Mercredi 6 avril 2011

- Présidence de M. François Patriat, président -

Audition de M. Emmanuel Berthier, délégué interministériel à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR)

M. François Patriat, président. - Après deux mois d'auditions, nous sommes d'accord pour dire que l'État a besoin de se transformer, de s'alléger, que des économies sont nécessaires, que la décentralisation a entraîné une nouvelle répartition des tâches. Suit-il pour autant la bonne méthode ? Les principaux objectifs de la révision générale des politiques publiques sont-ils atteints ? Nous avons entendu le gouvernement, les représentants des collectivités territoriales, des syndicats de la fonction publique : le ressenti n'est pas le même. Les chiffres du gouvernement ne concordent pas avec ceux de la Cour des comptes. La réforme de l'État aurait-elle pu être conduite autrement ?

M. Emmanuel Berthier, Délégué interministériel à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR). - J'ai été nommé délégué interministériel le 3 janvier 2011, après avoir exercé les fonctions de préfet de département dans les Hautes-Pyrénées, en Guadeloupe et dans la Sarthe. J'ai vécu sur le terrain l'application de la RGPP.

La Datar n'est pas membre du conseil de modernisation de l'État, qui pilote la RGPP. Les audits et les analyses d'impact relèvent des ministères concernés. Elle a toutefois deux compétences d'attribution : la réorganisation des armées d'une part, et le suivi interministériel des conséquences territoriales des réorganisations en cours d'autre part.

La réforme de la carte militaire a d'importantes répercussions sur l'aménagement du territoire : 82 fermetures d'établissements, 47 transferts d'ici 2015, 54 000 emplois supprimés. C'est pourquoi le Premier Ministre a voulu faire de la Datar le pilote interministériel de la réforme, en lien avec le ministère de la défense. L'objectif est de compenser la perte d'emplois militaires, via les contrats de redynamisation des sites de défense (CRSD) ou les plans locaux de redynamisation (PLR), pour les sites perdant moins de cinquante emplois. Le financement s'élève à 320 millions d'euros sur la période 2009-2014, un tiers provenant du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) et les deux tiers du ministère de la défense, via le Fonds pour les restructurations de la défense (FRED). On part d'un diagnostic territorial pour élaborer des programmes d'actions, avec les collectivités territoriales.

La loi permet de céder, pour un euro symbolique, les emprises militaires aux collectivités concernées par un CRDS. Autres mesures : l'extension du zonage AFR (Aides à finalité régionale) ; la mise en place de zones de restructuration de défense (ZRD) dans douze zones d'emploi, avec exonérations sociales et fiscales pour les entreprises en création ou en expansion ; la création d'un fonds de soutien de 25 millions pour aider les communes les plus touchées par les pertes de population ; la relocalisation d'administrations parisiennes, notamment à Metz.

Au 31 mars 2011, dix CRDS et six PLR ont été signés, et près de 100 millions engagés sur les 320 millions. Le dispositif monte en puissance : 28 emprises militaires ont été cédées pour un euro symbolique aux collectivités, et nous avons négocié avec la Commission européenne l'extension des AFR à 110 communes. Le fonds d'aides aux collectivités territoriales du ministère de l'intérieur a été engagé à hauteur de 4,4 millions, pour Sourdun, Briançon, Thierville-sur-Meuse et Barcelonnette.

Par ailleurs, le conseil des ministres du 5 janvier 2011 a chargé la Datar d'assurer le suivi interministériel des conséquences territoriales des restructurations en cours. Nous sommes en train d'obtenir des ministères les données sur la traduction territoriale de la RGPP. Nous créerons une base géo-référencée pour faire apparaître les communes cumulant les restructurations et identifier les territoires les plus vulnérables. Les études seront lancées avant l'été, et un premier bilan sera tiré fin 2011. Nous sera notamment communiquée la géographie des agents de l'État au 31 décembre 2006, ainsi que des données au 31 décembre 2009.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Certains territoires cumulent les restructurations, de l'armée mais aussi des hôpitaux, de la justice... Quelle est votre vision des conséquences au-delà de la seule restructuration militaire ? Sur les 320 millions d'euros annoncés, 100 millions ont été engagés à ce jour. Que recouvrent concrètement ces dépenses ? Les moyens dégagés par l'État ont-ils pour ambition de compenser les 54 000 emplois supprimés ? S'agit-il de susciter des créations d'emploi ? Quels sont les résultats, et les perspectives pour 2011 ?

