Mardi 24 mai 2011
- Présidence de M. Claude Belot, président -Rôle et organisation du corps préfectoral dans l'accompagnement de la décentralisation - Audition de M. Daniel Canepa, président de l'Association des membres du corps préfectoral
La délégation procède à l'audition de M. Daniel Canepa, président de l'Association des membres du corps préfectoral.
M. Claude Belot, président. - Les relations entre les préfets et les collectivités ont très largement évolué au cours des dernières décennies. Nos collègues Mme Jacqueline Gourault et M. Didier Guillaume y ont d'ailleurs récemment consacré un rapport portant sur le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. Est-ce que vous pourriez nous donner, d'abord, votre sentiment sur l'état de ces relations ?
M. Daniel Canepa, président de l'Association des membres du corps préfectoral. - Sur le dialogue entre l'État et les collectivités, j'ai lu avec étonnement dans le rapport de Mme Gourault et de M. Guillaume que les rapports étaient empreints de « défiance ». Il me semble pourtant que la meilleure façon d'aborder un dialogue reste la confiance réciproque, même si dans des cas très limités, il arrive en effet qu'une collectivité puisse exprimer une certaine défiance à l'égard d'un préfet, notamment lorsque celui-ci est présumé avoir une étiquette politique marquée.
La défiance ne devrait pas, en principe, se manifester, car les préfets sont dans un rapport de dialogue continu avec l'ensemble des collectivités territoriales. Ce dialogue ne s'inscrit pas toujours dans un cadre institutionnalisé, c'est vrai, et varie souvent d'une région ou d'un département à l'autre. En pratique il est toujours prévu une rencontre, au moins annuelle, entre le préfet et le conseil régional pour la région et le conseil général pour le département, qui permet d'expliquer l'action de l'État et de répondre aux questions des élus. Il est également prévu des rencontres avec les maires, notamment à travers les associations départementales de maires, ainsi que dans le cadre des nombreuses commissions, plus institutionnalisées cette fois.
Au total, la fonction de dialogue est une nécessité, qui, d'ailleurs, se poursuit en dehors des cadres institutionnalisés à la demande des élus locaux. Je retire de mon expérience, dans les départements ruraux notamment, que l'ampleur de ce dialogue est souvent inversement proportionnée à la taille de la commune, puisque les petites collectivités disposant de moins de moyens sont les plus demandeuses de conseils et d'expertise des préfectures ou des sous-préfectures. Dans ces conditions, le terme de « défiance » ne me paraît pas approprié et, s'il l'était, cela viendrait contrarier l'essence même du travail des préfets.
Effectivement, il peut exister des difficultés, comme le suggère le rapport que vous mentionnez et qui pointe, je cite, des transferts de charges insuffisamment compensés, ou encore des évolutions problématiques de la masse salariale de certaines collectivités territoriales. Ce qui est mis en évidence est intéressant, car cela montre le coté dual de notre fonction : nous sommes à la fois représentants de l'État et représentants du Gouvernement ; à ce second titre, nous sommes sujets aux critiques politiques, à l'image de celles que nous avions essuyées à l'occasion du transfert de la gestion du revenu minimum d'insertion (RMI) aux départements. Nous sommes également en charge de la bonne administration d'un territoire et, sur ce point, l'entente avec les élus locaux, qui ont une mission analogue, est souvent excellente.
M. Claude Belot, président. - Il y a tout de même parfois des cas dans lesquels l'entente que vous décrivez ne se vérifie pas sur le terrain.
M. Daniel Canepa. - C'est vrai : il peut y avoir, rarement heureusement, des excès de part et d'autre. Quand il y a des excès dans le langage, il faut faire preuve de la retenue et de la distance nécessaires pour relativiser. Lorsqu'il y a des excès dans l'action, cela s'avère effectivement plus compliqué à gérer. Au fond, j'ai la conviction que la pire des choses c'est l'intolérance. J'ai exercé mes fonctions dans divers départements depuis 1978 ; avec le recul, je puis dire qu'il y a un dialogue plus constructif avec les collectivités territoriales, notamment en raison du rééquilibrage opéré par la décentralisation et à la suite de l'évolution vers un partage des politiques publiques, aujourd'hui, davantage contractuelles et négociées qu'imposées, ce qui, évidemment, nécessite un dialogue et un échange permanent. Dans ce nouveau contexte, il n'est plus possible d'ignorer les politiques suivies au sein des autres niveaux de collectivités. Au total, on est bien dans une démarche d'échange et de contractualisation et, malgré les différences, on parvient toujours, en définitive, à trouver des points de rapprochement.
