Mardi 21 juin 2011
- Présidence de M. Claude Jeannerot, président -Audition de M. Christian Charpy, directeur général de Pôle emploi
M. Claude Jeannerot, président. - J'accueille avec plaisir le directeur général de Pôle emploi, M. Christian Charpy. Nos auditions arrivent quasiment à leur terme et nous avons souhaité, monsieur le directeur général, vous donner un « droit de réponse ». Depuis le début de nos travaux, beaucoup de critiques ont été formulées à l'égard de Pôle emploi. Je m'en suis d'ailleurs fait l'écho devant les directeurs régionaux, au nom de la mission commune d'information, il y a quelques jours. Nous avons entendu les syndicats, les associations de chômeurs, les opérateurs privés de placement, les opérateurs de formation, les collectivités territoriales : ces nombreux acteurs portent un jugement contrasté sur Pôle emploi. Nous souhaiterions vous permettre de répondre aux observations formulées au cours de nos travaux. Par ailleurs, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vient d'adopter un avis sur Pôle emploi auquel vous souhaiterez sans doute réagir. Enfin, cette audition nous permettra d'obtenir des précisions sur un certain nombre de points. Notre rapporteur, M. Jean-Paul Alduy, vous a adressé une liste de questions.
M. Christian Charpy, directeur général de Pôle emploi. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est avec beaucoup de plaisir que je me retrouve devant vous pour cette seconde audition. Je reconnais que votre mission a conduit un travail considérable de rencontres, d'auditions et aussi de visites sur le terrain, qui vous ont permis de sentir la réalité de ce qu'est au quotidien le travail des conseillers de Pôle emploi. Au niveau de la direction générale, nous avons tout fait pour faciliter votre travail et votre mission.
Tout d'abord, j'ai pris effectivement connaissance avec intérêt du rapport du CESE. Les éléments qui figurent dans ce rapport ne me choquent pas. En outre, contrairement aux premières impressions à la lecture de la presse, ce rapport est assez équilibré. Le diagnostic du CESE montre que le processus de fusion a bien été effectué. Cette fusion a été menée en assurant la continuité du service : l'inscription, l'indemnisation et le démarrage de l'accompagnement des demandeurs d'emploi.
Nous avons réussi à assurer de manière satisfaisante la complémentarité de nos deux métiers, avec un socle commun de compétences. Nous avons intégré le personnel d'orientation de l'Afpa. Enfin, nous avons mis en place l'ensemble de la structure juridique de Pôle emploi et sa structure managériale. Cependant, il reste bien sûr des actions à accomplir : certaines visent à renouer avec les ambitions initiales de Pôle emploi et d'autres consistent en des ajustements ou des transformations qu'il faudra réaliser au cours des prochaines années.
La principale critique émise contre Pôle emploi a trait à la promesse initiale d'un renforcement de l'accompagnement personnalisé des demandeurs d'emploi. Effectivement, au début de la réforme, l'ANPE assurait un suivi personnalisé avec des portefeuilles d'environ soixante-quinze demandeurs par conseiller. Alors que le chômage baissait, il semblait réaliste d'assigner à Pôle emploi la cible de soixante demandeurs par conseiller. Malheureusement, cette cible est devenue inatteignable, compte tenu de la progression massive du nombre de chômeurs. Même si nous avons accru les effectifs de Pôle emploi au début de la crise, nous ne l'avons pas fait dans les mêmes proportions que certains de nos collèges européens. Les Britanniques ont en effet embauché 18 000 conseillers en l'espace de quelques mois et ont investi près de 5 milliards de livres sterling. Nous avons été moins ambitieux dans la réponse en termes de moyens, d'abord parce que nous ne savions pas que la crise serait durable et d'une grande ampleur, et ensuite parce que la création de Pôle emploi laissait apparaître des synergies que la fusion permettrait de dégager. Il est incontestable qu'il y a eu des synergies. Par exemple, le poids des fonctions supports au sein de Pôle emploi s'est réduit significativement. Par conséquent, une partie des effectifs a pu être redirigée vers des fonctions d'accompagnement ou d'indemnisation. Cependant, malgré les 3 000 agents supplémentaires que nous avons embauchés, nous ne sommes pas à la hauteur des besoins.
Nous pouvons et nous devons poursuivre les synergies, la réduction des fonctions supports, mais aussi la réduction des effectifs de la direction générale, des directions régionales et des directions territoriales. Toutefois, l'augmentation du nombre de chômeurs de 1,9 à 2,7 millions rend difficile notre mission. Nous avons préféré nous concentrer sur l'accompagnement des chômeurs en plus grande difficulté, que ce soit les licenciés économiques ou les personnes loin de l'emploi, en les prenant en charge soit directement au sein de Pôle emploi par les équipes spécialisées, soit en ayant recours à la sous-traitance. Par rapport à notre ambition initiale, il nous reste encore du travail à faire. Les travaux menés par l'inspection générale des finances (IGF) montrent que cette réorientation peut passer par une poursuite des redéploiements internes et aussi, peut-être, par une redéfinition des priorités et des moyens. Sur ce point, ce sera au Gouvernement de dire ce qu'il souhaite faire, et je pense que vous aurez l'occasion d'interroger à ce sujet le ministre de l'emploi.
Le deuxième sujet sur lequel nous devons avancer est celui de la gouvernance, qui implique à la fois la place des partenaires sociaux, la procédure d'élaboration du budget et puis, globalement, le pilotage de Pôle emploi. J'ai lu avec beaucoup d'attention ce qu'ont dit les partenaires sociaux au cours de leur audition et je les ai rencontrés à plusieurs reprises. Il y a véritablement un problème de gouvernance, puisque le tripartisme est déséquilibré. Bien que les partenaires sociaux aient une place prépondérante au conseil d'administration, où ils détiennent les deux tiers des sièges, et bien que le budget ne puisse être approuvé sans leur accord, l'Etat garde une prééminence dans la fixation de la politique de l'emploi. En effet, l'Etat a considéré que Pôle emploi était un opérateur de l'Etat et que, par conséquent, ses moyens et ses effectifs devaient être fixés en loi de finances : par conséquent, des décisions importantes qui concernent Pôle emploi sont prises en dehors du conseil d'administration. Je considère néanmoins que les partenaires sociaux, au sein du conseil, jouent un rôle réel, à égalité avec l'Etat, sur différents sujets, comme la définition des implantations territoriales, l'offre de services, les dispositifs d'aide et les conventions passées avec nos partenaires. En revanche, sur certaines décisions structurantes, notamment de nature financière, les décisions sont prises en amont. Peut-on changer cette situation ? Après les tensions qui ont accompagné l'adoption du projet de budget fin 2010, nous nous sommes demandé si nous ne pouvions pas, au cours de l'été précédant l'examen du projet de loi de finances, lorsque les premiers arbitrages se décident, avoir une procédure d'information du conseil sur les évolutions du budget et des effectifs. Je pense que le ministre souhaiterait mettre en oeuvre cette procédure. Cependant, la question du calendrier reste posée : les grands équilibres budgétaires sont arrêtés au moment du débat d'orientation budgétaire, entre le début de l'été et le début du mois de septembre. Si le conseil d'administration est informé en amont, il n'est pas sûr que son avis sera suivi.
Enfin, je regrette que certaines initiatives un peu maladroites aient pu être mal ressenties. Par exemple, quand le ministre de l'économie et le secrétaire d'Etat chargé de l'emploi ont mandaté l'IGF pour réaliser un benchmark sur Pôle emploi, j'en étais informé, mais le conseil d'administration, lui, ne l'a appris que par hasard dans la presse. Je n'avais pas porté une grande importance à se sujet, mais le conseil d'administration n'a pas apprécié que la décision ait été prise sans qu'il en soit informé.
