Mercredi 4 mai 2011
- Présidence de M. Didier Boulaud, vice-président -Audition de S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France
La commission entend S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France.
M. Didier Boulaud, vice-président. - Nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui, Monsieur l'Ambassadeur, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Le Président Josselin de Rohan intervient actuellement en séance publique sur la question du génocide arménien. Il m'a prié de bien vouloir l'excuser auprès de vous et de vous transmettre un message d'amitié.
Depuis déjà plusieurs années, notre commission suit avec une attention particulière l'évolution de la situation dans les Balkans occidentaux en général et au Kosovo en particulier.
En octobre 2008, j'avais ainsi effectué un déplacement au Kosovo, avec notre collègue André Trillard, qui avait donné lieu à un rapport d'information de la commission consacré à l'évolution de la présence internationale au Kosovo après l'indépendance.
Plus récemment, nos collègues René Beaumont et Bernard Piras se sont rendus en Serbie où ils ont notamment évoqué le dialogue entre Belgrade et Pristina.
Enfin, deux membres de notre commission, nos collègues André Vantomme et Jean Faure, ont prévu de se rendre au Kosovo prochainement, afin notamment de rencontrer les militaires et les gendarmes français déployés dans le cadre de la KFOR de l'OTAN et de la mission Eulex de l'Union européenne.
Je rappelle qu'il reste actuellement 412 militaires français, dont 11 gendarmes, déployés au sein de la KFOR et 131 français, dont 81 gendarmes, déployés dans le cadre d'EULEX.
Par ailleurs, dans le cadre du groupe d'amitié France-Balkans occidentaux, présidé par notre collègue Robert Badinter, et dont j'ai l'honneur d'avoir été désigné président délégué pour le Kosovo, notre groupe a effectué de nombreux déplacements dans ce pays, dont le dernier remonte à seulement deux semaines.
Nous sommes donc très désireux de vous entendre, tant en ce qui concerne la situation intérieure, que l'évolution de la présence internationale, le dialogue avec la Serbie et le rapprochement avec l'Union européenne.
Ainsi, concernant la situation intérieure, le Kosovo semble sorti de la crise politique, avec l'élection d'une femme de 36 ans, ancien général de police, à la Présidence de la République et la reconduction dans ses fonctions du Premier ministre M. Thaci. Quelles sont les priorités politiques définies par les responsables politiques pour les prochaines années ? Comment espérez-vous amener les Serbes du Nord du Kosovo à participer à la vie politique du Kosovo comme l'ont fait les serbes vivant au Sud de l'Ibar ? Qu'en est-il de la situation économique, notamment en matière d'emploi et d'investissements étrangers ?
Quelles attentes formez vous concernant le dialogue entre Belgrade et Pristina mené sous l'égide de l'Union européenne ? Ne craignez vous pas l'hypothèse d'une partition du Nord du Kosovo et que faut-il penser de la résurgence de certaines aspirations à un rattachement du Kosovo à l'Albanie ?
Comment voyez-vous l'évolution de la présence internationale et le processus de rapprochement avec l'Union européenne ?
Enfin, concernant les graves allégations de trafic illicite d'organes commis à l'encontre de prisonniers serbes figurant dans le rapport de M. Marty, au nom du Conseil de l'Europe, les autorités kosovares sont-elles prêtes à apporter toute l'aide nécessaire à EULEX dans son enquête ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France. - Je vous remercie de votre invitation et je suis très honoré de pouvoir m'exprimer devant votre commission. Avant de répondre à vos questions, je voudrais vous présenter brièvement l'évolution de la situation politique au Kosovo.
Cela fait maintenant un peu plus de trois ans, le 17 février 2008, que le Kosovo a proclamé son indépendance. Je voudrais, à cet égard, rendre hommage au rôle très important joué par la France, tant en ce qui concerne la résolution des conflits dans l'ex-Yougoslavie, en Croatie, en Bosnie-Herzégovine puis au Kosovo, que son engagement au Kosovo, avant, pendant et après l'intervention de l'OTAN en juin 1999, aux côtés de ses alliés, pour mettre un terme aux exactions commises à l'encontre des populations civiles. La classe politique et la population du Kosovo gardent en mémoire le soutien apporté par la France et sont reconnaissantes, non seulement aux militaires français, mais plus généralement à l'ensemble des Français.
Au moment où l'on s'interroge sur la capacité des pays occidentaux à mettre un terme à des conflits, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient ou en Afrique, il me paraît important de rappeler que, grâce à l'engagement de la France, des Etats-Unis et des autres pays de l'Union européenne, il a été possible de mettre un terme aux conflits meurtriers dans les Balkans occidentaux et aux exactions commises à l'encontre des populations civiles et d'entamer un travail de reconstruction d'un pays dévasté par la guerre. Je tiens à cet égard à saluer le travail effectué par le français Bernard Kouchner, qui a été, de 1999 à 2001, le premier représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies au Kosovo, et qui a eu la lourde tâche de mener à bien la reconstruction du pays et l'organisation des premières élections libres au Kosovo.
Un important travail de reconstruction des institutions politiques, des hôpitaux, des écoles, des médias, a été mené au Kosovo depuis 1999, grâce à la mission intérimaire des Nations unies au Kosovo, puis avec la plus importante mission civile de l'Union européenne, Eulex, qui assiste les autorités kosovares dans les domaines de la justice, de la police et des douanes.
À la suite des élections législatives anticipées du 12 décembre 2010, un nouveau gouvernement a été formé, grâce à la coalition entre le parti démocratique du Kosovo (PDK) et l'Alliance pour le Nouveau Kosovo (AKR), sous la direction du Premier ministre M. Hashim Thaçi, avec notamment un nouveau ministre des affaires étrangères et la désignation d'un ministre chargé de l'intégration européenne.
Puis, à la suite de l'invalidation, le 28 mars dernier, par la Cour constitutionnelle de l'élection par l'assemblée de M. Behgjet Pacolli, une nouvelle présidente de la République a été élue le 7 avril 2011, Mme Atifete Jahjaga. En effet, l'élection de M. Behgjet Pacolli a été invalidée par la Cour constitutionnelle au motif que le quorum des deux-tiers des députés présents n'avait pas été atteint au sein de l'assemblée, plusieurs députés ayant refusé de participer à cette élection et quitté l'hémicycle au moment du vote. L'élection de Mme Atifete Jahjaga a recueilli un large consensus au sein des partis politiques.
Le Kosovo dispose aujourd'hui d'une vingtaine d'ambassades à travers le monde, principalement situées dans les pays de l'Union européenne.
Après une longue période d'isolement imposé, le Kosovo souhaite établir des liens politiques et économiques avec d'autres pays, et en particulier avec l'Union européenne.
Comme vous le savez, la perspective européenne de tous les pays des Balkans occidentaux a été affirmée depuis déjà plusieurs années par l'Union européenne et la Commission européenne publie chaque année, depuis trois ans, un rapport de suivi très détaillé sur le Kosovo.
Le dernier rapport de la Commission européenne souligne les progrès réalisés par le Kosovo dans de nombreux domaines, notamment en matière politique, économique ou de réforme de la législation, de l'administration publique, ou de la décentralisation, tout en critiquant l'absence de progrès sur certains points.
Je tiens à souligner que, tant les autorités, que la population du Kosovo, accueillent très favorablement les observations de la Commission européenne, qui ne sont pas considérées comme des critiques, mais sont appréhendées de manière constructive comme des encouragements utiles à procéder à des réformes et prises en compte avec la plus grande attention.
On peut d'ailleurs observer que le Kosovo est le pays des Balkans occidentaux où l'adhésion à l'Union européenne soulève le plus d'opinions favorables au sein de la population, avec 87 % d'opinions favorables.
Dans le même temps, l'adhésion à l'Union européenne n'est pas perçue comme un « remède miracle » aux difficultés économiques et ne suscite pas de faux espoirs au sein de la population. Le rapprochement avec l'Union européenne est considéré par la population comme le meilleur moyen de procéder à des réformes politiques, de manière à mettre en place des institutions démocratiques et stables et les conditions de l'Etat de droit.
Pour les pays des Balkans occidentaux, qui ont été marqué par des conflits meurtriers dans le passé, l'adhésion à l'Union européenne est également un facteur très important de réconciliation régionale et de règlement des différends entre les différents pays avec leurs voisins.
Depuis la proclamation de l'indépendance, le 17 février 2008, le Kosovo a été reconnu par soixante-quinze Etats, dont vingt-deux pays de l'Union européenne, comme la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, ainsi que par la plupart des pays des Balkans occidentaux et par les Etats-Unis. Le Kosovo est aussi représenté au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale. Même en l'absence de reconnaissance de son indépendance, le Kosovo entretient de bonnes relations avec d'autres pays, comme la Grèce, et place beaucoup d'attentes dans le dialogue avec Belgrade.
La décision rendue le 22 juillet 2010 par la Cour internationale de justice sur la conformité au droit international de la déclaration d'indépendance du Kosovo a été un évènement très important.
Cela d'autant plus que la Cour internationale de justice avait été saisie par l'Assemblée générale des Nations unies à la demande de la Serbie, qui contestait la légalité de cette indépendance.
