- Mardi 28 juin 2011
- Audition de MM. Yves Censi, président du conseil national de l'insertion par l'activité économique (CNIAE), Pascal Duprez, président de la commission insertion par l'activité économique, emploi et formation de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars), et Guy Decourteix, secrétaire général du CNIAE
- Audition de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé
Mardi 28 juin 2011
- Présidence de M. Claude Jeannerot, président -Audition de MM. Yves Censi, président du conseil national de l'insertion par l'activité économique (CNIAE), Pascal Duprez, président de la commission insertion par l'activité économique, emploi et formation de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars), et Guy Decourteix, secrétaire général du CNIAE
M. Claude Jeannerot, président. - Nous avons aujourd'hui le plaisir de recevoir MM. Yves Censi, président du conseil national de l'insertion par l'activité économique (CNIAE), Pascal Duprez, président de la commission insertion par l'activité économique, emploi et formation de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars) et Guy Decourteix, secrétaire général du CNIAE. Nous souhaitons vous entendre afin d'avoir votre éclairage sur les relations entre le secteur de l'insertion par l'activité économique (IAE) et Pôle emploi. Nous pressentons, et nous voudrions le vérifier avec vous, que l'insertion professionnelle des personnes les plus éloignées de l'emploi dépend beaucoup de la qualité du partenariat entre ces deux acteurs.
M. Yves Censi, président du CNIAE. - Je veux dire d'abord combien je suis heureux de pouvoir apporter ma participation à la réflexion de votre mission d'information, car c'est une occasion pour moi de mieux faire connaître le CNIAE et son action. Il n'est pas si fréquent en effet que le CNIAE soit appelé à témoigner. S'il est très présent et reconnu sur le terrain, on songe peu à lui et à l'importance de l'insertion par l'activité économique, lorsqu'il s'agit de prendre des décisions en matière de politique d'insertion et de politique de l'emploi, y compris lors des débats budgétaires relatifs aux emplois aidés. Quelques mots de présentation générale du CNIAE ne sont donc pas inutiles.
Le CNIAE est une structure directement rattachée au Premier ministre. Il a été créé par MM. Michel Rocard et Claude Alphandéry, qui considéraient que le pendant du RMI devait être l'insertion par l'activité économique. Cette approche très pragmatique de l'insertion, à la frontière de l'économique et du social, devait être au coeur des politiques d'emploi. L'insertion par l'activité économique a la particularité de ne pas être une politique de guichet. Elle ne propose pas des prestations sociales, mais repose sur un suivi de la personne qui mobilise, bien au-delà de l'administration, un certain nombre de fédérations, de réseaux associatifs et d'entreprises d'insertion. On n'est donc pas dans le cadre d'un projet national diffusé de façon uniforme au travers de guichets, mais dans un processus où chaque personne prise en charge est elle-même un projet et fait l'objet d'un accompagnement personnel avec un parcours d'insertion. C'est ce qui lui donne, nous le croyons fermement, son efficacité. Evidemment, l'IAE s'adresse à des personnes plutôt éloignées de l'emploi.
Le CNIAE représente près de 5 000 structures d'insertion par l'activité économique. Il rassemble, autour du Premier ministre, quarante et un membres, appartenant à quatre collèges : les représentants des administrations, avec bien sûr la DGEFP, un certain nombre d'élus nationaux et locaux, des réseaux d'insertion représentatifs et les partenaires sociaux. Le CNIAE est consulté sur tous les textes relatifs à l'IAE. C'est aussi un lieu de réflexion et une plate-forme d'échange des bonnes pratiques. C'est enfin un acteur économique important, puisque l'IAE réalise 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires, généré par l'activité d'environ 250 000 personnes par an.
Concernant les questions que m'a transmises le rapporteur et, pour commencer celle des relations entre Pôle emploi et les structures d'insertion par l'activité économique (SIAE), je rappellerai que la vocation de l'IAE est d'accompagner vers l'emploi les personnes qui en sont le plus éloignées. Elles y parviennent en combinant, dans un même parcours, l'emploi et l'accompagnement professionnel et social. Pôle emploi est bien entendu un partenaire privilégié des structures d'IAE. Pôle emploi intervient d'abord comme prescripteur. Au vu du profil du demandeur d'emploi, Pôle emploi, normalement aux côtés d'autres acteurs comme les missions locales, le plan local pour l'insertion et l'emploi (Plie) et les missions locales, effectue un diagnostic qui permet d'orienter le demandeur d'emploi vers une SIAE. Ensuite, il y a un agrément délivré par Pôle emploi, qui permet à la personne d'intégrer une structure et, à cette dernière, de bénéficier des aides de l'Etat. Enfin, Pôle emploi intervient dans le suivi et, comme on le verra, ce suivi se passe plus ou moins bien selon les territoires.
En tant que tel, ce schéma nous paraît adapté mais, sur le terrain, les pratiques sont très inégales du fait du fonctionnement plus ou moins actif des commissions techniques d'animation (CTA), qui sont normalement le lieu opérationnel de suivi des parcours. Nous avons réalisé une étude de la gouvernance dans quatre territoires, dont le Doubs, qui le montre clairement. La connaissance de l'offre d'insertion proposée par les structures d'IAE est, dans certains cas, insuffisante et je pense qu'il appartient à Pôle emploi de mieux la faire connaître. Je passe la parole à M. Pascal Duprez, qui entrera plus dans le détail.
M. Pascal Duprez, président de la commission insertion par l'activité économique, emploi et formation de la Fnars. - Il faut commencer par rappeler que le rapprochement de Pôle emploi et des Assedic s'est fait à un moment difficile, avec un afflux des demandeurs d'emploi. Il ne faut pas oublier ce contexte : les agences de Pôle emploi, sur les territoires, ont été déstructurées. Parallèlement, il y a eu la déstructuration des structures partenaires, comme les Direccte, qui sont elles-mêmes issues d'une réforme concomitante à celle de Pôle emploi. L'IAE a elle-aussi été bousculée par de nouvelles modalités de conventionnement et une réforme des conseils départementaux de l'insertion par l'activité économique (CDIAE). Tout cela s'est produit en même temps et a perturbé les relations entre les acteurs. Il n'empêche que des discussions ont pu avoir lieu et qu'elles ont débouché sur un accord-cadre entre l'Etat, Pôle emploi et les SIAE. On en est au stade de sa déclinaison locale, qui est achevée dans certaines régions, mais qui reste encore à faire dans d'autres.