En ce qui concerne le pilotage global de Pôle emploi, je suis parfaitement conscient de deux éléments. Premièrement, nous pilotons Pôle emploi trop largement par des indicateurs d'activité et de moyens, et pas assez par des indicateurs de résultats. Nous devons observer la manière dont les demandeurs d'emploi, pris en charge par notre organisme, sortent du chômage. Nous allons pouvoir évoluer sur ce point, mais jusqu'à présent, nous ne connaissions que les sorties de chômage déclarées ; en revanche, nous ne savions rien des chômeurs qui disparaissaient de nos listes parce qu'ils ne s'étaient pas actualisés. Cette dernière catégorie concerne entre 150 et 180 000 personnes par mois. Nous ne savions pas ce que devenaient ces personnes, sauf lorsque nous faisions une enquête rétrospective, en les interrogeant sur leur situation. Nous avons décidé de récupérer en 2012 l'ensemble des déclarations préalables d'embauche, afin d'obtenir toutes les données nominatives concernant les personnes ayant signé des contrats. Nous compilerons ces données (nom, numéro de sécurité sociale, type d'emploi retrouvé, secteur d'activité, niveau de qualification), exclusivement à des fins statistiques, pour pouvoir faire des recoupements de fichiers. Nous pourrons, ainsi, obtenir des taux de sortie du chômage vers l'emploi, aux niveaux national, régional et territorial. Cependant, peut-on comparer des sorties du chômage dans des bassins d'emploi différents ? L'abondance ou la rareté des offres proposées, dans un bassin d'emploi donné, ne relève pas de notre responsabilité. Nous évaluerons ensuite l'efficacité des différentes prestations suivies par les demandeurs d'emploi. Par conséquent, dès 2012, nous travaillerons sur la mise en place d'indicateurs de résultats.
Néanmoins, nous ne devons pas complètement oublier les indicateurs d'activité, comme la régularité du paiement des allocations, la durée et les retards des paiements ou le taux de décroché au téléphone. Si nous perdions la maîtrise des plateformes téléphoniques, les conséquences seraient redoutables. Par conséquent, je suis pleinement favorable à l'instauration d'indicateurs de résultats et à la réduction progressive du nombre d'indicateurs d'activité, sans pour autant relâcher notre attention sur les indicateurs d'activité essentiels.
Deuxièmement, en matière de pilotage, la première période de la création de Pôle emploi a été une période de centralisation incontestable. Il était impossible de mener une réforme aussi lourde si chacun, dans son agence, dans sa région, interprétait la fusion à sa manière. En outre, nous étions confrontés à une contradiction : certains souhaitaient davantage de déconcentration alors que la convention tripartite précisait clairement les objectifs et les modalités de mise en oeuvre. La première convention tripartite fixait non seulement les objectifs, mais aussi les moyens et la manière de faire. J'étais tenu par cette feuille de route. Nous devons aujourd'hui passer à une seconde phase, vers plus de déconcentration. Ceci implique davantage de déconcentration au niveau régional, ce qui a été engagé dès 2010, et nous devons aller plus loin. Il faut pour cela que les directions territoriales et les directions d'agence disposent de plus de marges de manoeuvre. Cela passe notamment par un travail sur les diagnostics territoriaux, sur la stratégie territoriale et aussi par un dialogue de performance, qui doit impliquer tous les niveaux hiérarchiques, de la direction générale jusqu'aux directeurs territoriaux et aux directeurs d'agence.
Je voudrais réagir sur la question de la déshumanisation de la relation liée au traitement par le téléphone ou par Internet. Il ne faut pas attendre de ces différents canaux d'accès aux services de Pôle emploi le même usage. Il est indispensable de garder une relation physique en face-à-face avec le demandeur d'emploi, qui doit pouvoir venir en agence se renseigner quand il le souhaite au sujet de sa recherche d'emploi ou de son indemnisation. De ce point de vue, je considère que nous faisons plus aujourd'hui en matière d'accueil du public en libre-accès que du temps de l'ANPE et des Assedic. Autrefois, l'usager qui venait pour un renseignement sur l'indemnisation était orienté vers le téléphone et il n'avait pas accès à un conseiller. Aujourd'hui, quelle que soit la demande, si elle peut se traiter rapidement, l'usager a accès à un conseiller. Le téléphone et Internet n'ont pas vocation à se substituer au suivi mensuel, mais ils doivent permettre d'avoir accès à des services et à des renseignements rapides. Au temps de la dématérialisation et de la numérisation de l'information, Pôle emploi ne doit pas rester à l'écart. Le téléphone et Internet sont donc utiles, en tant que compléments de service.
La complexité juridique de Pôle emploi est incontestable. Elle se vit aussi au niveau de la relation de Pôle emploi avec ses usagers. Par exemple, les contestations concernant l'indemnisation chômage se font devant les juridictions de l'ordre judiciaire, tandis que les problèmes de placement se règlent devant la juridiction administrative. Nous devrions prochainement récupérer la compétence sur les indus de l'allocation de solidarité spécifique (ASS). Le Gouvernement souhaite que Pôle emploi reprenne l'intégralité de cette procédure, dont le fonctionnement n'est pas satisfaisant. Par conséquent, dans le cas d'un recouvrement forcé sur des indus d'ASS, l'affaire se réglera devant le tribunal administratif et, dans le cas d'un recouvrement forcé sur les allocations d'assurance chômage, devant le tribunal judiciaire. Le médiateur a justement mis l'accent sur ce sujet. Cette question nous pose beaucoup de problèmes parce que Pôle emploi est obligé d'avoir les deux types de compétences dans son service juridique. Ce système n'est d'ailleurs pas compréhensible pour les clients.
Nous avons le même problème sur les relations sociales en interne. Les organisations syndicales ont souligné le fait que je mettais souvent en avant les prérogatives de puissance publique pour les laisser à l'écart de certaines décisions. Je n'ai jamais contesté que les contentieux liés aux procédures d'information et de consultation des instances du personnel relèvent de l'ordre judiciaire ; cependant, j'ai considéré que les tribunaux judiciaires ne pouvaient pas décider de mesure d'astreinte sur des décisions relevant de la puissance publique. Par exemple, nous avions été condamnés par la cour d'appel de Paris à des astreintes extrêmement lourdes de remise de document et de pénalités en cas d'ouverture de sites mixtes. J'ai trouvé que cette décision était excessive et que le juge avait empiété sur le pouvoir administratif. Nous nous sommes pourvus en cassation et nous avons gagné. La décision de justice nous a même été plus favorable que nous ne le pensions. En effet, la Cour de cassation, en janvier 2011, a considéré que toutes les procédures de consultation concernant l'organisation du service public relevaient des tribunaux administratifs. La situation est donc désormais clarifiée. Cependant, un éventuel défaut de fonctionnement du comité d'entreprise (CE) ou du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) peut relever des tribunaux judiciaires. C'est en effet compliqué. Une autre solution consisterait à considérer des mesures législatives, ce qui serait faisable sur la partie allocation. En revanche, sur l'autre partie concernant le fonctionnement, le code du travail et les prérogatives de puissance publique, nous sommes tellement inscrits dans l'ordre juridique français qu'aucune mesure simple ne pourrait régler le problème.
Au sujet de la segmentation, nous avons avancé par rapport à ce que je vous ai dit lors de ma première audition. Contrairement à ce que dit la presse, il n'y a pas de consensus entre les partenaires sociaux sur ce sujet. Les uns prônent un service identique pour tout le monde, les autres sont favorables à une segmentation qui laisserait les demandeurs près de l'emploi chercher seuls et qui renforcerait l'accompagnement de ceux qui sont loin de l'emploi. Certains conseillers, aussi, demandent un service plus personnalisé. J'ai travaillé sur trois outils de segmentation complémentaires : la distance à l'emploi, les freins à l'emploi, tels qu'ils ressortiront de l'entretien avec le demandeur d'emploi, et le métier recherché, ce qui nécessite de distinguer les métiers qui recrutent et les métiers qui ne recrutent pas. A partir de ces trois catégories, Pôle emploi peut définir sept à huit segments à peu près homogènes de demandeurs. Cette opération n'est pas simple. Je compte faire des propositions au conseil d'administration, au cours de l'été ou début septembre, après le séminaire des 6 et 7 juillet prochains pendant lequel les directeurs régionaux auront mené une réflexion intensive. Nous devons toutefois rester conscients de la difficulté de savoir à l'avance quel sera le retour à l'emploi d'un demandeur d'emploi classé dans une catégorie « loin de l'emploi ». Les Britanniques procèdent, quant à eux, de manière très différente : ils considèrent que la segmentation dépend de la durée de chômage. Dès lors, un jeune qui est au chômage depuis plus de six mois ou un adulte au chômage depuis plus de dix-huit mois suivront des types d'accompagnement différents. Nous subirons toujours, néanmoins, la critique de ceux qui pensent que la segmentation ne conduit pas à une vraie personnalisation. Je pense que la vraie personnalisation passe par le dialogue singulier qui se noue entre, d'une part, un conseiller, qui suit un demandeur d'emploi, qui est capable d'analyser la situation et de proposer un certain nombre de prestations et, d'autre part, un demandeur d'emploi qui fait confiance à son conseiller. D'ailleurs, nos enquêtes de satisfaction montrent que nos usagers sont satisfaits lorsqu'ils ont un conseiller personnel, et qu'ils ne le sont pas lorsqu'ils n'en ont pas. Je serais prêt à ce que l'accompagnement débute dès le premier mois, ce qui augmenterait de 30 % le nombre de personnes dans le portefeuille des conseillers.