Dans le cadre de cette procédure, qui a duré deux ans, pas moins de trente six pays ont participé à ce débat et la Cour internationale de justice a rendu un avis très circonstancié, de quarante pages, qui confirme très clairement la conformité au droit international, non seulement de la déclaration d'indépendance du Kosovo de février 2008, mais aussi de l'ensemble du processus ayant conduit à cette indépendance depuis 1999, qui s'est déroulé sous l'égide de l'Organisation des Nations unies.
Cette décision souligne notamment le caractère spécifique, sui generis, de l'indépendance du Kosovo, à l'issue d'un long processus.
A cet égard, il me paraît important de rappeler que l'indépendance du Kosovo ne résulte pas d'une décision isolée et unilatérale, mais qu'elle s'inscrit dans le cadre du processus de décomposition de l'ex-Yougoslavie, au même titre que l'indépendance de la Slovénie, de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Macédoine ou du Monténégro.
Nous espérons que cette décision, prise par la plus haute juridiction des Nations unies, sera un encouragement pour les Etats qui ne l'ont pas encore fait à reconnaître l'indépendance du Kosovo.
Je pense en particulier aux cinq pays membres de l'Union européenne qui n'ont pas encore reconnu notre indépendance, ce qui soulève parfois des difficultés sur le terrain pour le travail de la mission Eulex de l'Union européenne.
Certes, la reconnaissance de l'indépendance d'un pays est une décision souveraine de chaque pays. Toutefois, ces cinq pays sont membres de l'Union européenne, il me semble qu'il s'agit là d'un aspect important de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne.
Nous avons donc l'espoir que les cinq pays de l'Union européenne qui n'ont pas encore reconnu notre indépendance le fassent prochainement, car cela permettrait d'améliorer le travail de la mission Eulex, mais aussi de favoriser le rapprochement du Kosovo avec l'Union européenne.
Peu après la décision de la Cour de justice, une résolution proposée conjointement par l'Union européenne et la Serbie a été adoptée le 9 septembre 2010 par l'assemblée générale des Nations unies par consensus. Cette résolution a pris acte du contenu de l'avis de la Cour internationale de justice et a lancé un dialogue entre le Kosovo et la Serbie.
Ce dialogue a débuté le 8 mars 2011 à Bruxelles, sous l'égide de l'Union européenne. Deux réunions ont été organisées au mois de mars et les premiers thèmes abordés ont porté sur des questions techniques comme l'état-civil, le cadastre, les douanes, l'électricité, les télécommunications, etc. Ces discussions, qui ne sont pas des négociations sur le statut comme le souhaitait la Serbie, devraient permettre de régler un certain nombre de difficultés rencontrées par les citoyens dans leur vie quotidienne, concernant par exemple les documents d'état-civil ou les cadastres, dont une partie a été transférée à Belgrade.
Le Kosovo place beaucoup d'attentes dans ce dialogue et espère qu'il permettra de dépasser les querelles du passé, même s'il ne s'agit pas d'aborder la question du statut, qui est réglée par l'indépendance du Kosovo ou d'évoquer l'idée d'une modification des frontières, mais d'avoir une approche plus modeste, centrée sur les questions qui intéressent la vie quotidienne des citoyens.
Certaines déclarations de responsables politiques serbes, au plus haut niveau, ont toutefois soulevé des inquiétudes au Kosovo. Je pense en particulier aux déclarations du principal négociateur serbe sur une éventuelle partition du Nord du Kosovo ou encore à une récente déclaration du Président serbe, dans laquelle celui-ci évoque l'idée d'une négociation avec l'Albanie sur une modification des frontières entre le Kosovo et la Serbie en se référant au conflit historique entre Serbes et Albanais.
De telles déclarations, qui renvoient au passé, sont dangereuses car elles risquent de provoquer de nouvelles tensions dans toute la région des Balkans occidentaux.
Lors de la décomposition de l'ex-Yougoslavie, la communauté internationale a veillé à ne pas modifier les frontières, telles qu'elles étaient définies dans la Constitution de 1974 de la Fédération yougoslave, et cela est valable pour le Kosovo, comme pour les autres Etats de l'ex-Yougoslavie, comme la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine ou le Monténégro.
Par ailleurs, l'hypothèse d'une partition du Nord du Kosovo, évoquée par le Président de la République serbe, aurait des répercussions négatives sur toute la région des Balkans occidentaux, en particulier en Macédoine, où un tiers de la population est d'origine albanaise, au Monténégro, en Croatie ou en Bosnie-Herzégovine.
La région des Balkans occidentaux risquerait donc de se trouver à nouveau confrontée à des tensions, voire aux conflits meurtriers des années 1990.
Au lieu de chercher à revenir sur le passé et vouloir modifier le tracé des frontières, il me semble qu'il serait plus raisonnable d'oeuvrer à établir des bonnes relations entre la Serbie et le Kosovo et à renforcer la coopération régionale dans la région.
Nous espérons ainsi que, grâce au soutien de l'Union européenne et au dialogue avec Belgrade, la Serbie cessera de conditionner sa participation aux différentes instances de coopération régionale ou internationales à l'exclusion de la participation du Kosovo, ce qui n'est pas de nature à renforcer la coopération régionale, qui est une priorité de l'Union européenne.
Je demeure optimiste car de nombreuses voix en Serbie, comme celle de l'ancien ministre des affaires étrangères, s'expriment en faveur de la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo et de l'établissement de bonnes relations entre nos deux pays. L'avenir du Kosovo comme de la Serbie se trouve, en effet, dans l'Union européenne.
M. André Vantomme. - Dans l'optique de notre prochain déplacement au Kosovo, avec notre collègue Jean Faure, je souhaiterais, Monsieur l'Ambassadeur, vous poser trois questions.
Tout d'abord, je souhaiterais revenir sur la crise politique qu'a traversé le Kosovo depuis la fin de l'année dernière, qui a été provoquée par l'éclatement de la coalition au pouvoir entre le parti LDK fondé par M. Ibrahim Rugova et le parti PDK du Premier ministre M. Hashim Thaçi, et qui a été notamment marquée par l'invalidation de l'élection présidentielle de M. Pacolli. Pensez-vous qu'avec l'élection d'une nouvelle présidente, en la personne de Mme Jahjaga, jeune femme âgée de 36 ans et ancien général de police, votre pays soit sorti définitivement de cette crise politique ? Si cette élection est susceptible d'améliorer l'image du Kosovo sur la scène internationale, ne craignez vous pas que l'« inexpérience politique » de la nouvelle présidente, qui n'est affiliée à aucun parti et qui est issue de la société civile, soit un facteur de fragilité ?
Ma deuxième question porte sur la place des minorités, en particulier de la minorité serbe et les relations avec la Serbie. Quels ont été les progrès réalisés ces dernières années pour favoriser une meilleure intégration des minorités et pour améliorer les relations avec les minorités serbes au Sud et au Nord du Kosovo ?
Quelles sont vos attentes, ou vos craintes, à l'égard du dialogue avec la Serbie, mené sous l'égide de l'Union européenne ?
Enfin, je souhaiterais connaître votre sentiment sur la présence internationale et le rapprochement du Kosovo avec l'Union européenne. Quel est votre sentiment concernant l'évolution de la présence militaire internationale ? En particulier, n'avez-vous pas des craintes concernant la diminution des effectifs de la KFOR, qui devrait voir ses effectifs diminuer de 10 000 à 5 000 militaires ? Quel est également votre sentiment concernant la mission EULEX de l'Union européenne ? Enfin, comment voyez-vous le rapprochement du Kosovo avec l'Union européenne dans les prochaines années ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France. - Le Kosovo a connu une vie politique agitée ces derniers mois, avec l'invalidation successive de deux élections présidentielles par la Cour constitutionnelle. La première élection a été invalidée car le président élu avait conservé son poste de président d'une formation politique, tandis que la seconde élection a été invalidée faute de quorum. Dans les deux cas, cela montre que les institutions de notre jeune Etat fonctionnent, puisque dès l'annonce des décisions de la cour constitutionnelle, les deux présidents élus ont immédiatement démissionné de leurs fonctions et que la transition s'est déroulée sans violence. Cela ne se passe pas toujours ainsi dans les autres pays.
La nouvelle Présidente de la République, Mme Atifete Jahjaga, n'a certes pas une grande expérience de la vie politique, mais elle a, en revanche, des compétences reconnues en matière juridique, administrative et de police, ce qui peut d'ailleurs présenter un grand intérêt aux yeux de l'Union européenne, qui attache une grande importance à ces questions comme le montre la mission Eulex. Son indépendance à l'égard des partis peut constituer un atout, de même que sa jeunesse et le fait qu'elle soit une femme. Nous sommes d'ailleurs très fiers de compter de nombreuses femmes dans la vie politique, tant au sein de l'exécutif, avec la Présidente de la République, mais aussi avec différents ministres, dont le ministre de l'intégration européenne, qu'au sein de l'assemblée, où les femmes représentent un tiers des sièges.
