- Mercredi 1er juin 2011
- Audition de M. Paul Louchouarn, directeur de l'établissement pénitentiaire de Fleury-Mérogis
- Audition de M. Roger Vrand, sous-directeur à la Direction générale de l'enseignement scolaire, chargé de la vie scolaire des établissements et des actions socio-éducatives et de Mme Nadine Neulat, chef du bureau de la santé, de l'action sociale et de la sécurité
- Audition de M. François Falletti, procureur général de Paris
Mercredi 1er juin 2011
- Présidence de M. François Pillet, sénateur, coprésident, et de M. Serge Blisko, député, coprésident -Audition de M. Paul Louchouarn, directeur de l'établissement pénitentiaire de Fleury-Mérogis
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Nous accueillons M. Paul Louchouarn, directeur de l'établissement pénitentiaire de Fleury-Mérogis.
Monsieur Louchouarn, vous avez dirigé plusieurs établissements d'incarcération avant d'arriver à la tête de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. La mission n'a pas encore entendu de spécialistes sur la problématique des drogues en prison, sujet sur lequel nous souhaiterions connaître la façon dont vous traitez cette question.
M. Paul Louchouarn. - Deux aspects sont importants en la matière. Le premier est le risque de trafic qui concerne avant tout la résine de cannabis et, de façon beaucoup plus marginale l'héroïne ou la cocaïne. Le second est celui de la prise en charge de l'addiction qui constitue un point commun entre l'alcool, les drogues dures et, dans une moindre mesure, la résine de cannabis car je n'ai pas le sentiment que les responsables de santé sont fortement mobilisés par ce dernier type d'addiction.
L'existence potentielle de trafic à l'intérieur de l'établissement, du fait du phénomène d'introduction et de consommation de produits stupéfiants, est une réalité à laquelle nous sommes confrontés ; elle a des influences sensibles sur les phénomènes de violence dans l'établissement.
Il s'agit avant tout de trafic de résine de cannabis. Comment entre-t-elle dans un établissement pénitentiaire ? Différents vecteurs sont possibles. Le plus évident réside dans l'introduction de produits stupéfiants par les familles à l'occasion des parloirs. Cela peut paraître surprenant, le principe voulant que toute personne ayant eu un contact avec la famille au parloir fasse l'objet d'une fouille intégrale à la sortie. L'expérience démontre en fait que les fouilles peuvent être faites sérieusement ou de façon plus approximative.
Il existe une résistance potentielle des détenus face au fait de se déshabiller et de laisser voir des parties intimes de leur anatomie. C'est une situation qui n'est pas facile à gérer pour le personnel et qui peut parfois donner lieu à des moments de faiblesse de la part des agents. Si les détenus s'en aperçoivent, ils feront entrer les produits en se les scotchant à des endroits où ils sont à peu près certains que les agents n'iront pas regarder.
Même si on peut se louer du sérieux du travail des agents, l'expérience prouve que cela ne règle pas le problème : si les agents font correctement leur travail et que les détenus ont le sentiment que quoi que ce soit de visible sur le corps ne pourra passer, ils utiliseront d'autres moyens contre lesquels les agents ne peuvent lutter : ingestion puis évacuation par les voies naturelles et tri en cellule ou introduction dans l'anus.
Par ailleurs, toutes les personnes entrant dans un établissement pénitentiaire - enseignants, personnels soignants, étudiants du GENEPI, concessionnaires des ateliers - peuvent faire pénétrer des produits stupéfiants d'autant que les moyens de détection à l'intérieur de l'établissement concernent avant tout les masses métalliques.
Le troisième vecteur auquel on pense le moins est le personnel. C'est une réalité : on a surpris à plusieurs reprises des agents impliqués dans des trafics avec la population pénale, soit de téléphones portables, soit de produits stupéfiants.
Le quatrième vecteur qui a tendance à se développer est la projection extérieure : il s'agit d'un trafic organisé avec l'extérieur, les portables ayant largement permis le développement de ce type de procédure. Des personnes extérieures s'approchent du mur d'enceinte et projettent des produits de préférence le long des façades. Cela donne ensuite lieu à tout un jeu de récupération avec ce que les détenus appellent eux-mêmes des cannes à pêche. On trouve des stupéfiants, des portables, parfois même de la viande crue, des plaques chauffantes !
Dans la majeure partie des cas, ce sont souvent les détenus les plus faibles qui sont impliqués dans ces trafics, les têtes de réseaux ne s'y investissent pas ; ce sont de pauvres gars que l'on force à aller chercher les produits au parloir ou, durant la promenade, à escalader les grillages pour récupérer ce qui a été projeté dans les zones neutres. S'ils ne le font pas, ils subissent des violences, ce qui constitue un phénomène préoccupant.
Les moyens de lutte sont limités. J'en veux pour preuve l'escalade de la violence à laquelle on a pu assister depuis une quinzaine d'années dans ce domaine. On a apporté des réponses pénitentiaires, judiciaires parfois. Les parquets ont bien souvent été réactifs par rapport aux découvertes de produits stupéfiants ou de portables, et ont prononcé des peines. Le détenu surpris avec des stupéfiants est bien souvent une « mule » qui, s'il est pris, perd ses remises de peines, ses perspectives d'aménagement et récolte des mois de prison supplémentaires ainsi qu'un séjour au quartier disciplinaire. Certains ont donc refusé de prendre ces risques et le niveau de pression a augmenté. On a ainsi pu assister à des phénomènes extrêmement violents, organisés en cours de promenade pour mutiler des détenus à vie. Lors d'une agression à la maison d'arrêt de Villefranche, que je dirigeais alors, un détenu a ainsi perdu un oeil.
D'autres agressions graves de ce type ont eu lieu. Lorsque j'étais chef d'établissement à la maison d'arrêt de Saint-Etienne, j'avais mis en oeuvre un système de retenue des familles jusqu'à ce que les détenus soient fouillés. Si l'on trouvait quelque chose, la famille du détenu faisait l'objet d'une procédure de police qui pouvait parfois avoir des suites.
Ce mode opératoire a été abandonné à l'époque mais je n'ai pu, après coup, m'empêcher de faire un lien entre cette mesure et l'agression d'un agent travaillant au parloir, le 27 juillet 2000. Il a pris deux décharges de chevrotine à bout portant dans le genou. Il a perdu une jambe et a failli perdre la vie. Même si l'enquête judiciaire n'a jamais abouti, il s'agissait là d'un avertissement de ceux qui dirigeaient le trafic de stupéfiants dans l'établissement.
C'est un phénomène qui pèse aujourd'hui sur les établissements, essentiellement autour de la résine de cannabis. Je n'ai pas le souvenir de découvertes significatives de drogues dures en établissement pénitentiaire. On trouve souvent de la poudre et on la fait toujours analyser mais je n'ai jamais vu un résultat positif sur un retour d'analyses, même s'il est extrêmement difficile de trouver un ou deux grammes d'héroïne dans une cellule. Certains psychiatres m'ont toutefois dit qu'ils avaient eu l'occasion d'être confrontés à des situations où des détenus sont devenus dépendants durant leur séjour, ce qui laisse supposer que ce type de trafic peut exister - mais ce n'est pas le sujet majeur pour un chef d'établissement pénitentiaire.
La confrontation des professionnels de l'administration pénitentiaire aux addictions concerne surtout la prise en charge des détenus arrivant en maison d'arrêt, avec le risque de décompensation lié à un état de manque dans les premières heures de l'incarcération ; celle-ci intervient très souvent après une phase de garde à vue pendant laquelle on peut être certain que le détenu n'a pu consommer. L'état de manque est donc déjà bien avancé quand le détenu arrive dans l'établissement pénitentiaire.
A Fleury-Mérogis, il existe un dispositif que je considère satisfaisant en matière de prise en charge des addictions et des états de manque à l'arrivée, avec un entretien systématique dans les vingt-quatre premières heures et une évaluation par des professionnels de santé spécialisés du CSAPA. Ils effectuent une évaluation et peuvent même réaliser une analyse d'urine en cas de doute après discussion avec le détenu. Un protocole de soins est alors mis en oeuvre pour remédier à ces phénomènes d'addiction.
