectivités territoriales, l'un des choix structurants de la réforme - c'est l'une des grandes différences avec la précédente - a été de consolider le réseau de proximité, qui était tué dans la réforme de l'an 2000...
Mme Nicole Bricq, rapporteur général. - Je serais bien plus nuancée...
M. Philippe Parini. - Le choix d'Éric Woerth a été de conforter le réseau de proximité, en lui faisant faire l'accueil de proximité, de telle sorte que la totalité de la population bénéficie du service du guichet unique, mais aussi en renforçant le rôle de conseil fiscal aux collectivités. Nous sommes confrontés à une difficulté d'organisation et de moyens : plus de la moitié de nos 3 000 postes comptent à peine trois agents. Il est difficile de faire faire tout cela à un réseau dont une partie dispose de peu de moyens, mais il faut le faire. Nous sommes en train de proposer aux collectivités locales un « bouquet de services » et nous allons construire une organisation réunissant les directions départementales, plus étoffées, et les trésoreries de proximité, afin que la fonction qualitative de relations avec les élus locaux soit maintenue, voire amplifiée dans certains domaines, comme le conseil financier, où nous avons été moins présents ces dernières années.
Notre réorganisation ne vise pas à réduire les prestations aux collectivités locales, bien au contraire. Je conviens que dans notre futur programme, nous devons l'illustrer, le mesurer, le prouver. Notre réforme a été faite pour cela, conformément au choix lourd qui avait été fait par Éric Woerth à l'époque.
Mme Marie-France Beaufils. - La perception de la réforme que je retire de mes rencontres avec les élus locaux, sur le terrain, ne correspond pas à votre vision optimiste. Je pense notamment à la disponibilité de vos services, non seulement envers les élus, mais aussi à l'égard des services de nos communes, qui ont besoin de l'accompagnement de vos agents dans l'ensemble de leurs pratiques, en matière de recettes en particulier. Vos agents sont complètement « surbookés », on ne peut leur demander plus.
Vous dites vouloir renforcer vos indicateurs. Quels sont les outils à votre disposition pour mesurer les améliorations que vous pouvez apporter, notamment dans les petites unités et comment mesurez-vous la qualité du service ?
La répartition des rôles dont vous parlez m'inquiète, car nous savons que trop souvent, quand les services de l'État s'expriment ainsi, il en résulte un accroissement des tâches des collectivités territoriales.
M. Éric Bocquet. - Je salue la qualité du rapport de la Cour des comptes, exhaustif et objectif, qui nous donne beaucoup à réfléchir sur la réforme. Vous nous avez dit, monsieur Proto, que l'efficacité - je préfère ce terme à celui de productivité - a été améliorée pour le recouvrement des impôts et la lutte contre la fraude fiscale ; pouvez-vous nous préciser dans quelle proportion ?
La sixième recommandation de la Cour porte sur la mise en place d'une charte du dialogue social. Est-ce à dire qu'il y aurait dans ce domaine une carence ou une insuffisance ?
Sur le terrain, notamment dans les communes rurales, qui sont les plus nombreuses, prévaut le sentiment, sinon d'un abandon, en tout cas d'une rétraction des missions. Je pense à la présence d'agents des impôts dans les commissions communales des impôts, qui est la garantie d'une objectivité absolue sur un sujet aussi sensible, pouvant exposer les élus à certains problèmes. Est également ressentie la réduction du conseil aux communes, les plus petites d'entre elles ne disposant pas de l'ingénierie suffisante pour des dossiers complexes comme ceux des marchés publics.
M. Claude Belot. - C'est une longue histoire à laquelle notre commission a été mêlée depuis longtemps. J'ai le souvenir de Christian Sautter, ministre des finances, et de Florence Parly, secrétaire d'État au budget, venant nous expliquer qu'il fallait absolument conduire cette réforme. Joël Bourdin se souvient comme moi du petit commando qui s'occupait de cette affaire. Nous avions été invités un jour à déjeuner à Bercy. Le Sénat était dans l'opposition, mais c'était le Sénat et le ministre souhaitait l'accord de notre commission. Nous avions validé la plupart des mesures qui ont été mises en oeuvre depuis lors. A peine rentrés au Sénat, nous apprenons que le ministre avait eu le courage de démissionner, les syndicats de Bercy, hostiles à la réforme, étant allés voir le Premier ministre qui l'avait désavoué.
Le sujet n'est pas facile, même s'il était considéré à l'époque comme consensuel. Je suis heureux que vous ayez beaucoup progressé. Il n'y a sans doute pas de miracle, mais depuis 2008, les courbes se sont infléchies.
Sur le terrain, il y a du bon et du moins bon. On nous avait annoncé une grande disparition du service public. La vérité, dans mon département, la Charente-Maritime, c'est qu'il n'en a rien été. La réorganisation a eu lieu à peu près normalement. Les maires, qui craignaient que leur percepteur ne soit plus leur conseiller, sont tout à fait rassurés. Les choses se passent convenablement, et il faut en féliciter l'administration.
Il y a des choses qui ne vont pas et que le niveau local ne peut pas régler, car c'est à l'administration centrale de jouer son rôle. J'étais hier avec Dominique Sudret, le directeur des finances de mon département, qui est un fonctionnaire de qualité, et je lui posais une question, simple, à laquelle il ne peut répondre. Je suis maire d'une commune qui perçoit des recettes de la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) - qui fait partie des compensations de la taxe professionnelle...
M. Philippe Marini, président. - Grâce au Sénat !
M. Claude Belot. - Absolument ! Nous avons donc dû voter et moduler nos taux avant le 1er octobre, mais nous n'avions aucune base ; nous sommes fin octobre, les bases ne sont toujours pas là, nous devons préparer un budget supplémentaire qui doit être sincère et nous n'avons toujours pas le montant des recettes. J'ai pu avoir des indications en me renseignant auprès des grandes surfaces avec lesquelles j'ai, comme tous les maires, des relations à la fois difficiles et complices, mais ce n'est pas normal !
La qualité de service de vos services locaux, qui sont tout à fait satisfaisants, s'améliorerait si l'administration centrale faisait son métier, ce qui n'est pas le cas. Le directeur général des collectivités locales, M. Jalon, a été alerté, mais il ne peut donner que les chiffres qu'il a ! Si vous voulez que la grogne autour de la compensation de la taxe professionnelle cesse, faites en sorte que dans des délais normaux, vos agents sur place, qui sont dans une situation inconfortable, puissent donner des réponses !
M. Philippe Marini, président. - Si la réforme s'était déroulée dans une période où rien ne changeait pour les finances locales, telle un long fleuve tranquille, elle aurait été mieux perçue. Mais cette réforme a été prise de plein fouet par des frimas législatifs que nous connaissons bien et qui concernent la transformation de la taxe professionnelle. Pour les services fiscaux, il ne s'agit pas de la suppression de la taxe professionnelle, mais de la création de nouveaux impôts, avec une logique de base différente et toute une série d'effets induits. Dans mon département, quand il a fallu régler la question des abattements lors du transfert de la part départementale de la taxe d'habitation, les services se sont mobilisés, à l'aide de simulations permettant de traiter de cas particuliers et de parler de manière très concrète aux élus du milieu rural et de l'ensemble du département. Ces agents, dont certains sont remarquables, constituaient auparavant le centre départemental d'assiette, au sein de l'ancienne direction des services fiscaux ; leur expérience et leur technicité leur permettent de maîtriser la complexité de la réforme. Lorsqu'il faut mettre en place la taxe d'aménagement, issue de la réforme de la taxe d'urbanisme, obtenir des simulations est assurément difficile ; il est également difficile d'élaborer des simulations de la cotisation minimale au titre de la cotisation foncière des entreprises (CFE). Dans un contexte où la fiscalité locale bouge beaucoup, et où la législation ne s'est pas simplifiée, on demande beaucoup à des équipes qui connaissent une restructuration modifiant sensiblement leur horizon professionnel.
M. Sébastien Proto. - Sur l'efficience, j'ai été injuste avec la Cour, qui a mis en valeur, page 126 de son rapport, l'amélioration des taux de recouvrement de différents impôts entre 2007 et 2010.
Quant aux indicateurs sur la fraude, le projet politique pour l'administration fiscale depuis 2007 est double : d'une part nous avons mis en oeuvre la fusion, axe majeur de réforme de l'État, d'autre part nous avons doté l'administration des outils qu'elle réclamait depuis des années, pour lutter contre la grande fraude fiscale, notamment la police fiscale, que nous avons fait voter, à l'unanimité des deux assemblées. Notre administration fiscale souffrait de ne pouvoir disposer des mêmes outils que ses homologues pour lutter contre des fraudes de plus en plus complexes et dont l'immédiateté se heurtait à la faiblesse de nos outils. Nous communiquerons les chiffres dans quelques semaines ; nous aurons un débat sur le collectif 2011 sur cette question et nous aurons aussi le rapport de la Cour des comptes sur les carrousels de TVA.
M. Philippe Marini, président. - Serait-il possible, pour le collectif de fin d'année, de nous communiquer à l'avance ces éléments sur le contrôle fiscal, même s'ils ne sont pas définitivement stabilisés, ce qui simplifierait notre travail, sur ces sujets consensuels, par rapport à notre chemin critique de fin d'année ?
M. Sébastien Proto. - À ce stade, rien n'est encore acté. Nous aurons un débat, dans le cadre du projet de loi de finances, sur l'accord « Rubik » qui nous conduira à examiner l'efficacité de notre action contre la fraude. Nous reviendrons alors en détail sur les outils de lutte dont notre administration doit disposer dans la durée, et sur la coopération avec des pays qui avaient une tradition non coopérative.
Mme Nicole Bricq, rapporteur général. - Ce débat sera bienvenu !
M. Philippe Parini. - Nous disposons d'indicateurs de mesure de la manière dont nous travaillons avec les collectivités locales en matière de dépenses, de recettes, de qualité comptable, de tenue des comptes, de regroupements qualitatifs - avec la signature de conventions de partenariat : tous ces sujets sont suivis de très près. Si des difficultés apparaissent, nos instruments de mesure nous permettent d'indiquer aux comptables les points à rectifier. La répartition des rôles à laquelle je me suis référé se situe au sein même de la DGFiP, entre le niveau départemental et le niveau de proximité. Nous devons utiliser la force des directions départementales, désormais fusionnées, afin qu'elles aident le réseau local, que nous maintenons et dont nous réaffirmons la légitimité, à exercer ses missions.
Je ne méconnais pas les tensions que vous signalez, notamment dans les postes à petits effectifs, qui ont beaucoup à faire. C'est bien pourquoi l'un des points importants du schéma directeur à venir sera le maintien et le développement de la qualité du service rendu aux collectivités territoriales, en jouant sur « l'effet réseau », c'est-à-dire la synergie entre les postes de proximité et le « back office » assuré par les directions départementales. Il n'y a pas de désarmement. Il faut aider nos postes de proximité. Les choix d'Éric Woerth, de François Baroin et de Valérie Pécresse ont été très clairs : il s'agit d'assurer, d'entretenir, de développer nos relations de proximité.
Or nous devons appliquer une réglementation et si la réforme de la taxe professionnelle est complexe pour les élus, elle l'est aussi pour l'administration, qui ne l'a pas conçue mais la met en oeuvre. Nous avons fourni nos meilleurs efforts. L'administration centrale a essayé d'aider au maximum les postes territoriaux, même si nous avons pu avoir du retard ici ou là. Nous essayons, en mobilisant nos moyens, de vous répondre ; nous considérons que nous devons être en posture de service avec les collectivités.
M. Francis Delattre. - Rapporteur spécial du système des pensions, je souhaitais savoir si le service des retraites distribue toutes les pensions civiles...
M. Philippe Parini. - ... et militaires.
M. Francis Delattre. - Revenons à vos relations avec les collectivités. Nous sommes engagés dans la dématérialisation et avons l'impression d'être un peu en avance par rapport à nos interlocuteurs...
M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - En effet, l'informatisation est certainement une source de progression notable de la productivité. La Cour souligne que vous avez effectué la fusion au niveau interrégional, mais les outils informatiques demeurent ceux des anciennes directions. Avez-vous un schéma directeur qui nous projette dans l'avenir, et à quelle échéance, pour refondre complètement ces outils, en allant jusqu'aux collectivités locales ? La recherche de productivité est importante chez vous, elle l'est aussi chez nous !
M. Philippe Parini. - Pour la partie « État » de la dématérialisation, le projet « Copernic » nous permet d'unifier une bonne partie de nos applications. Nous allons, dans les années qui viennent, nous appuyer sur cette matrice pour finir d'unifier les systèmes des deux administrations. Pour les collectivités territoriales, notre application « Hélios » - qui gère les flux financiers avec les collectivités - ne marche pas si mal que cela ! Elle doit être le support d'une réflexion tous azimuts pour la dématérialisation. Nous serons les plus disponibles pour ce faire et nous y mettrons les moyens. Nous avons créé à la DGFiP une structure qui ne réfléchit qu'à cela. Cette démarche est synonyme de fluidité dans le travail et de gains partagés avec les collectivités locales.
La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.
Mercredi 26 octobre 2011
- Présidence de M. Philippe Marini, président -Loi de finances - Nomination d'un rapporteur spécial
Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission nomme, tout d'abord, M. Aymeri de Montesquiou rapporteur spécial de la mission « Culture », conjointement avec M. Yann Gaillard.
A l'issue de cette nomination, la liste des rapporteurs spéciaux s'établit comme suit :
Débat sur les prélèvements obligatoires - Communication
La commission entend ensuite une communication de Mme Nicole Bricq, rapporteure générale, préalable au débat sur les prélèvements obligatoires.
Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Le débat sur les prélèvements obligatoires résulte de l'article 52 de la LOLF, inséré par le Sénat sur un amendement conjoint du rapporteur général de la commission et du rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale. L'idée était d'avoir un débat consolidé global sur les prélèvements obligatoires avant de décliner les deux volets - Etat et sécurité sociale - dans deux lois séparées.
Je ne présenterai pas de contre-budget. Dans les institutions de la Cinquième République, les assemblées parlementaires ne disposent pas des moyens juridiques de présenter des contre-propositions cohérentes au texte du Gouvernement, en raison notamment de l'article 40 de la Constitution. Par ailleurs, dans la période qui s'annonce, ce type de démarche doit s'inscrire dans le cadre de la campagne présidentielle.
M. Philippe Marini, président. - Je me souviens que Jean Arthuis, alors rapporteur général, a procédé à l'élaboration d'un tel contre-budget. Cela a été un exercice délicat !
M. Jean Arthuis. - Très délicat !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Le taux de prélèvements obligatoires est une variable économique qui n'a pas grand sens politiquement, puisque son évolution dépend à la fois des décisions politiques et des évolutions de la conjoncture.
Le président Marini doit se souvenir de ce qu'il appelait en 1999 le « paradoxe de Strauss-Kahn » : « les impôts baissent mais les prélèvements obligatoires augmentent ». Cela s'expliquait à l'époque par la forte croissance qui, compte tenu de l'élasticité des recettes au PIB, permettait d'avoir un taux de prélèvements obligatoires en hausse tout en diminuant les taux des impôts.
Selon la programmation du Gouvernement annexée au présent projet de loi de finances, le « record » de 1999 en matière de taux de prélèvements obligatoires, de 44,9 points de PIB, sera « battu » en 2013, avec un taux de 45 points. J'y reviendrai plus tard.
Le Gouvernement n'aura, en fin de législature, respecté ni son objectif de baisse du ratio dépenses/PIB, ni - pour ce qui nous occupe aujourd'hui - son objectif de baisse du taux de prélèvements obligatoires. Au contraire, celui-ci aura augmenté de 1,1 point de PIB sur la période.
Certes, la crise est passée par là. Mais elle n'explique pas tout, comme nous allons le voir.
La programmation annexée au présent projet de loi de finances contient un élément nouveau par rapport aux précédentes, y compris le programme de stabilité envoyé à Bruxelles en avril dernier. Jusqu'ici les programmations se fixaient l'objectif de ne pas dépasser le taux de prélèvements obligatoires de 2007, ou alors de très peu, et certainement pas à l'horizon 2012. Le présent projet de loi de finances rompt quant à lui avec le « dogme » de la stabilité du taux de prélèvements obligatoires sur la législature, et admet enfin que l'amélioration de la situation de nos finances publiques ne sera pas possible sans augmentation de celui-ci.
Selon une décomposition indicative de la commission des finances, l'évolution du déficit des administrations publiques depuis 2007 peut s'analyser comme la résultante de deux mouvements contraires : une dégradation spontanée, de 3,8 points de PIB ; une amélioration issue de décisions discrétionnaires, pour 2,1 points de PIB.
Les trois première années du quinquennat ont été marquées par l'adoption de dispositions qui ont structurellement dégradé les finances publiques : la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite « loi TEPA », la TVA à taux réduit dans le secteur de la restauration, la réforme de la taxe professionnelle. Depuis 2010, mais surtout depuis les « paquets fiscalo-sociaux » de 2011 et 2012, on assiste à un mouvement inverse. Au total, sur la période, le rendement net cumulé des mesures nouvelles sur les prélèvements obligatoires aura été de l'ordre de 12,5 milliards d'euros, augmentant d'autant les recettes de 2012.
Je ferai trois observations. Tout d'abord, on ne peut qu'être saisi du décalage entre ces montants et le discours du Gouvernement se défendant d'augmenter les impôts. Ensuite, moins d'un après le vote de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, dite « LPFP 2011-2014 », on constate que ce texte, qui reposait sur une hypothèse de croissance irréaliste de 2,5 % par an, est périmé puisqu'il prévoyait, pour 2011, 11 milliards de hausse des prélèvements obligatoires (contre 12,3 en réalité) et, pour 2012, 3 milliards (contre 11,2 désormais prévus). Cela montre bien que le projet de révision constitutionnelle, que le Président de la République a renoncé à soumettre au Congrès, et prévoyant l'instauration de « lois-cadres » au dispositif analogue à celui de la LPFP 2011-2014, aurait été inopérant, puisque le même Gouvernement a pu à la fois proposer cette règle et dans le même temps faire voter une LPFP reposant sur des hypothèses qui la vidaient de sa portée pratique.
Le chiffrage de la loi TEPA mérite que l'on s'y arrête. En compilant les données des différents documents budgétaires, on se rend compte que son coût, évalué à 14 milliards d'euros en 2007, avait alors été surestimé. Aujourd'hui, si elle n'avait pas été modifiée depuis l'origine, elle ne dégraderait de manière structurelle nos finances publiques « que » de 10 milliards d'euros par an. En outre, contrairement à ce que l'on pense souvent, les rectifications directes de dispositifs TEPA n'ont pas été si nombreuses depuis 2007. Il y en a eu seulement trois : la « mise en extinction » de la déductibilité des intérêts d'emprunt, le « recentrage » de l'ISF-PME et la suppression, emblématique, du bouclier fiscal. Ces trois mesures réduisent d'un milliard d'euros le coût de la loi TEPA en 2012. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 revient de manière indirecte sur la mesure « heures supplémentaires », en les intégrant dans le calcul des allègements de charges sociales, ce qui rapporte 600 millions d'euros. Mais l'analyse des modifications apportées à la loi TEPA ne serait pas pertinente si elle n'était pas mise en relation avec celle des dispositions de la première loi de finances rectificative pour 2011, et notamment de la réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). J'y reviendrai plus loin. Pour l'heure, retenons que l'ensemble des mesures relevant de l' « orbite TEPA » coûtent environ 9,3 milliards d'euros par an.
Si l'on s'intéresse à la répartition du produit des mesures d'augmentation de prélèvements obligatoires entre les différentes catégories d'administrations publiques, on observe que, sur la période, l'augmentation des prélèvements obligatoires a bénéficié pour la quasi-totalité aux administrations de sécurité sociale.
J'en viens maintenant à la question des réductions de niches fiscales et sociales. Le discours du Gouvernement est connu : pas d'« augmentation généralisée » des prélèvements obligatoires, car cela pèserait sur l'activité et augmenterait un taux de prélèvements obligatoires déjà trop élevé ; en revanche, oui aux suppressions de niches qui aident au redressement des comptes publics et améliorent la justice fiscale. Ce discours est fallacieux, parce que les suppressions de niches pèsent sur l'activité et augmentent le taux de prélèvements obligatoires autant que les hausses « faciales » d'impôt. Il est également faux : les mesures discrétionnaires d'augmentation des prélèvements obligatoires prises à compter de l'automne 2010 devraient rapporter 24,1 milliards d'euros en 2012, dont moins de la moitié (10,2 milliards d'euros) proviendraient de niches stricto sensu (au sens des documents budgétaires). Seulement les deux tiers (17,4 milliards d'euros) résulteraient de réductions d'allègements de prélèvements obligatoires. Surtout, la politique de réduction des niches semble de facto abandonnée. En effet, si les textes que nous avons votés en 2011 ou qu'il nous reste à voter - à l'exception du projet de loi de finances rectificative de fin d'année, dont on ne connaît pas encore le contenu - augmentent les prélèvements obligatoires de 2012 de 10,1 milliards d'euros, seulement 5,7 milliards d'euros proviendraient de réductions d'allégements, dont seulement 2,6 milliards d'euros de réductions des niches au sens des documents budgétaires. Les augmentations d'impôts et de prélèvements sociaux (les « augmentations généralisées de prélèvements obligatoires », comme dirait le Gouvernement) représentent 43 % du total. Le Gouvernement ne peut donc pas dire qu'il n'augmente pas les impôts et se contente de réduire des dépenses fiscales.
Bien que prêt depuis la fin du mois de juin, le rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales présidé par Henri Guillaume, dit « rapport Guillaume », prévu par l'article 13 de la LPFP 2011-2014, a été communiqué au Parlement seulement à la fin du mois d'août, avec trois mois de retard. Ce rapport de 6 000 pages évalue de manière détaillée un très grand nombre de niches fiscales et sociales, et leur attribue un score allant de 0 (inefficace) à 3 (efficiente). Evidemment, il s'agit d'un rapport administratif, dont les conclusions ne doivent pas être considérées comme la vérité absolue. Il reste qu'il est piquant de constater que les dix niches auxquelles le Gouvernement s'est attaqué depuis la fin de l'année dernière et qui font l'objet d'une évaluation obtiennent une note moyenne de 2,5 sur 3, et que six d'entre elles obtiennent la note maximale de 3 !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Cela montre que les évaluations du Gouvernement ne correspondent pas à celles du « rapport Guillaume » !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - J'en viens à l'injustice des réformes de la fiscalité patrimoniale. La loi TEPA a fait le choix des plus favorisés, avec notamment l'augmentation du bouclier fiscal, rapidement devenu indéfendable, et le triplement des abattements de droits de mutation à titre gratuit (DMTG). La première loi de finances rectificative pour 2011 a ensuite réalisé une réforme réduisant l'ISF de près de 2 milliards d'euros, essentiellement pour les plus riches des plus riches, et dont la compensation, imparfaite, repose pour partie sur les redevables du droit de partage, qui ne sont généralement pas des redevables de l'ISF, mais des divorcés, qui ne sont pas tous riches et qui ont déjà perdu en 2011, au titre de l'impôt sur le revenu, le bénéfice des trois déclarations d'impôt ...
M. Jean-Paul Emorine. - Le mariage n'est pas un calcul économique non plus !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Les modalités de déclarations de revenus en cas de mariage ont également été modifiées, par la même disposition de la loi de finances initiale pour 2011.
Le coût de la réforme de l'ISF sera de 1,9 milliard d'euros, mais les recettes mises « en face » ne s'élèveront qu'à 1,5 milliard d'euros en 2012, soit un « trou » de 400 millions d'euros. Certes, la réforme a exclu ceux qui étaient redevables du seul fait de leur résidence principale (dès lors que celle-ci vaut moins de 1,3 million d'euros). Cependant, on remarque que, pour un patrimoine de 1,5 million d'euros, l'ISF baissera de 11 % alors que le gain sera de 72 % pour un patrimoine de 500 millions d'euros.
La réforme de la fiscalité environnementale, « hors sol », incohérente et inaboutie, a également été un échec. Les incitations fiscales à polluer n'ont pas été remises en cause. L'échec d'une taxe carbone mal conçue a porté un coup fatal au « verdissement » de la fiscalité et a gravement porté préjudice à la cause de la fiscalité écologique dans l'opinion. C'est un débat que nous reprendrons. Plutôt que de financer une réduction du coût du travail par une augmentation de la TVA, dans le cadre de ce que l'on appelle la « TVA sociale », il me semblerait préférable de la financer par une augmentation de la fiscalité écologique. La mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds fait quant à elle l'objet d'atermoiements répétés : alors que l'Allemagne s'est dotée d'un tel instrument, l'entrée en vigueur de cette taxe, initialement prévue pour 2011, a été reportée à 2013.