M. Didier Boulaud, vice-président. - Comment s'articulent les pouvoirs respectifs du Président de la République et du Premier ministre ? N'est ce pas le premier ministre qui dirige le pouvoir exécutif ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France. - Effectivement, c'est le Premier ministre qui dirige le gouvernement mais le Président de la République a un rôle important à jouer, en particulier en matière de politique étrangère.
En ce qui concerne la place des minorités, notamment de la minorité serbe, la situation s'est beaucoup améliorée ces dernières années.
La situation sécuritaire est stable et les derniers incidents remontent à mars 2004.
La minorité serbe du Kosovo avait été soumise, avant l'indépendance, à une forte pression de la part des autorités de Belgrade qui l'incitaient à ne pas reconnaître les autorités du Kosovo et à ne pas établir de relations avec elles ni avec les représentants de la communauté internationale.
De ce point de vue, l'indépendance du Kosovo a apporté une clarification et on constate désormais une plus grande participation de la minorité serbe, notamment en ce qui concerne la vie politique du Kosovo.
Ainsi, au gouvernement, on trouve un vice-premier ministre et trois ministres serbes, et, à l'assemblée, un certain nombre de sièges sont réservés aux représentants de la minorité serbe, même si tous n'ont pas été pourvus lors des dernières élections législatives.
De même, dans le cadre de la décentralisation, des maires serbes ont été élus par les quatre communes à majorité serbe.
Je rappelle également que le serbe est l'une des deux langues officielles du Kosovo, avec l'albanais, et que tous les documents administratifs, comme les documents d'identité, sont traduits dans les deux langues.
Le Kosovo, comme l'Union européenne, attache une grande importance à la lutte contre les discriminations et à la protection des minorités. Cela remonte à son histoire.
Le Kosovo a ainsi renoué avec une longue tradition de multilinguisme, interrompue par la politique de Milosevic, avec par exemple des émissions télévisées en albanais, en serbe, en rom et en turc.
En temps que professeur d'université de philosophie et directeur de revue, j'ai moi-même pratiqué le multilinguisme à l'université.
Le Kosovo a aussi renoué avec une longue pratique de « discrimination positive », visant à encourager la présence des représentants des minorités à des postes de responsabilités.
L'avenir de la minorité serbe vivant au Kosovo est dans ce pays tout en ayant de bonnes relations avec la Serbie.
Pour tous les habitants du Kosovo, serbes ou albanais, ce qui importe ce n'est pas le passé mais le rapprochement avec l'Union européenne. L'Europe est d'ailleurs déjà présente au Kosovo, avec Eulex et l'euro, puisque le Kosovo est le seul pays des Balkans occidentaux qui a recours à la monnaie unique.
Il est d'ailleurs frappant de constater que, malgré un taux de chômage de 40 %, notamment chez les jeunes, le Kosovo ne connaît pas de troubles sociaux.
Notre pays se situe clairement dans la perspective d'un rapprochement avec l'Union européenne, ce qui explique notre volonté d'avoir des relations étroites avec les grands pays, comme la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, les institutions européennes, et tous les autres pays membres de l'Union européenne, y compris les cinq pays membres qui n'ont pas encore reconnu notre indépendance.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je me félicite que vous ayez porté à la présidence de la République une jeune femme de 36 ans et de la place des femmes au gouvernement et au parlement, sur laquelle nous avons encore beaucoup de progrès à faire.
Je souhaiterais vous poser trois questions précises.
Quelles sont les mesures prises en matière d'emploi pour lutter contre le chômage et attirer les investisseurs étrangers ?
Est-ce que l'on trouve encore des mines antipersonnel ou bien le travail de déminage est-il achevé ?
Enfin, quel est le rôle joué par la diaspora ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France. - En matière économique, le Kosovo, qui était un pays peu développé et qui a subi d'importantes destructions au cours du conflit, a connu une évolution plutôt positive depuis 1999, notamment grâce au soutien de l'Union européenne. La priorité des autorités reste le développement des infrastructures, comme les routes, et plusieurs grands chantiers ont été lancés depuis l'indépendance.
Le Kosovo dispose aussi de richesses minières, notamment en matière de bauxite, lignite, en nickel ou en plomb, et d'un potentiel hydro-électrique, que les autorités souhaitent mieux exploiter.
Enfin, le gouvernement souhaite désormais investir dans l'agriculture, car le Kosovo dispose de terres agricoles de bonne qualité, ainsi que dans le secteur du tourisme.
Le gouvernement a d'ores et déjà procéder à plusieurs privatisations, comme par exemple l'aéroport de Pristina, qui est cogéré par une entreprise française et une entreprise turque, et il devrait procéder prochainement à la privatisation de certaines entreprises, comme la Compagnie des télécommunications (PTK).
Nous souhaiterions attirer davantage d'investisseurs étrangers, notamment des entreprises françaises, dont des petites et moyennes entreprises, et notre ambassade compte d'ailleurs organiser cette année, en partenariat avec UbiFrance, une rencontre à ce sujet, sur le modèle de la réunion que nous avions organisé l'an dernier avec le Medef international.
A cet égard, je voudrais rappeler que le Kosovo est le seul pays de la région à utiliser l'euro.
Notre pays dispose également de nombreux atouts, comme une grande stabilité politique, économique et sociale, un cadre législatif de nature à attirer les investisseurs étrangers, et une fiscalité dont l'attractivité sera encore renforcée.
Concernant la présence de mines, si certaines zones sont encore concernées, le travail de déminage se poursuit en coopération entre la KFOR et l'armée kosovare. Aucune victime n'est toutefois à déplorer car les zones concernées sont bien délimitées.
Enfin, la diaspora occupe une place importante, puisque si l'on compte moins de 10 000 de nos ressortissants en France, les personnes originaires du Kosovo sont au nombre de 250 000 en Suisse et de 200 000 en Allemagne.
La diaspora joue un rôle important, notamment en matière économique. Pendant la période de répression, puis pendant le conflit, c'est grâce à la diaspora que la population d'origine albanaise a pu survivre, puis la diaspora a joué et continue de jouer un rôle important dans la reconstruction du pays et pour faire face aux difficultés économiques.
M. Christian Cambon. - J'ai deux questions à vous poser.
La première concerne vos relations avec la Russie. En février 2008, je me souviens que Vladimir Poutine avait déclaré que les occidentaux payeront cher la reconnaissance du Kosovo. Avez-vous constaté une évolution de la position russe et une amélioration des relations avec la Russie ?
Ma deuxième question porte sur la viabilité économique des petits pays, comme le Kosovo. Compte tenu de l'enclavement, de la faible superficie et du nombre limité de la population du Kosovo, dans un contexte économique marqué par un important taux de chômage et une grande dépendance vis-à-vis de l'aide extérieure, quelles sont les perspectives économiques de votre pays et comment espérez-vous attirer les investisseurs étrangers ? Comme on peut le constater avec la Grèce ou le Portugal, même l'appartenance à l'Union européenne ne met pas les « petits » pays à l'abri de graves crises économiques.
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France. - Vladimir Poutine nous a habitués à des déclarations empreintes d'une certaine brutalité. De ce point de vue, le Président Dimitri Medvedev tient un discours plus modéré dans ses propos.
La Russie s'est opposée à l'indépendance du Kosovo à un moment donné. Jusqu'en 2006, la Russie coopérait étroitement avec les pays occidentaux dans la région des Balkans occidentaux, y compris concernant le Kosovo.
Toutefois, on ne peut comprendre la réaction de la Russie sans prendre en compte la situation géopolitique, et notamment les tensions avec l'occident en raison du système américain de défense anti-missiles ou de l'élargissement de l'OTAN.
En 2008, la Russie a donc dénoncé l'indépendance du Kosovo, en utilisant cette carte comme un pion sur l'échiquier géopolitique vis-à-vis de l'occident, alors que la Russie n'a aucun intérêt stratégique au Kosovo.
Aujourd'hui, on ne constate plus la même attitude de la Russie, dès lors que la Serbie a affirmé sa volonté de se rapprocher de l'Union européenne et de dialoguer avec le Kosovo. Par ailleurs, le rapprochement avec les Etats-Unis a aussi joué un rôle.
De plus, avec la décision de la Cour internationale de justice, il est plus difficile aujourd'hui pour Moscou de dénoncer l'indépendance du Kosovo comme contraire au droit international, puisque la plus haute instance judiciaire des Nations unies a affirmé l'inverse.
S'agissant de la question de la viabilité économique des « petits » pays, permettez moi de rappeler que l'Union européenne compte de nombreux « petits » pays comme Malte ou le Luxembourg.
Dans la région des Balkans occidentaux, le Kosovo n'est pas un cas isolé, car on trouve d'autres « petits » pays, comme la Slovénie ou le Monténégro par exemple.
La principale motivation de l'indépendance du Kosovo ne fut pas de nature économique, mais politique, puisqu'il s'agissait de défendre notre liberté.
Par ailleurs, notre pays dispose de nombreux atouts et d'un riche potentiel en matière économique.
C'est précisément pour remédier aux inconvénients d'être un « petit pays », que nous sommes désireux de rejoindre la « maison commune » européenne.
Pour autant, notre principale motivation à rejoindre l'Union européenne, n'est pas de nature économique, mais politique.