M. Claude Belot, président. - Il y a un sujet qui pose aujourd'hui problème, c'est celui de la carrière des membres du corps préfectoral : nous avons le sentiment, dans les collectivités, que les préfets et les sous préfets sont devenus, avec leur turn over incessant, de véritables passants qui n'ont pas le temps de s'imprégner des dossiers en profondeur.
M. Éric Doligé. - Je regrette, moi aussi, le turn over excessif des membres du corps préfectoral, qui conduit parfois jusqu'à voir se succéder trois à quatre préfets la même année dans le département. A cet égard, je souhaiterais que vous puissiez réfléchir, au sein de votre association, à l'établissement d'une règle de passage minimum en poste, car une telle situation devient insupportable, surtout dans les périodes de réforme des collectivités. Cela ne donne pas une bonne image, ni pour l'État, à travers le corps préfectoral, ni pour les collectivités, dont les élus ont alors du mal à avancer.
Pour revenir aux relations entre l'État et les collectivités, je constate qu'elles ont considérablement évolué : elles sont désormais beaucoup plus régulières, pacifiées et surtout plus équilibrées qu'elles ne l'étaient dans le passé. D'ailleurs, et j'en témoigne, les rencontres entre le préfet et l'exécutif du département sont très régulières, davantage même que les réunions entre l'État et la région qui, si elles sont fréquentes, restent plus souvent fixées dans le cadre contractuel. Je pense également qu'il y a des à-coups au fur et à mesure des grandes lois de décentralisation, comme récemment avec la réforme des collectivités territoriales et aujourd'hui avec l'intercommunalité. Dans ce dernier exemple, les préfets se sont retrouvés, de nouveau, au centre du processus de réforme, avec une autorité et une responsabilité fortes à l'égard des collectivités, ce qui a pu faire renaître des frictions avec les élus locaux. C'est donc dans ces périodes, précisément, qu'il convient de se prémunir contre le turn over excessif que nous évoquions. Et c'est là que nous retrouvons la problématique de l'établissement de règles de durée minimale.
A cet égard, quelle est, pour vous, la durée minimale pour bien connaître un territoire et être pleinement opérationnel ?
M. Daniel Canepa. - Je vous rejoins tout à fait pour dire que, selon l'actualité des processus de réforme législatifs, il y a une intensité plus ou moins grande des relations entre le corps préfectoral et les élus locaux. Toutefois, je tiens à faire remarquer qu'à bien d'autres moments, au-delà de ces temps forts, se nouent aussi des rapprochements qui permettent de se retrouver avec les élus.
La question du turn over des membres du corps préfectoral est un sujet régulièrement évoqué et c'est pourquoi j'ai tenté d'analyser si on constatait ou non un raccourcissement de la durée des « mandats ». En réalité, il n'y a pas eu de raccourcissement et, d'une manière générale, la durée moyenne dans un poste est restée la même sur le long terme. La question est donc finalement de savoir si cette durée est trop courte. Pour ma part, et ma conviction n'a pas changé du temps où j'étais secrétaire général du ministère de l'intérieur, je pense que les fonctions dans un poste doivent être occupées pendant une période de trois à quatre ans. Cela me paraît une bonne périodicité : ni trop longue, pour éviter les habitudes routinières et être suffisamment inventif dans un territoire ; ni trop courte, pour être pleinement opérationnel et avoir une bonne connaissance du terrain.