La deuxième remarque que je voudrais faire porte sur les disparités entre les territoires : les relations fonctionnent bien ou très bien dans certains endroits et pas dans d'autres. Les choses marchent bien lorsque les SIAE ont affaire à des interlocuteurs issus de l'ex-ANPE, qui connaissent bien l'insertion par l'activité économique. Ceux-là continuent à utiliser les outils qu'ils connaissent. Ceux qui sont issus de l'indemnisation se retrouvent en revanche face à un monde qu'ils ignorent, ce qui crée des difficultés de relations. Selon les territoires, Pôle emploi peut donc être bien présent ou complètement absent des CDIAE, qui sont pourtant les lieux où est censé se nouer le partenariat entre les SIAE, les Direccte, Pôle emploi et les conseils généraux.
Autre point à souligner : le contexte économique de la fusion a fait de la gestion des flux la priorité, notamment pour assurer l'indemnisation. Dans ces conditions, on ne s'occupe pas des gens les plus en difficulté, dont l'accompagnement exige du temps. Quand on reçoit un chômeur de longue durée en trente minutes, il est impossible d'aborder des problématiques personnelles lourdes en matière de santé ou d'addiction qui peuvent pourtant être des freins importants au retour à l'emploi. Donc, il y a actuellement une contradiction entre les exigences de l'IAE et le traitement de masse du chômage par Pôle emploi.
Pour ce qui est de nos préconisations, j'insiste tout d'abord sur l'importance de l'accord-cadre et de ses déclinaisons régionales et locales, dont je vous ai déjà parlé. C'est important pour dynamiser les relations entre les SIAE et Pôle emploi.
Nous proposons aussi de mettre en place des objectifs chiffrés en matière d'IAE dans les agences de Pôle emploi car, si on laisse un directeur d'agence avec ses seuls objectifs généraux de retour à l'emploi, il n'investira pas ses moyens dans les tâches qui réclament le plus de temps, telles que l'IAE. Donc si on veut que l'IAE soit véritablement prise en compte dans la stratégie de Pôle emploi, il faut l'identifier par des objectifs spécifiques.
Notre troisième préconisation est de former systématiquement les agents de Pôle emploi à l'IAE. Il faut que les SIAE puissent informer Pôle emploi sur ce qu'elles font et, inversement, il faut que les SIAE soient au courant de ce que fait Pôle emploi et de son mode de fonctionnement. La formation et l'information doivent se faire dans les deux sens.
Il est également important de travailler sur les passerelles vers l'emploi plus durable à l'issue de l'insertion par l'activité économique. Il ne faut pas que Pôle emploi ou les missions locales donnent aux SIAE le soin de faire ce travail parce qu'elles n'ont pas les moyens de le faire - ou alors il faut les financer pour cela. Il y a des problèmes très concrets à résoudre. Par exemple aujourd'hui, quand le demandeur d'emploi entre dans une SIAE, il est souvent radié de la liste des demandeurs d'emploi et perd tout droit aux prestations de Pôle emploi. Donc on passe énormément de temps et on perd beaucoup d'énergie à réinscrire des gens qui ont été radiés automatiquement par le système informatique.
La question du contingentement des contrats aidés est un autre point qui appelle une réponse. Les contrats aidés affectés à l'IAE ont été, nous dit-on, sanctuarisés à 65 000, alors que les besoins sont de 80 000. Pôle emploi ne prescrit pas les contrats aidés en fonction des besoins, mais du quota disponible : quand les quotas sont dépassés, les conseillers cessent de prescrire. Cela est très défavorable à l'insertion.
M. Claude Jeannerot, président. - Je vous remercie. Je voudrais vous poser cette question, monsieur le président : s'il y avait une seule mesure à prendre pour améliorer les relations entre l'IAE et Pôle emploi, quelle serait-elle ?
M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. - J'ai compris qu'il y avait un accord-cadre en cours de déclinaison locale et que cela pourrait apporter des réponses à certaines de nos interrogations. Ceci étant, j'ai été étonné de ne pas vous avoir une seule fois entendu évoquer les collectivités territoriales au cours de votre présentation. Or, dans l'IAE, elles jouent un rôle essentiel. Les conseils généraux suivent les bénéficiaires du RSA, qui font souvent partie du public de l'IAE. Les plans locaux pour l'insertion et l'emploi sont en général présidés par des élus et définissent la feuille de route en matière d'insertion, où l'IAE prend toute sa place. Nous avons remarqué, au cours de nos travaux, que le service public de l'emploi, localement, forme une sorte de mosaïque et que les choses s'organisent de manière efficace quand un élu met tout son poids pour impulser des actions cohérentes. Donc j'aurais voulu avoir votre sentiment sur la place des collectivités locales dans le service public local de l'emploi, puisque cela conditionne, me semble-t-il, largement l'efficacité de votre action.
Mme Annie David. - Je voudrais prolonger les propos de M. Jean-Paul Alduy en soulignant qu'on ne peut poser la question de la place des collectivités locales sans poser en même temps celle de leurs moyens, car on sait très bien qu'elles ne disposent pas toutes des mêmes ressources pour mettre en oeuvre leur politique sociale. Le problème se pose pour la mise en oeuvre des compétences sociales obligatoires et a fortiori pour les politiques non obligatoires comme l'insertion.
M. Yves Censi. - L'insertion par l'activité économique offre une véritable ingénierie, une ingénierie complexe, qui intéresse d'ailleurs de plus en plus, je voudrais le souligner, les écoles de management. Il s'est créé à l'Essec une chaire d'économie sociale et solidaire. Quel mode de management adopter avec des personnes qui rencontrent des difficultés très différentes et présentent parfois une incapacité à s'adapter ? Ce problème de fond a des conséquences sur les questions que vous avez soulevées.
Vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, on trouve localement des solutions portées par une forte personnalité et, selon les personnalités considérées, les voies suivies sont différentes. Ce que nous défendons, ce n'est pas telle solution plutôt que telle autre, c'est l'idée qu'il n'y a pas d'alternative à l'IAE pour s'occuper des personnes en grande difficulté. L'important est que, sur les territoires, dans leur diversité, à un certain moment, on se dise : la priorité, c'est l'emploi et seule l'IAE peut apporter à ces personnes l'accompagnement pour accéder à l'emploi. C'est un choix politique, sur la base duquel ensuite, on va mettre en place des solutions, des coopérations.
Vous avez parlé des moyens. Il y a au sein du CNIAE un débat entre les représentants des départements et des régions sur le thème : qui va payer ? Mais je trouve que les débats ont trop longtemps été pollués par cette question des moyens. Avant de parler des moyens, il faut parler des objectifs. D'abord, on se rassemble sur les objectifs, ensuite on détermine les modes de financement. Le débat sur le partage des enveloppes a été catastrophique pour le développement de ce secteur et il ne faut pas y revenir. Nous aurons, début juillet, une plénière avec le ministre du travail, M. Xavier Bertrand, qui s'est engagé à signer un maximum de conventions avec les conseils généraux pour fixer les conditions dans lesquelles l'Etat apportera son aide financière.
Reste à trouver la charnière entre les conseils généraux et régionaux, puisqu'on va être confronté à la difficulté de cette ingénierie de l'IAE dont le succès repose sur la diversité et la capacité d'adaptation aux territoires, aux personnes et aux ressources disponibles localement. On va bien sûr retrouver à ce niveau quelques données majeures. D'abord, la question de la capacité de mobilisation, parce que les projets ne vivent pas tout seuls, ils dépendent de porteurs de projets. Donc il faut qu'il y ait un porteur de projet à Pôle emploi. La présence d'un « référent IAE » au sein des agences de Pôle emploi et des directions régionales est essentielle. Pour les collectivités locales, si cette volonté n'existe pas, peut-on les obliger à s'investir ? Je ne le crois pas. On va retrouver, par exemple, le problème de la question des clauses sociales, qui sont extrêmement efficaces. Mais, là encore, doit-on les rendre obligatoires avec de véritables quotas ou doit-on mobiliser les collectivités sur ce thème et les convaincre d'utiliser au maximum cet outil ? Ce que je sais, c'est que, lorsqu'on parvient à les rassembler et qu'on trouve des porteurs de projet, c'est un outil très efficace. Pour finir, je dirai que la clé n'est pas dans l'obligation, dans la création d'un modèle unique. En matière d'insertion par l'activité économique, quelle que soit la structure institutionnelle, elle restera toujours une coquille vide sans un porteur de projet mobilisé. Ma conviction est que les bonnes volontés existent et qu'il faut les libérer. La bonne solution institutionnelle, c'est celle qui leur permet de s'exprimer au lieu de leur opposer des freins qui les épuisent.
M. Pascal Duprez. - Je ne suis pas sûr qu'il faille mettre des systèmes identiques partout. Il faut disposer d'une boîte à outils qui permette à chaque territoire de choisir celui qui lui convient le mieux. Ce que nous réclamons, c'est de l'autonomie, de l'initiative et des moyens. Il faut avoir un réel CDIAE : c'est le lieu où tous les acteurs devraient être présents. C'est sur ce point qu'il faudrait renforcer l'obligation, au besoin par un texte. Il ne suffit pas de prévoir que les acteurs sont associés, parce qu'ils peuvent très bien ne pas être présents. Je l'ai constaté s'agissant de Pôle emploi. Les conseils généraux y sont plus ou moins. Les partenaires sociaux y sont en théorie. Et puis il faut renforcer le lien avec le pacte territorial d'insertion. Les conseils généraux en sont en charge, mais certains l'élaborent tout seuls ! Il faut en faire un pour telle date, alors on en fait un, mais ce n'est qu'un papier.
Le service public de l'emploi local (SPEL) peut être l'outil adéquat pour assurer une bonne coordination. A ce niveau de maille, autour du sous-préfet, il y a des choses à faire. C'est peut-être le bon niveau pour organiser les structures d'insertion par l'activité économique. Je prends un exemple : quelqu'un qui est public de l'Etat, c'est-à-dire qui ne relève pas du RSA, est géré par l'Etat ; quelqu'un qui est allocataire du RSA est géré par le conseil général. C'est un système cloisonné. Or, cette distinction concerne les modalités de financement mais est sans conséquence sur la nature de l'accompagnement dont bénéficient les personnes dans le cadre de l'IAE. Donc l'IAE suppose de faire dialoguer des systèmes qui ne se parlent pas et de dépasser le cloisonnement des financements.
M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. - J'entends bien ce que vous dites, mais il y a tout de même quelque chose de désespérant. On voit bien sur certains territoires ce qui marche, mais, au nom de la diversité, on dit : laissons chacun s'organiser. Alors je reviens sur les Plie : le rôle des Plie était bien de faire ce que vous dites. Il y avait cette instance départementale, qui était l'instance de gouvernance, et le Plie était l'instance opérationnelle, qui fixait la feuille de route et coordonnait les différents acteurs. Dans certains endroits, on voit la mission locale, la maison de l'emploi et le Plie réunis dans une même structure. Il y a dix-huit bassins d'emplois dans ce cas. Je crois que cette mission d'information devrait être l'occasion de dégager certaines idées force et cette idée ne peut pas être : la France est diverse, donc gardons la diversité. Quand on a construit la politique de la ville, on a fait les contrats urbains de cohésion sociale (Cucs). Je ne dis pas que c'est formidable, mais il y a tout de même une sorte de cahier des charges de base et un comité de suivi. On évalue. Le premier Cucs n'est pas terrible, mais le suivant est un peu mieux. Bref, il me semble, et pourtant je suis plutôt un girondin, qu'il y a tout de même un certain nombre d'outils qu'il faut rendre obligatoires si on veut faire progresser le dispositif. Il y a urgence. Il y a des trésors de compétences qui sont démolis, des chantiers d'insertion qu'on ferme, des régies de quartier qui disparaissent. Il y a une entreprise d'insertion qui fonctionne pendant quelques années, puis qui disparaît subitement parce qu'un des acteurs institutionnels se désinvestit. Un minimum de structure est donc nécessaire pour éviter ce gâchis. Les Plie, normalement, devraient nous éviter ce gâchis.
