Mardi 29 mars 2011
- Présidence de M. Jean Arthuis, président -Mise en oeuvre des investissements financés par l'emprunt national - Audition de M. René Ricol, commissaire général à l'investissement
La commission procède à l'audition de M. René Ricol, commissaire général à l'investissement, sur la mise en oeuvre des investissements financés par l'emprunt national.
M. Jean Arthuis, président. - Il y a un an, nous donnions notre aval à une opération d'investissement exceptionnel de 35 milliards d'euros sur les investissements porteurs d'avenir.
Ces investissements doivent permettre d'accroître l'effort national en faveur de la recherche et de développer des positions compétitives dans des domaines stratégiques. Si la commission des finances a approuvé cette réhabilitation de la notion d'investissement public, elle n'en a pas moins regretté la voie choisie, avec la mise en place d'un financement public parallèle à celui du budget de l'Etat. Cependant même privé d'une partie de ses prérogatives habituelles, le Parlement reste en mesure de contrôler la mise en oeuvre de ce programme d'investissements : ainsi, la commission des finances a procédé à l'examen l'ensemble des projets de conventions signées entre l'Etat et les opérateurs gestionnaires ; elle a également été informée, à deux reprises, des redéploiements envisagés des fonds, par des lettres qui nous ont été adressées la semaine dernière et que j'ai transmises immédiatement à l'ensemble des commissaires.
Le suivi de l'utilisation des fonds de l'emprunt se concrétise également par l'audition régulière des personnes en charge de ce dossier : nous avons ainsi le plaisir d'accueillir René Ricol, commissaire général à l'investissement, et Jean-Luc Tavernier, commissaire général adjoint.
L'audition d'aujourd'hui devrait permettre de faire utilement le point sur l'état d'avancement du programme d'investissements d'avenir. Vous avez la parole M. Ricol.
M. René Ricol, commissaire général à l'investissement. - Par rapport à notre dernier point d'étape, trois commentaires peuvent être formulés :
- premièrement, nous avons eu plus de succès que prévu en matière d'appels à projets. A ce stade, nous avons reçu 1 500 réponses, ce qui est considérable ;
- deuxièmement, en termes de calendrier, il convient de préciser que quarante-quatre appels à projets ont été lancés entre la mi-juin et la mi-mars 2011, dont vingt-deux sont clos, et cinq guichets ont été ouverts (trois guichets OSEO d'aide à l'industrie ; un guichet de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) sur l'aide à la rénovation thermique des propriétaires à faible revenu ; un guichet pour la réalisation d'investissements dans l'économie numérique). Par ailleurs, dix nouveaux appels à projets devraient être lancés entre la fin du mois de mars et la fin du mois de mai. Fin juillet, nous devrions avoir ouvert, toutes disciplines confondues, toutes les premières vagues d'appels à projets, ainsi que tous les guichets. Nous serons alors en mesure de dresser un panorama complet de ce qui a été mis en oeuvre ;
- troisièmement, et comme vous l'avez mentionné, M. le Président, nous vous avons adressé deux courriers par lesquels nous vous informons de certaines mesures qui sortent du cadre strict prévu par la loi de finances rectificative. En ce qui concerne les instituts hospitalo-universitaires (IHU), le jury international a sélectionné six projets classés en catégorie A, six projets en catégorie B et sept projets en catégorie C. Au delà des six projets classés en catégorie A, j'ai demandé au jury d'identifier, parmi les dossiers de qualité B, les points d'excellence. En effet, les financements susceptibles d'être attribués aux six instituts classés en catégorie A devraient être inférieurs à l'enveloppe initialement prévue ce qui permet d'envisager des redéploiements.
Par ailleurs, en ce qui concerne le financement des entreprises, nous constatons que les prêts dits « verts », destinés au financement de la modernisation des instruments de production des entreprises, progressent assez lentement et ne font pas l'objet de co-financements supérieurs au montant du prêt accordé, alors que les contrats de développement participatifs, tendant à accroître les fonds propres des petites et moyennes entreprises (PME), rencontrent un succès tel que l'enveloppe votée, d'un milliard d'euros, est quasiment totalement consommée. C'est pourquoi, nous proposons de revoir à la baisse les provisionnements pour cautionnement bancaire des prêts dits « verts » et de redéployer les crédits correspondants vers l'action relative aux « contrats de développement participatifs ».
M. Jean Arthuis, président. - De façon globale, pouvez-vous nous donner votre appréciation sur l'exécution du programme des investissements et l'engagement des crédits ?
M. René Ricol. - Comme vous le savez, 22 milliards d'euros du programme concernent la recherche, l'enseignement et le lien entre l'industrie et la recherche ; 5 milliards d'euros visent l'économie numérique et les 7 milliards d'euros restant se répartissent entre les différentes autres actions du programme.
En ce qui concerne le premier volet, nous avons assisté à une émulation inouïe et à une qualité exceptionnelle des projets. Je rappelle que la communauté scientifique et universitaire a clairement exprimé le souhait que ses projets soient départagés par des jurys internationaux. J'ai indiqué, à plusieurs reprises, que nous respecterions cette volonté, sauf cas exceptionnel. C'est ce que nous avons fait jusqu'à ce jour, selon la procédure suivante : le jury donne un avis ; nous prenons l'ensemble des projets sélectionnés ; le comité de pilotage peut proposer une liste complémentaire mais, dans ce cas, je lui demande de se tourner directement vers le président du jury et je m'en tiens alors strictement à l'avis de celui-ci.
C'est ce qui s'est produit pour les laboratoires d'excellence (Labex). Près de quatre-vingt-trois projets ont été sélectionnés par le jury en premier « jet ». Le comité de pilotage m'a adressé vingt-deux ou vingt-trois dossiers complémentaires. Ces projets ont été soumis au jury qui en a retenu dix-sept. Cent dossiers ont ainsi été sélectionnés au total.
Le même principe a été suivi pour les IHU. Six projets ont été sélectionnés par le jury. Or, sur ces six dossiers, deux au moins sont de petite taille, ce qui nous conduit à penser que l'enveloppe globale destinée à ces projets sera sous-consommée. C'est pourquoi, nous avons demandé au jury d'examiner, parmi les projets classés en catégorie B, les « pépites », c'est-à-dire les points d'excellence qui pourraient également être financés dans le cadre de l'enveloppe initiale.
Est-ce que l'on pourra suivre jusqu'au bout ce processus ? Il n'est pas exclu que je suggère que l'on s'écarte des recommandations du jury. Mais ce serait à titre exceptionnel et, à ce jour, nous ne l'avons pas fait.
Une des difficultés aujourd'hui, c'est qu'il y a, compte tenu de la qualité des projets présentés et du niveau élevé de sélection, beaucoup de candidats légitimement déçus. C'est la conséquence du choix initial en faveur d'un haut niveau de sélection et du recours à des jurys internationaux qui attachent, dès lors, une attention particulière à la dimension internationale des projets.
En ce qui concerne le numérique, nous ne devrions pas rencontrer de difficultés pour retenir de bons projets. Cependant, la procédure d'appels à projets est un peu longue. C'est pourquoi, dans un troisième courrier que nous vous adresserons bientôt, nous vous proposerons, pour les petites entreprises et les petits projets, de recourir à des fonds communs de placement (FCP) gérés par la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
S'agissant des infrastructures et de la couverture Très haut débit (THD) du territoire, nous sommes en train d'explorer le sujet. Il convient encore de préciser trois éléments : le territoire que les opérateurs sont en capacité de couvrir aujourd'hui ; le coût global prévisionnel du dispositif ; et les conditions dans lesquelles nous serons amenés, à partir de 2020, à gérer les 30 % des foyers non couverts. Je ne démarrerai pas ce projet sans avoir une vision globale du budget prévisionnel.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Je me réjouis de ces rendez-vous réguliers avec René Ricol qui nous permettent d'assurer un suivi de ces projets d'investissements exceptionnels. A cet égard, les lettres par lesquelles vous nous informez des redéploiements susceptibles d'être opérés contribuent à améliorer ce suivi.
Pouvez-vous préciser les sommes effectivement décaissées en 2010 et le montant prévisionnel d'investissement pour 2011 ? Le cas échéant, pouvez-vous nous indiquer la part des investissements financés par les intérêts versés aux opérateurs au titre de la rémunération du dépôt au Trésor d'une partie des fonds ?
Plus précisément, existe-t-il des différences de gestion entre les opérateurs chargés de mettre en oeuvre le programme d'investissements d'avenir ? Le rythme d'engagement des crédits respecte-t-il vos prévisions ?
