- Mardi 11 octobre 2011
- Mercredi 12 octobre 2011
- Ouverture à la concurrence et régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne - Examen du rapport d'information
- Contrôle budgétaire - Application du droit communautaire de l'environnement - Communication
- Situation des banques françaises et financement de l'économie - Audition de MM. Michel Bouvard, président de la commission de surveillance, et Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations
- Situation des banques françaises et financement de l'économie - Audition de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France
- Situation des banques françaises et financement de l'économie - Audition de M. Ramon Fernandez, Directeur général du Trésor
- Situation des banques françaises et financement de l'économie - Audition de M. Pierre Mariani, administrateur délégué, président du comité de direction de Dexia
Mardi 11 octobre 2011
- Présidence de M. François Marc, vice-président -Soutien apporté par l'Etat aux banques - Audition de M. Jean-Dominique Comolli, commissaire aux participations de l'Etat
La commission procède tout d'abord à l'audition de M. Jean-Dominique Comolli, commissaire aux participations de l'Etat, et de M. Olivier Bourges, directeur général adjoint de l'Agence des participations de l'Etat (APE), sur le soutien apporté par l'Etat aux banques.
M. François Marc, président. - Pour cette première réunion dans notre nouvelle configuration, vous voudrez bien excuser le Président Philippe Marini, empêché pour la semaine.
Le sujet qui nous occupe aujourd'hui est d'une brûlante actualité, puisqu'il a trait à la solidité des établissements bancaires français et européens, alors que la crise de la dette souveraine dans la zone euro a suscité de fortes inquiétudes quant à la solvabilité de certains d'entre eux. C'est ainsi que l'État doit, pour la seconde fois, puisqu'il l'a déjà fait en 2008, intervenir en faveur de Dexia.
C'est dans ce contexte que nous conduirons une série de cinq auditions destinées à nous éclairer sur les options qui se présentent à la puissance publique. Le calendrier nous rattrape, puisqu'un projet de loi de finances rectificative visant à accorder la garantie de l'État à Dexia sera présenté demain en conseil des ministres afin d'être soumis au Parlement dès la semaine prochaine, pour une promulgation rapide.
Le temps presse, entrons dans le vif du sujet : pouvez-vous, monsieur le commissaire, nous apporter des éclaircissements sur le montage retenu pour sauver Dexia et, plus généralement, des explications plus théoriques sur les différentes options qui s'offrent à l'État dans le cadre d'une faillite bancaire. Pourquoi, dans le cas qui nous occupe, avoir choisi la garantie plutôt que la nationalisation ? D'autres choix étaient-ils possibles ?
M. Jean-Dominique Comolli, commissaire aux participations de l'État. - Le problème du groupe Dexia SA n'était pas sa solvabilité, puisque, sous réserve de provisions, le groupe gagnait de l'argent, mais la liquidité : la situation est devenue complexe pour lui en raison des conditions de taux car il lui devenait de plus en plus difficile de se refinancer au jour le jour.
C'est pourquoi le Gouvernement a entrepris, il y a quelques semaines, un exercice d'adossement du véhicule de refinancement des prêts aux collectivités portés par Dexia, DMA ou DexMA, à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), en vue d'alléger ses besoins de liquidités de l'ordre de 10 milliards d'euros. Les discussions, bien qu'un peu lentes, étaient en bonne voie. L'adossement devait s'accompagner de la création d'une joint venture - une coentreprise - entre la Caisse des dépôts et la Banque postale pour la délivrance de nouveaux prêts aux collectivités locales, étant entendu que Dexia ne délivrerait pas de nouveaux prêts.
L'adossement de DexMA à la Caisse des dépôts impliquait que celle-ci prenne la majorité dans l'entreprise, Dexia conservant quelque 30 % tandis que la Banque postale entrait pour 5 %. Ce schéma, pas encore abouti mais toujours d'actualité, a fait le fond dimanche d'un long conseil d'administration de Dexia SA, où il a été question d'entrer en négociation exclusive.
Ce qui nous a guidés, c'est la nécessité d'alléger de 10 milliards à 12 milliards les besoins de liquidité de Dexia, afin de lui permettre, eu égard à la situation du marché interbancaire, de gagner du temps, pour aller vers des mesures structurelles plus durables. Nous craignions, de surcroît, que ce besoin de liquidité, en apparaissant au grand jour, n'entraîne un risque systémique au niveau européen.
C'est alors que le lundi 3 octobre, l'agence Moody's a décidé de mettre le groupe Dexia sous surveillance négative, en dépit des assurances que nous, l'Etat, avions pu lui apporter. Nous avions en effet validé le plan structurel que leur avait présenté Dexia et nous les avions assurés que nous viendrions à l'appui de ce plan, éventuellement sous la forme d'une garantie sur la banque résiduelle qui aurait vocation à subsister après la vente de divers actifs de Dexia. Cela n'a, hélas, pas suffi à convaincre l'agence de notation.
A partir de là, les choses se sont accélérées. Les financements interbancaires au jour le jour se sont taris, provoquant une situation de liquidité périlleuse qui appelle une vigilance quotidienne. Le jugement de Moody's a également poussé particuliers et entreprises à retirer leurs dépôts de la filiale belge Dexia Banque Belgique (DBB).
Les gouvernements ont annoncé, mardi dernier, avec la déclaration conjointe Reynders-Baroin, qu'ils apportaient leur garantie au financement de la banque. En même temps, la Belgique a souhaité, pour rassurer totalement les marchés et les déposants, entamer avec Dexia la discussion sur le rachat de la banque de dépôts DBB. Les discussions se sont poursuivies jusqu'au conseil d'administration de dimanche, où Olivier Bourges, directeur général adjoint de l'Agence des participations de l'Etat, qui est aujourd'hui à mes côtés, a eu la rude tâche d'être présent de 15 heures à 3 heures du matin, comme administrateur de Dexia. S'y est nouée la discussion entre Etats sur les modalités de la garantie apportée - dont le projet vous sera prochainement soumis avec le projet de loi de finances rectificative - à hauteur de 90 milliards sur dix ans, étant entendu que l'aide sera rémunérée par Dexia aux conditions du marché.
Nous avons plaidé, dans la discussion avec la partie belge sur la répartition de ce plafond de garantie, pour que soit retenue la même clef qu'en 2008, soit 60,5 % pour la Belgique, 36,5 % pour la France et 3 % pour le Luxembourg. Les Belges n'y étaient prêts que si l'on retirait de cette répartition tout ce qui concerne les prêts structurés aux collectivités locales françaises. Cette demande avait un caractère tactique et, dans la négociation, nous avons préféré éviter une clef de répartition à 50-50. La prise en charge des prêts structurés consistera en fait en une contre-garantie de la garantie que donnera Dexia à la CDC quand l'opération DexMA aura été mise en oeuvre. Sur l'ensemble des prêts aux collectivités, qui s'élèvent, tous pays confondus, à 77 milliards d'euros, les prêts structurés n'en représentent qu'une dizaine. De quoi s'agit-il ? Non pas des prêts toxiques au sens de la charte Gissler - qui ne représentent que 4,5 milliards au sein de ces 10 milliards - mais des prêts entrant dans le champ de la charte et plus complexes que des prêts à taux fixe. C'est sur quoi l'Etat offre sa contre-garantie, avec une franchise de 500 millions d'euros à la charge de Dexia - donc du pot commun - et un ticket modérateur, au-delà, de 30 % sur toutes les opérations.
L'ensemble de l'opération peut être résumé en trois points. Premièrement, l'opération DBB, que l'Etat belge devrait reprendre pour une valorisation, approuvée par le conseil d'administration de Dexia, fixée à 4 milliards d'euros. La négociation incluait également 20 milliards d'euros de portefeuille d'actifs non stratégiques, dit legacy, de bonne qualité mais difficile à porter.
Deuxièmement, Dexia envisage également de céder la BIL, la Banque internationale à Luxembourg, à la famille royale du Qatar...
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - On l'a lu dans la presse...
M. Jean-Dominique Comolli. - ...avec une participation minoritaire de l'Etat luxembourgeois, moyennant quoi le Luxembourg a accepté de participer à la garantie des Etats, si bien que l'on retrouve, en effet, la clef de répartition de 2008.
Troisièmement, l'adossement de DexMA à la Caisse des dépôts et la création d'une coentreprise Banque postale - Caisse des dépôts pour les prêts aux collectivités, à des conditions saines, compréhensibles et rémunératrices.
D'autres cessions, comme celle de la filiale turque Deniz Bank, ont vocation à être réalisées.
Restera, en fin de course, un portefeuille d'actifs de bonne qualité, mais difficile à refinancer : c'est sur ce culot résiduel que portera la garantie des trois Etats.
M. François Marc, président. - Merci de cette présentation, qui laisse néanmoins quelques zones d'ombres. Nos questions vous aideront, je l'espère, à les éclairer.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - L'Etat, depuis 2008, avait des responsabilités au conseil d'administration et au comité d'audit. Pourriez-vous, de ce point de vue, nous tracer un petit historique de la période 2008-2011 et nous rappeler les positions de l'Etat au conseil d'administration ? Certaines déclarations de M. Mariani, que nous entendrons demain, sont surprenantes. N'a-t-il pas affirmé récemment qu'on l'avait obligé à conserver des actifs exposés aux risques grec et portugais ?
La garantie de Dexia sur les 10 milliards de prêts structurés ne peut s'envisager sans contre-garantie. De quelle nature sera-t-elle ? Pourquoi DexMA n'est-elle pas traitée comme une structure de cantonnement, avec gestion extinctive ? On l'a déjà vu avec le Crédit Lyonnais, tout se passe comme s'il n'y avait qu'une solution pour sauver une banque. N'y en a-t-il pas, au contraire, plusieurs : la création d'une structure de défaisance, la nationalisation, l'apport d'une garantie de l'Etat... Comment s'est fait l'arbitrage ? Quand avez-vous été saisi de l'opération ? Quelles ressources seront mobilisées par l'Agence des participations de l'Etat ?
Autre question : quel est le niveau de valorisation de Deniz Bank ? Va-t-on vendre la pépite à vil prix ? Quelles seront les conséquences du démantèlement de Dexia sur la Société de prise de participation de l'Etat (SPPE), qui détient 5,7 % du capital ? Quelles sont les conséquences de cette opération sur les garanties précédemment accordées par l'Etat français, notamment lors de la cession de la filiale américaine ?
Vous avez évoqué des chiffres quant à la participation de la Caisse des dépôts et de la Banque postale. Mais la négociation ne fait que commencer et la Caisse des dépôts négocie chèrement son engagement, tant elle craint de perdre après cette opération ses marges de manoeuvre. A quel niveau pensez-vous que la Banque postale participera à l'opération ? Le pourcentage que vous avez cité constitue-t-il un plancher ou un plafond ? DexMA sera-t-elle capable de s'adapter à un nouveau schéma d'affaires ?
Se posera, plus généralement, la question de la recapitalisation des banques. Comment l'Etat pourrait-t-il l'assumer, sachant que d'autres banques que Dexia sont instables ? Faudra-t-il réactiver la SPPE ? Comment évaluez-vous le coût potentiel de cette recapitalisation ? Sachant que le conseil européen a été reporté, comment procèdera la France si la solution n'est pas européenne, et pour quel coût ? Quant au fameux effet de levier du Fonds de solidarité européen, j'avoue que j'ai toujours grand mal à comprendre quel il peut être...
M. Jean-Dominique Comolli. - Sur cette dernière série de questions, le directeur du Trésor, Ramon Fernandez, que vous entendrez prochainement, je crois, vous répondra mieux que moi qui ne m'occupe que des participations de l'Etat.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Il peut y avoir des conséquences pour l'APE.
M. Jean-Dominique Comolli. - Pour l'heure, cela dépasse mes compétences.
M. Olivier Bourges, directeur général adjoint de l'Agence des participations de l'Etat. - Peut-être auriez-vous souhaité me voir remonter à la création du Crédit local de France, mais je m'en tiendrai, ici, à la crise de 2008 qui a fait de Dexia, après la chute de Lehman Brothers, l'un des établissements les plus fragiles d'Europe, engageant les Etats, français et belge, à entrer au capital. En effet, l'Etat français détient, depuis novembre 2008, 5,73 % du capital, l'autre mode d'intervention ayant consisté en une garantie de financement, sur un plafond, alors, de 150 milliards d'euros, selon une clef de répartition qu'a rappelée M. Comolli qui reproduisait, hors flottant, la part respective des Etats telle qu'issue de la fusion du Crédit local de France et du Crédit communal de Belgique. Depuis cette date, l'Etat français a un administrateur, et deux pour la Caisse des dépôts, et il siège au comité d'audit. Nos deux pays ont travaillé à la mise en oeuvre du plan de restructuration approuvé par la Commission européenne, afin que Dexia soit capable de porter son portefeuille tout en se restructurant pour un retour, à l'horizon 2014, à la normale en termes de rentabilité et de structure financière. Ceci a été fait en vendant un maximum d'actifs - et les cessions se sont accélérées dans un environnement chaque jour plus tendu - et en réduisant la voilure par la vente de filiales et un travail de restructuration par un effort sur les coûts.
Tout cela a même été fait plus vite que prévu, mais le groupe, et c'est là le drame, a été pris dans une accélération de l'histoire, avec l'aggravation de la crise dans la zone euro, qui l'a fragilisé sur ses actifs réputés les plus sûrs : 4 milliards d'euros sur la Grèce, 15 milliards d'euros sur l'Italie, plus 20 milliards d'euros sur les collectivités italiennes... Jusqu'alors réputés sûrs, les actifs souverains sont devenus en l'espace de trois ans, on a peine à le dire, un boulet. Pour contrer le phénomène, le conseil d'administration, sous l'impulsion de sa direction, a décidé d'accélérer la vente d'actifs, en cédant plus vite que prévu son portefeuille de Financial products aux Etats Unis, celui là même sur lequel avait porté la garantie des Etats en 2008, et qui comprenait, à hauteur de 10 milliards de dollars, des residential mortgage backed security (RMBS), c'est-à-dire en fait des subprimes américains.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - La garantie a-t-elle été appelée ?
M. Olivier Bourges. - Non, puisque le groupe s'est délesté de ce portefeuille avant que les pertes n'atteignent 4,5 milliards de dollars, seuil à partir duquel les Etats étaient appelés en garantie. Dexia a également accéléré la réduction de son bilan par la vente de titres plus normaux, pour 1,1 milliard d'euros. Des provisions ont été passées à hauteur de 1,8 milliard d'euros. La difficulté, c'est que plus on avançait dans le temps, plus il devenait difficile de vendre des actifs, tant la décote était forte et se traduirait par des pertes gigantesques pour Dexia, soit, tout simplement, que le marché n'existe plus pour de telles opérations.
Le groupe, enfin, a été confronté à la baisse des taux. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, il ne profite pas de ce mouvement parce que ses actifs comptent beaucoup de long terme à taux fixe, tandis que ses structures de financement sont de court terme, à taux variable. D'où la décision de faire des swaps de couverture, qui exigent toutefois de placer du collatéral auprès des contreparties. Or, pour 100 points de baisse de taux longs, les appels de marge augmentent de 12 milliards d'euros. Le collatéral posté au titre des appels de marge était de 15 milliards d'euros fin 2008. Il est passé à 30 milliards fin juin, puis à 41 milliards fin septembre. Malgré tous ses efforts de cession d'actifs, chaque fois que Dexia récupérait de la liquidité, elle devait la reporter sur les appels de marge.
Au sein du conseil d'administration, tout le monde a soutenu le plan de restructuration auquel, bien que mené à bien deux ans durant, la troisième année, avec la crise, a été fatale. Les écarts de taux, les spreads, qui mesurent les conditions de financement, se sont détériorés pour toutes les banques, de 125 à 230 points de base mais on est passé pour Dexia à 600 points de base. Chacun pensait cependant que, malgré la fragilité de la banque, il y aurait moyen d'aller au bout du plan de restructuration. On ne pouvait imaginer cette situation nouvelle de défiance sur des actifs jusqu'alors réputés sains. D'où, aujourd'hui, ce nouveau plan.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Quel a été le coût pour l'Etat depuis 2008 ?
M. Olivier Bourges. - Sa prise de participation a été de 1 milliard d'euros en 2008, à raison de 9,90 euros l'action, qui était, hier, à 80 centimes. La moins value latente est donc de l'ordre de 900 millions. Quant à la garantie des Etats, le Parlement avait voté, en 2008, un plafond de 150 milliards d'euros, dont seuls 98 milliards ont été tirés et nous encourrons toujours un appel de garantie de 28 milliards. Ont, en revanche, été engrangés 511 millions d'euros cumulés en commissions de garantie. La CDC, en tant qu'actionnaire, a, elle aussi, perdu une partie de sa mise.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Pourquoi n'avoir pas retenu, aujourd'hui, pour DexMA, d'autres solutions ?
M. Olivier Bourges. - Nationaliser Dexia SA était théoriquement possible, mais posait une série de problèmes. Il fallait, tout d'abord, lancer une OPA pour sortir les minoritaires et acquérir le flottant, ce qui était peu compatible avec une intervention rapide. Ensuite, autant la Commission européenne aurait pu, en 2008, accepter ce type de montage, autant il paraissait difficile qu'elle accepte, cette fois, que l'on remette de l'argent sans une « résolution ordonnée » du groupe. J'ajoute qu'une telle solution n'aurait sans doute pas suffi à rassurer les marchés et ne nous aurait probablement pas exonérés d'une garantie. Dexia, enfin, est une banque trinationale : comment imaginer une multinationalisation ? La France n'aurait pu nationaliser seule Dexia, sachant le poids de la Belgique au sein du capital.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Ça c'est fait...
M. Olivier Bourges. - La Belgique a, certes, nationalisé DBB mais il s'agit de l'entité proprement belge dans l'ensemble du groupe Dexia.
Pour toutes ces raisons, l'instrument de la garantie est apparu, comme en 2008, plus rapide et mieux adapté. Resteront dans quelques années, éventuellement, quelques entités opérationnelles qui n'auront pas trouvé preneur et un portefeuille obligataire résiduel sur lequel seul portera la garantie.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Vous nous avez dit que la garantie porterait sur dix ans, mais qu'en est-il de l'encours des prêts aux collectivités, qui va bien au-delà ?
M. Olivier Bourges. - La durée moyenne du portefeuille de legacy est de douze ans. La garantie porte sur la durée pendant laquelle Dexia pourrait émettre des titres. Ces titres ont ensuite une maturité, qui n'est pas fixée à ce stade. Dans dix ans, Dexia, avec l'accord des Etats, pourrait encore émettre sur des maturités de deux à cinq ans si bien que la garantie portera, de fait, sur un temps plus long. Une durée de garantie de dix ans est déjà longue, inhabituelle. Cela n'interdit pas cependant d'y revenir dans dix ans, sur ce qu'il restera du portefeuille.
M. Jean Arthuis. - Cette opération est lourde et nous concerne très directement puisqu'il s'agit notamment du financement des collectivités locales. Nous sommes confrontés à une liquidation ordonnée et à une garantie de l'Etat. A cet égard, pourrions-nous disposer d'un diagramme pour faire apparaître le patrimoine actuel de Dexia, les estimations d'actifs et de passifs et les provisions qu'il faudra constituer pour faire face à d'éventuelles pertes ?
L'Etat belge reprend donc Dexia Banque Belgique. Au sein des 20 milliards de portefeuille de legacy, y a-t-il des dettes souveraines ?
M. Olivier Bourges. - Il y a des dettes souveraines, des obligations émises par des collectivités locales, des portefeuilles obligataires sur des banques. Il faut savoir que 95 % de ce portefeuille est de bonne qualité, sous réserve de la migration des notations : plus le temps passe, plus la notation des différentes collectivités aura tendance à baisser.
M. Jean Arthuis. - Tout va dépendre de l'évaluation que l'on va faire de cette banque : on parle de 4 milliards d'euros.
M. Olivier Bourges. - C'est cela même.
M. Jean Arthuis. - Mais l'entité qui va survivre va-t-elle constater immédiatement une perte sur cette opération ?
M. Olivier Bourges. - Il y aura une perte importante : les fonds propres s'élèveraient à 7,9 milliards d'euros. Pour une vente à 4 milliards euros, la perte sera donc d'environ 3,9 milliards.
M. Jean Arthuis. - Dexia-Banque Internationale à Luxembourg (BIL) va être vendue au Qatar : l'opération sera-t-elle équilibrée ?
M. Olivier Bourges. - Nous ne connaissons pas pour l'instant le résultat des négociations. Cette opération sera sans doute équilibrée.
M. Jean Arthuis. - J'en arrive à l'adossement de Dexia Municipal Agency, dont la garantie pose question : le portefeuille n'est pas financé sur des durées très longues. Dexia est engagé sur une moyenne de douze ans mais les financements sont beaucoup plus courts. Il va falloir que la future filiale de la Banque Postale et de la Caisse des dépôts assure le financement de ce portefeuille avec d'éventuelles pertes au moment du dénouement des opérations.
M. Olivier Bourges. - Il faut dissocier la situation de Dexia de celle de DexMA qui est une société de crédit foncier et qui émet des obligations foncières. Autant le reste de Dexia est complètement désadossé en gestion actif-passif, ce qui a d'ailleurs conduit en partie à sa perte, autant DexMA est adossé puisque l'écart de duration entre l'actif et le passif est de l'ordre d'un an à un an et demi. Les actifs de DexMA répondent à un certain nombre de critères de qualité puisqu'ils sont tous éligibles à une société de crédit foncier. Il s'agit essentiellement d'encours sur les collectivités locales.
M. Jean Arthuis. - Uniquement françaises ?
M. Olivier Bourges. - Pour les deux-tiers, il s'agit de collectivités françaises, soit une quarantaine de milliards d'euros. Pour les 20 milliards restants, il s'agit de la Belgique, de l'Italie et de la Suisse. En outre, DexMA est noté AAA par les agences de notation, du fait la qualité de ses créances.
M. Jean Arthuis. - Que vont devenir les collaborateurs de Dexia au lendemain de cette liquidation ordonnée ?
M. Olivier Bourges. - Dexia compte 35 000 collaborateurs dans le monde dont 3 000 en France. Les salariés français se répartiront entre la Caisse des dépôts qui gèrera les encours, la Banque Postale et Dexia Crédit local (DCL). Je ne puis vous dire aujourd'hui précisément comment se fera cette répartition.
M. Jean Arthuis. - Comment imagine-t-on l'avenir de l'entité Dexia qui va survivre ? Elle va gérer les quelques actifs qui lui resteront avant de les liquider progressivement et elle vendra probablement Deniz Bank.
M. Jean-Dominique Comolli. - Une fusion interviendra sans doute entre Dexia SA et DCL, toute la substance se trouvant dans cette dernière.
M. Olivier Bourges. - N'oublions pas que DCL ne se réduit pas uniquement à la France, puisqu'elle a des participations dans trois établissements qui ne trouveront certainement pas preneurs rapidement : Crediop, en Italie, Sabadell en Espagne et DKD en Allemagne.
M. Jean Arthuis. - L'Etat va courir un grand risque sur les 10 milliards d'euros de prêts structurés dont le recouvrement sera en partie aléatoire.
M. Jean-Dominique Comolli. - Nous avons prévu une garantie de Dexia à la Caisse des dépôts et une contre-garantie de l'Etat français à Dexia sur ces 10 milliards, sans compter la franchise de 500 millions d'euros dont nous avons déjà parlé et le ticket modérateur de 30 % qui restera à la charge de Dexia.
M. François Marc, président. - Pouvez-vous faire le point sur les pertes potentielles ? Quel sera le coût global ? En outre, la France a-t-elle géré correctement Dexia depuis 2008 ?
M. Olivier Bourges. - La perte potentielle de l'Etat français sur sa participation est d'environ 900 millions d'euros. Aujourd'hui, Dexia dispose de 16 milliards d'euros de fonds propres et un ratio tier one d'environ 11 %.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Il y a aujourd'hui une polémique sur le niveau de ce ratio !
M. Olivier Bourges. - Le ratio tier one mesure la solvabilité, non la liquidité. Or, dès 2008, Dexia connaissait un problème de liquidité ! L'écart de liquidité de Dexia était de 260 milliards d'euros en 2008. La banque devait donc chaque année se refinancer sur le marché à hauteur de ce montant. Son exposition à court terme était donc gigantesque au vu de son bilan qui s'élevait à près de 600 milliards d'euros. Grâce aux efforts menés par la direction, l'écart a été ramené à 100 milliards d'euros.
La solvabilité mesure les fonds propres rapportés à des risques mais ne mesure pas la liquidité. Dexia était encore fragile lorsque la crise des souverains est venue percuter le plan de restructuration.
Que valent aujourd'hui les actifs dans le portefeuille de Dexia ? C'est très compliqué. Par exemple, le portefeuille italien de Dexia est estimé à 15 milliards d'euros. Si l'Italie ne fait pas défaut, ces 15 milliards seront remboursés. En revanche, si ce pays fait défaut, comme le pense le marché qui le décote de 10 %, il y aura 1,5 milliard d'euros de pertes.
M. Francis Delattre. - Je me félicite de cette audition et de la transparence des propos. Mais que dire des 4,5 milliards d'euros de prêts toxiques qui mettent en difficulté nombre de collectivités de notre pays ?
M. Jean-Dominique Comolli. - Les membres de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts s'inquiètent de cette question. C'est pourquoi nous avons voulu une garantie de Dexia. Les équipes de cette banque font tout leur possible pour restructurer, « désensibiliser » ces prêts afin qu'ils pèsent moins sur les finances des collectivités locales. En outre, seuls huit à dix contentieux opposent des collectivités à Dexia.
Enfin, la Banque postale et la nouvelle co-entreprise ont refusé d'être impliquées dans le traitement de ces prêts qui continueront à être gérés par les spécialistes de Dexia.