Le premier enseignement que je tire du benchmark européen confirme l'une de mes idées. En France, les personnes qui se consacrent à l'accompagnement des demandeurs d'emploi sont beaucoup moins nombreuses qu'en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Néanmoins, en Grande-Bretagne, une large partie des chômeurs n'est pas recensée au Jobcentre Plus. Toutes les personnes handicapées, ou inadaptées, ainsi que les parents isolés, ont été placés dans d'autres dispositifs, ce qui a permis de faire baisser de manière considérable le nombre de chômeurs inscrits. Cela dit, même en tenant compte de cette particularité, nous n'avons pas le même niveau d'accompagnement. La question du renforcement des effectifs de Pôle emploi devra donc être posée dans la convention tripartite. Le redéploiement interne suffira-t-il ou devrons-nous aller au-delà ? D'après moi, cette question relève du Gouvernement.
Le second point du benchmark que je souhaite évoquer concerne la relation aux entreprises. Pôle emploi doit-il rester dans une offre de services large allant jusqu'à l'aide au recrutement, même pour les grandes entreprises ? Ou doit-il se concentrer sur une offre de services aux seules entreprises qui offrent des emplois qui sont en correspondance avec les compétences et les qualifications des demandeurs d'emploi qui sont dans notre fichier ? Je pense qu'il ne faut pas tout rejeter en bloc : nous devons impérativement garder une relation forte avec l'ensemble des entreprises pour assurer la transparence du marché du travail. Cependant, le fait que nous disposions de nombreuses offres d'emploi ne signifie pas que nous devons offrir les mêmes services à toutes les entreprises. Par ailleurs, nous devons avoir un service renforcé pour les entreprises qui offrent des emplois qui sont en correspondance avec les qualifications actuelles ou prévisibles des demandeurs d'emploi. Enfin, je pense que nous devons rester attentifs aux entreprises qui connaissent des difficultés de recrutement et à qui nous devons proposer une offre de services renforcée. Je proposerai d'inscrire ces idées dans la convention tripartite.
La lettre paritaire signée par les partenaires sociaux rejoint ce que j'ai déjà évoqué. Je considère néanmoins que réduire l'intensité du suivi mensuel mettrait en danger notre capacité d'accompagnement de tous les demandeurs d'emploi. Déjà, en 2000, les conseillers recevaient les usagers une fois sur trois au lieu de tous les mois ; en 2011, la fréquence est remontée à 45-50 %, c'est-à-dire à un rendez-vous tous les deux mois. Descendre en deçà de cette fréquence ne serait donc pas une bonne solution.
Vous m'avez demandé s'il fallait créer un CHSCT national à Pôle emploi. Cette question me surprend un peu, mais je vois qu'elle a été fortement portée par les syndicats. Ceci dit, dans la convention collective de Pôle emploi, il est prévu que soit créée, auprès du comité central d'entreprise (CCE), une commission hygiène et sécurité qui ait les mêmes compétences, à une exception près, qu'un CHSCT classique. Cette commission doit être instituée par le règlement intérieur du CCE de Pôle emploi sur lequel les organisations syndicales n'ont pas encore réussi à s'entendre. J'ai obtenu deux réunions de négociation avec les syndicats. Je leur proposerai un texte définitif la semaine prochaine, qui permettra, je l'espère, la mise en place, d'abord, d'un règlement intérieur et, ensuite, d'une commission hygiène et sécurité. La seule différence entre cette commission et les CHSCT classiques en région réside dans le fait que les CHSCT peuvent requérir des expertises payées par l'entreprise sur un sujet de leur choix. Cependant, la commission, telle qu'elle est proposée dans le cadre du règlement intérieur, ne peut pas avoir cette capacité-là, parce que je ne veux pas que Pôle emploi paye à la fois une expertise nationale et vingt-sept expertises régionales. Je considère aussi que la question des conditions de travail doit s'examiner au plus près du terrain. Par conséquent, je dis clairement qu'il doit y avoir une commission d'hygiène et de sécurité ; elle est prévue dans le règlement intérieur. Elle aura la capacité d'auditionner des personnes et elle pourra, si l'employeur est d'accord pour payer les frais, solliciter une expertise. Cette proposition correspond donc bien à la demande formulée initialement et est conforme aux dispositions de la convention collective.
Au sujet de l'inspection du travail, nous avons du mal à savoir quel est son rôle à Pôle emploi. Nous avons posé de nombreuses questions à la direction générale du travail (DGT). Finalement, il apparaît que l'inspection du travail joue, chez Pôle emploi, à peu près le même rôle que dans les entreprises. Cependant, elle ne peut pas dresser de procès-verbal, parce que Pôle emploi est un établissement public. Pour autant, l'inspection du travail vient assez souvent dans les locaux de la direction générale ou des directions régionales, notamment pour réaliser des contrôles sur les heures supplémentaires. Concernant la médecine du travail, deux régimes différents coexistent : la médecine du travail, qui relève du droit privé, et la médecine de prévention, qui s'applique aux personnes de droit public. Cette situation n'est effectivement pas logique et il faudrait procéder à une unification. Je suis plutôt favorable à l'application de la médecine du travail pour tout le monde ; cependant, les textes du statut ne me le permettent pas. Cette question devra être réglée.
Concernant les remarques et les critiques exprimées par les opérateurs privés de placement et de formation, je trouve assez singulier que des prestataires que nous payons considèrent que nos demandes ne correspondent pas à leurs souhaits. Objectivement, Pôle emploi ne se situe pas dans un rapport de partenariat avec les opérateurs privés, mais dans une logique d'achat de prestations.
M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. - Ce sujet est récurrent : met-on en avant les moyens ou bien les performances ? Dans toutes les démarches de Pôle emploi, on retrouve cette philosophie qui consiste à être très précis sur les moyens et beaucoup moins sur l'analyse des performances. Les opérateurs privés de placement demandent un objectif en termes de performances. Il faut certes respecter la procédure, mais ils cherchent à valoriser leur savoir-faire, plutôt que de répondre à des demandes tatillonnes et détaillées concernant les moyens.