Il faut souligner l'« inconséquence » de la réforme de la taxe professionnelle. Celle-ci a coûté 4,7 milliards d'euros par an, dans la situation précaire de nos finances publiques. Elle a réduit drastiquement l'autonomie fiscale des communes, mais surtout des départements et des régions, alors que l'Etat n'a plus les moyens d'assumer le coût des charges qu'il reporte sur les collectivités. Vous trouverez dans le rapport écrit un bilan chiffré de la première campagne de contribution économique territoriale (CET). C'est la première fois qu'un tel bilan est réalisé en s'appuyant sur le produit réel. Toutefois un vide reste à combler : l'absence d'évaluation des effets de la réforme sur l'économie française. Je pense que près de 5 milliards d'euros de coût annuel, c'est cher payé, surtout si l'on prend en compte l'impact sur les collectivités territoriales !
L'inefficacité de la défiscalisation des heures supplémentaires n'est plus à démontrer. Cette mesure doit coûter 4,9 milliards d'euros en 2012 (1,4 milliard pour l'Etat et 3,5 milliards pour la sécurité sociale). Elle a un effet ambigu sur l'emploi, voire constitue un effet d'aubaine, selon le Conseil des prélèvements obligatoires. Le « rapport Guillaume » lui attribue un effet réel sur le pouvoir d'achat, mais sur celui des plus riches. Ces constats ont été confirmés par la mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale.
En ce qui concerne la fiscalité de l'immobilier, la déductibilité des intérêts d'emprunt a constitué un pur effet d'aubaine. Malgré sa « mise en extinction », cette disposition coûtera encore 1,8 milliard d'euros en 2012 et 200 millions d'euros en 2016. Je me souviens, monsieur Arthuis, que vous avez exprimé en 2007 un scepticisme, justifié, sur l'utilité de cette mesure. Quant au crédit d'impôt « Scellier », c'est un placement risqué pour les investisseurs et une mauvaise affaire pour l'Etat, qui ne parvient pas, en contrepartie d'un coût de 650 millions d'euros en 2012, à faire baisser le prix des loyers à des niveaux proches de ceux du logement social et à orienter l'offre vers les zones tendues.
J'en viens aux perspectives d'ici 2017.
Il est admis, y compris du côté de l'opposition sénatoriale, que la situation des finances publiques ne pourra s'améliorer qu'en faisant appel de manière plus importante aux prélèvements obligatoires.
Au minimum, il importe de se fixer l'objectif de ramener le déficit public à 3 points de PIB en 2013 et à l'équilibre en 2017. Prolonger la trajectoire du Gouvernement, qui couvre la période 2011-2015, conduirait à l'équilibre en 2016. Personnellement, je préfère retenir l'objectif de l'année 2017, compte tenu des incertitudes économiques, et de la nécessité de juger de la politique de finances publiques à l'horizon du prochain quinquennat. Evidemment, ces scénarios prospectifs seraient totalement remis en cause si nous devions connaître une nouvelle période de forte récession.
L'ordre de grandeur de l'effort à accomplir pour atteindre l'équilibre en 2017 est de 100 milliards d'euros (environ 5 points de PIB), soit 20 milliards d'euros par an.
Pour respecter la trajectoire, la question se pose du partage de l'effort entre les recettes et les dépenses, de façon à ce que les Français sachent ce qui les attend. La politique actuelle du Gouvernement est anxiogène puisque celui-ci fait le contraire de ce qu'il dit : il prétend insister davantage sur les dépenses alors que ce n'est plus vrai en 2011 et en 2012, et il prétend limiter les mesures de recettes à des suppressions de niches alors que c'est faux. Les gens ne croient donc plus à rien.
Si l'on faisait l'hypothèse d'un partage de l'effort entre recettes et dépenses, il faudrait accroître les prélèvements obligatoires de 50 milliards d'euros en cinq ans. L'effort le plus important serait consenti en 2013 : en effet, la trajectoire du Gouvernement est ainsi construite que les efforts les plus durs ont été prévus pour l'année qui suit celle des élections ...
Les niches fiscales et sociales constituent un « gisement » de recettes significatif. Toutefois elles ne peuvent constituer la totalité des augmentations de prélèvements obligatoires d'ici 2017. Certaines ont des incidences politiques très fortes, comme l'abattement d'impôt sur le revenu de 10 % sur les pensions et retraites. Ce serait déjà bien de réduire les dépenses fiscales de 10 milliards d'euros et les niches sociales de 5 milliards d'euros. La question des niches ne doit donc pas occulter celle de la réforme fiscale globale. Le Gouvernement fait du bricolage. Il prend des niches, se fait « mordre », recule. Le « gisement » de niches n'est pas suffisant.
En théorie, les dispositifs fiscaux et sociaux dérogatoires représentent des montants très élevés. Le Gouvernement les chiffre autour de 200 milliards d'euros. Le Président Marini, dans un rapport d'information publié en mai 2011 (n° 553, 2010-2011), les avait même estimés à plus de 300 milliards d'euros, se répartissant à peu près également entre les niches (c'est-à-dire les dispositifs cherchant à atteindre un objectif de politique publique) et les modalités de calcul des prélèvements obligatoires.
L'évaluation du « rapport Guillaume » a porté sur 60 milliards d'euros de niches fiscales et 35 milliards d'euros de niches sociales. Il en ressort que 261 dispositifs, représentant un coût annuel d'une cinquantaine de milliards d'euros, sont jugés peu ou pas efficaces. Même si l'on peut ne pas souscrire à toutes les conclusions de ce rapport, on ne peut pas ne pas y voir une source d'économies potentielles.
Si l'on examine la liste des dépenses fiscales et sociales les plus coûteuses, on constate qu'à quelques exceptions près, la plupart de ces dispositifs ne pourraient pas être supprimés du jour au lendemain. Par exemple, même si certains aspects du crédit d'impôt recherche me paraissent contestables, il ne me semblerait pas opportun de remettre en cause cette dépense fiscale, en tout cas tant que l'on ne disposera pas du recul nécessaire pour évaluer la réforme de 2008.
M. Philippe Marini, président. - Je suis partisan de la technique du « rabot », appliquée à l'ensemble des niches. Cela serait indolore !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - La recherche d'économies sur les niches doit être complétée par une démarche de même type concernant les modalités de calcul de l'impôt, car certaines ne sont pas neutres. Le montant de ces dernières renvoie à la nécessité de procéder à une réforme fiscale d'ensemble, notamment de l'impôt sur les sociétés, dont l'assiette est excessivement « mitée ». Je renvoie à cet égard à la proposition de loi déposée par François Marc, dont François Rebsamen et moi-même sommes cosignataires (n° 321, 2010-2011).
S'agissant de l'impôt sur le revenu, le débat sur sa fusion avec la contribution sociale généralisée pourra être complété par celui sur la structure de l'impôt. Veut-on taxer des unités de consommation au sein d'un foyer fiscal, comme aujourd'hui, ou bien veut-on aller vers une individualisation de l'impôt, comme le propose notamment Thomas Piketty ? Veut-on que le vecteur de la politique familiale continue d'être l'attribution de parts et de demi-parts par enfant, ou prenne la forme d'autres mécanismes ? En ce qui me concerne, je suis, à titre personnel, favorable à l'individualisation. Une telle réforme avait d'ailleurs été proposée par Martine Aubry en 1998.
M. Philippe Marini, président. - Merci pour ce rapport très éclairant. Nous nous appuyons sur les mêmes chiffres, mais ne leur faisons pas dire la même chose. C'est le débat démocratique ! La commission pourra être une caisse de résonnance utile pour le débat des prochains mois. Je me contenterai d'évoquer deux points. C'est vrai que le taux de prélèvements obligatoires a plus augmenté que prévu, mais vous reconnaissez vous-même que son augmentation est nécessaire pour résorber le déficit public. En ce qui concerne la réduction des niches, les mesures ciblées sont un piège, vous savez que je suis un adepte de la technique du « rabot » appliqué sur l'assiette la plus large possible.
M. François Marc. - Les titres des diapositives évoquent « l'injustice » des réformes de la fiscalité patrimoniale, l'« échec » de la fiscalité environnementale, l'« inconséquence » de la réforme de la taxe professionnelle, l'« inefficacité » de la défiscalisation des heures supplémentaires, l'« inutilité » des mesures prises dans le domaine de la fiscalité immobilière.
M. Jean-Paul Emorine. - C'est de la littérature !
M. François Marc. - Nos concitoyens attendent de la transparence. Il faut dire ce qu'on fait, contrairement au Gouvernement, et ce que l'on va faire ! Notre collègue député Gilles Carrez, dans un récent rapport d'information (n° 3631, XIIIe législature), écrit que « l'imposition des plus grandes entreprises est incontestablement substantiellement plus faible au regard de leur niveau d'activité ou de profit économique que celle des entreprises petites et moyennes, même si l'on ne peut affirmer avec précision dans quelle proportion ». Il faut corriger cela. Nous exprimerons à nouveau des idées que nous avons déjà développées. Il faudra solliciter un peu plus les entreprises que ce que prévoit le projet de loi de finances pour 2012. Je pense que, plutôt que d'appliquer uniformément un « rabot », il faut supprimer les niches les moins efficaces, en s'appuyant sur le « rapport Guillaume ». Je ne suis pas sûr que l'augmentation éventuelle du taux réduit de TVA soit une bonne solution.
M. Jean Arthuis. - C'est vrai que le taux de prélèvements obligatoires a augmenté, et que les habiletés de la communication du Gouvernement suscitent parfois la perplexité de la part de nos concitoyens. Toutefois je suis déçu par la partie prospective du rapport : autant la partie rétrospective est sévère et péremptoire, autant cette partie est prudente et peu engagée. Il faut pourtant réaliser une réforme fiscale d'ampleur, afin d'améliorer la compétitivité de la France, qui devrait avoir un déficit extérieur de 75 milliards d'euros en 2011.
M. Jean-Paul Emorine. - Je partage seulement partiellement les analyses de la rapporteure générale. Il faut réduire le nombre de fonctionnaires, beaucoup plus important en France qu'en Allemagne. L'augmentation du taux de prélèvements obligatoires de 2007 à 2012 devrait être faible. Je suis favorable à des réductions « ciblées » de niches, plutôt qu'à l'application uniforme d'un « rabot ». Les allégements de charges sur les bas salaires devraient être concentrés sur les seules entreprises industrielles. Enfin, l'Etat doit réduire ses participations dans certaines entreprises publiques, comme EDF ou AREVA.
M. Roger Karoutchi. - Je trouve votre constat sévère...
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Mais juste !
M. Roger Karoutchi. - Certaines niches ont été créées par les socialistes. Il n'est pas politiquement possible de supprimer l'abattement de 10 % des retraites et pensions ou la « demi-part veuves ». L'hypothèse de croissance de 2 % par an de 2013 à 2017 retenue par la rapporteure générale est optimiste ! Et ce n'est pas tout de dire qu'il faut augmenter les prélèvements obligatoires de 50 milliards d'euros, il faut aussi proposer des mesures concrètes ! En réponse à François Marc, je rappelle que si les entreprises françaises ont effectivement profité des allégements de prélèvements obligatoires, elles étaient aussi plus imposées que leurs homologues européennes au départ.
M. Philippe Marini, président. - Je relève que le plan de Nicole Bricq est d'un esprit totalement libéral. Je suis plutôt d'accord sur ses critiques du crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunt et du dispositif « Scellier », mais ils ont été utiles en période de baisse d'activité ! Cela incite d'ailleurs à s'interroger sur l'approche du « rapport Guillaume », qui prétend évaluer les niches sans prendre en compte la situation économique à un moment donné.
M. Vincent Delahaye. - Il faut certes augmenter les prélèvements obligatoires, mais aussi être plus strict en matière de dépenses. Je vais faire des propositions, y compris en ce qui concerne la rémunération des fonctionnaires. Il faut augmenter les dépenses d'investissement, mais d'investissement productif, et réduire les dépenses de fonctionnement. Bien que de droite, je pense qu'une réduction de niche correspond à une augmentation de prélèvements obligatoires. Comment appliquer le « rabot » à la TVA de 5,5 % pour les travaux sur les logements ou la supprimer, en particulier sans accroître le travail au noir ? La suppression de cette niche ne rapporterait pas réellement ce qu'elle est supposée coûter, c'est-à-dire 5,2 milliards d'euros.
M. Philippe Marini, président. - Les niches sont chiffrées par le Gouvernement à comportements inchangés, ce qui conduit en effet à surestimer le coût de certaines d'entre elles. Tel est en particulier le cas de la fameuse « niche Copé », que le rapporteure générale appelle dans une diapositive « niche Copé-Marini », de manière opportune puisqu'elle résulte d'un amendement que j'ai présenté au nom de la commission. Dans le cas des taux réduits de TVA, un « rabot » de 10 % impliquerait de réduire de 10 % l'écart entre le taux réduit de 5,5 % et le taux normal de 19,6 %, c'est-à-dire de porter le taux réduit à 6,9 %. Dans le cas que vous évoquez, cela aurait-il un impact sur le travail au noir ? Bien sûr que non !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - L'article 52 de la LOLF prévoit que le rapport du Gouvernement relatif aux prélèvements obligatoires « comporte l'évaluation financière, pour l'année en cours et les deux années suivantes, de chacune des dispositions, de nature législative ou réglementaire, envisagées par le Gouvernement ». Il me semble qu'en conséquence la rapporteure générale aurait dû limiter son analyse, par ailleurs tendancieuse, à la période 2011-2013. Une diapositive dénonce « l'inconséquence de la réforme de la taxe professionnelle », mais elle souligne aussi « l'absence d'évaluation des effets de la réforme sur l'économie française » : ces deux points ne sont-ils pas contradictoires ? La rapporteure générale oublie aussi d'indiquer que la compensation aux collectivités territoriales a été magistrale. Je déplore que la partie prospective ne fasse pas de propositions précises.
Mme Marie-France Beaufils. - C'est vrai que ce rapport est politique, mais c'est normal ! Il permet d'avoir un débat sain sur le rôle de l'impôt, qu'il ne faut pas dénigrer comme le fait le Gouvernement. Je me pose quelques questions : quel est le coût cumulé sur cinq ans de la loi TEPA ? En quoi consiste le coût de 4,7 milliards d'euros de la réforme de la taxe professionnelle ? La diapositive sur les modalités de calcul de l'impôt est intéressante. L'approche « ciblée » du « rapport Guillaume » me semble plus intéressante que le recours aveugle au « rabot ».
M. Philippe Marini, président. - Le coût de la réforme de la taxe professionnelle, initialement évalué à un peu moins de 4 milliards d'euros, a ensuite été considérablement revu à la hausse, le chiffre de 7,5 milliards d'euros ayant pu être évoqué. Je constate que l'estimation actuelle, de 4,7 milliards d'euros, est proche du chiffrage initial.
M. Francis Delattre. - Je ne suis pas sûr que la fiscalité environnementale soit un échec. Quel est le coût du bonus-malus ? Il serait intéressant de connaître le point de vue de la rapporteure générale sur le projet de fusion de l'impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée. La réindustrialisation de la France doit passer par les petites et moyennes entreprises industrielles, comme au Royaume-Uni.
M. Philippe Dallier. - Le débat sur le taux de prélèvements obligatoires me semble surréaliste. En période de crise, comme celle que nous traversons, la vraie question est celle du rendement. En réponse à François Marc, je ferai remarquer que, plutôt que de s'interroger sur la répartition des augmentations ou diminutions de prélèvements obligatoires entre ménages et entreprises, il serait plus pertinent d'examiner cette répartition au sein de chacune de ces deux catégories. Contrairement à Marie-Hélène Des Esgaulx, je considère que la rapporteure générale a bien fait de retenir deux périodes de cinq ans. Je pense toutefois qu'il aurait fallu compléter le scénario « tiède » de croissance de 2 % de 2013 à 2017 par un scénario de croissance nulle sur trois années.
M. Joël Bourdin. - Je trouve les appréciations de la rapporteure générale trop négatives, et pas suffisamment techniques. Par exemple, le chiffrage de la réforme de la taxe professionnelle devrait prendre en compte son impact économique. Dans le cas du scénario retenu pour la programmation, l'hypothèse de croissance de 2 % de 2013 à 2017 me paraît optimiste.
M. Philippe Marini, président. - Cette hypothèse de 2 % est en réalité une hypothèse conventionnelle, correspondant à la croissance potentielle de longue période, telle qu'elle est habituellement évaluée. Retenir une telle hypothèse est conforme à ce que préconise la commission depuis plusieurs années.
M. François Patriat. - Le constat de la rapporteure générale est lucide et courageux. D'après Christine Lagarde, la loi TEPA devait susciter un « choc de confiance », qui n'est jamais advenu. Comme le souligne la Cour des comptes, sur les 7,1 points de déficit public de 2010, seulement 2,7 points étaient imputables à la crise. La réforme de la taxe professionnelle, menée à la hussarde, nuit gravement aux collectivités territoriales, en réduisant leur autonomie fiscale. Je suis sceptique sur la technique du « rabot ». On commence ingénieur et on finit menuisier !
M. Philippe Marini, président. - Il ne me semble pas que la réforme de la taxe professionnelle ait été menée « à la hussarde », si j'en juge par le temps que nous lui avons consacré !
M. Aymeri de Montesquiou. - Le « rabot » me semble approprié. Nous connaissons une hémorragie, il faut appliquer un garrot !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Vos interventions montrent l'intérêt de ce débat sur les prélèvements obligatoires, qui a lieu seulement au Sénat. Certains ont qualifié mes analyses de « sévères » ou « tendancieuses », mais les chiffres sont les mêmes pour tout le monde ! A ceux qui regrettent que ma communication comprenne peu de propositions précises, je suggère d'attendre la discussion du projet de loi de finances.
En réponse à Marie-Hélène Des Esgaulx, je rappellerai qu'en 2006 le rapport du Gouvernement sur les prélèvements obligatoires présentait un bilan de la politique menée de 2002 à 2007 : il existe donc un précédent. Et c'est normal !
Je suis d'accord avec Philippe Dallier sur le caractère largement conventionnel du taux de prélèvements obligatoires, mais on ne peut faire abstraction du fait que le Président de la République avait fait de sa réduction l'un de ses principaux engagements.
En ce qui concerne la projection de croissance de 2 % de 2013 à 2017, il ne s'agit évidemment pas d'une prévision, mais d'une hypothèse conventionnelle, que la commission des finances préconise depuis plusieurs années de retenir pour élaborer les programmations de finances publiques, et qui correspond à la croissance potentielle de longue période. Je vous rappelle que le Gouvernement a retenu une hypothèse, délibérément optimiste, de 2,5 %, pour ses programmations successives, jusqu'à celle annexée au présent projet de loi de finances, pour laquelle il retient, pour la première fois, un taux de 2 % de 2013 à 2015. Je vous présenterai la semaine prochaine différents scénarios d'évolution du solde public, en fonction d'hypothèses de croissance différentes.
En matière de réduction des niches, je préfère une approche « ciblée » à celle du « rabot », qui empêche le politique de définir ses priorités. Et puis, il existe des « niches sans chien » !
En réponse à Joël Bourdin, j'indique qu'une mission d'information sur la réforme de la taxe professionnelle a tenu sa deuxième réunion ce matin. Le montant de 7,5 milliards d'euros en 2011, figurant dans le rapport de notre collègue député Gilles Carrez sur le dernier projet de loi de finances rectificative pour l'année 2010, est un coût brut, sans prise en compte de l'impact sur les recettes d'impôt sur les sociétés et d'impôt sur le revenu, ce qui contribue à expliquer l'écart avec le montant de 4,7 milliards d'euros indiqué par le Gouvernement, qui est un coût net.
Marie-Hélène Des Esgaulx estime que l'on ne peut pas parler d'« inconséquence » de la réforme de la taxe professionnelle. J'aurais également pu souligner son « irresponsabilité », compte tenu de son impact sur l'investissement des collectivités territoriales.
Le fait que le coût des modalités de calcul de l'impôt sur les sociétés soit globalement égal au produit de cet impôt pose un problème. En ce qui concerne l'harmonisation de l'assiette, la Commission européenne semble plus soucieuse de faciliter la vie des entreprises que de créer un véritable impôt européen.
Il n'est pas opportun de chercher à « rogner » les allégements de charges sociales sur les bas salaires, qui sont un élément essentiel de la politique de l'emploi, sous le seul prétexte qu'elles ont un coût brut de l'ordre de 20 milliards d'euros. La question est de savoir comment financer la politique de baisse du coût du travail peu qualifié. Plutôt que d'augmenter la TVA, comme certains le préconisent, il me semblerait préférable de mettre en place une vraie fiscalité écologique. En tout cas, il faut que nous ayons un débat.
M. Jean Arthuis. - Oui.
M. Philippe Marini, président. - Il y a toutefois un problème : contrairement à la TVA, la fiscalité écologique a un objectif incitatif, et donc détruit son assiette !
- Présidence de Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente -
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Il faudrait instaurer une taxation de 100 euros la tonne de CO2. On en est loin !
Pour ce qui est des comparaisons du nombre de fonctionnaires entre la France et l'Allemagne, il faut tenir compte du fait que les périmètres ne sont pas les mêmes, et que s'il y avait plus de crèches ou de garderies en Allemagne, le taux d'activité des femmes y serait peut-être plus important !
Les conditions économiques ne sont pas propices à des cessions de participations de l'Etat dans des entreprises. Par ailleurs, si les cessions peuvent permettre de réduire la dette publique, elles n'améliorent pas le solde public au sens du traité de Maastricht.
En réponse à Roger Karoutchi, je précise que je n'ai pas dit que le Gouvernement avait eu tort d'augmenter le taux de prélèvements obligatoires. J'ai seulement souligné qu'il ne l'avait pas réduit, contrairement à ce à quoi il s'était engagé.
Marie-France Beaufils pourra trouver le coût annuel de la loi TEPA dans le rapport écrit.
En réponse à Francis Delattre, j'indiquerai que le parti socialiste est favorable, en matière d'imposition du revenu, à ce que la base soit la plus large possible. Le coût cumulé du bonus-malus automobile devrait être de 1,5 milliard d'euros de 2008 à 2011.
Je ferai observer à Joël Bourdin et à Marie-Hélène Des Esgaulx que je n'invente pas les chiffres.
Contrairement à Aymeri de Montesquiou, je ne pense pas que le « rabot » soit l'instrument approprié pour réduire les niches, en raison de son caractère indifférencié.
M. Jean Arthuis. - Les gouvernements doivent cesser de céder à la facilité consistant à augmenter les dépenses fiscales, pour ne pas avoir à augmenter les crédits.
A l'issue de ce débat, la commission donne acte de sa communication à Mme Nicole Bricq, rapporteure générale, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Loi de finances pour 2012 - Participation de la France au budget de l'Union européenne - Examen du rapport spécial
Puis, la commission procède à l'examen du rapport de MM. Marc Massion et Jean Arthuis, rapporteurs spéciaux, sur la participation de la France au budget de l'Union européenne (article 30 du projet de loi de finances pour 2012).
M. Marc Massion, rapporteur spécial. - C'est avec un grand plaisir que pour la première fois je vais rapporter ce matin devant vous, avec Jean Arthuis, la contribution française au budget communautaire dans le projet de loi de finances pour 2012, contribution qui prend la forme d'un prélèvement sur les recettes de l'Etat. L'article 30 de projet de loi de finances pour 2012, évalue ainsi ce prélèvement, voté chaque année en loi de finances, à 18,878 milliards d'euros, soit une augmentation assez marquée par rapport à celui voté pour 2011, avec une hausse de 646 millions d'euros, soit 3,5 %. Mais Jean Arthuis reviendra tout à l'heure de manière plus approfondie sur la question du montant de notre contribution.
Je voudrais commencer cette présentation en évoquant la négociation budgétaire communautaire pour l'année 2012, négociation qui est toujours en cours.
Comme à l'accoutumée, l'avant-projet de budget a été présenté par la Commission européenne le 20 avril dernier. La Commission a proposé une augmentation de 4,2 % des crédits d'engagement (CE) par rapport à 2011, soit 147,8 milliards d'euros. Les hausses concernent surtout les rubriques 1a « Compétitivité » et 3a « Liberté, sécurité et justice ». Les crédits de paiement (CP) affichent quant à eux une hausse de 4,9 % pour atteindre 132,7 milliards d'euros.
J'ai relevé que le projet de budget, adopté à une courte majorité par le Conseil le 25 juillet 2011, se veut plus rigoureux, ce qui est habituel sauf que cette pratique prend un sens encore plus significatif aujourd'hui, dans le contexte des efforts exigés en matière d'assainissement des finances publiques nationales et de stratégie de retour à l'équilibre budgétaire. Ainsi, des coupes importantes sont réalisées en CE et, surtout, en CP, ramenant respectivement la hausse pour 2012 à 3 % et 2,02 % par rapport à 2011. Ces coupes ont principalement pour origine la préoccupation exprimée par de nombreux Etats membres, dont la France, d'une discipline budgétaire renforcée.
Je vous renvoie, par exemple, à la fameuse « lettre des cinq », par laquelle, en décembre 2010, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Finlande avaient demandé une augmentation annuelle du budget communautaire limitée à l'inflation. Cet été, au sein du Conseil, si l'Allemagne et la France ont accepté de se rallier au compromis de la présidence polonaise, ce n'est que par pragmatisme. Je précise que six Etats membres ont voté contre le projet du Conseil : le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Finlande, la Suède, le Danemark et l'Autriche.