M. Francis Delattre. - Pour « désensibiliser » le président du conseil général de Seine-Saint-Denis, il va falloir faire de très gros efforts !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Il faudrait disposer de chiffres incontestables, car les montants des prêts annoncés ne sont pas toujours exacts, ce qui très inquiétant. En outre, il est très désagréable pour une collectivité d'être montrée du doigt dans la presse locale sous prétexte qu'elle a contracté des prêts toxiques surtout quand tel n'est pas le cas. Elles ne parviennent ensuite plus à emprunter pour financer leurs projets.
Il faudrait que l'Etat certifie les montants annoncés. Sur le terrain, nous constatons de très grosses erreurs.
M. Jean-Dominique Comolli. - Il est primordial que l'Etat ne soit pas directement concerné par les prêts toxiques qui ont été accordés par Dexia aux collectivités. Ou alors, autant demander à l'Etat de signer dès maintenant un chèque pour effacer l'ardoise ! C'est pour cette raison que nous avons demandé un ticket modérateur à la charge de Dexia, afin de responsabiliser cet établissement.
M. François Trucy. - Qu'est ce qu'un prêt toxique ? Est-ce contagieux ?
M. Olivier Bourges. - Un prêt toxique, c'est un prêt hors charte Gissler et qui comporte un risque de change auprès de collectivités locales qui n'ont pas de ressources dans cette devise, dont les taux évoluent en fonction d'index tels que les indices relatifs aux matières premières ou aux marchés d'action, dont les taux évoluent par une référence à la valeur de devises et qui ont des effets de structure cumulatifs.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - La Commission européenne doit-elle donner son accord sur le démantèlement ?
M. Olivier Bourges. - Oui. Nous sommes en contact avec elle et nous allons notifier juridiquement ces aides d'Etat : nous sommes repartis pour des semaines, voire des mois de discussion. Lors de la dernière crise, le plan d'intervention de l'Etat avait été élaboré le 30 septembre 2008 et la Commission l'avait validé en février 2010.
M. Jean-Dominique Comolli. - La garantie des Etats, si vous l'approuvez, fera l'objet d'une autorisation temporaire de la part de la Commission.
M. François Marc, président. - Merci pour vos interventions.
Assistance administrative mutuelle en matière fiscale - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission procède ensuite à l'examen du rapport de Mme Nicole Bricq, rapporteure générale, sur le projet de loi n° 2 (2011-2012), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation du protocole d'amendement à la convention du Conseil de l'Europe concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Nous avons l'accord de tous les groupes pour que ce projet de loi soit examiné en procédure simplifiée. Il s'agit ici d'une convention multilatérale qui vient dans le prolongement des 35 projets de loi que le Parlement a approuvés ces deux dernières années, afin d'établir de manière bilatérale les règles d'échange de renseignements sur demande avec des Etats considérés comme non coopératifs.
Début novembre, au cours du G20 de Cannes, une cérémonie de signatures de ce protocole sera organisée. Nous sommes donc dans le cadre d'une opération de communication, après le G20 de Londres d'avril 2009 qui avait fait de la lutte contre les paradis fiscaux une priorité absolue.
La convention a une portée symbolique, car la France dispose déjà d'un réseau conventionnel bilatéral étendu, dont la qualité a d'ailleurs été confirmée par la revue des Pairs du Forum mondial sur la transparence fiscale de l'OCDE, le 1er juin dernier.
Il est cependant nécessaire de renforcer les outils multilatéraux en matière d'échange de renseignements sur demande. La prise de conscience, depuis le G20 de 2009, qu'il était nécessaire de développer la coopération fiscale, s'est traduite par un développement des accords bilatéraux. Ainsi, on comptait 712 accords d'échange bilatéraux de renseignements et avenants aux conventions de suppression des doubles impositions en août 2011, contre 44 en novembre 2008. En revanche, la convention multilatérale de l'OCDE et du Conseil de l'Europe qu'il nous est aujourd'hui proposé de modifier, bien qu'adoptée en 1988 et entrée en vigueur en 1995, n'a été ratifiée que par dix-sept Etats. Dès lors que tous les Etats n'ont pas forcément la volonté politique ou les moyens techniques de développer des conventions bilatérales, il est important de disposer d'un outil multilatéral opérationnel.
Dans cette perspective, ce protocole qui a été signé à Paris le 27 mai 2010, actualise la convention en fonction des dernières normes de l'OCDE et ouvre à la signature cette convention aux Etats qui ne sont membres ni de l'OCDE ni du Conseil de l'Europe.
La commission des finances du Sénat a su, sous l'impulsion du président Arthuis et d'Adrien Gouteyron, se saisir des conventions fiscales afin, notamment, de lutter contre l'évasion fiscale, ce qui n'est pas le cas à l'Assemblée nationale où la commission des affaires étrangères met son tampon à ces conventions.
L'objectif de celle-ci est de parvenir à un échange obligatoire d'information afin de mettre un terme à l'évasion transfrontalière que permet, entre autres, le secret bancaire.
En Europe, nous sommes régis par la directive Epargne du 3 juin 2003 qui, bien qu'imparfaite, repose sur le principe d'un échange automatique d'information. La question est d'autant plus importante que l'Allemagne et la Grande-Bretagne ont négocié des conventions avec la Suisse. C'est ce qu'on appelle l'accord « Rubik »...
M. Jean Arthuis. - Accord scandaleux !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - ...fondé non pas sur l'échange automatique mais sur la préservation du secret bancaire et sur la retenue à la source. La Suisse gardera ainsi son secret bancaire. Les accords passés avec un pays tiers inquiètent quand certains Etats de l'Union, comme le Luxembourg, demandent à être traités de la même façon que la Suisse. C'est donc le principe fondateur de la directive Epargne et sa révision qui sont menacés.
Lors du projet de loi de finances rectificative de septembre, nous avons interrogé le Gouvernement sur cette question : nous lui demandons d'être clair et cohérent. Les efforts qu'il déploie dans le cadre du G20 pour promouvoir l'échange d'information sur demande doivent être prolongés, dans l'Union, par une position tout aussi déterminée en matière d'échange automatique. Tant que ce problème ne sera pas réglé, nous serons confrontés à des trous noirs dans la finance mondiale. Nous reviendrons sur cette question en loi de finances, d'autant que Mme Pécresse nous avait dit en septembre que le Gouvernement examinait la convention Allemagne-Suisse. Certes, une telle convention permet de récupérer plusieurs milliards, ce qui n'est pas négligeable en temps de crise. Mais d'autres mécanismes sont possibles tel le Foreign Account Tax Compliance Act américain qui tend à pénaliser, par une retenue à la source très élevée, les établissements financiers qui maintiennent le secret bancaire des comptes de contribuables américains.
D'ici là, il faudra également être vigilants quant aux conclusions qui seront adoptées lors de la prochaine réunion du Forum mondial les 25 et 26 octobre : 2012 sera une année test et le choix du courage devra l'emporter sur celui de la facilité.
Sous réserve des observations que je viens de faire, je vous propose d'adopter ce projet de loi.
M. François Marc, président. - Nous avons bien compris que les Allemands et les Anglais ont tiré les premiers, de façon d'ailleurs assez peu courtoise.
Mme Marie-France Beaufils. - Nous nous abstiendrons.
Le rapport est adopté.
Mercredi 12 octobre 2011
- Présidence de M. François Marc, vice-président -Ouverture à la concurrence et régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne - Examen du rapport d'information
Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission procède tout d'abord à l'examen du rapport d'information de M. François Trucy sur l'évaluation de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne.
M. François Trucy, rapporteur. - Cette communication a pour objet de dresser le bilan de la loi d'ouverture à la concurrence et de régulation du marché des jeux d'argent et de hasard en ligne du 12 mai 2010, dont j'avais été le rapporteur au nom de notre commission.
L'article 69 de cette loi prévoit d'ailleurs que le Gouvernement remette au Parlement deux rapports : l'un, avant le 13 novembre 2011, qui évalue les conditions et les effets de l'ouverture du marché et propose le cas échéant des adaptations ; et l'autre, avant le 31 décembre 2011, sur la mise en oeuvre de la politique de lutte contre le jeu excessif ou pathologique. En effet, cette loi innovait et défrichait des domaines inconnus, ce qui a suscité des inquiétudes et a rendu indispensable le principe d'une évaluation à horizon relativement rapproché.
Estimant que le Sénat devait porter un son regard propre sur ce texte, j'ai mené des travaux de mon côté, dans le but de déterminer si la loi et les textes règlementaires ont été respectés, si la loi a atteint ses objectifs, quels ont été ses succès et ses échecs, si elle comporte des lacunes ou des défauts et quelles améliorations pourraient éventuellement lui être apportées.
Le rapport formule soixante-neuf propositions d'importance inégale. Certaines relèvent du domaine législatif, d'autres, plus nombreuses, du domaine règlementaire, voire infra-règlementaire. Je vous les présenterai au fur et à la mesure : toutes ont pour but de conforter ou d'améliorer la loi, et d'assurer sa réussite dans les domaines les plus importants.
Je débuterai par un bref rappel du contexte dans lequel nous avons légiféré. Quand, en 2010, le Gouvernement a présenté au Parlement ce projet de loi, il a avancé plusieurs raisons :
- la nécessité de mieux protéger les mineurs contre les jeux d'argent et de lutter contre l'addiction au jeu par la prévention et les soins apportés aux joueurs addictifs ;
- l'urgence d'encadrer un marché qui s'est totalement développé en dehors du cadre légal grâce à internet et qui n'apporte aux joueurs aucune garantie de fiabilité et à l'Etat aucune ressource ;
- enfin, le conflit opposant, depuis deux ans, la France et la Commission européenne, celle-ci exigeant alors des Etats membres qu'ils abolissent leurs monopoles sur les jeux et ouvrent leur marché aux opérateurs en ligne. A cette époque, la France a reçu un avis motivé et risquait d'être déferrée devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). La Commission a d'ailleurs clos la procédure d'infraction le 24 novembre 2010.
Une fois la loi promulguée, les décrets d'application, aussi nombreux que complexes, ont été publiés à un rythme extrêmement rapide et tout à fait inaccoutumé, à deux exceptions près : le décret sur le poker a dû attendre un mois pour être opérationnel, et surtout celui relatif au comité consultatif des jeux (CCJ) a pris neuf mois.
Je vous rappelle que la loi a crée une nouvelle autorité administrative indépendante, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), en charge d'instruire et de délivrer - ou non - des agréments aux candidats sur la base des dispositions législatives et du respect de deux cahiers des charges. Elle assure également une surveillance continue des opérateurs afin de veiller au respect de leurs nombreuses obligations et participe à la lutte contre les sites illégaux.
Son premier défi était d'étudier les premiers dossiers d'agrément en un temps très court et de manière crédible. Ce pari a, de mon point de vue, été réussi. D'abord parce que l'ARJEL a su profiter de sa période de préfiguration, avant l'entrée en vigueur de la loi, afin d'être opérationnelle dès la promulgation de ce texte. Ensuite parce qu'elle a su délivrer cinquante-trois agréments (dont quarante-quatre sont exploités) à trente-sept opérateurs, sans que les conditions d'examen aient été véritablement contestées.
L'Autorité de régulation, très organisée, compétente et respectée en Europe, a une mission extrêmement difficile touchant à un grand nombre de domaines, à la fois techniques et complexes. J'estime que, jusqu'ici, elle s'en est sortie de manière tout-à-fait louable.
Dix-huit mois après, où en sommes-nous ?
S'agissant du marché, la Française des jeux (FdJ), a perdu son exclusivité sur les paris sportifs, mais, appuyée sur son réseau de plus de 30 000 points de vente de petit commerce, elle conserve intact son monopole des jeux de tirage et de grattage. Le PMU a, pour sa part, perdu son monopole sur les paris hippiques en ligne mais, là aussi, la force de son réseau et sa réactivité face au nouveau marché et aux nouveaux concurrents font qu'il a, pour l'instant en tout cas, très bien tiré son épingle du jeu. Ces deux opérateurs, non contents de préserver leurs positions traditionnelles, cherchent à diversifier leurs activités et ont conquis une part significative du nouveau marché. « Pmu.fr » est ainsi le premier site de jeux en ligne en France, le PMU étant même en troisième position pour les paris sportifs - ce qui ne peut que réjouir les sociétés de course. Cependant, la redevance, tirée des jeux et versée à la filière équine, est fortement contestée, dans sa forme actuelle, par la Commission européenne, un dispositif transitoire ayant été instauré par la loi de finances pour 2011...
En termes généraux, le marché du poker en ligne, tiré rapidement de l'illégalité, compte plus d'un million de comptes actifs de joueurs. C'est le marché légal qui fonctionne le mieux puisqu'il représente plus de 80 % des mises. Celui des paris sportifs après de bons débuts, marque le pas depuis le début de l'année et a tendance à se tasser. Et celui des paris hippiques se porte plutôt bien, grâce aussi à une augmentation sensible du nombre de courses supports de paris.
Toutefois, il est clair que, pour l'instant, aucun des nouveaux opérateurs en ligne ne gagne d'argent, à la fois parce qu'ils ont dû consentir des efforts coûteux pour répondre aux exigences de la loi et parce qu'ils ont engagé des dépenses de publicité très lourdes pour s'imposer sur le marché. Plus fondamentalement, il faut souligner que ce marché n'est pas le « pactole » auquel ils croyaient. Les Français ne sont pas, et de loin, les plus joueurs de la planète et chacun d'entre nous peut s'en féliciter...
Seuls les casinos, non directement concernés par la loi de mai 2010, mais impactés par la concurrence, continuent d'enregistrer une baisse sensible de leur chiffre d'affaires et affrontent une période de difficultés sans précédent, qui s'est quand même atténuée sur la dernière année ludique. Le rapport estime simplement qu'il ne faut pas ouvrir davantage le champ d'application de la loi, en particulier aux jeux de casinos.
La seule ouverture que je suggère concerne l'autorisation des paris sportifs portant sur un écart de points supérieur à un écart donné, ce qui aurait des effets équivalents au pari à handicap. En effet, il me semble que l'on reste dans l'esprit de la loi. En outre, la Française des jeux propose déjà des paris à handicap sur son site ; il est plus sain de mettre tout le monde à égalité.
J'en arrive à un sujet qui me tient particulièrement à coeur : l'effort significatif que la loi affichait dans le domaine sanitaire et social a-t-il été suivi d'effets ?
Le projet de loi proposait, dès sa version initiale, des éléments destinés à la protection des mineurs et à la lutte contre l'addiction - interdiction faite aux mineurs de participer à des jeux d'argent et de hasard, obligation pour les opérateurs de faire obstacle à la participation des personnes ayant souhaité se faire interdire de jeux, mise en place de modérateurs de jeu, etc.
Ces deux éléments ont été considérablement enrichis par les deux Assemblées, auxquelles on doit la mise en place d'un message avertissant que le jeu est interdit aux mineurs, l'encadrement de la publicité, l'instauration d'un numéro d'appel destiné aux joueurs problématiques et à leur entourage, l'affirmation du principe de l'interdiction de jeu à crédit et la procédure de consultation du fichier des interdits de jeu ; ainsi, un opérateur ne peut inscrire un nouveau joueur sans avoir consulté le fichier des interdits volontaires de jeu, tenu par ministère de l'intérieur. De plus, tous les mois, les opérateurs doivent obligatoirement réviser l'ensemble de la consultation du fichier.
Pour obtenir leurs agréments, les opérateurs doivent souscrire à des obligations très détaillées.
Enfin, un financement est prévu, pour la prévention du jeu excessif et la lutte contre l'addiction. Prélevée sur le produit des nouveaux prélèvements sociaux sur les jeux, une dotation, dans la limite d'un plafond de 5 millions d'euros, est affectée à l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), à charge pour lui de réaliser des campagnes de prévention et de mettre en place un numéro d'appel d'urgence et d'assistance pour les joueurs en difficultés. En 2010, l'INPES n'a reçu que 4,4 millions d'euros. Mais cet écart devrait être « compensé » en 2011.
Par contre, le surplus des nouveaux prélèvements sociaux affecté à l'assurance maladie n'a pas permis d'accroître le financement de la recherche et de la prise en charge des joueurs problématiques. Compte tenu des aménagements de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) sur les jeux intervenus par ailleurs, la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) n'a reçu que 10 millions d'euros de recettes supplémentaires. Dès l'examen du projet de loi, j'étais inquiet de ne pouvoir « flécher » ces ressources vers leurs cibles. Et j'avais raison de l'être car je ne dispose aucun élément attestant que le produit des nouveaux prélèvements sociaux sur les jeux (environ 120 millions d'euros) ait permis un accroissement des moyens des structures de prise en charge des joueurs. Il y a, de mon point de vue, une étude à faire sur la question.
Dans ce domaine sanitaire, le rapport énonce une vingtaine de recommandations, dont le renforcement du dispositif de protection des mineurs, certains aménagements en matière de publicité (publicité au cinéma, modalités d'affichage des messages sanitaires, encadrement des « bonus » offerts par les opérateurs aux joueurs, etc.), l'augmentation de la fréquence de consultation du fichier des interdits de jeu, ou encore le renforcement des modérateurs de jeu. Il propose également d'étudier la mise en place d'un numéro unique d'enregistrement des joueurs pour mieux les aider, ce qui, j'en conviens, peut entraîner des problèmes pratiques et des difficultés au regard des libertés publiques. Il faudrait aussi améliorer l'information du joueur sur les risques liés au jeu, renforcer la formation des « écoutants » du numéro d'appel destiné aux joueurs problématiques et, surtout, assurer enfin le financement des centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), ainsi que celui des centres de recherche et de formation et des associations d'aide aux joueurs.
Je vais à présent évoquer la lutte contre les sites illégaux : en effet, à quoi servirait-il d'avoir légalisé la majeure partie de ce secteur, si le poker ou les paris en ligne légaux étaient voués à dépérir au profit d'un retour des joueurs sur les sites illégaux ?
Or ce risque existe vraiment : l'assiette retenue pour la taxation, c'est-à-dire les mises engagées par les joueurs, est inappropriée car elle réduit de moitié le temps de jeu que payent les joueurs. Une telle fiscalité peut les inciter à s'en aller et, ainsi, « tuer » le marché légal.
Le rapport propose donc de taxer le produit brut des jeux (PBJ), comme c'est le cas pour les casinos et comme ce l'était pour les paris hippiques avant l'ouverture, à l'instar de ce qui se pratique dans la grande majorité des pays européens. Je relève au passage que nombre d'Etats membres, tels que l'Espagne, l'Allemagne, le Danemark ou la Grèce, tendent à s'inspirer du nouveau modèle français pour bâtir leur régulation nationale, mais se fondent sur le PBJ pour établir leur assiette fiscale.
En revanche, le rapport ne propose nullement d'augmenter le plafond du taux de retour aux joueurs (TRJ), de 85 %, en l'absence des études qui permettraient enfin de dire si une telle augmentation est susceptible, ou non, de favoriser l'addiction au jeu.
Le rapport propose aussi d'ouvrir les tables de poker à d'autres joueurs que ceux des sites en « .fr » et ce, sous réserve que cela ne soit possible qu'avec des pays européens régulés et liés par convention avec l'ARJEL.
Enfin d'autres mesures, plus anodines, sont susceptibles d'accroitre l'attractivité du jeu sans conséquences néfastes sur les phénomènes d'addiction. Je pense notamment à l'autorisation des variantes de poker à la mode ou au renforcement des garanties aux joueurs.
Il est également important d'ouvrir la réflexion sur l'encadrement des jeux d'adresse (« skill games »), qui se développent à grande vitesse et pourraient aussi être régulés par l'ARJEL, sur le même modèle que les paris et le poker en ligne.
S'agissant des paris sportifs et hippiques, la loi a bien abordé le problème des conflits d'intérêts et de la fraude sportive. Le danger existe car le crime a toujours aimé le jeu et y trouve des champs d'action sans cesse renouvelés.
Il faut donc aller plus loin ; les fédérations sportives, les sociétés de courses hippiques doivent beaucoup contribuer à cette lutte en adaptant leurs codes, leurs règlements, leur éthique.
Le rapport propose aussi la création d'un délit de corruption sportive - que le Sénat a d'ailleurs déjà adoptée, à l'initiative d'Ambroise Dupont, dans le cadre de la proposition de loi d'Yvon Collin visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs. Ce nouveau délit serait assorti d'une obligation de déclaration de soupçons qui pèseraient sur les fédérations, les acteurs et les organisateurs des compétitions, ainsi que sur les opérateurs de paris.
S'agissant de l'ARJEL, vingt-et-une propositions visent à renforcer son action, essentielle.
Une question importante concerne le fait de lui conférer ou non la personnalité morale. Lors de l'examen du texte au Sénat, nous avions sollicité l'avis du Gouvernement, qui était défavorable. Il faut être clair : l'ARJEL, quand elle a détecté une fraude, un site illégal, un fournisseur d'accès à internet (FAI) qui fait obstacle à la fermeture d'un site, un opérateur qui ne respecte pas ses obligations, un média qui ne respecte pas les interdictions de publicité... peut mettre un temps considérable à mettre en oeuvre des sanctions et n'a pas les moyens d'intenter elle-même une action pénale. Elle met, en tout cas, beaucoup plus de temps que le fraudeur, qui dispose de nombreux moyens techniques de contournement de la loi.
L'ARJEL a donc besoin de pouvoir agir plus vite et plus efficacement. Pour autant, il n'est pas certain que la personnalité morale soit la solution idéale car elle a des implications budgétaires. C'est donc au Gouvernement d'en décider. A défaut, l'efficacité de l'ARJEL pourrait être renforcée en consacrant un droit d'action civile de son président en cas de publicité pour un site illégal, quels que soient les jeux et paris en ligne en cause.
Je propose également que le collège de l'ARJEL, comme celui de l'Autorité des marchés financiers (AMF), puisse prendre des mesures conservatoires d'urgence à l'encontre d'un opérateur, sous le contrôle de la commission des sanctions.
La plupart des autres propositions du rapport concernent les joueurs, leurs intérêts, leur sécurité, la gestion de leurs comptes, la transparence de la procédure de sanction de l'ARJEL (en s'inspirant de celle de l'AMF), ou encore la création d'une médiation en second recours entre les joueurs et les opérateurs...
Il est également proposer d'améliorer l'efficacité de la lutte contre les sites illégaux, en renforçant les moyens des cyber-patrouilles, en développant la coopération entre l'ARJEL et les autorités judiciaires, ou encore en étendant la portée des procédures civiles de blocage... Je propose également d'amorcer la réflexion sur la pénalisation de la demande de jeux en sus de celle de l'offre, c'est-à-dire des joueurs, dès lors qu'ils contournent ouvertement et régulièrement la loi.
La dernière partie de cette présentation concerne l'Europe. Les institutions communautaires ont le devoir de mettre en harmonie les régulations des Etats qui ont fait des efforts dans ce domaine. Faute de quoi, si certains peuvent continuer à pratiquer les taux de fiscalité qui leur conviennent pour attirer les opérateurs, à ne rien contrôler, à ne pas protéger les mineurs et les joueurs en difficulté et à ne rien respecter, seuls les Etats vertueux seront pénalisés.
Le rapport s'exprime assez vivement à l'égard de la Commission européenne sur ces sujets et demande qu'elle agisse sans délais. Les initiatives récentes de Michel Barnier me paraissent cependant assez encourageantes, puisqu'il a annoncé récemment une possible directive en 2012 sur la protection des joueurs, la lutte contre l'addiction et l'intégrité des compétitions sportives. Les Etats demeureraient toutefois libre du mode de régulation, monopole ou concurrence, pour autant qu'une coopération entre autorités soit mise en place.
En conclusion, puisque la loi a prévu une « clause de rendez-vous » dix-huit mois après sa promulgation, puissent ces propositions enrichir la réflexion du Gouvernement, qui reste maître de ce qu'il entend proposer dans son rapport. En toute hypothèse, il me semble que nous pourrions, à l'avenir, consacrer davantage de rapports à l'exécution des lois.
Je vous remercie de votre attention.
M. François Marc, président. - Merci, monsieur le rapporteur. Il est vrai que cette loi touche à de vraies préoccupations, dans de multiples domaines. Je constate que vous avez réalisé un travail approfondi et nous allons pouvoir débattre de vos propositions.
Pour ma part, j'ai le sentiment que nous sommes parvenus à un point d'équilibre dans le domaine des jeux en ligne et que les avancées que vous proposez, notamment afin de renforcer l'ARJEL, vont dans le bon sens.
M. Yann Gaillard. - Vous avez souligné la célérité avec laquelle le Gouvernement a publié les décrets d'application de la loi, tout en relevant qu'il y avait une exception, relative au CCJ. Connaissez-vous la raison de ce retard ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je m'interroge sur l'urgence qu'il y avait à voter cette loi en 2010. D'autre part, pourriez-vous préciser ce qu'est exactement le « droit au pari » sportif, qui semble agacer les opérateurs et dont on dit qu'il est une « invention française » ? Par ailleurs, quelles préconisations ont formulé les rapports de l'Assemblée nationale et de l'ARJEL sur la loi du 12 mai 2010, et que peut-on attendre exactement de la « clause de rendez-vous » que vous avez évoquée ?
M. François Trucy, rapporteur. - Au sujet du CCJ, je vous rappelle qu'avant la loi de 2010, le contrôle du secteur des jeux relevait de divers organismes dépendant de pas moins de sept ministères. Bref, il était trop dispersé. C'est pourquoi notre commission a fortement plaidé pour la création d'un comité unique et, après des débats parfois animés, a réussi à obtenir son inscription dans la loi ainsi que son rattachement auprès du Premier ministre, ce qui coupait court aux querelles entre ministères. Toutefois, par sa décision n° 2010-221 L du 14 décembre 2010, le Conseil constitutionnel a jugé que le rattachement du CCJ à Matignon était de nature réglementaire et le Gouvernement a estimé devoir placer ce comité sous la double tutelle des ministères chargés des finances et de l'intérieur. C'est pour cela que la sortie du décret n° 2011-252 du 9 mars 2011 relatif au comité consultatif des jeux a pris tant de temps.
A Mme des Esgaulx, je dirai qu'au-delà des menaces de contentieux communautaire, l'échéance qu'avaient en tête tous les acteurs de ce dossier au moment de l'examen de la loi était la coupe du monde de football de 2010. Tout le monde souhaitait que le dispositif soit en place au moment de ce rendez-vous majeur afin d'éviter le risque d'une « explosion » du marché illégal, en l'absence d'une réglementation adaptée.