M. Christian Charpy. - Le cahier des charges des opérateurs n'est pas ma création personnelle puisqu'il a été renforcé dans son niveau d'exigence par la commission d'appels d'offres qui comportait des représentants des partenaires sociaux membres du conseil d'administration de Pôle emploi. Quelles sont ces exigences ? La première est d'avoir des lieux accessibles, notamment aux personnes handicapées. A une époque, certains opérateurs, parmi ceux qui critiquent le caractère scandaleusement précis du cahier des charges, recevaient les demandeurs d'emploi dans des chambres d'hôtel. Le cabinet qui agissait ainsi n'avait pas de locaux. Par ailleurs, nous demandons aux prestataires d'actualiser le projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE) et de nous le transmettre, conformément à la loi qui s'applique à Pôle emploi. Cependant, les opérateurs privés ont raison sur un point, nous avons été trop exigeants sur les livrables, qui sont les documents qu'ils devaient nous envoyer pour témoigner qu'ils suivaient les différentes étapes du parcours. J'ai demandé que, dans le cadre de l'appel d'offres que nous allons lancer en 2012, nous soyons beaucoup moins consommateurs de ces documents. Je rappelle que les opérateurs reçoivent 50 % du paiement au moment de la prise en charge du demandeur d'emploi, 25 % selon la performance, puis 25 % si les personnes restent six mois dans leur nouveau travail. Pour le prochain appel d'offres, nous allons proposer de diviser le paiement en trois tiers égaux. Si j'ai monté à 50 % le paiement de la prise en charge, c'est d'abord parce que je ne voulais pas que les prix globaux soient trop élevés. En effet plus le paiement au moment de la prise en charge est faible, plus les opérateurs ont tendance à augmenter les prix de la prestation globale pour se sécuriser, surtout en période de forte augmentation du chômage. Je souhaite baisser les prix pour éviter que les opérateurs ne sécurisent les 50 % relatifs à la prise en charge et n'engagent que peu d'actions pour le reste de la procédure.
Par ailleurs, nous avons interrogé 6 000 demandeurs d'emploi qui étaient suivis par des opérateurs privés de placement et par Pôle emploi. Nous avons regardé le taux de retour à l'emploi à huit mois. Nous avons constaté, d'abord, que les demandeurs d'emploi reçus par les opérateurs privés étaient plus régulièrement reçus qu'à Pôle emploi et qu'ils étaient plus souvent reçus par un conseiller identique. En revanche, les opérateurs privés de placement proposaient moins d'offres d'emploi nouvelles que Pôle emploi. Enfin, après huit mois de suivi, 44 % des personnes suivies par Pôle emploi, en convention de reclassement personnalisé (CRP), avaient retrouvé un travail contre 38 % pour les personnes suivies par les opérateurs privés de placement. Ces résultats ne me surprennent pas : nous avions observé la même conclusion dans une évaluation réalisée en 2007-2008. Je ne dis pas que les opérateurs privés font mal leur travail, mais je trouve excessif qu'ils justifient leurs résultats moins bons par les contraintes que nous leur imposons. Cependant, je suis d'accord pour que nous soyons moins tatillons et plus souples sur les documents administratifs. Toutefois, que les opérateurs privés nous dressent un compte tendu tous les deux ou trois mois des modifications du PPAE et des offres d'emploi que les demandeurs d'emploi ont reçues ne me paraît pas scandaleux. Par ailleurs, nous devrons probablement renforcer la part du paiement à la performance. Dans cette logique, nous proposons un paiement en trois tiers égaux.
S'agissant de la formation, la situation est quelque peu différente. Le marché des offres de formation est compliqué et, souvent, l'offre y créait la demande. Pôle emploi a un peu inversé la mécanique et, désormais, la demande commande l'offre. Nous devons sûrement progresser sur certains points : nos marchés sont encore un peu compliqués et la mécanique de notre accord-cadre reste complexe et peut être assouplie. Nous sommes exigeants sur les cursus de formation que nous vendent les organismes, car les offres proposées sont de qualité inégale. Les organismes de formation affirment, par ailleurs, que les procédures imposées pas Pôle emploi sont trop lourdes. Il est vrai que la procédure d'appel d'offres est exigeante. Toutefois, il est difficile de la modifier, dans la mesure où elle est encadrée par la réglementation européenne. Cette situation est véritablement difficile. Nous pourrions opter pour un dispositif dans lequel Pôle emploi n'achèterait plus de formation mais verserait une subvention aux chômeurs afin qu'ils trouvent un organisme de formation. Toutefois, ce système serait 30 % plus coûteux et permettrait donc à moins de personnes de suivre une formation. Si Pôle emploi n'est pas parfait, les organismes de formation et les partenaires sociaux n'ont, quant à eux, pas toujours eu un comportement irréprochable.
Vous avez évoqué le projet d'accord-cadre avec l'association des régions de France (ARF). Nous avons été assez loin dans la négociation et puis j'ai arrêté le processus pour deux raisons. La première raison, c'est que Pôle emploi et l'ARF ne pouvaient laisser de côté un partenaire, l'Etat, qui ne l'aurait pas bien accepté. La délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) craignait qu'un accord-cadre ne mette en difficulté les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) et les préfets de région dans leurs relations avec les conseils régionaux et avec Pôle emploi. Comme cet accord ne comportait pas de dispositions d'une importance essentielle, j'ai considéré qu'il n'était pas nécessaire de se froisser avec l'Etat à ce sujet. J'ai donc privilégié les négociations régionales. Dans certains cas, les préfets de région ont été associés à la signature, dans d'autres, ils ont considéré que ce sujet n'était pas de leur ressort, préférant laisser Pôle emploi traiter avec la région. La situation dépendait aussi de la relation politique locale entre le préfet de région et le président du conseil régional. Je ne suis pas certain qu'en région Aquitaine, par exemple, il sera facile de signer un accord Etat-Pôle emploi-région. En revanche, en Rhône-Alpes, un accord Etat-Pôle emploi-conseil régional sur la formation a été signé. Enfin, au moment où je devais décider de continuer ou pas, l'ARF a présenté des propositions pour l'avenir qui prévoyaient une décentralisation de Pôle emploi. J'ai alors décidé d'attendre de voir comment la situation évoluerait. Nous avons laissé ce sujet de côté et près d'une vingtaine d'accords ont été signés entre des conseils régionaux et les directions régionales de Pôle emploi.
Nous avions signé avec l'Assemblée des départements de France (ADF) un accord, qui date de juin 2009, au moment de la mise en place du RSA. Cet accord n'a pas eu la même portée politique que celui que j'avais signé du temps de l'ANPE avec l'ADF lors de l'entrée en vigueur du RMI. Au moment de la signature, j'ai senti que l'ADF ne savait pas si les départements allaient fortement s'investir dans le financement de l'accompagnement des bénéficiaires du RSA ou si Pôle emploi, sur qui pesaient de grands espoirs à sa création, en aurait la charge. L'ADF n'a pas souhaité que nous définissions l'offre de services spécifique et la grille tarifaire. Nous ne sommes donc pas allés au-delà d'un accord de principe. Je pense qu'il serait nécessaire de reprendre contact avec l'ADF, notamment pour travailler sur le RSA. Je partage d'ailleurs pleinement les observations qui ont été formulées à ce sujet.
Je suis d'une manière générale favorable à toute simplification des procédures régionales de concertation. Les conseils régionaux de l'emploi (CRE), les comités de coordination régionaux de l'emploi et de la formation professionnelle (CCREFP), les commissions paritaires interprofessionnelles régionales de l'emploi (Copire) et les instances paritaires régionales (IPR) regroupent plus ou moins les mêmes personnes. Un peu de simplification ne nuirait donc pas.
Pôle emploi doit-il être signataire des contrats de plan régionaux de développement de la formation professionnelle (CPRDFP) ? Par fierté pour mon établissement, je répondrais positivement, mais nous ne sommes qu'un modeste opérateur et les commanditaires, l'Etat et le conseil régional sont politiques. Nous nous contentons donc d'être associés au travail. Si nous étions signataires au même titre que le préfet de région et le conseil régional, l'égo de l'établissement en serait flatté. Toutefois, je ne suis pas certain qu'un fonctionnement de ce type soit possible. Néanmoins, si on me le proposait, je le ferais volontiers.