La commission des finances a souligné à plusieurs reprises le caractère optimiste des effets de levier mentionnés dans les projets de convention transmis, notamment lorsqu'ils résultent de l'intervention financière des collectivités territoriales. Quelles sont vos prévisions actuelles ?
Près de la moitié des fonds de l'emprunt, soit 16 milliards d'euros environ, sont « non consomptibles » : seuls les revenus procurés par leur dépôt au Trésor pourront être dépensés. Pouvez-nous indiquer la date et le montant des intérêts versés aux différents opérateurs ? Des arbitrages ministériels ou interministériels doivent-ils précéder le versement de ces sommes ou l'utilisation de ces dernières ?
M. René Ricol. - En 2010, 1,9 milliard d'euros ont été engagés et environ 900 millions d'euros décaissés. Il s'agit de la recapitalisation d'OSEO pour 140 millions d'euros, des contrats de développement participatifs d'OSEO pour 680 millions d'euros, de la recapitalisation d'Arianespace pour 28 millions d'euros et des internats d'excellence pour 41 millions d'euros.
Au titre de l'année 2011, nous ne pouvons faire état que d'estimations. Nous pensons engager entre 15 et 17 milliards d'euros. En revanche, il est trop tôt pour que nous puissions déterminer le montant des décaissements, compte tenu de la procédure de sélection des projets encore inachevée et de la possibilité dont nous disposons de revoir, avec les différents candidats, les montants accordés aux projets. Nous aurons des éléments d'information plus précis à la fin du mois de juillet.
Il existe, effectivement, des différences de gestion entre les opérateurs chargés de mettre en oeuvre le programme d'investissements d'avenir. L'Agence nationale de la recherche (ANR), par exemple, fait appel à des jurys internationaux. Compte tenu du nombre et de l'importance des projets, son principal souci est de disposer de jurys cohérents et de grande qualité. Dans nos relations avec cette agence, il convient avant tout de s'assurer qu'il n'y ait pas de conflits d'intérêts.
S'agissant de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'environnement (ADEME), le processus est totalement différent : il s'agit d'une procédure d'appels à projets que l'agence instruit elle-même dans des délais relativement longs. Il semble que l'ADEME aille désormais au plus vite de ses capacités. Cette situation pourrait néanmoins nous amener à proposer une procédure d'instruction plus rapide pour les petits projets ; cela pourrait faire l'objet d'un quatrième courrier adressé à votre commission.
Enfin, nos relations sont très bonnes avec la CDC. Le principal débat que nous avons eu avec la Caisse est maintenant derrière nous : il s'agissait de ses conditions de rémunération.
En ce qui concerne les effets de levier attendus, il est vrai qu'il y a un point d'interrogation : aurons-nous une participation des collectivités territoriales à hauteur de ce que nous espérons ? Globalement, je rappelle que l'objectif qui nous est assigné s'élève à 60 milliards d'euros. Nous vous confirmons que nous dépasserons ce montant pour atteindre probablement 70 milliards d'euros. A cet égard, je me félicite des relations très constructives que nous entretenons avec toutes les collectivités territoriales. S'agissant plus particulièrement des internats d'excellence, nous avons le sentiment que les régions nous suivent sur ce projet. J'ajoute que nous sommes conscients que les collectivités territoriales, comme l'Etat, sont dans une situation budgétaire difficile. C'est pourquoi, nous ne demandons pas des engagements immédiats.
M. Jean Arthuis, président. - Sur la rémunération des fonds non-consomptibles ?
M. Jean-Luc Tavernier, commissaire général adjoint. - Je souhaite rappeler, à titre liminaire, le calendrier général du programme organisé en trois étapes :
- la signature des conventions entre l'Etat et les opérateurs gestionnaires ;
- le lancement des appels à projets : à ce jour, quarante-quatre appels à projets ont été lancés, dont vingt-deux sont clos et vingt-deux encore ouverts. Au total, entre cinquante et soixante procédures devraient être lancées ;
- la sélection des projets qui a commencé après la clôture de la première vague d'appels à projets.
A partir de là, nous estimons que le financement des décisions finales, qui reviendront au Premier ministre, représenteront un montant d'engagements compris entre 15 et 20 milliards d'euros, soit la moitié de l'enveloppe globale. Quant aux décaissements, ils seront étalés dans le temps, les projets étant élaborés sur plusieurs années. L'annexe au projet de loi de finances rectificative prévoyait des décaissements de l'ordre de 5 milliards d'euros par an, dont 2 milliards d'euros considérés comme des dépenses publiques au sens de la comptabilité nationale.
La question de la rémunération des fonds non-consomptibles est complexe, mais traitée de façon exhaustive dans les conventions. Il s'agit des dotations gérées par l'ANR, soit un montant d'environ 15 milliards d'euros. Le taux d'intérêt retenu est le même pour toutes les dotations, soit le taux d'intérêt des OAT à dix ans en vigueur le jour de la promulgation de la loi de finances rectificative, soit 3,41 %. Ces intérêts sont versés par trimestre échu. La date à laquelle commence leur versement varie, en revanche, selon les conventions : date de sélection des bénéficiaires, date de versement des fonds à l'ANR,...
M. René Ricol. - Ainsi, 15,4 millions d'euros ont été versés sur le compte des opérateurs au titre de la rémunération des fonds non-consomptibles.
M. Jean-Luc Tavernier. - Cette somme augmentera au fur et à mesure.
M. Yvon Collin. - Je souhaiterais connaître votre point de vue sur le rôle de l'Etat en sa qualité d'investisseur : a-t-il les moyens de cette mission ? Dans quelle mesure est-il légitime à recourir au « grand emprunt » ?
Par ailleurs, quels sont vos objectifs précis de rendement ? Combien coûte le programme d'investissements d'avenir ? Quelle est la plus-value de votre structure ?
Enfin, pouvez-vous retracer précisément votre action en matière de recherche ? Comment expliquez-vous le faible engagement des entreprises françaises, en comparaison avec l'Allemagne, dans le champ de la recherche et développement ?
M. Jean-Pierre Fourcade. - Suite à la lettre que vous avez adressée à la commission, j'aurais aimé avoir quelques précisions sur le processus de sélection des instituts hospitalo-universitaires ainsi que sur les mécanismes de financement retenus pour soutenir les projets classés en catégorie B par le jury international. Par ailleurs, en examinant vos dossiers, je vois que des prises de participations seront réalisées, soit par la CDC, soit par OSEO. Qu'en est-il du Fonds stratégique d'investissement (FSI), notamment lorsqu'il s'agit d'une entreprise privée ou semi-publique qui n'aurait pas la capacité financière de porter un projet ? Quel lien existe-il entre le commissariat général à l'investissement et le FSI ? Conduisez-vous des études communes ?
M. Edmond Hervé. - Je crois qu'il serait opportun que la mise en oeuvre du programme d'investissements d'avenir fasse l'objet d'une communication plus soutenue car elle traduit une démarche positive. S'agissant de la capacité de réaction des collectivités territoriales, je ne suis pas surpris de votre remarque car elles avaient déjà répondu présentes lors du plan de relance. Sans vouloir m'immiscer dans le processus décisionnel du programme d'investissements, j'observe que les scientifiques n'ont pas toujours le monopole de l'objectivité et qu'il est nécessaire de respecter un certain pluralisme. Les décisions prises peuvent ainsi entraîner de très grandes déceptions dans des secteurs dont la qualité scientifique ne peut pas être mise en cause et dont la capacité de coopération n'est pas de façade. Lorsqu'on consacre des sommes aussi importantes, il faut que le processus d'attribution reconnaisse l'ensemble des potentialités scientifiques et ne provoque pas de déceptions inutiles.
M. Serge Dassault. - Le programme d'investissements d'avenir comprend des opérations très intéressantes, je m'en félicite.
M. André Ferrand. - Je vous remercie de l'accueil bienveillant que vous avez réservé à la coopération triangulaire que j'ai souhaitée entre des lycées français à l'étranger, des universités étrangères et des universités françaises. Dans le cadre des appels à projets « Initiatives d'excellence », plusieurs candidats ont intégré cette coopération dans leur dossier, en particulier les projets lyonnais et toulousain qui ont été présélectionnés et qui sont intéressés respectivement par un partenariat avec le Brésil et l'Espagne.