A propos du droit au pari, il s'agit effectivement d'une création française. L'objet consiste à organiser les relations entre les fédérations ou les organisateurs de compétitions et les opérateurs légaux de paris en ligne. Ces derniers doivent rémunérer les organisateurs, le droit de consentir à l'organisation de paris étant reconnu comme faisant partie de leur droit de concession. Cet argent - correspondant généralement à 1 % du montant des mises -, ainsi que les autres dispositions contractuelles entre opérateurs et organisateurs, doivent améliorer le dispositif de lutte contre la fraude et contre la tricherie.
S'agissant des autres travaux sur le projet de loi, les députés Jean-François Lamour et Aurélie Filippetti ont publié un rapport d'information au printemps dernier, dont, pour dire les choses brièvement, l'inspiration est commune avec ce que je vous propose aujourd'hui. En revanche, le rapport de l'ARJEL a été adressé au seul Gouvernement et je n'en ai donc pas connaissance.
Quant aux conséquences concrètes de la clause de rendez-vous, c'est un mystère du point de vue législatif, aucun véhicule n'étant programmé pour l'instant. Néanmoins, des progrès pourraient déjà être réalisés à un niveau infra-législatif.
M. François Marc, président. - Ayant suivi le projet de loi pour le groupe socialiste, j'avais constaté que les jeux représentent un sujet particulier et délicat. Mes observations sont les suivantes :
- les difficultés sont réelles en matière d'addiction, comme en attestent les 600 000 personnes victimes de problèmes de cet ordre. Lors des débats en séance, nous avions exigé une protection forte de ces populations. Je remercie François Trucy de proposer aujourd'hui des avancées en la matière. Pour ma part, j'estime qu'il faut aller encore plus loin. Ainsi, alors que les publicités à caractère sexuel sont interdites près des écoles pour protéger les enfants, en matière de jeux, la publicité peut encore trop facilement atteindre les mineurs ;
- dans le domaine fiscal, les données fournies par le ministre en charge du budget de l'époque, Eric Woerth, faisaient état d'environ 5 milliards d'euros de recettes. La position défendue par le groupe socialiste consistait à conserver un niveau équivalent de rentrées fiscales malgré l'adoption d'une nouvelle législation. La baisse des taux nous inquiétait tout particulièrement. Je me demande si l'objectif de stabilisation des recettes fiscales a été atteint ;
- la mise en place d'une offre légale aurait conduit à ce que 90 % des joueurs en ligne utilisent actuellement les sites agréés. Cette proportion est encourageante. Je note que l'Italie n'a pas connu la même évolution. Si ce taux correspond à la réalité, cela montre qu'en France, l'ARJEL a pleinement joué son rôle de régulateur ;
- enfin, la politique de lutte contre la fraude est satisfaisante, à la faveur du rôle essentiel joué par l'ARJEL. J'approuve, à cet égard, les propositions du rapporteur dans ce domaine.
Au total, nous ne pouvons que souscrire à la plupart des propositions de notre collègue François Trucy. J'indique que nous prendrons connaissance avec attention du futur rapport du Gouvernement et que nous étudierons son contenu à la lumière du rapport qui nous a été présenté ce matin.
M. François Trucy, rapporteur. - Les règles en matière de publicité peuvent effectivement être renforcées pour mieux protéger les mineurs. S'agissant des recettes de l'Etat, elles s'élèvent à 3,3 milliards d'euros en 2010 et 3,28 milliards d'euros en 2011. De tels chiffres ne permettent pas de pavoiser surtout que rien ne garantit leur stabilité. Pour ce qui concerne la proportion de l'offre légale, le scénario à 90 % est le plus optimiste : en effet, certains font état d'une offre illégale qui représenterait encore entre 20 % et 30 % du marché. Par ailleurs, je précise que le droit au pari pourrait inspirer la future directive communautaire. Enfin, les moyens de la lutte contre l'addiction doivent être renforcés, en particulier les centres spécialisés comme les CSAPA. Ces derniers, traditionnellement dédiés aux problématiques d'alcool, de drogues et de tabac gagneraient à accroître leurs compétences aux jeux. En outre, les 120 millions d'euros aujourd'hui fléchés vers l'assurance maladie devraient, en partie au moins, financer la politique de lutte contre l'addiction. Trop souvent, les associations qui apportent une aide de proximité aux joueurs en difficulté ne le font qu'avec le seul soutien des opérateurs de paris et de jeux.
M. François Fortassin. - J'ai trois questions : comment déceler les joueurs addictifs s'ils ne se manifestent pas ? Comment protéger les mineurs ? L'existence de paris sportifs n'est-elle pas une incitation à la tricherie ?
M. François Trucy, rapporteur. - Il est vrai qu'en l'absence de manifestations de la part du joueur concerné, personne ne peut déceler l'addiction. Les commissions de surendettement peuvent toutefois jouer un rôle en la matière mais, le plus souvent, c'est l'entourage du joueur qui permet d'alerter sur les cas les plus pathologiques. Certains opérateurs sérieux, à l'instar des casinotiers, font parfois ce travail d'eux-mêmes. En outre, je souligne que le risque de tricherie existe mais, à ce stade, il est surtout avéré à l'étranger.
M. François Marc, président. - Le président de l'ARJEL, Jean-François Vilotte, a évoqué le cas de matchs de football de Ligue 2 sur lesquels des paris considérables avaient été engagés par des joueurs originaires d'Asie du sud-est, laissant présager un système de corruption.
M. François Trucy, rapporteur. - De tels phénomènes justifient un renforcement de la législation, d'où mes propositions de créer un délit de corruption sportive et de compléter la liste des pratiques relevant du conflit d'intérêts en matière de paris sportifs.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Je souhaiterais poser deux questions relatives à la fiscalité.
Tout d'abord, votre proposition n° 13 consiste à verser le produit du prélèvement sur les hippodromes à l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) sur le territoire duquel est implanté l'hippodrome, plutôt qu'à la commune. Dans le rapport écrit, avez-vous analysé en détail les conséquences d'une telle proposition ?
De même, votre proposition n° 15 vise à ce que soit prévue plus explicitement, dans le code général des impôts, la possibilité de fiscaliser les gains de certains joueurs selon un faisceau d'indices qui déterminerait leur degré de professionnalisation. Là aussi, avez-vous des éléments pour étayer cette proposition, qui paraît aller dans le sens d'une plus grande transparence ?
M. François Trucy, rapporteur. - Au sujet des hippodromes, qui ont fait l'objet de débats nourris au sein des deux Assemblées lors de l'examen du texte, je trouve anormal que seule la commune d'implantation physique bénéficie du prélèvement. Le même problème se pose d'ailleurs pour les casinos. Or il s'agit de sommes importantes - 15 % du produit brut des jeux du casino. Par cette proposition, je souhaite donc « lancer un ballon d'essai », mais j'avoue que l'équation fine reste à définir.
Quant aux joueurs, il faut bien distinguer les joueurs « normaux », qui s'amusent et ne gagnent rien - voire perdent - des grands joueurs, professionnels de fait, qui ne jouent d'ailleurs pas toujours à partir du territoire national. Nous devons donc les considérer pour ce qu'ils sont d'un point de vue fiscal, et d'ailleurs pousser pour que nos voisins européens agissent de la même façon.
M. Jean Arthuis. - Je salue l'excellence du travail ainsi que la constance de François Trucy. Je suis impressionné par le nombre de ses propositions. Pour ma part, j'aimerais revenir sur la proposition n° 13. Il est vrai que la question du prélèvement sur les hippodromes avait facilité l'adoption du projet de loi l'année dernière... Mais il existe une présomption d'aubaine. Je préconise donc de conserver la position prudente que la commission avait défendue pendant les débats. Sur la proposition n° 20, je m'interroge sur la compatibilité entre le métier d'opérateur et celui de média offrant des pronostics.
Mme Marie-France Beaufils. - Je souhaiterais que la proposition n° 13 fasse l'objet d'une réflexion commune avec le nouveau mode de calcul du potentiel financier. Pour ce qui concerne l'addiction aux jeux, nous sommes face à une grande difficulté : souvent, l'action des pouvoirs publics arrive bien trop tard. Les jeux ont tendance à faire miroiter un potentiel de gains immenses alors que la réalité est toute autre.
M. Yannick Botrel. - Lors des débats en séance publique, il y a plus d'un an et demi, nous avions exprimé des doutes quant à la possibilité de lutter efficacement contre les sites illégaux. Pourra-t-on venir à bout de ces pratiques et a-t-on les moyens d'agir contre les Etats qui abritent ces opérateurs ?
M. François Trucy, rapporteur. - Je partage l'analyse de Marie-France Beaufils concernant l'addiction. Les modérateurs de jeux, à condition d'être bien placés, peuvent prévenir certaines dérives. S'agissant de l'offre illégale, la loi du 12 mai 2010 a mis en place un dispositif convenable mais il faut rester vigilant. J'ajoute que les sites illégaux sont présents au coeur de l'Europe, comme le montrent les exemples de Malte, Gibraltar ou, encore, des îles anglo-normandes. L'Union européenne doit faire le ménage et ne pas pénaliser les Etats membre les plus vertueux. Enfin, en réponse aux inquiétudes de Jean Arthuis que je partage, je préconise de faire montre de vigilance.
M. François Marc, président. - Je propose un vote sur l'adoption de ce rapport particulièrement instructif et contenant de nombreuses propositions.
A l'issue de ce débat, la commission, à l'unanimité, donne acte de sa communication à M. François Trucy, rapporteur, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Contrôle budgétaire - Application du droit communautaire de l'environnement - Communication
La commission entend ensuite une communication de Mme Fabienne Keller sur l'application du droit communautaire de l'environnement.
Mme Fabienne Keller, rapporteur. - Mes chers collègues, je vais vous présenter mon quatrième rapport sur l'application du droit communautaire de l'environnement. Je voudrais remercier mes collègues de la majorité sénatoriale d'avoir bien voulu me laisser présenter ce rapport, bien que je ne sois plus, aujourd'hui, rapporteur de cette mission. J'ai profité du printemps et de l'été pour conduire ce travail. C'est un sujet qui appelle une grande vigilance, car nous ne sommes toujours pas au point.
Je rappelle, pour mémoire, que c'est en 2006 que la France a été condamnée pour la première fois, au titre d'une mauvaise application d'une directive dans le domaine de l'environnement, qui concernait les petits merlus. C'était le contentieux dit des « merluchons ». A l'époque, plusieurs ministères avaient dû s'acquitter de l'amende, ce qui avait posé la question de la coordination de l'action publique.
Pour le présent contrôle, afin de comprendre les enjeux associés aux directives environnementales, j'ai rencontré un certain nombre d'administrations françaises mais aussi la Commission européenne. De plus, j'ai effectué des visites de terrain à Lyon, Bordeaux et Strasbourg, avec l'aide des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement. Enfin, je me suis rendue à Air Parif, à la station d'épuration de Seine-Aval à Achères, et j'ai rencontré des représentants du département santé-environnement de l'institut national de veille sanitaire (INVS). J'ai choisi pour ce nouveau contrôle de me concentrer plus spécifiquement sur les directives dans le domaine de l'eau et de l'air.
Partant des constats dressés en 2008, j'ai observé certains progrès dans l'application du droit communautaire de l'environnement. Cependant, il reste un nombre significatif de contentieux, ce qui s'explique en partie par l'arrivée à échéance de plusieurs directives. On compte ainsi onze procédures au stade du manquement (article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, TFUE), dont trois sont pendantes devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), et quatre procédures au titre du manquement sur manquement (article 260 du TFUE). Les domaines les plus concernés sont l'eau, les déchets et la biodiversité.
En outre, sur la période 2007-2010, on observe une tendance générale à la baisse des cas d'infraction au droit du marché intérieur de l'Union européenne. En décembre 2010, la Belgique est le plus mauvais élève tous domaines confondus, avec 109 cas, tandis que la France en compte 74. Si notre pays est bien classé sur les études d'impact environnementales, il rencontre des problèmes récurrents dans l'application de certaines directives.
Sur les questions de transposition, nous restons en retard, puisque nous comptons douze directives en retard de transposition, mais cela correspond à la moyenne européenne.
Plusieurs évolutions juridiques ont contribué à l'amélioration des résultats. D'une part, le traité de Lisbonne accélère les procédures et renforce les risques de condamnation financière, notamment à travers la suppression de l'avis motivé pour les arrêts en manquement. Cela signifie que, lorsque la Cour a rendu une première décision, le risque de condamnation financière sera beaucoup plus rapide. La procédure est également accélérée en cas de défaut de transposition.
D'autre part, la commission fait preuve d'une attitude très constructive. Elle a par exemple mis en place le mécanisme EU Pilot, qui permet de prévenir les contentieux, l'idée étant de remonter l'information des Etats membres le plus en amont possible, plutôt qu'au stade de la non-application. Enfin, les grandes directives dans le domaine de l'environnement ont été adoptées dans les années 1990 et codifiées dans les années 2000, et il y a actuellement moins de production de nouvelles directives. Au contraire, nous sommes dans une période de suivi de leur mise en oeuvre.
S'agissant de la France, les autres évolutions les plus significatives depuis 2008 sont la mise en place d'un certain nombre d'outils nationaux, en particulier le Grenelle de l'environnement et sa démarche de concertation qui a impliqué tous les acteurs, mais aussi la constitution d'un grand ministère de l'écologie et du développement durable, qui a permis d'intégrer des problématiques et de bénéficier de compétences transversales, même si un certain nombre d'enjeux restent encore éclatés entre plusieurs ministères. L'un des défis est bien de fédérer les gestionnaires du niveau national au niveau local.
Enfin, du fait de la condamnation de la France en 2006 et du risque de sanctions financières, une réelle prise de conscience sur la nécessité d'appliquer correctement le droit communautaire de l'environnement s'est opérée au plus haut niveau de l'administration. De fait, quand le ministère des finances commence à se mobiliser, l'administration française s'active ! La charge budgétaire des contentieux est supportée par le budget de l'Etat, selon une clé de répartition entre les ministères. Le montant des provisions pour litiges est inscrit globalement dans le « compte général de l'Etat ». A titre d'exemple, la somme de 253,5 millions d'euros était provisionnée dans le cadre du bilan de clôture pour 2010.
Pour être plus concrets, regardons maintenant ce qui se passe dans le domaine de l'eau. Malheureusement, la France a un retard chronique dans la mise en oeuvre des directives sur l'eau. La directive sur les eaux résiduaires urbaines, dite DERU, est une directive fondée sur des obligations de moyen, qui s'applique essentiellement aux agglomérations. La France est concernée par trois procédures d'infraction relatives à ce texte. Une procédure précontentieuse pour manquement au stade de la mise en demeure, une procédure contentieuse pour manquement au stade de la saisine de la Cour, et une procédure contentieuse au stade de l'avis motivé. C'est cette dernière qui présente le risque financier le plus imminent, puisqu'elle a atteint le stade du manquement sur manquement. Toutefois, le ministère est plutôt rassurant sur la résolution de ce dossier avant la sanction.
On peut noter que la prise de conscience sur cette directive a été tardive. Globalement, la France compte un plan de retard des agences de l'eau. Les objectifs de la directive ont été pris en compte sur la planification 2007-2012, alors qu'ils auraient dû l'être dès la programmation précédente. Les efforts accomplis dans ce cadre et les mesures prévues dans la prochaine programmation 2012-2018 devraient permettre d'atteindre les objectifs. Il y a eu indéniablement une mauvaise anticipation des pouvoirs publics, notamment des agences de bassin, qui sont un des lieux de gouvernance où se rencontrent l'Etat, ses représentants en région, les industriels, les associations environnementales et les collectivités territoriales. L'enjeu est que tout le monde prenne ensemble des décisions convergentes.
Permettez-moi à cette occasion de souligner les sommes mobilisées, absolument considérables, pour la mise en oeuvre de la directive sur les eaux résiduaires urbaines. En effet, le montant d'investissements de l'ensemble des collectivités et des autres acteurs représente 75 milliards d'euros sur vingt ans. Je ne suis pas sûre que le ministre qui a adopté le texte en 1991 disposait alors d'études d'impact suffisamment étayées pour prévoir l'ampleur des moyens nécessaires pour la réalisation des objectifs de la DERU. Cet exemple illustre toute l'importance, au moment où l'on adopte des textes généraux d'application différée dans le temps, de mesurer les implications juridiques et financières liées aux objectifs des directives environnementales.
La directive-cadre sur l'eau dite DCE, dont les objectifs doivent être réalisés en 2015, implique des obligations de résultat, à savoir l'atteinte du bon état écologique des masses d'eau et le respect du principe de non dégradation de l'état des eaux, le respect des zones protégées, la réduction des rejets de quarante et une substances prioritaires et le rétablissement de la continuité écologique. Un certain nombre d'outils de planification accompagnent la mise en oeuvre de ce texte : les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), élaborés à l'échelle des bassins hydrographiques, qui définissent les ambitions et les objectifs par masse d'eau, les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), qui permettent de décliner au niveau local les dispositions arrêtées par les SDAGE, et les programmes de mesures (PDM), qui identifient les mesures nécessaires à l'accomplissement des objectifs définis dans les SDAGE.
Echaudées par le précédent de la DERU, les agences de l'eau ont plutôt bien anticipé la mise en oeuvre de la DCE. Malgré tout, sur le terrain, on constate que le rattrapage des investissements concerne d'abord la DERU. La prochaine programmation des agences devrait rester centrée sur le respect des obligations communautaires. Une hausse des interventions est notamment prévue pour lutter contre la pollution industrielle, du fait des risques inhérents aux substances dangereuses. Les acteurs de terrain, par exemple à Bordeaux, estiment qu'il faudrait augmenter les moyens de l'ordre de 20 % pour être en ligne avec les objectifs de la DCE dès 2015.
En effet, la France risque de ne pas atteindre les objectifs aux dates prévues, du fait des difficultés liées à l'incertitude des financements, de l'inertie des milieux, qui dépend par exemple des conditions climatiques, et de la difficulté à identifier les maîtrises d'ouvrage, notamment pour la restauration des cours d'eau.
Se pose aussi la question spécifique de la gouvernance de l'eau, sujet sur lequel j'avais travaillé il y a quelques années. On peut se demander, cinq ans après la loi sur l'eau et la création de l'office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), si cet outil s'est révélé pertinent. On peut également s'interroger sur l'efficacité des polices de l'eau, en principe simplifiées par la mise en place des directions départementales des territoires.
Il serait peut-être temps, mais cette tâche appartiendra à mon successeur, de dresser un bilan des forces et des faiblesses de la gouvernance de l'eau et de l'ONEMA.
J'ai pu constater sur le terrain combien les investissements nécessaires pour le traitement des eaux peuvent être considérables. Je dois dire que, de ce point de vue, la visite de la station d'Achères était tout à fait impressionnante. Permettez-moi ici, en tant qu'écologiste convaincue, de partager une préoccupation. La station d'épuration d'Achères traite 7 millions d'équivalents habitants. Elle consomme, du fait du cumul des traitements, autant que la Communauté urbaine de Nantes, en termes d'électricité ! On se heurte ici à la contradiction d'objectifs environnementaux qui peuvent être concurrents. De ce point de vue, comme je le dirai en conclusion, je pense que les prochaines directives devraient être encore plus transversales, et traiter, non plus chaque objet à protéger, mais adopter une approche coûts/avantages globale en terme environnemental.
Le deuxième dossier sur lequel j'ai focalisé mon contrôle est la directive sur la qualité de l'air. La réglementation européenne relative à la qualité de l'air est très compliquée. Là encore, elle existe depuis les années 1990. Les différentes directives ont été codifiées dans une directive de 2008 sur la qualité de l'air ambiant et un air pur en Europe. Elle concerne notamment les particules dans l'air, les oxydes d'azote, le dioxyde de soufre et l'ozone. Elle fixe des valeurs cibles et des valeurs limites pour l'ensemble des polluants concernés. Pour les particules dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres, dites PM 10, la valeur limite de 50 ug/m3 ne doit pas être dépassée plus de 35 jours par an en moyenne journalière. En revanche, en moyenne annuelle, la valeur limite est de 40 ug/m3. Ce sont des polluants pour lesquels il faut à la fois éviter les périodes de pointe, qui ont des conséquences sur les asthmatiques par exemple, et les expositions de fond, qui peuvent créer des fragilités en termes de santé, quand on est exposé trop longtemps.
La directive a été déclinée à travers la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie. Cependant, le vote d'une loi n'est que la première étape de la mise en oeuvre d'une directive. Plus récemment, le Grenelle de l'environnement, le Plan national santé environnement et le Plan particules sont venus renforcer cet arsenal législatif. Je tiens, enfin, à souligner le rôle essentiel des Agences de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), qui effectuent un remarquable et indispensable travail de mesures, de simulations et de modélisation.
La France est concernée par une procédure contentieuse au stade de la saisine sur le fondement de l'article 258 TFUE, pour non respect des valeurs limites de PM 10. Plusieurs Etats membres sont concernés par un tel contentieux. La condamnation de la France semble inévitable, car toutes les grandes agglomérations françaises sont concernées (Ile de France, Rhône-Alpes, Alsace, Aquitaine notamment).
Au-delà des enjeux financiers associés au contentieux, la lutte contre les particules représente aussi un enjeu sanitaire, puisqu'elles ont des effets négatifs sur la santé, à court et à long terme, qui ont été démontrés dans de nombreuses études épidémiologiques récentes. La mauvaise qualité de l'air est ainsi responsable de quelques milliers de décès précoces par an.
Les sources principales des particules PM 10 sont les activités agricoles, l'industrie, l'habitat (en particulier le chauffage) et le transport routier. C'est en général le cumul de ces différents facteurs qui crée les problèmes de dépassement des seuils.
La difficulté de la mise en oeuvre de la directive s'explique par la diversité des sources de pollution et la contradiction entre des objectifs concurrents. Par exemple, on nous a beaucoup parlé à Bordeaux de l'usage du chauffage au bois par des personnes pauvres qui ont des maisons mal isolées. Le chauffage individuel au bois est très émetteur de particules, alors que son utilisation est recommandée dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Certes, ses émissions dépendent de la manière dont la combustion est conduite. En général, dans les grosses centrales, ce mode de chauffage ne pose pas de problème. En revanche, lorsqu'il passe par une cheminée, les rejets sont catastrophiques. C'est un sujet de préoccupation, car l'analyse des AASQA a clairement pointé une forte densité de PM 10 au cours des pics de froid hivernaux, du fait d'un recours massif au chauffage au bois.
Mais la mauvaise application de la directive s'explique surtout par un problème de gouvernance et de pilotage. Il y a beaucoup d'outils, mais on peut se poser la question de leur hiérarchie et de leur coordination : les schémas régionaux climat air énergie (SRCAE), les plans de prévention de l'atmosphère (PPA), les plans de déplacement urbains (PDU), les plans régionaux climat énergie (PRCE), pour n'en citer que quelques-uns. La question centrale porte sur le lieu où l'on prend les décisions pour mettre en oeuvre ces différents outils, et où l'on pilote ces décisions.
De ce point de vue, le domaine de l'eau est moins problématique, car les agences de bassin rendent possible une rencontre et une confrontation de tous les acteurs, qui mène à la prise de décision. En outre, les redevances de l'eau constituent un outil financier au service de cette politique. Au contraire, dans le domaine de l'air, il n'y a pas d'outil financier identifié, ni de lieu de coordination et de pilotage. Ce sera l'objet de l'une de mes propositions.
Au-delà de ces deux grandes problématiques que sont l'air et l'eau, la France est exposée à d'autres contentieux, alors que d'autres procédures sont en voie de classement. Je vous renvoie sur ce point au rapport.
Je voudrais insister ici sur les dossiers à enjeux, qui présentent des risques sanitaires et financiers. Pour la qualité de l'air, au-delà des PM 10, les risques portent sur les particules plus fines, inférieures à 2,5 micromètres, ainsi que sur les oxydes d'azote, toujours dans les grandes agglomérations.
Un deuxième dossier qui ne doit pas être négligé est celui du bruit. La directive relative à l'évaluation et à la gestion du bruit impose des obligations de moyens, notamment l'élaboration d'une cartographie du bruit autour des principales infrastructures et agglomérations, puis de plans d'actions destinés à réduire ces nuisances sonores. Le bruit représente en effet aussi une nuisance sensible pour la santé, à travers des effets sur l'audition et le stress des populations exposées.
Seul un tiers des cartes a été réalisé à ce jour, et la Direction générale de l'environnement de la Commission européenne m'a spécifiquement alertée sur ce dossier, qu'elle surveille de très près. Or, il apparaît encore plus complexe d'agir sur le bruit que sur la qualité de l'air. En effet, nous ne disposons pas d'un réseau d'organismes de mesures, et les sources de bruit sont encore plus diffuses. Enfin, il n'existe aucune instance de discussion et de décision intégrée.
A partir de ce constat, quels enseignements tirer et quelles recommandations proposer pour améliorer la mise en oeuvre des directives européennes ?
Je pars du plus global pour aller au plus opérationnel. Je propose d'abord d'engager une réflexion sur une appréhension globale des enjeux et un traitement transversal des objectifs, pour qu'on ne se retrouve pas à opposer les priorités environnementales entre elles. On est ici très en amont du processus, à travers une impulsion à donner au niveau européen, afin d'aboutir à une approche plus intégrée de la qualité de l'air et de la lutte contre le changement climatique, et que les textes soient gérés de manière plus globale, en introduisant la notion de valeur environnementale. Cette dernière doit permettre de mener une réflexion sur les avantages et les coûts des directives européennes pour la collectivité, en termes de consommation d'énergie, d'amélioration de la qualité de l'environnement, et d'investissements par exemple.