M. Emmanuel Berthier. - La révision de la carte judiciaire, conduite sur proposition des procureurs généraux et des premiers présidents, a entraîné le déplacement de 1 800 agents du ministère de la justice, qui a mis en place un plan d'accompagnement social, avec une aide à la réinstallation des avocats.

Quant à la réforme de l'offre de soins menée par le ministère de la santé sur la période 2007-2010, elle a concerné 42 établissements ; il s'agit essentiellement de la fermeture de plateaux chirurgicaux qui effectuaient moins de deux cents actes par an, reconvertis en soins de suite ou en structures de prise en charge des personnes âgées. Il n'y pas d'impact net sur le nombre d'emplois. Le ministre de la santé a annoncé en janvier qu'il allait réactiver l'Observatoire des recompositions hospitalières.

L'objectif est bien de compenser les 54 000 emplois militaires supprimés en recréant 54 000 emplois, à travers les CRDS et les PLR. Exemples d'actions concrètes : la création d'une zone d'activité sur une base qui ferme, avec la mise en place de dispositifs d'accompagnement pour attirer les entreprises.

L'évaluation de cette action va commencer maintenant. Le plan court jusqu'en 2015 ; un tiers des sommes a déjà été engagé.

M. François Patriat, président. - En tant que président de la région Bourgogne, j'ai signé un CRDS avec le préfet. Le maire de Joigny - qui voit son unité de géographie militaire partir à Haguenau - a toutefois souligné une grande disparité des crédits accordés aux territoires. La commune hérite de douze hectares, avec des bâtiments difficilement transformables, pour un euro symbolique - mais elle s'est vu demander 400 000 euros de frais de mutation ! La situation est la même à Château-Chinon.

On dit vouloir créer des emplois, mais il n'y a pas de capillarité avec les services de l'État. J'avais proposé Joigny et ses 70 logements neufs pour accueillir un internat d'excellence ; il ira finalement à Montceau-les-Mines, où il y a tout à construire, pour un coût de 5 millions d'euros ! Je n'ai pas pu convaincre le ministre de l'Éducation nationale et les services de l'État qu'il était plus judicieux d'utiliser des locaux existants. On pourrait être bien plus efficaces en termes d'impact territorial !

M. Emmanuel Berthier. - Je vous rejoins. La signature à Joigny est récente ; cette commune fera l'objet d'une analyse particulière. Je ne peux vous répondre sur l'internat d'excellence, mais la question s'est posée ailleurs ; nous allons, je l'espère, en installer un dans une emprise militaire à Metz.

Il faut une articulation entre le préfet de département, qui conclut les CRDS, et le préfet de région, qui traite des restructurations d'une plus grande ampleur. Nous devons avoir une approche coordonnée, territoire par territoire.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Avez-vous estimé les conséquences de la suppression des 54 000 emplois militaires et du départ des familles sur les emplois « civils », sur l'épicier ou le teinturier, sur la vie scolaire ou culturelle des territoires impactés ?

M. Emmanuel Berthier. - Le diagnostic analyse la perte des emplois directs et induits, et estime l'impact sur le tissu économique, avec la volonté de recréer une activité équivalente.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Pouvez-vous faire une estimation ?

M. Emmanuel Berthier. - Elle varie selon les secteurs. Je vous transmettrai des chiffres.

M. François Patriat, président. - Difficile d'expliquer à l'épicière de Joigny que son chiffre d'affaires chute de 20%, mais qu'elle participe à l'effort de restructuration militaire de la France !

Mme Christiane Demontès - Y a-t-il d'autres restructurations à venir ?

M. Emmanuel Berthier. - La liste a été arrêtée et annoncée en juillet 2008 ; la restructuration va être mise en oeuvre d'ici fin 2015.