Nous n'attendons pas une « aide » de l'Union européenne, un soutien financier, mais nous souhaitons établir une relation qui soit mutuellement profitable.
Mme Gisèle Gautier - Alors que l'OTAN et l'Union européenne envisagent une réduction de leur présence, avec notamment une diminution de leurs effectifs, ne craignez vous pas une reprise des tensions ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France. - L'OTAN et l'Union européenne sont amenées à réduire progressivement leur présence militaire compte tenu de la stabilité du Kosovo et de la région. Elles transfèrent progressivement leurs responsabilités à la police et aux Forces de Sécurité du Kosovo (FSK). Il existe d'ailleurs une coopération avec l'OTAN pour créer une force de protection des frontières, ce qui soulève parfois des difficultés avec les cinq pays de l'Union européenne qui n'ont pas encore reconnu notre indépendance. Par ailleurs, le gouvernement a proposé à la France de placer sous commandement français une unité d'élite des Forces de Sécurité du Kosovo sur un théâtre d'opération de caractère humanitaire.
Notre seule inquiétude porte sur le discours des autorités de Serbie sur l'idée d'une modification des frontières et d'une partition du Nord du Kosovo, car cette idée est susceptible de soulever des tensions au Kosovo mais aussi dans toute la région des Balkans occidentaux, comme en Macédoine par exemple.
Même si les populations sont lassées des conflits passés et regardent vers l'avenir, l'Union européenne devrait se montrer ferme et réaffirmer sa position concernant la non-modification des frontières dans la région.
M. Jean-Louis Carrère. - Quelle est la place de la religion au Kosovo ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France. - Il n'existe pas de religion d'Etat au Kosovo mais une séparation claire entre l'Etat et la religion. Cela remonte à une longue tradition historique, puisque l'on trouve, parmi les Albanais, aussi bien des musulmans que des catholiques ou des orthodoxes, même si l'Islam est la religion la plus répandue. Après la chute de l'Empire ottoman, la nation albanaise ne s'est pas identifiée à une religion, mais l'accent a surtout été mis sur la langue. Nous n'avons connu aucune guerre de religion. Les trois religions ont toujours coexisté en bonne intelligence et l'on trouve des représentants des trois religions parmi les grandes figures politiques du pays, à l'image du fondateur de l'église orthodoxe, Fan Noli, ou des auteurs catholiques des premiers textes en albanais. Aujourd'hui encore, la présence d'une cathédrale en plein centre de Pristina témoigne de la coexistence harmonieuse des trois religions, même si la majorité de la population du Kosovo est de confession musulmane.
M. Didier Boulaud, vice-président. - Quelle est la position des autorités du Kosovo à l'égard des graves allégations du rapport de M. Dick Marty sur le trafic d'organes commis à l'encontre de prisonniers serbes ? Les autorités du Kosovo sont-elles prêtes à coopérer avec la mission Eulex dans leur enquête ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France. - Je n'avais pas oublié votre question et j'allais justement y venir.
Tout de suite après la publication du rapport de M. Marty, les autorités kosovares se sont dites prêtes à coopérer avec Eulex. Ce qui pose problème dans le rapport de M. Dick Marty, c'est tout d'abord son approche politique, puisqu'il part du postulat que tous les événements et les faits au Kosovo auraient été considérés par les instances internationales dans une optique rigoureusement manichéenne, avec d'un côté les Serbes, nécessairement méchants, et de l'autre, les Kosovars albanais, inévitablement innocents, dévalorisant ainsi le travail énorme des instances internationales au Kosovo.
Un autre postulat est que le Kosovo présenterait un caractère mafieux, régi par les clans et l'omerta.
Par ailleurs, M. Dick Marty porte, dans son rapport, des jugements très généraux. Ainsi, il évoque les crimes commis, non pas par des membres de l'UCK, mais par l'UCK dans son ensemble. Il présente l'UCK, la société kosovare et l'Etat du Kosovo comme des structures fondamentalement mafieuses.
Les positions de M. Dick Marty ne peuvent se comprendre sans prendre en compte le fait qu'il s'était violemment opposé à l'intervention de l'OTAN au Kosovo en 1999 et à l'indépendance du Kosovo en 2008. Ainsi, son rapport apporte une sorte de justification a posteriori à ses prises de position antérieures.
Concernant la principale accusation, qui concerne un trafic d'organes qui aurait été commis par l'UCK à l'encontre de prisonniers serbes, M. Dick Marty n'apporte aucune preuve de ses graves allégations et son rapport ne repose que sur des suppositions, une rumeur.
Dans un entretien pour le quotidien « Svedok » de Belgrade, le 31 décembre 2010, un spécialiste serbe de la transplantation d'organes de l'Académie militaire de Belgrade (VMA), le professeur Goran Kronja, a mis fortement en doute cette supposition, en mettant en avant les conditions techniques et professionnelles, et le caractère extrêmement compliqué du prélèvement d'organes et de la transplantation. On voit mal une telle opération se dérouler dans une maison isolée dans la montagne, comme le laisse entendre M. Dick Marty dans son rapport.
D'autres experts, comme M. Alexeï Douma, directeur d'un Institut de Médecine de Skopje, ont également confirmé ce point de vue.
D'ailleurs, lorsqu'il a été interrogé par les membres de la commission des affaires étrangères du Parlement européen, M. Dick Marty n'a pu apporter de réponses précises à leurs questions.
Enfin, ce qui est peut être le plus grave, en mettant en avant un crime supposé, qui aurait concerné une dizaine de cas, d'une telle gravité, qui frappe l'imagination, mais qui n'est fondé sur aucune preuve, et tout en affirmant vouloir s'intéresser à toutes les victimes, sans égards à leur importance ethnique, M. Dick Marty occulte la question de l'impunité des auteurs de crimes commis à l'encontre de plus de 10 000 civils kosovars, dont deux-tiers d'Albanais.
Plutôt que de réduire l'enquête sur un cas particulier, un crime supposé, n'aurait-il pas été plus légitime de faire également une enquête sur les disparus albanais, dont certains corps ont été transportés et enterrés en Serbie ?
Les autorités du Kosovo sont donc disposées à coopérer pleinement avec la mission Eulex de l'Union européenne dans leur enquête sur les allégations de M. Dick Marty, mais nous ne voulons pas que cette affaire empêche le travail qui reste à faire concernant les 10 000 civils kosovars disparus, qui eux sont avérés, notamment en ce qui concerne l'exhumation des corps enterrés en Serbie, car les familles attendent la restitution de ces corps.
Mme Gisèle Gautier. - En tant que vice-présidente de la délégation française à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je pense qu'il était important de vous entendre car les membres de l'assemblée du Conseil de l'Europe avaient été assez mal informés de cette affaire et soumis à de fortes pressions politiques de toute sorte.
M. Didier Boulaud, vice-président. - Au sein de la commission des Affaires européennes du Sénat, nous avions évoqué ce sujet, à la suite d'une communication de notre collègue Jean-Claude Frécon, en présence de notre ambassadeur au Kosovo.
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France. - Pour conclure, permettez-moi à nouveau de remercier les responsables politiques et le peuple français pour leur engagement et leur soutien en faveur de notre pays.
Jeudi 5 mai 2011
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence française de développement (AFD) - Examen de l'avis
La commission examine l'avis de MM. Christian Cambon et André Vantomme sur le contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence française de développement (AFD) pour la période 2011-2013.
M. Josselin de Rohan, président - Nous examinons ce matin le rapport de MM. Cambon et Vantomme sur le projet de contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence française de développement.
En vertu de l'article 1 de la loi sur l'action extérieure de l'Etat, notre commission est saisie pour avis sur ce projet de contrat qui définit les missions de cette agence et les ressources budgétaires à sa disposition pour les trois années à venir.
Cette procédure est nouvelle. Nous sommes saisis d'un avis consultatif qui peut être positif ou négatif, les rapporteurs nous donneront leur point de vue. Cet avis peut être assorti de recommandations et de demande de modifications. Ce travail a naturellement été confié aux deux rapporteurs de l'aide au développement. Vous avez, m'a-t-on dit, procédé à de nombreuses auditions. Vous nous aviez présenté l'année dernière un rapport sur la stratégie française de coopération au développement. Nous avions, sur la base de ce travail, organisé une table ronde, puis un débat en séance publique. A bien des égards, l'aide au développement est un sujet qui prend une nouvelle importance avec la mondialisation, comme l'illustre son inscription à l'agenda de la présidence du G20.
J'imagine que ce contrat est une sorte de déclinaison opérationnelle de la stratégie adoptée par le Gouvernement. Cela devrait nous permettre de comprendre, au-delà des déclarations de principe, la réalité des actions mises en oeuvre.
Je vous demanderai sur ce sujet parfois technique de faire preuve de pédagogie et notamment de nous éclairer sur le contexte dans lequel s'inscrit ce contrat et sur le fonctionnement et les activités de l'AFD avant d'en venir aux détails du contrat.