Mme Annie David. - Au-delà de la perte d'outils et de compétences, ce sont aussi des drames pour des femmes et des hommes qui se retrouvent encore plus fragilisés.
M. Yves Censi. - On retrouve ici les discussions que nous avons au sein du CNIAE. Pour ma part, je pense que la multiplication des outils, pas plus que l'obligation de les utiliser, ne se traduiront par une meilleure insertion. Nous sommes sur un terrain spontanément très fertile. L'insertion par l'activité économique est un modèle économique, je n'ai pas peur d'utiliser cette expression de « modèle économique », très dynamique. L'IAE, ce n'est pas que du social, c'est aussi un modèle d'action économique responsable, qui a certes besoin d'un accompagnement public pour être viable, mais qui reste malgré tout une démarche économique de création de richesse et d'utilité sociale. Ce type d'entreprise a donc besoin qu'on la laisse vivre. Il y a donc besoin d'une aide publique, aide dont le niveau global est déterminé en loi de finances, mais la difficulté est dans la mise en oeuvre de l'aide. J'ai beaucoup de respect pour la DGEFP, mais l'Etat doit comprendre que le temps où on disait « nous avons trouvé des solutions moyennes et uniformes applicables à toutes les structures » est révolu. Il faut mettre au point des critères d'évaluation souples et modernes. Il faut se dire que la politique de l'emploi aujourd'hui en France, ce doit être une politique qui confie une délégation de service public à ces structures sans regarder dans le détail ce qu'elles font. Pôle emploi pourrait utilement entrer dans ce processus.
M. Pascal Duprez. - Je souhaiterais revenir sur certaines de nos propositions. Il nous paraît utile d'inciter à la constitution de conférences de financeurs. Il faut aussi élaborer des contrats pluriannuels d'objectifs, avec des moyens afférents à ces contrats. Il faut aussi trouver des moyens d'évaluation de la performance qui aient un sens statistiquement. Quand on dit à une structure d'IAE qu'elle a de bons résultats une année parce qu'elle place une personne et de mauvais résultats l'année suivante parce qu'elle n'en place pas, cela n'a pas de sens. Il vaut mieux avoir une vision globale au niveau d'un CDIAE, où on apprécie la performance collective sur un territoire. Il nous paraît utile aussi de prévoir les moyens pour mettre en oeuvre l'accord-cadre, car signer un accord est une chose, l'animer en est une autre. Par exemple, à Pôle emploi, au niveau national, il n'y a même pas une personne qui s'occupe à temps complet du partenariat avec l'IAE. On a une personne à mi-temps qui va s'occuper de la coordination des partenariats locaux : est-ce efficace ? C'est la même chose au niveau des agences de Pôle emploi. Il faut aussi que Pôle emploi participe aux diagnostics territoriaux sur les publics et les besoins en emploi. Les enquêtes de besoin en main-d'oeuvre actuelles ne reflètent pas la réalité des besoins de l'économie sociale et solidaire. Pour resserrer les liens entre Pôle emploi et l'IAE, nous pensons par ailleurs qu'il faut non seulement un « référent IAE » dans chaque agence, mais aussi un « correspondant IAE » au sein de la direction régionale de Pôle emploi. Il faut en outre s'appuyer davantage sur les structures d'IAE pour développer des activités nouvelles. Si vous considérez par exemple des domaines comme la récupération des déchets, la valorisation du patrimoine ou l'éco-construction, vous verrez que les entreprises d'IAE ont eu un rôle pionnier. Mais leur développement est bloqué par le contingentement des contrats aidés. Cela crée une incertitude qui bloque le développement des entreprises d'insertion. Comment se lancer sur un marché, même comportant des clauses sociales, si on ne sait pas si on pourra disposer de contrats aidés ?
M. Claude Jeannerot, président. - Merci pour ces contributions précieuses.
Audition de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé
M. Claude Jeannerot, président. - Au terme de nos travaux, nous souhaitons vous entendre, monsieur le Ministre, sur le fonctionnement de Pôle emploi. Vous réfléchissez à une nouvelle feuille de route : c'est le bon moment pour vous interroger. Quels changements pourraient être initiés par l'Etat dans le cadre du renouvellement de la convention tripartite ? Quelles sont les intentions du gouvernement sur le plan budgétaire ?
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. - J'ai pris mes fonctions il y a sept mois, mais je m'intéressais déjà à Pôle emploi en tant qu'élu local et parlementaire... La fusion entre l'ANPE et les Assedic, on en parlait depuis vingt ans, sans la faire. Elle est enfin réalisée. Il ne s'agissait pas de produire un meccano administratif, mais un outil au service des demandeurs d'emploi et des entreprises. Une crise sans précédent est intervenue et le nombre des demandeurs d'emploi a augmenté comme jamais : un demi-million de plus en un court laps de temps.
On voulait créer un lieu unique pour aider les chômeurs dans leur recherche d'emploi et traiter leur dossier d'indemnisation, faire plus simple et plus efficace ; on entendait aussi aider les entreprises en relayant les offres d'emplois. La fusion consistait à marier deux institutions de cultures différentes, deux catégories de personnels, deux systèmes informatiques, etc. Le rendez-vous était incontournable, le défi inégalé, mais tout ce qui a été réalisé est désormais un acquis. Après la fusion, après le choc de la crise, à présent que nous sommes dans l'après-crise, une nouvelle feuille de route m'a parue nécessaire.
Pôle emploi est un acteur incontournable mais non exclusif de la politique de l'emploi. Or toute la pression est focalisée sur cette institution et sur ses agents. La part de marché de Pôle emploi pour la collecte des offres d'emploi n'est pourtant que de 18 %. A Suresnes récemment, un chef d'entreprise m'a dit : « Pôle emploi, ça ne va pas ». Quand je l'ai interrogé, il m'a expliqué qu'il préférait passer par des cabinets de recrutement, qui attirent des salariés déjà en poste dans d'autres entreprises, en leur proposant de meilleures conditions salariales, mais ne cherchent pas des chômeurs. Pôle emploi ne répond donc pas au besoin de ce chef d'entreprise. Trop souvent, on dit comme lui que Pôle emploi « ça ne va pas », sans réfléchir à ce que l'on peut ou non lui demander. Les agents ont à coeur d'aider les demandeurs d'emploi. Ils ont su être au rendez-vous. Mais leur charge de travail a beaucoup augmenté avec la crise...