M. François Patriat, président. - Chez nous, elle l'a été dès 2009 !

On annonce que Pôle emploi doit recevoir dans les trois mois 1,5 million de chômeurs de longue durée pour leur proposer un emploi ou une formation. Comment faire, alors que Pôle emploi va perdre 800 emplois et fermer un tiers de ses sites ?

M. Emmanuel Berthier. - Je ne peux vous répondre sur ce point.

Plus largement, le problème est celui de l'accessibilité des services. La Datar réfléchit à l'accès physique aux services ainsi qu'à l'accès à distance. La référence à un temps de trajet maximal figure de plus en plus souvent dans les conventions d'objectifs entre l'État et ses opérateurs. Dans le cas de Pôle emploi, la convention tripartite d'avril 2009 prévoit que 80% des demandeurs d'emploi doivent être à moins de 30 minutes d'une unité polyvalente. À Pôle emploi de s'organiser pour répondre à cet objectif. La Datar vérifie si l'accessibilité est bien conforme à l'objectif fixé. Même chose pour la Poste.

M. François Patriat, président. - Dans les territoires ruraux et interstitiels, nombre de demandeurs d'emploi sont à plus de 30 minutes d'une structure de Pôle emploi. Quant à l'accès à Internet, n'en parlons pas, c'est la croix et la bannière !

M. Emmanuel Berthier. - Pôle emploi fait partie des opérateurs avec lesquels nous travaillons dans le cadre de l'expérimentation « Plus de services au public ». Cette conception extensive du service public englobe les services offerts par les collectivités territoriales, les prestataires sociaux, Pôle emploi, la SNCF, ERDF, la Poste, etc. D'où la mise en place des Maisons de services publics, et la réflexion voulue par le gouvernement, à la suite du Ciadt du 11 mai 2010, pour mailler le territoire en développant des formules intégrées d'offres de services. Dans 23 départements, nous finalisons des contrats avec les préfets pour ajouter des points-contact et mutualiser les services. Pôle emploi participe à cette démarche, avec des dispositifs informatiques intégrés, servis par des agents pluridisciplinaires.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Pouvez-vous nous dire un mot de la polyvalence, idée lancée par le Président de la République ?

On cherche à développer les formes modernes de communication, mais dans ma commune d'Ille-et-Vilaine, l'accès à la téléphonie mobile et à Internet n'est effectif qu'en centre-bourg - et encore, si l'on grimpe au clocher ! Beaucoup de personnes n'ont pas accès à ces technologies. Faut-il attendre que ces survivants s'éteignent, ou que les opérateurs acceptent de desservir des secteurs moins rentables ?

M. Emmanuel Berthier. - Votre département a bénéficié d'un pôle d'excellence rurale, qui a permis de mettre en place des polyvalences. Les opérateurs n'étaient pas acquis à l'idée de l'agent polyvalent : après une formation adaptée, un agent de la SNCF, par exemple, aiderait le demandeur d'emploi à remplir son formulaire sur des machines polyvalentes, utilisées par des agents disponibles plus longtemps... Nous tenons au moins une réunion par semaine avec les opérateurs, dans l'espoir de démontrer, avant la fin 2011, qu'il s'agit d'une perspective intéressante.

Sur le numérique, je vous rejoins. Malgré les investissements publics significatifs consentis depuis 2003, une cinquantaine de communes ne sont toujours pas couvertes en 2G. Nous espérons intégrer dans l'appel à projet pour la 4G une disposition sur le renforcement de la couverture 2G, comme le prévoit la loi sur la fracture numérique.

M. François Patriat, président. - Y a-t-il eu concertation avec les collectivités territoriales dans le suivi des restructurations militaires ? Comment évaluez-vous la qualité des services publics locaux en mode RGPP ?

M. Emmanuel Berthier. - Dès la décision prise sur la carte militaire, nous avons immédiatement travaillé avec les collectivités, pour établir le diagnostic et signer les CRDS. Nous participons chaque semaine à des comités de pilotage.