M. Christian Cambon, co-rapporteur - L'AFD, comme vous le savez, est devenue, depuis la disparition du ministère de la coopération, l'opérateur pivot de la coopération française. Examiner son contrat d'objectifs et de moyens nous permet d'exercer un contrôle sur cette politique. Je me félicite donc de cette procédure d'avis. Pour préparer ce rapport, nous avons effectué plusieurs missions sur le terrain, l'année dernière au Mali, cette année en Inde, pour évaluer l'action de l'AFD et les projets qu'elle conduit. Nous avons également procédé à de nombreuses auditions depuis plusieurs mois de façon à bien comprendre l'action d'un établissement singulier aux multiples facettes.
Avant d'examiner ce contrat, quelques mots sur le contexte.
L'AFD inscrit son action dans une politique de coopération qui a depuis une dizaine d'années diversifié ses objectifs et ses zones d'intervention. A une aide centrée sur le pré-carré africain et la lutte contre la pauvreté, a succédé une politique plus ambitieuse. Notre coopération poursuit non seulement des objectifs dans les secteurs sociaux comme l'éducation et la santé, mais également, un objectif de promotion d'une croissance partagée et durable, ainsi qu'un objectif de sauvegarde des biens publics mondiaux, c'est-à-dire de lutte contre le réchauffement climatique, de préservation de la biodiversité et enfin de lutte contre les pandémies. Cette politique de coopération est également devenue un enjeu important de notre diplomatie multilatérale comme en témoignent les engagements de la France à l'ONU ou dans le cadre de la présidence du G8 et du G20.
Il s'agit d'une politique de plus en plus ambitieuse avec, il est vrai, des moyens de plus en plus comptés. L'aide publique française demeure officiellement une des coopérations les plus importantes au monde. Mais nous avons pu mesurer au fil de nos travaux combien cette grandeur était mesurée par un thermomètre largement faussé.
Sur le terrain, l'état de nos finances publiques ne nous permet plus d'être aussi généreux qu'auparavant. Nous avons été frappés de constater que, dans certains pays francophones d'Afrique subsaharienne, la France était aujourd'hui loin derrière des bailleurs de fonds comme les Pays-Bas ou le Canada sans parler de la Chine. Ce décalage entre nos ambitions et la réalité des crédits explique que la France ait du mal à tenir les très nombreux engagements internationaux qu'elle a pris ces dernières années. Je veux parler du 0,7 % pour les objectifs du millénaire pour le développement, mais également les engagements pris en matière de soutien du secteur privé en Afrique ou de santé.
Ce décalage s'accompagne enfin d'un déséquilibre croissant entre l'aide bilatérale dont l'AFD est l'opérateur et une aide multilatérale qui passe notamment par la Banque mondiale, par le fonds européen de développement ou par le fonds Sida.
Le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD a été rédigé à un moment où cette politique de coopération est confrontée à plusieurs enjeux. Le premier enjeu, c'est celui de contribuer au décollage économique de l'Afrique et à la stabilité des pays du Maghreb. L'Afrique, vous le savez, c'est 1,8 milliard d'habitants en 2050. C'est un fait majeur qui nous concerne au premier plan et dont on ne doit pas sous-estimer les conséquences. Qu'on soit claire, l'aide au développement n'est pas en mesure de générer de la croissance économique à l'échelle d'un continent, ni remplacer des politiques nationales inappropriées. Mais elle peut accompagner des dynamiques et être un accélérateur de transformations économiques et sociales initiés par des acteurs locaux.
Le deuxième enjeu est celui de l'efficacité et de l'évaluation de notre action. La politique d'aide au développement doit faire l'objet d'une évaluation plus large, plus ambitieuse et plus complète de son impact réel sur le développement de nos pays partenaires. C'est un enjeu d'efficacité, c'est aussi un enjeu de redevabilité à l'égard des contribuables.
Le troisième enjeu est celui d'une meilleure articulation entre les bailleurs de fonds bilatéraux, aussi bien au niveau européen qu'au niveau multilatéral. Il y a dans ce domaine une jungle institutionnelle qui est une source de dysfonctionnement croissante.
Le dernier enjeu, me semble-t-il, pour la France, est celui de la crédibilité. La France affirme haut et fort sa préférence pour l'Afrique et cette priorité ne peut rester que rhétorique. Il faut qu'elle soit suivie d'effets et de moyens. Dans un contexte budgétaire tendu, il ne s'agit pas d'augmenter les déficits publics mais sans doute, de mieux répartir les crédits au sein de cette politique.
M. André Vantomme, co-rapporteur - Voilà le contexte, venons-en à l'AFD. L'AFD est un établissement public singulier. C'est d'abord et peut-être avant tout une banque. De par son statut d'établissement bancaire, de par son résultat comptable, de par ses procédures, l'AFD est une banque qui, grâce à sa signature triple A, emprunte sur les marchés internationaux des ressources à bas coûts, pour financer des projets de développement dans nos pays partenaires. Une partie de ces crédits sont bonifiés grâce à une ressource publique, et une partie croissante procède de ce que l'on appelle dans le jargon du « rehaussement de signature ». Elle emprunte à un faible coût et prête à des Etats ou des collectivités locales qui n'auraient pas accès à des taux d'intérêts aussi bas s'ils se finançaient directement sur les marchés. L'AFD ne reçoit pas de subvention de fonctionnement mais couvre ainsi ses frais grâce à ses marges bancaires.
Voilà pour la banque, mais l'AFD est également une agence de coopération, qui, pour le compte de l'Etat, gère des subventions et des fonds spécialisés pour financer des projets de développement dans des zones prioritaires de la coopération française. Elle constitue à ce titre le prolongement du ministère de la coopération.
L'AFD est troisièmement un outil d'influence de la diplomatie française qui permet, grâce à une palette assez large d'instruments, qui vont de l'assistance technique aux prêts en passant par différents degrés de subventions et de garanties, de nourrir des relations bilatérales avec des pays partenaires. C'est à ce titre que l'AFD vient de débloquer deux prêts de 350 millions d'euros pour la Tunisie et pour la Côte d'Ivoire. L'AFD favorise également l'expertise française dans les pays du Sud, dans des secteurs stratégiques comme les infrastructures, le transport ou l'eau.
L'AFD est enfin, quatrièmement, pour l'Etat, à la fois une source de dépenses et de recettes. Parce qu'elle dégage un résultat bénéficiaire et que l'Etat depuis 2004 prélève 100 % de son résultat net, l'AFD est devenue une source de revenus pour la direction du budget du ministère des finances. En 2009, l'Etat a ainsi prélevé plus de 200 millions d'euros. Une partie de ces crédits est d'ailleurs reversée au budget de la coopération.
L'AFD est également une source de dépenses. J'ai parlé de subventions qui s'élèvent pour le programme 209 à environ 200 millions d'euros. Il faut aussi parler des bonifications qui représentent pas loin de 800 millions d'euros. L'Etat et l'AFD entretiennent des relations assez complexes puisque l'Etat rémunère l'AFD pour les prestations qu'elle effectue en son nom, mais dans des proportions qui ne couvrent pas les frais de gestion. De même, les activités bénéficiaires de l'AFD lui permettent de financer les activités de production intellectuelle, de conseil auprès des pouvoirs publics, de communication qui relèvent en partie de l'Etat.
Agence de développement, banque, bras séculier de la diplomatie française, l'AFD est un peu tout à la fois ; on parle souvent de couteau suisse de la coopération française. C'est d'ailleurs une configuration assez particulière parmi les bailleurs de fonds qui n'a vraiment d'équivalent que la banque japonaise du développement. Ses différents mandats lui permettent d'avoir une palette d'instruments très étendue qui constitue sans doute l'un des avantages comparatifs importants de l'AFD par rapport à ses concurrents. C'est aussi régulièrement une source d'incompréhension. On a notamment tendance à évaluer l'action de l'AFD à l'aune des quelque 200 millions de subventions qu'elle gère alors qu'en fait ses engagements au service de projets de développement s'élèvent en tout à près de 7 milliards d'euros. Ces multiples facettes expliquent également la faible lisibilité de son action et en particulier de la diversification géographique de ses engagements.
L'AFD a en effet développé ses activités dans les pays émergents à la demande de l'Etat, essentiellement pour y exercer son mandat de banque de développement. En tant que banque, cette activité en Inde et en Chine devrait lui permettre de diversifier ses risques sur des contreparties solvables. Elle devrait également à terme lui permettre de dégager une marge bancaire dont les résultats devraient pouvoir bénéficier à l'ensemble de l'établissement et en particulier aux activités orientées vers l'Afrique. Dans ces pays, l'AFD a également le mandat de défendre une vision française de la lutte contre le réchauffement climatique et de défendre dans le cadre d'une aide déliée les intérêts français. On ne comprend pas ce que fait l'AFD en Inde ou en Chine si on n'a pas à l'esprit cette activité bancaire.
Alors quel bilan peut-on faire de l'activité de l'AFD ?
6,2 milliards d'engagements en 2009 : c'est l'approvisionnement du réseau d'eau potable au bénéfice de 7,3 millions de personnes, la vaccination de 1,8 million d'enfants, l'amélioration des conditions de logement pour 2,1 millions d'habitants des quartiers défavorisés, l'économie de 4,9 millions de tonnes de CO, le développement de plus de 320 000 entreprises, le raccordement de 6,6 millions de personnes à un réseau de télécommunications et la scolarisation de 1,8 million d'enfants au niveau primaire.