Dès lors, pour répondre à votre question sur le délai minimum pour être opérationnel, il faut, selon moi, distinguer les dossiers, d'une part, et les hommes, d'autre part. Pour la gestion des dossiers, nous sommes opérationnels presque immédiatement. Il faut en général moins de six mois pour s'imprégner des dossiers. En revanche, pour appréhender les hommes, c'est effectivement plus complexe et il faut davantage de temps, entre douze et dix-huit mois selon les cas.
J'avais essayé de faire avancer ces questions au ministère de l'intérieur, sans succès notable. A mon arrivée, on constatait une moyenne en poste de deux ans et trois mois, et j'ai péniblement réussi à faire augmenter cette moyenne à deux ans et neuf mois. La moyenne a un peu baissé ces dernières années, en raison d'un phénomène mécanique difficile à contrôler. En effet, le corps préfectoral possède un effectif limité et la modification de la situation d'un de ses membres entraîne des réactions en chaîne pour l'ensemble du corps. Ainsi en est-il des sorties vers l'extérieur : en cabinets ministériels, dans les directions d'administration centrales et ailleurs.
M. Jacques Mézard. - Sur trente ans, vous avez occupé seize fonctions dans douze territoires différents. Or, vous nous avez dit qu'il faut six mois pour prendre connaissance des dossiers et un an - à un an et demi - pour avoir une approche des hommes, ce qui nous conduit finalement à avoir le sentiment que vous connaissez les dossiers et les hommes quand vous êtes amenés à quitter vos fonctions. Pour ma part, à la présidence d'une communauté d'agglomération depuis une dizaine d'années, j'ai connu six préfets. Je n'en déduis pas pour autant qu'il s'agit de confiance ou de défiance, mais plutôt d'indifférence. Avec la décentralisation, j'ai le sentiment qu'on est progressivement passé d'une période où le préfet avait un rôle d'impulsion important à un rôle de contre-pouvoir basé sur le contrôle.
M. Daniel Canepa. - Pour être plus nuancé, vous serez d'accord avec moi qu'il est plus facile de connaître en un temps limité les hommes du département du Cantal, où une durée de fonction préfectorale de dix-huit mois peut suffire, que ceux de la région Ile-de-France.
J'ai la conviction que l'exercice de la fonction préfectorale doit donner une part beaucoup plus large à la dynamique, et donc à l'impulsion, afin d'être proactif et non réactif, et afin d'être une force de suggestion et de partage pour recueillir ici ou là des projets et essaimer de bonnes pratiques. La fonction de contrôle est une fonction inévitable, constitutionnellement exigée, qui finalement doit être conçue de deux manières : soit comme un échec, dans la mesure où une décision était illégale ou inacceptable, soit, au contraire, comme une façon de dire le droit sur un sujet peu évident, nécessitant une intervention clarificatrice du juge. Quelle que soit la durée du mandat préfectoral, je pense qu'il est plus nécessaire de privilégier l'impulsion au contrôle.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Vous évoquiez deux paramètres, les hommes et les dossiers, auxquels j'ajouterais volontiers un troisième paramètre, à savoir le lieu d'implantation, puisque les manières de réagir peuvent varier selon les territoires. J'observe que les choses vont nettement mieux quand un préfet - ou un sous-préfet - reste assez longtemps en fonction afin de comprendre véritablement les situations locales et leurs particularités. Je constate, en outre, que les préfets doivent disposer de qualités personnelles importantes afin de pouvoir s'imposer entre l'État et les élus.
M. Edmond Hervé. - Sur le couple confiance-défiance, je crois qu'il y a une éthique à respecter : s'adresser à un préfet n'est pas la même chose que s'adresser à un ministre ou à un parlementaire. Il est important de ne pas mélanger les genres et de ne pas privilégier telle ou telle personne en fonction de ses appartenances politiques. Pour ma part, en trente-huit ans de mandat, j'ai eu la chance de rencontrer des préfets de grande qualité. Par ailleurs, je pense important d'insister sur deux points. Tout d'abord, les préfets ont, comme tout responsable public, une fonction pédagogique et explicative. Ensuite, je suis frappé d'observer les différences entre les préfectures, dont certaines sont des « bunkers » alors que d'autres s'apparentent plus facilement à nos mairies. Même si des problèmes de sécurité peuvent se présenter, je crois que nos préfectures ne doivent pas être des « bunkers ».