Mon deuxième grand axe de propositions consiste à perfectionner le pilotage et la gouvernance de la mise en oeuvre des directives. Il reste beaucoup de choses à faire pour créer des lieux de gouvernance. Je pense qu'on peut à la foi imaginer un tel lieu au niveau local, pour chaque grande directive, comme l'air et l'eau, le but étant de fédérer l'ensemble des acteurs. La région pourrait être un niveau pertinent. Au-delà, on pourrait également envisager la création d'un lieu de gouvernance national, qui pourrait rassembler les experts des textes européens, des représentants des Parlements, des communes, des départements, des régions, mais aussi des agences spécialisées ou d'autres acteurs comme l'ADEME. Le but est de créer un lieu de pilotage structuré et organisé, qui permettrait par exemple de faire du reporting sur les actions conduites et ce qu'il reste à faire.
De plus, je propose de réorganiser les ministères. L'administration territoriale s'est beaucoup restructurée, mais elle dialogue avec plusieurs ministères dans le pilotage de l'accompagnement des directives environnementales. Je propose donc une réorganisation du bas vers le haut, selon une approche « bottom up ». On voit bien avec la qualité de l'air que l'on aurait besoin d'une approche totalement intégrée pour être plus efficace. Le dossier relève en effet de plusieurs ministères (santé, écologie notamment).
Ma dernière série de recommandations est la plus concrète. Elle consiste à mettre en place une automaticité de la transposition des directives. C'est ce qui existe par exemple en Finlande, où le processus législatif national est conduit pratiquement en parallèle de la négociation au niveau européen. Cela permet d'associer le parlement national aux débats au bon moment, c'est-à-dire quand les grandes lignes des textes sont fixées, mais aussi de créer une mobilisation et une adhésion des différents acteurs. En outre, cela évite ce que l'on a connu sur la directive OGM, à savoir l'écart temporel entre le moment où est adoptée la directive et celui où elle est transposée, avec une réouverture du débat au niveau national qui complique grandement la transposition. Il s'agit de déplacer toute l'énergie aujourd'hui consacrée aux procédures juridiques vers la gouvernance et la mise en oeuvre concrète des mesures.
Une série de propositions complémentaires sont également détaillées dans le rapport : la création d'une équipe projet avec un ministère chef de file sur chaque texte, l'élaboration et l'actualisation de fiches d'impact simplifié pour que tout le monde puisse prendre conscience de l'impact d'une directive dès son adoption, la rédaction de plans de transposition et de tableaux de concordance à diffuser, ou encore la détermination d'un créneau parlementaire annuel pour transposer les directives de manière régulière, afin d'éviter l'accumulation des textes et une certaine acrobatie parfois nécessaire pour respecter les délais de transposition.
Enfin, il faut poursuivre les démarches engagées. Dans mes précédents rapports, j'avais fait une série de propositions davantage liées à la diffusion d'une « culture européenne » : sensibiliser les agents publics à l'importance des enjeux communautaires dans le droit communautaire - je rappelle à cet égard que 80 % du droit dans ce domaine est d'origine communautaire ; développer l'évaluation, à travers des études d'impact ; réaliser des analyses coûts-bénéfices, et mieux utiliser l'action des Parlements nationaux, notamment dans leur travail interparlementaire, pour influer sur le processus législatif européen, démarche facilitée par le Traité de Lisbonne.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Je voudrais revenir sur les propositions de Mme Keller. Votre rapport tombe bien, dans la mesure où il concerne un sujet cher au Sénat, à savoir celui des normes. Je voudrais le rappeler, notamment aux nouveaux collègues. Les normes font l'objet d'un moratoire, qui apparaît comme une toute petite compensation pour les collectivités territoriales, compte tenu de la manière dont elles ont été bousculées par les différentes réformes impactant l'activité locale.
Ce moratoire porte sur 10 % des textes, qui ont un impact réglementaire. En matière environnementale, comme l'a dit Mme Keller, 80 % de la norme est européenne, que l'on transpose plus ou moins bien. Ces normes sont par définition exclues du champ du moratoire. Je voudrais rappeler que le comité consultatif de l'évaluation des normes (CCEN) a évalué sur un an (septembre 2008-fin 2009) à un milliard d'euros en année pleine le coût des nouvelles normes pour les collectivités locales, pour 365 millions d'économies. En 2010, le coût des nouvelles normes atteint 577 millions pour les collectivités, pour seulement 133,6 millions d'économies.
Quand vous nous parlez d'automaticité de la transposition, cela rejoint effectivement la question des normes. Notre collègue Belot a piloté un rapport de la délégation aux collectivités territoriales, dont le titre était particulièrement parlant à cet égard : « la maladie de la norme ». De plus, notre collègue Eric Doligé a réalisé un travail sur ce sujet, à la demande du Président de la République, qui a débouché sur une proposition de loi. Cette dernière a fait polémique - à juste titre - avant même d'exister. Elle devait être examinée par le Sénat mais a été retirée de l'ordre du jour. Si je rappelle cela, c'est pour souligner l'existence d'un problème général d'acceptation de la norme dans notre pays.
Vous nous proposez un gros travail en amont. Quant à la démarche transversale, je pensais que c'était l'objet du Grenelle de l'environnement. Sur le travail en amont, on connaît les difficultés que rencontrent les Parlements nationaux pour travailler avec le Parlement européen. J'y suis favorable, mais vos propositions tracent un chemin bordé de difficultés. Les transpositions peuvent nécessiter des semaines entières de discussion, comme ce fut le cas avec le débat relatif à la loi sur l'eau, que j'avais suivi en tant que députée.
Votre rapport est tout à fait louable dans ses objectifs, mais on a peine à voir, comment, avec les difficultés rencontrées sur les grandes directives environnementales, l'on pourrait imposer cette automaticité de la transposition. Évidemment, le Gouvernement pourrait le faire par ordonnance, mais il y a parfois des abus dans cette pratique qui heurte les prérogatives du Parlement.
Mme Fabienne Keller, rapporteur. - Vous posez la question des normes. Il est vrai que les grandes directives environnementales s'appuient sur des critères. Je n'ai pas trop détaillé ce point que j'avais longuement développé dans mes rapports précédents. Toute la question est de savoir comment ces éléments inclus dans les directives sont construits, et quelle est notre participation à la définition de ces critères. Ce sont des directives qui donnent toujours lieu à des livres blancs et des livres verts, ainsi qu'à plusieurs mois de débats.
La question porte sur la contribution des gens qui devront les mettre en oeuvre à l'élaboration de ces critères. Or, il est vrai que pour ces grandes directives, les collectivités de base, qui sont très largement actrices sur l'eau et sur l'air, n'ont clairement pas été associées au moment de la négociation. Nous avons aujourd'hui l'opportunité de nous rattraper avec la révision des directives sur les OGM et SEVESO, qui font partie des grands dossiers du moment. Il faut s'impliquer dès maintenant dans l'élaboration de ces textes et de leurs références.
Deuxièmement, je voudrais souligner l'habileté de la Commission. Elle est plutôt ouverte et elle n'exclue en rien d'adapter tel ou tel critère. La question porte donc bien sur l'alimentation d'outils de travail pertinents en amont, en associant le mieux qu'on peut ceux qui devront mettre en oeuvre les directives
De plus, l'Union européenne, à la différence de la France, suit l'application de ces lois. En la matière, la Commission se prévaut du Conseil qui demande un état des lieux régulier sur l'application des textes. Les traités ont donc prévu un arsenal juridique pour sanctionner le non respect du droit communautaire. La Commission a engagé une véritable « industrialisation » des recours et une gestion diplomatique assez fine des dossiers, avec le classement de certains contentieux, tandis que d'autres prospèrent, et ce de manière équilibrée entre les différents Etats membres. Elle manie assez bien la carotte et le bâton.
S'agissant du travail transversal, vous avez raison de pointer que le Grenelle de l'environnement a permis d'avancer dans certains domaines : on peut le constater sur l'eau. Mais pour l'air, le ministère de la santé et la direction générale de l'énergie et du climat doivent travailler de concert. Il faut aller plus loin pour être plus efficaces sur ces sujets environnementaux qui sont par nature des sujets transversaux.
M. Jean-Paul Emorine. - J'ai beaucoup apprécié la présentation du rapport de Mme Keller. On peut être écologiste et économiste en même temps. J'ai présidé la commission de l'économie et du développement durable et c'est quelque chose de compatible à partir du moment où l'on veut être rationnel.
Sur les normes, il ne s'agit pas de remettre en cause l'esprit de la directive cadre sur l'eau, mais il faudrait au minimum revoir les délais, car les collectivités locales n'ont pas les moyens financiers nécessaires. J'ai été responsable dans un département des problématiques environnementales pendant seize ans. De ce point de vue, je me suis réjoui de la loi Voynet, qui affirme que l'eau fait partie d'un patrimoine commun. C'est un point important, car on a bien vu dans l'entretien des rivières ou dans les politiques d'assainissement que ce statut offrait de nouvelles capacités et possibilités d'intervention aux acteurs locaux.
Or, que constate-t-on depuis vingt ans dans les politiques environnementales ? A une période donnée, les conseils généraux conduisaient les politiques de l'eau en partenariat avec les agences de l'eau, à travers une démarche de contractualisation. Souvent, on atteignait alors des niveaux de subventions de 50 % à 80 % pour les entretiens de rivières, et de 50 % à 60 % pour l'assainissement. Or, depuis 2004, les conseils généraux ont acquis d'autres compétences en matière sociale et ont en conséquence souvent abandonné les financements en direction des politiques de l'eau, du fait des difficultés budgétaires.
Vous parlez de gouvernance. L'Etat collectait des ressources financières à travers le fonds national pour le développement des adductions d'eau (FNDAE) et les répartissait dans les départements selon des critères de longueur des réseaux. Or, l'Etat a abandonné le FNDAE mais a permis aux agences de l'eau de conserver des moyens financiers.
Le ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement (MEDDTL) a de larges compétences, mais les acteurs reconnus au niveau européen sont les agences de l'eau. Elles sont reconnues pertinentes au niveau européen, du fait d'une approche par bassin, rationnelle et pragmatique. Quand on voit ce qu'elles prélèvent sur les factures d'eau de nos concitoyens, de l'ordre de quelques centimes d'euros par mètre cube, je pense qu'il faudrait renforcer leur capacité à développer des financements sur l'eau en général (entretien des rivières, assainissement dans nos communes). Aujourd'hui, les maires me disent qu'ils sont à court de financements. Cela bloque toutes les opérations. Il faut faire en sorte que les agences de l'eau aient les moyens d'accompagner toutes ces politiques de l'eau.
M. François Fortassin. - L'excellent rapport de Mme Keller m'amène également à m'exprimer sur la question de l'eau. Vous dites que la gouvernance de l'eau reste perfectible. C'est évident. Mais on sait qu'en matière d'eau potable, le gravitaire est la solution la moins couteuse après vingt-cinq ans. Or, un bon réseau dure cinquante ans. Dès lors, partout où cela serait possible, pourquoi ne pas préconiser que l'on puise l'eau en montagne, là où elle n'est pas polluée, plutôt que de la puiser en aval avec des rivières qui sont déjà polluées - induisant d'importantes dépenses - pour avoir une eau potable mais non buvable ! Voilà des choses simples et faisables ! Je suis président d'un syndicat d'eau interdépartemental, qui compte 9 000 kilomètres de réseau gravitaire. Les derniers abonnés sont à 130 kilomètres des sources, et notre prix de l'eau est tout à fait correct, pour une bonne qualité de l'eau.
Deuxièmement, je vais vous faire sourire, mais j'avais déposé un amendement - voté à l'unanimité - dans le débat sur le Grenelle de l'environnement, préconisant que les herbivores devaient manger de l'herbe : la qualité du lait et de la viande est en effet optimale quand les animaux mangent de l'herbe. De plus, on protège par là-même les nappes phréatiques, car la présence d'espaces enherbés empêche par définition le lessivage des sols. Voilà des préconisations simples, ayant une efficacité réelle sans que cela coûte très cher.
Enfin, vous avez évoqué l'ONEMA. Vous avez dit qu'il est perfectible. J'irai beaucoup plus loin : il faut neutraliser ses « cerbères galonnés et armés » ! Ils font passer les maires pour des délinquants, en demandant des peines de prison ferme à l'encontre de maires qui auraient laissé faire un coup de pelle mécanique intempestif dans telle ou telle rigole, qui aurait bien entendu dérangé l'habitat de je ne sais quelle libellule multicolore ou salamandre marbrée ! Jusqu'à maintenant, les procureurs ont classé ces demandes d'emprisonnement ferme, sans que cela aille plus loin, mais cette tendance est gênante.
M. François Marc, président. - Merci à François Fortassin dont l'intervention colorée nous éloigne un peu du pragmatisme des fonctionnaires européens...
M. Jean Germain. - Le sujet est évidemment l'écologie, mais aussi la transposition des règles européennes. Soit on est pour une Europe fédérale, à terme, avec une transposition des directives automatique. Je suis plutôt partisan d'une telle proposition. Mais le coeur du débat n'est pas celui-là aujourd'hui. On parle ici de l'application du droit européen. Je voudrais réagir en tant que nouvel élu du Sénat. Je suis sincèrement convaincu par la nécessité de l'écologie et de l'environnement, mais je suis également certain que gronde une révolte des élus locaux. On prend ces derniers en otage, alors qu'ils créent un lien important entre la base et le sommet.
Le schéma de la gouvernance de la qualité de l'air est une véritable usine à gaz : comment veut-on faire appliquer des choses comme ça ! Ce genre de dysfonctionnement dresse un certains nombre de personnes contre des directives qui sont pourtant nécessaires. On va fêter en 2012 les trente ans de la décentralisation. Cela pourrait être l'occasion de réfléchir aux compétences des collectivités locales en la matière. Nous avons des visions si technocratiques qu'elles en deviennent antidémocratiques. La conséquence paradoxale en est que, alors qu'on devrait se mobiliser et traiter ces sujets, ils suscitent le rejet des acteurs locaux.
M. Roland du Luart. - Au vu des évolutions de ces dernières années, tout le monde est d'accord pour adhérer au phénomène écologique et le respecter. Mais je pense aussi que nous devons être pragmatiques. L'Etat est en faillite, nos collectivités sont étranglées et n'ont plus de marges de manoeuvre, et le contribuable, notamment local, est asphyxié par la hausse des impôts locaux, par exemple en matière de foncier bâti. Il faut donc se donner le temps d'appliquer les différentes règles, car on n'en a pas les moyens. J'ai été conseiller général pendant trente-deux ans, dont quatorze comme président. Dans ce cadre, j'avais fait de l'assainissement une priorité absolue. Nous avons obtenu de bons résultats, en parvenant aussi à sensibiliser les acteurs. Mais nous n'avons travaillé que sur un sujet. Je ne pense pas que l'on puisse tout faire en même temps.
Dans la DCE, il y a quelque chose qui me gêne beaucoup : il y a des rivières de différentes catégories : nos prédécesseurs ont construit des barrages au fil du temps, et nous devons aujourd'hui les détruire. Je ne suis pas d'accord. Ils avaient un sens à l'époque. Il faut les entretenir et les mettre en état.
Sur l'air, le chauffage au bois est un non sens d'après vous. C'est vrai dans les grandes villes, mais allez dire ça dans les villages : vous braquerez encore davantage les populations contre l'écologie !
Enfin, nous aimons les bovins et les pâturages, mais on leur reproche d'émettre trop de CO2 ! Soyons pragmatiques !
Les problèmes financiers liés à l'écologie sont très lourds. On ne peut pas tout faire en même temps. On est d'accord sur les grandes lignes, mais il faut procéder paquet par paquet. J'émets donc des réserves sur les propositions de Fabienne Keller.
M. Jean-Vincent Placé. - Je me réjouis de ce débat ! D'ailleurs, je dis à M. Fortassin, car je connais bien son courant politique, que j'ai bien entendu l'ode à la défense des territoires et le fait qu'il ne faut pas tout judiciariser. Mais je reprendrai une formule appréciée des radicaux de gauche, de l'abbé Lacordaire : « entre le fort et le faible, c'est la loi qui protège et la liberté qui opprime ». C'est aujourd'hui la réalité de la politique environnementale.
Certes, il y a sûrement des améliorations à apporter à la confection des directives, du point de vue démocratique et participatif. En tant qu'écologiste, je suis attaché à l'application des textes sur l'eau, l'air et les déchets - que Mme Keller n'a pas abordés. Tous ces problèmes ne s'arrêtent pas à nos frontières. C'est un défi européen et planétaire. La question des normes environnementales est très importante. Je constate aussi que les frontières des partis politiques ne correspondent pas forcément aux frontières écologiques. Mme Keller se montre en effet plus normative et volontariste sur les transpositions que Mme Bricq.
La question est celle de la transposition rapide des normes mais aussi de la transversalité, sur laquelle le Grenelle de l'environnement a permis d'avancer. Ce qui avait été fait par les cinq groupes de travail était très intéressant, par exemple sur les trames vertes et bleues.
Au-delà, Mme Keller a raison de porter attention à la question de la gouvernance, éminemment importante. Le problème est aussi celui du contrôle du respect des normes région par région, département par département. Il faut bien contrôler la réalité de la norme sur les différentes formes de pollution, dans le respect des acteurs locaux. Mais le volontarisme est aussi de donner une orientation. Par exemple, au niveau de la région Ile-de-France, on ne fait que voter des plans, sauf que personne n'en vérifie la mise en place efficace, et qu'il n'y a pas de bonus si on est vertueux ou de malus si on est mauvais. Il faut rétablir la parole politique. C'est en ce sens que les préconisations du rapport de Mme Keller me satisfont.
Mme Michèle André. - Nous sortons d'une campagne sénatoriale, et beaucoup d'élus de départements ruraux ont été confrontés au problème de l'assainissement individuel. Les contrôles s'effectuent en ce moment sur les équipements des particuliers, par exemple sur le type de fosses d'évacuation qu'ils possèdent. Souvent, on leur indique que leur équipement est non conforme, et il revient aux maires d'annoncer ces nouvelles aux particuliers qui ont dépensé l'argent pour cet équipement. Tout cela a quelque chose de désespérant !
Votre rapport est tout à fait intéressant, mais lorsque vous préconisez de réorganiser les ministères par rapport aux territoires et non l'inverse, je vous souhaite bon courage. En effet, j'ai pu constater toute l'ampleur de la tâche dans le cadre de la mission d'information sur la révision générale des politiques publiques.
Enfin, il est urgent d'ouvrir une conscience sur les dangers du bruit sur la santé. Beaucoup de nos compatriotes sont atteints de déficits auditifs plus ou moins importants, et en souffrent. De par mon expérience professionnelle, je peux dire qu'on ne fait pas assez attention aux conséquences de ces maladies.
M. Charles Guené. - Pour les élus que nous sommes, l'expression du droit communautaire se réduit essentiellement à la transposition des directives et à l'application de la norme, alors que l'on atteint le stade ultime du processus législatif européen. Lorsque j'étais membre de la commission des lois nous avions fait une tournée des Parlements européens. J'avais alors été frappé devant le constat que les autres Parlements nationaux agissent nettement plus en amont dans le processus communautaire. C'est clairement l'une de nos faiblesses. Nous avons de gros efforts à faire en la matière. Agir sur la transposition et sur l'application se révèle assez vain quand le processus antérieur est déjà épuisé.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je voudrais d'abord féliciter Mme Keller pour son excellent rapport. Je trouve que la démarche consistant à tirer des enseignements et à effectuer des recommandations pour améliorer la transposition des directives, à ce moment précis, est vraiment utile et importante.
Il me semble qu'il y a un moment privilégié des discussions, qui est celui où l'on discute des documents d'urbanisme, qu'il s'agisse de l'établissement des plans locaux d'urbanisme (PLU) ou des schémas de cohérence territoriale (SCOT). Ce moment privilégié, qui rassemble l'Etat avec les différentes administrations, peut faire bouger les choses, notamment pour sensibiliser les agents publics. Malgré tout, il faudra veiller à l'uniformité.
En effet, j'ai constaté, dans mon département, que l'on arrive quelquefois à des positions sur des établissements de cartes communales ou de PLU qui ne sont pas tout à fait identiques, ce qui me gêne. Il faut profiter de ces moments clés pour poser ces problématiques devant les élus locaux : car cela crée du lien entre la décision communautaire, l'action nationale et les mesures locales, tout en veillant à ce que l'administration formule des instructions claires et précises pour éviter les disparités.
M. François Marc, président. - S'agissant des provisions, bien sûr, le Gouvernement fait le nécessaire et agit de façon rationnelle. Mais, selon vous, quel est le risque réel que l'on ait à débourser tout ou partie de cette somme au bout du compte ? N'y a-t-il pas là une forme d'agitation sur ces menaces de sanctions financières, sans condamnation avérée, tel le guignol lyonnais ? J'ai en tête un exemple sur l'eau.
Mme Fabienne Keller, rapporteur. - Je voudrais rappeler que le droit communautaire a été élaboré par le conseil de l'Union européenne et par le Parlement européen, et que, très majoritairement, ces textes ont été adoptés à l'unanimité. Nous sommes dans un processus où, entre celui qui vote et celui qui transpose, il peut y avoir plusieurs ministres. La technique de l'Union européenne est d'être très volontariste sur les objectifs, mais en fixant des délais de réalisation de ces objectifs de façon différée dans le temps. De fait, ce sont rarement ceux qui votent qui sont finalement responsables de la mise en oeuvre, méconnaissant le fait que, si l'on veut « être dans les clous », il faut agir dès l'adoption de la directive.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué la question des finances. M. Emorine suggère de se servir un peu mieux des redevances des agences de bassin, voire de les augmenter, puisqu'on a là une base fiscale assez pertinente : elle fait payer ceux qui polluent et consomment de l'eau. Évidemment, les discussions dans chaque bassin sont difficiles et le prix de l'eau est une question éminemment politique, mais on dispose d'un outil que l'on n'a pas pour l'air, à part un peu de TGAP sur telle ou telle activité.
Je me propose d'ajouter au rapport la proposition de M. Emorine de mieux doter les agences de bassin, sachant que les autres acteurs ont plus de difficultés à trouver des ressources.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Je n'y suis pas hostile, mais les redevances de l'eau échappent au budget de l'Etat. C'est un problème. Et puis, il y aurait malgré tout beaucoup à dire sur les agences.
Mme Fabienne Keller, rapporteur. - L'évaluation des investissements totaux sur les réseaux est de 135 milliards d'euros pour refaire intégralement l'assainissement collectif en France. N'y a-t-il pas des endroits où il serait plus pertinent d'avoir un bon assainissement individuel, comme le suggère Mme André ? Au-delà, se pose la question du financement des équipements individuels. On ne peut pas ne pas prendre en compte la question financière. On ne règlera pas le problème de l'assainissement individuel par un texte de loi. C'est un problème de terrain, qui doit faire l'objet d'une discussion entre les acteurs concernés, pour qu'on monte les mécanismes de financement nécessaires. Sur l'assainissement collectif et individuel, peut-être pourrait-on initier un travail pour une nouvelle adaptation des directives. L'objectif de la commission n'est pas d'embêter les gens mais d'avoir un dispositif pertinent, qui supporte des adaptations dès lors qu'elles ne sont pas en contradiction avec l'objectif.
M. Germain, je me suis limitée au cas de textes qui doivent être mis en oeuvre. L'incompréhension dans les procédures formelles est également liée au fait que nous appliquons ces textes vingt ans après leur adoption. Du coup, la perception des élus locaux qui n'ont jamais été associés au processus de décision et qui doivent tout financer eux-mêmes est négative. L'un des sujets est aussi de partager la prise de décision. C'est la question des fiches d'impact, des évaluations financières, de l'implication des acteurs de terrain.
M. du Luart, le problème des barrages entre tout à fait dans la problématique des normes contre les objectifs. La question du chauffage au bois illustre la complexité de l'écologie. Tout cela est multifactoriel.
M. Placé, sur les déchets, il y a effectivement un souci sur la directive relative aux décharges non autorisées. A ce jour, trois décharges sont encore non conformes en Guyane. Vous avez aussi évoqué les normes et leur réalité. Mon rapport se limite à la vérification de l'application des directives adoptées. Sur la qualité de l'air, on a des plans, mais l'on n'en contrôle pas la mise en oeuvre, et l'on ne dispose pas d'un outil financier dédié. Du coup, on impose la solution la plus coûteuse, celle de la norme, dont on n'est pas sûr des effets par rapport aux résultats attendus. Tout cela est contre-productif.
Sur la réorganisation des ministères, ma remarque était un peu générale, car il y a sur le terrain des directions départementales et régionales qui reçoivent des recommandations de nombreux ministères. En principe, ce sont celles-ci qui sont proches de la vie réelle. Ma proposition relève donc davantage d'une philosophie générale qui partirait du terrain pour construire les ministères, à travers une sorte de « reengineering » des ministères.
M. Guené a très justement souligné la nécessité d'une action beaucoup plus en amont sur les textes communautaires. J'y souscris bien sûr.
Sur les questions d'urbanisme, les documents d'urbanisme sont absolument stratégiques, ce sont les documents les plus intégrateurs, notamment les SCOT.
Enfin, sur la question des provisions, elles sont établies en prenant en compte des probabilités. C'est un chiffrage qui est plutôt inférieur à la réalité des risques. Il faut revoir chaque année cette prévision, afin de remobiliser tout le monde.
M. François Marc, président. - Merci à tous pour ce débat très instructif et intéressant. Je vais vous demander si vous êtes d'accord pour adopter le rapport de Mme Keller pour qu'il donne lieu à publication.
La commission donne acte de sa communication au rapporteur et décide, à l'unanimité, d'en autoriser la publication sous la forme d'un rapport d'information. Elle autorise également le rapporteur à mener une action de communication sur ce rapport.
Situation des banques françaises et financement de l'économie - Audition de MM. Michel Bouvard, président de la commission de surveillance, et Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations
Au cours d'une seconde réunion tenue l'après-midi, la commission procède à des auditions sur la situation des banques françaises et le financement de l'économie. Elle entend tout d'abord MM. Michel Bouvard, président de la Commission de surveillance, et Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
M. Michel Bouvard, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. - Vous avez souhaité nous entendre sur la situation présente du groupe Dexia, sur l'implication de la Caisse des dépôts et consignations dans la gestion du groupe, comme actionnaire, dans les conditions de mise en oeuvre du démantèlement du groupe et sur les sollicitations qui sont faites à la Caisse pour apporter des solutions de long terme au financement des collectivités territoriales dans notre pays.