L'État se réorganise en appliquant les objectifs de la RGPP, les collectivités territoriales aussi. Il y a une modification de l'équilibre, selon que les restructurations touchent des secteurs plus ou moins fragiles. Les zones rurale sont diverses, le tissu des villes moyennes aussi. Il faut identifier les zones particulièrement fragiles. Je ne peux donc vous répondre, sinon pour dire que les choses ont bougé.

M. Raymond Couderc. - Vieil élu de terrain, cela fait des décennies que j'observe une volonté technocratique de regrouper les centres de décisions et les services dans les chefs-lieux de département, et surtout de région, au prétexte d'économies. Après avoir échoué dans les années 1990, cette tendance aboutit aujourd'hui - alors que les nouvelles technologies permettraient d'envisager un tout autre aménagement du territoire ! Faisons preuve d'un peu plus d'imagination : la Datar ne pourrait-elle donner l'impulsion pour faire pièce à cette technocratie triomphante ?

M. Emmanuel Berthier. - Vous fixez un objectif bien ambitieux pour un organisme de 150 personnes ! Pour les services de l'État, la RGPP se traduit par la concentration d'effectifs dans les chefs-lieux de région. Nous veillons toutefois au maintien sur le territoire des départements des unités d'oeuvre de toute catégorie nécessaires pour appliquer la politique du gouvernement. À l'échelon régional la conception et le contrôle, à l'échelon départemental la mise en oeuvre. Par rapport à la première mouture, le point d'équilibre est revenu vers le département.

Sur les nouvelles technologies, je vous rejoins. La Caisse d'allocations familiales (CAF) de Paris fait traiter, avec succès, certains de ses appels par la CAF de la Creuse, qui a recruté plus de dix personnes. C'est une piste à étudier.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - C'est une expérience intéressante, mais qui illustre bien les limites de la polyvalence : la CAF fait appel à des agents de la CAF !

M. Emmanuel Berthier. - La CAF de la Sarthe délègue l'accueil du public à d'autres opérateurs... Certaines fonctions peuvent être mutualisées, et portées par des territoires non métropolitains.

M. Gérard Bailly. - Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) sont les administrations qui ont le plus à faire de terrain. Ne faudrait-il pas là aussi revenir au niveau du département ?

M. Emmanuel Berthier. - Dans les Pays de la Loire, la Dreal a accepté le maintien de plus de postes de catégorie A que prévu. Pour mettre en oeuvre une politique, il faut des fonctionnaires de l'État sur le terrain.

M. Gérard Bailly. - On ne peut demander aux usagers de faire deux heures de route pour se rendre dans une administration : c'est trop !

M. Emmanuel Berthier. - Je rejoins votre diagnostic.

M. François Patriat, président. - Merci. Nous attendons une contribution écrite de votre part sur les points précis que nous avons abordés.

Audition de M. François-Daniel Migeon, directeur général de la modernisation de l'Etat

M. François Patriat, président. - Je vous remercie, monsieur le Directeur général, de venir devant notre mission. Ses membres, dont vous pouvez mesurer l'assiduité, se demandaient si vous étiez installé à Bercy.

M. François-Daniel Migeon, directeur général de la modernisation de l'Etat. - Au bâtiment Sully, pas très loin de Bercy.

M. François Patriat, président. - Nous en convenons tous, l'Etat doit être plus performant, mais si l'objectif est partagé, notre mission a pour but d'évaluer les méthodes, la concertation et les résultats. Je ne répèterai pas qu'on hésite parfois entre le désespoir et la béatitude, cependant, malgré la sérénité et à la satisfaction affichées par certains, d'autres ont le sentiment d'un désengagement, notamment dans les petites collectivités confrontées aux nouvelles cartes judiciaire, scolaire, hospitalière... Elles connaissent de grandes difficultés et des territoires, qui ont des attentes toujours fortes à l'égard de l'Etat, veulent des services publics différents.

Vous répondrez à notre questionnaire par une communication écrite, mais pouvez-vous nous présenter votre vision de la RGPP ?