J'ai enfin deux questions à vous poser : Avez-vous une idée du nombre de membres du corps préfectoral qui l'ont quitté afin de rejoindre l'administration territoriale ? En votre qualité de président européen des représentants territoriaux, quels enseignements tirez-vous de cette présidence européenne ?
M. Claude Bérit-Débat. - Élu local depuis plusieurs années et président d'agglomération depuis 2001, j'observe, qu'à cette époque, l'État disposait du pouvoir d'imposer l'entrée d'une commune au sein d'une intercommunalité. Aujourd'hui, on dispose du schéma de coopération intercommunale qui peut ainsi être présenté par un autre préfet, dix ans après, avec une même problématique. Avec le turn over des membres du corps préfectoral, le représentant de l'État aura-t-il une vision identique du sujet dans quelques mois ?
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Dans le même esprit, en 2001, nous avons été forcés d'entrer dans une intercommunalité, dessinée par un préfet et dont le tracé était guidé par le président de région. Aujourd'hui, par un amendement puis une décision de justice nous ayant donné raison, nous avons pu sortir de ce mariage non consenti et construire une nouvelle intercommunalité où tout se passe désormais au mieux.
M. Jean-Claude Peyronnet. - Il y a une idée reçue qui n'est pas forcément une idée juste, selon laquelle, par principe, les préfets seraient objectifs parce qu'ils représentent l'État, par opposition aux élus, politiques par principe. Pour ma part, pendant vingt-deux ans de mandat à la présidence d'un conseil général, je demandais une seule chose aux préfets successifs, à savoir d'être objectifs, afin que l'État ne perde pas sa crédibilité. J'avais quelques raisons de dire cela dans la mesure où, dans mon département, j'ai connu des préfets et des sous-préfets, certes de qualité, mais dont un est devenu député et un autre avait dépassé les bornes en privilégiant ouvertement le département de la Corrèze ainsi que les communes de droite pour faire de la préfecture le lieu habituel des réunions d'un parti politique.
Par ailleurs, je souhaiterais connaître votre sentiment sur l'évolution des sous-préfets, qui me semblent de moins bonne qualité qu'auparavant.
M. Jacques Mézard. - J'ai le même sentiment que M. Jean-Claude Peyronnet quant à la qualité du corps préfectoral - en dehors des préfets qui sont issus de formations d'excellence et qui ont de l'expérience. Nous faisons souvent, en France, le « procès » de l'ENA, mais il y a trente ans, le directeur de cabinet du préfet du Cantal sortait directement de cette école. Depuis une trentaine d'années, le niveau, tant des préfets que des sous préfets, n'est plus le même.
Quant à la réflexion de M. Jean-Claude Peyronnet sur l'impartialité de l'Etat, il est, en effet, indiscutable qu'elle varie selon les préfets. Le siège de l'UMP, je l'ai quasiment connu dans mon département. Il y a des moments où nous nous demandons si nous sommes des parlementaires ou des sous-parlementaires.
M. Daniel Canepa. - Un certain nombre de vos réflexions ont finalement porté sur des points majeurs pour le corps préfectoral et le président de l'association. Au fond, la question est de savoir comment obtenir un préfet qui soit de « qualité » ? Je pense que trois composantes sont essentielles : la personnalité, le parcours, et les conditions de choix dans le recrutement ou dans la nomination.
La personnalité est fondamentale. Avant de nommer une personne préfet, il faut s'assurer qu'elle ait au moins trois qualités : le courage, le respect de l'interlocuteur (écouter, comprendre et analyser les arguments avancés, etc.) et le sens de la pédagogie. Ces qualités ne sont pas les seules, mais elles me paraissent essentielles lorsque l'on procède à une nomination.