Sans refaire l'historique, depuis la création de la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales (CAECL), en passant par la mise en place du Crédit local de France, jusqu'à l'avènement de Dexia, nous observons que c'est en 2008, lorsque se déclenche la crise financière, que le groupe est touché par cette crise. La Caisse des dépôts et consignations a toujours été un actionnaire historique du groupe Dexia en raison des titres qu'elle détenait initialement. En 2008, la Caisse, qui détenait déjà 13 % à 14 % du capital, était donc concernée par l'opération de recapitalisation. Ses parts auraient pu être un peu moindres si, en septembre 1999, lors de la fusion des entités belge et française de Dexia, les pouvoirs publics eux-mêmes n'avaient pas souhaité que la Caisse remonte au capital, plutôt que de se laisser diluer, avec un investissement de 2,5 milliards de francs. La recapitalisation de septembre 2008 intervient dans le contexte de la réforme de la gouvernance de la Caisse des dépôts, après le vote de la loi de modernisation de l'économie. Le comité d'investissement, chargé d'émettre un avis, au sein de la commission de surveillance, sur les décisions du directeur général, n'avait pas encore été mis en place à l'époque, la loi n'ayant été publiée que quelques semaines auparavant. Néanmoins, nous avions évoqué, avec Augustin de Romanet, la position qu'il convenait de tenir. J'ai un souvenir précis du départ du directeur général pour la négociation à Bruxelles. Nous étions convenus ensemble que la Caisse ne pouvait pas courir un risque sur Dexia supérieur à 10 % de ses engagements. C'est ainsi qu'avait été retenu un plafond pour l'augmentation de capital qui ne pouvait excéder 2 milliards d'euros pour la Caisse des Dépôts. L'Etat lui-même ayant participé à l'augmentation de capital, la partie française, avec une augmentation de 3 milliards d'euros, a pu détenir la minorité de blocage, de 25 % en droit belge des sociétés, et faire évoluer la gouvernance de l'entreprise.
A partir de 2008, la commission de surveillance a effectué un suivi très régulier de l'évolution du groupe Dexia. Nous avons procédé, avec l'instance de contrôle de la Caisse placée auprès du directeur général, à plusieurs auditions de l'administrateur délégué du groupe, Pierre Mariani. Malheureusement, il a fallu prendre des décisions de dépréciations, en fonction de l'évolution de la situation.
Les décisions consécutives à la recapitalisation, avec la cession de la filiale américaine, la réduction progressive du bilan, la restructuration des ressources pour les adapter aux prêts de longue durée consentis par Dexia, se sont déroulées conformément au plan arrêté en 2008 et ont été présentées à la commission de surveillance comme prévu.
La mutation de la crise a rattrapé Dexia, mais il n'y a pas eu, à mon sens, de carence de gestion de la part de la nouvelle équipe dirigeante installée en 2008.
Dexia est aujourd'hui victime de deux chocs : celui de la dette souveraine, compte tenu de l'importance des papiers qu'elle détient ; celui de la liquidité interbancaire, qui ne lui permet plus de se refinancer dans des conditions satisfaisantes.
Le désir de l'Etat est que la Caisse des Dépôts puisse, conformément à sa mission historique, contribuer à remettre en place un véhicule de financement de long terme des collectivités territoriales. Au sein de la commission de surveillance, où vous êtes représentés par Jean Arthuis et Nicole Bricq, il n'y a pas d'interrogation sur cet objectif. L'interrogation porte sur les conditions dans lesquelles nous sommes appelés à contribuer à la mise en place de cette solution, qui s'appuie, d'une part, sur la création d'un véhicule nouveau avec la Banque postale et, d'autre part, sur la reprise du véhicule de refinancement des prêts, DexMA (Dexia Municipal Agency), qui pose certains problèmes.
Nous avons échangé là-dessus avec Augustin de Romanet dès que l'aggravation de la situation a été connue, le 1er septembre 2011. Dès le 9 septembre, la présidence de la commission de surveillance disposait de documents, qui ont été enrichis le 19 septembre. Dès le 26 septembre, nous avons tenu une réunion du comité d'investissement, suivie de deux autres, pour l'informer des sollicitations dont nous faisions l'objet. Le troisième comité d'investissement, qui s'est tenu samedi 8 octobre en fin de journée, a donné un avis défavorable sur les conditions dans lesquelles nous était proposée la création d'une co-entreprise pour la création d'un nouveau véhicule de prêt et surtout la reprise de DexMA.
Aujourd'hui, la Caisse des dépôts a quatre préoccupations : la valeur d'achat de DexMA ; la consommation de fonds propres qui en découle ; la garantie qui doit nous être accordée sur le portefeuille que nous reprenons et qui doit être discutée dans le cadre du collectif budgétaire qui sera présenté ce lundi 17 octobre à l'Assemblée nationale et mercredi 19 octobre au Sénat ; et enfin le niveau des liquidités qu'il nous faudra mobiliser pour nous substituer aux financements de Dexia. Sur ce dernier point, qui n'est pas le moindre, les liquidités de la Caisse, qui peuvent paraître abondantes, ont été mobilisées pour acheter des émissions et soutenir la liquidité des banques françaises, dans la période de tension actuelle. Ce point devra faire l'objet d'un vote formel de la commission de surveillance, qui autorise le niveau d'endettement de la Caisse.
Quant à la gouvernance, la commission de surveillance, au travers de son comité d'investissement, émet des avis sur les projets d'investissement de la Caisse des Dépôts d'un montant supérieur à 150 millions d'euros ou à vocation stratégique, comme il a été décidé par la loi de modernisation de l'économie, après l'affaire EADS. Cela suppose que nous disposions d'un dossier du directeur général. Celui-ci a souhaité nous informer en amont. Une première proposition a été formulée dans le cadre d'une lettre de cadrage, avant le conseil d'administration de Dexia du 9 octobre et la réunion des premiers ministres belge et français. Notre position a vocation à évoluer, en fonction du vote qui doit intervenir la semaine prochaine à l'Assemblée et des réponses aux questions que je viens d'évoquer.
M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. - DexMA est une centrale de refinancement, qui émet des dettes à long terme pour l'adossement de prêts à long terme. Lorsque, tout début septembre, la banque Dexia a vu sa situation de liquidité se tendre, elle a pensé qu'une solution à ce problème, qui lui permettrait de persévérer dans l'être, serait de vendre cette société de refinancement. En effet, celle-ci consomme beaucoup de liquidités. Afin de pouvoir émettre avec un bon niveau de taux, il faut qu'elle ait dans son bilan des titres de créances correspondant aux financements qu'elle accorde aux collectivités locales mais aussi du collatéral, c'est-à-dire un matelas de liquidités.
La société Dexia, de concert avec les pouvoirs publics, a estimé qu'il fallait que la Caisse des Dépôts envisage la possibilité de racheter DexMA, ce qui permettrait d'accroître les liquidités de Dexia d'un montant de l'ordre de 15 milliards d'euros, mais pèserait sur la liquidité du groupe Caisse des Dépôts. Or, lorsque nous avons examiné les comptes de DexMA, nous avons observé que la valeur « marquée au marché » de ses actifs était négative de plusieurs milliards d'euros. L'acquisition de cette société se solderait donc par le constat dans nos comptes d'une perte à due concurrence. Nous avons également constaté qu'une partie des prêts consentis par Dexia et incorporée au portefeuille de DexMA était susceptible de contentieux et que la certitude qu'ils soient remboursés n'était pas acquise.
Aussi avons-nous indiqué à l'Etat que nous souhaitions obtenir une garantie de sa part, afin d'être conformes au mandat de respect du patrimoine de la Caisse des Dépôts fixé par la loi. Ces discussions ont mis un peu de temps à se dénouer, mais finalement il a été acquis que l'Etat donnerait sa garantie par le biais d'une loi de finances et que la Caisse des Dépôts serait couverte par cette garantie.
Le projet est double : d'une part, nous nous efforçons de racheter la société DexMA à un prix raisonnable ; d'autre part, nous relevons le défi de garder cette société vivante, éventuellement en changeant son nom, pour en faire le nouveau véhicule de refinancement de la nouvelle société d'origination que nous allons créer avec la Banque postale. Notre dispositif comporte deux volets : le front office commercial, assurant le contact avec les élus, qui sera une co-entreprise qui reprendra une partie des collaborateurs de Dexia Crédit local (DCL) et qui sera possédée à 65 % par la Banque postale et à 35 % par la Caisse des Dépôts ; une autre société, avec un nouveau nom, héritière de DexMA, qui sera détenue à 65 % par la Caisse des Dépôts, à 5 % par le groupe la Poste et à 30 % par Dexia. Notre défi sera de trouver de bons dirigeants et d'inspirer confiance aux marchés, afin que cette nouvelle société puisse émettre des titres avec un spread réduit.
Quel est le coût pour la Caisse des Dépôts de la reprise de DexMA ? Il résultera du prix d'achat - quelques centaines de millions d'euros - et de la consommation de fonds propres, de l'ordre d'un milliard d'euros, sur les 20 milliards d'euros dont dispose la section générale de la Caisse des dépôts.
Si la garantie de l'Etat est correctement écrite - nous y veillerons - cela ne devrait rien nous coûter d'autre qu'une charge annuelle de 70 millions d'euros pendant une dizaine d'années, compensée par le fait que nous achetons cette société en-dessous de ses fonds propres - qui s'élèvent à un milliard d'euros. Si nous l'achetons 250 millions d'euros, nous aurions un coussin de 750 millions d'euros, soit 70 millions sur dix ans.
S'agit-il pour la Caisse des Dépôts d'une participation à long terme ? Oui, d'autant plus que nous avons l'espoir que DexMA redevienne une centrale de refinancement pour l'avenir. Si cela n'était pas le cas, ce serait une société de défaisance, mais nous ne souhaitons pas que survienne un tel contexte.
DexMA gère-t-elle uniquement des prêts aux collectivités locales françaises ? Non. Le bilan comporte des titres belges, pour 9,5 %, italiens, pour 10 %, et suisses, pour 5,4 %. Les 75 % restants sont français. Les conséquences pour les collectivités locales emprunteuses seront nulles.
Le coût pour la Caisse des Dépôts de la co-entreprise avec la Banque postale sera très faible. Ce sera une société de moyens dont nous espérons que les frais de fonctionnement seront modestes. Les principaux frais seront constitués du versement à DexMA de la rémunération due à ses prêts, puisque la Banque postale ne souhaite pas utiliser les dépôts des particuliers pour consentir des prêts aux collectivités locales.
Quels risques emporte cette participation sur le financement et le modèle économique de la Caisse des dépôts ? Tout le travail des équipes de la Caisse, qui se sont dévouées depuis un mois nuit et jour, vise à ce qu'ils soient réduits au strict minimum. Nous signerons l'achat de DexMA le jour où nous aurons la conviction que ces risques sont maîtrisables.
Allons-nous financer des collectivités étrangères ? Non.
Comment cette nouvelle activité s'articulera-t-elle avec la future agence de financement des collectivités territoriales ? Spontanément, nous serions tentés de penser que nous allons offrir les meilleurs produits avec les prêts les plus simples. Mais si de grandes collectivités, comme la région Ile-de-France, estiment pouvoir trouver moins cher avec une agence, comme il en existe aux Pays-Bas ou dans les pays scandinaves, nous n'avons aucune raison d'avoir une crise d'ego ou de ne pas laisser des concurrents naître. S'ils arrivent à lever des fonds sur leur nom à l'étranger, ils seront très utiles à l'économie française. Nous ne serons pas trop de deux pour convaincre les épargnants du monde entier que le risque des collectivités locales françaises est bon.
Comment dégager 3 milliards d'euros pour financer les collectivités locales françaises, comme l'a annoncé le Premier ministre la semaine dernière ? Nous les prélèverons sur la section du Fonds d'épargne, dont le bilan s'élève à 230 milliards d'euros, dont 115 milliards pour le logement social, et une dizaine de milliards pour les infrastructures, le plan hôpital 2012, les universités et le plan collectivités locales de 2008. Le reste est constitué, à hauteur de 10 milliards, d'actions, et de 95 milliards environ de titres de taux, notamment d'obligations d'Etat, principalement françaises. Le Fonds d'épargne n'a aucun problème de liquidité, puisque la collecte du Livret A et du LDD a augmenté cette année (à fin août) de 16 milliards d'euros, dont 65 %, soit environ 10 milliards, revenant à la Caisse, sur lesquels il ne sera pas difficile de prélever 3 milliards d'euros pendant les deux derniers mois de cette année.
L'achat de DexMA ne devra pas se traduire par la moindre incidence sur nos comptes en 2011. Je m'y emploie en demandant les garanties ad hoc. En revanche, la vente par Dexia de ses actifs entraînera des moins-values, qui auront un impact sur les comptes de la Caisse des Dépôts. Il y a un mois et demi, j'avais le sentiment que nos comptes seraient très positifs. Il se peut, en raison du cas extrême auquel nous sommes confrontés, qu'ils ne le soient qu'à peine.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Merci pour l'historique, qui complète l'audition que nous avons faite hier des responsables de l'Agence des participations de l'Etat, qui nous ont donné moult détails, précis et clairs.
Je m'interroge effectivement sur l'impact sur les comptes de la CDC de sa participation dans Dexia.
Sur le sauvetage de DexMA, depuis hier, j'ai reçu le projet de loi de finances que nous examinerons en commission le mardi 18 octobre et en séance publique le mercredi 19 octobre.
Je tiens à interroger le président de la commission de surveillance sur les risques qui pèsent, bien évidemment, sur le modèle économique de la Caisse - qui a forcément évolué depuis la crise de 2008 - mais aussi sur son modèle prudentiel, en relation avec l'Autorité de contrôle prudentiel.
Pour l'avenir, se pose la question de la participation de la Caisse, à long terme, au financement des collectivités locales. Deux entités vont coexister. DexMA fera-t-elle l'objet d'une gestion extinctive, ou gèrera-t-elle les prêts accordés par la nouvelle structure commune entre la Caisse et la Banque postale ? Il importe de comprendre les conséquences de cet adossement pour les collectivités locales. Faudra-t-il demander à chaque collectivité de donner son accord ? La nouvelle entité de distribution des prêts sera donc détenue, si j'ai bien compris, à 65 % par la Poste et 35 % par la Caisse.
Après l'annonce faite par le président de l'Association des maires de France, Jacques Pélissard, de la future Agence de financement des collectivités territoriales, tout va très vite. Le Premier ministre a demandé, comme en 2008, à la Caisse d'ouvrir des prêts aux collectivités locales qui ont de plus en plus de mal à se refinancer. Il y a une certaine confusion, j'appellerais cela un prêt-relais, il faut que les élus le sachent.
Vous n'avez pas besoin d'autorisation pour augmenter le Fonds d'épargne, mais l'ensemble de ces opérations ne va-t-il pas conduire la Caisse à dégager un excédent moins important, je pense à la fraction du résultat que la Caisse verse à l'Etat et qui est assez intéressante pour ses finances ?
Dans le projet de loi de finances rectificative, la garantie de l'Etat - qui concerne la France, le Luxembourg et la Belgique - est portée à hauteur de 36,5 % des montants exigibles, sur un total de 90 milliards d'euros, soit 32,85 milliards d'euros pour la France. Par ailleurs, une autre garantie porte sur 10 milliards d'euros qui comprendrait les « toxiques ». Il y a aussi une interrogation sur les dettes « souveraines » de la Grèce, de l'Islande...
M. Michel Bouvard. - ... Elles sont sorties. Restent l'Italie, l'Espagne, la Belgique.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Pour l'instant, personne n'en parle, mais si tel était le cas, il ne s'agirait pas de quelques centaines de millions ! L'avez-vous envisagé ?
Hier, l'Agence des participations de l'Etat ne nous a pas éclairés sur la franchise de 500 millions d'euros sur les dix milliards d'euros. Comment expliquez-vous cette franchise ?
M. Michel Bouvard. - Le directeur général et la commission de surveillance doivent veiller à ce que la Caisse des Dépôts travaille en investisseur avisé. Le directeur général a un mandat fiduciaire et nous avons un mandat de protection de la Caisse des Dépôts. Nous devons veiller à ce que les investissements n'entraînent pas de pertes sèches pour la Caisse.
Cela dit, fait également partie des missions de la Caisse des Dépôts le financement des missions d'intérêt général, et le financement des collectivités territoriales en relève pleinement. D'où la nouvelle sollicitation que nous avons reçue, après celle qui nous avait été adressée lors de la crise de 2008.
La section générale avait été relativement peu sollicitée en 2008. C'est surtout le Fonds d'épargne qui a participé aux opérations de redéploiement vers les prêts aux collectivités locales, le financement d'Oseo et l'abondement du financement du logement social.
En revanche, la section générale a été concernée par les 2 milliards d'euros de recapitalisation de Dexia et par la création du Fonds stratégique d'investissement qui a nécessité l'apport de 3 milliards d'euros de fonds propres. La Caisse des Dépôts menait déjà auparavant des activités de haut de bilan. L'apport de 1,5 milliard d'euros au capital de la Poste a été plutôt un bon investissement, puisque la rentabilité moyenne du capital investi est dans la moyenne des capitaux du groupe.
Aujourd'hui, nous devons veiller à ce que l'opération envisagée ne consomme pas la totalité de nos marges de manoeuvre. Je sais, madame Bricq, que vous y êtes attentive. Il faut que la Caisse des Dépôts garde des marges de manoeuvre ! Elle le doit à ses filiales, qui lui apportent les deux tiers de ses résultats, y compris pour leurs fonds propres, si elle devait un jour ou l'autre accompagner telle ou telle de ses filiales. Nous avons besoin de moyens de liquidité.
Le directeur général l'a dit et c'est important : il ne faut pas qu'à l'occasion de l'opération DexMA, la consommation de nos fonds propres nous prive de toute opération future, voire, dans le pire des scénarios, nous oblige à la réalisation d'actifs. Nous allons mobiliser durablement 10,5 à 12,5 milliards d'euros de liquidités dans cette affaire. Nous souhaitons toutefois répartir progressivement les liquidités entre le groupe Caisse des dépôts et la Banque postale, qui sera intéressée à la distribution des prêts aux collectivités territoriales.
Nous devons aussi être attentifs à l'image de la Caisse des dépôts. Il est hors de question de répondre nous-mêmes de la renégociation structurelle des prêts consentis, notamment des prêts les plus « scorés » dans le régime Gissler. Cette affaire continuera à être traitée par DCL, avec des mécanismes de garantie sur lesquels Augustin de Romanet reviendra.
En ce qui concerne la garantie des fonds propres, nous travaillons avec le Gouvernement. Cela dépendra des améliorations que nous pourrons apporter lors du collectif. Le Parlement doit être très vigilant sur la garantie apportée à la Caisse des Dépôts. Il faut faire en sorte que la garantie qui sera apportée puisse jouer pleinement. La négociation du gouvernement français avec la Belgique et le Luxembourg a abouti à une répartition satisfaisante, compte tenu de la reprise par les Belges de la Dexia Banque Belgique (DBB).
M. Augustin de Romanet. - Si je fais l'hypothèse que la valeur de la situation nette du groupe passe de 3,56 euros par action au 30 juin 2011 à 2 euros par action, l'impact négatif sur les comptes 2011 sera de 400 millions d'euros.
M. Jean Arthuis. - A combien s'élève l'investissement aujourd'hui ?
M. Augustin de Romanet. - A un peu plus d'un milliard d'euros.
M. Jean Arthuis. - Globalement, combien la Caisse a-t-elle décaissé pour détenir sa participation dans Dexia ?
M. Augustin de Romanet. - 2,5 milliards de francs à la fin des années 1990, 2 milliards d'euros en 2008, tout cela a fondu à un peu plus d'un milliard d'euros aujourd'hui. Nous étions à 2,9 milliards d'euros début 2008, nous en sommes à 1,1 milliard d'euros aujourd'hui.
M. Michel Bouvard. - La participation du groupe dans Dexia s'élève à environ 20 % du capital réparti en trois blocs : la section générale pour 13 %, le Fonds d'épargne pour 4 % et CNP Assurance pour 3 %.
M. Augustin de Romanet. - Normalement, quand BNP rachète Paribas, les clients de la BNP n'ont pas à donner d'autorisation. Nous n'allons pas plus solliciter l'accord des collectivités locales.
Sur la coexistence avec l'agence de financement des collectivités territoriales, je vous ai répondu, mais j'ajoute un bémol : il faudrait éviter que cette agence ne fasse une concurrence telle à la nouvelle structure que celle-ci ne puisse plus émettre. Ma préoccupation est que ce nouveau véhicule puisse émettre comme avant. Je n'ai pas d'inquiétude aujourd'hui, il faudra voir dans six mois.
L'impact sur le dividende sera à due proportion du résultat. Nous versons 50 % de nos résultats à l'Etat. L'impact sera donc de l'ordre de 200 millions d'euros.
Sur la situation des « souverains » dans le dispositif de garantie, que nous allons négocier avec Dexia SA et qui sera contre-garanti par l'Etat, nous avons la promesse, mais nous vérifierons que ce sera bien explicite dans le collectif que vous allez voter, que chaque année nous ne pourrons pas perdre plus de dix points de base du portefeuille que nous reprenons. Normalement, dans un portefeuille de prêts aux collectivités locales, le risque est d'un point de base par an. Nous faisons l'hypothèse d'une perte égale à dix points de base. Dexia SA nous garantira toute somme au-delà de cette partie, évaluée à 70 millions d'euros par an, avec la contre-garantie de l'Etat. Cette garantie porte sur les performances du portefeuille, et non seulement sur le défaut.
La franchise de 500 millions d'euros évoquée est destinée à responsabiliser Dexia, pour éviter que, dès la première renégociation, les responsables soient tentés d'être trop laxistes. Nous avons une double contrainte, comme dans toute défaisance : il faut réaliser la renégociation ou la transaction le plus vite possible, tout en évitant de tout abandonner à vil prix.
Le prix d'achat que je ne souhaiterais pas dépasser s'élève à 250 millions d'euros pour un milliard d'euros de fonds propres, soit une différence de 750 millions d'euros, qui correspond aux 70 millions d'euros dont je vous ai parlé pendant dix ans. Cela s'équilibre.
M. Jean Arthuis. - Hier soir, lors de la communication du commissaire Comolli, j'ai compris que les créances sur les Etats souverains étaient reprises par DBB et que cela justifiait le constat d'une moins-value chez Dexia. Mais j'ai cru comprendre en vous écoutant qu'une partie de ces créances souveraines resterait dans DexMA...
M. Augustin de Romanet. - Oui.
M. Jean Arthuis. - Je comprends que les pertes soient limitées à 70 millions d'euros, mais les autres pertes vont altérer la valeur de Dexia et donc la valeur des participations de la Caisse nationale de prévoyance. Je doute, par conséquent, qu'il reste grand-chose de la valeur de Dexia.
Le risque encouru sur Dexia tient aux difficultés de refinancement. Aujourd'hui, elle n'a pas les fonds correspondant aux prêts qui ont été consentis. Il faut financer à moyen et court terme des prêts à moyen et long terme. Il vous faut donc donner des gages pour faire coïncider la durée des financements avec celle des prêts. Il y a un risque non négligeable que, du jour au lendemain, vous deviez faire face à une hausse des taux.
Enfin, le groupe Dexia comprend de très nombreux collaborateurs. Vous envisagez un certain nombre de licenciements. Cela a-t-il été chiffré, prévu, en avez-vous tenu compte et qui va les prendre en charge ?
M. Joël Bourdin. - Je me préoccupe de la structure du bilan de DexMA. Il y a des actifs, des engagements, mais vous avez dit que les capitaux propres ne sont pas très épais. Je crains que ceci n'aspire les moyens financiers de la nouvelle structure que vous allez créer avec la Banque postale et que le système de perfusion soit plus sollicité que prévu. La Caisse des dépôts dispose d'experts dans ce domaine. Pouvez-vous nous donner la mesure des risques que continue à présenter DexMA à cet égard ? Pourquoi vous êtes-vous associé seulement avec la Banque postale ?
M. Éric Doligé. - M. Bouvard nous a dit que tous les malheurs de Dexia sont dus à la malchance, aux circonstances, mais je m'interroge sur la gouvernance. M. de Romanet nous a expliqué qu'il allait recruter de « bons dirigeants ». Qui étaient les mauvais ? Y aura-t-il des sanctions ? Je me souviens des interventions de Pierre Richard, très désagréables, déclarant combien les collectivités locales étaient mal gérées. Quant aux 200 millions d'euros de pertes pour l'Etat, vont-ils s'ajouter aux 200 millions d'euros que Mme Pécresse va demander aux collectivités ? Sur les 500 millions d'euros de franchise, s'agit-il vraiment de responsabiliser Dexia ou sont-ce les collectivités qui vont avoir des problèmes ?
M. Michel Bouvard. - J'ai juste dit que la société était bien gérée « depuis 2008 », je n'exonère rien avant cette date.
M. Eric Bocquet. - On parle beaucoup de l'avenir, mais il faut savoir tirer les leçons du passé. Avez-vous bien tiré les leçons de l'opération de 2008 ? On constate aujourd'hui qu'elle a été un échec. On envisage une nouvelle organisation. On évoque une mauvaise organisation, des effectifs trop lourds, la crise des subprimes, etc., mais hier, dans les Echos, les dirigeants disaient avoir été peut-être trop obéissants par rapport aux demandes qui leur ont été faites de soutenir coûte que coûte les dettes souveraines des pays en difficulté aujourd'hui. Avez-vous bien analysé la gouvernance mise en place en 2008 ? « Trouver de bons dirigeants », qu'est-ce que cela signifie pour les anciens dirigeants ?