J'ai largement évoqué la déconcentration tout à l'heure. Je pense qu'elle doit se traduire par des transformations internes dont la plus significative sera la réduction des effectifs des directions générales et régionales. Plus les effectifs sont nombreux dans ces structures, plus le système crée de la norme, de l'instruction et de la volonté de contrôler. Je n'ai pas ou peu diminué ces effectifs au cours des trois premières années d'abord parce que les directions générales et régionales ont été submergées de travail. Ensuite, lorsque deux réseaux fusionnent, des doublons apparaissent. Or des personnes qui n'ont pas démérité peuvent être concernées et il n'est pas aisé de les déplacer. Nous avons donc lancé un programme qui s'appelle « Références », qui consiste à référencer l'organisation des fonctions supports, le dimensionnement des directions régionales et des directions territoriales et qui prévoit une réduction globale de la ligne managériale. Nous estimons que quelques centaines d'emplois devront être supprimés au niveau des directions régionales et territoriales. Afin de montrer l'exemple, j'ai décidé que les effectifs de la direction générale seraient baissés dans des proportions deux fois plus importantes que ceux des directions régionales. Par ailleurs, nous accorderons davantage de confiance aux acteurs de terrain, dont la qualité est très grande. Chacun doit apprendre à faire confiance et à faire baisser la pression sur les indicateurs et les instructions. A l'heure actuelle, les boîtes électroniques des directeurs d'agence sont inondées d'instructions en provenance de la hiérarchie. En effet, les instructions de la direction générale sont d'abord transmises aux directions régionales. Ces dernières rédigent une seconde note pour contextualiser avant de la transmettre aux directions territoriales qui, elles aussi, en écrivent une nouvelle mouture. Nous devons donc mettre en place une discipline collective et nous aurons besoin de temps.
M. Claude Jeannerot, président. - Merci, monsieur le directeur général. La parole est à mes collègues et au rapporteur.
M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. - Je voudrais remercier M. Christian Charpy et, à travers lui, ses équipes, car nous avons été très bien reçus au cours de nos visites sur le terrain. Personnellement, je trouve que cette réforme a été en effet conduite dans une période difficile - un million de chômeurs supplémentaires - mais visiblement, l'essentiel est aujourd'hui acquis. En outre, Pôle emploi est effectivement entré dans une stratégie de progrès. Nous voudrions savoir sur quels axes ces progrès peuvent être confortés. Je voudrais simplement insister sur deux points auxquels vous n'avez pas suffisamment répondu. Nous avons observé de nombreuses expériences menées sur le terrain en matière d'accompagnement renforcé des demandeurs d'emploi. Comment ces expériences seront-elles évaluées ? Quelle stratégie managériale permettra à Pôle emploi de profiter de ces résultats ? Nous avons eu l'impression parfois que les équipes concernées par ces expérimentations étaient les premières touchées par les réductions d'effectifs.
M. Claude Jeannerot, président. - Pour illustrer le propos du rapporteur, nous avons observé, dans le département du Nord, un dispositif d'accompagnement renforcé des jeunes, dont l'équipe d'une quinzaine de personnes s'était rétrécie à huit ou neuf, parce que ce service était devenu la variable d'ajustement du réseau. La question des moyens abordée tout à l'heure est donc à nouveau posée.
M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. - Ma deuxième question concerne la gouvernance par la performance. Nous n'avons pas l'impression que le budget de Pôle emploi soit discuté sur des critères de performance. Or, dans les débats précédant la réforme, l'argument selon lequel plus le montant investi dans l'accompagnement serait élevé, plus les économies sur l'indemnisation seraient importantes, a été soulevé. Pourtant, à aucun moment, cette logique n'apparaît. Comment améliorer le dialogue avec les partenaires sociaux et la négociation avec l'Etat en l'absence d'un budget comportant des indicateurs de performance permettant d'analyser le coût global ? Pourquoi ne pas mettre en place une rationalisation des choix budgétaires ?
M. Claude Jeannerot, président. - J'avais prévu d'insister sur cette question des moyens. Avec un accompagnement efficace, nous pourrions diminuer la durée moyenne du chômage et enregistrer des économies substantielles sur l'indemnisation. Nous souhaitons privilégier cette approche. Si nous voulons que nos revendications en termes de renforcement des moyens soient entendues, nous devons pouvoir les paramétrer.
M. André Reichardt. - Je voudrais remercier à mon tour M. Christian Charpy pour la qualité de ses réponses et je voudrais surtout rendre hommage au président de la mission et au rapporteur. Je reprends vos propos sur la nécessité d'accroître les indicateurs de résultats, de renforcer la déconcentration, de développer le conseil personnalisé et d'améliorer les relations avec les conseils généraux pour favoriser le retour à l'emploi des titulaires du RSA. Il s'agit d'une véritable feuille de route que nous avons vu apparaître au fil des auditions.
S'agissant des moyens, quelles priorités souhaitez-vous privilégier ? Des embauches supplémentaires ou un recours accru à la sous-traitance ? Envisagez-vous une approche différente du management ? Voulez-vous accorder une importance plus grande aux partenaires sociaux siégeant au conseil d'administration ?
Mme Annie David. - A mon tour, je félicite MM. Claude Jeannerot et Jean-Paul Alduy pour la qualité des travaux de notre mission. Je vous remercie également, M. Christian Charpy, pour votre présentation. Vous avez su montrer, aujourd'hui, votre volonté d'améliorer Pôle emploi, pour répondre aux attentes des demandeurs d'emploi et de vos agents, malgré le manque de moyens. Je constate, par ailleurs, que le statut juridique de Pôle emploi n'est pas simple, malgré les dernières décisions de la Cour de cassation. Sans doute la question concernant la médecine du travail trouverait-elle une réponse si ce statut juridique venait à être clarifié et que les personnels, publics ou privés, étaient soumis au même régime.
Concernant la segmentation, je crains que son développement ne se traduise par un risque de discrimination entre les demandeurs d'emploi, au détriment de leur retour à l'emploi. Nous devons rester vigilants à ce sujet.
S'agissant du statut juridique, quel est l'état d'avancement de la discussion sur la clarification des métiers et les classifications ? Lors de nos rencontres avec les agents dans les territoires, ceux-ci ont déploré que l'appellation « conseiller » s'applique à tous et qu'aucune référence ne soit faite à leur ancien métier. Ils s'interrogent sur leur identité et se demandent si, dans la nouvelle classification, les anciens métiers existeront toujours. Les personnels de l'Afpa ont des interrogations similaires, dans la mesure où ils seront appelés « chargés de l'orientation et de la formation professionnelle » plutôt que « psychologues du travail ». Ils y voient une dévalorisation de leur métier et s'en montrent inquiets.
Je souhaite également soulever la question des risques psychosociaux. Le rapport du CESE avait, d'ailleurs, déjà sonné l'alerte à ce propos. Vous savez que beaucoup d'agents sont en souffrance. Par ailleurs, vous avez évoqué la quantité d'informations qui submerge les conseillers dans les agences. Comment faire pour que les personnels vivent un peu mieux leur situation ?
Une autre question concerne la mise en oeuvre de l'entretien d'inscription et de diagnostic (EID). Ces entretiens ne sont pas mis en place dans tous les départements. En Isère, par exemple, l'EID sera instauré en septembre. Toutefois, ne pensez-vous pas que les demandeurs d'emploi seront traités différemment, selon qu'ils seront reçus par un conseiller ex-Assedic ou ex-ANPE ? Les anciens métiers de ces conseillers font qu'ils seront plus performants pour gérer l'indemnisation ou le placement.
Enfin, j'ai une question plus spécifique concernant les saisonniers. En Rhône-Alpes, un plan va être mis en place qui se traduira par des inscriptions collectives ou par téléphone pour les demandeurs d'emploi qui souhaitent renouveler leur inscription et même par une conclusion du PPAE par téléphone. En outre, il semblerait que ce dispositif concerne également les primo-demandeurs d'emploi. Or, pour ces personnes, l'entretien en face-à-face est très important. Vous l'avez d'ailleurs précisé tout à l'heure. Les saisonniers sont des travailleurs comme les autres et ils doivent avoir les mêmes droits que l'ensemble des travailleurs.
Mme Christiane Demontès. - Merci à vous, monsieur le directeur général, pour votre disponibilité vis-à-vis des membres de cette mission. Je remercie également, à travers vous, l'ensemble des personnels que nous avons rencontrés et auditionnés dans les agences. Même si nous n'avons pas eu toutes les réponses souhaitées, nous avons apprécié votre volonté de dialogue et d'échange.