Grâce à une croissance très soutenue, l'AFD s'est imposée au niveau international comme une agence de coopération reconnue qui bénéficie d'une excellente réputation. Cette réputation lui a permis de nouer de nombreux partenariats avec d'autres bailleurs de fonds comme la Kfw allemande ou la banque européenne d'investissements. Sa diversification géographique s'est accompagnée d'une diversification sectorielle avec des projets remarqués dans le domaine du soutien à l'initiative privée, de l'urbanisme, de la préservation de la biodiversité et plus généralement de la préservation de l'environnement.
Le contrat d'objectifs et de moyens qui nous est soumis doit être signé entre la direction générale de l'AFD et l'Etat.
Dans le cadre de l'AFD, l'Etat est représenté par les deux principales tutelles de l'AFD qui sont le ministère des finances à travers la direction du Trésor et le ministère des affaires étrangères à travers la direction générale de la mondialisation. A cette double tutelle, il faut ajouter celle de la direction du budget. Ce contrat a fait l'objet d'intenses négociations depuis juillet 2010 et les délais dans lesquels il a été conclu illustrent la complexité du pilotage de l'AFD qui est à l'image de l'architecture institutionnelle de la coopération française partagée entre la rive droite et la rive gauche de la Seine.
M. Christian Cambon, co-rapporteur - Pour analyser ce contrat nous avons assez classiquement comparé son contenu au contrat précédent, au document cadre de coopération que nous avions analysé l'année précédente et à la réalité de ce que nous avons vu lors de nos missions et entendu lors de nos auditions.
J'aborderai d'abord la question des objectifs laissant à André le soin de parler des moyens. Les objectifs généraux et géographiques assignés à l'AFD sont en tous points conformes à ceux du document-cadre. Ils se traduisent notamment par la volonté de consacrer 60 % de l'effort financier de l'Etat à l'Afrique subsaharienne, 20 % aux pays méditerranéens, 10 % aux pays émergents. Il est également prévu de consacrer 50 % des dons aux 14 pays prioritaires et 10 % aux pays en crise ou en sortie de crise.
Ce cadrage budgétaire correspond à ce que nous avons approuvé l'année dernière dans le document-cadre. Il constitue, semble-t-il, un bon équilibre entre nos priorités et l'état de développement respectif des différentes zones. Ce cadrage confirme la stratégie mondiale de l'AFD mais encadre le coût sur fonds publics des interventions dans les pays émergents. Il consacre la priorité de l'effort budgétaire à l'Afrique et en particulier à l'Afrique subsaharienne. Le cadrage général nous convient.
Quand on rentre un peu plus dans le détail, plusieurs observations peuvent être faites.
S'agissant des priorités géographiques, la première est que l'augmentation du taux de concentration sur l'Afrique est inversement proportionnelle aux moyens disponibles en subventions, si bien que les montants effectivement disponibles pour les 14 pays prioritaires sont de plus en plus limités.
La deuxième est que la priorité accordée à l'Afrique dans son ensemble en matière d'engagements se traduit de fait en matière de prêts par des engagements dans les zones les plus prospères de l'Afrique où l'AFD trouve des contreparties solvables, c'est-à-dire par exemple en Afrique du Sud ou au Nigeria. Augmenter le montant des prêts à l'Afrique subsaharienne ne permet pas de toucher une grande partie des pays prioritaires qui sortent d'un processus de désendettement. Pour contourner cet obstacle, l'AFD a développé des prêts dits « non souverains » aux collectivités territoriales et aux entreprises publiques. Cette stratégie comporte des risques à la fois pour l'AFD et pour les pays en question si elle conduit de nouveau à un surendettement. Il reste que la croissance africaine qui a été très soutenue ces dernières années avec des taux supérieurs à 5 % a besoin de financements et que l'AFD doit y contribuer.
S'agissant de la Méditerranée, on peut se demander si l'accompagnement de la transition démocratique en Tunisie et en Égypte et peut-être demain en Libye ou en Syrie ne va pas contribuer à augmenter les interventions de l'AFD dans ces pays au-delà des 20 %. La situation en Tunisie a déjà entraîné un nouveau prêt de 350 millions à l'Etat tunisien. C'est évidemment un enjeu essentiel pour la stabilité de la zone.
En ce qui concerne les Etats en crise, il s'agit en fait dans le vocabulaire de l'AFD des Territoires palestiniens, de l'Afghanistan et de Haïti, la part des subventions consacrée à ces pays passerait de 23 % actuellement à 10 %. L'ensemble de ces pays ne recevra plus que le montant des subventions actuellement engagées dans les Territoires palestiniens. Nous vous proposons de soulever ce sujet dans notre rapport.
S'agissant maintenant des objectifs sectoriels, notre appréciation est plus mesurée. Si les priorités décrites sont très larges, elles sont accompagnées d'indicateurs de concentration très ciblés sur deux secteurs, la santé et l'éducation, et accessoirement sur un troisième secteur, l'agriculture.
S'agissant de l'agriculture, nous ne pouvons qu'approuver cette priorité qui a longtemps été délaissée alors que la France dispose d'une vraie compétence dans ce domaine et que les enjeux en matière de sécurité alimentaire sont considérables pour l'Afrique.
En revanche, nous sommes un peu plus réservés sur la surconcentration des subventions sur les secteurs de la santé et de l'éducation. En soi, ces deux secteurs sont évidemment légitimes. Il s'agit d'enjeux majeurs pour le développement, cela ne fait aucun doute. En revanche, quand on analyse de façon approfondie les différents chiffres, on s'aperçoit que les taux de concentration proposés vont conduire à ne faire en Afrique subsaharienne que de la santé et de l'éducation. Or, du point de vue de la méthode, on rentre dans une logique d'offre qui est contestable. En effet, l'idée communément admise est qu'il faut partir du besoin exprimé par nos partenaires et pas leur imposer nos priorités. Ici, on risque de définir deux priorités pour l'ensemble de la zone sans prendre en compte ni la diversité des besoins, ni la diversité de nos compétences dans les différents secteurs. La coopération française dispose notamment de compétences dans le domaine de l'eau, de l'urbanisme, qui sont reconnues et qui risquent d'être exclues par cette nouvelle répartition.
Voilà ce qu'on peut dire sur les priorités sectorielles. J'en viens aux objectifs en matière de production intellectuelle, de stratégie et d'évaluation.
En matière de réflexion sur le développement, et de production intellectuelle, on notera une ambition plus limitée que dans la période précédente et un budget en fort diminution. Le contrat d'objectifs insiste sur la nécessité de mieux coordonner la réflexion avec les autres organismes de recherche, ce que l'on ne peut qu'approuver. Je regrette en revanche que le contrat ne fixe pas des axes de réflexion et notamment des thèmes qui correspondent à l'agenda de notre diplomatie multilatérale.
Je note également un recul des ambitions en matière d'évaluation qui me paraît pour le coup très contestable. Dans le plan d'orientation stratégique de 2003, il était prévu qu'à l'horizon 2010, 100 % des projets dans les pays étrangers fassent l'objet d'une évaluation de leur impact a posteriori. Il s'agit d'évaluer quelques années après la finition du projet, son impact en matière de raccordement des foyers aux réseaux d'eau potable, de production d'électricité ou d'alphabétisation d'une génération. L'évaluation des impacts est un élément essentiel pour rentrer dans une logique de résultat. Or, le contrat qui nous est soumis prévoit que seulement 33 % des projets devront faire l'objet d'une telle évaluation. Je vous propose de demander que cet objectif soit revu.
J'en viens aux dispositions relatives à la maîtrise des coûts de fonctionnement. Le contrat qui nous est soumis manifeste une volonté de maîtrise des coûts qui a été introduite par la direction du budget. Cette volonté est issue de la politique de maîtrise des effectifs que les pouvoirs publics appliquent actuellement aux opérateurs de l'Etat. L'AFD fait valoir, à juste titre, me semble-t-il, qu'elle n'est pas à proprement parler un opérateur de l'Etat, dans la mesure où elle ne reçoit pas de subventions de fonctionnement puisqu'elle finance son activité grâce à son activité bancaire. Il reste que si l'AFD n'est pas un opérateur au sens de la LOLF, son activité est en partie dépendante des deniers publics et c'est donc à ce titre que l'Etat a souhaité introduire des indicateurs d'efficience.
Le COM contient plusieurs types d'indicateurs. Je ne vais pas ici rentrer dans les détails très techniques. Figurent notamment un certain nombre de ratios financiers qui mettent en rapport les coûts de fonctionnement avec le niveau de l'activité. On peut discuter sur la question de savoir ce que signifie la rentabilité financière pour un établissement comme l'AFD avec ses nombreuses casquettes, mais la démarche ne nous semble pas illégitime.
En revanche, la direction du budget a insisté pour introduire un encadrement des effectifs et des frais généraux en valeur absolue, ce qui nous semble en soi une démarche contraire à l'autonomie dont devrait bénéficier l'AFD pour atteindre ces objectifs. On a un établissement dont l'essentiel des ressources provient des marchés, qui dégage un résultat positif, et à qui l'on fixe des plafonds sans prendre en compte son niveau d'activité. Il nous semblerait plus pertinent de fixer des objectifs même en termes de marges plutôt que des normes en valeur absolue qui sont forcément arbitraires.