La centralisation était indispensable au moment de la fusion. En période de sortie de crise, il faut déconcentrer pour gagner en réactivité ; ce sont les agences locales qui sont les mieux à même de répondre aux multiples enjeux. Je pourrais vous parler des procédures d'accueil simplifiées, du parc immobilier en restructuration, des formations de plus en plus nombreuses, du numéro de téléphone unique. Je précise que la grande enquête de satisfaction menée auprès de 100 000 demandeurs d'emploi et de 30 000 entreprises a montré que les résultats étaient là. Comme le rapport intermédiaire sur la mise en oeuvre de la convention tripartite l'a mis en évidence, la crise a ralenti la fusion. Il y a eu le rapport de l'Inspection général des finances (IGF), qui procédait à une comparaison entre pays, le rapport du Conseil économique, social et environnemental, assorti de recommandations, le rapport du Centre d'analyse stratégique (CAS), qui appelle à plus d'autonomie des conseillers - je le souhaite aussi. Bientôt votre rapport va compléter ces analyses.
Il y a de fortes attentes pour plus de simplicité dans les démarches, pour un service plus personnalisé. Les agents, quant à eux, veulent plus intervenir dans l'organisation, car ils connaissent leur métier. Je n'élaborerai pas seul dans mon bureau la feuille de route de Pôle emploi, je tiendrai compte des rapports, de ce que disent les partenaires sociaux, les administrateurs de Pôle emploi - j'ai eu une première réunion avec ces derniers et j'ai constaté que nous n'étions pas très éloignés les uns des autres. Le 11 mai, j'ai réuni le comité de suivi de la convention tripartite ; nous aurons une autre réunion en juillet pour préciser la feuille de route. Car pourquoi attendre le début de l'année 2012 si nous sommes d'accord dès maintenant sur le nouvel esprit à insuffler ?
Le chômage a augmenté au mois de mai, après une période de baisse : 17 700 chômeurs de plus, il faut redoubler d'efforts. Les résultats sont très liés à la conjoncture économique ; en avril et mai, la consommation a été inférieure à celle du premier trimestre. Je veux plus d'apprentissage, plus d'emplois aidés, une mobilisation du service public local de l'emploi, une personnalisation des services en fonction des besoins et une plus grande marge de manoeuvre donnée au niveau régional, départemental, et surtout local. Parce qu'il faut se situer au coeur des territoires, j'ai demandé aux sous-préfets de réunir, tous les mois, les acteurs du service public de l'emploi, le SPEL.
Le pilotage, au sein de Pôle emploi, doit passer d'une logique de moyens à une logique d'impact. Nous consacrons de nouveaux moyens à la politique de l'emploi, un demi-milliard d'euros en plus, dont 300 millions d'euros pour les contrats de professionnalisation. La proposition de loi pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels est sur les rails. Enfin, une action sera entreprise pour les métiers en tension.
J'ai une obligation de résultat. J'avais fixé un objectif de baisse du chômage en deçà de 9 %, à une période où personne n'y croyait. Aujourd'hui, on me dit que « ce n'est pas ambitieux »... Si l'on peut mieux faire, j'attends la recette !
M. Claude Jeannerot, président. - Le rapport comparatif de l'IGF montre que les moyens consacrés en France au service public de l'emploi sont inférieurs à ceux constatés en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Quelle conclusion en tirez-vous ?
Une baisse d'un mois de la durée moyenne du chômage, c'est un gain de 2,2 milliards d'euros pour l'assurance chômage. Peut-on en tirer des enseignements pour mieux attribuer les moyens ?
M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. - La réforme était incontournable et l'essentiel a été réalisé. Personnalisation des parcours, marges de manoeuvre données aux agences, action au coeur des territoires, logique d'impact : vos propos et nos propres orientations sont en phase. Cependant, où est la culture de la performance dans ce dispositif ? Impact et performance ne sont pas équivalents. Personne n'est capable d'analyser les critères de performance inscrits dans la convention tripartite... Chaque mois, 500 000 personnes sortent de la liste des demandeurs d'emploi, sans que l'on sache ce que deviennent 200 000 d'entre elles - ont-elles retrouvé un travail par elles-mêmes ? Le comité de suivi de la convention tripartite ne s'est réuni que très irrégulièrement et les critères de performance ne font pas l'objet d'un suivi suffisant. N'est-il pas possible d'envisager une gouvernance plus centrée sur les performances et moins sur les moyens ? Cela renvoie aussi à la question de la composition du conseil d'administration et à la façon dont on discute le budget avec l'Unedic.
Vous avez parlé des territoires. En Picardie, missions locales, maisons de l'emploi, et plans locaux pour l'insertion et l'emploi se sont regroupés, ce qui contribue à simplifier la mosaïque du SPEL. Pourquoi ne pas favoriser de tels regroupements par de meilleures dotations budgétaires ? La gouvernance du SPEL est encore faible. Les collectivités sont diversement associées : certains départements ont signé des conventions avec Pôle emploi, mais pas tous, et leur nombre est en recul sur les trois dernières années. De même, peu de régions ont créé des plateformes de formation communes avec Pôle emploi pour coordonner leurs achats. Quant au bloc communal, il est peu sollicité. Les sous-préfets, qui sont missionnés pour animer avec plus de régularité le SPEL, changent d'affectation tous les deux ans : or une continuité est nécessaire. Le triangle Pôle emploi, Etat et collectivités territoriales mérite d'être revu, avec le souci de l'efficacité des sommes investies plutôt qu'une logique comptable.
M. Alain Gournac. - Cette mission a été très bien menée. Je félicite le président et le rapporteur ainsi que les autres membres de la mission pour le travail accompli. Je fournirai une contribution si le rapport s'écarte de ce que j'ai moi-même perçu durant nos travaux.