Ce dispositif n'existe pas le week-end mais une évaluation rapide de la situation d'un détenu entrant est rapidement effectuée, avec analyse d'urine par bandelette si le détenu déclare qu'il est en situation de manque afin de vérifier des traces de traitement de substitution dans les urines. S'il y en a, cela peut laisser supposer que le détenu faisait l'objet d'un soin de substitution antérieur. Une prescription est alors établie pour le week-end, en attendant une évaluation complète dès le lundi. Ceci nous évite d'être confrontés à des explosions de violence liées à des états de manque.
A Fleury-Mérogis, 235 détenus par mois en moyenne font l'objet d'une prescription de Subutex et 66 de méthadone. 300 détenus par mois, en moyenne, bénéficient donc d'un traitement de substitution, soit 8 % des détenus.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - S'agit-il de détenus sous traitement de substitution avant l'arrivée en maison d'arrêt ?
M. Paul Louchouarn. - Je n'ai pas de détail entre ceux faisant déjà l'objet d'un traitement de substitution avant d'entrer et ceux qui voient le traitement enclenché après l'arrivée dans l'établissement.
On note, depuis 2006, une baisse de l'ordre de 50 % du nombre de prescription de Subutex.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - Vous êtes bien les seuls !
L'alcool et le vin sont-ils interdits dans le règlement intérieur ?
M. Paul Louchouarn. - Aucune boisson alcoolisée n'est distribuée en établissement pénitentiaire. Jusqu'au milieu des années 1990, on distribuait des bières légèrement alcoolisées qui ont été supprimées du fait de trafics de détenus qui faisaient commander des bières par d'autres et qui les rassemblaient en cellule, celles-ci étant contingentées. L'administration a préféré mettre fin à cette possibilité. Aucune boisson alcoolisée n'est plus distribuée lors des repas, ni autorisée dans le cadre d'achats extérieurs au titre des produits de cantine.
Les détenus qui souhaitent absolument consommer un dérivé alcoolique en sont souvent réduits à concocter eux-mêmes des mélanges pour essayer de retrouver un état proche de l'ivresse. Les résultats sont parfois surprenants : un détenu a un jour mélangé du Coca-Cola avec du gel de combustion. Il a été évacué vers l'hôpital dans un état second, bien au-delà de ce qu'il avait dû imaginer au départ !
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Vous avez parlé des personnes sous traitement de substitution. En surprenez-vous certaines à se faire des injections de produits ?
M. Paul Louchouarn. - C'est extrêmement marginal.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - Les comprimés de Subutex sont-ils bien distribués à l'infirmerie en présence du personnel de l'administration ?
M. Paul Louchouarn. - Les chiffres dont je dispose sont ceux que me transmettent les services médicaux mais nous ne sommes pas censés savoir qui reçoit un traitement de substitution. On sent là les limites du secret médical en établissement pénitentiaire car le protocole de soins autour du Subutex fait qu'il existe en général un accompagnement dans la prise du produit. Les détenus qui bénéficient de ce type de traitement sont acheminés tôt le matin au service médical. Les personnels - mais aussi les autres détenus - savent qui sont les détenus qui descendent à l'infirmerie pour recevoir le traitement de Subutex. Ceux-ci peuvent faire l'objet de sollicitations pour le ramener et le remettre à d'autres à l'intérieur des bâtiments. Les détenus sous Subutex font mine d'avaler leur comprimé et le mettent en fait dans un papier aluminium pour le monnayer ensuite. Il existe donc des risques de trafics et de dérives.
Le personnel de santé fait ce qu'il peut et il est difficile de lui en demander plus. Si le détenu fait semblant de l'avaler pour le conserver dans la bouche et le ressortir ensuite, c'est imparable.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Les associations militent pour une distribution de seringues en prison. Pensez-vous que l'échange de seringues y soit nécessaire ?
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Cela signifierait qu'il existe des seringues non-saisies qui servent à s'auto-injecter des produits...
M. Paul Louchouarn. - Cela fait dix-sept ans que je travaille en établissement pénitentiaire : on y trouve de tout ! On arrive même à trouver quelques grammes de hachisch. Si l'on trouvait des seringues en grosse quantité, je le saurais ! Un détenu ne peut indéfiniment cacher des seringues dans sa cellule !
Nous sommes extrêmement vigilants, notamment en matière de traitement des détenus diabétiques, dont certains sont amenés à se piquer eux-mêmes. On a longuement hésité face au risque de détournement mais on a choisi cette pratique dans un certain nombre de cas, en surveillant que les choses se passent bien. Je n'imagine pas une seule seconde qu'il existe des détentions massives de seringues, avec un risque d'utilisation par plusieurs utilisateurs et de contaminations virales -VIH ou autres !
J'ai déjà entendu cette revendication de certaines associations. Je l'estime complètement décalée par rapport à la réalité du fonctionnement d'un établissement pénitentiaire. Selon moi, ce n'est pas un sujet en soi !
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Personne ne se pique donc ?
M. Paul Louchouarn. - Je ne puis vous l'affirmer ; par contre, je n'ai pas le souvenir, ces trois dernières années, que l'on ait trouvé une seringue à Fleury-Mérogis !
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - Cela ne vous est jamais arrivé à Fleury-Mérogis ?
M. Paul Louchouarn. - Si c'est le cas, on ne m'en a pas parlé. Lorsque les agents trouvent quelque chose, cela fait généralement grand bruit et les organisations professionnelles s'en saisissent. Cela ne peut pas ne pas se savoir !
Les cent soixante personnels de santé de Fleury-Mérogis voient des détenus à longueur de journée. Le responsable du pôle santé est en face de mon bureau. Jamais il n'est venu me voir au sujet de seringues trouvées en détention. Je ne l'imagine pas une seconde.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - Le service de santé, que j'ai récemment visité, est en effet impressionnant !
M. Paul Louchouarn. - Quand un détenu présente des traces de coups que nous n'aurions pas détectées, il nous le signale. Pourquoi ne nous signalerait-il pas un détenu qui se pique ?
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Comment la distribution de Méthadone se passe-t-elle ?
M. Paul Louchouarn. - J'ai moins de connaissances précises sur ce sujet...
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Ce sont bien 66 personnes qui sont sous Méthadone ?
M. Paul Louchouarn. - En effet. Je pars du principe que cela se fait de la même façon que pour le Subutex, au sein même des locaux de l'UCSA mais j'ai moins entendu parler de problèmes autour de la distribution de Méthadone qu'autour de la distribution de Subutex...
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - N'avez-vous jamais eu d'accidents liés à la Méthadone dans l'établissement ?
M. Paul Louchouarn. - D'accidents liés à un problème de dosage ? Non, pas à ma connaissance...
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - On parle de trafics de médicaments psychotropes, que l'on donne à des détenus atteints d'angoisse, de dépression... Ces médicaments sont largement distribués par le service médical dans des conditions plus habituelles que pour les autres traitements. On dit qu'on les pile pour en faire une sorte de « drogue du pauvre »...
M. Paul Louchouarn. - Tout se trafique dans un établissement pénitentiaire, le traitement médical comme le reste. On a 3.000 prescriptions par mois de médicaments divers et variés. Certains détenus sont capables de gérer leur traitement sur plusieurs jours et sont parfaitement autonomes ; d'autres arrêtent les médicaments, s'en servent comme monnaie d'échange ou se font racketter avec ou sans violences.
Il y a des phénomènes d'accumulation qui servent dans un certain nombre de cas aux tentatives de suicide. C'est un vrai sujet de préoccupation.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Comment cela se passe-t-il pour les insulinodépendants ?
M. Paul Louchouarn. - Il en existe différents types : soit ils gèrent eux-mêmes leur traitement en cellule...
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Se piquent-ils eux-mêmes ? Ils disposent de seringues !
M. Paul Louchouarn. - Oui, c'est ce que j'ai expliqué. Cela se fait en lien étroit avec les services médicaux du bâtiment...
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Il s'agit bien de seringues à insuline ?
M. Paul Louchouarn. - Oui...
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Cela suffit...
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - Le service médical récupère-t-il la seringue ?
M. Paul Louchouarn. - Oui. Il existe un suivi et un accompagnement. Le personnel pénitentiaire est informé qu'il existe du matériel dans telle ou telle cellule. On est davantage confronté à la difficulté de mise en oeuvre de ce type de traitement - car il existe un risque que le personnel le confisque - qu'à une indifférence ou à un manque de vigilance en la matière.