M. André Vantomme, co-rapporteur - Le contrat qui nous est présenté prévoit par ailleurs que, dorénavant, le résultat net de l'AFD sera distribué de façon à rémunérer l'actionnaire mais aussi à assurer le maintien des fonds propres de l'établissement. Dans son principe, ces dispositions sont une bonne nouvelle dans la mesure où, depuis 2004, l'Etat captait l'intégralité du résultat net à son profit. L'AFD a ainsi distribué à l'Etat 1,1 milliard d'euros. Cette situation n'est aujourd'hui plus tenable. L'AFD manque de fonds propres. Cela conduit l'AFD à plafonner ses activités dans des pays aussi stratégiques que la Tunisie où le ratio dit de « grand risque » est quasiment atteint.
Un accord a été trouvé, qui ne figure pas dans le COM mais dans une lettre à part, qui prévoit que l'Etat ne prélève plus que 75 % sur les cinquante premiers millions et 50 % au-delà, jusqu'à 140 millions. Cet accord, imposé par la direction du budget à la direction du Trésor et à la direction de la mondialisation, ne nous semble pas satisfaisant ni sur la forme, ni sur le fond. Sur la forme, il nous semble que l'accord doit figurer dans le COM puisqu'il détermine une partie des ressources dont pourra disposer l'AFD pour atteindre les objectifs fixés. Si le COM est un contrat d'objectifs et de moyens, il faut que tous les moyens y soient inclus. Sur le fond, au regard des auditions auxquelles nous avons procédé, et les projections en notre possession, il nous semble qu'un accord prévoyant une répartition 50/50 serait plus prudent. Il faut considérer que l'AFD s'est constitué un capital grâce à l'accumulation en fonds propres de ses résultats. En tant que banque, le montant de ses fonds propres détermine la qualité de sa signature et sa capacité à emprunter. Jusqu'en 2004, l'AFD intégrait à ses fonds propres 100 % de son résultat. À un moment où les engagements de l'AFD ne cessent de croître, nous vous proposons de ramener cette proportion à 50 %, et non à 25 % comme le prévoit un accord qui encore une fois devrait figurer dans le contrat.
S'agissant des moyens, le contrat qui nous est soumis prévoit dans ses annexes l'ensemble des crédits budgétaires qui transitent par l'AFD. Ces moyens sont globalement maintenus. On observe une stagnation des subventions à un niveau historiquement bas, et une légère progression des crédits de bonification des prêts. Il nous semble que le montant actuel des crédits sous forme de subventions n'est plus aujourd'hui cohérent avec les objectifs fixés pour l'Afrique subsaharienne. Comme l'a dit Christian, nous ne pouvons plus intervenir dans la région sahélienne que sous forme de subventions. Une grande partie de ces pays sortent d'un processus de désendettement. L'AFD cherche légitimement à financer des projets de collectivités territoriales ou d'entreprises publiques à travers des prêts non souverains, mais il y a une limite à ne pas franchir si l'on ne veut pas commettre les mêmes erreurs que par le passé.
En l'absence d'un rééquilibrage des moyens en faveur des subventions, la priorité accordée à l'Afrique subsaharienne risque de rester purement rhétorique. Comme nous sommes des gens responsables et que nous ne voulons pas aggraver les finances publiques d'un Etat déjà impécunieux, nous vous proposons d'insister sur deux mesures de réallocation des crédits, à discuter dans le cadre de la loi de finances.
La première concerne un rééquilibrage des crédits alloués aux instruments européens et multilatéraux au profit de l'AFD ; la deuxième concerne une nouvelle répartition des crédits entre les bonifications de prêts et les subventions. Alors que les subventions risquent de diminuer de 22 % entre 2008 et 2013, la feuille de route budgétaire annexée au contrat prévoit, pour le même période, une augmentation de 20 % des bonifications. Il y a sans doute un rééquilibrage à opérer plus conforme aux orientations géographiques des objectifs fixés à l'AFD.
S'agissant des modalités d'adoption de suivi de ce contrat, je me contenterai de quelques remarques pour ne pas abuser de votre patience et vous renvoie au rapport écrit pour des précisions plus techniques.
La première remarque porte sur l'absence d'un bilan des précédents contrats. Nous l'avons dit pour le document-cadre, nous le disons pour le contrat d'objectifs et de moyens, nous souhaiterions que ces documents stratégiques soient élaborés sur la base d'un bilan des précédents documents, nous pensons que ces bilans devraient faire l'objet d'un débat au conseil d'administration de l'AFD et au sein du Parlement, de sorte que les nouveaux objectifs et les moyens qui leur sont consacrés soient éclairés à la lumière de l'expérience.
La deuxième remarque porte sur l'absence d'indicateurs d'impact. Le contrat de l'AFD prévoit des indicateurs de moyens, dit comment cet établissement doit dépenser ses crédits, dans quelles zones, dans quels secteurs. Il ne fait pas référence à l'impact des projets financés par l'AFD. Or, c'est cet impact qui est primordial. Il faut que l'AFD entre dans une logique de résultat et prévoit un suivi d'indicateurs d'impact tels que le nombre de personnes raccordées au réseau d'eau potable ou le nombre de personnes vaccinées, le nombre d'enfants alphabétisés, etc. C'est une tâche qui n'est pas simple, qui suppose tout un travail méthodologique, mais c'est une tâche essentielle si on veut pouvoir évaluer cette politique. Nous vous proposons donc que ce contrat intègre un objectif de suivi d'indicateurs de résultats d'impact et plus largement que le contrat indique que l'AFD s'inspire des principes de l'efficacité de l'aide telle qu'ils ont été formulés à la conférence de Paris.
Troisième remarque : ce contrat devait être complété par des dispositions visant à clarifier les relations budgétaires entre l'Etat et l'AFD. D'un côté, l'agence effectue toute une série de prestations pour le compte de l'Etat qui ne sont pas rémunérées à leur coût réel. De l'autre côté, la garantie de l'Etat fait l'objet de provisionnements qui nuisent à la lisibilité du résultat de l'agence. Le tout aboutit à toute une série de financements croisés. Nous vous proposons de demander que ces relations soient clarifiées et qu'un principe de financement équilibré de ces prestations soit inscrit dans le contrat.
Quatrième remarque : j'estime que ce contrat doit comporter un objectif de renforcement des partenariats européens. Aujourd'hui un des défis, dans une période où les budgets sont comptés, c'est de conjuguer les actions bilatérales des 27 Etats membres avec celles de l'Union afin d'être le plus efficace. Je vous propose de demander à ce que le passage relatif aux partenariats soit complété par l'indication selon laquelle : « Dans le cadre du Consensus européen et du Code de conduite sur la complémentarité et la division du travail, l'AFD participe aux efforts de coordination des stratégies et des actions de coopération au développement » ;
Cinquième remarque : les précédents contrats contenaient des objectifs de partenariat avec les collectivités territoriales et les ONG. Ce nouveau contrat ne le prévoit pas. Je vous propose de demander à ce que ces objectifs soient intégrés dans le nouveau contrat, afin qu'il soit dit que l'accompagnement des collectivités territoriales et les ONG figurent bien parmi les objectifs stratégiques de cet établissement.
M. Christian Cambon, co-rapporteur - Sous réserve des observations que nous avons effectuées, et des demandes que nous formulerons, je vous propose de donner un avis favorable à ce contrat d'objectifs et de moyens, d'une part parce que le cadrage général des objectifs est conforme aux orientations que nous approuvons et que nous avons approuvées à travers le document-cadre de coopération. D'autre part, parce que, malgré nos observations critiques, inspirées par la volonté de mieux faire, ce document fixe une feuille de route assez complète et assez claire du rôle et des missions de l'AFD. Cette procédure d'avis qui me semble intéressante, doit être un premier pas, nous l'avons déjà dit, vers l'adoption, à échéance régulière, par le Parlement, d'une loi d'orientation sur la coopération internationale.
M. André Vantomme, co-rapporteur - Je voudrais en outre souligner que l'AFD a pleinement répondu à de nombreuses sollicitations et interrogations. Cet exercice nous a permis d'établir un rapport très complet et peut-être sans précédent sur l'activité complexe de cette agence. De ce point de vue, il s'agit d'un exercice de transparence inédit pour un établissement bancaire.
Sur le contrat, je partage les propos de mon collègue. J'ai des réserves sur les moyens budgétaires, mais je veux dissocier ce débat-là qui relève de la loi de finances. Pour le reste, je n'ai aucun état d'âme sur l'instrument. Je partage les orientations de la feuille de route qui est donnée à l'AFD.
M. Josselin de Rohan, président - Je voudrais souligner que c'est la première fois que le Parlement a à se prononcer sur le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD. Il s'agit d'un travail très approfondi qui éclaire d'un jour nouveau l'activité de cet établissement bancaire. Je suis heureux que nous ayons réussi à vaincre les réticences des administrations qui ne souhaitaient pas que le Parlement s'immisce dans la définition des objectifs et des moyens de cet établissement.
Mme Catherine Tasca - Je trouve ce rapport bicéphale remarquable. Il constitue un investissement intellectuel précieux pour l'avenir du contrôle de cet établissement qui joue désormais un rôle central dans notre politique de coopération. Je partage l'insistance des rapporteurs à disposer d'évaluations sur l'impact des projets financés. Sous réserve des différents points qui ont été soulevés et qui doivent être adressés au ministère des tutelles, je souscris à l'avis favorable proposé par les rapporteurs. Je partage en particulier le sentiment qu'il faudra, en loi de finances, rééquilibrer les crédits budgétaires entre l'aide multilatérale et l'aide bilatérale au profit des crédits de subventions de l'AFD. Je souhaite saisir l'occasion de l'examen de ce contrat pour insister sur la nécessité de réintroduire deux pays du sud-est asiatique, le Cambodge et le Laos, parmi les pays pauvres prioritaires. Ces pays sont les deux seuls pays francophones de la zone. Je trouve incompréhensible leur exclusion de même que la fermeture de l'agence du Laos. Je soutiens les propos formulés à l'encontre d'une logique d'offre qui conduirait à ce que l'Agence française de développement définisse les priorités pour chaque pays sans prendre en compte les besoins exprimés par les pays partenaires. L'aide au développement doit être conçue dans un esprit partagé de co-développement, ce n'est pas à nous de définir les priorités des pays que nous aidons.
Mme Bernadette Dupont - Je félicite les rapporteurs pour leur excellent travail. Est-ce que l'AFD peut utiliser des prêts pour financer des projets dans le secteur de la santé ? J'ai constaté à Madagascar que certains projets hospitaliers permettent de financer des équipements essentiels, notamment pour les dialysés mais ne permettent pas de subvenir aux frais de fonctionnement des services si bien que parfois, les équipements ne servent pas aux patients auxquels ils sont destinés. Est-ce que l'AFD est en mesure de subventionner les frais de fonctionnement de ces structures hospitalières ?
M. Robert del Picchia - Je souhaiterais savoir si, dans le cadre des projets concrets susceptibles de relancer l'Union pour la Méditerranée, l'AFD est en mesure de financer des projets d'infrastructures en particulier dans le domaine du traitement des eaux ?
M. Christian Cambon, co-rapporteur - Je partage entièrement les propos de Mme Tasca sur le Laos et le Cambodge. Les projets de coopération dans ces pays sont victimes de la réduction des moyens de notre aide bilatérale. Je crois que la gestion du réseau de l'AFD, son évolution, les redéploiements et redimensionnements auxquels il donne lieu sont des décisions stratégiques. Je vous propose de demander qu'un principe de cohérence entre les réseaux publics français d'aide au développement à l'étranger soit inscrit dans le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD et qu'il soit indiqué que l'évolution du réseau à l'étranger fasse l'objet d'une discussion au sein du conseil d'administration. Ce rapport nous a permis de mesurer le chemin à parcourir pour dégager de nouvelles marges de manoeuvre pour cette politique qui fait face aujourd'hui à une situation paradoxale. La France est officiellement deuxième contributeur d'aide au monde, grâce à un indicateur statistique qui nous semble largement faussé. De l'autre côté, dans les pays supposés prioritaires de notre coopération, la France est souvent loin derrière des pays comme le Canada ou le Danemark. Nous conservons une forte expertise, une capacité d'entraînement des autres bailleurs de fonds, mais notre présence est en recul. Ce rapport a également été l'occasion de mieux comprendre l'action de l'AFD dans les pays émergents. Lors de notre mission en Inde, nous avons pu mesurer combien les conditions et les modalités de l'intervention de l'AFD étaient différentes dans ce pays de celles des pays d'Afrique subsaharienne comme le Mali où nous avions effectué une mission l'année dernière. En Inde, les pouvoirs publics ont sélectionné les bailleurs de fonds avec lesquels ils souhaitent travailler. La France et l'AFD ont souhaité faire partie de ces bailleurs de fonds pour participer au financement des 5 000 milliards de dollars d'investissements en infrastructures que l'Inde a planifié d'effectuer dans les cinq prochaines années.
M. André Vantomme, co-rapporteur - Je voudrais souligner que l'AFD gagne de l'argent grâce à ses activités dans les pays émergents et que cette activité bénéficiaire devrait profiter à l'établissement dans son ensemble et donc aux activités déficitaires en Afrique subsaharienne. Cette stratégie de péréquation me semble être la bonne. Nous avons essayé d'être sincères dans ce rapport. Vous trouverez dans le rapport écrit des remarques très critiques aussi bien à l'égard des pouvoirs publics que de l'AFD, mais il nous semble que globalement cet établissement obtient des résultats remarquables et que le contrat d'objectifs et de moyens fixe une feuille de route pertinente. L'aide au développement est par ailleurs trop souvent une politique qui se traduit par des promesses irréalistes et des effets d'annonce. Je crois qu'il faut cesser de promettre tout et n'importe quoi. En revanche, l'AFD me semble un outil performant qui dispose de ressources publiques modestes et qui, grâce à son activité bancaire, à ses analyses et à son expertise, a pris une place importante parmi les agences de coopération. Dans le secteur de la santé, les financements sont très majoritairement effectués sous la forme de subventions. Il doit exister des prêts pour financer par exemple des cliniques dans des pays avancés, mais l'outil privilégié est le don. En revanche, il me semble difficile de s'engager à financer les frais de fonctionnement. Les besoins dans ce domaine à Madagascar sont malheureusement illimités. L'aide au développement doit aussi veiller à ce que les pays aidés prennent leur part des efforts nécessaires à leur développement. Il faut être attentif à ce que ces pays procèdent notamment à un effort fiscal suffisant pour assurer le financement des services publics de base. Nous devons aussi être particulièrement vigilants en matière de corruption. Nous avons été frappés en Inde de voir combien l'opinion publique était sensible à ces questions. C'est également le cas dans les pays arabes où les récentes révolutions démocratiques ont montré combien les dictatures avaient détourné de l'argent public. Je voudrais enfin insister sur le fait qu'il faut rester attaché au principe du déliement de l'aide. La concurrence est un facteur de réduction des coûts des projets. En revanche, j'estime naturel que dans le cadre d'une aide déliée et d'un appel à concurrence, les pouvoirs publics français cherchent à financer des projets dans des secteurs où il existe des entreprises françaises.
M. Christian Cambon, co-rapporteur - L'AFD finance bien sûr des projets dans le domaine de l'eau. Nous avons pu le constater en Inde, à Jodhpur, où elle va financer la rénovation d'une station de traitement des eaux qui n'assure pour l'instant de l'eau courante pour ses villes que deux heures par jour. Elle est très présente dans ce secteur dans les pays du pourtours méditerranéen.
M. Josselin de Rohan, président - Est-ce que l'AFD est en mesure, lorsqu'elle finance les appels d'offres, d'écarter des offres en particulier chinoises qui participeraient manifestement d'une concurrence déloyale avec des prix très en deçà du marché, résultant d'une forme déguisée de subventions ?
M. Christian Cambon, co-rapporteur - Si le cadre général de l'aide est délié, il reste que certains pays trouvent les moyens de mettre en face de chaque appel d'offres des entreprises nationales, c'est en particulier le cas du Japon. La Chine quant à elle ne s'impose pas les mêmes règles que les membres de l'OCDE et accompagne ses financements de demandes parfois exorbitantes notamment en matière de terres agricoles ou d'approvisionnement en matières premières. Il est parfois difficile, en appliquant le droit des marchés publics locaux, d'écarter les entreprises chinoises qui viennent souvent avec leur main d'oeuvre à bas coût.
M. Jean-Louis Carrère - L'évolution du pouvoir d'achat de la main-d'oeuvre chinoise devrait réduire cette forme de concurrence.
M. Josselin de Rohan, président - Ce rapport très complet constitue une bonne illustration du travail de contrôle du Parlement, il manifeste également à l'AFD et à ses salariés l'intérêt que la représentation nationale porte à cet établissement et à son action au service de la coopération. Vous proposez donc un avis favorable sous réserve des modifications que vous avez citées.
L'avis proposé par les rapporteurs est adopté à l'unanimité.
Nomination de rapporteurs
La commission procède à la nomination de rapporteurs :
M. Jean-Paul Fournier est désigné rapporteur pour le projet de loi n° 3315 (AN - 13e législature) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise.
M. Jean-Paul Fournier est désigné rapporteur pour le projet de loi n° 3316 (AN - 13e législature) autorisant l'approbation de l'accord d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale du Nigéria.
M. Bernard Piras est désigné rapporteur pour le projet de loi n° 3317 (AN - 13e législature) autorisant l'approbation du protocole n° 3 à la convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales relatif aux groupements eurorégionaux de coopération (GEC).
M. Jean-Louis Carrère est désigné rapporteur pour le projet de loi n° 3337 (AN - 13e législature) autorisant l'approbation du protocole d'amendement et d'adhésion de la Principauté d'Andorre au traité entre la République française et le Royaume d'Espagne relatif à la coopération transfrontalière entre collectivités territoriales.