Enfin, je souligne que le Parlement européen devrait voter en séance plénière, ce 26 octobre, un budget assez éloigné du projet du Conseil mais relativement proche des propositions initiales de la Commission, s'il suit les propositions de sa commission des budgets. La commission des budgets du Parlement européen, appelée également COBU, propose ainsi, pour 2012, une hausse de 3,95 % des CE et de 5,23 % des CP. Il va sans dire que ces propositions d'augmentation des crédits rendront très difficiles les négociations entre les deux branches de l'autorité budgétaire lors de la phase de conciliation. Ces difficultés seront aggravées par la négociation qui s'est ouverte cette année concernant la future programmation 2014-2020.
C'est en effet à ce sujet que les tensions entre les Etats membres, la Commission et le Parlement européen sont les plus grandes.
La Commission a adopté le 29 juin 2011 une communication intitulée « un budget pour la stratégie Europe 2020 ». Elle y détaille, pour la première fois, des éléments chiffrés sur le prochain cadre pluriannuel. Les propositions de la Commission révèlent tout d'abord une priorité pour les dépenses de recherche et d'innovation (+ 60 % entre les deux programmations à périmètre comparable), la gestion des flux migratoires (même hausse), l'action extérieure (+ 40 %). Elles se caractérisent de plus par la poursuite de la politique de cohésion (+ 11 %) et la stabilité de la PAC (nonobstant son verdissement, avec 30 % des aides qui seraient désormais liées à l'environnement). Les dépenses administratives ne sont pas en reste puisqu'il s'agirait d'une hausse de 25 %, loin de la maîtrise qui devrait être de rigueur.
Sur sept ans, il s'agirait au total de 972 milliards d'euros de CP. Mais ces propositions ne sont pas fiables :
- par un premier artifice dans sa présentation, la Commission minore les crédits qui seront mobilisés. Sa communication est en effet réalisée en euros constants et en CE, alors que seule une présentation en CP et en euros courants permettrait d'apprécier l'impact réel des propositions sur les contributions nationales : la réalité de l'augmentation de la dépense qui, chaque année, devra être réévaluée de l'inflation est volontairement masquée. J'observe que tous les Etats membres calculent leurs contributions en euros courants et qu'ils font de même avec leurs programmations pluriannuelles quand ils en utilisent ;
- par un second artifice, la Commission dissimule les tensions importantes que sa programmation exercera sur les finances des Etats membres, elle multiplie ainsi les débudgétisations incompréhensibles qui dégonflent artificiellement son projet. Non seulement sont maintenus hors budget général de l'UE et hors cadre financier pluriannuel, le fonds européen de développement (FED) et les mécanismes de stabilisation financière, mais surtout passent hors budget des politiques pourtant communautaires et financées sous plafond dans le cadre actuel, à l'image des dépenses relatives à ITER et au programme européen de surveillance de la Terre.
En euros courants, avec le périmètre classique de financement de l'UE auquel on ajouterait le FED et d'autres politiques débudgétisées, le total de dépense serait de 1 156 milliards d'euros en CP, soit 184 milliards d'euros de plus que le projet de la Commission.
En bref, par des artifices de présentation et des débudgétisations inacceptables, la Commission européenne formule un projet de programmation pour 2014-2020 qui représente une entorse au principe de sincérité budgétaire. En outre, le niveau de dépenses proposé est tout simplement insoutenable et contredit notre stratégie de retour à l'équilibre. Ce seul motif suffirait à motiver le choix de l'abstention quant à l'article 30 de notre projet de loi de finances pour 2012. J'ajoute à cela mon désaccord profond avec la diminution de 76 % des crédits du programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD), proposée par la Commission européenne, soit 113 millions d'euros en 2012 au lieu de 500 millions d'euros ; l'enveloppe allouée à la France au titre du PEAD passerait même de 73 millions d'euros à 15,9 millions d'euros, soit une baisse de 80 %.
Les remarques qui vont nous être faites maintenant sur le montant de la contribution française au budget communautaire en 2012 devraient, elles aussi, encourager la stratégie d'abstention que je préconise.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. - Je remercie Marc Massion de nous avoir fourni ces éléments si riches d'enseignements. J'indique que je partage ses analyses, tout particulièrement s'agissant des propositions inacceptables de la Commission européenne.
Je voudrais formuler tout d'abord quelques remarques sur le montant du prélèvement qui est l'objet de notre débat ainsi que sur l'évolution de notre solde net.
Le rythme d'augmentation du prélèvement entre 2011 et 2012 qu'il nous est proposé de voter à travers l'article 30 de projet de loi de finances pour 2012 est de 3,5 %. Cette hausse de 646 millions d'euros, qui porte l'estimation de notre contribution à 18,878 milliards d'euros, résulte aux deux tiers de l'évaluation des besoins de financement de l'UE, le reste s'expliquant par divers facteurs assez complexes.
Nous savons d'expérience qu'au terme de l'exécution 2012, des ouvertures nouvelles en CP seront intervenues et qu'entre le montant du prélèvement affiché dans notre article 30 et ce qu'il sera finalement, il y aura des écarts, favorables ou défavorables au demeurant. J'appelle en effet votre attention sur les écarts considérables constatés entre la prévision et l'exécution du prélèvement. En 2011, il est peut-être possible que l'on assiste à une exécution plus conforme aux prévisions : à ce jour la surestimation serait ainsi quasi-nulle, de l'ordre de 4 millions d'euros, mais des corrections sur exercices antérieurs pourraient in fine aboutir à une sur-exécution de l'ordre d'une centaine de millions d'euros. Je vous ai rappelé ces données pour vous dire que l'estimation du prélèvement soumise au vote du Parlement doit être plus précise et plus fiable.
Pour aller au-delà du sujet du prélèvement lui-même, je précise que la France devrait demeurer en 2012 le deuxième contributeur au budget communautaire derrière l'Allemagne, la part de sa contribution représentant 16,4 % du total des ressources de l'UE, part qui semble, enfin, se stabiliser. La France a par ailleurs remplacé depuis 2006 l'Espagne au rang de premier pays bénéficiaire en recevant environ 12 % des dépenses de l'UE, mais cette situation qui se dégrade est de plus très fragile puisqu'elle ne résulte essentiellement que du poids de la PAC. 75 % des crédits européens dépensés en France sont en effet des dépenses agricoles. Réjouissons-nous à cet égard que les propositions de la Commission européenne aillent dans le sens d'un maintien des dépenses agricoles à un niveau équivalent dans la prochaine programmation.
Je poursuis avec l'épineuse question des soldes nets. Question récurrente et délicate car elle entretient un état d'esprit en contradiction avec le projet communautaire, qui doit s'élever au-dessus de ces considérations de boutiquiers. Cela étant, soyons bien conscients que ce qui mobilise la plupart de nos partenaires, c'est bien leur solde net et le gain qui en résulte dans une sorte de coupe d'Europe des égoïsmes nationaux. Entre 2009 et 2010, la France est passée du rang de troisième à celui de deuxième contributeur net au budget communautaire en volume et du rang de huitième à celui de septième contributeur net en pourcentage du revenu national brut. Notre situation ne cesse donc de se dégrader depuis dix ans : notre solde net représentait moins de 400 millions d'euros en 1999, mais il a été multiplié par treize en dix ans et dépasse le seuil des 5 milliards d'euros depuis 2008. C'est sans doute le prix de notre attachement à la PAC. De même que nous avons dû faire des compromis pour obtenir la TVA à 5,5 % dans la restauration. La multiplication des rabais et des corrections témoigne de ces marchandages incessants, dont nous sommes l'un des rares contributeurs nets, avec l'Italie et le Danemark, à ne pas bénéficier. Aujourd'hui, outre le Royaume-Uni, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et l'Autriche profitent en effet eux-aussi de diverses corrections en leur faveur.
Bien-sûr, je voudrais, comme avait l'habitude de le rappeler à juste titre notre ancien collègue rapporteur spécial, Denis Badré, souligner la faiblesse de ces analyses en termes de « retour net », qui ignorent les contributions incalculables de la construction européenne : la libre circulation, l'ouverture des Etats les uns vers les autres, et la généralisation de valeurs et, plus particulièrement, celles de la démocratie, de la paix et de la liberté, à défaut de celle de la sincérité des comptes publics.
Toutefois je ne crois pas que l'on puisse en ces temps difficiles faire l'économie d'une analyse en termes de soldes nets. Il convient bien entendu de ne pas s'enfermer dans de telles grilles d'analyses, mais on ne peut pas non plus les écarter.
Trois points pour conclure mon intervention :
- contrairement à ce que laisserait penser le travail de la Commission européenne, l'Europe ne peut pas se placer en-dehors des efforts exigés en matière d'assainissement des finances publiques. A cet égard, je recommande un renforcement de la mise en oeuvre vigilante du principe de subsidiarité, au regard duquel devraient être systématiquement examinés le budget, le fonctionnement et les politiques de l'Union européenne ;
- dans le système communautaire actuel, les parlementaires nationaux se limitent à autoriser un prélèvement sans en discuter ni le montant, ni l'usage qui en sera fait à travers les dépenses de l'Union européenne. Une telle situation n'est pas satisfaisante. Un budget dont les dépenses sont arrêtées par les autorités communautaires, mais dont 85 % des ressources restent dépendantes de décisions des parlements nationaux, porte atteinte au principe du consentement à l'impôt, essentiel dans une démocratie ;
- une plus grande reconnaissance du rôle des parlements nationaux paraît donc nécessaire. Nous devons prendre toute notre place dans la coordination des finances publiques des Etats membres et dans la réflexion en cours sur la réforme du budget communautaire. Il pourrait en être ainsi pour la préparation des conseils européens.
Pour l'heure, Marc Massion et moi-même vous recommandons de vous abstenir quant au vote sur l'article 30 de notre projet de loi de finances pour 2012. Il s'agit d'une contribution obligatoire mais il est utile de faire part de notre humeur. J'ajoute, à titre personnel, mon incompréhension à l'égard de la Commission européenne et du Conseil qui ont laissé filer la Grèce dans une politique de trucage et de maquillage de ses comptes publics, transformant ainsi le Pacte de stabilité et de croissance en pacte de tricheurs et de menteurs. Voici un motif supplémentaire pour justifier mon abstention.
Mme Michèle André. - Je me demande si la discussion est encore ouverte s'agissant du PEAD et s'il est encore possible d'intervenir afin de débloquer les crédits. Cette question inquiète beaucoup les associations, notamment les banques alimentaires, qui se sentent abandonnées.
M. Marc Massion, rapporteur spécial. - 500 millions d'euros sont bien prévus dans le projet de budget pour 2012 ; ce qui manque c'est une décision de la Commission européenne prévoyant l'utilisation de la totalité de ces crédits.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. - De telles dépenses doivent-elles réellement relever de l'Union européenne ou des Etats membres ? Pourquoi l'Europe s'occupe-t-elle de l'aide alimentaire ? Alors qu'on rappelle tout le temps le principe de subsidiarité, j'évoque des doutes pour ma part.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - A l'origine, ce programme devait permettre une utilisation des excédents alimentaires constitués grâce à la PAC. Ces derniers n'existant plus, la justification d'une politique communautaire est moins fondée. Toutefois, je suis favorable à ce que la solidarité s'exerce dans un cadre plus large que les Etats membres.
M. Jean-Paul Emorine. - Je m'interroge sur l'utilisation de la notion de soldes nets, étant un européen convaincu. Si nous voulons construire l'Europe il faut bien que certains paient et la solidarité financière paraît donc nécessaire, je ne partage donc pas totalement l'analyse de Jean Arthuis. Par ailleurs, dans la mesure où le PEAD ne repose plus sur les excédents agricoles, je propose d'imputer son coût à la politique de cohésion et non plus à la PAC. S'agissant de la Grèce, comme l'a montré l'audition du ministre des affaires européennes, Jean Leonetti, le 25 octobre 2011, par la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire du Sénat, il est indispensable que, dès lors que l'Europe apporte des concours financiers, elle impose un cahier des charges rigoureux, tout particulièrement en matière fiscale. Enfin, je partage la proposition des rapporteurs de demander l'abstention sur l'article 30 du PLF pour 2012.
M. François Marc. - Je souscris également à la proposition qui nous est faite de nous abstenir, parce qu'il y a plusieurs motifs d'insatisfaction. Cette année, dans le cadre de la préparation d'un rapport au nom de la commission des affaires européennes sur les perspectives pluriannuelles 2014-2020, j'ai rencontré notre représentant permanent à Bruxelles, Philippe Etienne, qui résume de façon éloquente la situation des finances communautaires par l'expression suivante : « il est difficile de faire entrer la couette dans l'édredon ». On souhaite, en effet, tout à la fois conserver les politiques actuelles, telles que la cohésion ou la PAC, au même niveau et répondre aux enjeux de compétitivité exigés par la stratégie Europe 2020 par des dépenses nouvelles ; or une telle équation est impossible à tenir. Et la débudgétisation n'est pas une solution, il s'agit au contraire d'un pis-aller.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. - C'est du maquillage !
M. François Marc. - La difficulté est en fait de savoir comment démultiplier les recettes. De nouveaux modes de financement doivent être identifiés, à l'instar des « project bonds », obligations dont le produit serait affecté à des grands projets d'infrastructures européennes. Il est important que la France mette en avant cette préconisation. Il faut inventer et concrétiser un effet de levier pour le budget communautaire.
M. Gérard Miquel. - Ma question porte sur la politique de cohésion. La France se singularise par des dépenses européennes qui transitent par l'Etat. Je connais cependant l'exemple de la région Alsace qui gère directement à titre expérimental certains crédits communautaires. Pourquoi ne pas confier aux régions la gestion des dotations issues de l'Union européenne ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Contrairement à ce qui a été dit, je souhaite voter pour l'article 30 du projet de loi de finances pour 2012 et le voir adopté. Comme cela a été rappelé, nous sommes deuxième contributeur au budget communautaire, mais nous en sommes également le premier bénéficiaire, à la faveur notamment de la PAC. Je voudrais être logique avec mes précédentes interventions, qui portaient par exemple sur la pêche et l'ostréiculture. J'estime en effet que s'abstenir n'aiderait pas notre pays, notamment dans le contexte des discussions qui ont lieu en ce moment.
M. Pierre Jarlier. - Pour ma part, je m'abstiendrai pour les raisons évoqués par les deux rapporteurs spéciaux. Par ailleurs, je souhaite revenir sur la crise grecque et prolonger les propos tenus par Jean Arthuis. Pourquoi n'a-t-on pas su contrôler efficacement les comptes de la Grèce ? Quand je vois les contrôles parfois tatillons exercés par les autorités européennes sur le territoire national, y compris pour des sommes très faibles, je ne comprends pas pourquoi la situation d'un Etat est passée entre les mailles de leur vigilance. Je trouve également inacceptable que l'on réduise le PEAD alors que le budget de l'UE augmente.
M. Marc Massion, rapporteur spécial. - Pour répondre à Marie-Hélène Des Esgaulx, il ne s'agit pas de voter un budget mais de voter l'autorisation d'un prélèvement sur les recettes de l'Etat, ce qui est différent. L'Europe donne des leçons aux Etats membres, or elle laisse déraper ses dépenses. Il faut aujourd'hui alerter sur cette dérive.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. - En réponse à Jean-Paul Emorine, je reconnais le caractère sordide du débat sur les soldes nets. Le problème c'est que nos partenaires utilisent ce raisonnement. Chaque fois que l'on cherche à obtenir un accord sur tel ou tel point, c'est en contrepartie d'avantages accordés à d'autres Etats.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Comme la TVA à 5,5 % dans la restauration.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. - Oui, et je l'ai dit. Je voudrais qu'on effectue un travail complémentaire sur les motifs de ces concessions accordées à travers les multiples rabais et corrections à certains Etats membres. Elles mettent en péril le pacte européen. L'Europe est attendue pour réguler les marchés financiers ou pour encadrer la spéculation pas pour ce type de marchandages. Ces concessions entraînent souvent des coûts cachés que nous devrions regarder d'un peu plus près. Par ailleurs, je suis d'accord avec les différentes observations de Jean-Paul Emorine sur le PEAD, mais la disparition des excédents conduit à renvoyer ces actions d'urgence vers les Etats membres. Pour ce qui concerne les remarques de François Marc, je ne comprends pas qu'on ait laissé la Grèce maquiller ses comptes, au nom d'une prétendue souveraineté nationale. De plus, les débudgétisations ne sont évidemment pas la solution, c'est, là aussi, du maquillage. Quant aux « project bonds », cela ne me semble pas être une bonne piste à explorer : ce serait une façon de reporter les dettes nationales vers un endettement européen. Enfin, à propos de la régionalisation évoquée par Gérard Miquel, il s'agit d'une question très politique à laquelle je n'ai pas la réponse. Mais il faut bien laisser du travail aux préfectures.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - J'appuie également la recommandation de l'abstention. François Marc nous l'a bien démontré, nous sommes à la fin d'un cycle, nous ne pouvons plus négocier le budget communautaire comme auparavant, avec tous ces petits critères traditionnels, ces rabais et ces rabais sur les rabais. Et la crise que nous traversons est révélatrice de ce point de vue. Je constate que Jean Arthuis a adopté la position de l'Allemagne, qui consiste à poser comme préalable le retour à l'équilibre budgétaire. Les Etats de l'UE ne veulent plus s'endetter mais si l'on veut faire de l'Europe une zone de croissance forte, il faudra bien investir. En effet, pour relancer la croissance dans la compétition mondiale, nous devrons engager des dépenses nouvelles, en particulier des investissements dans le domaine de l'innovation. S'endetter pour faire de la croissance ne me gêne pas du tout si cela correspond à une stratégie de compétitivité et c'est au demeurant l'enjeu des eurobonds. Il faudra bien entendu faire attention à nos comptes mais je note que nous sommes quasiment déjà dans une fédération budgétaire, à l'image du « paquet gouvernance » adopté en septembre 2011 ; il ne faut simplement pas en rester là. Si l'on va vers le fédéralisme budgétaire sans lutter efficacement dans la compétition mondiale, nous mourrons comme les étrusques, heureux, mais nous mourrons. C'est une conviction profonde.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. - Dans la compétition internationale, il y a des pays qui produisent plus qu'ils ne consomment et dégagent donc des excédents, mais nous faisons partie des pays qui consomment plus qu'ils ne produisent, dans une sorte de pacte entre les actionnaires, les dirigeants d'entreprises et les consommateurs. Si l'on ne change pas profondément cet état de fait, la situation ne fera qu'empirer. Je suis donc favorable à des mesures qui relancent la croissance, mais à la condition fondamentale que des réformes structurelles permettent de faire évoluer notre modèle économique. A défaut, nous ne bénéficierons que d'un système de soins palliatifs, à travers des fonds souverains qui viendront soutenir notre consommation de produits importés, au prix de notre souveraineté et de notre indépendance.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Les campagnes présidentielles et législatives de l'année prochaine permettront de débattre de ces questions. Comme je le dis souvent, on attend toujours l'harmonisation sociale et fiscale en Europe ; or il s'agit d'une question essentielle pour avancer aujourd'hui. Bien qu'une majorité semble se dégager en faveur de l'abstention, j'adopterai pour ma part une position de rejet de l'article 30 du projet de loi de finances pour 2012.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je ne comprends pas : la commission est pour ou contre les crédits, ou bien s'en remet à la sagesse du Sénat, mais que signifie le fait qu'elle préconise l'abstention ?
A l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'abstention sur l'article 30 du projet de loi de finances pour 2012.
Loi de finances pour 2012 - Mission Santé - Examen du rapport spécial
La commission procède enfin à l'examen du rapport de M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur spécial, sur la mission « Santé » (et article 60).
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur spécial. - Je ferai une présentation rapide de la mission « Santé » en ne revenant que sur les points essentiels. 1,38 milliard d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement sont demandés, en 2012, au titre de cette mission. Une augmentation de l'enveloppe de la mission de près de 13 % peut donc être constatée entre 2011 et 2012. Néanmoins, il ne s'agit que d'une évolution optique puisqu'elle résulte de la budgétisation du financement de l'Agence française de sécurité du médicament et des produits de santé (AFSSAPS). Le Gouvernement a souhaité rompre le lien entre l'industrie pharmaceutique et cette agence, financée en partie par la taxe annuelle sur les médicaments. Cette mesure fait suite au scandale du Mediator et constitue une bonne initiative. Désormais, l'AFSSAPS doit être financée par une dotation de l'État s'élevant à 134,9 millions d'euros en 2012, inscrite dans le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » de la mission.
Ce programme comprend également les crédits destinés aux agences régionales de santé (ARS) au titre de leurs dépenses d'intervention relevant de la prévention et de la sécurité sanitaire, soit 182,46 millions d'euros en 2012. Une réduction de ces dotations est prévue puisque ces crédits s'élevaient à 189,36 millions d'euros en 2011. Je souhaiterais reprendre les remarques qui avaient été formulées par mon prédécesseur Jean-Jacques Jégou concernant l'opacité entourant les ressources des ARS. Comme lui, je souhaiterais que le Parlement puisse bénéficier d'éléments plus substantiels sur la construction du budget de ces agences mais également sur l'utilisation faite des crédits qui leurs sont alloués.
J'en arrive maintenant au programme 183 « Protection maladie » qui regroupe 638 millions d'euros en 2012. Ces crédits sont destinés au financement, à hauteur de 588 millions d'euros, de l'aide médicale d'État (AME) et, pour 50 millions d'euros, du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA). Ces deux dotations sont stables par rapport à 2011.
Je désirerais tout d'abord revenir sur la dotation d'équilibre versée par l'État au Fonds CMU, également inscrite au titre de ce programme. Pour la quatrième année consécutive, cette subvention sera nulle en 2012. Le Fonds est en effet financé depuis 2009 par une taxe de solidarité additionnelle due par les organismes complémentaires. Je redoute néanmoins que son équilibre financier soit menacé en 2012. La croissance du produit de la taxe affectée au Fonds CMU semble surestimée par le Gouvernement. Par ailleurs, les dépenses du Fonds devraient être dynamiques en 2012, du fait du relèvement du plafond de ressources de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS). À cet égard, le Gouvernement a déposé à l'Assemblée un amendement dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 tendant à relever à nouveau ce profond de ressources. Celui-ci ne passerait pas de 26 % à 30 % au-dessus du plafond de ressources retenu pour la CMU-c en 2012, mais de 26 % à 35 %. Bien évidemment, cet élargissement du dispositif ne peut qu'être salué. Toutefois, un « effet de ciseau » est susceptible de se produire si les dépenses croissent plus rapidement que les ressources du Fonds au cours de l'exercice 2012. Or, le rendement de la taxe de solidarité additionnelle due par les organismes complémentaires pourrait diminuer l'an prochain. La hausse du taux de la taxe sur les conventions d'assurance pour les contrats d'assurance maladie complémentaire « solidaires et responsables », décidée lors du collectif budgétaire de septembre dernier, pourrait en effet en réduire sensiblement l'assiette.
Enfin, je souhaite m'arrêter plus particulièrement sur le financement de l'AME. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les crédits alloués à ce dispositif sont stabilisés à 588 millions d'euros en 2012. Récemment, de nombreuses restrictions à l'accès à l'AME ont été décidées. Le projet de loi de finances pour 2011 a ainsi créé un panier de soins conduisant à exclure la prise en charge de certaines prestations médicales, alors même que le dispositif ne couvre pas de soins « de confort ». En outre, il a été prévu la mise en place d'un agrément préalable pour les soins hospitaliers programmés coûteux. Enfin, un droit de timbre de 30 euros a été institué, que tout bénéficiaire majeur doit acquitter annuellement. Ces restrictions sont d'autant plus inquiétantes que l'AME n'a pas seulement une vocation humanitaire, mais répond aussi à des impératifs de santé publique.
Venons-en à l'article rattaché à la mission « Santé ». Il s'agit de l'article 60 du projet de loi de finances pour 2012. Celui-ci prévoit la création d'un dispositif de couverture mutualisé des risques exceptionnels de responsabilité civile des professionnels de santé exerçant à titre libéral.
Actuellement, lorsqu'un professionnel de santé est condamné à verser une indemnisation dont le montant est supérieur au plafond de garantie prévu dans son contrat d'assurance, celui-ci n'est pas assuré et engage sa responsabilité sur son propre patrimoine. Il s'agit de ce que l'on appelle un « trou de garantie ».
Le dispositif proposé vise à combler ce « trou de garantie ». À cet effet, il prévoit qu'un fonds prend en charge le montant des indemnisations dépassant le plafond de couverture fixé par le contrat d'assurance du professionnel de santé. Ce plafond doit être porté de trois à huit millions d'euros par voie réglementaire.