M. Jean Arthuis, président. - Pouvez-nous indiquer quel est le climat des travaux de sélection ? Peut-on éviter les interférences avec les considérations liées à l'aménagement du territoire ? Travaillez-vous dans une totale sérénité ? Par ailleurs, le protocole d'accord du 26 janvier entre l'Etat et la région Ile de France sur les transports franciliens ne s'étend pas au plateau de Saclay. Ce désaccord ne porte-t-il pas préjudice au développement du pôle scientifique et technologique de Saclay ? Comment envisager le déménagement de nombreux acteurs en l'absence de desserte terrestre adéquate du plateau ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Une dernière question. Lors de votre dernière audition, une difficulté se posait quant à la ventilation des fonds alloués à la création d'internats d'excellence et au développement de la culture scientifique. Une enveloppe de 150 millions d'euros n'était toujours pas fléchée en septembre. Cette somme est-elle aujourd'hui affectée ?
M. René Ricol. - Je vais répondre dans l'ordre aux questions qui ont été posées. Tout d'abord, à quoi servons-nous ? Il est certain que le programme aurait pu être mis en oeuvre d'une manière différente, mais je crois qu'il était essentiel de créer la structure du commissariat général, une unité de supervision, car cela permet de procéder plus rapidement. Un exemple : nous avions une difficulté sur la définition des instituts de recherche technologiques (IRT), nous avons réuni l'ensemble des acteurs en un seul jour afin de répondre concrètement à la question du périmètre.
Combien coûtons-nous ? Le fonctionnement du commissariat général à l'investissement nécessite environ 4 à 5 millions d'euros par an ; cette somme étant gagée par des économies réalisées dans différents ministères. Je rappelle que je ne suis pas payé pour la mission que j'accomplis, ce qui me donne une certaine indépendance. Je souligne également que je suis entouré d'une équipe pluridisciplinaire exceptionnelle.
Quels sont nos objectifs de rendement ? A ce stade, nous ne pouvons pas encore définir précisément nos objectifs de rendement, mais nous avons deux préoccupations : d'une part, assurer le respect des règles du jeu, d'autre part, bannir le terme de « subvention » ce qui s'avère particulièrement délicat tant cette logique est ancrée dans les moeurs. En effet, nous souhaitons qu'en cas de succès, l'Etat bénéficie d'un retour sur investissement à hauteur des risques qu'il a pris.
Que pensez-vous des procédures de sélection ? Effectivement, je crois qu'elles sont sources de déception, notamment en ce qui concerne les instituts hospitalo-universitaires et les laboratoires d'excellence. S'agissant des IHU, le jury a décidé de n'auditionner que neuf candidats sur dix-neuf, ce qui a posé quelques difficultés car il me semblait indispensable que l'ensemble des porteurs de projets soit entendu. J'ai hésité à interpeller le jury sur cette question. Toutefois, celui-ci a bien travaillé et nous avons reçu des commentaires très détaillés sur chaque dossier. En réalité, le problème n'est pas tant la procédure de sélection que la qualité et le nombre de projets que nous recevons. Or, je ne souhaite pas laisser de coté de très bons projets et c'est pourquoi je me réserve le droit de revenir sur la question des IHU.
Pour ce qui est des « Labex », la confusion est née d'un retard dans l'annonce des résultats. Concrètement, les résultats de l'appel à projets relatif aux IHU devaient être communiqués avant ceux des « Labex ». Mais compte tenu de l'enquête conduite par l'IGAS sur un des porteurs de projet d'IHU, nous avons été amenés à retarder la publication des résultats concernant les IHU mais aussi les laboratoires d'excellence, ce qui a jeté un voile de suspicion sur la procédure de sélection de ces derniers. Le jury a, dans un premier temps, sélectionné quatre-vingt-trois candidats mais le comité de pilotage a remarqué, à juste titre, que cette liste ne mentionnait pas des laboratoires renommés. En effet, les choix du jury ont conduit à sur-primer l'innovation et à oublier quelque peu l'excellence avérée. Fort de ce constat, le comité a soumis vingt-quatre nouveaux dossiers au jury qui en a retenu dix-sept, soit un total de cent laboratoires d'excellence financés dans le cadre de ce premier appel à projets. Cette procédure de sélection a fait l'objet d'une lettre publique du président du jury qui précise, parfois de manière très abrupte, les raisons pour lesquelles certains dossiers n'ont pas été retenus. Cela peut être désagréable. Mais, je rappelle que des corrections pourront être apportées puisqu'il y aura un deuxième appel à projets pour les « Labex ».
Je crois qu'il y a une question de méthode que nous aurons à poser au Conseil de surveillance et qui est celle de ce que pouvons nous faire afin d'éviter le rejet de très bons projets. En tout état de cause, il me semble que la discussion entre le jury et le commissariat général à l'investissement doit être renforcée et fluidifiée.
S'agissant des prises de participation, nous n'avons pas de relation formelle avec le FSI. Nous agissons comme des co-investisseurs.
Vous m'avez interrogé sur le climat de sélection et la prise en compte de l'aménagement du territoire. Cette problématique ne fait pas partie de ma mission. Toutefois, à la question « peut-on s'abstraire complètement de cette préoccupation ? », je réponds par la négative. Nous favorisons ainsi les projets fédérés notamment en matière de recherche et d'enseignement supérieur. L'opération « Campus d'excellence » a précisément été renommée « Initiative d'excellence », afin de prendre en compte les réalités territoriales de certaines régions qui n'ont pas nécessairement concentré géographiquement leurs structures de recherche et d'enseignement.
Concernant le plateau de Saclay, vous avez pu voir que ce campus ne fait pas partie des candidats présélectionnés dans le cadre de l'appel à projets relatif aux Initiatives d'excellence. La difficulté consiste à faire fonctionner cet ensemble. Plusieurs points restent épineux : terrains inondables, construction de routes, développement des transports en commun... Néanmoins, je dois dire que la gouvernance du pôle a fait des progrès et que le rapprochement entre les acteurs commence à se concrétiser.
En conclusion, je souhaite insister sur deux choses : premièrement, à ce jour, dans tous les processus de sélection engagés, il n'y a pas eu d'exception à la règle, sauf les cas mentionnés dans les courriers transmis à votre commission. Néanmoins, à la fin de la première vague, il sera nécessaire d'examiner l'opportunité de certains aménagements afin de ne pas laisser de coté des projets à fort potentiel. Deuxièmement, le pari du programme d'investissements d'avenir ne réussira que si les grands groupes français jouent le jeu. A l'instar de ce qui s'est passé sur la médiation du crédit, il est nécessaire de recréer une chaîne de solidarité ; ceci ne peut se faire que par une plus forte implication des grands acteurs économiques.
M. Jean Luc Tavernier. - S'agissant du développement de la culture scientifique, 50 millions d'euros sont actuellement fléchés sur cette action. Les appels à projets devraient être lancés. Une enveloppe de 150 millions d'euros reste à répartir avant la fin de l'année 2011 entre le financement des internats d'excellence et la culture scientifique.
M. René Ricol. - Il est encore trop tôt pour connaître la destination de cette enveloppe. Toutefois, si elle n'est pas utilisée, elle pourra être redéployée sur d'autres actions, par exemple, le financement d'instituts hospitalo-universitaires supplémentaires.
Mercredi 30 mars 2011
- Présidence de M. Jean Arthuis, président, puis de M. Joël Bourdin, vice-président -Loi de finances rectificative sur la fiscalité du patrimoine - Produits d'épargne - Table ronde
La commission procède tout d'abord à l'audition conjointe de MM. Pierre Bollon, délégué général de l'association française de gestion financière (AFG), Benoît Maës, directeur général de Groupama Gan Vie, Hervé Schricke, président de l'association française des investisseurs en capital (AFIC), et Patrick Suet, secrétaire général de la Société générale, en vue de la préparation du projet de loi de finances rectificative sur la fiscalité du patrimoine.
M. Jean Arthuis, président. - Pour cette table-ronde sur la réforme de la fiscalité du patrimoine, j'ai le plaisir d'accueillir MM. Pierre Bollon, délégué général de l'association française de gestion financière (AFG), Benoît Maës, directeur général de Groupama Gan Vie, Hervé Schricke, président de l'association française des investisseurs en capital (AFIC) et Patrick Suet, secrétaire général de la Société générale.
Messieurs, comment appréhendez-vous la réforme de la fiscalité du patrimoine, notamment à la lumière des premières pistes annoncées par le Gouvernement au cours du colloque organisé à Bercy le 3 mars ?
Quels doivent être les objectifs de la réforme, et son ampleur ? Quelles pistes retenir et quelles mesures écarter absolument ? Quel pourrait être 1'impact de cette réforme sur les produits d'épargne, et donc sur le financement de l'économie ?