La deuxième composante d'un préfet de « qualité » est le parcours. C'est d'ailleurs assez curieux : dans tous les métiers, nous demandons une certaine expérience, alors que dans celui-ci, à un certain moment, nous estimons que ce n'est pas nécessaire. Or, je m'inscris en décalage par rapport aux habitudes, de droite et de gauche, consistant à nommer, parfois, des personnes pour des raisons autres que leur parcours précédent. Lorsque nous détectons des gens de qualité, susceptibles de devenir préfet, j'estime qu'il faut les placer dans un sas de responsabilités, en tant que sous-préfet, et à des postes exposés, pour vérifier s'ils correspondent aux critères de qualité que je viens de développer. Or, ce n'est pas toujours le cas, et je le regrette en tant que président de l'association.
Concernant la neutralité, je pense que le préfet ne doit pas être sans « odeur » ni « saveur ». Il faut avoir du caractère pour endosser de telles responsabilités : c'est un métier où nous sommes seuls, solitaires, et où nous avons une totale liberté - malgré les apparences - en tout cas, celle que l'on veut bien se donner ou prendre. Et effectivement, il y a un risque, comme dans toutes responsabilités, celui d'apprendre sa mutation soudaine un mercredi, jour de nomination des préfets. Avoir du caractère est une nécessité pour traiter les gens comme ils doivent l'être, c'est-à-dire avec équilibre et intelligence, en fonction de ce qu'ils portent comme projet et non en fonction de leurs étiquettes. C'est ma déontologie du métier.
Après, vous me direz que vous avez rencontré M. X et Mme Y qui ne correspondent pas à cette description. Bien sûr, mais dans tous les métiers il existe des différences, il y a des bons et des moins bons. J'entends bien qu'il faudrait qu'il n'y ait que des bons et être plus attentif au moment du recrutement. Je peux vous assurer que, durant les trois années où j'ai exercé mes fonctions de secrétaire général au sein du ministère de l'Intérieur, je n'ai jamais proposé quelqu'un de médiocre. Je n'ai jamais transformé mon bureau en officine de qui que ce soit. Ma conviction, c'est qu'à partir du moment où vous donnez une certaine image, vous avez en retour le respect qui fait que l'on ne vous sollicite pas de manière excessive et anormale.
Quant au nombre de préfets ou de membres du corps préfectoral qui ont intégré des collectivités territoriales, je ne peux pas vous le renseigner. Il y en a eu beaucoup en 1982/1983, il y en a peu aujourd'hui. C'est une bonne chose qu'il y en ait moins, mais il en faut. Nous assistons à une amélioration très nette de la qualité des administrateurs territoriaux. Cela n'empêche pas les turn-over, et, d'ailleurs, certains administrateurs territoriaux viennent dans le corps préfectoral pour y travailler quelques années, voire y demeurer.
Dans le corps des sous-préfets, vous avez parlé d'une dégradation. Vous avez, en partie, raison. C'est un sujet extrêmement lourd. J'ai la conviction, partagée au niveau de l'association - et elle va à l'encontre de ce que vous pensez vraisemblablement - que la carte des arrondissements n'est plus adaptée, actuellement, à un bon recrutement. Aujourd'hui, il est extrêmement difficile de dire à son époux ou son épouse que vous partez dans une ville à faible population, que vous allez y rester un peu plus longtemps que la durée habituelle - trois à quatre ans, le turn-over ayant ralenti. Or, comme votre conjoint(e) a une autre profession, vous vivrez séparés. Lorsque j'étais sergent recruteur à la sortie de l'ENA en tant que membre du corps préfectoral, j'ai entendu des jeunes femmes me confier qu'elles aimeraient exercer ce métier, mais qu'elles ne pourraient pas parce qu'elles avaient envie d'avoir une vie de famille. C'est la réalité. Nous ne pouvons pas vouloir une chose et son contraire. En clair, nous voulons améliorer la qualité du métier en diminuant le nombre de postes et en fermant des sous-préfectures. C'est un sujet qui nous oppose avec le ministère, car modifier la carte des arrondissements n'est pas très populaire. Je le comprends et le conçoit, mais si nous ne le faisons pas, la situation continuera à se dégrader.