Il est également prévu que le fonds de garantie soit financé par une contribution annuelle comprise entre 15 et 25 euros versée par l'ensemble des professionnels de santé. Ce montant pourra être modulé en fonction de la spécialité exercée. Non coûteux pour les finances publiques et financé par les professionnels de santé eux-mêmes, il me semble que ce dispositif va dans le bon sens, d'autant qu'il renforce la sécurité juridique de ces derniers.
Je vous propose donc d'adopter cet article sans modification.
En ce qui concerne le budget, j'estime préférable de recommander à la commission de réserver sa position sur l'adoption des crédits de la mission « Santé ».
M. Yannick Botrel. - Je souhaiterais intervenir sur un point particulier, celui de la CMU. Il est assez fréquemment fait état de certaines réticences des professionnels de santé à soigner les bénéficiaires de la CMU. Existe-t-il des analyses précises réalisées sur ce sujet ?
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Les refus d'accueillir les bénéficiaires de la CMU sont en effet très nombreux, notamment en ce qui concerne les soins dentaires.
Mme Michèle André. - Je soutiens notre rapporteur lorsqu'il souligne la nécessité de s'intéresser davantage aux ARS. Ces agences sont un « État dans l'État ». Il y a quelques jours, le directeur de l'ARS d'Auvergne, invité à s'exprimer devant le conseil général du Puy-du-Dôme, affirmait qu'il n'avait de comptes à rendre à personne, étant nommé en Conseil des ministres par le président de la République. Les ARS ont pourtant des comptes à rendre au Parlement. Il serait intéressant de mener des investigations poussées sur le financement de ces agences.
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur spécial. - Un nombre important de refus de soins m'a également été rapporté, notamment ce qui concerne la capitale et la région parisienne. Des associations se sont engagées dans une démarche de « testing » afin d'identifier les praticiens refusant d'accueillir les bénéficiaires de la CMU et de mesurer l'ampleur de ce phénomène. En tout état de cause, cette situation est extrêmement préoccupante. Notre commission pourrait se pencher sur cette question et dresser un bilan plus précis de ces refus de soins.
Il est certain que le Parlement souffre d'un manque de visibilité sur la construction du budget de ces ARS, mais aussi sur l'utilisation qui est faite des crédits qui leurs sont affectés. Ces agences n'ont qu'un an d'existence. Nous disposons par conséquent d'un recul encore insuffisant pour apprécier leur fonctionnement. Toutefois, le Parlement doit disposer d'une information plus précise sur leur financement.
Je m'interroge par ailleurs sur la politique de contractualisation des ARS avec les collectivités territoriales. Les démarches conventionnelles initiées par les collectivités sont très difficiles à faire aboutir.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Je remercie le rapporteur. J'appuie sa proposition invitant la commission à réserver sa position sur l'adoption des crédits de la mission « Santé ». Je partage également ses interrogations concernant les restrictions qui ont été apportées à l'accès à l'AME.
A l'issue de ce débat, la commission des finances décide de réserver sa position sur les crédits de la mission « Santé » et de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 60 du projet de loi de finances pour 2012.
- Présidence de Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente -
Bilan de la réforme des offices agricoles et de la création de l'agence de services et de paiement (ASP) - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
Au cours d'une seconde réunion tenue l'après-midi, la commission procède tout d'abord à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le bilan de la réforme des offices agricoles et de la création de l'agence de services et de paiement (ASP).
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Nous voici réunis pour la dernière des trois auditions qui ont eu lieu cette semaine et la semaine dernière, suite à des enquêtes réalisées par la Cour des comptes, à la demande de la commission des finances du Sénat.
L'enquête qui nous occupe aujourd'hui concerne le bilan de la réforme des offices agricoles et de la création de l'agence de services et de paiement (ASP).
Nos collègues Yannick Botrel et Joël Bourdin, rapporteurs spéciaux de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales » suivent ce dossier avec attention mais nous devons plus particulièrement cette enquête à Joël Bourdin qui était seul rapporteur spécial de la mission en décembre dernier, lorsque la commission des finances a saisi la Cour de cette question.
Depuis les dernières élections sénatoriales, notre commission a eu le plaisir d'accueillir dans ses rangs Yannick Botrel, qui co-rapportera donc désormais avec Joël Bourdin les crédits de cette mission.
Nos collègues de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire ont été invités à cette audition et notre réunion est ouverte à la presse.
Nous recevons aujourd'hui pour la Cour des comptes, M. Christian Descheemaeker, président de la septième chambre, MM. Alain Doyelle et Didier Guédon, conseillers maîtres, et Mme Michèle Coudurier, conseillère référendaire. Pour l'ASP, nous entendrons M. Edward Jossa, président-directeur général. FranceAgriMer est représenté par son directeur général, M. Fabien Bova. Enfin, pour le ministère de l'Agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, nous recevons MM. Jean-Marc Bournigal, directeur du cabinet du ministre, et Philippe Helleisen, conseiller budgétaire.
Afin de préserver une possibilité de débat, j'invite les représentants de la Cour des comptes et des administrations concernées à se limiter aux principales observations. Ensuite, chaque commissaire pourra librement poser ses questions.
J'indique, enfin, aux membres de la commission des finances qu'ils devront prendre une décision sur la publication de l'enquête de la Cour des comptes au sein d'un rapport d'information.
M. Yannick Botrel, rapporteur spécial. - Permettez-moi avec Joël Bourdin de revenir sur les motifs qui sont à l'origine du choix de la commission des finances de confier à la Cour des comptes une enquête sur le bilan de la réforme des offices agricoles ainsi que la création de l'ASP.
Tout d'abord, cette investigation fait suite à des voeux exprimés tant par l'ancien président de la commission, Jean Arthuis, que par Joël Bourdin en sa qualité de rapporteur spécial. C'est un rapport particulier relatif aux comptes et à la gestion de l'office national interprofessionnel des grandes cultures (ONIGC) qui avait en effet conduit, en 2009, le Président Arthuis à envisager un contrôle portant sur les offices agricoles.
Dès 2001, la Cour avait dans son rapport public, suite à un contrôle portant sur la gestion des aides européennes à l'agriculture, relevé le caractère complexe et coûteux des offices et suggéré leur regroupement. Il existait alors treize structures, dont dix offices agricoles coordonnés par l'agence centrale des organismes d'intervention dans le secteur agricole (ACOFA). D'après ce rapport, la gestion des offices se caractérisait par une absence de transparence et par la difficulté d'exercer efficacement les contrôles. La Cour avait recommandé une rationalisation de la gestion des aides communautaires à l'agriculture en France.
Depuis dix ans, la Cour des comptes a donc appelé l'attention des pouvoirs publics sur la pertinence d'un remaniement du dispositif national d'interventions en matière agricole.
Différentes réformes étant intervenues entre-temps, notamment la création de l'ASP, mais aussi la fusion de la plupart des offices agricoles dans FranceAgriMer, il a semblé utile de dresser un bilan de ces mesures.
Les fusions se sont-elles déroulées dans de bonnes conditions ? Conduisent-elles à des résultats satisfaisants ? Permettent-elles par exemple de dégager des économies ou débouchent-elles à l'inverse sur des coûts majorés ? En outre, les réformes réalisées sont-elles suffisantes par rapport à ce qui serait possible ou souhaitable ?
Voici quelques questions auxquelles la commission des finances espère qu'il lui sera plus facile de répondre au terme de cette enquête.
Pour conclure, je salue l'excellent travail des magistrats de la Cour des comptes, et c'est avec grand intérêt que j'ai pu échanger avec eux ces derniers jours.
M. Joël Bourdin, rapporteur spécial. - Pour prolonger les propos de mon collègue, je rappelle que le travail demandé par la commission des finances à la Cour des comptes visait aussi à contrôler la mise en oeuvre des réformes engagées dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP).
Il y a un an, dans mon rapport sur la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales », dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2011, j'avais observé que « les réformes des opérateurs du programme 154 appelées par la RGPP, semblent encore loin de permettre des économies dignes de ce nom ».
Pourtant, depuis le 1er avril 2009, en conséquence du mouvement de réforme impulsé par loi du 5 janvier 2006 d'orientation agricole et ainsi que par les décisions du Conseil de modernisation des politiques publiques adoptées le 12 décembre 2007 dans le cadre de la RGPP, le paysage institutionnel des offices agricoles a été profondément réformé.
Deux axes de réforme avaient été retenus en 2007 :
- la création d'une grande agence de paiement par la fusion entre le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) et l'Agence unique de paiement (AUP) ;
- la fusion des offices agricoles dans une structure unique.
Le premier axe devait conduire, à l'horizon 2010, à un gain en effectifs compris entre 600 et 730 ETPT et à une économie budgétaire située entre 33 et 40,7 millions d'euros. Le second axe, à savoir la fusion des offices agricoles dans FranceAgriMer, devait conduire à un gain en effectifs de 260 ETPT et à une économie budgétaire de l'ordre de 15,4 millions.
Quid de ces objectifs fixés par le Gouvernement et qui concernent les gestionnaires de près de 18 milliards d'aides diverses ? La réduction des effectifs se traduit-elle par la baisse des dépenses de personnel ? A quel prix a-t-on pu éviter les conflits sociaux ? A-t-on pu rationaliser les implantations immobilières de ces structures ? Les dépenses informatiques n'ont-elles pas explosé au terme de ces fusions ambitieuses ? Comment assurer une meilleure articulation entre les interprofessions et FranceAgriMer ? En outre, le maintien de deux organismes payeurs avec une compétence géographique limitée - l'Office du développement agricole et rural de Corse (Odarc) et l'Office de développement de l'économie agricole des départements d'outre-mer (Odeadom) - est-il justifié ?
Voici quelques questions auxquelles je souhaite que cette audition permette de répondre et je remercie à mon tour les magistrats de la Cour des comptes pour leur travail de très grande qualité. Je remercie également les autres intervenants présents devant nous d'avoir bien voulu venir éclairer la représentation nationale sur ce sujet.
M. Christian Descheemaeker, président de la septième chambre de la Cour des comptes. - L'enquête demandée par votre commission à la Cour des comptes s'est déroulée de janvier à mai 2011 et a donné lieu avec les organismes concernés et avec le ministère à une procédure contradictoire.
Tout d'abord, le rapport rappelle les circonstances dans lesquelles la réforme des offices agricoles s'est faite : la réforme a été initiée en 2003 dans le cadre de la réforme de la PAC et elle a connu deux temps. D'abord, un rythme lent avec la réduction de douze à huit au 1er juin 2006 du nombre des organismes nationaux intervenant en matière agricole. Cette première phase a duré trois ans et demi. Ensuite, le rythme s'est accéléré avec une deuxième phase initiée à l'occasion de la RGPP. Cette phase a duré vingt-et-un mois et le nombre d'organismes est passé à quatre au 1er avril 2009 : deux organismes à compétences larges - l'ASP, héritière du CNASEA et de l'AUP - et FranceAgriMer. Ensuite, deux organismes à compétence géographique spécifique : l'Odeadom et l'Odarc.
Si cette réforme en deux temps a été complexe à mener, elle a néanmoins abouti et les mesures issues de la RGPP de 2007 ont été rendues possibles par la première phase plus lente de cette réforme. Un signe positif à noter : les bénéficiaires des aides n'ont subi que de très faibles retards dans les versements qui leur étaient dus.
J'en viens à la situation actuelle. Il existe désormais quatre opérateurs : le premier est l'ASP, qui verse 9,5 milliards d'euros d'aides agricoles sur un total distribué de 16,5 milliards, cette différence s'expliquant par le fait que l'ASP, comme le Cnasea auparavant, intervient dans d'autres secteurs que l'agriculture, notamment l'emploi et la formation professionnelle. L'ASP est donc un grand guichet qui distribue quantité d'aides. 85 % des aides agricoles concernent le premier pilier de la PAC et les 15 % restant le second pilier.
Le deuxième opérateur est FranceAgriMer, qui verse 1,2 milliard d'euros d'aides exclusivement agricoles, en majorité de crédits nationaux.
Le troisième est l'Odeadom, qui verse environ 250 millions d'euros et ses aides sont très majoritairement européennes : il s'agit des programmes d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Posei), soit l'équivalent du premier pilier de la PAC pour l'outre-mer.
Enfin, dernier opérateur : l'Odarc distribue un peu plus de 25 millions d'euros d'aides agricoles sur les crédits de la collectivité territoriale de Corse, de l'Etat et, enfin, de façon très minoritaire, de l'Europe.
Les trois premiers organismes qui sont des établissements publics de l'Etat - à la différence de l'Odarc, qui a un statut d'établissement public territorial - se sont vu assigner des objectifs de performance par leur autorité de tutelle, mais ces objectifs ont été fixés tardivement.
Un des buts de la réforme était la réduction des effectifs : de 4 000 en 2007, ils doivent être aujourd'hui légèrement supérieurs à 3 500, dont environ 2 200 à l'ASP, 1 250 à FranceAgriMer et 40 à l'Odeadom.
L'organisation sur le terrain est très différente d'un organisme à l'autre. L'Odeadom n'a pas de services déconcentrés et fait appel pour certaines tâches aux services du ministère de l'agriculture. L'ASP dispose d'un important réseau territorial mais délègue certaines tâches aux services du ministère, et FranceAgriMer fait de même.
La critique formulée par la Cour des comptes avant la réforme reste donc valable : le dispositif de distribution des aides hésite entre la logique « services de l'Etat » et la logique « offices ». Or, les ordonnateurs ne sont pas les mêmes et les comptables publics non plus, d'où un mélange qui conduit assez souvent à ne plus savoir qui est responsable de l'ordonnancement et du paiement. On se retrouve avec deux ordonnateurs d'un côté et deux comptables de l'autre, ce que la réforme n'a pas amélioré.
La rationalisation immobilière est, elle, bien avancée. En région parisienne, les offices sont regroupés depuis 2007 à Montreuil dans un immeuble de 33 000 m2, nommé l'Arborial, qui est loué à une compagnie d'assurance. Le regroupement géographique a précédé les fusions d'organismes mais cette rationalisation appelle quelques remarques. L'ASP continue, comme le Cnasea avant elle, à avoir une double implantation centrale, Montreuil qui est normalement une antenne, et Limoges qui devrait être le siège. Les surfaces par agent à Montreuil devraient être réduites, la RGPP étant plus exigeante que ne l'était la tradition dans la fonction publique. Or, et c'est dommage, le bail conclu avec la compagnie d'assurance et dont le loyer se monte à 14,3 millions par an, ne permettait de réduire les surfaces louées que jusqu'au 31 mai 2011. L'occasion n'a donc pas été saisie. Pour densifier l'occupation de l'Arborial, il n'y a plus qu'une solution : faire venir d'autres services ; puisqu'on ne peut plus soustraire des surfaces, il faut ajouter des agents. C'est d'ailleurs ce qui a été fait avec l'arrivée de l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao).
La rationalisation des implantations immobilières en province progresse : l'ASP avait quarante-neuf implantations au moment de sa création le 1er avril 2009. Aujourd'hui, elle n'en a plus que quarante-trois, dont cinq sont inoccupées et en instance de vente. Elle ne devrait plus en posséder que vingt-six au 31 décembre 2012. FranceAgriMer ne devrait avoir à la même date que trente-deux implantations, à comparer aux quarante-six au 1er avril 2009.
Le rapport de la Cour traite aussi des freins aux économies fixées par le Gouvernement ainsi que des évolutions envisageables.
Tout d'abord, la gestion des personnels des offices agricoles se caractérise par sa complexité, en raison de la diversité des statuts et des engagements pris lors des réformes, notamment l'absence de mobilité géographique forcée et de licenciement. Les agents de l'ASP et de FranceAgriMer pouvaient opter entre le maintien d'un statut de contractuel de droit public et celui de fonctionnaire. Cette faculté était offerte par des décrets du 20 octobre 2010 pour une durée d'un an. L'échéance de l'option vient donc d'être atteinte et les résultats de ce droit d'option doivent maintenant être connus. Les administrations et les organismes présents ont sans doute des données actualisées sur les choix effectués par les agents et sur l'impact financier de ces décisions.
Autre point : de gros chantiers informatiques sont à prévoir. Les offices agricoles, et en premier lieu l'ASP, vivent grâce à leur informatique. Le Cnasea, avant l'ASP, avait fondé sa réputation sur son aptitude à effectuer rapidement des versements de masse, cette réputation n'étant pas usurpée. L'ASP fonctionne aujourd'hui avec deux applications principales datant de 2007, Isis et Osiris. L'informatique sera inévitablement un important poste de dépenses dans les années à venir. Pour l'ASP, il ne s'agit pas de remplacer Isis et Osiris, non encore amortis, mais de procéder à une rationalisation, notamment avec l'unification des trois chaînes de paiement et des deux applications de recouvrement. Pour FranceAgriMer, un important travail de rationalisation, notamment des multiples applications existantes, devra être mené pour aboutir à deux systèmes d'information majeurs, l'un pour les aides et l'autre pour les données socio-économiques.
Enfin, un des objectifs de la réforme était de réduire les refus d'apurement des dépenses communautaires, qui sont souvent un motif d'irritation lorsque Bruxelles refuse d'admettre des dépenses déjà effectuées. Un rapport de la Cour des comptes présenté devant la commission des finances il y a trois ans avait démontré le poids relatif de ces corrections financières et le caractère le plus souvent systémique - expression moderne que l'on peut traduire par délibéré - des manquements relevés. Admettons que la réglementation européenne ne brille pas par sa clarté et qu'il y ait parfois des problèmes d'interprétation. Quelques progrès ont été relevés, mais l'absence d'unité dans les systèmes d'information des offices et le maintien des organismes déconcentrés de l'Etat dans les circuits de paiement et de contrôle des aides conduisent à constater que rien d'important n'a été fait pour réduire le montant des refus d'apurement. Sans doute la date importante dans ce domaine n'est-elle pas 2009 - l'année de réforme des offices - mais 2013, avec la nouvelle PAC.
Le nombre des organismes payeurs peut-il être réduit à l'avenir ? La tendance dans les Etats membres de l'Union européenne est de fusionner ces structures. Faudrait-il passer à un seul organisme payeur en France ? La Cour des comptes aborde la question mais ne prend pas partie. L'Odarc est un cas à part en raison des compétences dévolues à la collectivité territoriale de Corse. Il y a donc là un problème juridique. L'Odeadom existe pour des motifs politiques, c'est clair pour tout le monde, mais il n'a même pas le monopole du versement des aides agricoles outre-mer et il ne dispose pas de services sur place. Il ne s'acquitte pas non plus de sa tâche réglementaire de collecte de l'information sur l'ensemble des mesures agricoles outre-mer. La Cour des comptes a d'ailleurs récemment formulé une série de critiques, mais sans aller jusqu'à prôner sa suppression, puisque ne seraient visés que 40 emplois. Restent les deux gros organismes, l'ASP et FranceAgriMer. Dans son rapport, la Cour des comptes relève que la répartition des compétences entre eux est, dans l'ensemble, pertinente, à quelques ajustements près. Elle ne recommande donc pas la création d'un organisme unique à ce stade. En revanche, le nombre de conseils spécialisés de FranceAgriMer devrait être réduit. Si le maintien d'un nombre élevé de conseils spécialisés a pu faciliter le processus de fusion, il en existe aujourd'hui plus - onze - qu'il n'y avait d'offices avant la fusion - neuf - ce qui parait excessif.
Pour conclure, la réforme des offices agricoles comporte donc des éléments positifs et négatifs. La réforme, menée en deux temps, n'aboutit pas à un dispositif complètement rationnel et performant. Une fois encore, l'échéance de 2013 pourrait être l'occasion de nouveaux changements, mais elle reste nécessairement entourée de flou.
M. Edward Jossa, président-directeur général de l'Agence de services et de paiement (ASP). - Initialement, il avait été prévu d'économiser de 700 à 800 ETPT dans la nouvelle agence, mais le schéma était différent car il faisait intervenir les services extérieurs de l'Etat, au niveau départemental en particulier. En définitive, ces services extérieurs ont été préservés afin de favoriser la proximité.
Concernant l'ASP à proprement parler, la fusion devait permettre la suppression de 291 ETPT. L'année dernière, un audit de l'Inspection générale des finances (IGF) a estimé que les gains attendus de la fusion avaient été surestimés tandis que ceux résultants d'une amélioration de la productivité avaient été minorés. Les objectifs ont donc été recalés et globalisés sur une nouvelle période : de 2009 à 2013, 348 ETPT devaient être supprimés, dont 160 sur la seule période 2011-2013. Nous sommes en train de tenir ces objectifs.
En ce qui concerne la fusion, les gains sont réels et ils sont dus, pour une petite partie, au rapprochement des structures, avec la suppression de certains postes de directeurs et de chefs de service, mais les marges de manoeuvre étaient relativement limitées, car notre taux d'encadrement de catégorie A est faible, de l'ordre de 20 %. En cas de réductions supplémentaires, nous risquions un phénomène de sous-encadrement. En revanche, l'essentiel des gains a été dû à la mise en commun des contrôleurs de l'AUP et du Cnasea. Le contrôle des surfaces cultivées se fait en effet d'août à septembre alors que les contrôles sur les animaux et les contrôles contractuels ont lieu tout au long de l'année. La fusion a donc permis le lissage et la réorganisation des contrôles, ce qui a engendré l'essentiel des gains de productivité.
La rationalisation du parc immobilier a été conforme aux objectifs : de cinquante-deux implantations en région, nous passerons fin 2012 à trente-deux.
Dernière question : l'établissement doit-il demeurer sur deux sites, Montreuil et Limoges ? Très honnêtement, je ne pense pas que l'on puisse nous reprocher une mauvaise utilisation de nos agents, d'autant que tous les services financiers et les ressources humaines ont été regroupés à Limoges. Les métiers sur ces deux sites sont bien distincts. Restent néanmoins quelques améliorations possibles, notamment pour l'agence comptable, car des agents opèrent des recouvrements et des compensations aussi bien à Montreuil qu'à Limoges. Mais pour rationaliser le processus, il faudrait que les chaînes informatiques soient unifiées, d'où l'intérêt du projet « chaîne comptable unique ». Des gains de productivité sont donc encore possibles, mais sur un faible nombre de postes. La vraie difficulté tient au surcoût intrinsèque engendré par le siège délocalisé : l'encadrement passe 20 000 heures par an dans les transports entre Paris et Limoges.
Nous avons, en revanche, sous-estimé les gains opérationnels permis par la fusion. C'est un point important. Il existait deux systèmes informatiques, Isis et Osiris. En basculant sur le seul Isis, nous avons réalisé d'importants gains de productivité. Nous avons également amélioré notre rôle d'organisme payeur, ce qui nous a permis de mieux respecter nos obligations communautaires dans de bien meilleures conditions.
Quand les contrôleurs arrivent dans une exploitation, ils se livrent désormais à plusieurs contrôles en une seule fois, ce qui permet à l'exploitant de ne voir le contrôleur qu'une seule fois. La qualité du service rendu est donc au rendez-vous.
En ce qui concerne les métiers, des gains de productivité sont encore possibles, grâce à la dématérialisation des procédures, notamment pour les contrats aidés. Les 150 000 employeurs de contrats aidés nous envoient leurs données par Internet, ce qui évite une saisie papier, d'où une réduction de nos effectifs.
Je finirai par quelques observations : le contrat d'objectifs et de performance, dont vous avez parlé, a été signé ce matin même par M. Bruno Le Maire.
La Cour des comptes estime que le budget informatique est élevé : 45 millions d'euros en coûts de fonctionnement pour un investissement de 218 millions. Mais il faudrait comparer le budget informatique aux prestations que nous versons, soit près de 20 milliards d'euros. Nos dépenses d'investissement doivent être analysées dans le cadre de ces prestations globales. Il me semble alors que nos coûts de fonctionnement sont tout à fait raisonnables.
Enfin, les coûts liés à la fonctionnarisation sont sensiblement plus élevés qu'initialement prévus : nous tablions sur 5 millions d'euros et il en coûtera probablement le double. Nous estimions en effet que seuls les deux tiers des agents de l'ASP opteraient pour le statut de la fonction publique. En définitive, ils sont 84 % à l'avoir fait. En outre, le coût de la fonctionnarisation doit être revu à la hausse, du fait du compte d'affectation spéciale (CAS) pensions et de la mise en place de la prime de fonction et de résultat. Enfin, pour l'ex-Cnasea, nous avons dû déboucler un système de prévoyance spécifique à l'établissement, ce qui nous a conduits à verser une indemnité de sortie d'environ un million d'euros, mais cette dépense ne sera pas reconduite.
M. Fabien Bova, directeur général de FranceAgriMer. - FranceAgriMer est né de la fusion de neuf offices, chacun ayant sa personnalité, ses systèmes embarqués, son mode de fonctionnement et son type de gestion, y compris indemnitaire. Ces établissements avaient tous une gouvernance professionnelle. Elle est matérialisée par onze conseils spécialisés qui permettent à FranceAgriMer de suivre onze filières de l'agriculture et de la pêche.