M. François-Daniel Migeon. - Je suis honoré de cette opportunité de vous présenter un sujet qui m'est cher. J'ai en effet envie de servir l'administration et le pays et, sans être parfait, notre travail est assez ambitieux - faut-il parler d'un contexte clair-obscur ? Peu après son audition par votre mission, M. Baroin a eu l'occasion, le 9 mars dernier, de présenter au président de la République un rapport d'étape dont je voudrais partager avec vous quelques éléments. Les résultats sont au rendez-vous ; trois ans après, la RGPP a transformé le paysage de l'administration. Une modification aussi ample constitue en soi une réussite. Pour cette modernisation et cette amélioration de la qualité du service public, nous avons pris le parti de la transparence, avec des rapports d'étape réguliers, prenant à témoin tous ceux qui se sentent concernés. Est-il trop tôt pour dresser un bilan  de ces larges modifications structurelles ?

La RGPP, c'est la confiance, la responsabilité et l'équité. Les usagers et les fonctionnaires nous ont fait part de leur volonté de voir l'administration changer. Nous avons compris ce désir de confiance réciproque, mais celle-ci ne se décrète pas, elle se prouve, elle se vit. Et la RGPP prouve qu'améliorer la qualité du service est possible. Le rapport d'étape du 9 mars décrit les attentes de nos concitoyens : l'indice de satisfaction est de 87% pour les études supérieures, 84% pour l'orientation à l'université, mais 49% aux urgences. C'est en les prenant en compte que l'on construit autour de la confiance la relation nouvelle entre nos concitoyens et l'administration.

Songez qu'en 2007 il n'y avait pas à la direction générale de modernisation de l'Etat de service pour écouter les usagers. Notre première décision a été d'en créer un, pour initier des forums, des panels, en somme une France miniature afin d'être aux écoutes de nos concitoyens ; nous avons également établi le site ensemble-simplifions.fr. Les idées sont alors passées au double tamis de la faisabilité et l'opportunité. Nous avons publié le 9 mars les chiffres sur la complexité de l'administration perçue par nos concitoyens, que nous nous étions donné les moyens d'analyser fin 2008 pour différentes événements de la vie. Voici leur évolution sur deux ans : « je perds un proche », de 40 à 30%  grâce à la charte du respect de la personne endeuillée ; « je donne naissance à un enfant », de 25 à 19%, grâce à un site de la CNAF ; « je déménage », de 19 à 12% avec un service en ligne « je change de coordonnées ».

La confiance passe par l'écoute, l'analyse et le concret. La situation n'était pas réjouissante en 2007 car peu de services étaient dotés d'un dispositif de traitement des réclamations. Nous les avons systématisés - quoi de plus significatif du respect porté à l'usager ? - et avons construit un référentiel.

L'Etat se modernise afin de simplifier la vie des Français. L'on a dû consentir des réformes plus lourdes. La qualité du service, c'est le guichet unique, celui des impôts, celui de l'emploi, c'est aussi la réforme de l'administration territoriale. Si elles ont demandé du courage, ces mesures sont plébiscitées, ainsi le guichet fiscal, et des présidents de conseil général m'ont dit qu'après un petit flottement ils appréciaient la lisibilité et la réactivité.

Confiance, mais aussi responsabilité pour garantir la pérennité et la qualité de nos services publics. Dans la continuité de la mise en oeuvre consensuelle de la LOLF, la RGPP traduit le souci que chaque euro soit utile, car la performance est au coeur du service public. La contrainte sur les comptes publics, qui a conduit à souhaiter retrouver une trajectoire soutenable, n'est pas un objectif mais bien un déterminant méthodologique. Nous avions besoin d'un ajustement structurel et de le calibrer, ce qui n'était pas si simple. La règle du non-remplacement d'un départ en retraite sur deux porte un message intrinsèque d'adaptation à une réalité démographique et sociale : les chaises qui disparaissent sont des chaises vides. Alors que peu d'organisations prennent ce parti, nous avons décidé de résoudre l'équation paradoxale de ne pas décevoir nos concitoyens qui veulent des services publics et d'en faire évoluer les moyens. Cela suppose de revoir l'organisation et les méthodes de travail, d'où les 400 projets de réforme identifiés par lesquels passe notre ambition. D'autres pays ne s'embarrassent pas de tant de précautions, mais nous avons voulu prendre le temps d'écouter nos concitoyens pour construire et penser la réforme - voilà la marque de la RGPP.