M. Pierre Bollon, délégué général de l'association française de gestion financière (AFG). - L'AFG regroupe environ 500 sociétés de gestion, dont 200 auprès des banques et des assurances et 300 entrepreneuriales, qui représentent environ 13 000 emplois directs et 70 000 emplois indirects, dont le seul métier est de gérer l'épargne des particuliers et des institutions.
A grands traits, nous faisons le constat suivant : en pratique, la fiscalité du patrimoine est déjà modifiée chaque année, ce qui est d'ailleurs une contrainte certaine dans notre métier et pour les épargnants. Cependant, les changements ne paraissent pas obéir à une stratégie politique visant à guider des choix de collecte et d'usage de l'épargne mais semblent plutôt répondre à des besoins ponctuels de trésorerie de l'Etat. Pour notre part, nous serions enclins à proposer deux critères pour apprécier une politique publique de l'épargne : l'objectif de collecter une épargne longue et l'apport direct au financement des entreprises. Certains produits d'épargne sont mieux à même de remplir ces objectifs, en particulier ceux qui s'attachent à l'épargne salariale et l'épargne retraite, comme le plan d'épargne pour la retraite collectif (Perco).
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Vous êtes favorable à ce que la loi dise aux gens comment ils doivent épargner, et pour quoi faire...
M. Pierre Bollon. - De fait, je crois que la fiscalité peut orienter l'épargne vers des finalités plus utiles que d'autres - on a parlé à ce propos « d'épargne fertile » et je crois utile de mettre en place une sorte de « clause de l'épargne la plus favorisée ». Ainsi, les investissements les plus productifs ne devraient pas être discriminés par rapport à l'immobilier par exemple, comme c'est le cas actuellement.
M. Benoît Maës, directeur général de Groupama Gan Vie. - En tant que praticien, je m'attacherai à vous dire ce qui motive à souscrire un contrat d'assurance vie, et ce que nous faisons de l'épargne collectée. Je suis frappé de constater que, dans le débat public sur la fiscalité, l'assurance-vie apparaît bien souvent comme une variable d'ajustement. Or elle mérite mieux et les décisions fiscales peuvent avoir des effets très importants, qui peuvent s'éloigner de l'objectif poursuivi par les pouvoirs publics.
Le cadre fiscal de l'assurance-vie est stable depuis 1998, ce qui nous laisse suffisamment de recul pour porter un jugement sur son efficacité. Ce cadre est censé favoriser l'épargne longue, puisque le prélèvement passe progressivement de 35 % en deçà de quatre ans, à 15 %, entre quatre et huit ans, et à 7,5 % au-delà de huit ans. Les chiffres montrent le succès de cette politique : l'encours des contrats d'assurance-vie est passé de 500 milliards d'euros en 1998 à 1 300 milliard aujourd'hui ; 15 millions de nos compatriotes détiennent un contrat, dans toutes les catégories socioprofessionnelles - la moitié des agriculteurs ont souscrit une assurance vie -, pour un encours moyen de 14 000 euros par contrat. En outre, il s'agit bien d'une épargne longue puisque les deux tiers des contrats datent de plus de huit ans et qu'un sur cinq dépasse même vingt ans. Avec l'assurance-vie, nos compatriotes ont donc trouvé un outil d'épargne de précaution, mais aussi un moyen de préparer leur retraite et de transmettre leur patrimoine dans les meilleures conditions possibles. Les fonds collectés sont allés prioritairement vers les entreprises : ainsi, 56 % des actifs des compagnies vie sont investis en actions ou obligations émises par des entreprises, dont 17 % - soit 285 milliards d'euros - en actions. Le solde a été prioritairement investi vers des obligations d'Etat, ce qui permet de financer la dette publique. L'Etat, de son côté, collecte en moyenne cinq milliards d'euros de prélèvements fiscaux et sociaux par an sur l'assurance vie.
On peut donc dire que l'assurance-vie a bien mis en relation l'épargne des ménages et les besoins de financement de l'économie. Cependant, l'hypothèse, annoncée depuis maintenant quelques semaines, de prélever un milliard d'euros supplémentaire sur les contrats d'assurance-vie inquiète les épargnants, de sorte que, depuis trois mois, nous constatons que l'encours a cessé de croître, pour la première fois depuis 1998. Cette perspective de pression fiscale plus forte vient au moment où les rendements de contrats d'assurance vie ont diminué, ce qui ajoute au découragement des épargnants.
M. Jean Arthuis, président. - Il ne faudrait y toucher que d'une main tremblante...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - De quelle alternative disposent les épargnants ?
M. Benoît Maës. - Sans même évoquer la délocalisation, ils peuvent être tentés par l'achat d'or, d'oeuvres d'art, ou encore par des placements immobiliers. Ce qui compte, c'est que, au-delà des assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) aujourd'hui visés, l'ensemble des souscripteurs à l'assurance-vie peuvent se décourager de fait de ce « message » d'instabilité, au détriment du financement de l'économie.
M. Hervé Schricke, président de l'association française des investisseurs en capital (AFIC). - Mon point de vue sera orienté vers l'emploi, puisque l'investissement en capital va d'abord aux petites et moyennes entreprises (PME), qui sont, dans notre pays, la principale source de création d'emplois. Il faut prendre en compte la concurrence internationale, en particulier la situation de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, qui ont autorisé le visa pour l'installation d'entrepreneurs accompagnés de « business angels » et où l'impôt sur les sociétés est moindre que chez nous.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Mais en Grande-Bretagne, les plus hauts revenus sont taxés à 50 %, jusqu'en 2013...
M. Hervé Schricke. - Les nouvelles règles prudentielles, ensuite, vont pénaliser l'apport direct de capital dans les entreprises par les banques et les compagnies d'assurance : elles apportaient traditionnellement la moitié du capital investissement, mais leur participation a chuté de 80 % entre 2008 et 2010. C'est un tournant majeur !
Le capital développement, par lequel un investisseur abonde directement les fonds propres d'une entreprise, est en constante augmentation, progressant de 20 % depuis 2006, alors que le capital risque est stable, à son niveau de 2007 et qu'il est abondé aux deux tiers par les particuliers, à travers notamment les fonds d'investissement de proximité (FIP) et les fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI), mais aussi la réduction d'impôt dite « ISF-PME ». Il est à noter que les capitaux drainés grâce à l'ISF-PME ont diminué dans notre activité, en raison de la différence de traitement fiscal entre nos fonds d'une part, et l'investissement direct ou au travers de holdings d'autre part.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - L'ISF-PME, de votre point de vue, ne représente donc qu'un avantage marginal ?
M. Hervé Schricke. - Oui, mais pour la raison que je viens de vous exposer.
Notre métier consiste donc à orienter de l'épargne longue vers les fonds propres des entreprises, et d'abord des PME. Nous serions favorables, du reste, à ce que tout avantage fiscal sur l'épargne ait une contrepartie en matière d'emploi, via, par exemple, la participation aux fonds propres des entreprises.
Les nouvelles règles prudentielles, qu'il s'agisse des normes bancaires dites « Bâle III » ou de la directive n° 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (dite « solvabilité II »), vont pénaliser durement l'investissement direct dans l'entreprise, il faut s'y préparer et nous faisons plusieurs propositions pour compenser cette restriction. En particulier, nous proposons de doter les contrats d'assurance-vie en unités de compte d'avantages nouveaux à l'entrée et de renforcer l'incitation Madelin pour les investissements orientés vers l'innovation.
M. Patrick Suet, secrétaire général de la Société générale. - Le banquier est un intermédiaire entre les dépôts des clients et les besoins des entreprises, sans avoir prise sur la réglementation fiscale. Le contexte nous rend cependant très inquiets dans la mesure où le déficit public est très élevé, où notre fiscalité de l'épargne est déjà quatre fois plus lourde que celle de l'Allemagne et où l'évolution des règles prudentielles va bouleverser les conditions de financement des entreprises. En effet, les banques et les compagnies d'assurance, obligées d'adosser davantage leur participation, seront moins enclines à investir en actions. Pour que les banques participent davantage, la solution est peut-être à chercher du côté de la hausse des dépôts : pourquoi ne pas revenir à un mécanisme de plan d'épargne populaire (PEP) bancaire, comme nous en avions il y a quelques années ?
La politique publique en direction de l'épargne, ensuite, gagnerait à simplifier les nombreux dispositifs qui s'enchevêtrent aujourd'hui et qui rendent plus difficile notre activité de conseil auprès des particuliers.