Il est très bien d'avoir fait la fusion ; le personnel est très engagé, malgré des cultures différentes. J'ai constaté aussi le professionnalisme des agents, au cours des discussions que nous avons pu avoir avec eux. Mais ils sont débordés, or un contact de qualité ne peut être trop rapide.
La procédure d'appels d'offres pour le recours aux opérateurs privés de placement n'est pas satisfaisante. Je souhaiterais plus d'intelligence dans cette procédure, afin que chaque opérateur exploite au mieux ses points forts et contribue à de meilleures performances. Le système peut mieux fonctionner. De l'argent est investi. Il faut des résultats humains, et une meilleure considération de la personne afin de la remettre au travail.
Mme Annie David. - Vous avez raison, monsieur le ministre, de dire que la fusion a coïncidé avec la crise et que le chômage a augmenté. Pourquoi alors ne pas avoir, comme certains le demandaient, repoussé sa mise en oeuvre et pourquoi avoir décidé ensuite des suppressions de postes ? Vous saviez que la fusion ne serait pas simple. Mariage d'institutions différentes, avez-vous dit. Or les mariages forcés sont toujours difficiles au début. Parfois, sur la durée, ils se passent bien - ce serait le cas ici, selon vous. Je l'espère...
Vous annoncez de nouvelles suppressions de postes, sans que l'on soit fixé sur le statut exact de Pôle emploi. Votre collègue, M. François Baroin veut en tout cas soumettre Pôle emploi à la RGPP ! Comment les agents auront-ils dans ces conditions plus de moyens pour travailler ?
Comment prenez-vous en compte les risques psycho-sociaux ? Le rapport du Conseil économique, social et environnemental, tout comme certains comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), soulignent que le problème est bien réel. Croyez-vous résoudre quoi que ce soit avec une simple ligne d'écoute ?
Le chômage, après quelques mois de baisse, a augmenté en mai. Que faites-vous pour lutter contre la désindustrialisation ? Un site de Siemens va fermer à Grenoble, victime d'une délocalisation, et des emplois sont supprimés. Pourquoi ne menez-vous pas une vraie politique contre les délocalisations ? Ces entreprises traditionnelles comptent de nombreux salariés de plus de cinquante ans, difficiles à reclasser.
Pôle emploi prescrit plus de formations qu'auparavant, dites-vous. Mais lesquelles ? Sont-elles diplômantes ou adaptées à un emploi précis ? La préparation opérationnelle à l'emploi (POE) relève à mon avis de la responsabilité de l'entreprise qui recrute. Il faut aussi clarifier les partenariats et négocier au sein de Pôle emploi sur la classification des métiers qui est une question importante pour les agents.
M. Serge Dassault. - Pôle emploi est centré sur la recherche d'activité professionnelle pour ceux qui ont été licenciés, qui ont une formation, des compétences, une expérience. Les missions locales, elles, s'occupent des jeunes qui n'ont jamais travaillé, qui traînent dans les rues et font parfois des bêtises. Et elles rencontrent bien des difficultés, car elles ne reçoivent pas de dotations substantielles de l'Etat, seulement quelques subsides attribués par les collectivités territoriales. Certains jeunes ne savent pas travailler, parce que personne ne leur a appris. Monsieur le ministre, devant la commission des finances, vous aviez dit que le budget de l'emploi augmenterait de 3 milliards d'euros : ne peut-on en attribuer une petite fraction, 100 millions par exemple, aux missions locales, qui paient des permis de conduire, assurent aux jeunes des formations pratiques, afin que ceux-ci rentrent dans le circuit normal et soient à l'abri de la délinquance ? Pôle emploi et les missions locales sont complémentaires. On aimerait s'en rendre un peu mieux compte dans le budget !
Mme Christiane Demontès. - Centralisation au moment de la fusion, mais plus en sortie de crise : pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Vous avez évoqué la personnalisation des parcours dans la nouvelle convention : quelles directives seront-elles données à Pôle emploi à propos de la gestion des radiations ? Au moment du vote de la loi sur la fusion, on allait répétant que les deux métiers ne feraient plus qu'un. Or partout où nous sommes allés, on nous a affirmé qu'il y avait bien deux métiers à Pôle emploi. Qu'en est-il exactement ? Enfin, quel est votre point de vue sur les partenariats noués par Pôle emploi, et notamment sur ses rapports avec les opérateurs privés de placement ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Pour « redoubler d'efforts » comme vous le souhaitez, monsieur le Ministre, quels moyens humains prévoyez-vous ? La surcharge de travail est telle que chaque conseiller suit un portefeuille de 150 à 300 demandeurs d'emploi. Et pourtant l'on supprime des postes !
M. Charles Revet. - La fusion de l'ANPE et des Assedic relevait du bon sens. Sur le terrain, j'observe que les entreprises qui ont besoin d'un pâtissier ou d'un maçon n'en trouvent pas, malgré le nombre élevé des chômeurs. Pôle emploi devrait pouvoir recenser les besoins et proposer des formations plus pointues
Mme Annie David. - Qualifiantes !
M. Xavier Bertrand, ministre. - Les effectifs de Pôle emploi sont passés de 42 531 ETP avant la fusion à 47 200 en 2010 et 45 400 en 2011, soit plus qu'avant la fusion, contrairement à ce qu'on entend dire. Un renfort particulier a été organisé pendant la crise, il n'avait pas vocation à perdurer. J'ai tout entendu sur les effectifs, mais que l'on cherche à tromper ou que l'on se trompe, la réalité est là !
Il faut comparer ce qui est comparable, et, pour comparer à missions comparables les dotations française, britannique et allemande, il faudrait ajouter tout le personnel et tous les moyens humains mis en oeuvre dans les collectivités locales...