J'ai commencé ma carrière comme chef de la section grands travaux d'une DDE dans les années 1990. Les demandes de la Diren s'ajoutaient à celles de la DDA et le préfet demandait qui portait la parole de l'Etat. Tout cela ne pouvait-il pas être plus fluide, plus simple ? On parlait de rapprochement depuis un certain temps. Dans un rapport sénatorial, Jean-Paul Delevoye appelait l'Etat à plus de volontarisme. Excusez-nous d'avoir mis dix ans à le faire.

Confiance, responsabilité, et enfin équité. Contrairement à bien des entreprises de modernisation de l'Etat, la RGPP a pris le parti, et c'est fondamental, de refuser la victimisation car chacun contribue en fonction de ce qu'il est. Elle n'a pas pour autant ignoré les spécificités, car l'équité n'est pas l'égalité. Aussi a-t-elle su s'adapter aux différents secteurs.

L'audit a mobilisé les expertises pour trouver les bonnes réponses dans la différenciation et la précision. La règle chapeau du 1 sur 2 s'est appliquée de manière nuancée selon les besoins et il en a été de même du retour sur les économies réalisées. Cette logique a été particulièrement visible dans l'enseignement supérieur ou dans la justice.

Le rapport d'étape revient sur l'équité de traitement dans l'ensemble des ministères.

Permettez-moi de rendre hommage aux fonctionnaires qui depuis trois ans ont manifesté un surcroît d'énergie. Ils ont pris sur eux et ce sont leurs résultats que la DGME a accompagnés. L'encadrement de proximité mérite une mention spéciale, car, si l'impulsion est venue d'en haut, il a saisi cette opportunité pour incarner la liaison entre le passé et l'avenir dans la continuité des valeurs du service public. Force est pourtant de reconnaître ici un déficit : la remise, la semaine dernière, du prix du manager public n'a pas eu l'écho qu'elle méritait et l'on ne sait pas assez que l'école de la modernisation de l'Etat a déjà reçu 500 élèves. Or l'on ne peut plus s'appuyer sur les structures : les hommes méritent d'être accompagnés et peut-être ne l'avons-nous pas assez fait.

Voilà quelques perspectives d'ensemble en complément du rapport d'étape du 9 mai.

M. François Patriat, président. - Les élus territoriaux ne manqueront pas de joindre leurs questions à celles du rapporteur.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Votre conceptualisation générale n'était-elle pas idyllique ? Oui, réformer l'Etat est nécessaire mais il ne faut pas nier des difficultés et là-dessus vous êtes resté coi.

Le président Jacques Pélissard, toujours mesuré, a estimé : « L'Etat allège son dispositif sur le terrain : tant mieux pour les finances publiques d'Etat ; mais les finances publiques locales supportent un poids nouveau ». M. Delevoye, quant à lui, n'est pas sûr que la RGPP contribue toujours à une amélioration du service public comme on aime à le répéter quand, pour un dossier de naturalisation, on est obligé en Ile-de-France de passer par un numéro unique ouvert de 14 à 16 heures un jour par semaine. Ne  faut-il pas nuancer votre propos ?

La RGPP est initiée par l'Etat comme c'est sa responsabilité, mais comment les collectivités territoriales et les élus ont-ils été associés à cette grande ambition ? L'on a cru comprendre lors des auditions qu'ils ne l'avaient pas été. Les personnes rencontrées ont exprimé le sentiment d'un désengagement...

M. François Patriat, président. - D'un abandon !

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Nous verrons plus tard comment l'interpréter, mais je voudrais savoir si la RGPP a bien été accompagnée d'un travail d'explication.

L'informatique et la numérisation permettent sans doute de dégager des postes et vous avez évoqué les chaises vides. Cependant, quand les nouvelles technologies affectent des postes de catégorie B ou C, la demande d'accompagnement des collectivités locales concerne les catégories A. L'Etat, nous dit-on, n'est plus dans le conseil mais dans le contrôle de légalité, voire la censure.