Ma première remarque concerne les personnels. Lorsque la fusion ANPE-Assedic a été décidée, je pensais que le rapprochement ne serait pas difficile. Toutefois, notre mission actuelle me fait changer d'avis. Aujourd'hui, Pôle emploi regroupe trois types de métiers qui correspondent à trois missions : l'indemnisation, primordiale pour les demandeurs d'emploi ; le placement et l'accompagnement des demandeurs d'emploi ; l'orientation, assurée par les psychologues issus de l'Afpa. Comment clarifier les problèmes des statuts de personnel qui se posent ?
Ma deuxième remarque concerne un sentiment de déshumanisation dans la relation avec les demandeurs d'emploi. Ce phénomène n'est pas propre à Pôle emploi et existe dans d'autres administrations. A mon avis, la standardisation de la demande et une sorte de mécanisation et de technicité, liée à l'usage d'Internet et des plateformes téléphoniques, alimentent cette déshumanisation. Pourtant, chaque demandeur d'emploi, avec son profil, son histoire et sa demande, est différent. Cette question est-elle évoquée avec vos agents et comment la ressentent-ils ? Il m'a semblé, lors des échanges que j'ai eus lors des visites sur le terrain, que cet aspect suscitait des interrogations. Par ailleurs, pouvez-vous nous donner des précisions sur le suivi personnalisé ? Comment est-il traité, au-delà des chiffres ? Quelle est la valeur humaine de la prise en charge des demandeurs d'emploi ?
M. Claude Jeannerot, président. - Nous avons évoqué cette question de la personnalisation du suivi avec les directeurs régionaux. Quant à la segmentation, nous devons rester attentifs afin qu'elle ne renforce pas ce processus de déshumanisation. Tous ces problèmes me semblent liés au traitement de masse du chômage que doit assurer Pôle emploi.
M. Christian Charpy. - Etant patron d'un établissement subissant régulièrement des critiques, j'ai parfois eu la réaction de minimiser les problèmes, notamment lors de la première année d'existence de Pôle emploi, pour protéger la structure. J'ai désormais décidé d'arrêter de pratiquer la langue de bois et de dire la vérité.
Nous devons impérativement favoriser les expérimentations locales et laisser des marges de manoeuvre aux agences pour ce faire. Pour améliorer les résultats des expérimentations, deux possibilités s'offrent à nous. Nous pouvons mettre en place un forum de l'innovation permanent ou créer un site recensant les expérimentations validées par la direction générale. Pour ma part, je suis favorable à la première hypothèse. Par le passé, j'ai renforcé de manière permanente les moyens des directions régionales de l'ANPE qui voulaient mener des expérimentations. Je pense désormais qu'il est préférable d'accompagner, avec les effectifs nécessaires, les initiatives intéressantes. Ainsi ai-je décidé de soutenir un dispositif local innovant favorisant la prise en charge précoce des intérimaires.
Sur la gouvernance par la performance, je pense que nous parviendrons à mettre en place une prime de résultat pour les cadres. Nous négocions sur le sujet. Toutefois, il sera compliqué de trouver les bons indicateurs de résultats, en tenant compte de la difficulté de certains bassins d'emploi. Paradoxalement, si Pôle emploi réduit la durée de chômage moyenne et dégage des économies pour l'assurance-chômage, les partenaires sociaux réduiront les cotisations et les moyens de Pôle emploi diminueront. Si la caisse était globalisée, toute économie réalisée se répercuterait sur nos finances. Nous devons donc inventer un mécanisme d'intéressement de Pôle emploi à ses résultats. Notre comptabilité analytique, quasiment finalisée, nous permettra d'analyser nos performances budgétaires.
Il est délicat pour moi de revendiquer plus de moyens, car les décisions à ce sujet relèvent du ministre, que vous auditionnerez. Nous avons consenti énormément d'efforts en supprimant 1 800 emplois en 2011. Je souhaiterais ne plus avoir à supprimer d'emplois.
M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. - Aujourd'hui, les demandeurs d'emploi ne sont pas tous reçus chaque mois. Or, lorsqu'une personne est au chômage depuis longtemps, il est indispensable de renforcer son accompagnement. Nous revenons donc au problème des moyens. Ce point est essentiel, car un retour à l'emploi constitue une économie financière et sociale.
M. Claude Jeannerot, président. - Cette approche rejoint le concept d'activation des dépenses passives, qui visait à investir une part de l'indemnisation au service de l'accompagnement.
M. Christian Charpy. - Cette activation des dépenses passives est faite automatiquement par la règle des 10 % prélevés sur les cotisations.
M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. - Nous avons l'impression que le dialogue entre les partenaires sociaux et l'Etat est inexistant, l'Unedic se contentant de verser ses 10 % tandis que l'Etat cherche surtout à faire des économies.
M. Christian Charpy. - Cette règle des 10 % imposés par la loi est une erreur. Il aurait fallu que Pôle emploi et l'Unedic se mettent d'accord sur un montant des financements consacrés à l'activation des dépenses et qu'en l'absence d'accord, l'Etat tranche. Ces 10 % étaient excessifs la première année, mais sont insuffisants aujourd'hui. Si les partenaires sociaux ont peu réagi au rapport de l'IGF, c'est parce qu'ils savent que l'Etat n'a pas d'argent et que s'il faut dépenser plus pour l'accompagnement, c'est l'assurance chômage qui sera mise à contribution.
M. Claude Jeannerot, président. - Mme Roselyne Bachelot-Narquin a introduit dans la loi le concept intéressant de fongibilité asymétrique selon lequel le budget médico-social pouvait être fongible dans les budgets sanitaires, la réciproque n'étant pas vraie. En transposant ce concept à l'emploi, les budgets d'indemnisation pourraient être davantage mobilisés sur l'accompagnement.
M. Christian Charpy. - Vous avez raison, mais les bases du dialogue sont un peu viciées par la règle intangible des 10 % minimum.
La question de la clarification des métiers est essentielle. Pôle emploi exerce trois métiers différents, dont celui du placement, qui inclut l'EID, et celui de l'indemnisation. Ces deux métiers doivent concourir à l'accueil dans les agences. D'ailleurs, l'EID n'est fait que par un agent ayant la compétence complète sur le placement. Le troisième métier est celui de l'orientation. Le débat sur les psychologues du travail devrait se régler car il ne repose que sur une question sémantique, alors que leurs compétences restent inchangées. Certains agents ayant la double compétence, exerceront à la fois les métiers de gestion des droits et d'intermédiation. Pour répondre aux variations saisonnières de notre activité, ces agents pourront d'ailleurs changer de poste selon les besoins. J'ai clarifié les principes sur cette question des métiers, mais la négociation est longue. Je suis prêt à avancer vite, pour signer les accords avant la fin de mon mandat en décembre. Je pense que les syndicats veulent progresser rapidement aussi. Ce sujet n'est pas simple parce qu'il a deux aspects : un aspect financier, car une reclassification coûte cher ; et un aspect lié aux dignités respectives des métiers. En outre, si les niveaux de classification sont différents, des conflits en découleront.
Le rapport du CESE remet l'accent sur les risques psychosociaux. En l'absence de moyens et d'effectifs, il m'est difficile de reprendre une négociation. Je préfère donc mettre en oeuvre le plan d'action concertée, avec notamment une charte des réunions au sein de Pôle emploi, pour améliorer les conditions de travail. Nous nous penchons également sur les risques psychosociaux des managers. Mener à son terme le plan me paraît donc la meilleure solution.
Concernant le plan pour les saisonniers en Rhône-Alpes, j'interdirai la conclusion des PPAE par téléphone. Quant aux primo-demandeurs, ils seront traités comme les autres ; toutefois, l'EID dure environ quarante-cinq minutes et je préconise pour eux un entretien plus court. Autrefois, ils n'étaient même pas reçus aux Assedic, car ils n'étaient pas concernés par l'indemnisation.
Je suis sensible à la question de la déshumanisation car une période de chômage est toujours difficile à vivre. Néanmoins, nous devons concilier la gestion d'une situation de masse et des relations individuelles. Ayant un jour donné mon adresse mail à la télévision, je reçois souvent des plaintes d'usagers. Ainsi une dame m'a-t-elle indiqué qu'elle avait été reçue avec mépris. Une autre, malade, n'a pas été reconnue comme telle. Le traitement par téléphone ou Internet n'arrange pas la situation. Certains conseillers, aussi, réagissent de façon excessive parce qu'ils sont énervés et excédés. Toutefois, ils doivent veiller à garder leur humanité car leur professionnalisme est en jeu.