M. Claude Jeannerot, président. - L'IGF l'a fait.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Je le sais. Cependant, quand on procède aux corrections nécessaires, la France se retrouve au niveau de la Grande-Bretagne, et loin de l'Allemagne parce que celle-ci assigne également à son service public de l'emploi une mission d'accompagnement social. Les Jobcentres anglais effectuent une partie des missions de la caisse d'allocations familiales (Caf). Il faudrait pour la France consolider une partie des dépenses des Caf, voire des centres communaux d'action sociale. Tout le monde était tétanisé par le rapport de l'IGF, qui ne fait pourtant que montrer ce qu'affirmait M. Jean-Paul Alduy : la question de la performance a trop été laissée de côté, et cela était déjà le cas avant la fusion. On s'est focalisé sur les process, mais le nombre d'indicateurs imposés à Pôle emploi relève de la pure folie, cinq indicateurs principaux déclinés chacun en dix indicateurs secondaires. Quel temps perdu à les remplir ! Il faut libérer le temps des agents.
Les moyens sont plus importants qu'avant la fusion. La vraie question est la mesure de la performance, et je veux dire à M. Serge Dassault ce que j'ai répondu à l'Assemblée nationale cet après-midi, à savoir que le budget des missions locales cette année est rigoureusement le même que l'an dernier. C'est celui voté par les parlementaires, à quoi s'ajoutent 3 millions d'euros débloqués pour des actions particulières par le ministère du travail, ainsi que 30 millions de contribution décidée par les partenaires sociaux. Nous avons pris le temps de regarder comment améliorer le taux d'insertion des jeunes par les missions locales, qui varie entre 18 % et 62 %. Il est forcément moins bon dans un territoire qui compte trois zones urbaines sensibles, mais à 18 %, l'on peut progresser un peu. Derrière la logique de la performance, il y a des jeunes qui trouvent un emploi. Les missions locales ont un meilleur retour sur investissement que d'autres opérateurs - souvenez-vous du débat entre contrats d'autonomie et contrats aidés avec accompagnement par les missions locales, dont nous voulons conforter le rôle.
Mme Christiane Demontès m'a interrogé sur les deux métiers de Pôle emploi : l'objectif était de rendre 20 % des agents polyvalents, ce qui ne me paraît pas incongru. En revanche, il n'a jamais été question d'aller à 100 %.
J'en viens aux radiations : je l'ai dit aux administrateurs de Pôle emploi, ce n'est pas grâce aux radiations que nous ferons baisser les chiffres du chômage. Cela dit, il y a des règles à respecter : lorsque tel n'est pas le cas, le demandeur d'emploi est radié, et s'il respecte ensuite les règles, il est réintégré. D'ailleurs, il n'y a pas d'évolution notoire des chiffres des radiations. S'il en allait autrement, faites confiance aux agents de Pôle emploi et aux partenaires sociaux pour le faire savoir.
Vous m'avez également interrogé sur les risques psychosociaux : un plan d'action a été élaboré, mais les syndicats n'ont pas voulu le signer. Des niveaux d'alerte ont été définis et une ligne d'écoute est en place pour prendre en compte les problèmes de détresse.
Mme Annie David. - Une ligne d'écoute, c'est bien, mais il faudrait faire plus !
M. Xavier Bertrand, ministre. - Que faites-vous du plan d'action ?
Mme Annie David. - Il n'a pas été signé par les syndicats !
M. Xavier Bertrand, ministre. - Il a quand même été mis en oeuvre : je préfère un plan, même unilatéral, à une absence de plan. Les risques psychosociaux posent un problème de santé publique, mais sont aussi un sujet de société. Il faut que les entreprises comprennent qu'elles peuvent toutes être concernées.
Je n'ai jamais fait de visite traditionnelle à Pôle emploi : à chaque fois que je me suis rendu dans des agences, j'ai été voir les agents et je leur ai demandé si nous pouvions leur simplifier la vie. Plusieurs d'entre eux se plaignent de la durée des entretiens : trente minutes, c'est parfois trop court. Ils ne peuvent se permettre de déborder car ils ont un portefeuille de demandeurs d'emplois à gérer et d'autres rendez-vous les attendent. Je suis persuadé que certains demandeurs d'emploi n'ont pas besoin de rendez-vous réguliers, ce qui permettrait d'accorder plus de temps à ceux qui en ont vraiment besoin. En même temps, je pense qu'un entretien en face à face doit être de droit pour ceux qui le demandent.
J'en viens aux métiers en tension. Les agents perdent beaucoup de temps à trouver des formations pour ces métiers, d'autant que la plupart des offres de formations sont décidées au niveau régional et ne correspondent pas toujours aux besoins. Il faudrait donner un droit de tirage aux agences locales pour qu'elles ne dépendent pas des appels d'offres régionaux. En outre, ces agences n'ont pas de budget pour organiser des rencontres, notamment avec les employeurs ; elles doivent demander des crédits au niveau départemental ou même régional. Tout cela doit être simplifié.
Autre exemple de lourdeur administrative : quand il arrive à Pôle emploi, un demandeur d'emploi indique au conseiller dans quels secteurs d'activités il souhaite travailler. Or, le système informatique ne permet de cocher que deux cases. Si trois ou quatre secteurs l'intéressent, il ne sera avisé des offres d'emploi que dans deux secteurs. Ne croyez-vous pas qu'une réforme pratique s'impose ici, d'autant plus qu'elle serait facile à mettre en oeuvre ? De plus, il faudrait que le premier rendez-vous soit moins administratif qu'il ne l'est aujourd'hui et que la question de l'orientation soit abordée d'emblée.
La formation maintenant : à Rennes, le fonctionnement de la direction régionale de Pôle emploi a été décentralisé et chaque agence dispose d'un droit de tirage pour anticiper les demandes de formation. Je veux développer ce système sans attendre janvier 2012. J'ai obtenu l'autorisation du Président de la République et du Premier ministre de travailler en direct avec les sous-préfets, qui tiennent des réunions régulières pour inscrire Pôle emploi dans les territoires. Pour l'instant, l'organisation reste un peu institutionnelle et je souhaite qu'elle devienne plus opérationnelle.
M. le président Claude Jeannerot a dit que si la durée du chômage baissait d'un mois, 2,2 milliards seraient économisés. C'est vrai, mais un autre chiffre m'interpelle : aujourd'hui, le temps moyen pour satisfaire une offre d'emploi est de trente-trois jours. Si nous raccourcissions ce délai d'une journée, on compterait 10 000 chômeurs de moins.