L'administration centrale continue de fonctionner avec de grandes directions ; en revanche, les préfets de région doivent organiser les services sur le terrain et il y a dans un département deux directions interministérielles qui n'ont pas toujours les moyens de leurs missions. Nous pensions pourtant que la loi sur les collectivités territoriales avait conforté les départements ou, du moins qu'elle n'avait pas anticipé sur leur disparition.

Enfin, le 1 sur 2 va-t-il pouvoir continuer longtemps ?

M. François Daniel Migeon. - Loin de me livrer à un exercice d'autosatisfaction, j'ai engagé mon propos en disant qu'on ne pouvait pas espérer avoir eu le temps de tout régler en quelques années. Voilà moins de trois ans que les réformes ont été engagées, et l'on voudrait que le bilan soit parfait ? J'en ai souligné les aspects positifs en sachant que le traitement n'est pas terminé.

Quant à la concertation avec les collectivités territoriales, la RGPP concernant les missions de l'Etat, il y a peu de transferts. L'exercice est d'abord de réorganisation de l'Etat, et cela pour les collectivités, pour les usagers. Le Premier ministre a donné très clairement instruction aux préfets de réunir les parties intéressées par les réformes, c'est l'objet des circulaires du 19 mars et du 7 juillet 2008.

Je ne m'explique le sentiment d'abandon que par la phase de mise en place : le 1er janvier 2010, c'est encore tout récent. Les élus ont besoin de retrouver des repères, d'identifier des interlocuteurs. Le travail d'ajustement a pu donner l'impression temporaire d'un moindre répondant. L'administration n'a pas d'inclination pour l'interministérialité mais les personnes qui doivent travailler ensemble appartiennent désormais aux mêmes services et la lisibilité, elle, est durable. La montée en compétence représente un défi. Il faut s'occuper de la mobilité, de la formation, de l'évolution des métiers. N'incriminons pas le programme de transformations, le statu quo n'aurait pas mieux répondu aux attentes nouvelles de nos concitoyens.

Je ne suis pas sûr de bien comprendre le sens de votre remarque sur la contradiction avec la réforme des collectivités locales. Telle que je l'entends, la réforme a pour objet de mettre en cohérence les niveaux régionaux et départementaux de l'Etat, au moment où, dans les collectivités locales, les mêmes élus vont siéger au conseil général et au conseil régional. C'est l'objet de la modification du décret de 2004 donnant au préfet de région un droit d'évocation de dossiers que l'on est mieux à même de traiter à ce niveau qu'à celui de l'administration de proximité départementale. Il y a ainsi deux mécanismes cohérents.

La question du 1 sur 2 me dépasse. La loi de finances triennale prévoit cette norme d'ajustement dont nous voyons bien qu'elle a été utile. Cependant, la décision ne m'appartient pas.

M. Gérard Bailly. - Tous les élus ne partagent pas l'espérance que vous exprimez. Je note plutôt une impression de complexité croissante. J'ai écrit aux maires de mon secteur et voici l'une des réponses. Le maire d'une commune de moins de 200 habitants déplore une application trop stricte de la réglementation, notamment en matière de certificat d'urbanisme car, quand il veut construire en bout de village, la direction départementale des territoires conteste au motif que c'est au-delà de la zone urbanisée actuelle. Il ne comprend pas non plus qu'on exige une étude hydrogéologique pour un projet d'assainissement qui améliorera la propreté des eaux, jusque là rejetées sans le moindre traitement ! C'est aussi le trésorier, qui requiert une pléthore de justificatifs ; pour une facture de 2 700 euros d'un bureau d'études, il faut non seulement la délibération mais aussi le devis et encore la note méthodologique en 12 exemplaires. Face à ce toujours plus, la RGPP devait apporter confiance, responsabilité et équité. Oui, le guichet fiscal unique a simplifié, mais, non, on ne fait pas confiance à cet élu et permettez à un partisan de la RGPP de dire que si cela ne change pas, les gens ne la comprendront pas.