M. Claude Jeannerot, président. Que pensez-vous de l'évolution du statut du médiateur vers plus d'indépendance ?
M. Christian Charpy. - Je n'ai pas demandé à nommer moi-même le médiateur et j'ai été surpris de cette décision. Ceci étant, dans les autres entreprises publiques, le médiateur est désigné par le directeur général. Toutefois, si le conseil d'administration devait nommer le médiateur, je n'y verrais aucun inconvénient.
Mme Annie David. - En région parisienne, un coaching a été mis en place par Pôle emploi pour aider les femmes à s'habiller et à se coiffer. L'existence de cette prestation m'a mise en colère, car elle devrait s'adresser aux hommes comme aux femmes.
M. Christian Charpy. - Cette initiative m'a également surpris, car s'adressant uniquement aux femmes, elle était discriminante. J'ai signé la convention, après avoir longuement hésité, lorsque les hommes ont finalement été inclus dans ce dispositif, même si les femmes représentent 99 % des participants. Lorsque j'ai travaillé auprès de Mme Simone Veil, en 1993-1994, pendant la guerre en Bosnie, une association apportait des produits de beauté aux femmes enfermées dans les camps. Mme Simone Veil m'a dit que cette initiative permettait à ces femmes de retrouver leur dignité. J'y ai repensé quand cette prestation m'a été présentée.
M. Claude Jeannerot, rapporteur. - Merci, monsieur le directeur général. Je voudrais, au nom de mes collègues, vous remercier très sincèrement de vous être prêté une fois encore à cet exercice. Je souhaite aussi vous adresser nos remerciements pour la qualité de l'accueil que nous avons rencontré dans votre réseau et pour la qualité de l'organisation de nos déplacements. Notre rapport portera nécessairement des critiques, mais dans le but d'engager des axes de progrès. Partout où nous sommes allés, nous avons trouvé dans vos équipes la passion et la volonté d'engagement au sein du service public.
Audition de M. Guy Bonneau, vice-président du conseil général de l'Essonne, représentant de l'Assemblée des départements de France (ADF)
M. Claude Jeannerot, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir M. Guy Bonneau, vice-président du conseil général de l'Essonne, qui intervient au titre de l'Assemblée des départements de France (ADF). Lorsque nous avons organisé la table ronde avec les associations d'élus, l'ADF n'avait pu être représentée. Compte tenu de l'importance pour les départements, mais aussi pour Pôle emploi, de la question du revenu de solidarité active (RSA), nous tenions néanmoins à auditionner un représentant de l'ADF. Il nous semble, d'après nos observations sur le terrain, nos rencontres avec les personnels de Pôle emploi et nos contacts avec les présidents de conseils généraux que le RSA n'est pas traité à sa juste mesure par Pôle emploi. D'ailleurs, le directeur général de Pôle emploi que nous venons d'auditionner reconnaissait lui-même que la convention conclue avec l'ADF au sujet du RSA était en retrait par rapport à la convention qui portait sur le revenu minimum d'insertion (RMI). La question des moyens est également posée : beaucoup de départements ont décidé que le suivi des titulaires du RSA relèverait de l'offre de services de droit commun de Pôle emploi. Nous souhaitons être force de propositions à l'égard de Pôle emploi pour que le retour vers l'emploi des bénéficiaires du RSA soit mieux pris en charge, dans un souci d'efficacité.
M. Guy Bonneau, vice-président du conseil général de l'Essonne, représentant de l'Assemblée des départements de France (ADF). - Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie d'entendre l'ADF sur ce sujet. Je voudrais d'abord rappeler quelques éléments de contexte : le RSA a été créé il y a deux ans seulement et ce délai est un peu court pour réaliser une évaluation. Le RSA a mis la question du retour à l'emploi de ses bénéficiaires au premier plan, en faisant en sorte qu'il soit plus intéressant pour eux de reprendre un travail plutôt que de rester inactifs. L'objectif était aussi de ne pas stigmatiser les publics, en affirmant que tous les bénéficiaires étaient appelés à retrouver un emploi.
Trois partenaires principaux ont dû gérer la mise en place du RSA. Les caisses d'allocations familiales (Caf) ont dû faire face à un afflux important de demandes et Pôle emploi a dû assumer de nouvelles responsabilités, parallèlement à sa gestion de la fusion entre l'ANPE et les Assedic qui a compliqué la situation. Les conseils généraux étaient prêts à assumer leur responsabilité de chef de file, malgré un contexte budgétaire difficile. Dans un contexte de crise économique, le chômage a explosé et les publics concernés ont été plus nombreux que prévu. Le projet du RSA était donc intéressant théoriquement, mais il est arrivé à un moment compliqué. Malgré tout, six mois après le vote de la loi, tous les départements avaient réussi à mettre en place cette nouvelle prestation.
Le RSA pose également la question des partenariats. En effet, la loi a redéfini le rôle de chaque partenaire : le département, responsable de la prestation, doit intégrer des compétences d'insertion et d'emploi. Les Caf ont également reçu une responsabilité forte pour le versement des prestations et pour l'accompagnement des publics. En Essonne, nous avons signé une convention avec la Caf, pour définir les modalités d'accompagnement des bénéficiaires de l'allocation de parent isolé (API), remplacée par le RSA. Pôle emploi, les autres partenaires infra-départementaux, notamment les centres communaux d'action sociale (CCAS), le tissu associatif, les plans locaux pour l'insertion et l'emploi (Plie) et les acteurs de l'insertion sont aussi amenés à jouer un rôle important dans la mise en oeuvre du dispositif. N'oublions pas les régions et l'Etat, dont les prérogatives en matière d'emploi restent essentielles.
Deux ans après la création du RSA, nous sommes encore au milieu du gué et nous devons envisager les améliorations à apporter. La fusion de l'ANPE et des Assedic a été peu préparée, s'est déroulée de façon rapide et reste inachevée. Je pense que ce constat est général. Nous ne pouvons pas gérer les politiques d'insertion à une trop grande échelle. Or on parle maintenant d'agences régionales de Pôle emploi ce qui nous inquiète en raison de l'éloignement du terrain qui pourrait en résulter.
Pôle emploi a bien sûr des objectifs nationaux et des comptes à rendre, mais il devrait adapter son action au contexte économique de chaque territoire. Les conseils généraux ont un peu perdu la maîtrise de la définition des grandes orientations, ce qui a rendu leur approche locale plus difficile. En 2007, à l'époque du RMI, les trois quarts des départements avaient contractualisé avec l'ANPE ; ce travail a été partiellement déstabilisé avec l'arrivée du RSA. Les difficultés liées à la création de Pôle emploi ont desserré les liens que les conseils généraux avaient noués avec les directions départementales de l'ANPE. Nous évoluons toujours dans un contexte marqué par la faiblesse des moyens et par des ambigüités quant au rôle des différents partenaires.
Le département, comme chef de file, est logiquement demandeur de partenariat avec Pôle emploi, mais ce dernier préfère suivre sa logique, ne cherchant pas forcément à s'associer aux départements. Cela se voit sur la définition de l'offre d'insertion, par exemple : les offres de Pôle emploi et des départements ne sont pas bien articulées. Ce travail de partenariat est nécessaire, mais a peut-être été freiné en raison de la crise, qui a installé un clivage entre les publics employables et ceux qui le sont moins et qui doivent bénéficier d'un travail d'insertion sociale. Alors que l'un des objectifs du RSA était de ne pas stigmatiser certains publics, le clivage entre les personnes employables et les autres me semble trop marqué. Si certains conseils généraux ont arrêté de financer des postes à Pôle emploi, c'est parce qu'ils souhaitaient un retour d'information, qui justifierait cet accord dans une logique de donnant-donnant. Pôle emploi ne peut pas se contenter de proposer des prestations en demandant au département de les payer. Je rappelle aussi le poids des contraintes budgétaires des départements.