Y a-t-il lieu de revoir de fond en comble le modèle économique de cette banque, avec une nouvelle feuille de route, centrée sur ses missions fondamentales ? Nous n'avons pas évoqué les dérives spéculatives lourdes qui risquent d'être supportées par les contribuables. En a-t-on tiré le bilan, quelles garanties a-t-on qu'elles ne se reproduisent plus ? Vous dites que l'enjeu est de regagner la confiance des marchés, il faudra aussi, à mon sens, regagner la confiance des élus, qui souffrent de la RGPP, de la suppression de la taxe professionnelle, du gel des dotations, etc.
Il faut réorienter cette banque vers les projets des collectivités, l'économie réelle, mettre en place de nouveaux critères de développement, un nouveau pilotage, qui associe les élus locaux, les parlementaires, les associations d'élus, en évitant de faire appel aux collectivités seulement pour éteindre le feu, comme aujourd'hui. J'attends des garanties écrites, fermes, contractuelles, pour qu'on ne retrouve pas les mêmes dérives d'ici six mois à un an. Ce nouvel outil doit être indépendant des marchés financiers et des agences de notation.
M. Serge Dassault. - Quel est le montant de la garantie de l'Etat évoquée par M. de Romanet ?
M. Claude Belot. - Je tiens à saluer l'équipe de la Caisse des dépôts qui est capable de traiter la situation que nous connaissons, en urgence. Je me souviens qu'il y a vingt ans, ici même, on débattait de l'utilité de la Caisse...
Il y a le feu pour les marchés financiers, mais aussi pour les collectivités locales françaises. Mon département, la Charente-Maritime, n'a pu réaliser, du fait des atermoiements de Dexia, plus de 40 % des emprunts programmés. Il ne peut plus lancer un quelconque ordre de service pour terminer des travaux routiers pour l'exercice 2011.
Dans ma commune, qui n'est pas endettée, nous sommes confrontés à une situation surprenante. L'Etat veut construire une belle agence de Pôle emploi, je le comprends, mais comme il n'a pas un sou, il demande à la commune de le faire et propose de payer un loyer en échange. La Caisse d'épargne n'a pas de ligne, le Crédit mutuel non plus, Dexia n'en parlons pas ! Nous n'avons reçu qu'une seule réponse, celle du Crédit agricole, qui nous propose 1 million d'euros sur vingt ans à un taux de 5,38 % ! Il faut en sortir rapidement, sinon les conséquences sur l'économie seront considérables !
Les collectivités représentent 75 % de l'investissement public, il faut donc aller vite. Ce que nous vous demandons, au fond, c'est de faire le métier de l'ancien Crédit local de France ! La France a un taux d'épargne de 17 %, c'est considérable, et les sommes correspondantes n'attendent que de se recycler ! Les solutions existent, elles sont à mettre en oeuvre très rapidement.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - M. Bouvard, exprimant les quatre préoccupations de la Caisse, dont la garantie sur le portefeuille repris, m'a rassurée, car je m'interrogeais sur le périmètre. Notre interlocuteur nous indique que les prêts toxiques ne seront pas repris par la CDC : je m'en réjouis.
De nombreuses collectivités, a-t-on lu dans la presse - chiffres à l'appui, prétendument donnés par Dexia... - portent des prêts toxiques, ou des prêts qui ne sont pas comptabilisés comme tels. Je suis donc rassurée par les propos de M. Bouvard.
M. Richard Yung. - Vous reprenez pour 250 millions d'euros des actifs qui étaient estimés à 1 milliard. Ne courez-vous pas le risque qu'un actionnaire minoritaire refuse le prix de 250 millions et le conteste devant les tribunaux ?
M. Francis Delattre. - Le prix de la banque de dépôts belge, 4 milliards d'euros, ne me semble pas très élevé. Les 500 millions d'euros de franchise seront-ils assumés par la banque de dépôts ou par un autre véhicule ? Je croyais que les prêts toxiques étaient repris également : sur 10 milliards d'euros de produits structurés, 4,5 sont en difficulté. Pouvez-vous nous donner des précisions ?
M. Yann Gaillard. - Pourquoi avoir associé la Banque postale à cette affaire ? Qu'apporte sa participation ?
M. François Fortassin. - Que représentent ces 500 millions d'euros de « responsabilisation » ?
M. Augustin de Romanet. - Le « souverain », autrement dit la dette des Etats souverains, se situe dans le portefeuille « legacy » de DCL et bénéficie de la garantie des Etats. Une fraction des souverains est cependant comprise dans les 20 milliards d'euros de titres repris par DBB. Voilà pourquoi 4 milliards d'euros est un prix équitable ! DexMA comprend des titres de collectivités locales étrangères, mais ce sont des prêts à l'actif et non des postes du passif. DexMA détient aussi quelques titres islandais et grecs, mais qui sont extournés.
Dans le financement de DexMA existe un petit écart de duration d'un peu plus d'un an entre la durée des prêts et celle des emprunts. L'écart de liquidité est donc réduit. Enfin, à ceux qui craignent un siphonage de la Caisse des Dépôts et de la Banque postale par DexMA, je précise que la co-entreprise ne paiera à DexMA que le coût du refinancement ainsi que des frais de gestion ; il n'y a pas de risque pour la Banque postale, c'est la Caisse des Dépôts qui assume le risque principal dans cette affaire. Pourquoi la Banque postale intervient-elle ? Parce qu'il n'y avait aucune autre banque candidate !
J'ai parlé de « bons dirigeants » : c'est que le principal actif de DexMA sera la confiance qu'elle inspirera aux souscripteurs. Je n'émets pas de jugement sur ce qui s'est passé depuis 2008, car ce serait un anachronisme de croire que l'on pouvait faire autrement. Mais avant 2008, on a sous-estimé les risques. Je m'étais vivement opposé à Axel Miller lors d'un conseil d'administration en juillet 2008, mais je venais d'arriver et les mauvaises décisions avaient déjà été prises.
Eric Bocquet n'aura pas de raison d'être déçu, car la nouvelle co-entreprise ne distribuera que des prêts « vanille », simples et compréhensibles. En outre, le directeur de la CDC et le président de sa commission de surveillance doivent chaque année expliquer au Parlement ce que fait le groupe : aucun prêt ne sera consenti sans que M. Bouvard et moi sachions de quoi il s'agit. C'est une garantie qui en vaut bien une autre !
L'Etat ne donne pas sa garantie pour un montant prédéterminé. Dexia SA nous donne deux garanties : nous ne perdrons pas un euro sur les produits toxiques, de type « Gissler » E3, E4, E5 ou hors Gissler ; à quoi s'ajoute le « stop-loss » sur la performance de tout le portefeuille. Combien l'Etat devra-t-il verser si Dexia n'est pas capable de nous rembourser les pertes ? Je ne le sais pas. Pour la renégociation des prêts, je vous laisse juges du montant de perte que nous devrons consentir. Les fonds propres de Dexia SA, normalement, couvriront les pertes : ainsi la recapitalisation de Dexia en 2008, dont certains ont déploré qu'elle n'ait « servi à rien », aura tout de même injecté des sommes que les Etats n'auront pas à décaisser. Les 2 milliards d'euros que le groupe Caisse des Dépôts a mis en 2008 sont toujours dans les caisses de Dexia !
M. Jean Arthuis. - La garantie est-elle limitée dans le temps ?
M. Augustin de Romanet. - Nous nous assurerons qu'elle court jusqu'en 2030.
Est-on sûr du prix ? C'est effectivement la question juridique cruciale, celle qui nous a le plus taraudés, dans les 48 heures qui ont précédé le conseil d'administration. Par prudence, nous avons fait en sorte que les délibérations traduisent bien une unanimité des administrateurs pour considérer qu'il était de l'intérêt social de Dexia de nous vendre DexMA à un prix inférieur au montant des fonds propres. Si, néanmoins, un actionnaire minoritaire formait une action en justice, notre dossier serait inattaquable. Quant aux 4 milliards d'euros proposé pour DBB, c'est un bon prix et les actionnaires de Dexia SA seront intéressés si la banque est revendue plus cher dans les cinq ans. Il y a des prêts toxiques dans DexMA mais je vous ai décrit la garantie associée.
Pourquoi la Banque postale ? C'est un établissement de crédit, alors que la Caisse des Dépôts est un établissement sui generis et n'est pas une banque. Notre partenaire est une banque, présente dans les territoires.
Les 500 millions d'euros serviront à responsabiliser le système en général, car on n'améliore que ce que l'on mesure. Si au premier euro, tout ce qui est renégocié en défaveur de la banque est payé par quelqu'un d'autre, la solution n'est pas satisfaisante !
M. Michel Bouvard. - Le stock de prêts aux collectivités locales détenu par Dexia représente 35 % du total des prêts. La production de prêts par Dexia en 2010 s'est montée à 10 % du total. Au maximum, Dexia a produit 40 % des prêts aux collectivités. Nous avons besoin d'un véhicule spécifique pour ces financements, car les banques ne sont pas en mesure de consentir des prêts à très long terme ; mais nous souhaitons revenir à des pratiques plus orthodoxes, car, en 2009, lorsque nous nous sommes penchés sur les pratiques de Dexia, nous avons vu des choses invraisemblables. Il est vrai que la dérive était alors générale, certains ont distribué des snowballs et ont fait bien pire que Dexia !
Dans le giron de la Caisse des Dépôts, et avec la Banque postale, la politique de prêts sera menée dans la transparence, avec, bien sûr, un objectif de rentabilité pour rémunérer l'épargne des Français, mais à un niveau raisonnable et compatible avec les réalités financières locales. Bref, c'est un retour au métier de l'ancienne CAECL... Il s'agira d'une SA, avec un conseil d'administration, qui ne comprendra donc pas de parlementaires. Mais comme toutes les entités adossées à la Caisse des Dépôts, la nouvelle co-entreprise aura des comptes à rendre devant la commission de surveillance de la Caisse. M. Arthuis, Mme Bricq et moi-même serons vigilants !
Le document évoqué par Mme Des Esgaulx, qui a été repris dans la presse, est ancien, date de 2009, et il comporte des inexactitudes. Aujourd'hui nous ne connaissons certes pas tout ce que nous reprenons, mais ce qui est « scoré » hors Gissler fait l'objet d'une garantie de perte maximum pour couvrir la renégociation ; et le gros du stock est constitué par des prêts « vanille », qui ne comportent pas de risques majeurs.
Situation des banques françaises et financement de l'économie - Audition de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France
La commission procède ensuite à l'audition de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France.
M. François Marc, président. - Monsieur le Gouverneur, votre audition était prévue avant l'accélération de l'affaire dont nous venons de parler. Le tableau général de la situation des banques montre une aggravation depuis quelques mois. Nous voulons vous écouter sur le sujet de la recapitalisation des banques, mais aussi sur Dexia.
M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France. - Nous vivons un moment délicat, crucial. Les banques françaises, je le répète même si certains me jugent autiste ou aveugle, sont saines, normalement capitalisées, elles n'ont pas un besoin urgent de recapitalisation. Leur ratio de fonds propres est de 11%. Elles disposent de 160 milliards d'euros de fonds propres très durs (core tier 1). Depuis 2009, elles ont augmenté leurs fonds propres durs de 50 milliards d'euros, par mise en réserve de bénéfices et par des augmentations de capital. Elles ne comprennent pas d'actifs toxiques cachés sous le tapis. La diversité de leurs activités explique leur résistance à la crise. Cela ne signifie pas qu'elles ne doivent pas accroître leurs fonds propres, afin d'être en mesure de résister à des évènements extraordinaires et conserver la confiance des déposants, des épargnants, des investisseurs... Mais elles ont tiré les leçons de 2008 et présentent une capacité de résistance plus grande. En raison des turbulences et des tensions actuelles, j'ai toutefois demandé une accélération de la mise en oeuvre de Bâle III, afin d'atteindre les 9 % en 2013 et non en 2018.
Pourquoi décider une recapitalisation au niveau européen ? Les banques européennes ont une exposition évidente au risque souverain, et le monde a changé : auparavant, tout le monde considérait la dette des Etats comme la plus sûre. Depuis l'été, le doute s'est installé, bien au-delà du seul cas de la Grèce. Or, si les Etats sont soupçonnables, c'est toute la finance qui est à repenser. Peut-on reprocher aux banques d'avoir acheté des actifs de la zone dans laquelle elles opèrent ? Non ! La solution réside dans une recrédibilisation des Etats souverains, dont les finances publiques ont été détériorées dès le début de la crise. Des mesures fortes de redressement ont déjà été prises en Espagne, en Italie, en France. Mais il faut tenir compte de la pression du marché ; c'est pour cela que j'ai voulu une accélération de la marche vers Bâle III. Je crois que l'Agence bancaire européenne réfléchit également en ce sens - elle doit faire des propositions à la Commission européenne et au Conseil Ecofin. Je souhaite qu'en France les banques n'aient pas besoin de solliciter les finances publiques, grâce à la mise en réserve de leurs bénéfices et à l'appel à l'épargne publique lorsque le calme sera revenu. Il faut aussi une politique de rémunération plus raisonnable.
M. Jean Arthuis. - Il faut en effet une politique salariale plus stricte.
M. Christian Noyer. - Une précision : lorsque je parle des banques françaises, je n'inclus pas Dexia : car depuis la fusion des entités française et belge, le superviseur principal se trouve à Bruxelles. Nous n'exerçons de contrôle que sur la filiale française, pour le compte de notre homologue belge. Nous n'avons suivi ni le portefeuille obligataire de Dexia, ni ses activités américaines. Ce cas n'est pas assimilable à celui des banques françaises.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Vous n'avez pas changé d'un iota, votre discours demeure identique : « il n'y a pas d'urgence à recapitaliser nos banques ». Et ce, même après la polémique déclenchée par Mme la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) qui a dit très tôt que « les banques européennes ont besoin d'être recapitalisées ». On le refusait en France mais après le sommet franco-allemand, on a décidé qu'il fallait recapitaliser. Pourquoi y a-t-il le feu sur les négociations - ce qui alimente la crise de confiance - si les banques françaises n'ont pas besoin de recapitalisation ?
Vous conservez la même position qu'en 2008 : les banques françaises bénéficient d'un plan d'aide mais elles auraient pu s'en passer. Je suis sceptique. Pourquoi, si tout va bien, un tel grippage du marché interbancaire ? La Fédération bancaire française explique que le problème concerne seulement la dette souveraine, mais j'ai du mal à comprendre pourquoi, alors, les banques préfèrent se refinancer à la BCE plutôt que de se prêter entre elles. On observe des dysfonctionnements identiques à ceux de 2008. Quoi qu'il en soit, si l'on recapitalise les banques françaises, à combien se montera l'opération ?
En outre, au cours de nos nombreux débats sur le sujet ici, en commission, je n'ai jamais pu savoir quel rôle assumaient exactement les banques dans le soutien à l'économie réelle. Vous avez demandé aux établissements français de renforcer le plus rapidement possible leurs fonds propres : Bâle III fonctionne donc comme un accélérateur de crise ! L'Amérique, elle, n'applique pas encore Bâle II... La BCE est aujourd'hui à la limite de ce qu'elle peut faire pour l'Espagne et l'Italie. Il a été souvent question, au sein de notre commission, d'un dispositif branché directement sur la banque européenne, afin que tous les Etats conservent leur note AAA. Le fonds de solidarité européenne pour les finances aurait un statut d'établissement de crédit et se refinancerait auprès de la BCE. Celle-ci ne serait plus en première ligne pour acheter des titres souverains. Qu'en pensez-vous ?
M. Christian Noyer. - J'estime qu'il n'est pas besoin, fondamentalement, de recapitalisation. Mais si l'on veut accélérer le renforcement des fonds propres, si les gouvernements veulent que les banques augmentent leur capital, pourquoi pas ? Il s'agit de renforcer le coussin de sécurité, la capacité à réagir aux évènements. Il faut privilégier le recours à la mise en réserve des bénéfices et au marché si les conditions le permettent. Il est aussi utile qu'en cas de besoin, à titre temporaire, l'Etat dispose d'une capacité d'intervention, d'un back-up. En France, le dispositif de 2008 peut toujours être utilisé. L'orientation sera décidée au niveau européen, il faudra bien la suivre.
Sur quel montant faut-il raisonner ? Si la décision se fixe autour d'un taux de 9 %, dans le cadre du système actuel, avec un coussin additionnel pour tenir compte des valeurs de marché des titres souverains, l'ordre de grandeur serait gérable pour les banques. Si l'exigence est posée à un horizon de six à neuf mois, les établissements peuvent y arriver par le recours au marché, même si la politique de mise en réserve des bénéfices peut entraîner des restrictions sur la distribution de dividendes. Mais s'il faut le faire du jour au lendemain, les établissements ne trouveront pas les fonds seuls. Cependant, je rappelle qu'après 2008, les banques ont remboursé l'Etat et que l'opération a pour lui été confortable. Le AAA français n'a pas été affecté, il vient d'être confirmé par trois agences de notation, avec une perspective stable. Je n'ai donc pas d'inquiétude quel que soit le scénario. J'ai voulu donner du temps aux banques pour atteindre l'objectif sans avoir à recourir à des opérations coup de poing.
L'accélération du processus comporte-t-elle un risque pour l'économie réelle ? C'est un souci. Le comité de Bâle a procédé à un arbitrage, les demandes sont assez exigeantes. Mais elles devraient être remplies sur une période suffisamment longue pour ne pas « emboliser » l'activité économique. La Banque des règlements internationaux a calculé l'effet restrictif, qui apparaît faible. Si le fonctionnement des marchés se grippe, pour assurer la croissance il faut réagir vite, au risque d'un léger effet négatif dans l'immédiat.
Au coeur de tout, il y a la confiance dans l'Etat, les finances publiques, le système bancaire. Le vrai risque pour la croissance serait un ralentissement et un report des investissements des entreprises, un tassement des exportations. La croissance a été faible au troisième trimestre, les Etats-Unis connaissent un fort ralentissement et ne parviennent pas à sortir de la crise de l'immobilier, la consommation est inégale, parce que le moral des ménages n'est pas bon : d'où, en France, notre taux considérable d'épargne, qui atteint 17 %. Mais sachez que tout ce qui se dit sur la crise a un impact sur le moral des ménages.
Les dépôts auprès de l'Eurosystème ont augmenté considérablement. Ils émanent des filiales de banques étrangères, hors zone euro, des banques anglo-saxonnes par exemple, plus réticentes que les établissements de la zone euro, mais aussi des banques de groupes industriels, ou des compensateurs, Clearstream ou Clearnet. Cela ne signifie donc pas que les banques françaises ne se prêtent pas entre elles. Le fonctionnement actuel est anormal mais sans conséquence sur le refinancement bancaire : la BCE a ouvert des opérations à taux fixe sans limitation, donc l'argent qui nous est apporté est prêté à nouveau instantanément, chaque banque peut emprunter si elle fournit les garanties nécessaires.
Le taux de distribution de crédit aux entreprises a progressé en un an de 4,5 % - de 4,8 % s'agissant des PME et TPE. Le crédit au logement a crû de 8,4 %, le crédit à la consommation a augmenté moins rapidement. Ces trois derniers mois, nous avons connu un rythme de progression supérieur à celui des autres pays européens. Le fléchissement du crédit à la consommation est à surveiller. Le refinancement en dollar est plus délicat : les fonds américains équivalents de nos SICAV sont depuis longtemps friands de signatures européennes, françaises en particulier, car ils manquaient d'objets d'investissement aux Etats-Unis. Mais les montants à placer ont fondu et les fonds ont commencé à réduire leurs placements sur les titres européens. L'impact n'est pas essentiel pour notre économie, il joue surtout sur la rentabilité des banques. Afin d'éviter un coup d'arrêt brutal, la BCE a étendu ses opérations de swap avec la Fed, ce qui nous permet de prêter en dollars aux banques européennes.
Le financement des collectivités locales est un problème plus délicat, difficile, car les banques mettent en avant les exigences de liquidité de Bâle III. Les banques européennes, françaises en particulier, faisaient trop de transformation, accordant des crédits à très long terme sur des ressources courtes. Aujourd'hui, elles ne savent pas ce qu'elles pourront lever comme ressources longues. Le marché des obligations sécurisées, le marché des foncières, s'est très bien comporté au premier semestre ; après une panne cet été, il semble reprendre doucement.
Parmi les mesures annoncées le 6 octobre par la BCE, nous avons prévu de réintervenir sur ce marché afin que les banques puissent émettre plus largement.
C'est pourquoi un traitement rapide de la situation de Dexia était indispensable. Nous avons besoin de la présence de cet acteur spécialisé, que les autres acteurs ne relaieront pas : les collectivités locales ne déposent pas leurs fonds dans les banques, mais au Trésor. Elles sont donc, en raison de ce système très français, moins attirantes pour le secteur bancaire. Reste que fondamentalement, leurs crédits sont sûrs et peuvent être portés dans des conditions classiques, indexées sur des taux longs : les banques pourraient donc être réintéressées.
Sur la BCE et le Fonds européen de stabilité financière (FESF), notre sentiment est que l'eurosystème n'est fondé à intervenir sur titres publics que s'il considère que les tensions de marché sur ces titres sont un obstacle à sa politique monétaire. Or, les tensions sur les pays périphériques ont eu cette conséquence que les conditions de refinancement ont suivi les taux publics : décider que le taux adéquat était de 1 % n'empêchait pas le taux des crédits d'être totalement déconnecté, jusqu'à 10 %, D'où notre intervention. Pour autant, ce n'est pas notre rôle que de refinancer systématiquement le FESF. S'engager dans cette voie serait extrêmement risqué, car un jour, nous reviendrons à une politique de refinancement normal, correspondant au strict besoin de liquidités du système. Le FESF n'aurait alors droit qu'à une fraction de ce dont il bénéficie aujourd'hui : ce serait une dangereuse épée de Damoclès. Il faut donc compter surtout sur l'effet de levier. On peut, par exemple, imaginer une deuxième tranche de refinancement sans garantie des Etats. Reste que la vraie solution, qui est à l'oeuvre, passe par la recrédibilisation des Etats, pour tranquilliser les marchés et décourager la spéculation.
M. Joël Bourdin. - Je vous suis sur la première partie de votre intervention, relative à la solidité des banques françaises, mais pas sur la question, ensuite, de la recapitalisation. Vous affirmez que les titres représentatifs de la dette souveraine ont une valeur, et qu'il n'est pas question d'y toucher. Je tiens, quant à moi, que ces titres ne valent pas monnaie, et que s'ils ont une valeur nominale, ils ont aussi une valeur réelle inférieure. Voudriez-vous d'une obligation grecque d'une valeur nominale de 100 euros, sachant qu'elle n'est pas négociable à ce prix ? D'où la question de la recapitalisation, en lien avec les ratios prudentiels. On compte actuellement les dettes souveraines dans les actifs : c'est une erreur. Au delà des controverses, il y a là dessus convergence. La femme de César ne doit pas être soupçonnée ? Héla, elle l'est. On sait bien que la valeur réelle de ces titres n'est pas la valeur nominale, et si le ratio des banques est relevé, elles auront besoin de rechercher des capitaux propres.
M. Jean Arthuis. - Sur cette question des fonds propres, j'ai du mal à comprendre les banquiers. Quand une entreprise se tourne vers sa banque, elle se voit souvent opposer l'insuffisance de ses fonds propres. Et les banques s'exonèreraient de cette exigence qui est la leur ? Sans compter les pratiques auxquelles on a assisté, comme celle de BNP Paribas rachetant, il y a peu, 2,5 millions de ses actions, ou celle de la Générale pour un peu moins ... Belle façon d'optimiser le rendement et beau jackpot pour les dirigeants qui détiennent des stock options !
Sur la dette souveraine, j'observe que la crise de 2008 a placé les Etats en situation d'assureur systémique. La banque a considéré que les créances des Etats étaient bonnes, y compris s'agissant de la Grèce, qui a eu recours à d'éminents banquiers, de Goldman Sachs pour ne pas les nommer, pour maquiller ses comptes... Sans problème de dette souveraine, pas de problème de capitaux propres et de recapitalisation... Le vrai problème, c'est que les banques ont été trop généreuses, finançant des déficits publics sans regarder s'ils étaient ou non chroniques, structurels. Cette excessive bienveillance, pour ne pas dire ce laxisme à l'égard des Etats n'est pas pour rien dans la situation que nous connaissons.
Faut-il séparer les banques de dépôt et les banques d'affaires ? J'aimerais surtout savoir si de votre point de vue, on peut veiller à la bonne orientation des fonds dont disposent les banques, pour qu'elles ne se transforment pas en une sorte de casino mais aillent de préférence vers des placements plus classiques, au service de l'économie, des collectivités. Je me demande, de surcroît, si les banquiers ne mènent pas auprès d'elles un lobbying sur les turpitudes de Bâle III, afin qu'elles s'en fassent l'écho au Parlement. Une petite manipulation, en somme...
Mme Marie-France Beaufils. - On entend souvent dire, en effet, que les exigences de Bâle III privent les banques de fonds disponibles pour répondre aux besoins de l'économie. Vous avez rappelé, au sujet des collectivités locales, que leurs fonds sont versés au Trésor : cela ne milite-t-il pas pour un outil public au service de leur financement ? Vous plaidez pour substituer au court terme les ressources du long terme, en matière de prêts aux collectivités. Qu'est-ce que cela signifie ?
Dernière remarque, enfin. On a beaucoup parlé de perte de confiance, avec ses conséquences sur la demande de crédits à la consommation et partant, sur l'activité économique. Mais si perte il y a, c'est aussi de ressources pour les emprunteurs potentiels, sous l'effet des politiques de rigueur.
M. François Patriat. - Je voulais poser, comme Jean Arthuis, la question de la séparation entre banque de dépôts et banque d'affaires. Par ailleurs, que pensez-vous de l'idée de créer une structure de financement propre aux collectivités, défendue par les associations d'élus locaux ? J'y vois personnellement un risque de surcoût.
M. François Marc, président. - Le chiffre de 200 milliards de recapitalisation évoqué cet été par Mme Lagarde avait été jugé farfelu. Aujourd'hui, il paraît crédible, et souhaitable. Quel est votre sentiment sur ce point ?
M. Christian Noyer. - La distinction fondamentale aujourd'hui, monsieur Bourdin, est entre portefeuille de négociation, susceptible d'être vendu à tout moment, et par conséquent calculé en valeur de marché, et investissement de long terme. Que se passe-t-il dans le cas des entreprises ? En cas de doute sur la solvabilité du débiteur, on passe une provision. En ce qui concerne les Etats, cela a été fait pour la Grèce.
Si nous passions tout en valeur de marché, l'exposition aux dettes des pays périphériques - étant entendu que je ne prends pas ici en compte les plus-values latentes, avec les titres allemands, autrichiens, les obligations assimilables du Trésor (OAT) françaises - serait gérable pour les banques comme je l'ai évoqué tout à l'heure. Ce qui me conduit par conséquent à ne pas penser qu'il faut recapitaliser tout de suite.
Je suis tout prêt, comme l'a suggéré Jean Arthuis, à considérer que les investisseurs ont péché par aveuglement sur les dettes souveraines. Il est clair, que dans le futur, les gestionnaires de fonds feront preuve de plus de clairvoyance : les Etats aux finances publiques dégradées ne pourront plus compter sur des taux bas, et leur gestion devra être très rigoureuse.
Je suis également Jean Arthuis sur le raisonnement des banques en matière de capitaux propres. La pratique consistant à racheter ses propres actions pour maintenir son cours de bourse m'a toujours parue baroque. Je l'ai interdite en 2011, alors que les banques doivent s'acheminer vers Bâle III. Je n'ai pas reçu que des applaudissements, mais si nous constatons des dérives, nous prendrons les sanctions qui s'imposent.
M. Jean Arthuis. - Lesquelles ? Dans un monde d'impunité...
M. Christian Noyer. - Le Parlement nous a livré une gamme de sanctions suffisante pour y pourvoir.
Comment mieux orienter les crédits ? Ce fut le grand débat au sein du comité de Bâle. Comment mettre un terme aux opérations « casino » au profit des crédits utiles à l'économie ? Nous avons beaucoup renforcé l'exigence en capital pour les opérations de marché, de titrisation. C'est un premier pas. Il est déjà bon d'avoir multiplié les exigences par quatre ou cinq. Même aux Etats-Unis, les banques ont été conduites à réduire ce type d'opérations. Je suis favorable à pousser plus loin sur la question des ratios. On peut, au titre du pilier II, rajouter encore des exigences pour rendre ces opérations plus coûteuses, moins rentables. Nous le ferons.
Si l'Etat souhaite, madame Beaufils, créer un outil public pour le financement des collectivités, je n'ai pas d'objection à soulever. Ce peut être là un bon instrument, s'il est géré aux conditions légales - autonomie des actionnaires, règles communes en matière de capital et de refinancement. Si l'on relance le nouveau Dexia Crédit Local sous la forme d'une coentreprise entre la Caisse des dépôts et la Banque postale, je suis sûr que l'on peut réanimer le marché du financement des collectivités. A L'Etat de juger si, au-delà, un outil public est nécessaire.
Quant à la nécessité de remplacer les ressources courtes par des ressources longues, j'indique que le ratio vers lequel on s'achemine tient à l'idée que, pour financer des crédits de long terme, il faut soit des dépôts suffisamment stables, soit des ressources à long terme sous forme d'obligations émises par les banques. Il peut être intéressant de prêter à long terme à des clients qui vous apportent des dépôts. Le raisonnement vaut pour les particuliers et les entreprises. Le cas des collectivités est un peu différent : il faut aller chercher des ressources obligataires. Mais en ces temps troublés, les banques n'ont pas pu émettre d'obligations en Europe depuis quelques mois. On peut se demander, dès lors, si elles n'exercent pas une pression lobbyiste sur la question du ratio de Bâle...
Banque de dépôts, banque d'affaires ? Je ne crois pas à cette distinction. Toutes les banques d'investissement financent également le commerce international...
M. Jean Arthuis. - Y compris en provenance de Chine...
M. Christian Noyer. - Y compris les exportations d'Airbus, et assurent ainsi la liquidité des obligations des collectivités et des entreprises. En 2008, deux banques ont été les moteurs de la crise, l'américaine Lehman Brothers, pure banque d'investissement, et la britannique Northern Rock, pure banque de dépôts.
M. Jean Arthuis. - Les choses ne sont pas si simples.
M. Christian Noyer. - Je crois davantage qu'à la séparation, à la nécessité de pourchasser les activités risquées et inutiles. Et la commission Vickers en Angleterre, ainsi qu'il apparaît également dans les conclusions du gouvernement britannique, use de plus de prudence qu'au départ. Même chose aux Etats-Unis.
Sur les 200 milliards récemment évoqués au FMI...
M. François Marc, président. - Entendons-nous bien, il ne s'agit nullement d'opposer les personnes, mais ce chiffre vient d'être repris officiellement par certains...
M. Christian Noyer. - ... l'institution elle-même considère qu'il s'agit seulement d'un chiffrage de risques qui peuvent se traduire en une inquiétude des opérateurs de marché. Il faut un niveau de capital plus important, qui n'est pas chiffré. L'ambiguïté demande à être clarifiée pour le grand public : il ne s'agit nullement d'un montant de recapitalisation estimé nécessaire.
Sur le plan méthodologique, nous avons de nombreux points de désaccord. Le FMI fait comme si l'on n'avait pas déjà constitué de provisions passées sur les expositions bancaires, son calcul n'est par conséquent pas juste. Il estime ensuite un effet de levier comme si les banques européennes avaient le même référentiel comptable que les banques américaines, qui font un netting des opérations dérivées ; selon la Deutsche Bank la taille du bilan, donc le ratio de fonds propres, passe du simple au double en fonction de la méthode. Le FMI, ensuite, ne retient pas le taux des obligations sur le marché, mais le taux des Credit default swaps (CDS) à cinq ans, qui est plus biaisé, opaque, manipulé, non crédible, et qui évolue souvent loin du vrai marché des obligations. Dernière réserve, enfin, le calcul des risques est fait sur les titres décotés, sans prendre en compte la réduction de risque sur les titres en plus-value.
Reste cependant que la directrice générale du FMI a raison quand elle dit qu'il faut travailler au renforcement des banques car il faut trouver le moyen de rassurer les marchés, soit aussi les déposants, les épargnants, pour renouer avec une marche normale du système, clé d'un bon fonctionnement de l'économie.
M. Jean Arthuis. - Si une nouvelle audition pouvait être organisée pour évoquer la place de la banque de l'ombre dans l'économie française et européenne...
M. Christian Noyer. - Je suis à votre disposition.
M. François Marc, président. - Comme l'a rappelé le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), 75 % des transactions financières échappent à tout contrôle : il serait de fait utile de se pencher sur ces zones d'ombre...
Situation des banques françaises et financement de l'économie - Audition de M. Ramon Fernandez, Directeur général du Trésor
Puis, la commission procède à l'audition de M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor.
M. François Marc, président. - Bienvenue à M. Ramon Fernandez, que nous invitons à livrer son analyse d'une situation économique et bancaire où chaque jour apporte son lot de nouvelles fraiches...
M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor. - Nous sommes dans le contrecoup de la crise de 2008-2009 : une deuxième onde de choc frappe tout le secteur bancaire international. Avec une croissance plus faible, les perspectives de résultat s'assombrissent et le doute s'accroît. D'où de fortes turbulences, un retrait partiel de l'accès au dollar du fait de la fermeture des guichets américains, ayant conduit les autorités européennes à mettre en place des solutions de substitution. La difficulté, ensuite, est venue de l'accès à la ressource euro, avec les tensions que l'on sait sur le marché interbancaire - même si la situation n'est pas comparable à 2008 puisque ces tensions sont essentiellement concentrées sur les marchés européens. L'accès à la ressource dollar est rendu nécessaire par le développement d'activités internationales importantes dans des banques qui sont davantage exposées à la crise de la dette souveraine - Grèce, Espagne, Italie - et sont qui plus est présentes, comme banques de détail, dans les Etats soumis à des attaques.
Des plans d'ajustement ont cherché à limiter leurs besoins de financement, avec le retrait de certaines activités de financement, notamment internationales, et une décision de renforcer leurs fonds propres, selon un calendrier accéléré - 2012 ou 2013 au lieu de 2019, comme le prévoyait Bâle III (directive CRD4).
Un débat international a défrayé la chronique avant même les assemblées annuelles de Washington, le FMI ayant affirmé qu'une recapitalisation serait nécessaire. Un communiqué du G20 indique à son tour que les banques doivent être suffisamment capitalisées - signal nécessaire - et les discussions se sont engagées depuis, au sein de l'Ecofin et de l'Autorité bancaire européenne, pour émettre des recommandations.
Les ratios actuels de nos banques, en matière de niveau de capitalisation, sont confortables. Leur notation, à l'aune des comparaisons internationales, est favorable.
Pour garantir l'accès à la liquidité, la BCE a ouvert à un an l'accès à l'euro ; elle l'a fait dès septembre sur le guichet dollar ; elle a, enfin, relancé un programme d'achat des obligations sécurisées. Sur le volet européen, les discussions sont engagées avec nos partenaires, et notamment l'Allemagne. Le conseil européen d'octobre sera l'occasion d'apporter des réponses sur quatre points : quelle réponse cohérente au défi de la Grèce ? Comment mobiliser le Fonds de stabilité ? Comment renforcer la gouvernance de la zone euro ? Quelle recapitalisation pour les banques ? Sur cette dernière question, l'Autorité bancaire européenne a mis ses idées sur la table et M. Barroso vient de livrer ses commentaires il y a quelques minutes.
Le financement de l'économie croît, en France, à un rythme supérieur à celui de la zone euro : plus 6 % en rythme annuel, contre 2,2 % pour la zone, 0,6 % pour l'Allemagne, tandis que l'Espagne est dans le rouge. L'encours de crédit aux entreprises a crû de 4,5 % ; l'encours de trésorerie, qui avait fléchi entre fin 2009 et début 2010, est sur une pente de 6 % ; l'encours de crédit aux ménages progresse, lui, de 7 %.
L'évolution est-elle différente pour les PME et TPE ? Les chiffres ne font pas apparaître de difficulté particulière. Les structures indépendantes progressent de 4,8 % sur un an, soit une pente plus rapide que celle que nous connaissions depuis l'été 2009. Et cela à un niveau de taux très faible (5 % pour les ménages, 3,5 % pour les sociétés non financières, contre, respectivement, 6,3 % et 5,6 % en 2008).
Cela étant, les dernières enquêtes montrent qu'il faut rester vigilants et qu'un durcissement des conditions reste possible : l'offre se tend et la demande peut décroître. L'enquête Oseo, à l'échantillon très fiable, demeure toutefois positive. Reste que l'économie mondiale se trouve dans une phase dangereuse, selon le terme même du FMI, et qu'il convient de rester en alerte.
Les réformes réglementaires apportent, dans ce contexte, un degré de contrainte supplémentaire. Multiplier par quatre ou cinq le niveau de fonds propres des banques à l'horizon 2019 aura nécessairement un impact sur la croissance - l'accès aux ressources sera plus coûteux pour les banques, qui répercuteront cette charge sur leurs clients. Une organisation internationale représentant les grandes banques vient de monter au créneau en déclarant qu'elle en fixait l'impact à 4 % du PIB, soit un niveau de richesse en valeur inférieur de 3,4 % à ce qu'il aurait été sans cette réglementation, allégation faite pour contredire le comité de Bâle, qui concluait à un impact positif de quelque 0,4 %, en incorporant le gain des crises ainsi évitées.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Votre sentiment ?
M. Ramon Fernandez. - Il y aura à court terme un impact sur la croissance.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - M. Barroso vient de déclarer qu'il faudrait aller plus vite vers un ratio de 9 %, d'ici à 2013. Quel impact sur la croissance de court terme ?
M. Ramon Fernandez. - La France, dans ce débat, est réputée convaincue que l'idée d'une recapitalisation rapide manque de cohérence, si l'on s'en réfère aux déclarations du gouverneur de la Banque de France et, la semaine dernière, de Jacques de Larosière, considérant qu'elle risque d'accélérer la contraction du crédit et de rendre ainsi plus difficile le financement de l'économie. C'est juste... tant que l'on a raison d'avoir raison. Le problème reste que les investisseurs affirment que le secteur bancaire européen manque de la sécurité suffisante pour absorber les chocs.
D'accord pour une action sur le niveau de capital des banques, en fonction de leurs besoins, mais dans le cadre d'une réponse globale, englobant aide durable et crédible à la Grèce, renforcement du fonds européen et gouvernance solide. Dans ce cadre, une telle action a un sens, mais ne sera pas sans impact sur la capacité des banques à financer l'économie.
M. François Marc, président. - Le gouverneur de la BCE priait hier, devant le Parlement européen, les autorités politiques d'agir de toute urgence ; ses déclarations paraissent en décalage avec celles du gouverneur de la Banque de France... Comment faire la part des choses ? Est-ce une aggravation potentielle ou un simple matelas de sécurité destiné à rassurer l'opinion ?
M. Ramon Fernandez. - La dichotomie est moins forte qu'elle ne l'était il y a quinze jours. Avant le G20 de Washington, la BCE critiquait la recapitalisation prônée par le FMI. À Washington, certains aspects méthodologiques ont été clarifiés, les écarts d'analyse réduits, le consensus a progressé : indiquer que les banques européennes disposent du capital suffisant peut contribuer au retour de la confiance, quelle que soit l'analyse fondamentale sur le niveau d'adéquation des fonds propres aujourd'hui. La rationalité pure des chiffres n'est plus la seule : il faut tenir compte des signaux qu'envoie le marché. Or il doute de la capacité des banques à absorber les chocs.
Les discussions au sein de l'Ecofin et de l'Autorité bancaire européenne ont abouti à une recommandation, qui sera discutée par les ministres. Il s'agit de fixer un objectif à un horizon plus proche, auquel les banques devraient satisfaire en ayant recours à trois types de ressources possibles : le marché privé, des dispositifs publics nationaux, ou le Fonds européen de stabilité financière, réformé pour pouvoir concourir à la recapitalisation des banques.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Nous en savons plus qu'hier. Le débat préalable au Conseil européen, hier en séance, nous a frustrés : lorsque les sujets abordés sont financiers et budgétaires, il faudrait, pour l'information du Parlement, un représentant du Gouvernement qui puisse nous répondre !
Un éventuel compromis européen porterait donc sur quatre sujets : le soutien à la Grèce, la gouvernance, le renforcement du Fonds européen de stabilité financière, l'anticipation du calendrier pour arriver à 9 % de fonds propres, de nature à faire revenir la confiance.
Ma question, à laquelle le ministre hier n'a pas pu répondre, porte sur le Fonds européen. Une réponse graduée suppose que l'on fasse d'abord appel au marché, ensuite au secteur public. Dans ce cas de figure, en quoi consisterait l'effet de levier dont on envisage de doter le Fonds ? Suppose-t-il une forme juridique particulière ? Quels sont les montants en cause ? Il faut accroître cette force de frappe. Si les Etats ne peuvent plus accroître le montant des garanties qu'ils accordent, et si la BCE rencontre ses limites institutionnelles, doit-on prévoir un mécanisme nouveau ?
M. Ramon Fernandez. - Créé en mai 2010, le Fonds européen de stabilité financière a été doté d'une capacité de prêt de 440 milliards d'euros, et ne pouvait que prêter à des pays. Le Fonds se finance sur les marchés : il emprunte puis prête, assez cher et sur des périodes courtes. Pour assurer une note AAA, il a fallu multiplier les précautions : résultat, la capacité de prêt réelle n'est que de 220 à 250 milliards. Au terme d'un an de débat, nous avons constaté qu'il fallait restaurer une capacité de prêt effective de 440 milliards, et prêter moins cher, pour plus longtemps. C'est ce que vous avez voté cet été.
Le 21 juillet 2011, il a été décidé d'autoriser le Fonds, à ressources constantes, à recapitaliser les banques, via les Etats, à intervenir sur les marchés primaires, en souscrivant des emprunts émis par des pays tel le Portugal, et surtout à intervenir sur le marché secondaire de la dette de ces Etats - ce que la BCE faisait, à son corps défendant, depuis mai 2010 dans le cadre de son Securities Market Programm (SMP). Loin de s'être gorgée, la BCE est toutefois restée sage en la matière, avec 170 milliards de titres de dette acquis - contre 1 600 milliards pour la Fed ! Il est fondamental d'arriver à mettre en place cette capacité d'intervention sur le marché secondaire de manière efficace.
En septembre, la situation restait difficile. Les marchés trouvent que les décisions prises tardent à être concrétisées, sachant qu'elles doivent être ratifiées par les dix-sept Parlements nationaux. A Washington, il a été décidé de flexibiliser le Fonds européen, et surtout de maximiser son impact : c'est l'effet de levier. Il s'agit d'utiliser plus intelligemment les 440 milliards. Différentes options sont envisageables, incluant ou non la BCE. D'autres reposent exclusivement sur le fonds tel qu'il est, qui pourrait intervenir pour donner des garanties à des émissions d'Etat, permettant ainsi d'accroître les montants susceptibles d'être levés sur le marché par cet Etat.
M. Jean Arthuis. - C'est du hors-bilan !
M. Ramon Fernandez. - Ce type de solution présente l'inconvénient d'introduire un marché obligataire à deux vitesses et de provoquer des effets secondaires pas tout à fait souhaitables.
Comment cela peut-il aider la recapitalisation des banques ? Plus le Fonds sera doté d'une force de frappe importante, plus il pourra distraire une partie de ses ressources pour aider des Etats attaqués, qui auraient besoin de passer par un guichet européen. La Banque européenne d'investissement peut aussi être associée.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - J'ai compris qu'il fallait passer du langage diplomatique au langage du réel, et que c'était possible. C'est déjà pas mal.
M. Jean Arthuis. - Très bien !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Qu'est-il permis d'espérer ? Le sommet Ecofin de la semaine prochaine permettra-t-il d'avancer ?
M. Ramon Fernandez. - Les chefs d'Etat se réunissent sur la base d'un dossier préparé par leurs ministres, qui devront donc avoir une vue d'ensemble d'ici samedi 22 octobre.
M. Serge Dassault. - A-t-on des doutes sur la capacité des Etats à rembourser leur dette et qu'en est-il de la France ? J'aimerais aussi savoir d'où proviennent ces 440 milliards : fait-on tourner la planche à billet de l'euro ?
M. Jean Arthuis. - La France fait du crédit revolving !
Avez-vous le sentiment que le paquet gouvernance est enfin signe de lucidité ? La gouvernance européenne a longtemps été calamiteuse et honteuse : on a transformé le pacte de stabilité et de croissance en pacte de tricheurs et de menteurs. Eurostat aura-t-il enfin les moyens de s'assurer de la sincérité des comptes publics ? L'Italie ne nous réserve-t-elle pas des surprises ?
Le Sénat a introduit dans la loi de régulation bancaire et financière d'octobre 2010 un article 66, qui impose aux banques de consacrer au moins 75 % des augmentations de collecte d'encours des livrets d'épargne réglementés à de nouveaux prêts aux PME. Le président de la République s'en est d'ailleurs prévalu pour annoncer 3 milliards supplémentaires pour les PME. L'information que transmettent les banques est-elle fiable ? S'agit-il de nouveaux prêts, ou de l'addition de prêts antérieurs aux PME ?
Les collectivités territoriales ont du mal à emprunter. Les banques sont réticentes car les fonds qui ne sont pas instantanément utilisés vont dans les caisses du Trésor public. Ne pourrait-on aménager cette règle pour que l'argent reste dans les caisses des banques dans l'attente de leur utilisation ?
M. Richard Yung. - Comment le Fonds européen interviendra-t-il dans la recapitalisation bancaire ? Va-t-il rentrer au capital des banques ? Va-t-il leur prêter, et sous quelle forme ? En échange de quelles garanties ? Cela implique-t-il une modification de son statut juridique ?
En outre, j'ai du mal à réconcilier votre description de l'évolution des encours aux entreprises avec le taux de croissance quasi-nul que connaît la France actuellement...
Mme Fabienne Keller. - Les marchés n'ont pas réagi comme espéré à l'annonce des différents plans. Y a-t-il un risque de liquidité ? Les difficultés de Dexia tiennent moins à ses fonds propres qu'à sa capacité à se refinancer...
M. Ramon Fernandez. - Je ne doute pas de la capacité des Etats à rembourser leur dette, mais ce n'est pas le cas des marchés. Il y a urgence à casser une dynamique. D'où la nécessité d'une réponse globale sur la dette souveraine. Les agences de notation ont confirmé lundi la note AAA de la France, car elles font confiance au Gouvernement pour tenir ses engagements.
Les 440 milliards ne proviennent pas de la planche à billet, monsieur Dassault, mais de l'emprunt. Le fonds qui succèdera au FESF, doté d'un capital de 80 milliards, sera plus orthodoxe, alors que le FESF est exclusivement assis sur la garantie des Etats.
Le « paquet gouvernance » est là pour garantir qu'une telle crise ne se reproduira pas. Nous avons désormais des outils, avec des sanctions fortes, dont les conséquences n'ont pas été mesurées.
M. Jean Arthuis. - Un pays en difficulté ne pourra y faire face : comment voulez-vous que la Grèce paye une sanction de plusieurs milliards d'euros ?
M. Ramon Fernandez. - Il y a également un volet préventif. Même un Etat dont le déficit est inférieur à trois points de PIB mais qui ne respecte pas la dynamique de dette pourra être sanctionné. Le pacte de stabilité et de croissance intervient désormais beaucoup plus tôt, et les sanctions sont semi-automatiques. La surveillance portera également sur les déséquilibres de compétitivité macroéconomiques dont ont notamment souffert les nouveaux entrants. Nous n'avions pas jusqu'ici d'instrument adapté ; c'est chose faite. A nous d'utiliser ces outils, même si certaines choses ne sont pas faciles à dire à des amis ou voisins.
Jusqu'ici, Eurostat ne pouvait parler qu'à son homologue - soit en Grèce, l'Office statistique, qui dépendait jusqu'à peu du Gouvernement. Maintenant, il peut effectuer des visites dites méthodologiques, à l'instar du FMI, auprès de tous les acteurs : banque centrale, direction du budget, Parlement, entreprises, syndicat, etc. Il est dès lors beaucoup plus difficile de tricher, à condition bien entendu que les gens fassent leur travail.
M. Jean Arthuis. - Auront-ils les moyens de le faire ?
M. Ramon Fernandez. - Ils ont des statisticiens détachés par les organisations statistiques nationales. Croiser les informations fera mieux apparaître les anomalies éventuelles. En Grèce, Eurostat aurait pu mieux déceler les anomalies s'il avait pu s'adresser à un office statistique grec indépendant. Les Grecs viennent de changer ses statuts.
L'évolution des encours de crédit des PME respecte à la lettre l'article 66 de la loi de régulation bancaire et financière. Les PME ne souffrent pas aujourd'hui d'un rationnement du crédit. L'abandon du principe de dépôt au Trésor des fonds libres des collectivités locales ? Pas sûr que nous ayons envie de faire cette facilité aux banques...
La recapitalisation des banques par le FESF se ferait a priori uniquement via les Etats. Chypre pourrait ainsi demander des prêts du Fonds européen, sans programme FMI, uniquement pour traiter ses banques, mais c'est l'Etat qui investirait dans ses banques. On peut également envisager d'autres dispositifs permettant de mutualiser les ressources pour permettre d'autres formes d'intervention.
L'évolution positive des crédits à l'économie est-elle compatible avec une croissance molle ? La croissance française reste positive, car la consommation et l'investissement continuent de la tirer, et il y a une demande de crédit. Il n'y a pas aujourd'hui d'incohérence.
Les marchés ne sont pas convaincus de l'absence de risque de liquidité, car les annonces du 21 juillet ont tardé à être mises en oeuvre. On attend le vote du Parlement slovaque : c'est le temps de la démocratie ! Une fois ces mesures adoptées, on peut espérer convaincre. Entretemps, nous avons mis en place des outils pour répondre à l'assèchement partiel des liquidités, notamment via la BCE, qui a multiplié les ouvertures de guichet.
M. François Marc, président. - Merci. Vous avez fait avancer notre réflexion.
Situation des banques françaises et financement de l'économie - Audition de M. Pierre Mariani, administrateur délégué, président du comité de direction de Dexia
La commission procède enfin à l'audition de M. Pierre Mariani, administrateur délégué, président du comité de direction de Dexia.
M. François Marc, président. - L'audition de M. Pierre Mariani, président du Comité de direction et administrateur délégué de Dexia, était programmée depuis plusieurs semaines, mais est aujourd'hui d'une actualité brûlante. Pouvez-vous nous dresser l'état de la situation ?
M. Pierre Mariani, administrateur délégué, président du comité de direction de Dexia. - J'étais venu devant votre commission peu après ma nomination, il y a trois ans. À l'époque, l'inquiétude portait surtout sur la capacité des Etats et collectivités locales d'Europe de l'Est à faire face à leurs obligations. Mes déclarations s'étaient d'ailleurs traduites par une baisse de 25 % du cours de bourse !
M. Jean Arthuis. - Elles auront moins d'impact aujourd'hui !
M. Pierre Mariani. - L'heure n'est pas encore au bilan, mais permettez-moi de revenir sur l'origine des difficultés du groupe. Loin d'être dissimulée, sa stratégie était clairement exposée dans le document stratégique présenté en septembre 2006 aux marchés financiers, autour de quatre priorités. Premier axe : l'expansion internationale, ou la conquête du monde. Il s'agissait de faire de Dexia le leader mondial du financement des collectivités locales. Seuls manquaient au tableau l'Inde et la Chine ; entre la privatisation et 2008, les encours de crédits étaient passés de 60 à environ 400 milliards d'euros.
Deuxième axe : le développement de FSA, assurance des collectivités locales, et des monolines pour crédits subprimes aux Etats-Unis. Dexia devait apporter une « vision d'expertise », et assurait faire preuve de « prudence » dans l'assurance de subprimes, identifiée comme le principal secteur d'expansion aux États-Unis. À l'automne 2008, le rehaussement de crédit des collectivités locales américaines représentait environ 400 milliards de dollars, et l'assurance d'asset backed securities (ABS) aux Etats-Unis environ 115 milliards de dollars.