Aujourd'hui, 250 000 offres d'emplois ne trouvent pas preneur alors que notre pays compte 2 680 000 chômeurs. C'est incompréhensible pour nos concitoyens ! En mars, Pôle emploi a publié une étude d'où il ressortait que 36,7 % des offres d'emplois étaient difficiles, longues et parfois impossibles à pourvoir. C'est sans doute dû à des problèmes de formation initiale, d'adaptation à l'emploi, mais parfois aussi de motivation.
Mme Annie David. - Et les salaires ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Et les conditions de travail ?
M. Xavier Bertrand, ministre. - Comme nous sommes en sortie de crise, j'ai bien l'intention de faire appliquer la loi qui impose aux demandeurs d'emploi d'accepter un poste après deux offres raisonnables d'emploi : l'absence de motivation ne doit pas être un frein à l'emploi.
Je veux que tous les mois, nous examinions de près trois à cinq métiers en tension afin d'y ramener les demandeurs d'emploi. Je crois à la méthode de recrutement par simulation qui permet de faire abstraction du manque de diplômes ou d'expérience professionnelle. Or, nombre de chefs d'entreprise ne connaissent pas encore cette méthode et s'y intéressent pour peu qu'on leur en parle - je viens encore de le constater dans les Ardennes.
J'ai la ferme intention de faire passer le chômage en-dessous de la barre des 9 %, et les chiffres d'aujourd'hui ne remettent pas en cause ma détermination. Quand un chef d'entreprise s'installe dans une région, il veut être sûr de pouvoir trouver une main d'oeuvre qualifiée qui réponde à ses attentes. Les politiques, qu'ils soient de gauche ou de droite, devront aller vers une société du plein emploi. La gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) et la gestion territoriale des emplois et des compétences (GTEC) devront rapidement se développer. Ainsi, la principale préoccupation de Total qui investit au Havre est de savoir si nous serons capables de former d'ici quelques années, des personnels en nombre suffisant pour satisfaire ses offres d'emplois.
Enfin, comme vous, j'estime que la politique du « zigzag » en matière de recours à la sous-traitance n'est pas de bonne méthode, car l'on perd en efficacité : Pôle emploi doit travailler en confiance avec tous ses partenaires.
Mme Nicole Bonnefoy. - Vous parlez de métiers en tension. Je veux vous parler de jeunes en tension : dans ma permanence, je vois tous les jours des familles qui me disent que leur fils, leur fille veulent se former en alternance mais que trouver un entreprise qui les accepte relève d'un véritable parcours du combattant. Il y a encore une heure, une mère me disait que son fils ne parvenait pas à trouver une formation en alternance.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Quelle formation en alternance ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Peu importe. En l'occurrence, il s'agissait d'un BTS.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Mais quel BTS ? Certes, il y a 158 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans qualification mais combien de jeunes s'engagent dans des formations sans débouchés ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Dans les métiers du bâtiment ?
M. Xavier Bertrand, ministre. - J'ai récemment visité en Savoie un centre de formation des apprentis (CFA) qui dispose de deux cents places vacantes : qu'attend Pôle emploi pour passer une convention avec le secteur du bâtiment et avec le CFA afin de former des demandeurs d'emploi pour ces métiers ? Je pense aussi à ce que j'ai fait dans un quartier difficile de ma ville, Saint-Quentin : j'ai réuni dans un centre social tous les services en charge de l'emploi et des agences d'intérim et nous avons réussi à procurer à quinze jeunes un emploi ou une formation qualifiante et quatorze autres sont en attente d'une réponse. Il faut faire du maillage au plus près du terrain.
Mme Nicole Bonnefoy. - C'est aussi ce que je fais.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Et ça marche !
Mme Nicole Bonnefoy. - Pas toujours...
M. Xavier Bertrand, ministre. - On a trop tendance à parler du chômage en fonction des statistiques. Mais c'est surtout une lutte de tous les jours pour mailler le territoire. Et puis, les jeunes sont-ils prêts à affronter le monde du travail ? Enfin, il faut avoir le courage de dire aux jeunes de ne pas s'engager dans certaines formations qui n'offrent pas de débouchés.
M. Serge Dassault. - De nombreux jeunes qui cherchent un emploi en apprentissage ne trouvent pas d'entreprise prête à les accueillir. En outre, les jeunes qui ne trouvent pas de travail ne sont pas comptabilisés parmi les demandeurs d'emploi alors qu'ils sont oisifs et qu'ils traînent dans les rues. Vous devriez intégrer ces jeunes dans les missions locales.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Contrairement à d'autres, mon budget n'a pas diminué par rapport à l'année dernière.
M. Serge Dassault. - Mais les conseils régionaux ne financent pas suffisamment les CFA, et les chambres de commerce font ce qu'elles peuvent. La formation professionnelle doit revenir dans les collèges : il faut un collège pour tout le monde, pas un collège unique.
M. Charles Revet. - Je crois beaucoup à la formation en alternance. Or les jeunes ont du mal à trouver des entreprises qui les accueillent. Ne faudrait-il pas revoir les conditions d'accueil de ces jeunes, d'autant qu'ils coûtent souvent plus cher à l'entreprise qu'ils ne lui rapportent, surtout la première année ? Il nous faut réfléchir au meilleur moyen d'augmenter le nombre des entreprises qui accueillent des apprentis.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Pendant des années, la formation professionnelle a été le parent pauvre de l'éducation nationale.
Mmes Christiane Demontès et Annie David. - Cela a bien changé !
M. Xavier Bertrand, ministre. - Je me souviens encore de ce camarade de classe, quand j'étais collégien, qui allait être orienté vers un apprentissage en chaudronnerie et qui s'inquiétait de la réaction de ses parents. Je l'ai revu quelques années plus tard, et il avait bien réussi dans son activité professionnelle. Le regard porté sur ces formations, par les enfants, les parents et la société doit encore changer.
Par ailleurs, quand nous allégeons les charges, ce n'est pas pour faire des cadeaux aux entreprises mais pour compenser le temps passé à former les apprentis.
M. Claude Jeannerot, président. - Merci pour votre intervention, monsieur le ministre.