On s'est entouré de précautions quand on a permis à ces traitements d'être réalisés en cellule par le détenu. L'administration pénitentiaire reste cependant attentive : un agent peut se faire crever un oeil à travers l'oeilleton de la porte. On peut tout imaginer. L'administration pénitentiaire, d'une manière générale, aime bien se faire peur et échafaude tous les scénarios possibles. C'est pourquoi je ne crois pas à la présence de seringues que personne ne verrait !
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Quelle est la part des détenus qui souffrent du VIH ou d'hépatites ?
M. Paul Louchouarn. - Je ne sais pas qui est concerné mais on doit en avoir le nombre...
Selon le rapport d'activité du service médical, « en 2010, 65 patients différents ont fait l'objet de délivrance d'antiviraux par la pharmacie ; 30 patients en moyenne par mois ont reçu un traitement antiviral. On note une baisse de 27 % du nombre de patients moyens traités pour une infection au VIH ».
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Apparemment, la population toxicomane en prison diminue donc...
M. Paul Louchouarn. - Je n'ai que les chiffres de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis et non les chiffres nationaux.
On est passé en 2006 de 318 détenus sous Buprénorphine haut dosage à 235 en 2010. Cependant, on comptait 52 traitements par Méthadone en 2006, 69 en 2007, 58 en 2008, 59 en 2009, 66 en 2010. La variation annuelle paraît normale alors que le Subutex est en diminution sensible.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - On touche là du doigt les difficultés de ce fameux secret médical partagé, dont on a beaucoup parlé au moment de la loi pénitentiaire. Le secret médical existe mais il faut aussi tenir compte de la vie de tous les jours.
Vos informations vous font-elles penser qu'il y aurait plus de gens atteints du VIH que ce qui est annoncé - même si certains ne sont pas encore sous traitement - les détenus cachant ce type d'affection quand ils arrivent en prison ?
M. Paul Louchouarn. - C'est très difficile à percevoir. Si je puis citer des chiffres de détenus concernés, on a en revanche la plus grande difficulté pour identifier les détenus en question ou faire des analyses. C'est impossible.
Selon moi, la problématique du secret médical en prison n'est pas celle du VIH ou de l'hépatite. On a adopté des comportements professionnels depuis quinze ou vingt ans : les agents, dans toutes les situations, quel que soit le détenu, doivent agir comme si ce dernier était atteint d'une maladie de ce type. Il existe un protocole pour interventions avec risques d'exposition au sang, que les agents ont assez bien intégré. Ils mettent des gants, prennent garde en cas de fouille, etc. On n'intervient plus n'importe comment dans une situation présentant un risque d'exposition au sang.
A Fleury-Mérogis, on effectue 1.600 sorties par an pour emmener un détenu à l'hôpital. C'est un agent pénitentiaire qui fait quotidiennement les listes des détenus admis au service médical. Certains vont voir tel ou tel spécialiste. Il y a donc un minimum d'interférences qui font que le secret médical n'est pas le dogme que l'on pourrait imaginer. On s'appuie néanmoins dessus pour expliquer que l'on ne peut donner d'informations à l'administration pénitentiaire lorsqu'elle veut mieux prendre le détenu en charge, l'accompagner dans son parcours pénitentiaire et préparer son aménagement de peine.
On a besoin d'un avis éclairé de tous les acteurs qui interviennent dans la prise en charge du détenu. On ne demande pas à connaître le dossier médical, ni à savoir de quelle pathologie souffre tel ou tel détenu mais à avoir un conseil d'un médecin sur la façon de construire un aménagement de peine afin d'éviter que le SPIP ne travaille sur une hypothèse pendant que le médecin travaille sur une autre. Il est dommage de se heurter à ce genre de situation. Les agents ont compris qu'ils n'avaient pas besoin de savoir de quelle pathologie souffrait le détenu dès lors qu'ils se protègent en amont.
Il existe des situations particulières : tuberculose, gale, expositions au sang. Quand le sang d'un détenu qui s'est coupé et se débat est projeté dans l'oeil d'un agent, dans huit cas sur dix - sans que j'intervienne en aucune manière - le service médical arrive à rassurer le surveillant en lui disant qu'il ne risque rien...
Le discours sur le secret médical ne correspond pas à la réalité. Alors que l'essentiel est admis par tous les acteurs, on passe à côté de ce qui fait la base du travail pluridisciplinaire de chacun en matière de prise en charge des détenus.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Combien de détenus sont-ils incarcérés à Fleury-Mérogis pour trafic de drogues ?
M. Paul Louchouarn. - Environ 20 % - mais il faut que la condamnation figure sur la fiche pénale. Un détenu peut être incarcéré pour vol, ce qui ne l'empêche pas d'être par ailleurs impliqué dans des trafics.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Merci de nous avoir fourni tous ces renseignements.
Audition de M. Roger Vrand, sous-directeur à la Direction générale de l'enseignement scolaire, chargé de la vie scolaire des établissements et des actions socio-éducatives et de Mme Nadine Neulat, chef du bureau de la santé, de l'action sociale et de la sécurité
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Monsieur Jean-Michel Blanquier, directeur général de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, a été retenu par le ministre et ne pourra nous rejoindre.
Nous recevons M. Roger Vrand, sous-directeur à la Direction générale de l'enseignement scolaire, chargé de la vie scolaire des établissements et des actions socio-éducatives et Mme Nadine Neulat, chef du bureau de la santé, de l'action sociale et de la sécurité dans la sous-direction que dirige M. Vrand.
Nous souhaitons recueillir votre avis et en particulier votre point de vue sur la politique de prévention de la toxicomanie en général, évidemment plus particulièrement au regard de la jeunesse et dans les établissements d'enseignement public.
Quel constat portez-vous sur les actions que vous menez ?
M. Roger Vrand. - L'article L. 312-18 du code de l'éducation prévoit qu'une "information soit délivrée sur les conséquences de la consommation de drogues sur la santé, notamment concernant les effets neuropsychiques et comportementaux du cannabis, dans les collèges et les lycées, à raison d'au moins une séance annuelle, par groupes d'âge homogène".
C'est dans ce cadre législatif que s'inscrit l'action que nous menons en matière de prévention des toxicomanies.
Les mesures concernant l'éducation nationale dans le cadre du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies 2008-2011 sont de trois ordres :
- relayer dans les établissements scolaires le dispositif de communication sur la dangerosité des produits ;
- développer une politique de prévention au sein des établissements scolaires du premier et du second degré en mettant à la disposition de la communauté scolaire les outils et les ressources documentaires nécessaires ;
- organiser et encourager, dans les zones où cela est possible, une orientation par le médecin ou l'infirmière des jeunes en difficulté par rapport à l'usage des produits psychoactifs vers les consultations « jeunes consommateurs » ou les consultations organisées par les CSAPA.
Plus récemment, la circulaire de rentrée du 2 mai 2011 rappelle que l'école est un acteur de santé publique qui joue un rôle essentiel dans l'éducation à la santé. Parmi les priorités de l'éducation nationale concernant la santé des élèves, la prévention des conduites addictives figure en bon rang et reprend les orientations du plan gouvernemental.
Il est en particulier précisé que cette prévention vise à aider chaque jeune à s'approprier progressivement les moyens d'opérer des choix, d'adopter des comportements responsables, pour lui-même comme vis-à-vis d'autrui et de l'environnement.
Cette démarche doit permettre de préparer les élèves à exercer leur citoyenneté avec responsabilité. Elle contribue à la construction individuelle et sociale des enfants et des adolescents, constituant ainsi une composante de l'éducation du citoyen.
Une étude réalisée par la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation nationale en 2008-2009 fait apparaître que, dans le second degré, l'éducation à la santé dans son ensemble est mise en oeuvre dans neuf établissements sur dix et a pour objectif conjoint l'éducation à la citoyenneté et l'acquisition de connaissances en matière de santé, notamment la formation des élèves à la prévention des conduites addictives.
Cette formation s'inscrit par ailleurs dans le cadre du pilier 6 du socle commun de connaissances et de compétences portant sur les aspects d'éducation civique. Les établissements scolaires sont tenus d'intégrer des actions ressortissant à ces orientations, notamment de prévention des conduites addictives dans leur projet d'établissement.