Troisième axe : la sophistication croissante de l'offre de crédit aux collectivités locales, autour de crédits structurés, présentés comme un gage de modernité. Dexia offrait à ses clients 3 produits différents en 1995, 167 en 2006 et 224 à l'automne 2008 !
Quatrième priorité stratégique : le renforcement des portefeuilles obligataires, passés de 50 milliards d'euros à 225 milliards d'euros, soit 25 fois les fonds propres de la banque, contre une moyenne européenne de 4 à 5, et un ratio de 7 à 8 pour les banques allemandes !
La situation trouve ses limites à l'automne 2008, après la chute de Lehman Brothers. Une recapitalisation de 6 milliards d'euros est alors décidée en urgence par les Etats, au prix de 9,9 euros par action, soit davantage que le dernier cours de bourse ! Au 8 octobre 2008, il n'y avait déjà plus de liquidités : un bilan financé à 43 % à court terme, 260 milliards d'euros de besoins de financement à court terme - l'équivalent de la dette de la Grèce.
J'assume complètement le travail fait depuis mon arrivée en 2008, même si la situation actuelle n'est pas celle que j'espérais... J'ai tenté de corriger les déséquilibres grâce à la recapitalisation et à l'octroi de garanties à hauteur de 150 milliards d'euros, accordées dès mon arrivée par les trois États, ainsi qu'une garantie spécifique sur un portefeuille de crédits subprimes américains de 17 milliards de dollars.
Le portefeuille de crédits obligataires a été réduit en 36 mois de 125 milliards d'euros : cela représente 150 millions par jour ! Le groupe avait vendu au début des années 2000 pour environ 55 milliards de dollars de lignes de liquidités à des établissements financiers américains, faisant peser un risque de liquidités majeur sur le groupe ; nous sommes passés à 9,5 milliards. FSA a été vendue dès le 12 novembre 2008 : nous avons cédé à 22,3 dollars des actions achetées 8,1 dollars. Nous avons vendu Kommunalkredit Austria, filiale commune avec une banque autrichienne, qui détenait un portefeuille de 15 milliards de dollars de CDS sur des entités d'Europe centrale et orientale dans une filiale chypriote, dont le groupe ignorait jusqu'à l'existence... Nous avons fermé nos activités dans une quinzaine de pays, dont le Japon où Dexia avait accumulé 13 milliards d'euros de crédit entre 2006 et 2008. Nous avons vendu toutes les entreprises que l'accord avec la Commission européenne nous imposait de vendre à date. Entre octobre 2008 et juin 2011, le besoin de liquidité à court terme a été ramené de 260 à 100 milliards de dollars ; la proportion de financement à court terme, de 43 % à 19 %. Nous étions sur ce point en avance sur les objectifs négociés avec la Commission européenne. Nous avons augmenté la base de dépôts du groupe de 15 % en trois ans, émis pour plus de 110 milliards d'euros de dette à moyen et long terme, réduit les garanties, soldé l'exposition aux subprimes américains garantie par les Etats à hauteur de 17 milliards de dollars.
Le groupe a été très fortement impacté par la crise de la zone euro. Spécialisés dans le financement du souverain et du subsouverain, nous sommes très présents dans les pays périphériques, notamment l'Italie, l'Espagne et le Portugal, ainsi qu'en Belgique. Nous avions un besoin de financement à court terme important. Le groupe a été mis en difficulté par la décision des agences de rating de mettre sa notation à court terme sous surveillance - ce qui s'est traduit par le tarissement de tout financement non sécurisé aux Etats-Unis, et la disparition d'environ 20 milliards de dollars de funding du jour au lendemain. Paradoxalement, nous avons aujourd'hui des excédents de dollars car nous avons recouru massivement dès le mois de mai au marché des swaps de change.
En août, nous avons subi les conséquences de la restriction de la liquidité. La semaine dernière, Moody's a annoncé que notre note risquait à nouveau d'être dégradée ; à la clé, un assèchement potentiel des possibilités de financement du groupe.
Nous avons annoncé la vente accélérée des portefeuilles obligataires et engagé une discussion, avec la banque centrale de Belgique et les autorités françaises, autour d'un plan de résolution ordonnée du groupe. Nous savions que nous étions fragiles en cas de dégradation de notre note. Ce plan, élaboré dès la mi-juillet, prévoyait la vente des activités opérationnelles, la vente de portefeuilles, la constitution d'une structure rassemblant les portefeuilles non vendus et les entités bancaires difficilement cessibles, notamment nos filiales en Italie ou en Espagne.
Approuvé par les autorités belges le 15 juillet, le plan prévoyait également une réflexion autour du financement des collectivités territoriales en France. Depuis la fin du premier trimestre, le crédit aux collectivités est quasi-asséché, et la tension s'est encore accentuée depuis août. A titre d'exemple, le conseil général de l'Essonne a lancé un appel d'offre pour un financement à long terme de 100 millions d'euros, resté infructueux, suivi d'un appel d'offres pour une ouverture de crédit à court terme de 60 millions d'euros resté également infructueux... Le département en est réduit à démarcher les banques pour obtenir quelques millions d'euros de crédit à court terme !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - La contraction du crédit !
M. Pierre Mariani. - Nous avons engagé des discussions avec les pouvoirs publics, la Caisse des dépôts et consignations et la Banque postale, afin d'adosser à la Caisse le véhicule traditionnel de refinancement des prêts et d'assurer plus durablement le financement des collectivités. Il était évidemment hors de question que cette opération se traduise par une mise en cause de la dotation de la Caisse des dépôts. Pas question non plus de lui transférer des risques de Dexia ; l'opération se fera aux conditions de marché.
La semaine dernière, malheureusement, a vu la menace d'une nouvelle dégradation de la notation à court terme, qui a entraîné un début de fuite sur les dépôts en Belgique et au Luxembourg. La négociation s'est donc accélérée. Dimanche dernier, le conseil d'administration a annoncé une première série de mesures, correspondant à la mise en oeuvre du plan de résolution discuté pendant l'été : la confirmation de l'engagement des discussions avec la Caisse des dépôts et la Banque postale ; le rachat de Dexia Banque Belgique (DBB) par les autorités belges ; la mise en vente de la Banque Internationale à Luxembourg ; un plan de garanties des Etats. Quant au reste des mesures de cession d'actifs de différentes entités opérationnelles du groupe, elles font l'objet de discussions avec des investisseurs en vue d'une mise en oeuvre dans les meilleurs délais.
Il faut bien avoir conscience qu'en 2008, Dexia était le « Lehman Brothers européen » et que les décisions prises cette semaine n'ont été rendues possibles que par l'effort de réduction de la taille du bilan sur laquelle nous avions travaillé pendant trois ans. Si je ne peux complètement me réjouir de l'issue actuelle, je suis tout de même satisfait que l'annonce du démantèlement n'ait pas créé de choc sur le secteur bancaire, ni sur les marchés financiers. Ce résultat a été longuement préparé.
C'est à la fin de la semaine dernière que la banque conseil de l'Etat fédéral belge m'a indiqué envisager la reprise de DBB pour un montant de 1,5 milliard d'euros. Je n'ai pu que refuser de soumettre un montant aussi faible à l'examen du conseil d'administration en rappelant que s'il tenait à nationaliser la banque à ce prix, l'Etat conserverait la possibilité de recourir aux procédures spéciales prévues à cette fin.
Puis, j'ai rencontré samedi soir et dimanche, les Premiers ministres français et belge, ainsi que le ministre des finances luxembourgeois, auxquels j'ai indiqué, qu'à mon sens, le prix de cession devrait s'établir au minimum à 4,5 milliards d'euros. Il a finalement été décidé de procéder à cette opération pour un montant de 4 milliards, le groupe conservant la propriété de sa filiale chargée de la gestion d'actifs (DAM).
J'ai en outre obtenu des trois gouvernements des garanties concernant le soutien au reclassement des 600 collaborateurs de Dexia SA dans les pays concernés. Dans ces conditions, le conseil d'administration a adopté le plan de démantèlement à l'unanimité.
Mme Nicole Bricq, rapporteur générale. - Des questions ne manqueront sans doute pas de vous être posées sur le passé, et notamment sur les octrois de prêts toxiques, mais je souhaiterais pour ma part me concentrer sur la période 2008-2011. Ma première interrogation concerne le fait que vous ayez manqué de temps pour mener à bien votre mission, puisqu'il semble ressortir de vos propos, ainsi que de ceux de Jean-Luc Dehaene, que vous auriez manqué de deux ans pour mener à son terme le plan stratégique que vous avez conduit à marche forcée. Deuxième question : la situation actuelle n'est-elle pas aussi le résultat de difficultés intrinsèques indépendantes du contexte général de crise des dettes souveraines de la zone euro ?
M. Pierre Mariani. - Le péché originel, c'est que notre bilan reposait en 2008 à 43 % sur des financements à court terme, alors que notre actif consistait pour moitié en un portefeuille d'obligations, ce qui n'existe nulle part ailleurs dans le monde bancaire.
La question qui s'est posée en 2008 était de savoir si nous devions garder ou bien céder ce portefeuille qui s'élevait alors à 220 milliards d'euros. Fin 2008, sa valeur de marché « théorique », compte tenu de l'absence de marché, était très fortement négative, peut-être à hauteur de 25 milliards d'euros, mais il demeure de bonne qualité puisqu'il bénéficie d'une notation moyenne de niveau A-. Même s'il a été réduit de plus de 100 milliards d'euros au cours de la période, c'est en fait le besoin de financement à court terme qui constitue notre principale difficulté, en particulier dans un contexte d'assèchement du marché interbancaire.
Mme Nicole Bricq, rapporteur générale. - Vous avez passé les stress tests et votre ratio Tier One est d'ailleurs excellent, même s'il semblerait qu'une polémique soit apparue quant à son niveau, tel qu'il résulte des stress tests.
M. Pierre Mariani. - Nous avons effectivement toujours été dans une bonne situation en matière de fonds propres, avec un Tier One qui s'établissait à plus de 11,4 % le 30 septembre. Notre difficulté ne se situe pas à ce niveau. Elle concerne l'accès à la liquidité interbancaire.
Mme Nicole Bricq, rapporteur générale. - Vous étiez déjà en discussion avec la Caisse des dépôts et consignations et l'Etat depuis début juillet, n'est-ce pas ? Nous sommes très intéressés par ce point, car le Gouvernement nous a soumis début septembre un projet de loi de finances rectificative en ne disant rien à ce sujet.
M. Pierre Mariani. - Rien n'était encore envisageable début septembre. Nos discussions du mois de juillet portaient sur un plan applicable en cas de difficulté et notamment d'abaissement de la notation. Les réflexions avec les régulateurs portaient sur les mesures à prendre dans cette hypothèse et non sur des discussions éventuelles avec la Caisse des dépôts et consignations.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Mais, entretemps, la dette souveraine a plongé, après la rencontre Merkel-Sarkozy du 16 août.
M. Pierre Mariani. - Nous avons surtout été affectés par deux éléments. Le premier est le fait que le plan d'aide à la Grèce, décidé le 21 juillet, ne soit, trois mois après, toujours pas entré en vigueur : la crise est politique avant d'être bancaire.
Mmes Fabienne Keller et Marie-Hélène Des Esgaulx. - N'inversons pas les rôles ! Avant d'être une crise politique, cette crise est d'abord une crise des banques.
M. Pierre Mariani. - Il y a un problème d'application des décisions.
M. Jean Arthuis. - De gouvernance ?
M. Pierre Mariani. - Le second type d'événement qui nous a affecté a été l'attaque de la France par les marchés financiers, tenant à la fois à un effet de report des spéculations vers notre pays, à partir du moment où les titres de dettes des Etats d'Europe du Sud ont bénéficié d'opérations de rachat par les banques centrales, et aux inquiétudes des marchés sur la façon dont les banques françaises seraient affectées par l'évolution de ces mêmes pays auxquels elles sont très exposées. Il s'agissait de jouer ainsi la crise de la zone euro.
Pour ma part, j'ai été frappé, au moment même où Christine Lagarde appelait à la recapitalisation des banques européennes, par les propos de Robert Zoellick, le président de la Banque mondiale - beaucoup moins repris dans la presse -, qui estimait que les accords entre banques centrales exposaient la Fed à des risques très importants liés à la détention « d'actifs toxiques », entendez par là, les titres de dettes souveraines de pays de la zone euro.
Cet ensemble d'événements a eu pour effet de geler le marché interbancaire en Europe au cours du mois de septembre.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - La Denizbank en Turquie est une véritable pépite. Pourrez-vous la céder à un prix correct ?
M. Pierre Mariani. - Oui, je le pense.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - J'en viens aux collectivités territoriales. Pensez-vous que Bâle III aura des conséquences sur leur financement ?
M. Pierre Mariani. - D'une façon générale, je pense que le risque le plus important pour la croissance européenne est celui d'une contraction du crédit. Tout le mouvement réglementaire s'est concentré sur le niveau de fonds propres des banques. Or celui-ci n'est pas le seul indicateur de solvabilité, comme l'illustre de façon particulièrement cinglante le cas de Dexia.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à la Cour des comptes et devant la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, l'activité de prêt à long terme des banques est fortement menacée par les ratios de liquidité imposés par Bâle III. Cette menace concerne non seulement les collectivités territoriales mais aussi l'ensemble des activités de financement de projets ou de financement de la grande exportation. Je suis à cet égard très frappé d'entendre depuis quelque temps des responsables de grands groupes bancaires français mettre en avant le fait qu'ils se désengagent d'activités importantes pour le financement de l'économie et pour la compétitivité de nos entreprises.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Pensez-vous que la création de la nouvelle entité, ainsi que les mesures qui ont été annoncées, seront de nature à prendre le relais du financement bancaire des collectivités ?
M. Pierre Mariani. - Je pense que, dans tous les cas, les prêts aux collectivités seront plus chers, plus courts - les prêts sur vingt ans étant remplacés par des financements sur cinq à sept ans. En outre, la nouvelle réglementation conduira les banques privées à diminuer la part de ces financements dans leurs bilans. L'on se rapprochera probablement du modèle des pays d'Europe du Nord, dont l'Allemagne, dans lesquels le financement des collectivités est assuré par des entités publiques.
M. François Marc, président. - La Fed a fait en sorte d'allonger l'horizon du crédit en agissant sur les taux longs. Cela peut-il avoir un impact en Europe ?
M. Pierre Mariani. - Il est vrai que les taux longs sont historiquement bas, ce qui fait que l'on ne ressent pas encore les effets de ce que j'évoquais, et ce, bien que les marges prises par les banques sur les taux interbancaires n'aient jamais été aussi élevées. Mais dès que les taux longs entameront leur remontée, leurs effets risquent d'être particulièrement sensibles, ce qui compliquera l'équilibre des budgets locaux mais aussi de leurs sections d'investissement.
M. Jean-Claude Frécon. - Le département de la Loire est très touché par les prêts toxiques. Notre collègue maire de Saint-Etienne m'a en particulier chargé de vous interroger sur le type de structures par lesquelles ces prêts seront repris. S'agira-t-il de la Caisse des dépôts ou d'un organisme doté d'un statut spécial ? Quelles conséquences cela aura-t-il sur les collectivités territoriales, dont certaines se voient aujourd'hui imposer des taux d'intérêt de 22 % ?
M. Jean Arthuis. - Nous avons bien compris que les titres de dettes souveraines seraient répartis par l'Etat belge et par la structure de défaisance créée au sein de Dexia. Cela signifie t-il qu'aucune part de ces dettes ne sera hébergée par DexMA ?
M. Pierre Mariani. - C'est bien cela.
M. Jean Arthuis. - Il y a pourtant un risque de voir les collectivités de certains pays faire défaut. En Argentine, en 2002, on avait commencé par sacrifier les créanciers étrangers. Peut-on connaître la part des collectivités territoriales des pays d'Europe du Sud au sein du portefeuille de DexMa ?
Comment les collectivités territoriales seront-elles financées demain ? Aura-t-on des établissements régionaux mutualisant leurs emprunts auprès des épargnants ? Le projet d'une sorte de joint-venture entre la Banque postale et la Caisse de dépôts n'est-il pas déjà dépassé ?
Enfin, toutes les opérations que vous conduisez actuellement se font avec l'aide de banques-conseils dont Goldman Sachs et JP Morgan. Outre que cela a un coût, que vous nous direz peut-être, le fait que cet établissement ait conseillé la Grèce pour maquiller ses comptes ne crée-t-il des états d'âme déontologiques ?
M. Edmond Hervé. - Je rejoins Jean Arthuis. Les collectivités représentent 12 % du PIB et il ne peut y avoir dans ce pays d'industrie des transports, du logement ou de l'environnement qui ne s'appuient sur elles.
J'ai apprécié votre langage direct car, dans la situation actuelle, nous ne pouvons pas nous raconter de « salades ». Nous devons relancer l'économie. Vous évoquiez par exemple la situation du département de l'Essonne pour un financement de 100 millions. Face à de telles situations, quel est le remède ? Je souhaite que notre commission prenne le temps d'examiner les questions absolument essentielles qui sont soulevées par ce type de situations.
M. Philippe Adnot. - Les collectivités qui ont souscrit des emprunts dangereux ont été mauvaises gestionnaires et doivent en assumer les responsabilités. Pour ma part, j'ai veillé à ne pas accepter ce type de produit, et si un directeur financier m'y avait conduit, il y a longtemps qu'il aurait été sanctionné. Quand on a privé les départements et les régions de la maîtrise de leurs ressources fiscales, j'en ai immédiatement tiré les conséquences sur la garantie aux constructions HLM.
Dans le même temps, les établissements qui les ont proposés sont eux aussi responsables. Vous sentez-vous comptable de ces situations, y compris sur vos revenus et sur vos bonus ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Vous avez dit que Dexia était le Lehman Brothers européen mais, pour vous, s'agit-il d'une banque belge ou d'une banque française ?
Pour le reste, je ne peux pas vous laisser dire que la crise que nous connaissons est d'abord une crise politique, car nous savons bien qu'elle trouve son origine dans une crise bancaire à laquelle les Etats ont dû répondre. Cela doit être rappelé clairement. N'inversons pas les rôles ! Je ne vous cache pas que, bien que je n'aie, moi non plus, pas souscrit d'emprunts toxiques, l'affaire Dexia m'a beaucoup énervée.
M. Pierre Mariani. - Le sens de mon propos était plutôt de distinguer la crise de 2008, face à laquelle chacun des Etats s'était occupé de ses propres banques, et la crise de cet été, qui appelle une réponse européenne à laquelle nous ne sommes toujours pas parvenus du fait des difficultés de la gouvernance européenne. Trois mois après le 21 juillet, les dix-sept Etats n'ont pas encore ratifié les décisions. Cela ne retire rien au fait que, dans cette crise aussi, la responsabilité des banques est très grande.
Dès mon arrivée chez Dexia en 2008, j'ai fait procéder à l'analyse de l'ensemble des produits offerts par l'établissement qui s'élevaient à plus de 200. Cela m'a conduit à en supprimer un grand nombre. J'ai demandé à trois personnalités, un vice-président de la commission des finances de l'Assemblée, un ancien secrétaire général de la Commission bancaire et un conseiller maître à la Cour des comptes de recenser les pratiques commerciales. Ces travaux et les dix engagements que nous avons pris en novembre 2009 ont inspiré la « charte Gissler » que, d'ailleurs, l'Association des départements de France n'a pas ratifiée en considérant qu'elle contrevenait à la libre administration des collectivités locales.
Je crois moi aussi que les responsabilités sont partagées. A ce propos, je précise que d'autres banques ont proposé des prêts structurés mais que, pour l'heure, si d'autres banques ont été condamnées, Dexia ne l'a pas été. Nous avons actuellement huit procès en instance et un jugement vient d'être rendu en notre faveur. Par ailleurs, une affaire nous oppose à la ville de Rosny-sur-Seine qui nous reproche de lui avoir prêté à taux fixe, la privant ainsi du bénéfice de la baisse des taux. Au titre des responsabilités partagées, je songe aussi aux journées de l'innovation financière, destinées aux collectivités, organisées chaque année en octobre par la communauté urbaine de Lille. Or chacun sait qu'il n'y a pas de solution miracle. Lorsque quelqu'un vous propose un prêt de 200 points de base inférieur au coût du marché, c'est comme lorsque l'on propose un rendement financier de 14 %, cela implique nécessairement une prise de risque.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Nous avons très mal reçu la publication récente dans un journal du matin des chiffres faux imputés à Dexia - que vous auriez dû démentir - et qui ont fait beaucoup de tort aux collectivités.
M. Pierre Mariani. - Nous n'avons pas non plus apprécié de nous retrouver en première page de Libération, coincés entre un titre alarmiste et un article sur un film évoquant une maison close du début du siècle. Nous avons publié un démenti, demandé et obtenu un droit de réponse et porté plainte pour vol de documents et présentation de fausses informations. Sur le fond, le chiffre de 5 500 collectivités annoncé par le journal ne correspond à rien.
Mme Nicole Bricq, rapporteur général. - C'est votre liste.
M. Pierre Mariani. - La réalité des prêts hors charte, c'est 4,82 milliards d'euros et 347 collectivités locales. On est loin des 5 500. D'où ce chiffre vient-il ? Je n'en sais rien. 3 300 collectivités ont souscrit des produits structurés pour un encours structuré de 22,9 milliards d'euros au 31 août 2011, qui portent pour l'essentiel sur des produits relativement simples, tels que des prêts à taux variable indexés.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - L'euribor...
M. Pierre Mariani. - L'encours des collectivités locales est de 45 milliards d'euros sur un total de 66,4 milliards pour tout Dexia crédit local en France. Quant aux 10 milliards d'euros inscrits dans le projet de loi de finances rectificative au titre de la contre-garantie de l'Etat accordé à la garantie de Dexia, ils correspondent effectivement à l'ensemble des engagements structurés de Dexia MA.
S'agissant ensuite des taux appliqués à ces crédits, ils sont en moyenne de 3,91 %, le taux moyen du premier décile s'établissant à 6,20 % et celui du dernier décile à 0,57 % au 31 août 2011.
Que peut-on faire face aux situations difficiles ? S'il ne m'appartient pas de qualifier juridiquement les situations, nous proposons gratuitement des solutions à nos clients car nous ne considérons pas cela comme une opération nouvelle. Quant aux solutions elles-mêmes, elles sont en fait de deux types. Vis-à-vis des clients pour lesquels il est manifeste qu'ils ne disposent pas des compétences et des capacités de gestion suffisantes, nous procédons à un retour à un prêt à taux fixe, en prenant la différence de coût à notre charge, ce qui est possible puisque les conditions de marchés qu'ils subissent aujourd'hui n'ont rien d'irréversible (il n'y a pas d'effet de cliquet). En revanche, il y a des cas où nous sommes face à des clients qui disposaient des compétences pour mesurer les risques qu'ils prenaient, et qui ont successivement procédé à six ou sept opérations de restructuration, et pas seulement chez nous - perseverare diabolicum - ; ceux-là cherchaient à réduire la charge de l'emprunt à court terme.
Oui, les collectivités, qui représentent en France 70 % de l'investissement public, auront besoin de partenaires financiers disposant de moyens importants. Je ne pense pas que la Banque postale pourrait seule remplir cette mission. Elle gagnerait néanmoins à se concentrer sur ce type de financements plutôt que de tenter de s'aventurer sur le terrain des prêts aux entreprises où elle trouvera de très nombreux concurrents.
Notre exposition aux collectivités grecques s'élève à 300 millions d'euros du fait du contrat de financement du métro d'Athènes mais je tiens à préciser que, par le passé, comme en Russie en 1998 ou lors de la crise asiatique, les administrations locales ont toujours continué à honorer leurs engagements, même en cas de défaillance du souverain.
Nous ne travaillons pas avec JP Morgan, qui conseille la Caisse des dépôts. Goldman Sachs nous aide à valoriser les instruments de marché pour un tarif de l'ordre de deux à trois millions d'euros, c'est-à-dire inférieur aux normes habituelles. Avoir été en contentieux avec Goldman Sachs aux Etats-Unis, dans le cadre du dossier FSA, n'empêche pas la collaboration actuelle avec eux.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Concernant la situation de Saint-Etienne, j'observe tout d'abord que le département de la Loire a été touché par des commerciaux particulièrement agressifs, et pas uniquement de Dexia.
M. Jean-Claude Frécon. - En effet.
M. Pierre Mariani. - Pour le reste, nous sommes en discussion constructive avec M. Vincent depuis trois ans. Certains prêts ne sont pas restructurables à court terme. D'autres collectivités ont refusé six ou sept fois les offres de structuration de leur dette que nous avions pris l'initiative de leur proposer. On a restructuré pour 6 milliards d'euros de dette pour la ramener à des niveaux acceptable.
Quant au point de savoir si Dexia est belge ou française, je sais simplement que j'ai de grands actionnaires dans les deux pays et que 28 % du capital de la banque est flottant - sans doute aujourd'hui détenu par des fonds spéculatifs.
Je peux comprendre un certain agacement lorsque je relis les articles écrits par l'ancien président de Dexia nous expliquant combien il était essentiel pour le principe de libre administration des collectivités locales de libéraliser leur financement. A posteriori, après que cette leçon d'autonomie locale a été relayée comme on le sait par les équipes commerciales sur le terrain, je ne peux aujourd'hui qu'éprouver une certaine amertume, que je partage avec mes collaborateurs. Et puisque vous évoquiez la question des rémunérations, je puis vous dire que M. Miller a quitté Dexia avec une année de salaire et que Pierre Richard a bénéficié en 2008 d'une retraite par capitalisation d'un montant de 13 millions d'euros.
M. Philippe Dallier. - Dans l'analyse des situations, prend-on en compte le gain qu'a pu représenter pour une collectivité le fait d'avoir bénéficié de taux très avantageux lorsque les conditions de marchés étaient plus favorables ?
M. Pierre Mariani. - Oui, nous le faisons au cas par cas, en particulier lorsque nous proposons le passage à un prêt à taux fixe.
M. François Marc, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.