Enfin, s'agissant des pistes qui ont été évoquées pour la réforme elle-même, je me contenterai d'indiquer que nous sommes défavorables à toute taxation de revenus latents, c'est-à-dire de revenus qui n'ont pas été encaissés.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - En vous écoutant les uns et les autres, j'ai d'abord eu le sentiment que vous nous demandiez de changer le moins possible la fiscalité de l'épargne, que vous étiez - ce qui est très rare - des professionnels heureux de l'environnement fiscal dans lequel ils évoluent ; mais vous nous dites aussi qu'il faudrait infléchir la structure de l'épargne, pour qu'elle soit plus longue, et qu'il faut l'orienter davantage vers les entreprises, en particulier vers les PME, ce que notre commission appelle de ses voeux depuis longtemps. Vous nous dites encore que les changements des règles prudentielles sont un véritable défi auquel nous devons nous adapter.
N'y a-t-il pas une contradiction entre votre souci de mieux orienter l'épargne vers les entreprises, et votre souhait de n'y faire participer ni l'épargne administrée ni l'assurance-vie ? Peut-on mieux servir les entreprises en fonds propres, sans rien toucher à la fiscalité de l'assurance-vie ? Nous devons réduire la dépense fiscale, d'au moins trois à quatre milliards par an si nous voulons respecter les dispositions de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, qui ne représentent d'ailleurs que le minimum des efforts à consentir. Pensez-vous raisonnablement qu'on y arriverait sans rien changer à la fiscalité de l'assurance-vie ?
M. Jean Arthuis, président. - La fiscalité est-elle déterminante dans le choix d'un contrat d'assurance-vie ?
M. Benoît Maës. - Certainement, avec les performances du produit lui-même.
M. Pierre Bollon. - La détermination du taux d'imposition relève naturellement du Parlement ; nous nous sommes contentés de dire que la fiscalité pourrait différencier l'épargne longue et l'épargne courte, ainsi que l'usage qui en est fait.
Ensuite, je souhaite préciser le propos de M. Schricke : la part de l'ISF-PME captée par les fonds d'investissement est passée de 320 millions d'euros à 259 millions d'euros de 2009 à 2010 parce que la fiscalité a mieux traité l'investissement direct dans l'entreprise, mais la différence de traitement a disparu dans la dernière loi de finances ; nous verrons cette année quelle est l'évolution de la répartition de ces capitaux.
M. Hervé Schricke. - Certains des dispositifs que nous proposons ne coûteraient rien à l'Etat puisqu'il s'agirait d'encourager l'orientation de l'épargne collectée vers les fonds propres des entreprises de manière réglementaire, sans toucher à la fiscalité.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - M. le président, au sein du comité de suivi du plan de financement de l'économie française, nous avons constaté l'insuffisance du crédit octroyé aux entreprises. Nous avons réagi en faisant adopter, dans le cadre de la loi de régulation bancaire et financière, un dispositif imposant aux établissements de crédit de consacrer au moins les trois quarts de l'augmentation de leur encours sur livrets A ou sur livrets de développement durable (LDD) non centralisés auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) à des prêts aux PME ou à des prêts d'économies d'énergie. Alors que cette initiative avait, à l'origine, suscité des réserves de la part du Gouvernement, ses mérites ont été soulignés, depuis lors, par le Président de la République.
Mais, s'agissant de l'investissement en fonds propres, on évoque de l'épargne collectée sur livrets par le système bancaire. Est-on certain que des contreparties sous forme de fonds propres ne tomberaient pas sous le coup de la nouvelle réglementation prudentielle ?
M. Patrick Suet. - Effectivement, les banques ne peuvent pas s'engager dans cette voie si un tel dispositif vient à modifier leur bilan, l'équilibre entre actif et passif.
Notre fiscalité, cela dit, est loin d'être incohérente puisqu'elle privilégie l'épargne longue en actions plutôt que l'épargne courte, à l'exception du livret A. En revanche, la Cour des comptes l'a souligné concernant le plan d'épargne en actions, pourquoi réunir des titres cotés, qui sont plus liquides, et des titres non cotés dans les mêmes catégories fiscales ? Il faudrait davantage inciter au risque ; prévoir plus d'incitations pour les titres non cotés.
M. Jean Arthuis, président. - Un vrai sujet ! De toute façon, le financement des PME ne dépend pas seulement de l'orientation de l'épargne ; il serait plus facile si les conditions de rentabilité des PME étaient mieux assurées.
M. Patrick Suet. - Aujourd'hui, vendre une action directement à un client est presque une mission impossible. Il faut réhabiliter la confiance dans l'action et accompagner cette reconquête ; cela peut passer par la fiscalité.
M. Hervé Schricke. - Permettez-moi d'avancer une proposition à laquelle nous réfléchissons avec Oseo : la mise en place d'un mécanisme de garantie mutuelle, adossé à un fonds de garantie qui pourrait être géré par Oseo. Dans un contexte où l'on demande aux banques et assurances de renforcer leur ratio de solvabilité et, donc, de disposer davantage de fonds propres et de répondre à des exigences de rentabilité plus fortes, ce serait un moyen significatif de réduire le risque, pourvu que les montants mobilisés dans un premier temps soient suffisants - il y aurait un effet levier entre le montant initialement mobilisé et les montants garantis. A long terme, cela conduirait l'Autorité de contrôle prudentiel à diminuer ses exigences en matière de fonds propres vis-à-vis des banques et des compagnies d'assurances.
M. Jean Arthuis, président. - En bref, un système analogue à celui de Sofaris qu'a repris Oseo. Dans ce cas, il faudrait renforcer les fonds propres d'Oseo.
M. Hervé Schricke. - En ce qui concerne l'innovation, la Banque européenne d'investissement est prête à mobiliser des capitaux.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Pour faire quelque chose de significatif, est-ce une affaire de centaines de millions d'euros ou plutôt de milliards ?
M. Hervé Schricke. - Pour la dotation initiale, je considère que nous parlons en centaine de millions d'euros...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - ... que la CDC pourrait trouver...
M. Hervé Schricke. - ... qui auront un impact économique se chiffrant, lui, en milliards d'euros.
M. Pierre Bollon. - C'est une très bonne piste qui, me semble-t-il, ne nécessitera pas une intervention législative.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Nous tombons dans le surréalisme à la française : il faut adapter la fiscalité à la longévité du portage des titres, mais quid du livret A ? On doit supprimer l'ISF pour éviter une fuite des capitaux et le conserver afin de garder des capitaux disponibles pour les PME... Après ce commentaire, deux questions. A quoi correspond le chiffre de 17 % d'actions dans le bilan de l'assurance-vie ? Est-ce un ratio réglementaire, législatif, corporatif ? Pourquoi ne pas le porter à 25 % pour financer réellement l'économie ? Ensuite, pourquoi les banques ont-elles manifestement orienté l'épargne vers les comptes d'épargne bloqués plutôt que vers l'épargne à long terme ? Est-ce de la paresse ?
M. François Marc. - Nous abordons la réforme de la fiscalité du patrimoine avec deux préoccupations : le système actuel est injuste, l'État doit trouver de nouvelles recettes pour compenser une partie d'un déficit en constante augmentation. A vous entendre - je partage l'agacement du rapporteur général -, il faudrait ne rien changer... Et la crise ? N'a-t-elle pas montré qu'il y avait eu des excès bancaires ? Nous avons maintenant une coresponsabilité. J'aurais aimé vous entendre faire des préconisations plus offensives. Comment alimenter la croissance par les flux d'épargne ? Quelles incitations créer ?
M. Joël Bourdin. - Que pensez-vous d'une imposition complémentaire sur l'assurance-vie à partir d'un certain seuil de montant de contrat d'assurance-vie ? Actuellement, la courbe de l'imposition est en forme de cloche...
M. Benoît Maës. - Mon propos était de montrer que l'assurance-vie n'a pas à rougir de son bilan, non d'affirmer qu'il ne faut rien changer. La fiscalité devrait favoriser l'investissement à long terme et en actions. L'assurance-vie est en ligne avec ces objectifs généraux ; certes, on peut toujours améliorer un dispositif, mais la stabilité fiscale est importante pour les épargnants.