Nous avons abandonné les organigrammes par filières au profit d'une logique par métiers, afin de rassembler tous ceux qui faisaient le même métier. Cette évolution s'est réalisée sans rupture de service de nos prestations. En région, l'établissement, de concert avec le ministère de l'agriculture, a placé ses délégations régionales sous l'autorité des préfets de région et des directeurs régionaux du ministère, de manière à conforter le niveau régional. Cette fusion a permis de rassembler les différentes équipes en région et de les placer sous l'autorité du directeur régional, le préfet de région devenant le délégué régional de l'établissement pour sa région. La rationalisation des actions en région est donc effective. Plus de la moitié des directions régionales auront un site commun rassemblant les agents du ministère de l'agriculture, qui exercent l'autorité fonctionnelle, et les agents de FranceAgriMer.
Cette fusion s'est réalisée dans un climat social apaisé, avec un dialogue social plus constructif que revendicatif.
Les systèmes d'informations étaient extrêmement nombreux, comme il a été dit. C'est pourquoi nous avons lancé une revue exhaustive de tous les processus de l'établissement, afin de modifier l'ensemble de notre système d'information. Comme nous ne pouvions pas arrêter tous les systèmes, nous avons procédé processus par processus. Un schéma directeur est en cours d'élaboration ainsi qu'une « urbanisation » de nos systèmes d'information.
Nous avons entendu les remarques de la Cour sur la mesure de la performance. Aujourd'hui, le processus en cours prévoit une mesure de la performance qui nous permettra de contrôler les gains de productivité.
La création de FranceAgriMer devait permettre une gestion transparente. C'est le cas aujourd'hui, tant sur le plan budgétaire qu'en ce qui concerne la gestion des effectifs.
La réduction des effectifs qui nous était assignée portait sur 210 ETPT d'ici 2013 et non 260. Nous les atteindrons, mais cela représente un effort important, puisqu'il s'agit de 15 % des effectifs de l'établissement, soit 3 % par an depuis la fusion jusqu'en 2013.
Pour les économies sur les crédits de fonctionnement, vous avez parlé de 15 millions d'euros en 2013. Cet objectif sera satisfait.
J'en viens à la répartition des compétences entre le ministère et FranceAgriMer : je précise qu'en matière d'ordonnancement et de paiement, seul l'établissement est responsable. En aucun cas, les services déconcentrés du ministère ne participent ni à l'ordonnancement ni au paiement des aides nationales ou européennes. Les aides nationales peuvent être parfois très élevées. Les aides européennes concernent soit la régulation des marchés, soit des filières plus spécifiques comme la viticulture ou l'arboriculture fruitière. Il peut nous arriver de traiter de sujets importants en matière de crédits communautaires, comme ce fut le cas il y a deux ans lors de la restructuration sucrière, qui s'est élevée à plus d'un demi-milliard d'euros. Si les services du ministère peuvent participer à certaines instructions d'aides, en particulier pour la gestion de crises, il y a une unicité en termes de gestion comptable et de paiement.
J'en viens au coût de l'intégration : le montant est plus élevé qu'initialement estimé, notamment en raison du CAS pensions et du coût des agents qui intègrent la fonction publique. Au terme de l'exercice de leur droit d'option, c'est-à-dire le 21 octobre 2011, 702 agents avaient demandé leur intégration dans la fonction publique, soit 65 % des effectifs.
M. Jean-Marc Bournigal, directeur du cabinet du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. - Je me félicite que le Sénat ait choisi de s'intéresser aux agences de paiement du ministère, car il s'agit d'un sujet d'importance pour nous, mais aussi pour nos concitoyens qui bénéficient des aides de la PAC.
Je remercie la Cour des comptes pour le travail qu'elle a effectué sur ces quatre établissements, car il nous permet d'améliorer leur fonctionnement. Pour le ministère, ces réformes s'imposaient : une nouvelle organisation devait permettre de clarifier les rôles des organismes payeurs tout en mutualisant les compétences. Comme nous ne pouvions pas nous permettre un ralentissement du paiement des aides aux agriculteurs, l'exercice était périlleux, d'autant que nous devions répondre également aux attentes des autorités communautaires.
Cette réforme a été rapidement mise en place, même s'il y avait eu une phase initiale en amont de la RGPP concernant la rationalisation des offices. Parallèlement, le ministère de l'agriculture a réformé la totalité de son administration centrale et déconcentrée. En dehors des opérateurs des organismes payeurs, les autres opérateurs ont également été restructurés.
Les principaux éléments chiffrés ont été cités : je n'y reviens donc pas. Ils sont déclinés dans le budget triennal 2011 - 2013 et également dans les contrats d'objectifs et de performance signés avec tous les établissements. Ces contrats permettent à l'Etat de définir les missions des établissements et ces derniers disposent alors d'une visibilité sur plusieurs années pour décliner leurs stratégies, autant en termes de personnels que de moyens qui leur sont assignés.
J'en viens à l'existence de quatre opérateurs : l'Odarc, lui, est directement lié au statut particulier de la Corse. L'Odeadom a été maintenue, car il fallait assurer une lisibilité politique des aides à l'outre-mer. En outre, les aides communautaires pour l'outre-mer étant spécifiques avec le POSEI, il était normal de maintenir en place cette structure.
Le plafond global des effectifs de l'ASP est fixé à 2 169 ETPT au 31 décembre 2012, suite aux conclusions de l'audit mené récemment par l'IGF. Pour FranceAgriMer, le plafond est fixé à 1 233 ETPT, ce qui permet à cet établissement d'assurer ses nouvelles missions, notamment l'Observatoire des prix et des marges. L'Odeadom, comme cela a été dit, n'emploie, enfin, qu'une quarantaine de personnes.
La conduite du changement peut prendre du temps, mais elle a été menée tambour battant depuis 2009. Il faut donc savoir être patient. Les effets bénéfiques de l'optimisation des systèmes informatiques ne se sont ainsi pas encore fait sentir mais il y aura des économies. La situation des agents demeure notre préoccupation principale, mais le climat social est désormais apaisé et les options ont été exercées.
En cette période d'économies budgétaires, il faut faire attention à la tentation d'aller prendre des crédits sur les dotations des opérateurs. On croit souvent que ces derniers vivent largement, mais les réformes successives leur ont imposé plus de transparence et une optimisation de leurs ressources, notamment immobilières. Leurs marges sont maintenant calculées au plus juste et c'est un point sur lequel nous sommes très vigilants.
M. Joël Bourdin, rapporteur spécial. - La Cour des comptes recommande de rendre plus cohérent le partage des compétences entre l'ASP et FranceAgriMer. Où en est l'audit RGPP sur FranceAgriMer ? Pourquoi ne rapproche-t-on pas davantage les deux agences ? N'est-il pas possible de réduire le nombre de conseils spécialisés de FranceAgriMer ? Pour répondre à M. Bova, dans le cadre de la RGPP, il était bien prévu en 2008 de réduire de 260 ETP l'effectif de cet organisme, pour une économie de 15,4 millions d'euros : je n'ai pas cité ces chiffres au hasard !
Est-il légitime, monsieur Bournigal, de laisser subsister deux organismes payeurs à compétence territoriale limitée pour la Corse et l'outre-mer ? L'Odeadom ne pourrait-il pas devenir un compartiment de FranceAgriMer ? Peut-être vous heurtez-vous à des résistances venant de l'Assemblée nationale et du Sénat ?
Il y a quelques années, à la suite d'une enquête de la Cour des comptes et d'irrégularités constatées dans le versement des aides de la PAC, j'ai publié un rapport d'information sur les refus d'apurement. Les organismes payeurs n'en sont pas responsables, et c'est donc vers le ministère que je me tourne. Comment compte-t-il faire évoluer les comportements vers une plus grande régularité ?
En ce qui concerne les implantations immobilières des agences, il existe selon la Cour des capacités inutilisées, notamment à l'Arborial de Montreuil. Comment augmenter la densité d'occupation ?
M. Yannick Botrel, rapporteur spécial. - On n'est pas parvenu à faire autant d'économies qu'on le souhaitait sur les dépenses de personnel de l'ASP et de FranceAgriMer. Vous nous avez expliqué pourquoi un peu rapidement. Compte tenu du rattrapage statutaire des agents, peut-on s'attendre à une baisse ou du moins à une stabilisation de la masse salariale ?
Pour les contrats d'objectifs, ils ont été signés, et de façon très récente pour l'ASP. Mais la Cour considère qu'ils ne hiérarchisent pas assez les priorités, et que les objectifs de qualité et de fiabilité comptables, voire de certification, sont insuffisants.
Au sujet des refus d'apurement, j'ai relevé une formule qui m'a troublé et qui s'adresse davantage au ministère. La Cour note ainsi dans son rapport que « ce sont les procédures décidées au niveau ministériel et les comportements qui doivent désormais évoluer vers plus de simplicité et d'efficacité et un plus grand souci de régularité ». M. Bournigal peut-il nous donner des assurances à ce sujet ?
Comment clarifier le rôle des interprofessions, cette spécificité française, et mieux les articuler avec FranceAgriMer ?
M. Fabien Bova. - Le ministère, l'ASP et FranceAgriMer se concertent naturellement sur le partage des rôles, mais c'est une source de cohérence plus que d'économies, car le nombre d'emplois concernés est relativement faible. Nous procéderons à des ajustements dès que ce sera possible au plan administratif et informatique.
Les conseils spécialisés sont le lieu de la gouvernance professionnelle des filières, où les représentants de toute la chaîne dialoguent avec le ministère de l'agriculture, mais aussi celui des finances, puisque la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ainsi que l'administration des douanes sont représentées. Cette organisation fonctionne au plus grand profit des bénéficiaires. Elle permet de définir des règles partagées, dans l'intérêt des agriculteurs. En revanche, nous avons supprimé les conseils de direction des offices qui ont été regroupés. Ils en avaient en effet chacun un : ils ont été utilement remplacés par le conseil d'administration de FranceAgriMer. Le nombre de conseils spécialisés ne doit pas être rapporté à celui des précédents établissements, mais à celui des filières agricoles, qui sont au nombre de onze. Lors d'une enquête de la Cour sur l'office consacré aux plantes aromatiques et plantes à parfum, nous avions débattu de ce sujet et étions parvenus à une formulation satisfaisante, qui convenait aux professionnels.
FranceAgriMer est chargé de la gestion de l'Arborial et cherche à en optimiser l'occupation en suivant, avec attention, l'évolution du ratio. Nous y avons accueilli l'Inao. Mais les départs sont aléatoires, et il faut attendre de disposer d'un espace cohérent pour l'offrir à un nouvel arrivant. La ville de Montreuil fait d'ailleurs l'objet d'un classement spécifique bien qu'étant au-delà du périphérique, et les loyers de l'Arborial correspondent aux fourchettes fixées par circulaire.
M. Philippe Adnot. - Ils sont assez chers quand même !
M. Fabien Bova. - Les interprofessions sont en effet une spécificité française et c'est une richesse. Leurs missions ont été définies par la loi de 1975 et les textes qui ont créé FranceAgriMer et l'ASP sont très clairs. Elles sont spécifiques, même s'il existe des domaines de compétence croisée où nous intervenons de manière concertée, en apportant éventuellement des cofinancements. Le président de FranceAgriMer et les présidents des conseils spécialisés s'efforcent naturellement de rationaliser les interventions ; la raréfaction de l'argent public et la difficulté de prélever des cotisations volontaires obligatoires (CVO) nous y incitent...
M. Edward Jossa. - La qualité comptable est une préoccupation constante pour l'ASP, et nous y travaillons avec notre agent comptable. Il faut faire des progrès avec le ministère sur la comptabilisation des autorisations d'engagement et des crédits de paiement : la gestion des premières est toujours très complexe, et c'est particulièrement le cas lorsque sont concernés l'État, d'une part, et un établissement public, d'autre part, car les méthodologies diffèrent. Le ministère a décidé de confier à la Direction générale des finances publiques (DGFip) et au Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) une mission d'audit en vue d'une harmonisation.
La qualité comptable c'est aussi la qualité des contrôles comptables : nous avons donc entrepris de moderniser notre processus comptable pour passer à un contrôle partenarial, par exemple en ce qui concerne la prime à la vache allaitante. Nous avons déjà validé des pré-requis : deux audits renforcés sur la fiabilité des systèmes, dont les résultats sont positifs. Il s'agit de passer d'un contrôle à l'acte à un contrôle des processus, et j'espère obtenir le feu vert de la DGFip sur le contrôle partenarial avant le début de l'année prochaine, pour la prochaine campagne de versement de cette prime.
M. Fabien Bova. - En ce qui concerne la qualité comptable, nous avons reçu des instructions précises du ministère pour renforcer le contrôle interne. Notre agent comptable parle volontiers d'un « contrôle intelligent de la dépense ».
Quant aux effectifs, je concède à Joël Bourdin qu'il était prévu de les diminuer de 260 ETP et de réaliser ainsi 15 millions d'euros d'économies. En 2013, nous en serons à une réduction de 210 ETP et à plus de 20 millions d'économies. La mission RGPP a d'ores et déjà rendu son rapport, et nous discutons avec le ministère de l'agriculture des suites à y donner : un passage en comité RGPP est prévu. Nous ne pouvons pas en préempter les décisions. En ce qui concerne la masse salariale, l'effort consenti la première année et celui qui est exigé dans le cadre de la programmation triennale ne sont pas de même ampleur. Il faut tenir compte du poids financier de l'intégration dans la fonction publique des agents de l'établissement qui étaient sous d'autres statuts : 4 millions d'euros de plus chaque année dans le compte d'affectation spéciale « Pensions », de nouvelles indemnités comme la prime de fonctions et de résultats (PRF), la revalorisation de la grille indiciaire de la catégorie B, qui représente 700 000 euros par an, etc. Au total, nous parvenons à l'équilibre entre les hausses des dépenses et la baisse des effectifs.
M. Jean-Marc Bournigal. - Le rapport a montré que la séparation de FranceAgriMer et de l'ASP était pertinente, même si quelques ajustements sont nécessaires. A la suite de l'audit RGPP, un pré-comité de suivi est prévu à la mi-novembre, et un comité de suivi en décembre. Il faut distinguer la question des missions confiées aux deux organismes, qui ne sont pas en cause, de celle de leurs moyens à moyen et long terme ; quoi qu'il en soit, il est trop tôt pour tirer les conséquences de l'audit.
Quant aux conseils spécialisés, ils sont nécessaires pour favoriser la concertation au sein des filières. Toutes les parties prenantes y sont représentées, ce qui n'est pas le cas au sein des interprofessions. Le plus souvent, ces dernières ne représentent que quelques maillons des filières.
Pour faire des économies, faut-il s'attaquer à l'Odeadom ? L'Office a déjà déménagé à l'Arborial, et il n'est pas sûr que l'on retire beaucoup d'argent d'une évolution le concernant. Ses missions ont été recadrées : le conseil des ministres d'aujourd'hui a été l'occasion de dresser un premier bilan des travaux menés l'an dernier par le Conseil interministériel de l'outre-mer. L'Odeadom s'est alors vu confier la charge de 40 millions d'euros supplémentaires pour le développement endogène des départements d'outre-mer. Il a un double rôle de concertation et d'observation économique. Il gère d'ailleurs un programme communautaire spécifique, entièrement distinct de ceux que gèrent FranceAgriMer et l'ASP.
En ce qui concerne les refus d'apurement, je me permettrai d'exprimer mon désaccord avec les formulations proposées : la France est en-dessous de la moyenne européenne, avec 0,93 % de refus contre 1,07 %, alors même que c'est le plus gros payeur d'aides communautaires. Les choses ne sont pas toujours simples, et l'Etat ne décide pas seul de l'application de la politique agricole : il doit se concerter avec les collectivités territoriales et avec les professionnels. Notre territoire est vaste et diversifié, il compte de nombreuses zones défavorisées. Nous avons choisi de préserver cette diversité. Les paiements sont tellement massifs que les dysfonctionnements sont inévitables, mais il n'en reste pas moins que notre système est assez performant. D'ici 2013, dans le cadre de la renégociation de la PAC et de la politique de cohésion, le Gouvernement entend simplifier autant que possible les procédures, mais celles-ci ne peuvent être les mêmes pour tous les territoires.
M. Joël Bourdin, rapporteur spécial. - Que la France ne soit pas le plus mauvais élève en ce qui concerne la correction des dépenses au titre de l'apurement, je le veux bien. Mais le taux de refus reste très supérieur à celui du Royaume-Uni, de l'Allemagne ou du Danemark, et il est au-dessus de la moyenne.
M. Jean-Marc Bournigal. - Mais la moyenne est à 1,07 %.
M. Joël Bourdin, rapporteur spécial. - En tenant compte de la pondération liée à la Grèce et à l'Italie !
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Et cela dépend de la proportion des aides.
M. Jean-Marc Bournigal. - Le Royaume-Uni, l'Allemagne et le Danemark ont fait le choix de la régionalisation et de l'aide unique à l'hectare. Notre système est beaucoup plus complexe, et gère des masses financières beaucoup plus importantes : il me paraît donc assez efficace. Le ministère de l'agriculture met cependant toute son énergie à lutter contre les refus d'apurement : toute décision passe par une boucle juridique particulière, et nous discutons avec les opérateurs pour appliquer les recommandations de la Cour des comptes.
M. Gérard César, rapporteur pour avis de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. - Je remercie la commission des finances d'avoir associé à cette réunion passionnante la commission de l'économie. En tant que rapporteur de la loi d'orientation agricole de 2006, j'avais défendu un amendement tendant à fusionner l'AUP et le Cnasea, et je me désole que l'ASP ait aujourd'hui deux sites : les déplacements entre Limoges et Montreuil constituent une perte de temps et d'argent. Qu'entendez-vous faire pour les rapprocher, et dans quel délai ?
M. Jean-Paul Emorine. - Je partage l'interrogation de Gérard César. En France, le nombre d'exploitations agricoles est en baisse constante : les véritables exploitations sont aujourd'hui environ 400 000. Or, si les implantations de FranceAgriMer correspondent bien à celles des directions régionales de l'agriculture et de la forêt, l'ASP dispose de vingt-neuf sites, bientôt vingt-six. Comment rationaliser ces implantations, pour que le monde agricole en ait une vision claire ? Pourquoi ne pas privilégier l'échelon régional, même si les directions départementales des territoires jouent encore un rôle ? M. Jossa a dit tout à l'heure que des agents passaient des heures dans le train pour aller de Montreuil à Limoges. C'est du temps perdu ! N'est-il pas temps de créer un site rassemblant tous les services, sans pour autant les fusionner ?
M. Edward Jossa. - Pour ce qui est de notre double implantation à Limoges et Montreuil, je ne vois pas de solution : comment revenir sur la délocalisation, alors que nous avons créé des emplois à Limoges et que la mairie a financé notre siège ? Les délocalisations sont, de plus, toujours douloureuses, et on perd un tiers des effectifs en cours de route.
Mme Bernadette Bourzai. - Et ils y sont aussi bien qu'à Paris !
Mme Renée Nicoux. - Pourquoi ne pas délocaliser tous les services à Limoges ?
M. Edward Jossa. - Dans ce cas, je perdrais tous les informaticiens, alors que j'ai le plus grand mal à les recruter au niveau requis. Encore une fois, le déménagement du Cnasea d'Issy-les-Moulineaux à Limoges a fait partir 250 employés ! Heureusement, entre la décision du gouvernement d'Edith Cresson et le déménagement effectif, il s'est passé douze ans qui ont permis de recruter de nouveaux agents.
La solution passe aujourd'hui par la visioconférence, mais il faut pour cela aménager à Montreuil des salles qui ne sont pas prises en compte dans les ratios d'occupation des locaux. Nous nous efforçons en outre de limiter nos déplacements au minimum, et pour le reste nous attendons avec impatience le TGV pour nous faciliter la vie.
M. Jean-Marc Bournigal. - Le ministère de l'agriculture est aussi chargé de l'aménagement du territoire, et je puis vous dire qu'il est hors de question de revenir sur les délocalisations : nous poussons même plutôt en sens inverse. La visioconférence est une solution, qui s'impose aussi bien au ministère pour ses communications entre Paris et Toulouse, entre les services centraux et déconcentrés, ou avec les ambassades.
A l'Arborial, nous aurions pu dénoncer le contrat, mais nous avons plutôt choisi de densifier le site. Le problème est que les départs d'agents de FranceAgriMer s'échelonnent dans le temps, et que l'installation de nouveaux services suppose qu'il soit possible de dégager des plateaux assez larges. L'Inao a déjà été transféré à Montreuil, et d'autres services devraient suivre. Le ministère libérera des sites lorsque sera construit son nouveau bâtiment du douzième arrondissement de Paris.
M. Edward Jossa. - Il est important pour l'ASP de conserver un site dans chaque région, car elle travaille aussi avec les conseils régionaux, notamment au sujet des stagiaires de l'enseignement professionnel et des apprentis. Environ 60 % de nos effectifs sont affectés à l'activité régionale de l'agence, et les régions sont très attachées à cette présence. Les délégations régionales sont aussi le point d'attache des contrôleurs : c'est l'échelon adapté. Enfin, le problème de la visibilité pour le monde agricole est limité, car ce sont les directions départementales du ministère qui gèrent le front office, le contact direct avec les agriculteurs ; le département est d'ailleurs le bon échelon de proximité.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - M. le président Descheemaeker veut-il conclure ?
M. Christian Descheemaeker. - Je prends note de ce qui a été dit au sujet des refus d'apurement. Il y a encore des marges de progression, et il vaut mieux regarder la tête de classe que les mauvais élèves ! Les sommes en jeu avoisinent les 100 millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Il me reste à vous remercier.
La commission autorise, à l'unanimité, la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte-rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.
- Présidence de M. Philippe Marini, président -
Péréquation entre les collectivités territoriales - Audition conjointe de MM. Gilles Carrez, député, président du comité des finances locales, et Eric Jalon, directeur général des collectivités territoriales
La commission procède enfin à l'audition conjointe de MM. Gilles Carrez, député, président du comité des finances locales, et Eric Jalon, directeur général des collectivités territoriales, sur la péréquation entre les collectivités territoriales.
M. Philippe Marini, président. - Nous avons organisé cette audition en raison de l'ampleur des dispositions du projet de loi de finances pour 2012 qui concernent la péréquation entre les collectivités territoriales. La réforme de la taxe professionnelle, adoptée à la fin de l'année 2009, dans des conditions dont nous nous souvenons, a profondément modifié les ressources fiscales de chaque collectivité. Elle a rendu obsolètes les anciens dispositifs de péréquation horizontale qu'étaient les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) et le fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF).
La territorialisation de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) risquait d'accentuer les écarts de richesse entre les collectivités. Aussi avons-nous créé des fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour les départements et les régions dans la loi de finances pour 2011. C'est aussi la raison pour laquelle les articles 58 et 59 du projet de loi de finances pour 2012 prévoient de créer un fonds de péréquation intercommunal et communal (FPIC) et d'adapter le fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF) à la suppression de la taxe professionnelle.
Eric Jalon, directeur général des collectivités locales, pourra nous présenter les choix qui ont été opérés dans le PLF pour 2012 s'agissant de la péréquation horizontale. Nous entendrons ensuite notre collègue Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, mais également président du comité des finances locales. Il pourra nous indiquer quelle position elle a adoptée ce matin, en commission élargie, sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et les articles rattachés.
M. Eric Jalon, directeur général des collectivités locales. - La péréquation horizontale complète la péréquation verticale qui a continué de progresser depuis 2004, au travers des dotations de solidarité urbaine (DSU) et rurale (DSR), avec la dotation nationale de péréquation, pour atteindre cette année plus de 3 milliards d'euros. L'article 125 de la loi de finances pour 2011 en a posé les principes en même temps qu'il établissait la feuille de route du Gouvernement pour préparer le PLF 2012, autour de cinq règles de fonctionnement : premièrement, la fixation ex ante d'un objectif de ressources de 2 % des recettes fiscales en 2015, mention qui demeure dans le PLF 2012 ; deuxièmement, l'alimentation de ce fonds par un prélèvement opéré sur les ressources des communes et de leurs groupements appréciées au niveau de l'intercommunalité de façon agrégée ; troisièmement, une mesure de la richesse qui prenne en compte un panier élargi et tirant toutes les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle ; quatrièmement, un reversement en fonction du potentiel financier et de critères de charges à définir ; enfin, le maintien d'un fonds de péréquation spécifique à l'Ile-de-France, dont le Sénat avait voulu voir progresser le montant.
Le rapport prévu par l'article 125 a été remis par le Gouvernement au Parlement à la veille de la présentation du budget, et après avoir reçu l'avis du comité des finances locales, le 27 septembre dernier. Il répond à six questions : les groupes démographiques permettant de déterminer les contributions des collectivités territoriales ; le seuil de potentiel fiscal moyen définissant le prélèvement ; le taux s'appliquant à ce prélèvement ; le montant maximum à instaurer le cas échéant ; les critères de ressources et de charges devant être mobilisés ; enfin, point sensible, l'articulation entre le FPIC et le FSRIF, dont vous avez rappelé qu'il devait être réorganisé pour tenir compte de la suppression de la taxe professionnelle.