Par ailleurs, cette prévention est intégrée à l'enseignement des sciences de la vie et de la terre, les SVT ; d'autres actions de prévention sont également conduites, quelquefois en liaison avec les établissements et avec les enseignants de SVT, par les personnels de santé et de service social avec l'appui de partenaires dans un certain nombre de cas.
Le rôle d'animation de ces actions est en premier lieu dévolu aux personnels de santé et de service social au sein des établissements -78%. Il revient ensuite aux enseignants de sciences de la vie et de la terre -35 %- soit en équipe, soit avec d'autres enseignants -17 %. Ce rôle concerne également les CPE -37%- ainsi que les membres d'associations -34%.
Au collège, ce sont les élèves de la cinquième à la troisième qui sont le plus fréquemment sensibilisés à la prévention des conduites à risques. En lycée d'enseignement général et technologique, cette prévention intervient le plus souvent en classe de seconde et en première. En lycée professionnel, elle concerne principalement la seconde professionnelle.
En général, les élèves bénéficient dans plus de 80% des cas d'au moins une action de prévention - quelquefois plus - dans le domaine de la consommation d'alcool, de tabac et de drogues illicites.
Selon les chefs d'établissements, les effets du projet d'éducation à la santé sont particulièrement positifs sur le comportement des élèves dans l'établissement -78%- et sur les relations entre filles et garçons -63% en moyenne.
Une action positive pour les élèves doit réunir les conditions suivantes :
- une bonne cohérence des acteurs du milieu scolaire afin de faire passer des messages cohérents et globaux d'éducation et de prévention ;
- une intégration d'un programme de prévention dans le projet d'établissement, notamment dans le second degré, conduit par le comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté, qui doit faire l'objet d'un bilan présenté au conseil d'administration ;
- enfin, une implication des personnels, des élèves, des parents et des partenaires extérieurs.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Merci de ce panorama des actions que vous mettez en oeuvre.
Quelle est aujourd'hui la réalité de la drogue en milieu scolaire ? Quelles évolutions ressentez-vous ?
M. Roger Vrand. - On peut distinguer ce que l'on ressent au sein même d'un établissement et dans son environnement immédiat.
La préoccupation la plus significative des chefs d'établissement tient à ce qui se passe autour de leur collège ou de leur lycée. Des trafics peuvent exister et les élèves être sollicités.
Il existe bien sûr un sentiment plus ou moins diffus que la consommation - en particulier de cannabis - est assez largement répandue parmi une population de lycéens ou de collégiens en fin de cycle. Il ne s'agit pas nécessairement d'une consommation régulière mais d'une découverte de ce type de produit.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je voudrais en venir aux infirmières et infirmiers scolaires que nous avons auditionnés ; ils sont au plus près des élèves et recueillent leur vision des choses ainsi que leurs pratiques.
On leur demande de constituer un cahier où figurent des fiches de consultation qu'ils font remonter au ministère. Manifestement, les données ne sont pas toujours exploitées. Je trouve dommage de ne pouvoir s'en servir, ces données représentant la photographie des problématiques que peuvent rencontrer les élèves, non seulement en matière de toxicomanies ou de consommation de produits mais également en matière de santé. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Mme Nadine Neulat. - Les infirmières sont dotées d'une sorte de répertoire de leurs actes quotidiens. C'est un outil très intéressant pour le pilotage de l'établissement. Ce cahier peut faire apparaître certains signes à propos des problèmes de l'établissement.
Il serait très difficile à l'académie et à l'administration centrale de recueillir l'ensemble des données où figurent des informations personnelles sur les élèves, mais nous sommes conscients qu'il s'agit d'une mine de renseignements qu'il nous faut mieux exploiter, le nombre d'indicateurs que l'on fait remonter vers l'administration centrale étant très restreint.
Nous travaillons donc sur un projet de tableau de bord plus global en matière de santé et d'action sociale qui permettrait de rassembler un nombre d'éléments plus important.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - C'est une véritable richesse ! En outre, ces données sont informatisées. Il devrait donc être assez facile de mettre en place une évaluation et de pouvoir agir sur un programme spécifique.
Mme Nadine Neulat. - Il faut être conscient que tous les éléments n'ont pas à parvenir à la centrale. Chaque niveau de responsabilité a besoin d'un certain nombre d'indicateurs. Nous avons travaillé sur les indicateurs relatifs au pilotage national, utiles à l'administration centrale. L'académie peut avoir besoin d'un nombre d'indicateurs plus important, comme dans le cas du partenariat entre académies et ARS, qui constitue un des points centraux du pilotage des politiques de santé au niveau académique. Il faut réfléchir aux informations dont chaque niveau a besoin mais c'est effectivement capital.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - L'information délivrée dans les établissements par les policiers ou les gendarmes est-elle efficace en matière de prévention ?
En second lieu, à quel âge faudrait-il commencer à faire de la prévention et sous quelle forme ?
M. Roger Vrand. - On sait qu'il est difficile d'être entendu par les adolescents, toujours prompts à la prise de risques et à la transgression. C'est pourquoi il est important que l'établissement dispose d'un projet global cohérent qui permette de jouer sur différents leviers.
On imagine que le CPE interviendra plus volontiers sur les aspects de citoyenneté, de respect des règles à l'intérieur de l'établissement ou au-delà, alors que des personnels de santé ou le professeur de SVT seront plus à même d'intervenir sur les aspects d'éducation à la santé. Tout cela doit constituer un ensemble et les interventions des partenaires doivent être assez précisément intégrées dans une action cohérente et convergente.
Selon nous, il faut donc se situer sur le plan de la citoyenneté, du respect des règles et sur le plan de la santé.
Cela étant, nous ne pensons pas qu'il faille attendre l'adolescence ou la fin du collège pour intervenir sur ces questions. Nous avons ces derniers temps travaillé en liaison avec la MILDT à la préparation d'un guide portant sur des actions de prévention dans le premier degré. Cette approche s'efforce de répondre au public de l'école élémentaire et privilégie la recherche du bien-être, le respect de soi, le respect d'autrui. En fonction de l'âge, on peut être amené à moduler le respect de la législation, faire valoir les conséquences encourues ou insister sur l'éducation à la santé et la recherche d'un équilibre.
Mme Nadine Neulat. - Nous avons par ailleurs déjà diffusé un guide réalisé avec la MILDT destiné au second degré. Toutes les personnes susceptibles d'intervenir en milieu scolaire se sont mises d'accord sur un cadre d'intervention -éducation nationale, associations, gendarmerie, police. Il est en effet important pour les élèves de disposer d'un cadre structurant sur lequel les adultes se soient mis d'accord. Quelles que soient les opinions, il est nécessaire que cette information en milieu scolaire soit acceptée par tout le monde.
Différents aspects peuvent être abordés autour de l'éducation et de la prévention. Le travail sur le développement des compétences psychosociales doit particulièrement être recherché. Ainsi, la résistance à la pression des pairs est majeure en matière de prévention des toxicomanies et doit être abordée lors de ces séances de prévention. On doit apprendre aux enfants à résister à une offre face à laquelle ils se trouveront confrontés à un moment ou à un autre, notamment lors du passage de l'école primaire au collège et encore plus du collège au lycée. C'est alors, en effet, que l'on enregistre une augmentation significative des consommations de cannabis.
Les leviers de la prévention sont donc multiples. Il n'existe pas une seule méthode et l'on doit agir sur plusieurs facteurs.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Comment se concilient les obligations du monde enseignant et du personnel infirmier - respect du secret professionnel, alerte des parents ? Une prise en charge individuelle est nécessaire pour un certain nombre, l'information collective n'étant pas suffisante...
M. Roger Vrand. - Le rôle des personnels de l'éducation nationale et des personnels de santé est crucial dans le repérage des situations individuelles et pour l'alerte, en liaison éventuelle avec d'autres relais extérieurs.
Ceci incite à développer l'échange entre l'équipe enseignante et les personnels de santé afin de favoriser le repérage - avec les difficultés liées au secret professionnel ou à la confidentialité que vous avez évoquées.
L'autre dimension réside dans l'alerte des parents et l'accompagnement que des personnels de santé de l'établissement peuvent mettre en oeuvre pour les parents les plus démunis qui découvrent brutalement une consommation face à laquelle ils ne savent comment réagir.