Monsieur Fourcade, concernant la part des actions dans nos bilans, nos clients ont deux façons d'acheter des actions dans le cadre de l'assurance-vie : soit directement via les unités de comptes, soit indirectement via les fonds en euros, lesquels sont composés d'actions, d'obligations et d'immobilier - de moins à moins, à vrai dire. Les futures règles de solvabilité pénalisent les actions dans les fonds en euros. Le mouvement n'est pas complètement engagé : actuellement, chez Groupama Gan Vie, la part des actions représente 16 %, à laquelle il faut ajouter 6 % d'unités de compte, soit 22 %. « Solvabilité II », même si tout n'est pas joué, risque de réduire la part en actions. C'est extrêmement regrettable pour notre économie, qui a besoin d'être financée, et pour nos assurés, pour lesquels la diversification des placements est essentielle. Nous incitons donc nos clients à détenir davantage d'actions directement via les unités de compte. Cela n'est pas simple, comme le rappelait M. Suet, car acheter une action, c'est prendre un risque.
Un prélèvement complémentaire sur l'assurance-vie pour les personnes qui resteront assujetties à l'ISF ? D'abord, pourquoi viser l'assurance-vie en particulier, et non toute l'épargne ? Ensuite, attention aux effets de seuil : prenons un taux de 0,25 % au titre du patrimoine, une personne qui aurait son patrimoine de 1,3 million d'euros placé en assurance-vie devrait payer 10 000 euros pour un euro de plus. Ce n'est pas très raisonnable...
M. Patrick Suet. - Monsieur Fourcade, les banques ont privilégié les comptes d'épargne bloqués, d'une part, en raison des taux d'intérêt à court terme qui ont rendu les placements sur les sociétés d'investissement à capital variable (Sicav) monétaires extrêmement peu rentables, d'autre part, à cause de la situation des liquidités et des prévisions qui ont conduit les banques à mieux rémunérer les dépôts. Cette tendance ne signifie pas que le reste ait été abandonné ; nous faisons des propositions en fonction du profil du client. Les placements en actions à long terme sont effectivement les plus rentables, mais encore faut-il en convaincre nos clients. Ne rien changer ? Non, nous devons accompagner l'évolution en gardant à l'esprit que les épargnants ont la mémoire longue - la stabilité est essentielle pour eux - et en évitant les effets de seuil.
M. Hervé Schricke. - Des préconisations offensives ? Il faut privilégier l'innovation, qui est la chance de la France dans la compétition mondiale, et bâtir un fonds de garantie mutuelle. A long terme, celui-ci serait relativement peu coûteux ; le risque étant mutualisé, il serait faible. Nous avons juste besoin d'une aide pour le créer ; on pourrait d'ailleurs imaginer un effort public, mais aussi un effort collectif du secteur.
M. Pierre Bollon. - Je soutiens la proposition d'Hervé Schricke : il faut créer un fonds de garantie et une clause de l'épargne la plus favorisée. Le principe de base serait que toute épargne est soumise à un prélèvement forfaitaire libératoire qui diminuerait en fonction de la durée de l'épargne - épargne à moyen terme et raisonnablement en actions ; épargne à long terme et fortement en actions via les plans d'épargne en actions, les plans d'épargne entreprise et les plans d'épargne pour la retraite collectif. Pour les petits épargnants, il faudrait prévoir une franchise. Voilà, me semble-t-il, le chemin sur lequel nous devons nous engager.
M. Jean-Jacques Jégou. - Envisagerions-nous la fiscalité du patrimoine sous le même angle si nous n'étions pas rongés par la dette et le déficit ? Dans un autre contexte, quelle fiscalité envisager ?
Enfin, le « marronnier » du financement des PME... Le problème est réel, je le sais pour avoir été à la tête d'une PME. Néanmoins, beaucoup de choses ont été faites. Y a-t-il une réelle appétence des PME pour se développer ? Les financeurs ne sont-ils pas, tel Soubise cherchant son armée à la lueur de sa lanterne, à la recherche d'entreprises candidates au développement à l'instar de leur homologues allemandes ?
M. Hervé Schricke. - Dans l'industrie, il y a encore des efforts à fournir pour expliquer le mérite des fonds propres. Le capital développement est en croissance forte, il y a un souhait de dynamisation. La vocation de notre métier est aussi d'aider à la croissance. Les entreprises en ont-elle envie ?, demandez-vous. Je répondrai : l'offre est-elle suffisamment attractive et abondante pour qu'elles en aient envie ?
M. Pierre Bollon. - Le monde nouveau vers lequel nous allons sera caractérisé par une économie de chocs, non plus par une croissance régulière de 3 % par an. Dans ce monde plus incertain, les entreprises devront être mieux capitalisées. Or les banques, avec « Bâle III », leur prêteront moins facilement de l'argent ; elles ne pourront plus utiliser leur pouvoir de transformation des dépôts. Le marché, plus que les banques et les assureurs, sera appelé à financer l'économie, sur le modèle américain. La logique serait donc de construire une fiscalité favorable à l'action. On ne peut pas continuer à s'en remettre aux fonds souverains chinois et aux pouvoirs publics. L'épargne française est abondante, sans être excessive - elle n'est pas supérieure à l'épargne allemande. Pour la rendre utile, la cohérence voudrait de « mettre le paquet » sur le financement direct par le marché, les actions.
M. Patrick Suet. - Relativisons : l'an dernier, sur un encours de crédits aux entreprises de 760 milliards d'euros, un tiers a été dirigé vers les PME, soit une augmentation de 4,5 %. A ce stade, le financement de l'économie ne pose pas de difficultés majeures. Nous avons besoin de 100 à 200 milliards d'euros en fonds propres pour basculer vers le monde nouveau quand l'assurance-vie représente 1 400 milliards d'euros. Il faut déplacer les flux de financement, mais les grands équilibres resteront inchangés.
Contrôle budgétaire des contributions financières de la France aux organisations internationales - Communication
Puis la commission entend une communication de M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, sur les contributions financières de la France aux organisations internationales.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial. - Dans mon rapport d'octobre 2007, je mettais en exergue l'écart significatif entre les sommes destinées au financement des organisations internationales inscrites au budget et la dépense réelle de l'État. Cet écart, rappelions-nous à M. Josse, directeur du budget, et à M. Driencourt, alors secrétaire adjoint du Quai d'Orsay lors de leur audition, le 26 septembre 2007, commandait un retour au principe de sincérité budgétaire. J'ai eu envie de poursuivre ce premier travail sur la qualité de l'information donnée au Parlement. Durant près de deux ans, j'ai effectué un contrôle dans nos représentations permanentes et les organisations internationales : l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à Paris ; l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) à Bruxelles ; l'Organisation internationale du travail (OIT), l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Fonds mondial contre le sida à Genève ; le Conseil de l'Europe à Strasbourg ; et, enfin, l'Organisation des Nations Unies (ONU) à New York. Récemment, je me suis également déplacé à Londres, songeant qu'il y avait peut-être matière à tirer quelques enseignements de l'exemple britannique.
Pour commencer, quelques chiffres. Rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'État », je me suis principalement intéressé aux contributions obligatoires, soit la quote-part du budget général des organisations internationales que la France doit acquitter en sa qualité de membre. En loi de finances pour 2011, leur estimation était de 842,5 millions, dont 560 millions pour l'ONU et les opérations de maintien de la paix (OMP) et des contributions de plus de 10 millions pour une douzaine d'organisations telles que l'OTAN, l'OCDE, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'OMS ou encore l'OIT. Au total, ces contributions représentent désormais près de la moitié des crédits du programme 105, le grand programme politique du Quai d'Orsay. A périmètre constant, l'analyse des contributions obligatoires de 2005 à 2010 fait apparaître une augmentation de 31 % de celles-ci, soit une progression moyenne de 5,6 % par an, et une réduction de l'écart entre la prévision et l'exécution au fil des ans. Notre commission y est sans doute pour quelque chose... Dans la loi de finances pour 2011, il a été ainsi tenu compte de l'évolution du taux de change entre l'euro et le dollar. Dans le détail, on observe que le budget des contributions, en augmentation de 2,2 % par an, a été relativement maîtrisé, contrairement à celui des OMP qui a progressé de 10 % par an. En bref, la forte augmentation des contributions obligatoires s'explique par la progression des OMP et une plus grande sincérité budgétaire. Le Gouvernement ne se voile plus les yeux en loi de finances initiale pour augmenter le déficit en loi de finances rectificative. Compte tenu de l'importance de ces contributions, j'ai voulu me pencher sur la gestion interne de ces organisations, l'adéquation des quotes-parts de la France ainsi que l'action du Quai d'Orsay et de nos représentations permanentes auprès de ces organisations - au reste, la seule compétence qu'accorde la LOLF au rapporteur spécial.