En 2011, nous avons travaillé en lien aussi étroit que possible avec la représentation nationale ; vous avez bien voulu m'entendre ici même à quatre reprises. Il en a été de même avec la commission des finances de l'Assemblée nationale, ainsi qu'avec le groupe de travail constitué au sein du comité des finances locales, réunissant la quasi-totalité de ses membres, au cours de sept séances.
Premier principe, il a été décidé de créer un fonds national unique. L'idée de créer des fonds région par région a finalement été écartée, car elle n'était pas de nature à permettre une redistribution optimale. Deuxième principe, la richesse sera mesurée au niveau intercommunal, en consolidant celle des groupements et des communes membres. Nous avons dénombré 4 238 collectivités concernées, soit 2 599 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et 1 639 communes isolées. Troisième principe, la progressivité de la montée en charge, avec un objectif de 250 millions d'euros en 2012, 500 millions en 2013 et 750 millions en 2014.
Mesure des ressources des communes et des intercommunalités concernées, le potentiel financier agrégé consolide au niveau d'un territoire les richesses d'un EPCI à fiscalité propre et des communes membres, quel que soit leur régime juridique et fiscal. On pourra comparer des communautés d'agglomération à fiscalité professionnelle unique avec des communautés de communes à fiscalité additionnelle et avec des communes isolées. En dépit des apparences, ce que nous présentons est plus simple.
Le panier de ressources intègre l'ensemble des ressources fiscales et des compensations issues de la réforme de la taxe professionnelle. Il est élargi à l'ensemble des taxes non affectées composant les recettes du bloc territorial communal : le prélèvement sur les produits des jeux, la surtaxe sur les eaux minérales, la redevance des mines et la taxe sur les remontées mécaniques, qui fait l'objet de réserves à l'Assemblée nationale, car elle est légalement affectée.
Une fois ces recettes définies, comment passer du potentiel fiscal au potentiel financier, en intégrant les dotations à ce panier de ressources ? Il y avait trois options : se fonder comme aujourd'hui sur la part forfaitaire des dotations communales ; prendre comme référence le potentiel financier corrigé intégrant, comme le préconisait votre commission, les dotations de péréquation ; élargir encore en intégrant les dotations intercommunales. Nous en sommes restés à la première option car les modifications de périmètres qui vont intervenir dans les prochaines années affecteront les dotations d'intercommunalité. Il nous a paru plus prudent d'attendre une stabilisation. Nous proposons d'écarter les dotations de péréquation, pour éviter les effets « miroir » affectant des communes bénéficiaires de la DSU ou de la DSR, auxquelles on reprendrait d'une main ce qu'on leur aurait accordé de l'autre.
Ce potentiel financier agrégé s'élève en moyenne nationale à 989 euros par habitant, variant de 668 euros par habitant pour les blocs territoriaux de moins de 10 000 habitants, à près de 1 300 euros pour ceux qui sont supérieurs à 200 000 habitants. On aurait pu être tenté, comme certains membres de la commission des finances de l'Assemblée nationale, de comparer le potentiel financier des blocs territoriaux à la moyenne nationale. Nous n'avons pas retenu cette option. En effet, les charges des collectivités, et non seulement leurs ressources, évoluent avec la taille des collectivités. L'étude des professeurs Guy Gilbert et Alain Guengant a montré que le pouvoir d'achat des collectivités, relativement homogène, décroît légèrement avec leur taille. C'est ce que confirme l'effort fiscal par collectivité.
Ensuite, au sein de chaque strate, on observe une grande diversité de situations. Pour les collectivités de moins de 10 000 habitants, par exemple, le rapport de l'écart-type au potentiel financier agrégé moyen de la cohorte est de 55 %, ce qui révèle une forte dispersion. Le Gouvernement propose de retenir six strates démographiques : moins de 10 000 habitants, 10 000 à 20 000, 20 000 à 50 000, 50 000 à 100 000, 100 000 à 200 000 et plus de 200 000 habitants. Cela permet d'homogénéiser les contributions au sein de chaque strate, tant en nombre de collectivités qu'en proportion de population contributrice, contrairement au scénario « déstratifié », dont nous avons remis les simulations au groupe de travail du comité des finances locales.
Ce prélèvement obéit à certaines règles. Pour obtenir 50 % de blocs territoriaux contributeurs, le Gouvernement propose de fixer le seuil du prélèvement à 90 % du potentiel financier moyen du groupe démographique. Le mécanisme de calcul assure au prélèvement un caractère progressif et non pas proportionnel, en supprimant les effets de seuil.
Nous aurons trois catégories de contributeurs : les intercommunalités, leurs communes membres et les communes isolées. Le Gouvernement propose que la répartition des contributions entre les deux premières soit proportionnelle aux ressources fiscales de l'EPCI minorées des attributions de compensation et à la part des ressources des communes membres dans le potentiel fiscal agrégé. Tel serait le droit commun. Le projet de loi ouvre la possibilité, pour une intercommunalité, de se mettre d'accord à l'unanimité sur une autre répartition. En outre, une collectivité pourra être à la fois contributrice et bénéficiaire. Nous avons débattu avec la commission des finances de l'Assemblée nationale pour savoir si les 250 millions d'euros affichés en 2012 correspondaient au montant réel du fonds ou s'il fallait distinguer entre le montant brut prélevé et le net reversé aux collectivités. D'après nos simulations, il n'y aurait qu'environ 1,5 % de recouvrement entre prélèvements et reversements : le montant brut s'élèverait à 250 millions d'euros et le net à 247 millions. D'autres mécanismes de péréquation horizontale, comme celui sur les droits de mutation à titre onéreux, montrent un écart beaucoup plus important : 440 millions en brut et 350 millions en net.
Pour la répartition entre les communes membres et leur EPCI, le projet de loi propose que le reversement s'effectue au prorata des ressources de chaque membre. Les communes membres pourront déterminer à la majorité qualifiée la part revenant à l'intercommunalité en fonction de son coefficient d'intégration fiscale (CIF). Quant à la répartition entre les communes membres, elle ne pourrait être modifiée qu'à l'unanimité.
Le Gouvernement propose deux critères de reversement : le potentiel financier agrégé et le revenu par habitant, critère de charge qui paraît pertinent pour la totalité des communes, qu'elles soient urbaines ou rurales, centrales ou périphériques.
Certains membres du comité des finances locales nous ont demandé de prendre en compte le critère d'effort fiscal. Nous travaillons aux modalités d'une telle prise en compte, nous n'y avons aucune opposition de principe.
Dans la synthèse présentée au comité des finances locales, que je tiens à votre disposition et qui figure dans le rapport du Gouvernement au Parlement, figurent les totaux de contribution et de reversement par strate. J'attire votre attention sur la difficulté de lire ces chiffres, qui mêlent dans chaque strate des blocs territoriaux et des communes isolées, en particulier dans les strates intermédiaires de 20 000 à 50 000 habitants et de 50 000 à 100 000 habitants.
M. Aymeri de Montesquiou. - Il n'y a plus de communes isolées !
M. Philippe Marini, président. - Si, en Ile-de-France, qui a une culture d'intercommunalité moins complète que les autres régions.
M. Eric Jalon. - Elles continueront d'exister dans les trois départements de la petite couronne d'Ile-de-France. Le poids de ces communes explique le solde un peu moins favorable constaté pour ces strates intermédiaires.
Pour l'articulation avec le FSRIF, le Gouvernement s'est inspiré des travaux conduits au sein du syndicat d'études Paris-Métropole, qui avaient recueilli un assez large consensus. L'objectif est fixé ex ante, avec une montée en charge progressive, à 270 millions d'euros en 2015, conformément à ce qui avait été inscrit au budget 2011 à l'issue d'un amendement sénatorial. Une commune pourra être à la fois contributrice et bénéficiaire. Subsistera le premier prélèvement du FSRIF, auquel seront soumises les communes d'Ile-de-France, calculé par rapport à l'écart au potentiel financier moyen au carré, pour assurer une certaine progressivité.
L'articulation avec le FPIC sera simple. En amont, le potentiel financier agrégé retenu pour les collectivités d'Ile-de-France sera minoré ou majoré de l'effet du FSRIF. En outre, le Gouvernement propose un mécanisme global de plafonnement des deux dispositifs à 15 % du potentiel financier agrégé des collectivités concernées, qui reste à débattre.
M. Vincent Delahaye. - C'est énorme !
M. Gilles Carrez, député, président du comité des finances locales. - Merci pour votre invitation, c'est toujours avec un grand intérêt que je viens échanger et apprendre ici.
Permettez-moi de revenir sur ce que nous avons voté vendredi 21 octobre sur les 200 millions d'euros d'effort demandés aux collectivités territoriales. Nos décisions ont été guidées par un principe : garantir au minimum la reconduction des dotations de 2011.
Sur la dotation globale de fonctionnement (DGF), le bloc communal et les départements et régions étaient traités différemment. Le montant de la DGF communale, supérieur à 20 milliards d'euros, a été reconduit à l'euro près. La péréquation au sein du bloc communal - augmentation de 60 millions d'euros de DSU, de 39 millions de DSR, d'une dizaine de millions de la dotation nationale de péréquation - et la prise en compte des besoins de l'intercommunalité et de l'évolution démographique, au total 240 millions d'euros, sont financés par un prélèvement sur la part garantie de la DGF à hauteur de 140 millions d'euros et pour 100 millions d'euros sur la compensation de la base salaire de la première réforme de la taxe professionnelle.
Pour les départements, la DGF devait augmenter en 2011 de 64 millions d'euros pour faciliter la péréquation de la dotation de fonctionnement minimale et de la dotation de péréquation urbaine. Pour les régions, était prévue une augmentation de DGF de 13 millions d'euros. Nous avons décidé de traiter les départements et les régions de la même manière que les communes et les intercommunalités, et de reconduire leur DGF 2011 à l'euro près, ce qui représente un gain de 77 millions d'euros. Nous avons supprimé la majoration de 37 millions prévue pour les FDPTP, pour reconduire strictement les crédits prévus pour 2011.
Le Sénat avait créé un prélèvement sur recettes spécifiques, appelé « TGAP granulat », que vous connaissez bien, monsieur le Président...
M. Philippe Marini, président. - Absolument !
M. Gilles Carrez. - Nous avions discuté de son éventuelle suppression, vous n'y étiez pas hostile. Nous avons abandonné l'abondement de 23 millions prévu dans le budget à ce titre. Une dotation supplémentaire de 20 millions d'euros au fonds des catastrophes naturelles n'est pas mise en place, car il dispose actuellement d'une trésorerie suffisante. La compensation de 9 millions de la taxe « flipper », supprimée en 2006, n'est pas non plus reconduite.
Tout cela s'élève à 166 millions d'euros. Il restait 34 millions d'euros à trouver, qui vont être prélevés par l'Etat sur la hausse des amendes de police. Le partage équitable mis en place l'an dernier ne devait plus jamais être remis en cause mais, en 2012, exceptionnellement, ce partage, comme le pâté de cheval et d'alouette, sera de 80 % pour l'Etat et de 20 % pour les communes sur la hausse du produit des amendes, au lieu de 53 % et 47 %. Il s'agit ici des augmentations, le montant des amendes 2011 est sécurisé pour 2012.
Voilà comment nous avons obtenu les 200 millions...
M. Philippe Marini, président. - Venons-en à la péréquation...
M. Gilles Carrez. - Ce matin, nos discussions ont porté d'abord sur la péréquation verticale. Nous avons adopté un amendement qui protège la dotation de péréquation urbaine des départements. Nous mettons en place un cliquet analogue à celui de la dotation de fonctionnement minimale des départements ruraux.
Le nouveau potentiel financier des départements conduit à des reclassements parfois surprenants. Certains départements, auparavant considérés comme riches deviennent pauvres et vice-versa. Par exemple, le département des Yvelines avait de bonnes bases et de faibles taux de taxe professionnelle. On multipliait auparavant ses bases importantes par un taux moyen national plus élevé que son taux réel. La réforme remplace la taxe professionnelle par la CVAE, ou par des dotations, calibrées sur les recettes effectives. Comme on retient le produit réel, les Yvelines se trouvent déclassées, de même que le Loiret. Des départements considérés comme plutôt pauvres, comme la Creuse, se retrouvent dans le haut du tableau. Je ne sais pas ce qu'il en est de la Mayenne...
M. Jean Arthuis. - Elle est très pauvre !
M. Gilles Carrez. - Tout cela a été calculé sur la base de simulations qui sont à prendre avec beaucoup de précautions, parce que les hypothèses de répartition de la CVAE sont encore provisoires. La valeur ajoutée est désormais saisie au niveau de l'entreprise. Nous nous sommes efforcés, pour la répartition entre chaque établissement, de privilégier des critères physiques objectifs, comme l'effectif ou la surface, mais nous ne disposons pas des données. Le ministère des finances ne les aura pas avant, au mieux, fin novembre, sinon à la fin de l'année. Or, les départements bénéficient de 48,5 % de la CVAE. Quoi qu'il en soit, il y aura des reclassements, difficiles à expliquer. C'est un vrai casse-tête pour l'Association des départements de France, qui y travaille.
Dans ce monde qui change, il nous a paru plus sage de garder des repères et le meilleur des repères, c'est de garantir ce que vous aviez avant.
M. François Marc. - Tout ça pour ça !
M. Gilles Carrez. - C'est ce que nous avons voté pour la DSU. Quant au FPIC, nous avons eu un très long débat sur les groupes démographiques. Nous sommes dans une situation paradoxale : le groupe de travail que nous avions constitué autour de Jean-Pierre Balligand et de Marc Laffineur avait conclu à la non-stratification. Votre groupe de travail, qui m'avait entendu en juillet dernier, avait conclu plutôt à la mise en place de groupes démographiques.
M. Charles Guené. - Pour que la réforme se fasse.
M. Gilles Carrez. - Finalement, nous avons rejeté les amendements de déstratification, mais nous avons adopté un amendement d'attente de Jean-Pierre Balligand, créant une nouvelle strate de 0 à 2 500 habitants, pour mieux protéger les petites communes rurales.
M. Pierre Jarlier. - Très bien !
M. Charles Guené. - C'est absurde !
M. Gilles Carrez. - Je ne suis pas sûr que les résultats soient à la hauteur des espérances, mais nous verrons bien !
Nous avons eu un autre débat sur la prise en compte des dotations de péréquation, que proposait Jean-Pierre Balligand et Marc Laffineur Nous avons repoussé leurs amendements, à cause de l'effet miroir évoqué par Eric Jalon. Il est difficile de prendre en compte les ressources de la péréquation au sein même de celle-ci. J'ai toujours dit au comité des finances locales que, dans un premier temps, il ne vaut mieux pas les prendre en compte, par prudence. La taxe sur les remontées mécaniques a été sortie du potentiel financier agrégé...
M. Philippe Marini, président. - C'est très important pour les communes de montagne !
M. Gilles Carrez. - Juridiquement, l'auteur de cet amendement a raison : c'est une taxe affectée. J'aurais espéré un élan de générosité, car ce sont des ressources importantes. On prend enfin en compte les produits des jeux...
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Les hippodromes ?
M. Philippe Marini, président. - C'est très peu !
M. Gilles Carrez. - Nous avons eu une discussion sur l'effort fiscal, qui est liée à la question des strates. Si on prend en compte l'effort fiscal, on pénalise les communes rurales.
M. Jean-Claude Frécon. - Et l'intercommunalité ?
M. Gilles Carrez. - On peut imaginer de le prendre en compte au niveau de la redistribution, en le plafonnant, bien sûr ! Certains considèrent que c'est une hérésie, parce que cela revient à donner une prime à ceux qui augmentent les impôts.
M. Aymeri de Montesquiou. - C'est vrai !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - C'est un débat !
M. Gilles Carrez. - Nous n'avons pas adopté les amendements relatifs à l'effort fiscal.
Sur le FSRIF, nous avons adopté un amendement selon lequel les communes qui ont un indice synthétique de charges supérieur à 1,2 ne seront pas prélevées au titre de ce fonds. C'est la position de Paris-Métropole. A l'inverse, celles qui ont un indice inférieur à 1,2 ne bénéficieront pas du fonds. Comme nous n'étions pas sûrs de ce coefficient, nous l'avons remplacé par la notion de médiane. En revanche, pour bien protéger la province, nous avons rejeté tous les amendements refusant la « double lame », c'est-à-dire le double prélèvement FSRIF et FPIC. En Ile-de-France, beaucoup de communes de proche banlieue bénéficient du FSRIF et sont prélevées au titre du FPIC. Nous n'avons pas accepté les amendements qui tendaient à l'interdire. L'articulation proposée par le Gouvernement a été adoptée.
Sur les droits de mutation, qui sont très cycliques, nous avons adopté l'idée de création d'une réserve, au-delà de 300 millions d'euros, pour les années où il y aurait moins de grain à moudre.
M. Philippe Marini, président. - La commission des finances s'est beaucoup investie sur ces sujets, notamment au sein du groupe de travail dont les rapporteurs étaient Philippe Dallier, Charles Guené, Pierre Jarlier et Albéric de Montgolfier.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - En effet ! Vous avez déjà répondu par anticipation à la question que je souhaitais vous poser sur les simulations. J'ai cru comprendre que vous ne les estimez ni fiables ni détaillées, en tout cas sur la CVAE...
M. Gilles Carrez. - Mais sur le reste, oui !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Sur la péréquation, la méthode proposée est-elle la bonne ? Nous sommes quelques-uns à penser qu'il faudrait, comme en Allemagne, fixer un objectif de réduction des écarts de richesses entre collectivités, à un horizon palpable. Cette méthode simple engage un gouvernement et permet de mesurer la trajectoire. Le rapport de la Cour des comptes avait mis en évidence des écarts importants. Quant aux strates, mieux vaut en prendre six ou sept. Mais comment lisser l'effet de seuil pour ceux qui se situent en haut d'une strate ?
Enfin, vous n'avez pas évoqué les fonds départementaux et régionaux de péréquation de la CVAE. Le projet de loi de finances ne revient pas sur ce qui a été voté en 2010. Or, le dispositif s'appliquant aux seules collectivités dont la CVAE a augmenté plus fortement que la moyenne nationale, je crains qu'il ne représente que peu de chose. Ne faut-il pas élargir les critères de prélèvement ?
M. Pierre Jarlier. - Notre travail a été une véritable coproduction entre le groupe de travail, le comité des finances locales et les associations d'élus. Nous sommes parvenus à une architecture acceptée de tous ou presque. Le nouveau calcul du potentiel financier amènera à définir des critères de charges afin de rétablir un ordre de classement qui corresponde à la réalité de la richesse des départements. Ce que vous avez dit de certains départements vaudra pour certaines communes également : celles qui avaient des bases faibles et des taux élevés de taxe professionnelle, par le biais de la DCRTP et du FNGIR, verront leur place considérablement modifiée dans le classement. Il y aura forcément un travail à faire pour éviter qu'elles ne soient trop pénalisées, sachant que cela aura une incidence sur la DGF, via le complément de garantie, qui sera diminué en fonction du nouveau potentiel fiscal.
Au sein du potentiel financier, nous avions proposé d'englober les dotations de péréquation verticale. La péréquation horizontale arrive en fin de parcours, après le calcul de la richesse de chaque ensemble, péréquation verticale comprise.
Les strates se justifient, car les charges augmentent avec le nombre d'habitants. Les blocs ruraux de moins de 10 000 habitants sont plutôt gagnants : les groupements supérieurs à 200 000 habitants sont contributeurs à hauteur de 13 millions d'euros, les groupements inférieurs à 10 000 habitants bénéficiaires à hauteur de 18 millions. Néanmoins se pose la question des collectivités situées en haut de seuil : le potentiel financier des moins de 10 000 habitants varie de 1 à 2 (de 500 à 1 000 euros) tandis que l'écart, au-delà, ne varie que de 1 000 à 1 300. Le seuil de 10 000 est pénalisant, le mieux est à mon sens de retenir celui de 5 000.
M. Gilles Carrez. - C'est juste !
M. Pierre Jarlier. - Un système logarithmique cependant éviterait, comme pour la DGF, tout effet de seuil...
Le Sénat souhaite prendre en compte une partie de l'effort fiscal, car avant d'aller chercher de l'argent chez les voisins, il faut tout de même avoir fait un minimum d'effort pour mobiliser la richesse locale !
M. Charles Guené. - Le groupe de travail est satisfait, car le texte correspond à ses travaux et ses conclusions : l'Assemblée nationale a eu une réaction plutôt positive. J'aimerais bien réduire les écarts entre collectivités, mais, si l'on appliquait directement le système allemand en France, cela ne se passerait pas bien ! La phase intermédiaire est utile.
Je pense que des amendements seront déposés pour traiter le cas des communes pauvres au sein d'un ensemble riche. Faisons attention à conserver la logique des ensembles territoriaux. Dans la répartition et le prélèvement, il sera bon d'avoir un système automatique, car les communes riches auront quelque difficulté à s'accorder pour laisser une voix à la commune pauvre... Mais ne touchons pas à l'aspect territorial, il est excellent.
Devons-nous conserver le terme de « potentiel » ? Nous parlons bien de richesse réelle !
Pour que la réforme soit bien acceptée, les strates sont nécessaires, mais sont-elles indispensables ? Elles intègrent déjà largement les charges. Si on en tient compte dans l'appréciation de la richesse, puis dans la redistribution, c'est peut-être beaucoup... Doit-on descendre à 2 500 habitants ? On peut envisager une strate à 5 000 ou à 10 000 - peut-être faut-il s'arrêter à 7 500.
Le groupe de travail a souhaité que toutes les ressources soient prises en compte dans le potentiel financier, y compris celles issues de la péréquation verticale. Cela ne bouleverse pas l'ensemble.
L'Assemblée nationale estime qu'un critère d'effort fiscal pénaliserait les communes rurales. Il faut y faire attention : si nous l'intégrons, il sera raisonnable de le pondérer. S'agissant du double prélèvement sur l'Ile-de-France, vous avez raison de résister, sinon ce serait comme si l'on créait un fonds distinct pour cette région ! On peut bénéficier du FSRIF, mais être riche au niveau national... Enfin, je suis un peu inquiet pour la péréquation départementale et régionale : a-t-on fait un travail aussi fouillé que pour le bloc communal ? Je n'en suis pas certain.
M. Philippe Dallier. - Il est regrettable de ne pas prendre en compte la dotation d'intercommunalité dans le potentiel financier agrégé. En Ile-de-France, l'entrée dans une intercommunalité n'est pas obligatoire. Pour les communes isolées, ce sera la double peine : la dotation pour les intercommunalités est prise en compte dans le calcul de l'enveloppe globale, donc les communes isolées y contribuent, mais elle n'est pas prise en compte quand on parle de péréquation. Où est l'équité ?
Faut-il intégrer les dotations de péréquation verticale ? Je suis partagé. On veut faire du FPIC une voiture-balai, parce que l'on a refusé de toucher à la DGF ou à la DSU - la réforme amorcée il y a quelques années a été abandonnée. Tous les correctifs doivent dès lors être apportés au niveau du FPIC. Je préfèrerais que les inégalités soient corrigées en amont.
Vous n'avez rien dit de l'indice synthétique qui sert de redistribution au FSRIF : retenez-vous l'option défendue par Paris Métropole ou proposez-vous autre chose ?
Lorsque l'on a décidé le financement de 70 000 logements en région Ile-de-France, on avait imaginé un prélèvement sur les droits de mutation à titre onéreux des communes. Mais l'objectif est fixé à l'Ile-de-France. Il ne faudrait pas généraliser le prélèvement et réduire le versement aux seules communes qui concluront un contrat de développement territorial, car d'autres contribuent à l'effort de construction...
M. Eric Jalon. - Je partage votre avis au sujet des strates : il faudrait sans doute examiner la pertinence du seuil à 2 500 habitants. On aura une difficulté dans le haut de la strate : un bloc territorial à 9 990 habitants sera considéré comme riche dans sa strate, tandis que le bloc à 10 100 habitants sera regardé comme pauvre dans la sienne. Nous examinerons la situation des collectivités concernées.
Le dispositif tel que présenté par le Gouvernement ne comporte pas d'autres effets de seuil. Le prélèvement est en effet fonction de l'écart au potentiel financier agrégé moyen de la strate, avec un système progressif, donc lissant. Nous avons procédé à des simulations à prélèvement stratifié et à prélèvement non stratifié. Il en ressort que les communes bénéficiaires de la DSU cible versent une contribution de 14 millions d'euros au FPIC et reçoivent 29 millions dans le système stratifié ; le résultat est inverse en système déstratifié : leur versement est de 17 millions et leur retour inférieur à 5 millions. C'est un des éléments qui m'a conduit à recommander la stratification. Sans elle, le dispositif serait difficilement acceptable.