Les résultats de Pôle emploi en matière de retour à l'emploi des titulaires du RSA dépendent des territoires. Dans les départements où la crise économique a été très forte et s'est traduite par une perte d'activité et des fermetures d'entreprises, la situation est beaucoup plus difficile. Ceci étant, Pôle emploi est mieux armé pour les publics les plus proches de l'emploi que pour les bénéficiaires du RSA. Par ailleurs, les conseils généraux ne savent pas ce que deviennent les bénéficiaires du RSA qui sont suivis par Pôle emploi. Ces personnes sont traitées par Pôle emploi comme le public de droit commun. Elles ne sont pas identifiées dans le système d'information de Pôle emploi, qui ne sait pas évaluer les résultats de son action les concernant. Cependant, nous travaillons, en Essonne, avec Pôle emploi pour trouver des solutions à ce problème. Les départements ressentent mal les critiques sur leur travail d'insertion, puisqu'un tiers de leur public leur échappe entièrement. En Essonne, 6 000 allocataires sont suivis par Pôle emploi et nous n'avons aucune information à leur sujet. Même si la loi ne l'indique pas spécifiquement, Pôle emploi devrait avoir une politique spécifique pour les bénéficiaires du RSA, qui constituent un public prioritaire. Les conseils généraux ne veulent pas payer pour compenser, car la loi ne le prévoit pas.
Pour aider au retour à l'emploi, les emplois aidés peuvent être utiles. Toutefois, la politique concernant ces emplois aidés est trop erratique : les départements sont d'accord pour en prescrire mais ils constatent parfois, en cours d'année, qu'il n'est plus possible d'en signer. Il faut au contraire de la continuité dans la politique d'insertion. En ce qui concerne l'aide personnalisée de retour à l'emploi (Apre), la situation n'est pas non plus optimale car la politique menée a varié dans le temps, voire d'un département à l'autre.
Quelles améliorations seraient envisageables pour offrir un accompagnement global aux personnes les plus éloignées de l'emploi ? La question de la territorialisation est importante. L'idée qui a été avancée de création d'agences régionales pour l'emploi ne nous paraît pas très opérationnelle, car une approche plus locale serait mieux en phase avec les besoins des publics en difficulté. Des dispositifs locaux comme les Plie ont montré leur utilité. Les systèmes informatiques des Caf et de Pôle emploi, qui doivent être améliorés, ne nous permettent pas d'exploiter les données relatives aux titulaires du RSA. Je regrette également qu'un seul représentant des collectivités territoriales siège au conseil d'administration de Pôle emploi. Quant au parcours d'accompagnement, il faut qu'il soit construit conjointement par le département et Pôle emploi. Dans notre département, nous allons expérimenter une plateforme commune d'orientation avec Pôle emploi.
En ce qui concerne le fonctionnement du service public de l'emploi au niveau local et la place des conseils généraux, nous sommes souvent dans des situations de concurrence : par exemple, les crédits du fonds social européen (FSE) peuvent être utilisés par les départements ou les Plie. Les départements devraient avoir les moyens d'assumer leur rôle de chef de file sur la question du RSA, dans le cadre contractuel défini par le programme départemental d'insertion (PDI).
Pour conclure, l'ADF avait proposé, au moment de la réforme territoriale, qu'il y ait, au niveau des départements, des commissions de coordination locale, avec tous les acteurs concernés, pour mettre en oeuvre les projets communs décidés dans le cadre de la conférence des exécutifs régionaux, qui a un rôle d'impulsion en matière économique. Aujourd'hui, nous sommes tous inquiets au sujet des moyens financiers qui nous sont alloués suite à la décentralisation. Cette situation explique pourquoi nous ne souhaitons pas nous engager dans des politiques de l'emploi que nous ne pourrions pas assumer financièrement. Les départements ont-ils un rôle à jouer dans les politiques de l'emploi ? Il faudrait certainement clarifier les compétences dans ce domaine.
M. Claude Jeannerot, président. - Merci, Monsieur le vice-président, pour ces réponses. Il me semble que le fait de distinguer les bénéficiaires du RSA qui relèvent d'un traitement social, d'une part, et ceux qui peuvent être placés directement dans l'emploi, d'autre part, est porteur de beaucoup d'inconvénients, notamment par un effet de cloisonnement qui rend les catégories en difficulté difficilement employables. Je pense qu'une approche globale, prenant en compte l'emploi et le social, serait plus efficace.
M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. - Malgré le contexte difficile lié à la crise, je ne comprends pas pourquoi les départements ne mettent pas en place des politiques d'emploi plus actives. Les départements bénéficieraient financièrement d'une baisse du nombre de titulaires du RSA. Les départements et Pôle emploi devraient discuter, s'associer autour d'un cahier des charges et fixer des objectifs mais, apparemment, le dialogue ne fonctionne pas. Certes, des expériences intéressantes sont parfois menées, mais je ne comprends pas pourquoi ce dialogue ne parvient pas à être noué partout. Par ailleurs, on ne peut se satisfaire que les publics en difficulté disparaissent définitivement de votre contrôle dès que leurs dossiers sont transférés à Pôle emploi. Ces publics sont ceux qui ont le plus besoin d'être aidés, dans une approche globale, incluant emploi, santé et logement. Les budgets sociaux représentent des sommes considérables pour les départements, qui auraient donc intérêt à traiter le problème pour faire des économies. Certains départements ne disposent même pas d'un Plie, alors qu'il s'agit d'un outil efficace pour mener une politique d'insertion par l'économique. Je déplore que ce soient les publics les plus en difficulté qui soient pénalisés par ces dysfonctionnements.
Mme Annie David. - Dans une agence Pôle emploi d'un quartier de Grenoble, des conseillers m'ont fait part de leurs difficultés à appréhender l'ensemble des procédures pour la mise en oeuvre des partenariats. Ils sont en effet en charge de la politique d'insertion par l'économie, de la politique de la ville et des relations avec le département. Cette complexité des dispositifs est difficile à gérer, sans compter le manque de moyens. Ne pourrait-on pas clarifier ou simplifier ces procédures, afin de simplifier le travail des agents ? Enfin, je partage avec vous l'idée que la séparation entre les deux catégories d'allocataires du RSA n'est pas pertinente.
M. Guy Bonneau. - Le fait de différencier les publics n'est pas forcément une mauvaise politique mais nous ne savons pas ce qu'il advient des titulaires du RSA suivis par Pôle emploi. Certaines personnes retrouvent du travail, mais peuvent retomber au chômage un peu plus tard. Cependant, il faut reconnaître qu'il existe des catégories différentes : les travailleurs pauvres, par exemple, n'ont pas besoin d'un accompagnement global. L'accompagnement global était l'un des enjeux de la création du RSA et avait pour objectif de différencier le suivi selon la nature des difficultés des personnes. Les choses ne peuvent pas se mettre en place seulement avec la bonne volonté des différents partenaires. Je pense que le Gouvernement doit donner des orientations à Pôle emploi. M. Jean-Paul Alduy n'a pas tort lorsqu'il dit que l'intérêt des départements réside dans le retour à l'emploi. Toutefois, il faudrait que le département ait plus de maîtrise sur la politique de l'emploi, qui est pilotée essentiellement au niveau national, ce qui renvoie à la question de la décentralisation. L'ADF préconise une clarification à ce sujet. Si un dispositif est reconnu comme efficace, comme les contrats aidés, alors il faut que les départements s'y impliquent et que l'Etat assure la continuité du dispositif. Les départements ne sont pas frileux, mais ils se méfient, car ils craignent de s'engager dans une politique qu'ils n'auront pas les moyens financiers d'assumer. Si les conseils généraux se comportaient comme des donneurs d'ordres avec Pôle emploi, alors il faudrait que les départements aient un représentant dans le conseil d'administration de Pôle emploi. Je pense donc qu'il faut creuser ces pistes d'amélioration, en gardant à l'esprit cette notion de donnant-donnant.
M. Claude Jeannerot, président. - Merci Monsieur le vice-président, de vous être rendu disponible. Nous tirerons parti de votre audition dans notre rapport.