Lors de mes déplacements, j'ai constaté, malgré la diversité des situations de ces organisations, le développement d'une culture de bonne gestion. Le contexte y est favorable : les États, contraints de réaliser d'importants efforts de maîtrise des dépenses, attendent de la part des organisations qu'ils financent la même rigueur dans la gestion. Autre facteur, la hausse des contributions volontaires dans le budget total - la France se distingue d'ailleurs des autres États sur ce point, nous y reviendrons - qui conduit les donateurs à exiger davantage de « retour sur investissement ». A l'OMS, ces contributions représentent désormais 80 % du budget, contre 20 % il y a vingt-cinq ans. Résultat, les organisations recourent de plus en plus à des maquettes proches de nos projets annuels de performance : chaque budget est assorti d'objectifs précis et d'indicateurs de performance. Par exemple, l'OMS, dans son budget pour la période 2010-2012 décline treize objectifs. Cette organisation suit un processus budgétaire assez représentatif. Deux ans avant l'adoption du budget, l'administration centrale élabore un avant-projet qu'elle transmet à ses six comités régionaux ; en fonction des retours de ces derniers, la direction en charge du budget revoit sa copie - je l'ai constaté sur le terrain -, puis la transmet au Conseil exécutif, composé de trente-quatre états membres désignés par leurs pairs. Une fois passée cette première année, l'administration, en tenant compte des observations du Conseil exécutif, met au point un projet de budget définitif ; celui-ci est soumis à l'Assemblée des États au sein de laquelle le consensus est de mise. Le budget est donc une création commune de l'administration centrale, des comités régionaux - les services de terrain - et des États-membres. Lorsque vient le temps de la clôture des comptes et de leur soumission à des certificateurs externes, chaque État membre reçoit un rapport, comparable à nos rapports annuels de performance, qui retrace l'exécution budgétaire et le suivi des objectifs.
Les structures de contrôle des organisations internationales apparaissent généralement robustes. Prenons le cas de l'OIT : elle est dotée d'un auditeur interne indépendant qui bénéficie d'un réel pouvoir - entre autres, il a un accès direct au conseil d'administration - et, en fonction de son analyse des risques, contrôle, chaque année, 10 % des structures de l'organisation. En sus, un auditeur externe intervient. Son rôle est davantage de vérifier la régularité des opérations et l'exactitude des comptes. Il s'agit généralement d'une « Cour des comptes » nationale, voire de plusieurs. En l'espèce, l'OIT avait confié son mandat à la Vérificatrice générale du Canada. Sous l'impulsion de son ancien Premier président Philippe Séguin, notre Cour des comptes joue un rôle croissant en ce domaine. La Cour a exercé jusqu'à onze mandats, elle en a huit actuellement ; le rapport sur l'OMC, que M. Séguin était venu présenter lui-même, avait été très apprécié à Genève ! Les suites données à ces conclusions, qu'elles émanent de l'audit interne ou de contrôleurs externes, dépendent de la pression que les États membres exercent ou non sur le secrétariat...
Ce cadre commun masque une diversité réelle entre les organisations. Plus le nombre d'États membres est élevé, plus on observe une absence de corrélation entre le poids politique de chaque État et sa responsabilité financière - je reviendrai sur l'exemple emblématique de l'ONU.
Plus le poids des contributions volontaires dans le budget global est élevé, plus les organisations se plient, sous la pression des contributeurs, à la rigueur gestionnaire. Enfin, la culture économique de certaines organisations, par exemple l'OMC, les incite à la rigueur.
Certaines organisations font face à des coûts particuliers : la construction de nouveaux sièges, pour l'OTAN ou l'OMC, ce qui me semble d'ailleurs correspondre à des besoins réels ; les règles de rémunération des organisations dites coordonnées, très favorables au personnel car l'évolution des rémunérations est notamment indexée sur l'inflation ; enfin, la croissance de l'activité, qui devrait, par exemple, conduire la Cour européenne des droits de l'homme à recruter soixante-quinze nouveaux juristes par an de 2010 à 2012, ce qui pèse sur les finances du Conseil de l'Europe dont la Cour fait partie.
J'en arrive à l'ONU. Je ne sais si cette organisation est un « machin », mais c'est, en tout cas, une grosse machine ! Le monde entier ou presque y est représenté, selon la règle : un pays, une voix. L'organigramme est fort complexe, avec 44 000 fonctionnaires répartis dans de nombreux pays et de nombreuses directions.
Le processus budgétaire est très rigide et doit aboutir à un consensus. J'ai été frappé, lors du lancement de la négociation des quotes-parts pour 2010-2011, par le « choc » des pétitions de principe. Mes entretiens avec divers représentants permanents m'ont confirmé la diversité des points de vue ainsi que le poids du « Groupe des 77 et de la Chine » (G77), qui regroupe les pays en développement, plus la Chine. Ces derniers payent très peu tout en demandant beaucoup à l'ONU ; toutefois, il faut souligner que nombre d'entre eux contribuent d'une autre façon aux charges de l'organisation, par exemple en fournissant des troupes aux OMP.
D'un autre côté, les États-Unis tiennent farouchement au plafonnement de leur quote-part à 22 % - alors qu'ils représentent 26 % à 27 % de l'économie mondiale. Les Européens et le Japon sont donc les « banquiers » du système. Ainsi, les pays de l'Union européenne, qui représentent environ 30 % du PIB mondial, financent l'ONU à hauteur de 40 %. Français et Britanniques payent de surcroît une prime liée à leur statut de membre permanent du Conseil de sécurité. Nos intérêts convergent donc pleinement avec ceux du Royaume-Uni. En revanche, l'Allemagne, qui souhaite obtenir un siège de membre permanent, est plus réceptive aux demandes du G77...
Le contrôle de la gestion existe à l'ONU ; il est même pléthorique : bureau des services de contrôle interne, comité des opérations d'audit, corps commun d'inspection, comité consultatif indépendant pour les questions d'audit... Au risque, à empiler ainsi les structures, de diluer la responsabilité de chacun.
Comment notre administration gère-t-elle ces contraintes et comment essaie-t-elle de maîtriser l'évolution de cette dépense ?
Je salue le souci de rigueur du ministère des affaires étrangères, lui-même soumis à une forte contrainte budgétaire. Notre action, les messages que nous adressons aux organisations internationales sont cohérents. La France est identifiée comme un État soucieux de rigueur budgétaire et de retour sur investissement. J'ai constaté que nous nous efforcions de faire partager cette vision, notamment à nos partenaires européens. Nous nous cherchons des alliés afin de maîtriser la dépense.
Cependant, cette action se heurte à une réalité parfois déplaisante. Le poids de certaines structures, comme l'ONU ou l'OTAN, freine les efforts de rationalisation. D'autre part, nous ne comptons pas toujours beaucoup d'alliés, a fortiori dans les grandes organisations. Enfin, la France concentre son action multilatérale sur le Fonds européen de développement (FED), avec 804 millions d'euros en 2011, et le Fonds mondial contre le SIDA, avec 300 millions. Nos contributions volontaires autres sont très faibles : 48,9 millions pour l'ensemble du système des Nations-Unies, moins que la Suède. Ce n'est pas un facteur d'influence... Cette faiblesse m'a été maintes fois soulignée, tant par les organisations que par nos postes et par le Quai d'Orsay.
Au vu de ce panorama, j'espère que vous comprenez pourquoi je m'oppose chaque année aux amendements diminuant la ligne des organisations internationales au motif qu'il « n'y a qu'à » payer moins... Il s'agit d'une illusion, car les moyens d'actions du ministère sur ces dépenses sont contraints.
Il y a tout de même des marges de progression. Ainsi, j'estime que nous devons, certes, payer notre part, mais seulement notre juste part du budget des organisations. De plus, s'agissant des contributions volontaires, il faut mesurer l'adéquation de nos financements à nos objectifs afin de permettre au Parlement de trancher en connaissance de cause. Enfin, nous devons faire en sorte de renforcer les contrôleurs des organisations internationales. Je vais vous détailler chacune de ces « têtes de chapitres ».
Au préalable, je soulignerai simplement qu'une certaine inefficience d'organisations telles que l'ONU est inévitable. Malgré tout, nous devons garder en mémoire que la France bénéficie globalement du multilatéralisme, en termes d'influence politique, mais aussi en termes financiers : les OMP, dont nous sommes l'un des premiers prescripteurs au Conseil de sécurité, coûtent moins cher qu'un déploiement équivalent de soldats français !