Quant au potentiel financier corrigé, faut-il prendre en compte les dotations de péréquation verticale dans la mesure de richesse, pour faire du FPIC une péréquation de fin de parcours ? Je ne suis pas hostile au principe, mais aujourd'hui, la péréquation verticale qui s'opère sur le bloc communal (DSU, DSR, DNP) va représenter 3 milliards d'euros. La péréquation horizontale qui se met en place portera, elle, sur 250 millions d'euros l'an prochain. Elle est négligeable au regard de la première : comment en corrigerait-elle les écarts ? Attendons la montée en puissance du FPIC, alors, nous pourrons traiter de l'articulation entre les péréquations horizontale et verticale.
Si le texte du Gouvernement ne revient pas sur les dispositions votées en loi de finances pour 2011 concernant les régions et les départements, c'est qu'elles entreront en application véritable en 2013, au vu des ressources de CVAE 2011 et 2012, que nous ne connaissons pas encore. S'il y a lieu d'y revenir, ce sera plutôt en loi de finances pour 2013...
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - On connaît tout de même le produit de la campagne CVAE de 2010 ! Il serait possible et souhaitable d'entamer des évaluations sur cette base !
M. Gilles Carrez. - Non, car la répartition entre collectivités n'est pas encore connue : elle a été modifiée par le décret publié en juin dernier : les effets n'apparaîtront que fin novembre. Le Gouvernement avait initialement envisagé la répartition de la CVAE comme fonction de la masse salariale. Mais prenons l'exemple de la Société Générale : l'implantation de Courbevoie regroupe tous les traders, l'établissement de Saint-Amand-Montrond compte seulement des caissières. On a donc décidé de prendre en compte les effectifs. Pierre Jarlier parlait de coproduction, et c'est effectivement vous qui avez trouvé la solution pour les secteurs industriels. La taxe professionnelle reposant largement sur les équipements et biens mobiliers (EBM), les villes industrielles étaient bien dotées. A supprimer les EBM de l'assiette pour retenir essentiellement la valeur ajoutée, on prenait le risque de tout transférer sur les sièges sociaux en région parisienne. On a alors doublé la part du facteur effectifs. De même pour le critère de surface, nous avons opté pour une pondération en faveur des implantations industrielles.
Dès que nous disposerons de la répartition de la CVAE, le mois prochain, il faudra se mettre au travail car le nouveau potentiel financier sera plus affecté par l'effet CVAE dans les départements et les régions que dans les communes, sauf cas extrêmes (Dunkerque, Fos, étang de Berre...). Pour les départements, la CVAE représentera 48,5 % des ressources. Connaître la répartition de la CVAE est donc essentiel dans leur cas, comme dans celui des régions, qui compteront 25 % de CVAE parmi leurs recettes.
- Présidence de Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente -
M. Eric Jalon. - La modification du mode de calcul du potentiel financier provoque, au niveau des communes en particulier, un certain nombre de variations. C'est pourquoi le projet de loi de finances, dans son article 55, renforce les garanties pour la DNP, la DSU et la DSR.
Le cas d'une commune pauvre dans un ensemble riche - et inversement - est une vraie question, mais il faut maintenir la mesure de la richesse au niveau agrégé du territoire, sans s'interdire de rechercher d'autres moyens de répartition du prélèvement ou du reversement entre les EPCI et leurs membres. Mais gardons-nous, après avoir réussi à simplifier le système, d'inventer d'incompréhensibles moulinettes à répartition ; posons aussi une règle d'unanimité, afin qu'aucune commune ne soit victime des autres et que la libre administration des collectivités ne soit pas égratignée... Soyons extrêmement vigilants sur les équilibres.
L'effort fiscal, introduit avec modération, plutôt pour le reversement que pour le prélèvement - « aide-toi, le ciel t'aidera » - me semble possible. Les critères de l'indice synthétique du FSRIF sont calés sur les choix de Paris Métropole : revenu par habitant, logements sociaux, potentiel financier. Le critère de l'APL est écarté.
M. Philippe Dallier. - C'est bien dommage.
M. Gilles Carrez. - Rassurons les maires bâtisseurs : outre les contrats de développement territorial, les contrats d'habitation, qui témoignent d'un effort de construction, seront pris en compte.
M. Vincent Delahaye. - Je suis heureux du travail accompli, auquel j'ai participé comme membre du comité des finances locales. Inclure dans le potentiel financier les dotations d'intercommunalité et les dotations de péréquation verticale me semble judicieux. Vous rapprochez, monsieur Jalon, les 3 milliards de la péréquation verticale des 250 millions d'euros de la nouvelle péréquation horizontale. Mais le chiffre de 3 milliards est plutôt à comparer aux 76 milliards du potentiel financier national. Il est dommage, injuste même, de ne pas tenir compte de ces ressources.
Quant au FSRIF, je me réjouis de l'absence d'effet de seuil, car il était parfois considérable : ma commune payait un gros montant au fonds. Elle touche la DSU et voilà qu'elle n'a plus rien à payer au fonds de solidarité ! Je m'en étonne, même si cela m'avantage...
M. Gilles Carrez. - Cela a été supprimé, en raison précisément des effets de seuil.
M. Vincent Delahaye. - Le plafond de 15 % de recettes me paraît très élevé. A Paris, Puteaux ou Courbevoie, les plafonds ont été gelés, par négociation avec Paris Métropole, à un niveau bien inférieur. Même si le plafond était abaissé à 10 %, je ne sais pas comment je ferais face.
M. Joël Bourdin. - On définissait jusqu'à présent le potentiel fiscal comme la mesure de la richesse communale ou intercommunale. Or ici on parle de potentiel fiscal pour désigner les ressources financières réelles. Ne vaudrait-il pas mieux retenir un autre terme ?
M. Gilles Carrez. - Il serait effectivement plus juste de parler d'indicateur de ressources...
M. Vincent Delahaye. - ... global !
M. Joël Bourdin. - Je pense moi aussi qu'il faut inclure l'effort fiscal dans le calcul du montant du reversement. J'ai cru comprendre que les reversements seraient pilotés par les communautés de communes.
M. Gilles Carrez. - Oui, elles verseront un montant inversement proportionnel à la richesse de chaque commune membre.
M. Joël Bourdin. - Un bien mauvais rôle pour elles ! Cette sale besogne compliquera la vie des communautés.
M. Gilles Carrez. - La loi fixera les critères : on peut en changer localement, mais sur décision unanime.
M. Eric Jalon. - Le calcul sera effectué par la direction générale des collectivités locales, et transmis aux EPCI par l'intermédiaire des préfectures.
M. François Marc. - Mon groupe réclame depuis des années des avancées sur la péréquation, promises après la décentralisation Raffarin et inscrites dans la Constitution : nous nous réjouissons donc que ce chantier soit lancé, même s'il a fallu pour cela les effets pervers de la réforme de la taxe professionnelle. Qu'importe le flacon, peut-on répondre, pourvu qu'on ait l'ivresse : mais les collectivités connaîtront-elles l'ivresse ? Je crains que non, quand la péréquation horizontale porte sur 250 millions d'euros seulement...
M. Philippe Dallier. - Ce n'est que le début.
M. François Marc. - Il importe de bien peser nos choix car demain, on observera peut-être une vive montée en puissance : réfléchissons donc bien à ce que nous instaurons. Nous en reparlerons à l'occasion des amendements.
Sur le potentiel, on a parlé de chiffres compris entre 668 et 1 300 euros pour le potentiel moyen. Comment corrigez-vous les effets de seuil ? Vous avez certes calculé le delta par rapport à la moyenne, mais d'une strate à l'autre, la moyenne est différente. Si le delta par rapport à la moyenne change au saut de strate, il y a bien un effet de seuil ! Comment le corriger ? Nous proposerons nos solutions par voie d'amendement.
Comment le seuil de prélèvement de 90 % fonctionne-t-il ? On prélève ceux qui ont une capacité financière supérieure à la moyenne de 90 %, mais quid des communautés et des communes membres ?
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - J'ai participé au groupe de travail et suis membre du comité des finances locales. Le système me semble d'une complexité inouïe, pour 250 millions d'euros la première année, et pour quelle efficacité ? Les travaux d'Alain Guengant et Guy Gilbert sur la péréquation soulignaient que l'efficacité en cette matière exige des sommes importantes. Ici, la situation est bien fragile. De vos réponses, je ne retire pas de certitudes. Comment les résultats se verront-ils sur le terrain ? Faut-il ou non des strates ? Comment mesurer les écarts ? Cela n'est pas si simple ! A ce stade de l'analyse, la construction me paraît complexe, mais incertaine dans sa capacité à répondre aux attentes de nos concitoyens. On a parlé des collectivités riches, mais les investissements diminuent, la capacité d'action publique également. Je suis dubitative sur une réforme aussi lourde, pour des effets aussi ténus à en attendre.
M. Jean-Claude Frécon. - Le chiffre de 668 euros par habitant correspond-il au potentiel financier agrégé des ensembles de moins de 10 000 habitants ?
M. Jean-Claude Frécon. - La direction générale des collectivités locales fournira-t-elle les chiffres du reversement aux communautés de communes ?
M. Eric Jalon. - Oui, par l'intermédiaire des préfectures.
M. Jean-Claude Frécon. - Donc sur la base d'un document précis. Très bien.
La prise en compte ou non de l'effort fiscal a suscité bien des différends dans chaque famille politique, à l'époque de la péréquation verticale. Désormais, le cadre est différent car nous parlons de péréquation horizontale. La pertinence du critère n'est plus discutable.
M. François Fortassin. - J'applaudis la superbe construction intellectuelle, mais je ne suis pas pleinement satisfait. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, n'est-ce pas ? Je préfèrerais que l'on identifie les besoins réels. On a instauré la sécurité sociale pour que chaque citoyen vive décemment. Il faut appliquer le même raisonnement aux collectivités. Les communes rurales ne parviennent plus à entretenir les espaces naturels, faute de moyens. Aucune commune ne veut être qualifiée de riche, tout au mieux, aisée, en faisant remarquer qu'elle a beaucoup de charges. Le contribuable qui perçoit un revenu de 500 000 euros invoque-t-il ses trois résidences secondaires, ses deux voitures et son yacht pour refuser l'imposition ? Il convient de prendre en compte les besoins de base des collectivités. Si l'on se donne un cap ambitieux, très bien, mais avec un objectif à 2 %, le système est ridicule, sinon risible.
M. Eric Jalon. - Je ne trouve pas cela risible. Certains disent que 2 % sont insuffisants, qu'un milliard d'euros équivaut à pas grand-chose ; d'autres affirment que le système est compliqué et le changement trop rapide. Je réponds aux uns et aux autres que nous cherchons une voie raisonnable : un milliard d'euros en 2015, ce n'est pas rien, comparé à une DSU de 1,3 milliard et à une DSR de 800 millions. La DSU a doublé depuis 2004 : le chemin a été long, en comparaison de la progression que nous allons connaître en quatre ans pour le FPIC. Les qualificatifs employés ne sont pas mérités.
Les deux plafonnements, le premier à 5 % des dépenses réelles de fonctionnement, le second à 10 %, font un total de 15 %. Si le débat parlementaire ramène ce seuil à 10 %, la montée en puissance du fonds en sera facilitée pour les plus gros contributeurs.
Nous pourrions, Joël Bourdin, remplacer le terme de potentiel fiscal par un « indicateur de ressources intercommunales agrégées », je n'y vois pas d'obstacle. Pour calculer le reversement, on agrège toutes les ressources de l'intercommunalité et des communes membres, et si l'ensemble est supérieur de plus de 90 % à la moyenne de la strate, on prélève, proportionnellement à l'écart à la moyenne. Il n'y a pas, je le répète, d'effet de seuil. Un passage de strate peut certes causer des perturbations, qui s'effacent lorsque la population est stabilisée. La direction générale des collectivités locales notifiera à chaque bloc le montant du prélèvement ou reversement ainsi que la répartition. Un autre type de répartition peut être adopté, à l'unanimité des communes membres et de l'EPCI. C'est notre devoir d'administration d'Etat de transmettre à chacun les résultats du calcul.
On n'a rien fait depuis l'inscription de la péréquation dans la Constitution, dites-vous. La DSU et la DSR ont pourtant doublé ! Depuis la réduction des indexations de la DGF et le gel de l'an dernier, la péréquation intervient par redéploiement au sein des dotations. C'est que le Gouvernement a considéré impossible de geler ses concours financiers sans poursuivre l'effort de péréquation.
Système complexe ? Ce jugement me laisse perplexe ! François Fortassin demande qu'il soit tenu compte de l'entretien des espaces mais une commune urbaine a d'autres charges, liées plutôt aux problèmes sociaux. Toutes ces particularités sont déjà prises en compte dans les dotations. Après du sur-mesure compliqué, nous avons visé la simplicité : non plus 36 000 communes mais 4 000 blocs territoriaux ; deux critères simples : richesse relative et revenu par habitant. On a rarement fait aussi simple, même s'il est besoin de faire preuve d'un esprit didactique.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Je parlais de complexité dans le mode de détermination des prélevés et des bénéficiaires, non dans le choix des critères.
M. Eric Jalon. - Les premières simulations ont été envoyées à la commission des finances de l'Assemblée nationale. Nous allons les affiner pour simuler l'impact d'un système non stratifié et pour intégrer les modifications des députés - vous pourrez ainsi en mesurer la portée. Nos simulations sont individualisées, bloc par bloc, et nous pouvons descendre au niveau infra-bloc sur demande.
M. François Marc. - Peut-on connaître le potentiel agrégé le plus haut et le plus bas ?
M. Eric Jalon. - Je vous ferai transmettre les chiffres.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Nos collègues pourront prendre connaissance également du rapport du Gouvernement au comité des finances locales.
Jeudi 27 octobre 2011
- Présidence de Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente -Loi de finances pour 2012 - Mission Régimes sociaux et de retraite, compte d'affectation spéciale Pensions et articles 65 et 66 - Examen du rapport spécial
La commission procède tout d'abord à l'examen du rapport de M. Francis Delattre, rapporteur spécial, sur la mission « Régimes sociaux et de retraite » et le compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », ainsi que les articles 65 et 66 du projet de loi de finances pour 2012.
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. - Les crédits pour 2012 de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions » représentent des masses significatives du budget de l'Etat, en raison du nombre de pensionnés civils de l'Etat - qui s'élevait à 1,71 million au 31 décembre 2010.
La mission « Régimes sociaux et de retraite », tout d'abord, retrace les subventions d'équilibre versées par l'Etat à certains régimes spéciaux : les caisses autonomes de retraite de la SNCF et de la RATP, le régime spécial de sécurité sociale des marins et plusieurs autres régimes en rapide déclin démographique (la caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines, les régimes de retraite de la SEITA, de l'Imprimerie nationale, etc.).
Les crédits inscrits à ce titre s'élèvent, pour 2012, à 6,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), soit une augmentation de 9,8 % par rapport à 2011.
A périmètre constant, cette hausse s'explique globalement par deux facteurs :
- d'une part, la baisse régulière du taux de couverture des prestations servies par les cotisations collectées par ces régimes, en raison de leur fort déséquilibre démographique ;
- d'autre part, la disparition, en 2012, du dispositif de surcompensation dont certains régimes spéciaux de la mission étaient bénéficiaires.
En effet, afin de compenser des disparités démographiques entre les régimes spéciaux et de résorber les inégalités de capacité contributive entre les assurés de ces régimes, la loi de finances pour 1986 avait instauré un mécanisme de compensation spécifique aux régimes spéciaux de retraite (fonctionnaires de l'Etat, caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales - CNRACL -, mines, marins, SNCF, RATP, Banque de France, SEITA, etc.), appelée surcompensation.
Celle-ci mettait principalement à contribution la CNRACL et le régime des fonctionnaires civils. Elle bénéficiait a contrario essentiellement aux régimes de la SNCF et des mines.
Compte tenu des transferts devenus trop importants entre régimes, la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a prévu la disparition progressive de la surcompensation qui doit définitivement prendre fin au 1er janvier 2012.
La forte hausse des crédits de la mission n'était que partiellement prévue par la loi de programmation des finances publiques puisque, pour la troisième année consécutive, les dotations demandées pour l'année à venir dépassent les plafonds de crédits fixés pour 2012 de 130 millions d'euros.
S'il est vrai que la prévision des montants des subventions d'équilibre retracées dans la présente mission est un exercice délicat en raison, en particulier, du caractère encore non stabilisé des comportements de départ à la retraite après les réformes intervenues en 2008 et 2010, il serait souhaitable, à terme, de disposer d'une évaluation plus fine des crédits demandés.
Les régimes spéciaux de retraite ont, en effet, connu récemment deux importantes réformes : la première en 2008 était spécifique aux régimes spéciaux ; la seconde, débattue à l'automne dernier, concernait l'ensemble des régimes de retraites du secteur privé et du secteur public.
La réforme des retraites de 2010 a été transposée réglementairement aux régimes spéciaux. Mais celle-ci ne prendra effet qu'à partir de 2017 afin de respecter le rythme de montée en charge prévu par la réforme de 2008.
Cet étalement dans le temps a ainsi pour objet principal de ne pas remettre en cause les « accords » alors conclus : ceux-ci prévoient que les mesures de rapprochement des régimes spéciaux vers le régime de la fonction publique, lui-même réformé en 2003, ne seront pleinement effectives qu'en 2016.
Ces deux réformes n'auront qu'un effet très progressif sur le montant des subventions d'équilibre versées dans le cadre de la présente mission.
Ainsi, s'agissant de la SNCF - soit le plus important régime spécial de la mission -, la subvention d'équilibre versée par l'Etat demeurera supérieure à 2 milliards d'euros à l'horizon 2030, contre 3,3 milliards d'euros pour 2012.
Il est à noter que, compte tenu de leur forte augmentation, les subventions d'équilibre versées par l'Etat représentent désormais une part importante des ressources des différents régimes : la moitié du budget de la caisse autonome de la RATP, plus de 60 % de celui de la caisse autonome de la SNCF et plus des trois-quarts des produits des régimes des marins et des mines.
En outre, des crédits à hauteur de 250 millions d'euros sont inscrits en dépenses de la mission « Régimes sociaux et de retraite », pour assurer l'équilibre du compte d'affectation spéciale « Pensions ». J'interrogerai le Gouvernement en séance publique sur cette contribution exceptionnelle, alors que le CAS dispose par ailleurs d'un fonds de roulement de 1 milliard d'euros pour faire face à ses besoins de trésorerie.
En ce qui concerne le compte d'affection spéciale « Pensions », je rappelle que celui-ci a été institué par l'article 21 de la LOLF qui a prévu la mise en place, au 1er janvier 2006, d'un compte distinct du budget général de l'Etat pour retracer les opérations relatives aux pensions civiles et militaires de retraite des agents de l'Etat et avantages accessoires.
Le CAS « Pensions » est structuré en trois programmes, représentant :
- les pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d'invalidité (programme 741) pour un montant de 50,35 milliards d'euros, répartis entre 40,32 milliards d'euros de pensions civiles, 9,89 milliards d'euros de pensions militaires et 143 millions d'euros d'allocations temporaires d'invalidité ;
- les pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat (programme 742) pour un montant de 1,83 milliard d'euros ;
- les pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et autres pensions (programme 743) pour un montant de 2,45 milliards d'euros.
Au total, les crédits du CAS « Pensions » augmentent en 2012 de 2 milliards d'euros pour s'établir à 54,6 milliards d'euros, soit une hausse de 3,9 %. Cette mission représente donc un facteur dynamique de progression des dépenses budgétaires.
Afin d'assurer l'équilibre du programme 741 « Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d'invalidité », le projet de loi de finances pour 2012 prévoit des augmentations des taux de contribution employeur de l'Etat de 65,39 % à 68,59 % (soit + 4,9 %) pour les pensions de retraite des civils, et de 114,14 % à 121,55 % (soit + 6,5 %) pour les pensions militaires.
S'agissant du taux de cotisation salariale, celui-ci s'établira à 8,39 % en 2012, en application de la loi du 9 novembre 2010, qui a prévu un relèvement de ce taux de 0,27 point chaque année pour atteindre, en 2020, le taux en vigueur pour les régimes de droit commun (10,55 %).
Le rapport spécial fournit également des indications sur les choix de départ en retraite des agents, après la réforme de 2010.
Celle-ci a provoqué d'emblée une augmentation des demandes de liquidation, qui ont concerné 83 172 ayants droit en 2010, soit une hausse de 4 % par rapport à l'année 2009. Toutefois, à plus long terme, sur quatre ans (2010-2013), le Gouvernement envisage une diminution globale de 3 % du nombre total de nouveaux ayants droit aux régimes de pensions des fonctionnaires civils et militaires, en conséquence du recul de l'âge d'ouverture des droits à la retraite.
Pour les dépenses retracées dans les programmes 742 et 743, les subventions d'Etat assurent la plus grande part des ressources nécessaires à l'équilibre de ces régimes, voire leur totalité dans le cas du programme 743.
Le programme 742 « Ouvriers des établissements industriels de l'Etat » retrace les dépenses et recettes du Fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat (FSPOEIE) et du fonds des Rentes d'accidents du travail des ouvriers civils des établissements militaires (RATOCEM).
Le Fonds des pensions des ouvriers d'Etat est caractérisé par un déficit démographique important, avec un ratio de 2,36 pensionnés pour un actif. La subvention d'équilibre de l'Etat à ce régime s'élèvera à 1,183 milliard d'euros en 2012, en hausse de 48 millions d'euros (4,3 %) par rapport à 2011.
La gestion des ouvriers d'Etat du ministère de la défense a donné lieu à un référé de la Cour des comptes d'août 2011, qui appelle à une meilleure gestion prévisionnelle des ressources humaines, à une consolidation juridique de certaines primes et surtout à un arrêt des recrutements sous ce statut. Pour me limiter strictement à mon champ de compétence - à savoir les pensions versées à ce régime - je demanderai au Gouvernement des réponses sur deux points : les emplois à temps partiel suffisent-ils à expliquer la différence entre le nombre de cotisants à ce régime - plus de 34 000 - et les 25 000 emplois équivalents temps plein identifiés par la Cour des comptes ? Par ailleurs, comment améliorer le suivi des heures supplémentaires, qui entrent dans le calcul des droits à pension ?
S'agissant du programme 743, les dépenses ne sont équilibrées par aucune cotisation. En effet, ce programme finance, d'une part, des régimes « éteints » sur le plan démographique, au sens où ils ne comptent plus de cotisants actifs : il s'agit des pensions des ministres des cultes d'Alsace-Moselle, des employés de chemin de fer franco-éthiopien et de l'ORTF. D'autre part, ce programme retrace des prestations ne donnant pas lieu à cotisation : les retraites des combattants, les traitements attachés à la Légion d'honneur et à la médaille militaire, les pensions versées aux victimes de guerre ou d'actes de terrorisme.
Les dépenses du programme 743 sont donc intégralement compensées par une subvention d'équilibre de l'Etat, dont le montant s'élève à 2,45 milliards d'euros en 2012, en baisse de 90 millions d'euros par rapport à 2011.
Enfin, permettez-moi de dire un mot des deux articles 65 et 66 rattachés au compte d'affectation spéciale « Pensions ». Ces dispositions sont les conséquences de deux décisions du Conseil constitutionnel ayant censuré des ruptures d'égalité, prises dans le cadre de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) :
- d'une part, pour le droit à pension de réversion des orphelins âgés de moins de vingt-et-un ans, et dont le parent fonctionnaire décédé a eu successivement plusieurs conjoints ; l'inégalité tenait au nombre d'enfants issus de chaque mariage, défavorisant les familles les plus nombreuses ; la mesure proposée a un coût modeste estimé à 100 000 euros, car s'appliquant à de rares cas ;
- d'autre part, pour les anciens agents titulaires d'une rente viagère d'invalidité et ayant élevé au moins trois enfants, et qui bénéficient à ce titre d'une majoration de pension pour enfants ; le montant global de la pension, de la rente viagère d'invalidité et de la majoration pour pensions était plafonné ; ainsi, d'anciens agents invalides bénéficiaient d'une majoration pour enfants moins élevée que d'anciens agents valides ayant le même nombre d'enfants, et cette rupture d'égalité entre agents valides et invalides a été censurée par le Conseil constitutionnel ; pour remédier à cette situation, le dispositif proposé par l'article 66 supprime le plafond global de la rente viagère d'invalidité et de la majoration de pension pour enfants ; la dépense budgétaire s'élève à 3,3 millions d'euros.
En conclusion, comme le paiement des droits à pension constitue pour l'Etat une obligation, je vous propose, au nom de la commission des finances et sous le bénéfice de mes observations, d'adopter les crédits du compte d'affectation spéciale « Pensions » et de la mission « Régimes sociaux et de retraite », ainsi que les articles 65 et 66 rattachés au compte d'affectation spéciale « Pensions ».
M. Aymeri de Montesquiou. - Notre rapporteur spécial a montré l'importance des enjeux budgétaires qui s'attachent aux pensions des fonctionnaires de l'Etat. Comment expliquer le dépassement des plafonds prévus par la programmation pluriannuelle des finances publiques en ce qui concerne les régimes spéciaux ?