M. Claude Belot, président. - Qu'en est-il de l'hypothèse de la suppression de la carte des arrondissements ?
M. Daniel Canepa. - Je pense que ce serait une erreur de la supprimer, à la fois pour l'Etat et pour vous, élus. L'avantage du corps préfectoral, c'est justement d'être au niveau le plus proche et d'avoir ce lien avec le territoire. Nous sommes la dernière administration à avoir ce lien, suite aux regroupements effectués dans le cadre de la réforme de l'administration territoriale de l'Etat. Les fonctionnaires s'éloignent du territoire ou, du moins, se recoupent au niveau départemental ou régional. Je pense que c'est une qualité qu'il faut conserver, mais, pour cela, il faut que les hommes soient de qualité, et pour qu'ils soient de qualité, il faut avoir une réflexion de fond. Il faut également leur donner un certain nombre d'assurances sur le métier qu'ils vont exercer demain, sur sa richesse et sur leur évolution de carrière.
Concernant l'association des représentants territoriaux de l'Etat, je ne resterai pas longtemps président puisque c'est un turn-over encore plus rapide que pour les préfets. Nous en avons généralement la présidence lorsque nous invitons l'ensemble des représentants territoriaux de l'Etat. Je les ai invités pour parler du fait métropolitain les 14 et 15 mars 2012. Cette association nous permet de voir la diversité des organisations territoriales de l'Etat (Etat fédéral, Etat unitaire, représentants de l'Etat élus et représentants de l'Etat nommés, etc.). Et pourtant, sur les thèmes que nous traitons, il y a des convergences tout à fait intéressantes. C'est passionnant. Au fond, dans chacun des pays membres de l'association, il y a la volonté de se réformer pour essayer d'avoir une organisation la plus optimale possible. Cela démontre que personne ne détient la vérité et qu'il y a une sorte de rapprochement, en quelque sorte, entre des Etats jacobins, comme la France, et des Etats extrêmement décentralisés, voire des Etats fédéraux. Au travers de cette approche totalement différente, il y existe de réelles recherches de convergence. L'Etat fédéral s'interroge à un moment donné sur son existence et sur le risque majeur que cela représente pour son existence même, au niveau de l'Etat, mais aussi au niveau de la gestion des personnes dont il a la charge ; et dans un Etat centralisé, il y a une nécessité de laisser s'exprimer les forces de la nation.
Concernant l'intercommunalité, je souhaite rappeler qu'au sein du Comité Balladur, dans lequel je siégeais, il y avait unanimité entre la droite et la gauche pour dire, premièrement, qu'il fallait revisiter l'intercommunalité et faire en sorte qu'elle soit viable et, deuxièmement, qu'il n'y aurait jamais d'accord absolu sur l'ensemble du territoire pour couvrir ce dernier d'intercommunalités en totalité. In fine, il faudra donner le dernier mot au préfet, puisqu'il y aura des territoires où aucun accord n'aura été trouvé.
M. Claude Belot, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions avec votre expérience et votre sagesse. Pour avoir connu, dans mon département, une douzaine de préfets, j'ai reconnu, dans ce que vous avez dit, les gens avec lesquels j'ai eu l'occasion de travailler et que je rencontre encore aujourd'hui. Je n'ai connu qu'un préfet, qui a fait une école prestigieuse, et qui, dans la vie, était intelligent mais « trouillard ». Les dossiers « dormaient », et, en tant que président de conseil général, j'étais là pour le réveiller de temps en temps. Mais dans l'ensemble, les choses se passent bien et nous travaillons avec des gens de qualité.
Vous avez évoqué les problèmes des sous-préfets, concernant les carrières et les exils. Je ne suis pas convaincu que ce soit vécu avec autant de tristesse. En revanche, ce qui me frappe, c'est le développement des « turbos préfets » dans le corps préfectoral des régions mais aussi des départements : les préfets ne s'installent plus avec leur famille dans le département ou la région. Avec le TGV, ils rentrent chez eux plus facilement, et les familles restent donc à Paris. A ce moment-là, le préfet n'étant plus installé sur le territoire, il est souvent absent. C'est un phénomène sociologique lourd, que nous retrouvons dans les plus hautes fonctions préfectorales, mais aussi au niveau des sous-préfets.