D'une façon plus générale, nous sommes engagés dans le développement de la relation avec les parents d'élèves au sein des établissements. Peut-être avez-vous entendu parler de la « mallette des parents » qui vise à outiller les équipes d'environ 1.300 collèges pour renforcer le dialogue avec les familles...
Cette opération doit permettre de développer et d'approfondir les contacts lorsque des difficultés de cette nature surgissent. C'est un point sur lequel on va s'efforcer de mutualiser davantage les pratiques afin que les équipes sachent mieux réagir face à ce type de situation.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Avez-vous des échanges avec d'autres Etats à propos de leurs propres expériences ?
M. Roger Vrand. - Les relations que nous avons tendent à inscrire la démarche dans une approche globale, notamment par le biais d'expériences et de réflexions sur la recherche d'un climat scolaire propice au bien-être et à l'équilibre de l'élève. Un certain nombre de nos contacts européens s'établissent dans cette perspective.
Mme Nadine Neulat. - Nous lions des relations lors de colloques internationaux dans le cadre d'un réseau européen d'écoles promotrices de santé. Les questions de prévention y sont intégrées comme d'autres. Une réunion de correspondants nationaux a lieu annuellement pour échanger sur les pratiques dans un nombre important de pays d'Europe.
D'autres échanges ont également lieu avec des équipes de recherche. Un colloque, où le ministère était représenté, a récemment eu lieu en Italie sur le lien entre la recherche et les actions réellement mises en place, qui constitue souvent une difficulté.
La France n'a toutefois pas à rougir des politiques qui sont menées dans notre pays. La plupart des nations se heurtent aux mêmes difficultés. Le constat est toujours le même : l'école est un lieu propice à une politique d'éducation à la santé et de prévention, ainsi qu'un cadre de prévention à l'égard des consommations.
L'INPES a par ailleurs analysé différents programmes efficaces, comme le veut son rôle. Il ne suffit en effet pas de mener des actions tous azimuts : encore faut-il connaître les plus pertinentes ! Beaucoup de gens font preuve de bonne volonté, comme les anciens toxicomanes qui interviennent dans les établissements mais on ne connaît pas l'impact de ce type d'action. Les programmes qui fonctionnent le mieux sont le plus souvent nord-américains et québécois. Un programme canadien intitulé « Mieux vivra à l'école » a été adapté en France mais n'a pas été généralisé pour différentes raisons.
Les programmes efficaces existent donc mais leur mise en oeuvre est une autre question...
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Les sanctions appliquées à l'encontre des adolescents interpellés par la police vous paraissent-elles adaptées ? Le rappel à la loi vous paraît-il satisfaisant ? Ne faudrait-il pas envisager un système contraventionnel afin de mieux faire prendre conscience à ces jeunes du problème qu'ils posent ?
M. Roger Vrand. - D'une façon générale, nous avons un bon retour d'informations de la part de la justice sur la situation des élèves de certains lycées particulièrement exposés à ce type de difficultés. Le partenariat avec les forces de police ou de gendarmerie s'est beaucoup amélioré. Il existe une marge de progrès pour ce qui est des relations avec la justice, notamment en matière de circulation de l'information et de signalements que les établissements peuvent réaliser.
Pour ce qui est de la nature de la sanction, la démarche éducative est aujourd'hui fondée sur le droit existant et situe les transgressions dans le cadre du délit.
Mme Neulat a travaillé avant 2007 sur la réflexion destinée à transformer certaines de ces infractions en contraventions. La réflexion, à cette époque, avait conduit à penser que cela risquait de brouiller le message...
Mme Nadine Neulat. - Depuis la loi de prévention de la délinquance de 2007, la palette s'est ouverte en matière d'alternatives à la consommation. Le problème relevait à l'époque de la disparité dans l'application de la loi vis-à-vis des consommateurs de cannabis, en fonction des tribunaux.
Il est assez difficile de tenir un discours à des jeunes si la loi n'est pas réellement appliquée ou si elle l'est de manière aléatoire d'une région à l'autre. Elle n'a alors plus aucun sens pour les élèves. Une gradation des peines pourrait jouer un rôle éducatif mais il faut tenir compte du règlement de la contravention. Sera-t-elle payée par les parents ? Seront-ils solvables ? Les catégories sociales les plus aisées ne continueront-elles pas à consommer ? Cela soulève des questions assez complexes.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Merci des précisions que vous nous avez apportées.
Audition de M. François Falletti, procureur général de Paris
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - Nous sommes particulièrement honorés d'accueillir M. François Falletti, procureur général près la Cour d'appel de Paris, à qui je souhaite la bienvenue.
Nous avons déjà auditionné des représentants de services ou d'organismes chargés de la lutte contre les drogues et la toxicomanie, mais pas encore le parquet.
Monsieur le Procureur général, nous souhaiterions connaître votre point de vue en la matière ainsi que la ligne de conduite que vous vous êtes fixée depuis votre nomination l'an passé.
La loi du 31 décembre 1970 est-elle toujours d'actualité ? Des adaptations sont-elles nécessaires ? Il est toujours question de la dépénalisation de l'usage de certaines drogues. Cela est-il envisageable ?
La situation en région parisienne, comme dans toutes les grandes métropoles du monde, est sans doute plus aiguë qu'ailleurs - bien qu'on nous dise que l'on rencontre les mêmes types de problèmes en province. Vos échanges internationaux vous donnent-ils le sentiment qu'il existe des particularités propres à Paris et à l'Ile-de-France ?
Quelles sont les pistes d'amélioration de la réponse à la consommation de stupéfiants et au trafic ? Quelle est la distinction entre le trafiquant et l'usager ? Peut-on encore développer les saisies d'avoirs criminels ?
M. François Falletti. - Merci.
Je suis très honoré de pouvoir apporter ma contribution à un débat particulièrement essentiel pour la bonne démarche de vie dans notre société et qui comporte d'énormes enjeux de toute nature.
Vous mettez l'accent, dans le cadre des objectifs de votre mission, sur les problématiques de consommation et d'usage. On voit bien qu'il existe des possibilités, à travers l'usage des stupéfiants, d'une déstructuration considérable des individus et des groupes de personnes, collectivités familiales et autres.
Il y a également derrière cela des questions d'avoirs illicites rassemblés entre des mains qui n'hésitent pas à les utiliser dans le contexte de réseaux criminels voire, plus largement, de financement du terrorisme.
Il s'agit là d'un enjeu essentiel. Je suis venu accompagné de l'avocat général Philippe Lagauche, qui exerce, au sein du parquet général de Paris, des fonctions d'avocat général central en suivant au quotidien tous les problèmes d'actions publiques émanant des neuf parquets du ressort de la Cour d'appel.
Le parquet général de Paris a une responsabilité sur Paris intra-muros ainsi que sur huit autres tribunaux de la grande région parisienne, dans des départements particulièrement sujets à des problématiques du type de celles qui nous préoccupent : la Seine Saint-Denis - Bobigny - le Val de Marne - Créteil - l'Essonne - Evry - la Seine et Marne - Meaux, Melun et Fontainebleau. Par les miracles de la carte judiciaire, nous avons également un regard sur l'Yonne, avec les tribunaux de Sens et d'Auxerre.
Cependant, nous n'avons pas de responsabilité sur les départements regroupés au sein de la Cour d'appel de Versailles -Yvelines - ni sur les Hauts de Seine - Nanterre - le Val d'Oise - Pontoise - et l'Eure-et-Loir - Chartres.
Nous avons malgré tout à coeur, avec mon collègue procureur général de Versailles, de travailler de manière cohérente sur l'ensemble de l'Ile-de-France, dans le cadre des groupes de travail amenés à s'intéresser à des problématiques diverses et notamment à tout ce qui a trait aux diverses formes de délinquance et de criminalité en Ile-de-France.
Nous nous trouvons en présence d'une problématique qui a connu une évolution considérable depuis les années 1970. Je me souviens, pour avoir exercé mes premiers pas dans la magistrature à la fin des années 1970, qu'on trouvait alors dans les parquets un ou deux magistrats chargés des problèmes de toxicomanie. C'était relativement délimité.
Malheureusement, depuis une trentaine d'années, la drogue et les stupéfiants se sont immiscés un peu partout dans les préoccupations des magistrats et des policiers s'agissant des questions touchant à la délinquance.