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. - La réforme des retraites de 2010 a conduit à modifier les prévisions du nombre de pensionnés, et donc les plafonds de la loi de programmation. D'ailleurs, des réformes difficiles des régimes spéciaux sont intervenues. Ainsi, le nombre de départs en retraite dans la fonction publique a représenté, l'an dernier, un flux de 83 000 nouveaux ayants droit alors que, avant la réforme, le Gouvernement ne prévoyait qu'un nombre de 80 000 nouveaux ayants droit en 2010. Cet exemple montre les difficultés à prévoir les comportements de départ en retraite des agents. Les estimations des sommes versées au titre des pensions comportent donc une part d'incertitude.
M. Aymeri de Montesquiou. - Quelles sont les possibilités d'arbitrage ?
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. - Nous ne pouvons agir que sur les sommes inscrites en trésorerie au CAS « Pensions »...
M. Aymeri de Montesquiou. - Nous perçons les plafonds légaux mais pas les mystères !
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. - ... qui bénéficie d'un abondement de 250 millions d'euros inscrit, en dépenses, à la mission « Régimes sociaux et de retraite ». Ces dépenses s'ajoutent au dépassement de 130 millions d'euros des crédits de la mission par rapport à la loi de programmation. Au total, le plafond des crédits de cette mission est donc dépassé de 380 millions d'euros par rapport à la loi de programmation.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - L'exercice de prévisions pose effectivement des difficultés. En 2010, les souhaits de départ en retraite ont été plus nombreux, afin de bénéficier de l'ancien régime.
En ce qui concerne les articles 65 et 66, ils permettent de mettre en conformité le droit avec des décisions du Conseil constitutionnel.
A l'issue de ce débat, la commission décide, à l'unanimité, de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions », ainsi que des articles 65 et 66 du projet de loi de finances pour 2012.
Loi de finances pour 2012 - Mission « Immigration, asile et intégration » - Examen du rapport spécial
La commission procède ensuite à l'examen du rapport de M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial, sur la mission « Immigration, asile et intégration ».
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - La mission « Immigration, asile et intégration » est probablement moins consensuelle que la mission « Régimes sociaux et de retraite » ! Toutefois, elle ne représente que 15,3 % des crédits globalement consacrés par l'Etat à la politique transversale d'immigration et d'intégration. En effet, cette politique implique d'autres ministères : affaires étrangères, affaires sociales, éducation nationale, etc. Globalement, cette politique transversale représente 4,3 milliards d'euros en crédits de paiement. Ce chiffre doit toutefois être pris avec précaution étant donné le mode de calcul de la contribution de chaque mission à la politique transversale. En effet, la contribution de la mission « Recherche et enseignement supérieur », par exemple, est calculée en rapportant le budget des universités à la proportion d'étudiants étrangers faisant leurs études en France.
Ma présentation de la mission s'articulera en trois parties :
- tout d'abord, des observations sur la disparition d'un ministère dédié à l'immigration. Je rappelle que celui-ci, créé en 2007, a été supprimé en 2010 et est aujourd'hui intégré au ministère de l'intérieur ;
- puis, les principaux éléments chiffrés du projet de loi de finances pour 2012 ;
- enfin, l'évolution de la situation financière de l'Office français pour l'immigration et l'intégration (Ofii).
A titre liminaire, je tiens à souligner qu'à la date du 10 octobre 2011, l'intérieur avait répondu à 100 % des cinquante questions adressées par votre commission des finances, ce qu'il convient de saluer.
En novembre 2010, suite au remaniement du Gouvernement, le ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire a été supprimé, trois ans après sa création. Son architecture est toutefois préservée sous la forme d'un secrétariat général à l'immigration et à l'intégration (SGII), au sein du ministère de l'intérieur.
Au regard de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), il est satisfaisant pour notre commission de constater que la maquette budgétaire n'est pas altérée par ces modifications administratives et que la mission « Immigration, asile et intégration », telle que présentée les années précédentes, est préservée. C'est la première remarque que je souhaitais formuler.
S'agissant des crédits prévus pour la mission en 2012, je relève qu'ils connaissent une forte hausse par rapport à la loi de finances initiale pour 2011 : + 12,1 % en autorisations d'engagement - ce qui porte les crédits à 561 millions d'euros - et + 12,6 % en crédits de paiement - qui atteignent donc 632 millions d'euros en 2012. Du fait de cette hausse, la mission dépasse significativement - d'environ 15 % - les plafonds fixés par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.
Je relève par ailleurs que 65 % des crédits de paiement de la mission sont consacrés à l'accueil des demandeurs d'asile, 11 % à l'intégration des étrangers et 13,5 % à la lutte contre l'immigration irrégulière, c'est-à-dire, en pratique, au financement des centres de rétention administrative (CRA). Les 10 % restants correspondent au fonctionnement du SGII. Ces crédits n'englobent donc pas ceux consacrés à la police et à la gendarmerie, qui figurent dans la mission « Sécurité ».
L'augmentation des dotations de la mission vise à répondre aux critiques récurrentes de notre commission sur la sous-budgétisation des moyens destinés à financer l'hébergement des demandeurs d'asile et le versement, à leur profit, de l'allocation temporaire d'attente (ATA). Ces crédits augmentent de 87 millions d'euros, soit une hausse de près de 25 % sur le premier des deux programmes de la mission. Dans le détail, 51 millions d'euros supplémentaires viennent abonder l'hébergement d'urgence et 36 millions d'euros l'ATA.
On peut toutefois craindre qu'en raison de la hausse constante de la demande d'asile - encore + 9,5 % sur les six premiers mois de l'année 2011 - et du coût marginal croissant de l'hébergement des demandeurs, la majoration des crédits correspondant à la demande d'asile ne suffise pas à couvrir les besoins en 2012.
S'agissant de l'origine des demandeurs d'asile, on constate, sur les six premiers mois de l'année 2011, que le premier pays est le Rwanda, avec 3 165 demandes, suivi du Bangladesh, ce qui est plus étonnant - 2 311 demandes - du Kosovo, de la Russie, de l'Arménie, même si ce pays est une démocratie, puis de la République démocratique du Congo, du Sri Lanka, de la Guinée et, enfin, de la Mauritanie. Le problème rencontré est de pouvoir identifier les critères à partir desquels un étranger peut légitimement être considéré comme un demandeur d'asile.
Le nombre de places en centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) a beaucoup augmenté depuis 2011, il est aujourd'hui de 21 700. Malheureusement, il ne suffit pas à accueillir l'ensemble des demandeurs, étant donné le rythme d'accroissement des demandes. Les demandeurs d'asile sont donc logés dans des dispositifs d'hébergement d'urgence, dont le coût marginal est croissant, ce qui explique pourquoi la hausse du coût budgétaire de la demande d'asile est plus rapide que la seule augmentation du nombre de demandeurs.
L'évolution des délais moyens de traitement des demandes d'asile par l'office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) est une autre source d'inquiétude. En effet, malgré un renfort de trente officiers de protection supplémentaires depuis le début de l'année 2011, le délai moyen continue d'augmenter. Il est passé de 118 jours en 2009 à 150 jours en 2011. Or, nous avons chiffré à environ 15,7 millions d'euros le coût, pour le budget de l'Etat, d'un mois supplémentaire de procédure relative à la demande d'asile. Si le délai repassait sous la barre des 100 jours, la procédure devant l'Ofpra en serait à la fois plus acceptable humainement et budgétairement plus efficace.
S'agissant du second programme de la mission, « Intégration et accès à la nationalité française », qui ne représente que 71,6 millions d'euros en crédits de paiement en 2012, ma principale remarque porte sur l'Office français pour l'immigration et l'intégration, qui met en oeuvre les actions d'intégration au profit des étrangers. Celui-ci connaît une baisse de 7,6 % de la subvention pour charge de service public versée par l'Etat. Toutefois, cette diminution est largement compensée par la hausse des recettes fiscales propres de l'office, dont la réforme se poursuit dans le présent projet de loi de finances. Les recettes fiscales qui lui sont affectées sont ainsi passées de 108 millions d'euros en 2009 à 155 millions d'euros en 2012. Il faudra que nous veillions à ce que cette ressource soit adaptée aux besoins de l'Ofii.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
M. Philippe Dallier. - Nous avons effectué, avec notre collègues Pierre Bernard-Reymond, un travail de contrôle cette année qui portait notamment sur les conséquences, pour la mission « Ville et logement », de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile et pointait la sous-budgétisation récurrente des crédits nécessaires à cet hébergement. Quel serait le montant des crédits supplémentaires pour éviter une sous-budgétisation en 2012 ?
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - En 2011, un abondement supplémentaire de 50 millions d'euros a été nécessaire. Il y aura probablement de nouveaux ajustements avant la fin de l'année. Si, en 2012, l'augmentation de la demande d'asile continue au même rythme, on peut penser que 50 à 70 millions d'euros supplémentaires seront nécessaires par rapport au présent projet de loi de finances. Le ministère de l'intérieur est bien conscient de l'effort qu'il faudra faire dans ce cas. Mais tout dépendra de l'évolution de la demande d'asile, par essence imprévisible.
M. François Marc. - Cette mission suscite pour notre groupe plusieurs insatisfactions. D'une part, nous nous inquiétons de la volonté du Gouvernement de limiter l'immigration professionnelle, alors même que Laurence Parisot, présidente du MEDEF, juge cette évolution « dangereuse ». D'autre part, nous relevons un déséquilibre entre les 85 millions d'euros destinés à la lutte contre l'immigration clandestine et les 41 millions d'euros consacrés aux actions d'intégration des étrangers en situation régulière. Enfin, nous pointons le risque d'une remise en cause du droit d'asile. Les capacités d'hébergement sont insuffisantes et le montant de l'ATA - 10 euros par jour - trop faible pour subvenir aux besoins des populations concernées.
C'est pourquoi notre groupe souhaite que la commission propose de rejeter le budget de la mission pour 2012.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - Les sujets qu'évoque François Marc font débat depuis plusieurs années. La question de l'immigration professionnelle fait partie intégrante de la politique d'immigration française mais n'a pas de traduction budgétaire directe dans la mission « Immigration, asile et intégration ».
Le déséquilibre entre les crédits consacrés à la lutte contre l'immigration irrégulière et ceux visant l'intégration des étrangers en situation régulière s'explique en partie par la nécessité d'inscrire des crédits d'investissement pour financer les CRA sur la ligne consacrée à la lutte contre l'immigration irrégulière. Il faut veiller à ne pas trop déséquilibrer les deux dotations et à ne pas abandonner la politique de lutte contre l'immigration irrégulière, au risque de créer un « appel d'air ».
Enfin, la hausse de 9,5 % de la demande d'asile sur les premiers mois de l'année 2011 prouve que la France ne remet pas en cause le droit d'asile. Si l'on pouvait augmenter le montant de l'ATA, cela bénéficierait aux demandeurs, mais je rappelle que la hausse des crédits qui lui sont consacrés est de 36 millions d'euros en 2012, ce qui est loin d'être négligeable.
M. Jean-Claude Frécon. - J'ai effectué l'année dernière avec Pierre Bernard-Reymond une mission sur la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), dont les crédits font partie de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat ». Nous avons pu noter l'impact des délais de la procédure devant cette juridiction sur le budget consacré à l'hébergement d'urgence. Je constate que le renforcement des effectifs de la CNDA en 2011 a permis de réduire les délais d'examen.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - S'agissant de la CNDA, les délais d'examen sont incroyablement longs : un an et vingt-sept jours en 2010 ! Grâce aux renforcements de personnel, ils diminuent mais il faudrait parvenir à un délai plus raisonnable, compris entre six et neuf mois.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Nous revenons en réalité au niveau de la demande d'asile de 2005 ?
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - En effet. On constate que, depuis 2007, l'augmentation du nombre de demandes est très forte et qu'en 2011, nous risquons de retrouver un niveau proche de celui de l'année 2005 où 59 200 demandes avaient été formulées.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Cette mission est très importante et reflète bien l'ambition de notre pays en matière d'immigration. 560 millions d'euros consacrés à l'immigration et à l'asile, ça n'est pas négligeable ! Il faut comparer les 85 millions d'euros liés à la lutte contre l'immigration clandestine avec les 409 millions d'euros en faveur des demandeurs d'asile.
Disposez-vous d'informations sur la mise en oeuvre du programme « visabio », le traitement informatisé des données personnelles biométriques des demandeurs de visas, et sur les procédures en visioconférence devant l'Ofpra ?
Par ailleurs, où en est la situation des salles d'audiences aménagées à l'aéroport de Roissy, qui ne sont pas utilisées parce que les magistrats du tribunal de Bobigny refusent de s'y rendre ? Il me semble que des travaux ont été faits et, pourtant, les étrangers continuent à être jugés au tribunal de Bobigny, avec un système de transferts en bus, parfois à quatre heures du matin, qui n'est absolument pas acceptable !
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - La situation n'a pas évolué sur ce dernier point. Les étrangers transférés à quatre heures du matin ne sont d'ailleurs évidemment pas jugés dans l'heure et doivent ensuite attendre sur place.
S'agissant du programme « visabio » et de la visioconférence devant l'Ofpra, je vais me renseigner. Ces sujets pourront faire l'objet de contrôles sur pièces et sur place dans le courant de l'année prochaine.
M. Roland du Luart. - On connaît la souffrance des populations à travers le monde mais on ne peut malheureusement pas accueillir en France toute la misère du monde. Il me semble qu'il y a une frontière ténue entre la demande d'asile et les filières d'immigration clandestine. Par exemple, dans la Sarthe, 1 600 Tchétchènes sont aujourd'hui installés et posent des problèmes importants d'intégration et de sécurité. Il faudrait assurer une meilleure insertion de ces populations, notamment par l'apprentissage de notre langue.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - J'ignorais l'existence de cette filière. Les efforts à faire pour faciliter l'insertion des populations ne concernent pas que les Tchétchènes.
Mme Michèle André. - Je salue la tentative du ministère pour remédier à la sous-budgétisation de la mission. Je ne peux que me joindre au rapporteur spécial pour regretter qu'elle ne soit pas suffisante. On constate aujourd'hui que les départements ne peuvent plus assurer l'accueil des demandeurs d'asile, ce qui entraîne beaucoup de problèmes sociaux. Il faut éviter d'amalgamer demandeurs d'asile et immigration clandestine. J'ai pu constater, en tant que présidente de la délégation parlementaire aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, la détresse des femmes violées en République démocratique du Congo qui viennent demander l'asile en France.
Je ne voterai pas les crédits de la mission parce qu'il faut dès maintenant les remettre à un niveau suffisant et cesser les sous-budgétisations.
S'agissant de l'Arménie, je rappelle que de nombreux demandeurs d'asile ont pour origine le conflit du Haut-Karabagh, que l'on a tendance à oublier.
Enfin, les Tchétchènes ont des passeports russes et la brutalité des autorités de cette région doit expliquer une grande part de la demande d'asile en provenance de Russie.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - Je suis très sensible à ce que vous dites. La vraie difficulté est d'éviter que la demande d'asile soit un choix pour éviter l'immigration régulière, cette question ne se posant évidemment pas pour les femmes de République démocratique du Congo ou pour les ressortissants du Haut-Karabagh.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Je voudrais insister sur la nécessité de déployer des moyens supplémentaires au profit de l'Ofpra. Les délais d'examen sont aujourd'hui trop longs.
M. Philippe Dallier. - Si je peux le suggérer à notre rapporteur spécial, il serait intéressant d'examiner les conséquences de l'accueil des mineurs étrangers pour les départements, notamment pour la Seine-Saint-Denis, en raison de la présence de l'aéroport de Roissy. Il manque une ligne, dans ce budget, pour aider les conseils généraux à faire face à cette charge.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - L'insuffisance des moyens consacrés à l'Ofpra et à l'hébergement des demandeurs d'asile conduira mon groupe à ne pas voter les crédits de la mission, que je mets aux voix. Huit voix pour, sept voix contre : ils sont adoptés.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Loi de finances pour 2012 - Mission « Sécurité civile » - Examen du rapport spécial
La commission procède enfin à l'examen du rapport de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial, sur la mission « Sécurité civile ».
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Depuis sa création, la mission « Sécurité civile » pâtit d'une structuration très artificielle entre ses deux programmes. Le programme « Intervention des services opérationnels » rassemble les moyens propres de l'Etat en matière de sécurité civile, tandis que le programme « Coordination des moyens de secours » a pour objectif de coordonner les acteurs nationaux et locaux de la sécurité civile. D'apparence cohérente, cette distinction se révèle en pratique assez peu opérationnelle.
Dotée de 448,4 millions d'euros en 2012, la mission « Sécurité civile » ne contribue que marginalement à l'effort global de la France dans ce domaine :
- les dépenses des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) ne rentrent pas stricto sensu dans le champ de cette mission. Pourtant elles se sont élevées à 5,5 milliards d'euros en 2011 ;
- huit autres programmes répartis sur quatre missions (« Ecologie, développement et aménagement durables », « Santé », « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales », « Administration générale et territoriale de l'Etat ») totalisaient ensemble 560 millions en 2011.
Quoiqu'il en soit, la progression de 3,1 % de l'enveloppe budgétaire en crédits de paiement (CP) respecte tout à la fois les évolutions inscrites dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 et celles annoncées par la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 ».
L'impact de la révision générale des politiques publiques (RGPP) se fait sentir sur la mission.
Tout d'abord, l'optimisation de l'organisation et du fonctionnement de cette mission s'est traduite, le 7 septembre dernier, par la création de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), résultat de la fusion des directions de la sécurité civile et de la prospective et de la planification.
En outre, les fonctions support des flottes d'hélicoptères de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et de la sécurité civile ont été mutualisées.
Enfin, la suppression de 23 emplois pour 21 départs à la retraite est à apprécier au regard d'un effectif de 2 464 emplois équivalent temps plein travaillé (ETPT).
S'agissant des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), on ne peut manquer de relever que les collectivités territoriales financent 96 % de leurs dépenses de fonctionnement et que la part relative des conseils généraux dans ce financement tend même à croître pour représenter, en 2011, 2,35 milliards d'euros, soit 57 % du total.
Aussi semble-t-il important de pouvoir mieux cerner, dans la dynamique de la dépense des SDIS, ce qui relève des contraintes ou des transferts imposés par l'Etat et ce qui résulte de décisions prises dans les départements.
Le fonds d'aide à l'investissement (FAI) sera doté de 18,36 millions d'euros, soit une baisse de 14 % par rapport à 2011. Cette contraction s'explique par le besoin de maintenir le montant de la subvention de fonctionnement de l'Ecole nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP).
Une part prépondérante du FAI est par ailleurs absorbée par le raccordement au réseau ANTARES.
S'agissant d'ANTARES, ce réseau équipera, en 2012, 70 % des SDIS. Son fonctionnement représente 23,2 millions d'euros et il convient de rappeler que le coût global en investissement s'élèvera à 154 millions d'euros, dont 30 % financés au travers du FAI.
Enfin, alors que des craintes s'étaient exprimées en 2011, la subvention de fonctionnement en faveur de l'ENSOSP est finalement maintenue. Elle se montera à 4,47 millions d'euros, auxquels il convient d'ajouter une dotation en fond propre pour un montant de 5,17 millions d'euros. Toutefois, après un pic d'activité en 2010, on ne peut manquer de s'interroger sur un éventuel surdimensionnement de cette école au regard des besoins de formation. Je m'interroge également sur la formation des lieutenants de sapeurs-pompiers professionnels. Ne pourrait-on pas imaginer, par exemple, que l'ENSOSP se rapproche des écoles départementales pour les sous-officiers et accueille certains d'entre eux ?
En conclusion, et compte tenu du respect de la programmation budgétaire pluriannuelle, je vous propose d'adopter, sans modification, les crédits proposés pour la mission et chacun de ses deux programmes.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - La formation et le devenir de l'ENSOSP constituent effectivement des questions récurrentes devant trouver leurs réponses.
M. François Marc. - Mon explication de vote aura pour toile de fond les relations entre les collectivités territoriales et l'Etat. Il existe aujourd'hui une profonde inquiétude sur les moyens mis en oeuvre par les départements dans le domaine de la sécurité civile.
Concernant les crédits d'investissement, le FAI demeure restreint dans ses capacités d'action. Le projet ANTARES reste lui aussi problématique, tant du point de vue de l'investissement réalisé que du fonctionnement à financer. Les SDIS vont se tourner vers les départements pour assumer ce fonctionnement et nous allons assister à un nouveau transfert de charges de l'Etat vers les collectivités territoriales. Je remarque par ailleurs que ces services départementaux ont fait beaucoup d'efforts au cours des dernières années pour limiter leurs autres dépenses de fonctionnement.
Notre collègue Claude Haut, qui vous a précédé dans vos fonctions de rapporteur spécial de la mission « Sécurité civile », m'a aussi fait part de sa préoccupation concernant le renouvellement de la flotte d'avions de lutte contre les feux.
Pour l'ensemble de ces motifs, notre groupe est dans l'idée de voter contre les crédits de cette mission.
M. Yannick Botrel. - Beaucoup de choses ont été faites dans les départements en faveur des SDIS, en matière de politique immobilière et de moyens opérationnels notamment. Ces dépenses ont représenté un lourd coût budgétaire pour les collectivités territoriales. Mais je m'étonne que certaines dispositions soient décrétées par l'Etat, puis que leurs conséquences soient à la charge des collectivités. C'est par exemple le cas de décisions relatives au régime indemnitaire des personnels. L'Etat doit assumer ses choix.
Mme Marie-Hélène des Esgaulx. - Nous examinons un budget important et je crois qu'il ne faut pas opposer l'Etat et les collectivités territoriales. Il y a au contraire une convergence entre les actions des uns et des autres. J'observe en outre avec intérêt que l'action n° 1 « Préparation et gestion des crises » du programme « Coordination des moyens de secours » voit ses crédits de paiement augmenter considérablement. J'interprète cette hausse comme la volonté de mieux préparer, de mieux protéger et de mieux informer les populations en cas de crise.
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Le débat autour de la sécurité civile et du rôle respectif de l'Etat et des collectivités territoriales n'est pas nouveau. C'est dans les années 2000 que se sont opérés de substantiels transferts aux départements.
Je crois qu'il est aujourd'hui important de mieux distinguer les dépenses qui relèvent des décisions de l'Etat et celles qui découlent d'orientations prises au niveau départemental. En tant que rapporteur spécial de cette mission, je compte bien m'y atteler. Il faut être honnête sur cette question. Quand je discute avec les principaux acteurs de la sécurité civile, chacun se renvoie la balle. Il nous arrive pourtant de visiter certains garages très modernes par exemple, mais personne ne veut assumer la responsabilité de la dépense a posteriori.
Pour ANTARES, le fonctionnement est pris en charge par l'Etat. Cette infrastructure fonctionne un peu comme les réseaux d'assainissement des eaux que nous connaissons bien dans nos communes : elle repose sur un investissement initial de l'Etat et un financement par les départements du raccordement à ce réseau. Le coût global du déploiement d'ANTARES sera légèrement supérieur à 150 millions d'euros, pris en charge à hauteur d'environ 40 millions d'euros par le FAI.
La question bien sûr se pose de savoir s'il fallait, il y a quelques années, lancer ce nouveau réseau de communication. Je rappelle, à cet égard, que l'idée de relier toutes les forces contribuant à l'action de sécurité civile paraît judicieuse. En revanche, certains acteurs vont moins vite que d'autres pour se raccorder à ANTARES. Je déplore en particulier que les services d'aide médicale urgente (SAMU) ne témoignent pas dans ce domaine du même engouement que les SDIS.
S'agissant de la lutte contre les feux, la question du remplacement éventuel des Canadairs n'est pas encore réglée. Celle des Trackers le sera de façon imminente. Je veux toutefois souligner que, lors de mes échanges avec les responsables de la sécurité civile, il ne m'a pas été fait part de difficultés particulières sur ces questions.
Enfin, comme l'a observé Marie-Hélène des Esgaulx, les crédits de l'action n° 1 « Préparation et gestion des crises » du programme 128 ont augmenté de 89,7 % entre 2011 et 2012.
Mme Michèle André. - Certains équipements mis à la disposition des pompiers sont-ils trop luxueux ou surdimensionnés ? Il faut se souvenir que la mise en place des SDIS demeure relativement récente. Elle a été difficile, mais elle correspondait à une belle idée : mettre en commun les moyens de sécurité civile. Au moment de la mise en place des SDIS, on a pu s'apercevoir que certaines communes n'avaient pas investi depuis longtemps dans les bâtiments de ces services. Parmi les sapeurs-pompiers volontaires, on comptait un certain nombre de femmes et celles-ci ne pouvaient décemment pas se changer dans le même vestiaire que les hommes, par exemple. La remise en état des casernes de pompiers était donc une nécessité. Certes, quelques communes n'ont pas pu s'empêcher de chercher à rivaliser sur le terrain de l'investissement en faveur de leurs centres de secours. Toutefois, l'organisation telle qu'on la connaît désormais avec les SDIS a grandement favorisé la mise à niveau des moyens de secours.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Je mets aux voix les crédits de la mission « Sécurité civile » : sept voix pour, six voix contre. Ils sont adoptés.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Sécurité civile ».