M. François Patriat, président. - Ces simplifications ne relèvent-elles pas du règlement ou de la loi plutôt que de la RGPP?

M. Jean-Luc Fichet. - Ai-je mauvais esprit ? Je ne vois pas la RGPP comme vous la décrivez « Tout va très bien... » et le décalage est d'autant plus grave que vous n'avez pas un seul instant de doute. Depuis le début des auditions, on a relevé une absence totale de concertation : cette réforme a été plus subie que voulue et l'on voit les conséquences qualitatives de ce manque de dynamisme quand des gens qui n'en ont pas l'habitude descendent dans la rue, comme les médecins ou les magistrats, pour dire qu'ils ne peuvent plus assurer leur mission. La CFDT-cadres a fait écho à un sentiment d'isolement et à la crainte de prendre une décision irréparable; pour le président de l'association des maires ruraux, le reflux de l'Etat laisse les élus démunis face à la marée des normes et il évoque un sentiment palpable d'abandon ; il fallait certes réajuster mais la RGPP est majoritairement mal vécue par les fonctionnaires. Quant à « l'équité » et à la « confiance », je me dis que vous devriez délaisser les enquêtes et les pourcentages pour aller prendre le pouls du terrain, vous y croiseriez des présidents de Conseil général plus inquiets que ravis ! Le rouleau compresseur de la RGPP, qui a d'abord été une question d'économies, continuera-t-il à ce rythme ou bien une respiration, un ajustement permettront-ils plus d'équité et de dynamisme ?

Mme Valérie Létard. - Nous le disons à chaque réunion, cette entreprise se télescope avec les grands chantiers comme les SCOT qui demandent toujours plus de technicité. Alors que les maires sont démunis, l'administration apporte moins d'ingénierie et exerce plus de contrôle. Il faudrait au contraire, accompagner, coproduire et faciliter, sinon, comment construire un projet et éviter les erreurs ? Si nous comprenons les enjeux de la RGPP, nous savons aussi qu'avec le non-remplacement d'un fonctionnaire partant en retraite sur deux, « on est arrivé à l'os », comme l'a dit le président de l'association du corps préfectoral. Rationaliser pour un meilleur service rendu, bien sûr, mais pour progresser dans l'organisation des services de proximité. Les collectivités et leurs intercommunalités auront beau s'organiser, pour les dossiers très complexes, les territoires auront toujours davantage besoin de travailler en amont avec les services de l'Etat que de recevoir en fin de procédure des avis négatifs. On gagnerait du temps et l'on s'épargnerait bien des efforts grâce à des relations apaisées. Ne peut-on aller dans ce sens ?

M. François Daniel Migeon. - Le rouleau compresseur ? Mais je vais sur le terrain, j'écoute et nous avons un baromètre des cadres : nous ne sommes pas autistes publics. Nous ne manquons pas de rappeler le sens de ce que nous sommes en train de faire. Beaucoup se sont engagés, ils ont mouillé leur chemise et souffrent de ne pas entendre rappeler la raison d'être de notre action. C'est ce que j'ai fait sans cynisme. Je les ai entendus et nous les accompagnons, ce qui passe par des missions, des moyens. Donner du sens n'est pas être idyllique.

Vous m'interrogez aussi sur la proximité, le conseil, l'attention. Nous sommes en phase d'ajustement. Au niveau départemental revient le conseil de proximité, généraliste, polyvalent, donc interministériel, qui est à l'opposé d'une déclinaison tatillonne des politiques sectorielles ; au niveau régional les fonctions de support et l'expertise. Nous avons mis en place l'approche que vous souhaitez ; c'est un contresens de croire qu'il n'y a pas une très haute valeur ajoutée dans le département et que ce n'est qu'un niveau d'exécution

Les vues que l'on avait sur la réforme il y a quelques années n'étaient pas très différentes des nôtres, mais c'est leur conjonction avec la contrainte de la réduction des effectifs qui a historiquement permis de les enclencher. Si d'aventure on nous disait demain que la réduction d'effectifs a été suffisante, la DGME ne considèrerait pas pour autant que la réforme est achevée, les deux sujets sont distincts.

M. François Patriat, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.