Nous avons, face à ce phénomène diffus mais marqué, tenu à nous organiser pour apporter des réponses aux différentes manifestations du phénomène.
Tout d'abord, une réaction très forte et très ferme s'est exercée vis-à-vis de toutes les formes de trafic. Le trafic de stupéfiants constitue toujours aujourd'hui un des éléments très importants de l'activité juridictionnelle en matière de lutte contre le crime organisé. Depuis 2004, l'institution des juridictions interrégionales spécialisées nous permet, en découpant le territoire français en huit, d'avoir une approche plus professionnelle de ce phénomène et, plus généralement, de toutes les manifestations du crime organisé - trafics d'armes, d'êtres humains, etc.
Singulièrement, les trafics de stupéfiants constituent toujours un des éléments essentiels du champ de travail couvert par ces juridictions spécialisées. La JIRSP, Juridiction interrégionale spécialisée de Paris, a une compétence sur les cours d'appel de Paris, de Versailles, d'Orléans et de Bourges. Cela nous amène à couvrir, au-delà de l'agglomération parisienne, tout ce qui se situe au-dessus de cette dernière, jusqu'au centre de la France.
L'expérience a montré que ce travail permettait une analyse beaucoup plus en profondeur des trafics. Bien sûr, ceux-ci proviennent de régions que nous connaissons bien. On sait que les trafics de cannabis remontent essentiellement du Sud, de l'Espagne et en bonne partie du Maroc. La cocaïne nous vient d'Amérique du Sud, également par l'Espagne.
D'autres voies, plus récentes, viennent de certaines parties du Sud de la Méditerranée. L'Atlantique étant fortement surveillé, l'Afrique de l'Ouest est devenue un lieu de passage. On constate également une recrudescence des trafics d'héroïne et de cannabis en provenance des Pays-Bas et du port de Rotterdam.
Si j'évoque très sommairement les routes de la drogue, c'est pour dire que l'approche en profondeur manifestée par la JIRS de Paris nous permet de mieux traiter ce type de problèmes. Des voitures « go fast » empruntent l'autoroute A 10 et traversent la région d'Orléans. On s'est rendu compte qu'il existait des points de stockage à une centaine de kilomètres de l'agglomération parisienne, sur le ressort de la Cour d'appel d'Orléans. Ces points de stockage peuvent servir à alimenter des grossistes qui interviennent sur tel ou tel point de l'agglomération parisienne.
On a ainsi enregistré, l'année dernière, une importante saisie dans les environs de Chartres. Il est important d'avoir une vision élargie qui corresponde à celle que la police a su mettre en place avec les directions interrégionales de police judiciaire.
Ce constat à propos de la grande agglomération parisienne se retrouve dans toutes les JIRS de France. J'ai pris la responsabilité du parquet général de Paris en mars 2010. J'étais auparavant procureur général à la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ; nous avions la même vision en profondeur des trafics de drogues qui traversent la Méditerranée : bateaux « go fast » au départ des côtes marocaines, voitures transitant de l'Espagne en direction de l'Italie, etc. Certains véhicules utilisaient très souvent nos autoroutes sans que ce soit spécialement pour le marché français.
Les schémas de grossistes se retrouvent également dans certains quartiers Nord de Marseille, où il existait des sortes de grandes supérettes de la drogue avec des points de stockage à quelques dizaines de kilomètres, dans le Vaucluse ou d'autres endroits.
Ce schéma d'organisation de la drogue rejoint donc des fonctionnements que l'on retrouve dans la vie commerciale et dans la vie des entreprises, permettant d'approvisionner tel ou tel quartier en flux tendu, d'où l'importance de notre travail concernant les juridictions interrégionales spécialisées. La JIRS de Paris accueille ainsi régulièrement des procédures émanant d'Orléans ou de Bourges.
L'essentiel des trafics poursuivis donne lieu à des investigations sur des constatations effectuées en région parisienne. Dans ces dossiers, nous voyons apparaître beaucoup d'affaires concernant le cannabis provenant du Nord de la France ou du Sud de l'Espagne, ainsi que de la cocaïne. La cocaïne correspond à un marché incontestablement en progression ; sur les trafics de drogues actuellement traités dans le cadre de la JIRS de Paris, une petite moitié concerne la cocaïne. Il s'agit donc d'affaires assez emblématiques de ces préoccupations...
Les saisies sont considérables ; la police, la douane, la gendarmerie procèdent à de très nombreuses investigations. Au cours de l'année 2010, on a ainsi saisi treize tonnes de cannabis, 627 kilos de cocaïne et 54 kilos d'héroïne. Ce schéma apparaît très préoccupant mais illustre aussi l'efficacité du travail mené par les services d'enquête.
Vous le savez sans doute, les services se sont aujourd'hui spécialisés, avec par exemple la mise en place de groupes d'intervention régionaux, les GIR. Il s'agit de services d'enquête qui ne se contentent pas d'interpellations, d'arrestations et de saisies, mais qui essayent également de mener des investigations sur les avoirs financiers provenant de trafics et procèdent ainsi à un travail en profondeur, avec l'appui de policiers, de gendarmes ou de douaniers mais également d'agents des impôts et d'inspecteurs du travail, tous fonctionnaires susceptibles d'avoir une vision élargie du phénomène.
Le trafic représente un défi constant à relever mais on ne peut passer par pertes et profits le travail considérable qui, contrairement à des propos parfois désabusés que l'on entend, débouche sur des résultats dont je viens de donner quelques illustrations.
La JIRS doit ensuite poursuivre le travail, notamment dans le contexte international. Il serait séduisant de pouvoir remonter davantage en direction des têtes de réseaux. Cela passe par un travail international, et la JIRS de Paris est sans doute mieux armée pour le conduire que des tribunaux disséminés.
Nous avons évidemment à faire face à des problématiques plus proches du terrain mais aussi des revendeurs de quartier. Ce sont là des questions intéressant l'usage et la consommation, qui sont l'un des grands sujets qui vous préoccupent dans le cadre de cette mission.
Nous avons là deux types de politique, l'une concernant les dealers qui sont très proches des usagers et des consommateurs. J'évoquais le problème des nourrices et des appartements qui servent à dissimuler les différentes formes de revente. Il est clair que, lorsque nous arrivons à identifier ce type de comportement, nous restons sur un registre de fermeté totale. La recherche porte sur les éléments de preuves susceptibles d'être mises en avant pour convaincre les auteurs de ces faits de revente.
Nos poursuites vont très souvent donner lieu à des procédures rapides, comme les comparutions immédiates ou, dans les cas les moins graves, la convocation par un officier de police judiciaire. Le plus souvent, en présence d'actes de la nature de ceux que j'évoquais, on procède à des poursuites dans le cadre des comparutions immédiates qui pourront déboucher, en fonction des circonstances, sur plusieurs années de peine d'emprisonnement à l'encontre des revendeurs.
Le dispositif voulu en 2004 prévoit que, face à un trafic de drogue d'une certaine importance quantitative et qualitative, l'information établie par la police judiciaire doit être double. Celle-ci, en cas de trafic de stupéfiants en Seine Saint-Denis, par exemple, va aviser le procureur de la République de Bobigny - juridiction compétente - mais également le parquet de Paris en tant que procureur de la JIRS couvrant tout le ressort de la grande agglomération parisienne jusqu'à Orléans et Bourges.
Un échange a alors lieu entre les juridictions de Paris et de Bobigny ; si l'on se rend compte que l'affaire peut conserver une dimension locale, elle restera à Bobigny. Si elle représente une certaine complexité, revêt une dimension internationale ou constitue une saisie importante de fonds, la JIRS de Paris se saisira de l'affaire. La liaison se fait donc au stade de l'enquête.
Il peut même se faire que la JIRS de Paris prenne les affaires les plus complexes et laisser le cas échéant certains revendeurs à la compétence du tribunal local pour ne pas trop surcharger inutilement une procédure qui, pour la JIRS, doit présenter certains critères. L'affaire sera poursuivie sur le terrain de la comparution immédiate ; des saisies d'argent, de drogues, de voitures vont pouvoir être opérées. Celles-ci sont importantes.
Le troisième élément auquel nous sommes extrêmement attentifs concerne l'usager. J'ai tenu à distinguer ces trois niveaux car nous ne sommes pas en présence d'un raisonnement identique. C'est l'évidence mais encore faut-il le rappeler. S'agissant des problèmes de drogues, on simplifie parfois les choses. Ce n'est pas parce que l'usager de cannabis encoure une peine d'emprisonnement qu'on le met en prison.
Les parquets de l'Ile-de-France qui entrent dans le ressort de la Cour d'appel de Paris dont j'ai la responsabilité sont organisés suivant des fonctionnements cohérents qui se retrouvent à peu près partout. Il existe des nuances mais aussi une ligne directrice. Il faut se méfier de la notion de drogues dures et de drogues douces, quelque peu fluctuante ; toutefois, en présence d'usagers ou de consommateurs de cannabis, d'herbe, etc., le parquet réserve une suite lorsque l'infraction est constatée.
Ces procédures ne seront pas simplement classées sans suite. En fonction des circonstances, de la gravité des faits et de la consommation, la réponse qui va être apportée peut prendre plusieurs formes. La forme la plus légère est le rappel à la loi. On pourra se contenter d'adresser une sorte d'avertissement à une personne sur qui on a retrouvé une petite quantité de drogue, en lui indiquant de se conformer à la loi. Cet avertissement demeure dans les fichiers du parquet. On notifiera à l'usager qu'il n'y a pas de suite pour cette fois mais qu'il pourrait y en avoir en cas de réitération.
Ce rappel à la loi sera le plus souvent assuré par un délégué du procureur. Ce sont des personnes qui ont été habilitées par le procureur de la République. Ce peut être d'anciens policiers, d'anciens professeurs de l'éducation nationale, toutes sortes de personnes qui manifestent un intérêt pour ce type de choses et qui s'engagent dans le travail de médiation pénale. Ce rappel à la loi peut être le cas échéant effectué en maison de justice et du droit.
Le second type de réponse aux cas les plus simples consiste à solliciter l'intéressé afin qu'il se soumette à un stage de sensibilisation aux dangers de la drogue. Ces stages sont organisés le plus souvent dans le contexte associatif. Il existe des associations qui s'investissent dans le domaine de la prise en charge des toxicomanes et qui sont en mesure de mettre sur pied des stages de sensibilisation à la drogue et à ses dangers. Ces stages sont le plus souvent payants, dans des gammes de prix oscillant entre 100 et 250 €, le maximum étant celui prévu pour les contraventions de troisième classe, soit 450 €.
L'autre alternative à la poursuite peut être mise en oeuvre par la procédure dite de la composition pénale, procédure qui consiste à inviter une personne à procéder à un certain nombre d'actes : contacter un médecin, payer une amende, effectuer certains travaux si cela s'avère nécessaire.
Qu'il s'agisse du rappel à la loi, de la composition pénale ou de l'invitation à suivre un stage, le parquet laissera le dossier ouvert pendant le temps durant lequel les prescriptions doivent être assurées. Si les choses se déroulent normalement, on aura un classement sans suite mais un classement sans suite peut toujours être repris par le parquet, notamment en cas de renouvellement d'une infraction.
S'agissant des drogues dites « dures » - héroïne, cocaïne - on aura davantage recours à des dispositifs fondés sur l'injonction de soins. Le parquet, via le délégué du procureur le plus souvent, va inviter le toxicomane à se présenter auprès d'un médecin coordonnateur, comme le prévoit la loi de 2007. La prise en charge médicale sera dès lors plus lourde et plus prégnante. Si la personne se soumet à cette injonction de soins, on pourra déboucher sur un classement sans suite au bout d'un certain temps.
Que se passe-t-il en cas de réitération à la suite des classements ou lorsque les mesures prescrites ne sont pas suivies d'effet ? Dans ce cas, une poursuite peut être engagée. Il s'agit souvent d'une poursuite dans le contexte de l'ordonnance pénale, donc d'une procédure très simplifiée. L'ordonnance pénale implique l'engagement de l'action publique, l'interruption de la prescription et débouche sur des sanctions à caractère pécuniaire.
L'autre possibilité de poursuite consiste à aller devant le tribunal correctionnel et à solliciter une peine d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, ce qui est plus contraignant : on retrouve là des obligations de soins, de prise en charge et la nécessité de pointer régulièrement au commissariat. Ce mécanisme se déroule sur plusieurs années. On s'assurera de la sorte que la personne respecte les prescriptions mises à sa charge.
En cas de non-respect des prescriptions, la sanction tombe et le sursis de mise à l'épreuve sera révoqué par le juge d'application des peines. Cela peut se faire pour un temps, quitte à entrer dans un autre schéma...
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Pourquoi les injonctions thérapeutiques et les stages de sensibilisation ne sont-ils pas appliqués partout ? Les magistrats n'y sont-ils pas sensibles, ou ce système fonctionne-t-il mal ?
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - L'amende contraventionnelle ne permettrait-elle pas une sanction immédiate, notamment pour les primo-consommateurs, avec une éventuelle inscription au fichier des stupéfiants ? On y réfléchit beaucoup car, comme le dit ma collègue de l'Assemblée nationale, il semble qu'il existe des défaillances en matière de suites...
En second lieu, nous aimerions connaître votre avis sur le problème des centres d'injection supervisée, qui risquent de créer des zones de non-droit. Quelles modifications législatives ou réglementaires nécessiteraient-ils ?
Enfin, j'ai été surpris que vous fassiez une distinction entre drogues « dures » et drogues « douces ». Personnellement, cela me choque. Est-ce un langage que vous employez couramment dans votre juridiction ou nous l'avez-vous réservé ?
M. François Falletti. - S'agissant des stages, je comprends la préoccupation qui peut être la vôtre. En fait, les stages tels qu'ils sont conçus sont initiés par chaque juridiction. Il en existe en région parisienne ; ils seront mis entre les mains d'associations ; ce dispositif n'a de sens que si ces stages correspondent à une obligation. J'ai dit qu'ils étaient payants. Encore faut-il une association suffisamment implantée pour que l'on puisse lui faire confiance pour conduire ce type de stages !
Je suis en place depuis une bonne année : c'est encore un sujet qui mérite d'être approfondi et soutenu. Je vous rejoins tout à fait. L'ensemble de la Cour de Paris veille à ce que ces stages soient mis en place, mais la prise en compte demeure inégale selon les endroits. Le tribunal de Paris a eu en 2010 1 150 stages de sensibilisation pour 3 300 affaires d'usage de stupéfiants. Je pense que ce sont des réponses effectives.
L'effectivité se mesure dans la mise à disposition du stage, par le fait que ce stage est dense et présente véritablement une plus-value mais aussi par le fait qu'il est payé par l'usager. Au-delà de l'amende, il faut amener l'usager de stupéfiants à avoir un contact qui lui permettra de s'en sortir. Il faut aussi que le suivi du stage soit contrôlé et que le parquet soit tenu informé. Ce sont là des conditions dont il faut s'assurer.
J'ai le sentiment que les procureurs de la République du parquet général de Paris y sont très attentifs, au milieu de toutes leurs autres charges. Il existe certainement des sites où les choses se passent moins bien. Si tel est le cas, il est évidemment de ma responsabilité d'attirer l'attention du procureur de la République sur le fait qu'il existe des insuffisances. Le procureur de la République peut charger un de ses substituts de s'investir dans la reconfiguration d'un stage. On est sur une matière humaine et évolutive. Des stages peuvent fonctionnent très bien durant trois, quatre, cinq ans puis, le contact disparaissant, le substitut change de poste ou le directeur de l'association s'en allant, les choses se mettent à battre de l'aile. C'est une responsabilité du procureur général de veiller à la cohérence des choses.
Quant aux drogues « dures » et « douces », je partage votre analyse. La drogue est en soi un phénomène addictif qui emporte des problématiques extrêmement néfastes pour la structuration de l'individu ou sa déstructuration, qu'il s'agisse de drogues dites « dures » ou « douces ».
C'est une terminologie que je ne souhaite pas employer. J'ai simplement voulu dire que le cannabis, l'herbe, la résine sont des drogues plus répandues et appellent un traitement particulier vis-à-vis de populations assez larges. Dieu merci, la cocaïne ou l'héroïne s'adressent à un public dont l'addiction a des conséquences déstructurantes beaucoup plus immédiates. Toutefois, on sait que le cannabis comporte des teneurs en principe utile fort variables. On observe d'ailleurs ces derniers temps un développement du cannabis « indoor », profondément déstructurant. Il s'agit donc plutôt d'une question d'approche sur le type de réponse que l'on apporte s'agissant des différents publics.
La contraventionnalisation soulève une interrogation. J'ai évoqué les réponses qui sont les nôtres. Ces réponses sont simplifiées. On confie à un délégué du procureur un certain nombre de missions. On procède par ordonnance pénale, acte très simple pour prescrire une amende. On a donc, dans le contexte délictuel, des réponses bien adaptées.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Y a-t-il une inscription au casier judiciaire ?
M. François Falletti. - S'agissant des ordonnances pénales, oui ; pour la composition, non, mais on garde une trace dans le fichier « NCP » -Nouvelle chaîne pénale- ouvert à toutes les juridictions d'Ile-de-France...
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Comment le fichier des usagers de stupéfiants fonctionne-t-il ?
M. François Falletti. - C'est un fichier qui est tenu par les parquets mais qui n'a qu'une portée restreinte.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Est-il utilisé ?
M. François Falletti. - Les parquetiers doivent le consulter mais je ne suis pas certain qu'il soit alimenté de manière régulière.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Sur quelle partie du casier judiciaire l'inscription se fait-elle ?
M. François Falletti. - L'inscription se fait au numéro 1.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - A partir de l'ordonnance pénale ?
M. François Falletti. - Oui. Le casier judiciaire sera délivré à la seule autorité judiciaire en cas de sursis avec mise à l'épreuve.
Le numéro 2 part de la même fiche mais celle-ci va être délivrée de manière plus restreinte aux autorités publiques, notamment aux administrations, pour passer certains concours.
Le numéro 3 est uniquement remis à l'intéressé lui-même.
Le numéro 1 comporte toutes les mentions pour l'autorité judiciaire.
Pour en revenir à la contraventionnalisation, il existe évidemment un intérêt pour la police à conserver la dimension délictuelle. Il s'agit notamment de la possibilité de garde à vue - même si elle n'a vocation à exister que de manière relativement brève pour des usagers. Comme vous le savez, la nouvelle loi comporte une peine d'emprisonnement d'un an pour qu'il y ait garde à vue.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Ce qui est le cas de l'usage simple !
M. François Falletti. - En effet. Il existe également, dans le cadre délictuel, une possibilité de procéder à certaines investigations, comme des écoutes téléphoniques, qui ne seraient pas possibles dans un cadre contraventionnel.
Pourquoi cette lourde artillerie pour un usager qui n'a que quelques grammes de cannabis sur lui ? Les choses ne sont pas toujours simples et il peut exister des prolongements qui rendent utiles certaines investigations autour des usagers. Cette correctionnalisation de l'usage rend ces mesures possibles -même si je ne suis pas certain que ce soit absolument rédhibitoire.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Pensez-vous que toutes les interpellations soient suivies de sanctions, y compris en cas de découverte de cannabis à la sortie d'un lycée par exemple ?
M. François Falletti. - Oui, la réponse pénale s'applique également aux mineurs, de manière adaptée et totalement systématique.
On peut imaginer, pour de petites quantités, de prévoir une sorte de timbre-amende mais il y aurait un effet de seuil.
On complexifie un peu car le dealer se définit comme la personne qui détient de la drogue au-delà de sa consommation personnelle. L'usager pur est celui qui a une petite quantité. Peut-on arriver à déterminer un seuil ? Je ne le sais pas. Pour les usagers, nous privilégions une approche tournée vers les soins. Le stage payant est une réponse.
Les salles de shoot relèvent de la problématique des personnes qui pourraient satisfaire à leur addiction dans un contexte par définition circonscrit et délimité. Ma position personnelle est plutôt réservée à l'égard de cette démarche.
J'observe que, chaque fois que l'on a essayé de cadrer la consommation dans certains lieux, on a eu un phénomène de fixation des toxicomanes dans leur environnement. Je prends l'exemple - qui est certes différent - des coffee-shops aux Pays-Bas. On sait que c'est un lieu où l'on autorisait une petite consommation de drogues. En fait, avec un peu de débrouillardise, on pouvait trouver des quantités supérieures, voire des drogues de nature différente du cannabis ou de la cocaïne...
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Je reviens sur votre distinction entre drogues « dures » et drogues « douces ». Un élu de votre ressort de cours d'appel a récemment produit un effet médiatique important en se prononçant sur les bienfaits de la dépénalisation du cannabis, qui permettrait de retrouver la tranquillité dans les îlots difficiles de région parisienne. Cela vous inspire-t-il ?
M. François Falletti. - Cela m'inspire un effet négatif au vu de mon expérience. J'ai le sentiment que la libéralisation ouvrirait la porte à beaucoup de problématiques différentes. Je crains fort que cela ne conduise à entamer une étape vers l'élargissement du champ de la libéralisation et brouille le message sur la drogue qui serait ainsi tolérée, voire licite dans certains cas. Comment l'expliquer alors que les études sur les effets du cannabis sur le cerveau sont préoccupantes ?
Personnellement, je ne souhaite pas que l'on prenne ce risque. J'insiste sur le fait que la distinction entre drogues « dures » et drogues « douces » est le résultat d'une répartition des champs. Le cannabis, l'herbe, la résine sont très largement répandus dans toute l'agglomération parisienne, la cocaïne et l'héroïne correspondant à un public différent. Je crains que la libéralisation du premier champ, très large, ne conduise à une aggravation du phénomène.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Vous disiez ne pas toujours avoir d'interlocuteur s'agissant des stages, suivant les parquets et les régions.
L'injonction thérapeutique permet-elle d'orienter les toxicomanes vers des structures spécifiques comme les communautés thérapeutiques ? Qui peut s'en charger ? Cela se passe-t-il dans le ressort de chaque parquet ? Comment cela se met-il en place ? Peut-être n'a-t-on pas les outils nécessaires...
Le procureur général de ma ville me disait qu'il faudrait contractualiser avec des communautés thérapeutiques et des établissements de soins. Est-ce à chaque parquet ou au ministère de la justice de prendre de telles décisions ?
M. François Falletti. - Nous rencontrons parfois des difficultés pour désigner un médecin coordonnateur. Les praticiens ne se bousculent pas dans ce domaine, pas plus que dans celui des délinquants sexuels. Ceci s'explique sans doute par la situation des frais de justice, qui fait que l'on paye ces intervenants avec beaucoup de retard !
Je crois que la démarche que vous évoquez est une bonne perspective. La carte judiciaire étant ce qu'elle est, on ne dispose pas nécessairement d'une structure dans chaque département qui permette de prévoir une communauté d'accueil et de soutien contre la toxicomanie. Un certain nombre de communautés sont listées et reçoivent une habilitation ; on peut également disposer d'une habilitation de la part de la PJJ. Ces communautés accueillent des toxicomanes venus de différents points du territoire ou de la région.
Je ne pense pas que cette approche incombe en première ligne au ministère de la justice. Il ne s'agit pas d'une approche nationale mais davantage d'une approche régionale. Chaque procureur peut rechercher une communauté dans son ressort mais il est intéressant de mutualiser les moyens, les profils de toxicomanes n'étant pas les mêmes. On ne peut attendre d'avoir une communauté adaptée à tous les types dans l'Essonne, le Val de Marne, etc. Il faut donc raisonner régionalement.
Il s'agit d'une responsabilité conjointe du préfet et de la DDASS, qui déterminent les structures en question. C'est un travail dans lequel doivent s'impliquer les procureurs de la République, au sein de leur département, vis-à-vis de leurs autorités préfectorales et sanitaires.
Comme je le disais, on ne peut se contenter d'une approche locale sous peine de connaître des manques. Il faudra bien, dans un certain nombre de situations, passer du Val de Marne à l'Essonne, de la Seine et Marne à la Seine Saint-Denis ou à Paris. Il y a là une responsabilité de mise en cohérence régionale qui remonte au parquet général.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. - Merci de votre exposé.
Notre mission touche à sa fin ; nous avons voulu conclure avec vous avant d'entendre les différents ministres. Soyez assuré que votre exposé nous sera très utile pour notre rapport.