Mais, comme je l'ai indiqué, nous n'avons pas à payer plus que notre juste part du fardeau. Il nous faut, d'une part, maintenir la pression sur les administrations des organisations internationales de sorte qu'elles « tiennent » leur budget, et, d'autre part, trouver des alliés pour les négociations sur les quotes-parts. Ce ne sera pas simple... mais nous y arriverons peut-être à condition d'agir au niveau politique - et pas seulement technique -, et d'agir en amont, avant que le G77 n'ait arrêté sa position. À nous de convaincre certains pays francophones que les grands pays émergents doivent payer davantage ; nos amis britanniques pourraient faire passer le message au sein du Commonwealth...
Enfin, la France devra veiller à la renégociation de la rémunération des personnels des organisations coordonnées. Pourquoi le traitement des fonctionnaires de certaines organisations internationales serait-il indexé sur l'inflation ?
La concentration de nos contributions volontaires sur deux fonds traduit un vrai choix. Du reste, le Fonds mondial fait preuve d'une grande rigueur et d'une réelle transparence. Néanmoins, au vu de ses conséquences en termes d'influence de notre pays dans le monde, ce choix gagnerait à être débattu devant le Parlement, comme l'a d'ailleurs suggéré notre collègue Yvon Collin, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement ». Un tel débat devrait être préparé avec soin pour éviter tout clientélisme. Nous pourrions nous inspirer de l'exemple britannique : à l'issue d'un contrôle de plus d'un an, le ministère britannique du développement vient de rendre public un rapport sur l'efficacité des sommes engagées dans les diverses organisations internationales, et a proposé à la Chambre des communes, selon les cas, d'augmenter, de stabiliser, de diminuer, voire de supprimer ces lignes budgétaires.
Enfin, en matière de contrôle, il faudrait promouvoir la candidature de la Cour des comptes auprès d'organisations internationales, ainsi que celle d'autres Cours qui s'attachent à l'optimisation de la gestion. L'allongement du mandat des auditeurs externes à six ans renforcerait le poids des contrôleurs. De manière générale, il faut faire pression sur les organisations internationales pour que les recommandations des contrôleurs soient suivies d'effets.
L'implication du Parlement national apporte une véritable valeur ajoutée, en confortant le Gouvernement dans son message de rigueur : celui-ci peut faire valoir qu'il subit la pression de son Parlement ! Nous devons nous approprier ces sujets.
M. Joël Bourdin, vice-président. - Merci pour ce rapport fort détaillé.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Je félicite et remercie Adrien Gouteyron, dont la largeur de vue honore notre commission.
Peut-on dire que les priorités politiques de la France et les contributions versées aux organisations internationales ainsi que leur contrôle sont en totale cohérence ? Faisons-nous de nos contributions un levier pour défendre nos positions ?
Dans le contexte actuel, je me félicite que les organisations internationales se plient à une plus grande rigueur de gestion. Nos représentations permanentes auprès de ces organisations internationales ont-elle le même souci de rigueur que les postes diplomatiques classiques ?
M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial. - Difficile de répondre à votre première question. Il me semble que, plus nous sommes rigoureux et présents dans le contrôle de gestion, plus notre influence peut être grande, d'autant que cette préoccupation est largement partagée.
Le multilatéralisme, qui « mange » l'essentiel des crédits du programme 105, a ses avantages. Mais, du fait de l'importance des contributions obligatoires et du choix fait en faveur de deux fonds, nos contributions volontaires sont très faibles dans la plupart des organisations, ce qui nous prive de leviers d'action, comme on me l'a souligné à maintes reprises, notamment à l'OMS. Le questionnement sur l'affectation des moyens doit être permanent.
La nature de mon contrôle, qui portait sur nos contributions elles-mêmes, ne me permet pas de répondre sur la gestion de nos représentations permanentes. J'ai toutefois pu mesurer la qualité et l'implication des fonctionnaires de notre représentation auprès de l'ONU engagés dans la négociation budgétaire.
M. Yvon Collin. - À mon tour de féliciter Adrien Gouteyron pour son excellent rapport, sur un sujet touffu et difficile. Il met le doigt sur la nécessité de renforcer le contrôle. La France, qui a un savoir-faire en la matière, doit exiger une meilleure traçabilité des aides.
Il me paraît naturel que chaque État contribue à la hauteur de ses moyens. À la France d'agir pour que l'équilibre soit rétabli. Enfin, en matière de développement, si le multilatéralisme a des vertus, l'aide bilatérale fait sans doute mieux apparaître l'implication de la France.
M. Denis Badré. - J'ai écouté avec passion le rapporteur spécial. Travaillant actuellement à un rapport sur le Conseil de l'Europe, j'ai rencontré les mêmes satisfactions et les mêmes questions que lui.
Une observation : il est structurellement difficile de budgéter les OMP, comme les opérations extérieures (Opex) au plan national, qui sont par nature imprévisibles.
Il est difficile de faire la synthèse de la mouvance du multilatéralisme et de la faire appréhender par le Quai d'Orsay. Il faut pourchasser les doubles emplois : il est absurde de financer les mêmes réflexions, les mêmes opérations, à travers l'UEO, l'OTAN et l'OSCE !
Le ministère des affaires étrangères ne propose pas d'interlocuteur unique sur le Conseil de l'Europe : j'ai été renvoyé soit à la direction des droits de l'homme, soit aux Affaires européennes. Le Quai d'Orsay a du mal à faire la synthèse, ce qui peut expliquer le manque de cohérence dans les décisions...
Votre rapport cite le Conseil de l'Europe parmi les organisations intergouvernementales, mais celui-ci ne figure pas dans le tableau des financements que montrait une de vos diapositives. Est-ce une omission, ou la traduction des documents budgétaires du Quai d'Orsay ? Vous disiez pourtant que la dotation du Conseil était largement entamée par les crédits nécessaires à la Cour européenne des droits de l'homme...
Il faut une unicité de l'autorité française. Les experts français dans les organisations internationales n'ont pas d'instructions, et ne rendent pas de comptes ; les représentations permanentes en ignorent parfois la présence ! Il faut « resserrer les boulons » et s'assurer du fait que le message est univoque.
Il faut se servir de ces organisations, les utiliser correctement, à commencer par celles dont le siège est en France.
L'Union européenne n'est pas une organisation intergouvernementale, mais le décideur reste le même, et les dotations à l'Union européenne et au Conseil de l'Europe peuvent faire double emploi : c'est le cas avec la création à Vienne de l'Agence européenne des droits fondamentaux, avec un budget de 20 millions d'euros par an, contre 17 millions d'euros pour l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ! Les autorités françaises étaient contre, afin de préserver les compétences du Conseil de l'Europe. Le manque de cohérence est flagrant. Au Parlement de pousser vers plus de rationalité, de sagesse, de rigueur, et d'efficacité.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial. - Vous allez dans mon sens, et mettez l'accent sur des difficultés particulières. Je ne sais pourquoi le Conseil de l'Europe ne figure pas dans le tableau des financements de ma diapositive... Sans doute est-ce une omission.
M. Denis Badré. - Peut-être est-ce un signe de la difficulté qu'a le Quai d'Orsay à situer certaines organisations !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial. - Je suis d'accord avec vous sur les doublons, le manque de cohérence, la place des experts. L'Union européenne n'entrait pas dans le champ de mon rapport, mais connaît les mêmes problèmes de limites.
M. Denis Badré . - Surtout avec ses agences !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial. - Je suis favorable à ce que nous travaillions ensemble sur ces sujets.
Les OMP, imprévisibles par nature, sont en effet difficiles à budgéter. Quand le Conseil de sécurité prend la décision d'engager une OMP, a-t-il à l'esprit le coût prévisible de l'opération ? Une déclaration du 5 août 2009 du président du Conseil de sécurité va toutefois dans notre sens : il dit souhaiter développer, au sein du Conseil, la sensibilisation aux incidences de ses décisions sur les ressources et l'appui aux missions, et demande qu'une estimation de ces incidences soit communiquée au Conseil. C'est un début.
Yvon Collin a insisté sur la nécessité de mieux contrôler. Il faudra agir ensemble, monsieur le rapporteur spécial.
Je craignais que les organisations internationales se montrent peu réceptives à mes investigations, mais elles se sont montrées compréhensives ; elles apprécient que les parlementaires français s'intéressent à leurs activités. Notre pays a tout intérêt à développer une action parlementaire forte dans cette direction.
Nomination de rapporteurs
Enfin, la commission désigne M. Adrien Gouteyron en qualité de rapporteur sur le projet de loi n° 359 (2010-2011) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas, au titre des Antilles néerlandaises, relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ainsi que sur le projet de loi n° 360 (2010-2011) autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des îles Cook relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale.