- Mardi 8 mars 2011
- Audition de M. Claude Huriet, professeur émérite, rapporteur de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, président d'un groupe de travail des Assises du médicament
- Audition de M. Jean-Philippe Seta, directeur opérationnel des laboratoires Servier
- Audition de M. Eric Abadie, conseiller scientifique auprès du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps)
- Audition de MM. Frédéric Van Roekeghem, directeur général, et Henri Allemand, médecin conseil national, de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam)
- Jeudi 10 mars 2011
Mardi 8 mars 2011
- Présidence de M. François Autain, président -Audition de M. Claude Huriet, professeur émérite, rapporteur de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, président d'un groupe de travail des Assises du médicament
M. François Autain, président. - L'audition étant publique, je dois vous demander, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. Claude Huriet, professeur émérite. - Merci, monsieur le président, de m'avoir convié à cette audition. En ce qui concerne les conflits d'intérêts, je préside le Conseil d'orientation de la Fondation générale de santé qui a pour fonction de promouvoir le sang de cordon dans ses prélèvements et son utilisation. Je n'ai pas d'autre lien de cette nature.
M. François Autain, président. - En tant que rapporteur de la loi de 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire, il vous revenait de nous donner votre sentiment sur les événements intervenus depuis quelques mois et sur leurs conséquences sur l'organisation sanitaire. Je vous donne d'abord la parole pour une intervention liminaire.
M. Claude Huriet. - Je souhaiterais évoquer le point de départ des crises sanitaires et les réponses qu'ont pu apporter le Parlement et, plus précisément le Sénat. En 1986, le Centre national de la transfusion sanguine avait alerté qu'un patient sur deux était atteint du Sida. Est ensuite survenu le drame de la vache folle. C'est dans ce contexte que la commission des affaires sociales a abouti à cette loi de 1998.
Je voudrais suivre le questionnaire que vous m'avez adressé et qui m'a permis de préparer quelques éléments de réponse.
Je souhaiterais notamment apporter quelques précisions sur l'Agence du médicament. La loi du 4 janvier 1993 relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament avait été précédée quelques mois plus tôt d'un projet relatif à l'Agence du médicament et à la régulation des dépenses de médicament prises en charge par les régimes d'assurance maladie. La tentative du gouvernement d'introduire un texte de sécurité sanitaire avait tourné court. Dans l'intitulé de la loi mais aussi dans son contenu, deux missions nous avaient paru peu compatibles entre elles, la sécurité du produit et l'économie. L'amendement du Sénat introduit par la commission des affaires sociales n'avait cependant guère de chance d'être suivi en commission mixte paritaire au regard des équilibres politiques de l'époque. Le président de la commission compétente de l'Assemblée nationale, Jean-Michel Belorgey, a pourtant retenu l'argument du Sénat, et la CMP a ainsi abouti en satisfaisant la demande des Sénateurs. Le gouvernement ayant demandé l'urgence, le texte a toutefois été abandonné puisque le résultat final ne correspondait pas à ses souhaits. En 1993, la loi relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament a réintroduit ces éléments.
L'Agence du médicament a entraîné la disparition de la Direction de la pharmacie et du médicament. C'est particulièrement rare. Les inquiétudes avaient ainsi été fortes au sein des administrations centrales, et la suite du travail en a été quelque peu influencée.
Je conteste la notion de récurrence des crises sanitaires que vous évoquez. L'opinion a été secouée par les crises de la transfusion sanguine ou de la vache folle. Toutefois, parler de « crise sanitaire » chaque fois qu'il y a des conséquences négatives de médicaments ou de produits apparentés me paraît impropre. Ce sont des incidents regrettables. Le terme de crise a quant à lui une connotation médiatique à l'origine d'une grande angoisse chez nos concitoyens ainsi que d'une perte de confiance envers le législateur et les institutions de la République.
M. François Autain, président. - Contestez-vous l'appellation de crise concernant le Mediator ?
M. Claude Huriet. - Je crois qu'il est trop tôt pour se prononcer. Il ne suffit pas de dénoncer les dangers d'un médicament pour affirmer que toutes les victimes se sont présentées à bon escient. Les chiffres méritent d'être soumis à une analyse contradictoire.
S'agissant des dysfonctionnements au sein de l'Afssaps pointés par le rapport de l'Igas, vous connaissez les liens affectifs que j'ai pu avoir avec cette agence et l'InVS. Pour analyser les dysfonctionnements d'une institution comme l'Afssaps, le rapport de l'Igas a été rédigé dans des délais extrêmement brefs. Il aurait fallu s'appuyer sur des faits et non sur une analyse globale entraînant du reste des conséquences non seulement au sein de l'Agence mais aussi au sein de la population. Il faut être très attentif à ne pas casser la confiance des citoyens dans des institutions qui sont censées les défendre, sans pour autant affirmer que cette confiance doit être aveugle. Il y a également une perte de confiance dans le médicament. Même s'il est important de remettre en cause une consommation française parfois excessive, la marche ne doit pas être franchie trop vite. S'il y a eu des dysfonctionnements, il appartiendra aux différentes instances de se prononcer sur leur nature et les remèdes à apporter.
Concernant les conflits d'intérêts, c'est seulement parce qu'il y a expertise que les décisions peuvent apparaître comme suspectes. L'expertise fait heureusement l'objet d'un renouveau de discussions et de débats. La question majeure n'est, à mon sens, pas tant les conflits d'intérêts que les problèmes posés par l'expertise. L'expertise revêt un caractère nécessaire mais exige des conditions de mise en oeuvre très particulières quand il s'agit d'innovations. L'innovation thérapeutique nécessite en effet de se hâter tout en restant prudent pour s'assurer que les bénéfices sont supérieurs aux risques. C'est à travers l'innovation et son expertise que nous devons réfléchir aux conflits d'intérêts. En matière d'innovation, les personnes disposant des connaissances, de la réflexion et des moyens de porter une appréciation hors de tout conflit d'intérêts sont très peu nombreuses. Les experts ont en effet pu être approchés par des firmes pharmaceutiques. Pour autant, faut-il les écarter ? Et dans ce cas, par qui les remplacer ? Jean-François Mattei souligne « qu'il n'y a pas d'expert naïf ». Une expertise ne vaut que si elle est contradictoire, qu'elle tient compte d'avis d'experts qui peuvent être contradictoires mais proviennent tous de personnes ayant les connaissances suffisantes pour savoir ce dont elles parlent. Le caractère contradictoire, la publicité et, éventuellement, la collégialité sont des éléments extrêmement importants. Peu après le vote de la loi de 1998, Mme Veil, alors ministre de la santé, avait introduit un amendement autorisant le ministre à faire un recours hiérarchique contre une décision d'une Agence, autorité administrative indépendante. Je suis intervenu au nom de la commission des affaires sociales pour m'opposer à cet amendement. Voter un tel amendement revenant, en effet, à considérer que l'expert saisi en application du recours hiérarchique pourrait émettre un avis différent de celui des experts de l'Agence. Retenir ce second avis reviendrait à se prononcer pour un changement de gouvernance de l'Agence.
Concernant le quatrième point du questionnaire, j'ai exercé deux mandats à la présidence de l'Oniam (Office national d'indemnisation des accidents médicaux). Le Sénat avait été à l'origine d'une proposition de loi sur la reconnaissance de l'aléa médical (avec une responsabilité sans faute). Cette proposition a été reprise par Bernard Kouchner dans la loi sur le droit des malades de 2002. Je me suis enquis des quelques réponses possibles auprès du directeur actuel de l'Oniam, Dominique Martin.
M. François Autain, président. - Nous l'avons également auditionné.
M. Claude Huriet. - Il envisage quatre possibilités pour répondre à la question posée :
- laisser faire les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI). Ces commissions pourraient toutefois avoir des prises de positions différentes, source d'inégalités ;
- créer un fonds dédié qui serait alimenté et géré par les laboratoires Servier. Ce fonds serait néanmoins sans doute contesté dans le contexte actuel ;
- s'inspirer du modèle des irradiés d'Epinal dans lequel un comité d'indemnisation avait été créé. Ce comité, au financement mixte, public et privé, comptait un seul payeur se retournant contre les responsables. Cette solution peut convenir pour des accidents ou crises sanitaires géographiquement localisés ;
- confier de nouvelles missions à l'Oniam, comme cela a été fait pour le VIH et l'hépatite C. Le comité d'orientation de l'Oniam se réunit en présence des victimes ou de leurs représentants, avec une possibilité de saisine individuelle sans seuil minimal. Est alors constitué un groupe d'experts dans le respect du principe contradictoire. Des dispositions législatives pourraient être prises pour poser un cadre plus large.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - C'est ce que Dominique Martin a effectivement proposé. Une disposition législative plus générale pourrait permettre de saisir l'Oniam en cas de crise, sans se limiter à une liste restreinte de pathologies.
M. Claude Huriet. - Par rapport au Mediator, nous nous retrouvons confrontés à une certaine urgence. Je crois que nous pourrions nous inspirer de ce qui a été fait pour le VIH, l'hépatite C et peut-être l'amiante.
S'agissant des Assises du médicament, les problèmes de gouvernance ont été à l'origine de l'ensemble du travail législatif entrepris par le Sénat. Les crises sanitaires ont entraîné la constitution d'une commission d'enquête, mais aussi de missions d'information avec, à l'époque, le rôle moteur de la commission des affaires sociales. Nous nous sommes interrogés sur la multitude des organismes en charge de la sécurité sanitaire, présentant des statuts variés et dépendant de plusieurs tutelles. Le recensement n'avait d'ailleurs pas pu être exhaustif. Le ministre de l'agriculture avait dénombré plus de cinquante organismes, sans pour autant pouvoir en faire un décompte précis. Le dispositif en place présentait un caractère vertical, avec un certain cloisonnement et un manque de cohérence et de communication. Je ne suis pas certain que la question de la gouvernance soit actuellement parfaitement résolue. C'est dans ce contexte que le groupe 5 des Assises a demandé un état des lieux des institutions en charge de la sécurité sanitaire. Je rappelle qu'un amendement du sénateur Charles Descours avait chargé le gouvernement de compléter le travail du Parlement afin que des structures qui n'avaient pas immédiatement été incluses soient incitées à présenter une certaine cohérence par rapport au dispositif législatif. Ce travail n'a cependant jamais été effectué.
Concernant le fonctionnement du comité d'animation du système d'agences (Casa), le Sénat avait proposé de créer un Conseil national de sécurité sanitaire. Ce Conseil, sous l'autorité du Premier ministre, aurait été chargé de préparer les décisions du Gouvernement en matière de prévention des risques de toute nature et les actions menées dans ce domaine par les différents départements ministériels et, en cas de crise importante, de veiller à la cohérence et à l'exhaustivité des dispositions législatives et réglementaires en matière de veille et de sécurité sanitaire ainsi qu'à l'efficacité de leur mise en oeuvre. Le cadre légal actuel (article L. 796-1 du code de la santé publique) procède d'un amendement de l'Assemblée nationale qui a créé un Comité national de la sécurité sanitaire chargé d'analyser les événements susceptibles de nécessiter la coordination de la politique scientifique de l'Institut de veille sanitaire et des agences françaises de sécurité sanitaire des produits de santé et des aliments sous la présidence du ministre chargé de la santé.
M. François Autain, président. - Nous vérifierons que le Casa et le CNSS ont ou non les mêmes missions.
M. Claude Huriet. - Nous avons voulu, à travers l'interministérialité et l'autorité du Premier ministre, souligner la dimension toute particulière des questions touchant à la sécurité sanitaire des Français.
M. François Autain, président. - Le Casa est un comité qui réunit les différentes agences avec la DGS, alors que le CNSS est un comité interministériel.
M. Claude Huriet. - Le CNSS réunit, sous la présidence du ministre chargé de la santé, les directeurs généraux et les présidents des conseils scientifiques de l'InVS, de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, et de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, une fois par trimestre ou à la demande de l'un d'entre eux.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Nous avons peut-être créé le Casa sans nous apercevoir qu'il y avait le CNSS.
M. Claude Huriet. - Concernant votre question relative à une politique du médicament, je pense que notre pays ne dispose pas d'une véritable politique du médicament. Toutefois, je ne crois pas que ce soit souhaitable. Une politique nécessite en effet de s'intéresser aux besoins non satisfaits de la population, en définissant des objectifs, des priorités et des moyens correspondants. Une politique doit présenter une certaine cohérence. En matière de médicament, je ne pense pas que ce soit possible ni souhaitable. Je prendrai l'exemple de l'Etat de l'Oregon aux Etats-Unis, dont le système de sécurité sanitaire avait été étudié par la commission des affaires sociales. Le budget de la santé de l'Oregon est établi selon les pathologies les plus fréquentes et en fonction des coûts. Les moyens financiers pour satisfaire les principaux objectifs sont additionnés. Une sorte de référendum est organisé pour fixer une limite de dépenses de santé en-dessous de laquelle il ne pourrait y avoir de prise en charge. Cet exemple me semble être la caricature de ce que pourrait être une politique du médicament. Il ne faut pas se gargariser de mots. J'ignore également ce qu'est la « dimension populationnelle ». Les accidents iatrogènes sont, sauf exception, des accidents individuels ou éventuellement des accidents sériels. Adopter, dans l'appréciation d'un médicament, de sa mise sur le marché ou de son suivi, une dimension populationnelle ne me paraît donc pas faire avancer la réflexion.
M. François Autain, président. - Le professeur Dab faisait référence aux études pharmaco-épidémiologiques qui permettent d'identifier des effets indésirables graves en relation avec la prise d'un médicament, sans pour autant établir une relation de cause à effet. Ce sont du reste les résultats auxquels est arrivée l'étude conduite sous la direction de Mme Catherine Hill sur la base de données de l'union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam). Des risques collectifs peuvent ainsi être identifiés grâce aux bases de données dont nous disposons.
M. Claude Huriet. - Chaque fois qu'il y a des difficultés, on cite l'exemple de la Food and Drug Administration (FDA). A cet égard, il faut souligner que pour le Vioxx, les alertes et décisions ont quelque peu tardé. En outre, la FDA n'est pas la seule agence de sécurité sanitaire au niveau mondial. Défendre un système dual pour les produits de santé et les aliments s'appuie sur une méconnaissance de la FDA, de son mode de financement et de son évolution.
Il faut par ailleurs aller plus en amont dans la question de la dimension populationnelle en évoquant la recherche biomédicale et les essais cliniques. En effet, pour faire apparaître avant la mise sur le marché un risque de l'ordre de 1 pour 10 000 ou 50 000, il faut des populations très nombreuses et un délai de suivi très long, ce qui est incompatible avec l'impatience de ceux qui sont en attente d'innovation. Rappelez-vous l'impatience des séropositifs par rapport aux délais trop longs de mise sur le marché de nouvelles molécules.
S'agissant de la réforme du système de pharmacovigilance, je rappellerai que la loi de 1998 était relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire. Il avait en effet été distingué la veille sanitaire de la sécurité sanitaire. L'InVS n'est, de ce point de vue, pas une véritable agence. Il veille mais n'a pas vocation à décider.
M. François Autain, président. - Vous êtes donc opposé à la proposition du rapport du professeur Jean-François Girard consistant à transférer la pharmacovigilance à l'InVS.
M. Claude Huriet. - J'y suis au contraire favorable. La veille doit déclencher des mesures et des actions, encore faut-il que la mission de « veille » soit bien exercée. Jean-François Girard, alors directeur général de la santé, évoquait devant la commission des affaires sociales du Sénat, en 1996 déjà, toute la diversité de la vigilance (pharmacovigilance, bactériovigilance, hémovigilance...). Ces vigilances doivent être regroupées sur une tête de réseau. L'origine d'un incident grave n'est, en effet, pas toujours initialement connue. Par des rapprochements entre des faits disparates, l'InVS peut éclairer les décisions politiques.
M. François Autain, président. - La décision du retrait d'un médicament est aujourd'hui du ressort du directeur général de l'Afssaps au nom du Gouvernement. Dans la configuration que vous préconisez, l'InVS n'agit pas mais transmet le résultat de ses observations au directeur général de l'Afssaps qui prend la décision.
M. Claude Huriet. - Effectivement. Je prendrai l'exemple de la canicule pour laquelle les actions ont été prises avec un certain retard. Les sapeurs-pompiers et les pompes funèbres ont été les premiers à remarquer des éléments inhabituels et à les signaler à la préfecture de police. L'InVS avait par la suite été attaqué. On ne peut pourtant pas reprocher à un observatoire auquel les informations n'ont pas été transmises une insuffisance d'analyses et de propositions.
M. François Autain, président. - J'aurais souhaité revenir sur la question des liens d'intérêts. J'ai toujours beaucoup de difficultés à concevoir qu'un expert puisse conseiller les firmes pharmaceutiques au même titre que les autorités publiques. Il est vrai que les experts peuvent être extrêmement peu nombreux. Toutefois, lorsqu'un rapport leur est présenté par un éminent expert, les membres d'une commission doivent disposer des connaissances de base pour émettre un avis sur un médicament et évaluer la balance bénéfices-risques, quitte à demander, si nécessaire, un autre rapport. Il me paraît possible de se déterminer en disposant de tous les éléments du problème, même sans être spécialiste du médicament concerné.
M. Claude Huriet. - Les situations sont extrêmement diverses. Le rapport bénéfices-risques est effectivement un point tout à fait essentiel à examiner. Les comités de protection des personnes (CPP) sont chargés d'émettre un avis sur la balance bénéfices-risques d'une nouvelle molécule alors qu'ils ne sont pas des comités d'experts.
Je prendrai l'exemple du retrait de la vaccination contre l'hépatite B. Quelques cas de scléroses en plaque étaient apparus chez des patients vaccinés. L'émoi a été important dans un contexte où les médias s'étaient emparés du sujet. Le ministre a alors saisi des experts pour éclairer sa décision et, conformément au principe de précaution, a préféré suspendre la vaccination. Le risque de recrudescence d'hépatites et de tumeurs du foie était pourtant avéré. Ceci témoigne de la diversité des avis d'experts et du rôle très inconfortable du décideur politique.
M. François Autain, président. - Le rapport bénéfices-risques est présumé favorable lorsqu'un médicament est mis sur le marché. Lorsqu'un médicament est retiré, il n'y a pas de présomption : il faut avoir la certitude que le médicament présente un risque. A cet égard, le principe de précaution me paraît fonctionner à rebours, en faveur de l'industrie pharmaceutique et non du patient.
M. Claude Huriet. - L'exemple de l'hépatite B va à l'encontre de ce que vous affirmez.
M. François Autain, président. - Effectivement. Les cas peuvent être divers.
M. Dominique Leclerc. - Vous avez indiqué qu'il n'y avait pas d'expert naïf. Il faudrait peut-être s'interroger sur le mode de fonctionnement des agences. Sur ce point, l'absence de démarche contradictoire me paraît regrettable.
M. Claude Huriet. - Une expertise collégiale et contradictoire est, en effet, indispensable.
M. François Autain, président. - En l'absence d'autres questions dans l'immédiat, nous vous remercions.
M. Claude Huriet. - Je reste à la disposition de madame le rapporteur pour répondre à ses questions. Merci.
Audition de M. Jean-Philippe Seta, directeur opérationnel des laboratoires Servier
M. François Autain, président. - Vous avez souhaité que cette audition se déroule à huis clos. Nous en avons bien pris acte. Je vous propose de commencer par un exposé liminaire.
M. Jean-Philippe Seta, directeur opérationnel des laboratoires Servier. - Je vous épargnerai une longue déclaration liminaire ; le docteur Servier que vous recevrez après-demain en fera certainement une. Je voudrais très sincèrement vous remercier de nous recevoir sur cette grave affaire du Mediator, dont nous mesurons bien l'importance et la sévérité pour les patients. Après trois mois d'un bombardement médiatique extrême, suite à un rapport de l'Igas mené dans des conditions contraires à toutes les règles déontologiques, sans le respect du principe contradictoire, je suis ravi, en tant que médecin, fils et petit-fils de médecins, de pouvoir m'exprimer.
M. François Autain, président. - Je ne crois pas que l'Igas avait la possibilité de vous auditionner.
M. Jean-Philippe Seta. - Je me suis permis de prendre le guide des bonnes pratiques de l'Igas en date de mai 2009 qui précise « Entrent dans la saisine de l'Igas : tous les organismes bénéficiant de concours publics ou d'un organisme de sécurité sociale ou financés par des cotisations sociales. Les concours doivent être interprétés dans un sens large. » Je vous rappelle que le Mediator, pour 80 % de ses prescriptions, était associé à une affection de longue durée (ALD) et à un remboursement à 65 %. 60 % du chiffre d'affaires français du Groupe Servier correspondent du reste à des remboursements des organismes de sécurité sociale. Le rapport précise plus loin : « Ces rapports sont soumis, sauf exception, à une procédure contradictoire, tant la rigueur méthodologique que le respect des droits de la défense veulent que l'on ait entendu les responsables mis en cause. Une interprétation large doit être donnée au principe contradictoire. Le contradictoire doit concerner toutes les parties mises en cause dans un rapport de l'Igas. » Je m'étonne donc que les laboratoires Servier n'aient pas été entendus, quitte à étendre la saisine de la mission de l'Igas.
M. François Autain, président. - Reste à prouver que les laboratoires Servier peuvent être considérés comme un organisme recevant un concours financier des pouvoirs publics.
M. Jean-Philippe Seta. - La sécurité sociale bénéficie, à mon sens, des cotisations sociales. Je ne m'étendrai toutefois pas sur ce débat administratif.
Je suis heureux d'avoir l'occasion de me présenter devant vous avec un sens aigu de la responsabilité de l'entreprise, du médicament mais aussi des individus, moi en premier chef. Je pense avant tout aux patients directement concernés mais aussi à ceux qui prennent le Mediator ou un des soixante-dix-sept médicaments listés. J'ai également une responsabilité à l'égard des 22 000 collaborateurs des laboratoires Servier dans le monde et particulièrement des 5 500 collaborateurs français. Ils doivent continuer à être fiers de travailler dans une industrie de vie et dans un laboratoire qui est une Fondation dans laquelle il n'y a jamais eu ni de stock-options, ni d'actions gratuites, ni de bonus, et qui a toujours voulu travailler pour le bien des patients.
J'ai lu certains comptes rendus d'auditions. Vous avez affirmé, monsieur le président, que les laboratoires pharmaceutiques n'étaient pas des acteurs de santé publique. Nous sommes toutefois des acteurs privés participant à la santé publique. Nous sommes de ce fait assujettis à des règles de déontologie et d'éthique. C'est dans cet esprit de grande responsabilité que je me présente devant vous.
M. François Autain, président. - Je cède la parole à madame le rapporteur.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quand avez-vous été alerté pour la première fois des effets indésirables du Mediator ? Pourquoi ce médicament n'a-t-il pas été mis sur le marché aux Etats-Unis et au Royaume-Uni ? Pourquoi, lorsque le Mediator a été retiré en Espagne et en Italie, n'avoir pas suggéré un retrait sur le sol français et dans les autres pays où il était commercialisé ?
M. Jean-Philippe Seta. - Nous n'avons été véritablement informés qu'à partir de 2008. Si l'on fait une rétro-chronologie précise, on relève une notification datant de février 2003 de l'Agence espagnole pour une valvulopathie qui était considérée comme non attribuable. La prise du médicament n'étant en effet pas clairement établie au moment de la notification de ce cas de valvulopathie. C'est en 2008 que d'autres notifications vont apparaître. Je reviendrai sur le cas marseillais de 1999 ou sur le cas espagnol de 2003.
M. François Autain, président. - Un cas a également été constaté à Clamart en 1999.
M. Jean-Philippe Seta. - Il s'agit d'une hypertension artérielle pulmonaire.
M. François Autain, président. - Entendez-vous dissocier les valvulopathies des hypertensions artérielles ?
M. Jean-Philippe Seta. - Oui. Vis-à-vis de la physiopathologie, nous éprouvons certaines difficultés à comprendre que nous soyons confrontés dans un cas à un phénomène de nature amphétaminique, dans l'autre à un phénomène 5-HT2B. Je souhaiterais d'abord terminer mes explications sur les valvulopathies.
Le cas marseillais de 1999 portait sur une personne qui avait fait un infarctus massif à l'âge de trente-cinq ans. La cause principale de la valvulopathie n'est aujourd'hui plus le rhumatisme articulaire aigu mais la maladie coronarienne. La cause principale des insuffisances mitrales sévères est l'infarctus antérieur étendu. Le cas marseillais n'avait pas été considéré, y compris par la pharmacovigilance française, comme attribuable au médicament. Nous ne l'avions pas dans nos bases de données.
M. François Autain, président. - Nous interrogerons très prochainement le docteur Chiche.
M. Jean-Philippe Seta. - Il vous donnera sa version des choses ; je ne peux que vous donner la mienne. A partir de 2008, des signaux plus importants ont été enregistrés. Je cède la parole au docteur Canet.
Docteur Emmanuel Canet. - S'agissant des valvulopathies, à fin décembre 2008, notre base de données de pharmacovigilance recensait pour les patients n'ayant pris que du Mediator onze cas de valvulopathies et six cas d'hypertensions artérielles pulmonaires primitives. Le rapport de la Commission de pharmacovigilance de 2009 comptabilisait quatre cas retenus en termes d'hypertensions artérielles pulmonaires primitives, c'est-à-dire pour lesquelles il n'y avait pas d'autre étiologie d'identifiée. La conclusion était qu'il n'y avait pas de signal de toxicité cardio-pulmonaire liée au Mediator du type hypertension artérielle primitive. Ce rapport a été publié très peu de temps avant que le produit ne soit suspendu.
M. Jean-Philippe Seta. - En mars 2009, paraît dans l'European Journal of respiratory diseases, un article signé par M. Simonneau et Mme Frachon, dans lequel il est écrit : « En termes d'hypertensions artérielles pulmonaires et de valvulopathies, il n'y a pas de signal significatif sous Mediator ». Nous tenons cet article à la disposition de la commission.
M. François Autain, président. - Le produit est suspendu en novembre 2009.
M. Jean-Philippe Seta. - Oui, une vague de notifications extrêmement importante est en effet intervenue au cours de l'année 2009.
M. François Autain, président. - Contestez-vous ces notifications ?
M. Jean-Philippe Seta. - Pas du tout. Personne dans le groupe Servier ne conteste l'existence d'un signal valvulopathique, c'est-à-dire d'une augmentation du risque relatif sous Mediator. La seule preuve méthodologiquement sérieuse a été apportée par une étude mise en place par le groupe Servier, Regulate, qui est une étude multicentrique internationale en double aveugle contre médicament de référence. Cette étude a montré qu'avant tout traitement, 51 % des diabétiques présentaient déjà une valvulopathie préexistante. Ceci signifie que toute valvulopathie sous Mediator n'est pas nécessairement une valvulopathie liée au Mediator. L'étude précise qu'il y a toutefois une augmentation du risque qui, pour les valvulopathies triviales, est de 3 et pour les valvulopathies organiques de 2,3. Nous ne remettons pas en cause ce point.
Pourquoi cette accélération de l'histoire ? Entre temps sont publiées une étude rétrospective cas-témoins de Mme Frachon - qui est critiquée par de nombreux méthodologistes - et une étude du professeur Tribouilloy à Amiens. En septembre 2009, les résultats de l'étude Regulate sont transmis immédiatement à la Commission nationale de pharmacovigilance par les laboratoires Servier. Une séance est programmée et le retrait est décidé. Nous avions proposé des mesures du type de celles prises pour le Pergolide (ou Celance du laboratoire Lilly) qui a été retiré du marché américain en 2007 pour valvulopathie et ne l'est toujours pas en France. Cet anti-parkinsonien entraîne une augmentation d'incidence de valvulopathies nettement supérieure à celle du Mediator. Ce médicament a fait l'objet de mesures de surveillance accentuée (échographies avant et pendant, suivi, contre-indications absolues chez des patients présentant des antécédents cardiaques). Nous avions proposé le même dispositif pour le Mediator. La Commission de pharmacovigilance a toutefois décidé le retrait du marché, décision que nous n'avons du reste pas contestée.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Que contestez-vous dans la méthodologie de Mme Frachon ? Les autres méthodologistes critiquent-ils cette étude ?
M. Jean-Philippe Seta. - Cette méthodologie est également contestée par les professeurs Acar ou Alpérovitch. Les cas témoins ne sont pas de vrais cas-témoins. Il y a en effet une surreprésentation des « malades Mediator » dans l'ensemble du groupe traité. Le nombre de cas dits inexpliqués est à l'opposé statistiquement des résultats trouvés par l'European Heart Survey, qui est une étude faite sur 5 000 patients en Europe sur les causes de valvulopathies. Selon cette étude, 64 % des valvulopathies sont expliquées par les causes classiques (maladie coronarienne, rhumatisme...). Dans l'étude Frachon, 64 % des cas sont inexpliqués, et presque tous attribués au Mediator.
M. François Autain, président. - Vous avez déposé des brevets dans de nombreux pays en Europe, mais vous n'avez pas demandé d'AMM dans l'ensemble de ces pays. Pourquoi ?
En ce qui concerne l'Espagne, la valvulopathie n'a pas été imputée au Mediator. Pourquoi le Mediator a-t-il alors été retiré ?
M. Jean-Philippe Seta. - Le laboratoire Servier découvre ce médicament en 1976. A cette époque, le laboratoire est extrêmement peu présent à l'international. En 1991, nous ne réalisions encore que moins de 30 % de notre chiffre d'affaires à l'international. En 1976, le Groupe Servier disposait d'un service export. Ce groupe, qui avait été le premier à mettre sur le marché un antidiabétique oral de la classe des insulinosécréteurs, le Glucidoral en 1956, découvre en 1973 le diamicron, molécule qui est la base de l'internationalisation du Groupe. En Belgique, le diamicron est enregistré en 1975. Le laboratoire Servier ne compte alors que quelques visiteurs médicaux et il est donc impossible de développer deux antidiabétiques oraux sur le marché belge. Certains affirment que le repositionnement du benfluorex visait à éviter la compétition. C'est absurde puisque le diamicron a représenté notre premier chiffre d'affaires jusqu'en 1996. Notre intérêt n'était pas de nous autoconcurrencer sur le diabète. Nous obtenons un brevet dans un certain nombre de pays. Nous ne commercialisons le médicament que dans des pays où nous sommes quelque peu présents, comme le Portugal. Si nous sommes le neuvième laboratoire français, nous sommes le troisième groupe pharmaceutique au Portugal depuis une vingtaine d'années. Nous n'avons pas lancé la commercialisation dans un certain nombre de pays car nous n'avions pas les moyens de financer plusieurs réseaux de visiteurs médicaux. C'est pourquoi le diamicron a été notre fer de lance international tandis que le benfluorex a été le parent pauvre. Aux Etats-Unis, le diamicron n'a jamais été enregistré. Le brevet étant rapidement échu, nous n'avons pas trouvé de licencié pour le benfluorex. Nous avons simplement déposé un IND (Investigation on new drugs), une demande pour faire un essai thérapeutique. Cette demande nous a été accordée mais nous ne disposions pas du brevet.
En Belgique, le diamicron est enregistré en 1975. En 1977, la Direction de la pharmacie et du médicament du ministère belge nous envoie une note nous demandant de réaliser des études complémentaires pour le diabète et une étude supplémentaire de toxicologie gros animaux. L'étude toxicologique confirme la sécurité d'emploi du médicament. Nous n'avons pas mis en place d'études complémentaires d'efficacité dans le diabète parce que la Belgique n'était pas pour nous un marché essentiel.
M. François Autain, président. - La Direction de la santé belge était-elle plus rigoureuse que la Direction de la pharmacie française de l'époque ?
M. Jean-Philippe Seta. - Ce serait un raccourci excessif. Sur ce dossier, la Belgique était moins convaincue par les études d'efficacité antidiabétique.
Docteur Emmanuel Canet. - Posent également problème dans l'étude du Docteur Frachon, la qualité des données sources, le PMSI n'étant pas destiné à réaliser ce type d'étude de pharmaco-épidémiologie. L'appariement des cas et des témoins tel que réalisé dans cette étude pose également problème du fait d'une disparité importante sur les co-morbidités qui pouvaient influer sur la survenue ou non d'une valvulopathie. Le troisième point porte sur la qualité des diagnostics, élément souligné par le professeur Acar dont on connaît la réputation dans le domaine du diagnostic des valvulopathies. Il souligne que la distinction origine rhumatismale/non rhumatismale est un raccourci qui ne permet pas d'établir un diagnostic précis de valvulopathie.
M. François Autain, président. - Le professeur Acar est le seul expert qui a récemment rédigé une étude à l'encontre des travaux de Mme Hill.
M. Jean-Philippe Seta. - Je pense que vous voulez parler de Mme le professeur Alpérovitch qui a produit une étude à la demande de la direction générale de la santé qui critique la méthodologie statistique. Monsieur Acar, qui est cardiologue, critique la partie diagnostic et méthodologie clinique. Aujourd'hui, en 2010, la majorité des valvulopathies sont d'origine ischémique (coronarienne). Pourtant, le PMSI ne distingue toujours que les valvulopathies rhumatismales des valvulopathies non rhumatismales. Le PMSI permet ainsi davantage une gestion budgétaire de l'allocation de ressources qu'il n'est un outil de diagnostic médical.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - En dehors du professeur Acar, d'autres méthodologistes ont-ils critiqué l'étude du docteur Frachon à l'étranger ?
Docteur Emmanuel Canet. - A l'étranger, peut-être pas, mais le professeur Alpérovitch l'a également critiqué. Nous avons également consulté des experts reconnus en France sur le plan méthodologique et épidémiologique qui eux-mêmes ont émis un certain nombre de réserves. Les résultats de Mme Frachon aboutissent à une multiplication du risque par 17. Ceci aurait dû conduire à un signal extrêmement précoce, alors qu'un risque relatif inférieur à trois peut conduire à des signaux relativement faibles rendant difficile l'identification d'un risque.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - En 2003, en Espagne, un seul cas est signalé et le médicament est retiré.
M. Jean-Philippe Seta. - Il y a une conjonction malheureuse de dates. En février 2003, un article est publié, qui nous est notifié plus tard. En mars 2003, nous prenons la décision, pour des raisons commerciales, de ne pas continuer la commercialisation du médicament. Nous ne nous demandons pas le renouvellement de l'AMM. Je cède la parole à Patricia Maillère pour vous apporter des précisions sur ce point.
Mme Patricia Maillère. - Le produit a été enregistré en Espagne en 1978. Dès 1989, nous avons arrêté la promotion de ce produit dans ce pays. Nous devions nous prononcer sur le renouvellement de l'AMM en 2003. Les patients traités étaient très peu nombreux. L'objectif était de rationaliser l'activité de l'usine espagnole. C'est ce qui a été expliqué à l'Agence espagnole en mars 2003 en lui proposant un non-renouvellement de l'AMM.
M. Jean-Philippe Seta. - La sunset clause qui est automatique aujourd'hui n'existait pas à l'époque. Les régimes de renouvellement étaient alors quinquennaux. Maintenir une AMM vivante nécessite du temps et des ressources.
M. François Autain, président. - Les préoccupations de santé publique doivent toutefois être prises en compte.
M. Jean-Philippe Seta. - Effectivement, à ce titre, nous maintenons sur le marché européen le Vectarion, alors que nous n'en vendons plus que quelques boîtes par an car dans le domaine de la bronchite chronique et de l'hypoxémie, il n'y a pas d'alternative thérapeutique.
M. François Autain, président. - Ceci signifie-t-il que le Mediator n'était pas absolument vital en termes de bénéfices aux patients ?
M. Jean-Philippe Seta. - Il y a une différence entre un médicament utile et un médicament sans alternative. Je vous rappelle que nous avons proposé de maintenir le Mediator sous des conditions restrictives de prescription. C'est bien que nous sommes convaincus de son utilité thérapeutique, en particulier chez les diabétiques intolérants, résistants ou contre-indiqués à la metformine, ou avec une hypertriglycéridémie. Je rappelle que la metformine peut être utilisée chez tous ceux qui ne sont pas intolérants ou résistants. J'ajoute que la glitazone avait à l'époque une place plus importante au sein des guidelines. En Espagne, Suisse et Italie, des pays dans lesquels le produit n'avait pas commercialement réussi, nous avons donc estimé qu'il existait des alternatives thérapeutiques efficaces au benfluorex.
M. François Autain, président. - Quelle a été la situation en Italie ?
Mme Patricia Maillère. - Le produit a été enregistré en Italie en 1980. Rapidement, il n'a plus été promu par notre filiale italienne. L'Agence italienne a, autour des années 2000, décidé de revoir l'efficacité de tous les produits de plus de dix ans, dans le cadre d'un processus de revalidation particulièrement long. Daflon représentant 30 % du chiffre d'affaires de notre filiale, nous lui avons accordé la priorité et nous avons retiré le Mediator du processus de revalidation.
M. François Autain, président. - Sans revenir sur l'ensemble des pays, nous pourrions peut-être revenir sur le cas du Portugal qui a retiré le Mediator quelque peu avant la France.
M. Jean-Philippe Seta. - Le Portugal a retiré le Mediator au même moment que la France, conformément à l'article 107 (retrait dans l'ensemble des pays européens). Le Mediator a formellement été retiré en décembre 2009 par l'Agence européenne.
Mme Patricia Maillère. - Lorsque l'Agence française a décidé en 2009 de suspendre la commercialisation du Mediator en attente des décisions européennes, j'ai rencontré l'Agence portugaise pour leur expliquer la situation. La procédure de retrait avait, en effet, été extrêmement rapide. Les autorités portugaises ont pris leur décision en parallèle des autorités françaises.
M. François Autain, président. - A partir de 2005, seuls les Français ou presque pouvaient bénéficier des services du Mediator.
M. Jean-Philippe Seta. - Et les Portugais.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - L'étude clinique comparative sur douze mois dont un protocole a été adressé à l'Afssaps en février 2001 a-t-elle été réalisée ? Dans le cas contraire, pour quelles raisons ? Quelle est votre réaction par rapport aux affirmations du rapport de l'Igas concernant la multiplication des demandes d'études par les laboratoires Servier auprès de la Commission d'AMM et de pharmacovigilance ?
M. Jean-Philippe Seta. - Je précise que pas plus au Portugal qu'en France, les prescriptions hors AMM n'ont été importantes.
M. François Autain, président. - La Cnam avance des chiffres de 30 % par la voix du professeur Allemand.
M. Jean-Philippe Seta. - L'Afssaps en 1998 notait que l'évolution des consommations et des prescriptions au cours de ces dernières années ne permettait pas de mettre en évidence un détournement d'usage de ce médicament. Les prescriptions dans ses indications hors AMM (médicament anti-obésité) sont modestes et surtout ont décru au cours de la période (9 % en 1994, 5,1 % en 1997-1998). Ces éléments sont rappelés dans le rapport Igas (paragraphe 568, annexe 3-48).
Le Thalès, organisme indépendant, repris dans un compte rendu de la Commission nationale de pharmacovigilance de mars 2007, indique qu'en 2004-2005, la part des prescriptions de Mediator concernant les patients obèses est de 11,5 % en 2005-2006, elle est de 10,7 %. Thalès indique en novembre 2010, qu'entre mai 2004 et avril 2009, 11,2 % des prescriptions de Mediator par les médecins généralistes ont été réalisés chez des patients obèses ou en surcharge pondérale. Dans le rapport d'information de Mme Catherine Lemorton de l'Assemblée nationale du 30 avril 2008, vos collègues députés ont noté que 15 % à 20 % du total des prescriptions de l'ensemble des médicaments en France sont réalisés hors AMM.
M. François Autain, président. - Les chiffres divergent. A certains endroits, ces prescriptions seraient de 50 %.
M. Jean-Philippe Seta. - L'Urcam de Bourgogne avance même le chiffre de 70 %. Dans quelques arrondissements de Paris, des déviations d'usage ont peut-être pu être constatées en lien avec des médecins « régimologues ». Quand on parle du hors AMM, il ne faut pas confondre le hors « remboursement » et le hors « bonne médecine ». Ce n'est peut-être pas de la mauvaise médecine de prescrire à une personne qui présente une obésité androïde avec un syndrome métabolique (hypertension artérielle, triglycérides et cholestérol à la limite) du Glucophage pour prévenir l'apparition d'un diabète et, en son temps, du Mediator ou aujourd'hui une glitazone. Il ne s'agit pas de prescriptions cosmétiques.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quid des études comparatives et des demandes d'études ?
Mme Patricia Maillère. - Vous voulez sans doute parler de l'étude vs. Acarbose dont nous avions envoyé le protocole en février 2001 aux agences française et italienne. Ceci répondait à une demande correspondant à des critères d'efficacité et de sécurité d'emploi, avec un suivi échocardiographique. Cette étude a été impossible à réaliser.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Par qui le protocole avait-il été défini ?
Mme Patricia Maillère. - Le protocole avait été défini en fonction des demandes de l'Italie et de la France. Il s'agit d'une proposition Servier.
Nous nous sommes aperçus que nous ne pouvions pas réaliser les deux études à la fois du fait de problèmes de disponibilité en matière de patients tels que définis dans les protocoles du fait de difficultés pour disposer de centres échocardiographiques. Nous avons lancé l'étude Moulin 1 vs. placebo qui était une étude d'efficacité. Nous avons réalisé cette étude en 2001-2004. En 2004, nous avons repris le travail pour mettre en place l'étude avec le suivi échocardiographique. Le protocole alors mis en place a permis une évaluation échocardiographique de bien meilleure qualité que celle qui était prévue initialement. L'étude a été réalisée.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Concernant la publication des résultats scientifiques et la communication sur le Mediator, l'Afssaps a interdit une publicité sur le Mediator le présentant comme un traitement de premier rang contre le diabète et non comme un adjuvant. En 2010, la Commission européenne a publié un communiqué dans lequel elle déclare disposer des preuves selon lesquelles Servier a fourni des renseignements inexacts. En 2011, le professeur Bernard Iung a également accusé les laboratoires Servier d'avoir dénaturé la présentation de son étude 2009.
M. Jean-Philippe Seta. - Nous réagissons à l'ensemble des mises en cause du rapport de l'Igas. Depuis le 15 novembre, je travaille beaucoup et je me demande si je n'ai pas failli ou si quelqu'un aurait pu faire mieux. Nous pouvons avoir des nuances et engager des discussions sur les rapports Frachon ou l'étude Tribouilloy, mais nous ne remettons pas en cause leurs résultats. Nous remettons en revanche fondamentalement en cause le rapport de l'Igas. Est-il logique qu'un inspecteur général de l'Igas qui vient de travailler pendant deux ans dans une agence au service de l'ensemble des firmes multinationales anglo-saxonnes soit chargé de ce rapport ? Le chef de mission, M. Aquilino Morelle a en effet travaillé pendant deux ans au sein de l'agence EuroRSCG Life dont les clients étaient les grandes multinationales anglo-saxonnes qui souhaitent notre disparition.
M. François Autain, président. - Y a-t-il d'autres conflits d'intérêts de ce type ?
M. Jean-Philippe Seta. - Non, les dénonciations anonymes à des journalistes me paraissent du reste tout à fait choquantes.
C'est la première fois que je vois dans un rapport de l'Igas des termes tels que « enfumage » ou « rouler dans la farine ». Est-ce le langage d'un rapport administratif ?
M. François Autain, président. - Ces propos entre guillemets sont prêtés à des anonymes.
M. Jean-Philippe Seta. - Vous l'avez dit. Il est regrettable que ces propos ne soient pas sourcés.
A ma connaissance, aucun salarié honoré ou contractuel de Servier n'a jamais exercé de pression sur quiconque. C'est contraire à notre code d'éthique.
M. François Autain, président. - M. Abenhaïm a parlé de « cercueil ».
M. Jean-Philippe Seta. - Je crois que M. Abenhaïm a précisé que ce n'était arrivé que sur le territoire américain. Or, le Groupe Servier n'est pas présent aux Etats-Unis, même si on peut toujours penser que tout reste possible.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Par rapport aux conflits d'intérêts, y a-t-il des appétits financiers ou économiques pour que Servier parte dans d'autres mains ?
M. Jean-Philippe Seta. - Je rappelle que ce médicament a été retiré du marché français en novembre 2009. Un an plus tard, une campagne médiatique se déchaîne. Une conférence de presse est prévue le 16 novembre, avec des fuites à la presse la veille. La France est le cinquième marché mondial de la pharmacie. Pour l'ensemble des groupes anglo-saxons, c'est leur deuxième filiale dans le monde. Pourquoi l'Allemagne et le Japon ont-ils mieux protégé leur marché ? Le Groupe Servier, qui n'est que le vingt-deuxième groupe pharmaceutique dans le monde, réussit particulièrement bien sur les marchés émergents, avec une deuxième position mondiale sur l'ensemble des pays de l'ex-bloc de l'Est. Nous connaissons une croissance forte au Brésil, en Russie, en Chine ou en Inde. Avec la réforme Obama, depuis que le marché américain est passé de 51 % à 41 % du marché mondial, les laboratoires Servier dérangent davantage. Sans éluder notre responsabilité, considérer cette affaire comme la plus grande affaire mondiale de pharmacovigilance est certainement excessif. J'ai du mal à penser que ce ne soit qu'une coïncidence. Je n'ai évidemment aucune preuve. Je n'ai qu'un faisceau d'indices et qu'une intime conviction.
M. François Autain, président. - Il ne faut peut-être pas sombrer, ni d'un côté ni de l'autre, dans la théorie du complot.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pouvez-vous nous parler de la place des laboratoires dans la formation initiale et continue des médecins ? Est-elle excessive ?
M. Jean-Philippe Seta. - La place des laboratoires me paraît extrêmement limitée dans la formation initiale. A part les préparations privées au concours d'internat, je ne vois pas d'autre élément de participation à la formation initiale des médecins.
La formation continue constitue un problème plus vaste. Le doyen Even a noté qu'il n'y avait pas suffisamment de formation initiale à la pharmacologie dans les études de médecine. Il n'a pourtant pas augmenté le nombre d'heures de formation lorsqu'il était doyen à la faculté de Necker. Les doyens ont pourtant la possibilité d'agir sur le programme pédagogique bien davantage que les laboratoires pharmaceutiques. L'industrie participe aujourd'hui sans doute trop au financement de la formation médicale continue. Il faut, sur ce point, prévoir des alternatives. Il faut des fonds et des ressources. La France a encore des médecins exceptionnels. Je regrette d'ailleurs que la confiance s'effrite. Les médecins français font de la formation soit sur leurs temps de loisirs, soit sur leur temps familial, en perdant des revenus, car ils ne sont généralement pas rémunérés.
M. François Autain, président. - L'assurance maladie les rémunère.
M. Jean-Philippe Seta. - Il faudrait alors augmenter la part de l'assurance maladie dans la formation. Pour une bonne médecine coût-efficacité, nos médecins doivent être chaque jour mieux formés. Diminuer la part de l'industrie dans la formation médicale continue devra s'accompagner de la création d'alternatives de droit public, qu'il s'agisse des régions, des départements ou des caisses nationales et régionales d'assurance maladie. Lorsque nous avons terminé nos études, un tiers des connaissances se renouvelait tous les dix ans. Aujourd'hui, 50 % des connaissances d'un médecin se renouvellent en trois ans. En absence de formation continue, on aboutit à de la mauvaise médecine en cinq ou six ans, pas plus. La formation médicale continue est un coût pour les laboratoires pharmaceutiques. Ils seraient sans doute ravis que la loi les en exonère.
M. Gilbert Barbier. - En 1976, lorsque ce produit a été mis sur le marché, à partir de quel moment avez-vous noté ses effets amphétaminiques et anorexigènes ? Vous avez évoqué la responsabilité des médecins prescripteurs dans le mésusage en citant quelques localisations géographiques. Avez-vous des statistiques à nous donner sur des médecins qui pourraient concentrer une part importante de prescriptions ? Comment expliquer l'ASMR qui situait ce produit comme un adjuvant des hypertriglycéridémies ?
M. Jean-Philippe Seta. - C'est une question centrale. Le Mediator est un médicament qui possède en commun avec l'amphétamine le noyau 2 phényléthylamine, comme l'adrénaline, la dopamine, la dobutamine, le salbutamol anti-asthmatique ou encore le méthylphénidate (Ritaline). Le poids moléculaire est de 351,4 pour le benfluorex contre 135,2 pour l'amphétamine, soit 2,6 fois plus. La différence s'explique par les trois molécules de fluor. L'amphétamine a pour formule C9H13N, le benfluorex C19H20F3NO2. Le nombre de molécules est 2,6 fois plus important. La théophylline (antiasthmatique) a exactement la même formule que la théobromine qui est le composant du chocolat avec seulement une isomérie de position sur un radical méthyl. Certains sulfamides, avec des formules deux fois plus proches que le benfluorex et l'amphétamine, sont antibactériens ; d'autres hypoglycémiants ; d'autres encore diurétiques. L'effet secondaire principal des sulfamides diurétiques est l'augmentation de la glycémie. Avec la même formule, un sulfamide diminuera la glycémie ; un autre l'augmentera. L'idée de l'analogie structurale me paraît donc à exclure, d'autant plus avec une différence de 2,6 fois en terme de poids moléculaire.
La fenfluramine stricto sensu est-elle anorexigène ? Le poids moléculaire du benfluorex en diffère de 70 %. Dans le cas de la fenfluramine, contrairement à ce qu'affirme le rapport de l'Igas, ce n'est pas la norfenfluramine seule qui est efficace. Le principe actif inchangé représente la majorité du circulant ; la norfenfluramine en représente 40 %. Une pro-drug est un médicament dans lequel le principe actif inchangé est inactif et seul le métabolite est actif. C'est le cas des inhibiteurs de l'enzyme de conversion. Ce n'est pas le cas des fenfluramines ni du benfluorex. Le bilan métabolique du benfluorex fait apparaître seulement 7 % de norfenfluramine. Le benfluorex inchangé est actif au niveau du foie. Le métabolite principal 1575 est actif au niveau du foie. Le métabolite secondaire 422 est actif. La norfenfluramine ne représente que 7 % du bilan métabolique du produit. La fenfluramine et la dexfenfluramine sont des anorexigènes, c'est-à-dire que ce sont des médicaments qui font perdre du poids en diminuant la prise alimentaire, ce qui n'est pas le cas du benfluorex.
M. François Autain, président. - Bien qu'ils n'aient pas d'élément clé en « orex ».
M. Jean-Philippe Seta. - A part l'aminorex, je crois qu'il n'y avait pas d'autres anorexigènes présentant « orex » dans sa DCI, jusqu'en 1997, date où ils ont été retirés du marché.
Un médicament de la perte de poids peut diminuer la prise alimentaire (amphétaminiques, amphétamine et fenfluramine). Aux doses thérapeutiques utilisées chez l'homme (450 mg par jour), le benfluorex ne fait perdre que très peu de poids. Au bout d'un an, dans des études contrôlées contre placebo, la perte est en effet de 1,6 kg.
M. François Autain, président. - A cette dose-là, on retrouve dans le sang la même dose de norfenfluramine que lorsque l'on administre des fenfluramines. On peut donc considérer que le benfluorex est un anorexigène.
M. Jean-Philippe Seta. - Le médicament ne peut être réduit à ces 7 %.
M. Gilbert Barbier. - Vous avez dû vous rendre compte que ce médicament était utilisé en tant qu'anorexigène depuis 1976.
M. François Autain, président. - Pourquoi ce médicament a-t-il été utilisé comme coupe-faim alors que ce n'était pas un anorexigène ?
M. Jean-Philippe Seta. - Savez-vous quel est le pourcentage des prescriptions de metformine dans l'obésité ?
Lorsque l'ensemble des anorexigènes ont été retirés du marché, l'Afssaps a bien noté qu'il n'y avait pas eu d'augmentation des prescriptions hors AMM.
Mme Marie-Christine Blandin. - Lors du retrait des anorexigènes au motif des risques engendrés par la norfenfluramine, votre Laboratoire ne s'interroge-t-il pas sur ces 7 % ? Dans les autres produits retirés, Pondéral et Isoméride, quel était le pourcentage ? Avez-vous par ailleurs l'assurance du message passé par vos visiteurs médicaux ?
M. Jean-Philippe Seta. - Le retrait est intervenu en septembre 1997. Il n'est pas réalisé pour la norfenfluramine à l'époque. Il s'explique par des cas de valvulopathies aux Etats-Unis. Il n'y en a alors pas en Europe. Nous croyons à l'époque que c'est parce qu'aux Etats-Unis un amphétaminique, la phentermine, est souvent associé. Cette association montre d'ailleurs bien que les fenfluramines ne sont pas des amphétaminiques. La première publication date de 2000, la seconde de 2004. La certitude est seulement acquise en 2008 que les médicaments qui donnent des valvulopathies ne sont pas seulement la fenfluramine, le benfluorex, mais aussi le pergolide, le méthysergide, l'ergotamine. C'est parce qu'ils agissent sur le récepteur sérotoninergique 5-HT2B. En 1976, on ne savait pas que ce récepteur existait.
Quant à nos visiteurs médicaux, je suis certain des directives données. Je tiens à la disposition de la commission les copies des directives données à partir de 1997. Nous avons écrit tous les quatre mois à nos visiteurs pour leur rappeler le cadre strict des indications. Je tiens à votre disposition tous les courriers que nous avons envoyés aux médecins. Nous avons toujours insisté sur le fait que le Mediator n'était pas un médicament de la perte de poids et qu'il n'était d'ailleurs que très peu efficace à cet effet. Nous avons écrit que ses indications étaient strictement validées par l'AMM.
Mme Janine Rozier. - Les laboratoires Servier sont implantés dans le Loiret. Chez nous, l'aura de Servier est indéniable et je souhaite en témoigner. Le souci de faire partager les découvertes, et notamment tout récemment en matière de médicaments ciblés, est saisissant et reconnu. Les habitants saluent l'honnêteté et le charisme de M. Servier et de ses collaborateurs. Pour ma part, je ne veux pas croire à une défaillance quelconque de leur part, et encore moins à une malhonnêteté. Par la voix de Mme Vincent, Servier a fait savoir qu'il ferait face à ses responsabilités si quoi que ce soit était prouvé.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Vous avez plaidé avec talent et brio. Néanmoins, vous affirmez qu'il n'y a que moins de 10 % de ce médicament qui a été utilisé en dehors des prescriptions AMM. Des médecins qui soignaient le diabète en toute bonne foi ont pourtant prescrit le Mediator comme coupe-faim pour des patients obèses. C'est donc bien qu'il a été indiqué quelque part, soit par les visiteurs médicaux, soit dans la presse médicale, que le Mediator était un anorexigène. Le pourcentage est nécessairement supérieur.
M. Jean-Philippe Seta. - Je ne le nie pas. J'ai cité les statistiques de l'Afssaps et de Thalès. Dans nos mesures, que nous réalisons avec nos moyens, nous avons estimé aux alentours de 20 % les prescriptions hors du diabète stricto sensu ALD. Il y a une différence entre une prescription de ce médicament pour un très fort surpoids et une prescription de type cosmétique. Lorsqu'un diabétique est très obèse et montre des signes d'insulino-résistance, avec l'association d'une hypertriglycéridémie et un syndrome métabolique, l'idée d'utiliser un médicament de l'insulino-résistance avec un léger effet sur le poids n'est pas à rejeter. L'effet n'est pas anorexigène. La perte de poids sous Mediator est équivalente à la perte de poids sous metformine. C'est par un effet au niveau du foie, du muscle et de l'adipocyte qu'il y a une augmentation de la consommation de glucose et pas par une diminution de la prise alimentaire.
Docteur Emmanuel Canet. - Les deux derniers grands essais cliniques multicentriques randomisés en double aveugle montrent une perte de poids dans une population de diabétiques de 1,6 kg après dix-huit semaines de traitement et de 1,7 kg après douze mois de traitement (étude Regulate). La perte de poids est tout à fait mineure et équivalente à celle des comparateurs, excepté pour les pioglitazones qui font prendre du poids.
M. Gilbert Barbier. - Les laboratoires Servier considèrent qu'il y aurait moins d'une quarantaine de décès imputables au Mediator. Quels sont les critères retenus ? Quel est actuellement le suivi des patients qui ont pris du Mediator il y a quelques années ?
M. Jean-Philippe Seta. - Je ne voudrais pas que l'on donne l'impression d'être dans une comptabilité sordide des chiffres. Tout mort est un mort de trop. Nous ne nions pas l'existence d'un sur-risque sous ce médicament. L'étude Regulate le démontre. Les valvulopathies sont accrues sous Mediator. Or, lorsqu'elles sont sévères, elles amènent à des actes chirurgicaux qui peuvent se compliquer de décès. Après trois mois d'un déferlement médiatique sans précédent, trente-huit morts sont notifiés sous Mediator dans l'ensemble des bases de données mondiales. Certaines ne sont pas attribuables à Mediator. Un patient est mort dans un tableau de choc septique, en réanimation de service de cancérologie, un autre a fait une hémorragie grave à la suite d'un traitement thrombolytique à trop forte dose, un autre a fait une occlusion intestinale. Sur ces trente-huit morts, quatre étaient porteurs d'une valvulopathie. Même si la causalité n'est pas encore démontrée, ces quatre morts font bien partie du tableau « complications cardiaques du médicament ». C'est relativement peu d'autant plus qu'un tel phénomène médiatique a augmenté le nombre de notifications de manière extraordinaire. J'ajoute que le chiffre de trente-huit n'est pas issu de nos calculs mais des bases de données mondiales. C'est ce qui nous choque dans cette polémique. On parle d'extrapolations et de calculs mathématiques sur la base de ratios extrêmement théoriques. Certains ont même dit que l'affaire du Mediator était plus grave que le sang contaminé. L'hormone de croissance a fait 120 décès, c'est-à-dire qu'il y a 120 certificats de décès. A ce jour, sous Mediator, il y a trente-huit certificats de décès dans le monde entier, dont aujourd'hui seulement quatre sont attribuables au médicament.
M. François Autain, président. - Nous sommes dans l'impossibilité de poursuivre, d'autres auditions étant prévues. Nous recevrons toutefois très prochainement le président Servier. Merci Monsieur Seta.
M. Jean-Philippe Seta. - Je souhaiterais vous remercier de nous avoir donné l'occasion de nous exprimer.
Audition de M. Eric Abadie, conseiller scientifique auprès du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps)
M. François Autain, président. - L'audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site internet du Sénat et sur Public Sénat. Il me revient en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de vous demander si vous avez des liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. Eric Abadie, conseiller scientifique auprès du directeur général de l'Afssaps. - Je n'ai pas de tel lien.
M. François Autain, président. - Pouvez-vous nous rappeler le déroulement de votre carrière quelque peu atypique ?
M. Eric Abadie. - Après mon cursus hospitalier universitaire, j'ai travaillé au Syndicat national de l'industrie pharmaceutique où j'ai été une sorte de messager entre la Direction de la pharmacie et du médicament et l'industrie. A ce titre, j'étais ou membre ou expert de l'ensemble des commissions du médicament (l'AMM, la transparence, la pharmacovigilance, les stupéfiants et psychotropes). J'y ai passé huit années, particulièrement riches en contacts et intéressantes au plan scientifique. J'ai ensuite passé quelques mois au sein des laboratoires Wellcom, puis j'ai rejoint l'Agence du médicament qui venait d'être créée en 1994. Le professeur Alexandre m'avait donné la définition de mission suivante : l'Europe, les rapports d'évaluation, l'évaluation interne, c'est-à-dire la formation des jeunes évaluateurs afin de mettre en place une évaluation interne de bon niveau. En 2001, je suis élu vice-président du Comité des médicaments à usage humain (CHMP). En 2007, je suis élu président de ce même Comité et réélu en 2010.
En juin 2007, j'avais demandé à mon directeur général de ne pas exercer de fonctions opérationnelles (en tant que responsable du pré-AMM) si jamais j'étais élu à la Commission d'AMM européenne. Il en avait pris acte et m'avait indiqué qu'il me nommerait dans ce cas conseiller scientifique auprès de lui. C'est donc le poste auquel j'ai été nommé après mon élection. En l'espace de quatre ans, je n'ai toutefois donné aucun conseil à mon directeur général ; il ne me l'a du reste pas demandé. J'ai été quasiment à plein temps sur les dossiers européens.
M. François Autain, président. - En 2002, la DIA (Drug Information Association) vous a distingué.
M. Eric Abadie. - C'est une association d'industriels et de régulateurs. Les principaux régulateurs sont membres du Board of directors. Je n'en fais pas partie, je tiens à le préciser. La DIA organise des congrès. Je me rends d'ailleurs à la fin du mois de mars au Congrès de Genève. La fonction d'un président de CHMP est également de communiquer sur les actions menées. Or, la DIA est un forum permettant de toucher un grand nombre d'acteurs.
M. François Autain, président. - La présence d'une personne chargée de la police de la santé à un forum organisé par l'industrie pharmaceutique pourrait comporter un certain risque de conflit d'intérêts.
Vous avez reçu une distinction de la DIA pour « services exceptionnels » rendus à l'industrie pharmaceutique alors que vous étiez à l'Afssaps depuis huit ans. Ce délai peut interpeller.
M. Eric Abadie. - Toutes les agences ont essentiellement deux fonctions : protéger la santé publique (pharmacovigilance) et faciliter l'innovation en participant à des réunions de concertation avec l'industrie pharmaceutique pour l'aider à développer de nouveaux médicaments. Pour les réelles innovations, les industriels sont en effet confrontés à des choix difficiles s'agissant des populations cibles, de la durée d'études et du nombre de patients au sein de la base de données de sécurité. Toutes les agences sont alors consultées.
M. François Autain, président. - C'est l'inverse qui me paraît critiquable.
M. Eric Abadie. - Les agences ne vont pas voir les industriels pour leur donner des avis scientifiques. Les politiques et les associations sont également présents au forum de la DIA, qui est un véritable forum international. L'objectif est d'améliorer la transparence de nos actions. Nous cherchons à expliquer ce que nous faisons. Outre la DIA, nous participons également à des universités d'été qui sont fréquentées par les ministres. Ne vous méprenez pas, c'est un vrai travail. Nous préparons du reste avec grand soin nos présentations.
M. François Autain, président. - Le Commissaire européen est également présent. Ce n'est pas pour autant que personnellement je me réjouisse d'une telle connexion.
M. Eric Abadie. - Je ne suis pas certain que ce soit le terme approprié. Les personnes discutent entre elles, ce qui me paraît sain.
M. François Autain, président. - Le rapport de l'Igas a souligné que l'Afssaps était structurellement et culturellement en position de conflit d'intérêts. Je m'aperçois que ce constat n'est pas très éloigné de la réalité. Je pense qu'il faudrait peut-être à l'avenir établir une distinction plus franche.
M. Eric Abadie. - Il faudrait que vous nous disiez comment.
M. François Autain, président. - Nous ferons des propositions d'ici quelques mois.
Vous avez la possibilité de faire une présentation liminaire si vous le souhaitez.
M. Eric Abadie. - Je souhaite en priorité répondre à l'ensemble des questions qui vont m'être posées.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Avez-vous eu la possibilité de bénéficier d'une procédure contradictoire dans le cadre du rapport de l'Igas ?
M. Eric Abadie. - Le rapport de l'Igas est un travail analytique extrêmement conséquent, même si je ne partage pas l'ensemble des positions prises. Je crois que mon directeur général s'est ouvert de certains points au directeur de l'Igas. Cela ne portait pas sur des éléments factuels mais plutôt sur des interprétations.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quand et comment avez-vous été informé pour la première fois des effets du Mediator ?
M. Eric Abadie. - Je ne suis pas pharmacologue. Pour moi, ce produit présente une analogie structurale évidente avec les fenfluramines. C'était du reste ce qu'a écrit le Professeur Garattini au CHMP. Le benfluorex est un hypolipémiant qui présente une analogie structurale avec la fenfluramine qui est un anorexigène. Le CHMP est sollicité en octobre 1998 et examine la lettre de du Professeur Garattini. Je crois que nous avons évoqué la possibilité d'inclure le benfluorex dans l'arbitrage fenfluraminique. Nous y avons renoncé car l'indication n'était pas la même et que le produit était présenté comme un hypolipémiant. En outre, il y avait peu ou pas de cas. Le président de l'époque a demandé au groupe pharmacovigilance d'étayer le dossier avant de déclencher la procédure dite de l'« article 12 », c'est-à-dire une saisine officielle du Comité pour des motifs d'intérêts communautaires de pharmacovigilance. Le CHMP n'a malheureusement plus revu le dossier.
Ce groupe pharmacovigilance a une fonction duale. Lorsqu'il s'occupe des problèmes de pharmacovigilance des procédures centralisées, il en réfère formellement au CHMP. Lorsqu'il traite des problèmes de pharmacovigilance des AMM nationales, ce qui était le cas du Mediator, il est un forum informel de discussion entre Etats membres. Soit l'on considère qu'il y a suffisamment de matériel pour saisir le CHMP via l'article 12, soit il est demandé à l'industriel de modifier son résumé des caractéristiques du produit qui figurent dans sa fiche au Vidal. C'est ce qui s'est fait. Le rapporteur italien a proposé deux options : le déclenchement de l'article 12 et l'envoi d'une liste de questions.
En mars 1999, le groupe pharmacovigilance ne voit pas de problème de bénéfices-risques. A la fin de l'année 1999, il décide de « jouer la carte nationale », en posant à Servier une liste de questions. J'ai signé cette lettre davantage en tant que responsable de l'Afssaps qu'en tant que membre français du CHMP. J'ai demandé à la firme de nous fournir des données d'efficacité clinique sur la glycémie sur une période de six à douze mois et des données échocardiographiques. Ce projet a été pris en charge par la pharmacovigilance de l'Afssaps. Servier a fait deux propositions d'études, une étude sur les glycémies et une étude sur les échocardiographies.
Fin 2000, une réunion a été organisée entre Servier et les rapporteurs français et italien qui se sont mis d'accord sur un protocole. Le protocole comprenant deux critères (glycémique et échocardiographique) a été validé par les responsables des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) de Besançon et de Lille en septembre 2001. Cette étude, et notamment l'étude cardiographique, n'a toutefois vu le jour que beaucoup plus tard. Je n'ai pas d'explication sur ce point. Si ce problème avait été référé au niveau du CHMP, je ne sais pas si la décision aurait été différente, mais les délais auraient été toutefois respectés. A l'époque, nous ne donnions pas de délais, ce qui n'est aujourd'hui pas concevable.
M. François Autain, président. - Y a-t-il des sanctions en cas de non-respect des délais ?
M. Eric Abadie. - Oui, sont désormais prévues des pénalités financières, même si elles n'ont pas encore été appliquées. Lorsqu'un laboratoire fournit ses données avec retard, il fournit aujourd'hui systématiquement des explications.
M. François Autain, président. - Vous semblez très bienveillant à l'égard des laboratoires.
M. Eric Abadie. - Je ne le pense pas.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Le rapport de l'Igas relève la place décisive des communautés scientifiques et médicales dans la construction de décisions publiques. Toutes les décisions prises au sein de l'Agence sont préparées par des experts qui rendent leur avis. Or, de très graves défaillances, pour certaines incompréhensibles, ont été relevées par ce rapport. Comment expliquez-vous les failles dans l'expertise scientifique du Mediator ? Comment se fait-il qu'à ce jour deux femmes ont été sanctionnées ? C'était un point que je voulais signaler à l'occasion de la Journée de la femme.
M. Eric Abadie. - Le départ d'Anne Castot et de Carmen Kreft-Jais sera sans nul doute un coup dur pour la pharmacovigilance européenne.
Les défaillances consistent en un manque de réactivité dans les années 2000 au niveau des comités techniques et nationaux de pharmacovigilance. Je ne considère pas que la pharmacovigilance est responsable et que le pré-AMM ne l'est pas. Le système a failli dans son ensemble. Pour autant, le manque de réactivité des instances du post-AMM paraît évident à la lecture du rapport de l'Igas. En tant que responsable jusqu'à 2007 du pré-AMM, je ne peux pas vous en dire beaucoup plus. Je ne participais pas aux comités techniques et aux commissions nationales de pharmacovigilance. En 2005, la Commission nationale demande une réévaluation du rapport bénéfices-risques du Mediator. Il ne se passe rien au niveau de la Commission de l'AMM. En 2007, le même souhait est prononcé par la Commission nationale de pharmacovigilance et la Commission de l'AMM ne va pas dans ce sens. Au regard de ces événements, l'intégration me paraît indispensable, que ce soit au niveau interne ou au niveau européen. La Commission de pharmacovigilance et la Commission de l'AMM n'ont peut-être pas suffisamment dialogué. Je suis partisan de la création d'une seule commission d'évaluation du rapport bénéfices-risques.
M. François Autain, président. - Cela signifie-t-il que vous êtes favorable à l'intégration de la Commission nationale de pharmacovigilance à la Commission AMM ?
M. Eric Abadie. - Je suis surpris qu'en 2007, il y ait eu un tel manque de communication entre les deux commissions.
Mme Marie-Thérèse Hermange, président. - Estimez-vous que l'étude faite par Mme Frachon a été conduite avec des données-sources exemplaires ?
M. Eric Abadie. - Je ne peux pas vous répondre. L'étude de Mme Frachon a servi de catalyseur et de lanceur d'alerte. Mme Frachon a fait remarquablement avec les « moyens du bord ».
M. François Autain, président. - A-t-elle fait ce qu'aurait dû faire l'Afssaps ?
M. Eric Abadie. - Elle a fait ce qu'aurait dû faire l'Afssaps plus tôt. L'étude échocardiographique aurait pu nous montrer une différence dans l'incidence des valvulopathies.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Avez-vous lu les études Frachon ou Alpérovitch ?
M. Eric Abadie. - Non, je suis incapable de juger ces études. Je suis davantage intéressé par l'imputabilité, c'est-à-dire les données médicales.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pensez-vous qu'il soit important de développer une expertise indépendante des laboratoires ?
M. Eric Abadie. - Il est très difficile d'avoir des experts indépendants compétents dans le domaine concerné. En tant que président d'un Comité de fonctionnaires, qui n'ont pas de conflits d'intérêts, j'ai beaucoup de chance. Les experts externes européens ont tous des conflits d'intérêts. J'essaye de les solliciter le moins possible en faisant le travail en interne. Je réserve les groupes d'experts aux cas les plus difficiles. Les experts doivent conseiller mais ne pas se prononcer sur le rapport bénéfices-risques, le CHMP étant décideur sur ce point.
L'expertise externe est une tradition en France. Jusqu'aux années 2000, je faisais l'apologie du système français. Je n'étais pas le seul. Jean-Michel Alexandre et Marcel Legrain étaient également partisans de ce système. J'ai changé d'avis à l'examen des systèmes européens. Les évaluations internes réalisées sont relativement satisfaisantes, surtout pour des médicaments déjà connus. En cas de difficulté, des groupes d'experts externes peuvent toujours être sollicités. Dans ce cas, il faut trouver des experts indépendants, compétents et qui n'ont pas de conflits d'intérêts. J'ai tout récemment reçu deux lettres d'injures d'industriels pour deux molécules différentes. Le premier industriel estimait que mon scientific advisory group (SAG) était peuplé de personnes incompétentes. Le même jour, un autre laboratoire notait qu'un membre d'un SAG avait un conflit d'intérêts avec son compétiteur. Ces situations sont loin d'être faciles.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - L'Etat s'est-il trop désengagé du financement de l'Afssaps ?
M. Eric Abadie. - Les deux plus belles agences européennes, l'agence anglaise et l'agence suédoise, sont entièrement financées par l'industrie pharmaceutique. Le mode de financement joue-t-il ? Il s'agit, à mon sens, d'un impôt payé par les firmes qui n'a rien à voir avec la décision qui sera donnée. Davantage d'évaluateurs compétents et de bon niveau serait positif, et ce, quelle que soit l'origine du financement.
M. Gilbert Barbier. - En octobre 2002, les laboratoires Servier ont demandé une nouvelle étude de la fiche de prescription du Mediator. L'Afssaps a réexaminé le dossier. Cela n'a pourtant pas été l'occasion de rappeler à Servier qu'il devait fournir une étude.
M. Eric Abadie. - Le suivi du projet Mediator a été assuré par la pharmacovigilance. Je ne vois pas pourquoi le pré-AMM aurait doublé la pharmacovigilance. Pour autant, un certain nombre d'effets secondaires (neurologiques, allergiques et cardio-vasculaires) devaient être inclus dans la fiche Vidal.
M. François Autain, président. - Cela n'a jamais figuré dans cette fiche.
M. Eric Abadie. - Dans notre système, les demandes de modifications de l'information (ou DMI) sont gérées par le post-AMM avec les centres régionaux de pharmacovigilance. Le résultat de leurs discussions est soumis en commission d'AMM pour finalisation. Lorsque les modifications sont relativement mineures, il n'y a pas de passage en commission plénière. Dans les années 2000, le groupe d'évaluation interne (GEI) examinait toutes les « petites » modifications de résumés de caractéristiques du produit, notamment les DMI traitées par la pharmacovigilance. Le président de la Commission d'AMM, le professeur Charles Caulin, présidait ce GEI. Lorsqu'il est parti, j'en ai pris la présidence.
En 2003, le groupe pharmacovigilance a été amené par le biais d'un infofax à connaître la suspension de l'autorisation de mise sur le marché à l'initiative de la firme pour une valvulopathie en Espagne.
M. François Autain, président. - La firme indique que cette suspension s'explique par des raisons commerciales.
M. Eric Abadie. - La valvulopathie a « facilité », à mon sens, le retrait pour raisons commerciales. S'est récemment produit la même chose avec le Thelin des laboratoires Pfizer qui a été retiré par le laboratoire lui-même après deux cas d'hépatites graves. Si ce médicament avait eu un marché gigantesque, la firme se serait sans doute battue pour le conserver. La décision espagnole a été prise à la suite d'une publication d'un cas de valvulopathie espagnole et a été suivie par une suspension du Mediator par la firme en Italie. Il est regrettable que l'article 12 n'ait pas pu être déclenché à ce moment-là. Après 2005, il aurait été déclenché de manière automatique.
M. François Autain, président. - Qui est responsable de ce non-déclenchement ?
M. Eric Abadie. - Les Etats membres concernés ont fait preuve de peu de réactivité.
M. François Autain, président. - Ni la France, ni l'Espagne, ni l'Italie n'ont déclenché cet article.
Mme Marie-Christine Blandin. - Quel est le rythme d'actualisation des déclarations d'intérêts ? Les avis sont-ils pris par consensus ou par vote ? Les avis divergents sont-ils consignés et/ou publics ? Les experts ayant un conflit d'intérêts sortent-ils au moment de la délibération ?
M. Eric Abadie. - Je signe une déclaration d'intérêts à l'EMEA tous les ans. Cette obligation est strictement respectée. Je participe au Comité. Il n'y a pas de conflit d'intérêts puisque le Comité est composé de fonctionnaires.
M. François Autain, président. - Le professeur Lechat a fait une déclaration inexacte en omettant de signaler ses liens avec Sanofi au moment où il a été nommé corapporteur d'une mission chargée d'analyser les raisons de la crise des héparines survenue en 2008. Il estimait que c'était la Société française de cardiologie qui le finançait. Le contrôle doit encore, à mon sens, être amélioré.
M. Eric Abadie. - Il s'agit d'un système déclaratif à l'anglo-saxonne.
S'agissant du vote, dans 60 ou 70 % des cas, il y a consensus. Dans environ 30 % des cas, nous procédons à un vote. Les divergences figurent dans le rapport avec le nom des personnes qui les ont exprimées. L'une d'entre elles explique leur position de manière écrite. Chaque divergent signe. Les noms de chacun ne figurent peut-être pas alors dans l'EPAR (European public assessment report) publié sur internet, mais les divergences sont signalées en conclusion.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Avez-vous eu des alertes depuis 2005 sur la base de l'article 12 ? Sur quels types de médicaments ? J'ai en tête le RU 486. Certaines alertes sont-elles tues ?
M. Eric Abadie. - Je ne peux pas l'imaginer. Toute alerte doit faire l'objet d'une saisine du CHMP depuis 2005 en lien avec l'article 107. Avant 2005, il n'y avait que l'obligation d'informer. Depuis, l'arbitrage est systématique.
L'article 31 de la directive 2001/83/CE qui a repris la procédure susmentionnée de l'« article 12 » a été déclenché à plusieurs reprises. Concernant le nimésulide (Nexen), le CHMP se positionnera au mois de mai 2011. Doivent également être signalés le trasylol, l'acide tranexamique dans les saignements post-opératoires cardio-vasculaires, ou encore les antidépresseurs et leur utilisation chez l'enfant.
L'article 31 comme l'article 12 précédemment impose plusieurs rapports d'évaluation et plusieurs explications orales. Une firme a en effet le droit d'être entendue avant l'avis final.
M. François Autain, président. - En l'absence d'autres questions, nous vous remercions.
Audition de MM. Frédéric Van Roekeghem, directeur général, et Henri Allemand, médecin conseil national, de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam)
M. François Autain, président. - L'audition est publique et enregistrée en vue de sa diffusion sur le site internet du Sénat et sur Public Sénat. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'aborder vos liens d'intérêts car je connais par avance la réponse. Vous pouvez faire une intervention liminaire ou si vous le préférez, nous pouvons directement passer aux questions.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Le Mediator a fait l'objet de plusieurs demandes de déremboursement au cours des années 1990 et 2000. La faiblesse des indications de ce médicament aurait pu conduire à s'interroger sur le nombre de prescriptions et sur leurs motifs. Cela a-t-il été le cas ? Vous avez annoncé que la Sécurité sociale ferait valoir ses droits dans les procédures qui seraient intentées par les victimes du Mediator. Où en êtes-vous dans vos démarches et à combien estimez-vous le préjudice financier ? Nous avons, par ailleurs, des chiffres contradictoires sur les prescriptions hors AMM. Pouvez-vous nous fournir vos éléments ?
M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Cnam. - Le rapport de l'Igas est très précis quant à l'analyse des différentes indications et des conditions de l'AMM. Nous avons mené au sein de l'assurance maladie dans les années 1998 un ensemble d'études, pas seulement en Bourgogne, à la suite des publications parues notamment dans le journal Prescrire. A l'époque, il s'agissait avant tout de mesurer le respect des conditions de remboursement et non d'évaluer le rapport bénéfices/risques. Le professeur Allemand avait tiré la sonnette d'alarme face à cette situation en s'interrogeant sur la structure amphétaminique de ce produit, dont il est apparu ultérieurement qu'elle pouvait être un précurseur de la norfenfluramine, composant très anorexigène. Les suspicions ont été portées à la connaissance des pouvoirs publics, y compris du directeur général de la santé de l'époque. Ces éléments n'ont pas été jugés suffisamment convaincants. Au cours des contrôles, les praticiens conseils qui constataient des prescriptions décalées des conditions de remboursement pouvaient déférer les médecins contrôlés devant le Conseil de l'Ordre pour manquement aux règles déontologiques ou de facturation, ce qui a été fait pour un certain nombre de cas. Il n'appartenait pas à l'assurance maladie de prendre des décisions qui ne lui incombaient pas.
S'agissant de l'action en justice, notre analyse s'est, en premier lieu, concentrée sur la situation du droit en matière de recours contre tiers qui est imputable à l'assurance maladie. Il s'avère que ces demandes peuvent se réaliser dans un environnement législatif relativement contraint. Dans le cadre des contentieux, l'assurance maladie peut être appelée à la cause par les juges. Cependant, dans le cas d'accord amiable, la déclaration de l'accord est obligatoire auprès de la Caisse. Si elle n'est pas faite, cette absence de déclaration n'est pas opposable aux victimes et la pénalité financière se limite à 470 euros. J'ai donc demandé au Gouvernement d'examiner la possibilité de réévaluer cette situation.
En deuxième lieu, nous avons également fait l'analyse du préjudice que nous considérons avoir subi, si les révélations de l'Igas s'avèrent fondées, ce qui est notre avis. Nous distinguons trois types de préjudices :
- les soins engagés du fait des conséquences délétères d'un produit de santé ;
- les rappels des patients qui sont en cours ;
- le maintien d'un produit de santé sur une durée beaucoup plus longue si des informations avaient pu être analysées par les pouvoirs publics de manière à changer leur décision.
Ce dernier chef de préjudice est de loin le plus important. Dans le cas du Mediator, il s'agit de 30 millions d'euros de chiffre d'affaires par an. Dans ce contexte, en lien avec les autres régimes d'assurance maladie, nous avons pris la décision de faire valoir ce chef de préjudice sur le fondement de la tromperie aggravée. Nous avons déposé plainte au pénal afin de faire valoir nos droits au civil. Le montant du préjudice à ce titre a été évalué à partir du rapport de l'Igas. Ce rapport a conclu que le produit aurait pu être retiré dès 1999-2000. Le montant du préjudice est ainsi évalué à 226 millions d'euros en euros courants pour le régime général, à 300 millions d'euros pour l'ensemble des régimes, et à 400 millions d'euros tous régimes, y compris complémentaires, confondus. Nous avons déposé plainte sur le chef de la tromperie et accessoirement de l'escroquerie.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Estimez-vous que l'étude du docteur Frachon présente des faiblesses méthodologiques ?
M. Hubert Allemand, médecin conseil national de la Cnam. - Les études de cas-témoins présentent toujours un risque de biais lié à la construction-même de l'étude. Elles peuvent être critiquables et sont souvent critiquées. Les études rétrospectives ne peuvent pas mesurer la hauteur d'un risque de manière précise. En revanche, elles permettent d'attirer l'attention sur un phénomène. De ce fait, l'étude de Mme Frachon qui donne un signal assez fort possible doit être prouvée par d'autres moyens. L'étude réalisée par la Cnam en 2009, publiée dans la revue de référence Pharmacoepidemiology and Drug safety, a été faite selon une autre modalité. C'est une étude exposés/non exposés (personnes qui prennent du benfluorex/personnes qui n'en prennent pas). Pour que les deux groupes se ressemblent, nous n'avons retenu que des patients diabétiques - un million - entre quarante et soixante-neuf ans et « standardisé » les critères de sexe, d'âge et de co-morbidité. Cette étude montre que la population prenant du benfluorex présente quatre fois plus de chirurgies valvulaires et trois fois plus d'hospitalisations. Notre étude est peu évoquée alors qu'elle conforte fortement les indications apportées par les études cas-témoins de Mme Irène Frachon. Je précise que si notre étude ne porte pas sur la mortalité, elle vise à connaitre l'augmentation des valvulopathies chez les diabétiques en cas de prise de benfluorex. La réponse est indiscutable, de toute façon la chirurgie valvulaire occasionne de la mortalité post-opératoire. Des informations issues de nos bases ont été transmises à l'Afssaps qui a demandé à des épidémiologistes d'évaluer la mortalité. L'étude exposés/non exposés témoigne d'effets secondaires très rapides. Cette étude n'a, à ce jour, pas été critiquée. C'est l'une des premières études de ce type portant sur un million de personnes.
M. François Autain, président. - Il est regrettable que votre étude ne soit pas davantage évoquée.
M. Hubert Allemand. - Effectivement. On parle moins de cette étude que des études cas-témoins qui posent problème mais qui sont de bons signaux, confirmés par la suite.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment encadrer les prescriptions hors AMM ? Avez-vous des propositions pour améliorer la pharmacovigilance ?
M. Frédéric Van Roekeghem. - La première question fait l'objet d'une réflexion dans le cadre d'un groupe de travail animé par Hubert Allemand.
Pour répondre à votre deuxième question, doit-on disposer d'une expertise publique indépendante sur la pharmacovigilance, la pharmaco-épidémiologie et le suivi des prescriptions des professionnels de santé ? Nous le pensons. Ce n'est du reste pas l'exploitation des bases de l'assurance maladie qui a permis de lever un certain nombre d'incertitudes sur l'existence d'un lien entre la consommation du Mediator et la valvulopathie et son influence sur la mortalité, mais le rapprochement des bases de l'hôpital (PMSI), de l'assurance maladie et de l'Insee. La France a une organisation unique au monde en matière de données, sous le contrôle de la Cnil. Il est possible de capitaliser intelligemment sur ces données afin d'améliorer la pharmaco-épidémiologie. Il est indispensable que le secteur public qui est responsable de l'AMM et de la sécurité sanitaire (et in fine le politique) réfléchisse à cette « capitalisation » des données entre les agences afin de faire émerger une expertise plus indépendante que celle que nous n'avons pas réussi à mettre en place pour les études d'AMM. C'est un sujet majeur.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment ?
M. Frédéric Van Roekeghem. - Cela fait partie de la réflexion du groupe de travail. Une collaboration intelligente entre l'assurance maladie, l'Afssaps et l'InVS pourrait permettre de définir un certain nombre de règles. Il faut s'interroger tout autant sur la pertinence des questions posées que s'assurer de l'indépendance et de la méthodologie avec laquelle on y répond. La pharmacovigilance et l'exploitation des données cliniques sont un élément indispensable au système, en lien avec la pharmaco-épidémiologie. Les deux doivent travailler de concert dans un environnement sécurisé du point de vue des risques de conflits d'intérêts.
M. François Autain, président. - Les examens et les études post-AMM sont financés par l'industrie pharmaceutique. Or, plus de la moitié de ces études même si certaines ont été prescrites depuis 2004 n'ont toujours pas été réalisées. L'industrie pharmaceutique risque de faire pression pour accéder à ces données. Il est plus difficile de garantir l'indépendance de l'expertise dès lors que l'industrie pharmaceutique a accès à ces données. Comment peut-on y remédier ? Doit-on ouvrir les bases de données à l'industrie pharmaceutique, comme au Royaume-Uni ?
M. Frédéric Van Roekeghem. - Le coût de fonctionnement du Système national d'informations inter-régions d'assurance maladie (Sniiram) est de 70 millions d'euros. L'accès à des données de santé pour des raisons de santé publique est légitime. Indépendamment de cette question, se pose la question de l'intérêt à agir des acteurs. Le secteur public est-il capable d'avoir un avis indépendant puisque c'est lui qui autorise et qui prend la décision de retrait ? Est-ce que l'accès aux données de l'assurance maladie aurait changé la donne dans l'affaire du Mediator ? Je ne le pense pas.
Dans le cadre de la décision d'autoriser des produits de santé en fonction du rapport bénéfices/risques, dès lors que la décision et la responsabilité sont du ressort des pouvoirs publics, comment s'assurer que la prise de responsabilité est la plus éclairée possible ? Nous devons être capables de capitaliser sur les talents qui existent et sur les données déjà disponibles afin de prendre des décisions de manière indépendante.
La question des experts pourrait trouver une solution relativement rapide. Les enjeux économiques sous-jacents sont sans commune mesure avec les coûts de fonctionnement des bases de données ou de remboursement des experts. Un investissement me paraît justifié s'il est bien utilisé. Or, les études d'un professeur universitaire-praticien hospitalier pour le compte du secteur public ne sont pas prises en compte dans le déroulement de sa carrière universitaire.
M. Hubert Allemand. - Il n'y a aucune chance d'attirer des professionnels de haut niveau dans le cadre d'un tel système. Un professeur d'université-praticien hospitalier (PU-PH) devrait pouvoir faire carrière au sein d'une agence en valorisant ses études sur le plan universitaire tout en étant indépendant des industriels.
Il faudra sur ces questions être le plus précis possible. Au Royaume-Uni, est prévu un accès aux données sur un grand échantillon. Néanmoins, l'accès à l'ensemble des données nationales avec la localisation de tous les prescripteurs est de nature quelque peu différente. Notre système national est fondé sur une logique de remboursement de soins. Chaque pays s'est organisé en fonction de son système de soins. Il ne faut pas faire de transposition trop rapide. Ces sujets présentent un vrai enjeu éthique.
M. François Autain, président. - Je ne suis pas sûr que les industriels n'aient pas accès de façon plus ou moins clandestine aux dossiers pharmaceutiques. Ils sont remarquablement bien informés sur les pratiques des médecins. J'en suis personnellement très étonné.
M. Frédéric Van Roekeghem. - La question de l'accès aux données pose aussi celle des règles de déontologie selon lesquelles on les utilise, de la connaissance dont on en tire et de la manière dont on l'exploite. Aujourd'hui, ces règles ne sont pas encore clairement définies. Il nous paraît nécessaire de les préciser.
Nous ne pouvons pas justifier des décisions de régulation en amont par des demandes d'études en aval. Récemment nous avons eu à décider de l'opportunité d'inscrire un produit de santé sur la liste en sus de ceux qui avaient reçu un ASMR provisoire dans l'attente de disposer d'études complémentaires. Il y a eu un refus et c'est parfois, c'est difficile de dire non. Les autorités publiques doivent disposer d'experts indépendants à leurs côtés, même si les industries pharmaceutiques peuvent mener des études tout à fait utiles.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Les contrats de bonnes pratiques seraient-ils de nature à limiter les prescriptions hors AMM ?
M. Hubert Allemand. - Les réflexions sur ce sujet sont nombreuses. L'AMM traite de la question de l'entrée sur le marché d'un médicament entre l'Afssaps et les industriels du médicament. Aujourd'hui, d'autres agences, et surtout la HAS, émettent des recommandations qui sont fonction des données acquises de la science, sans s'occuper de la question de l'AMM. Ces recommandations hors AMM d'une autorité de santé fondent aujourd'hui l'art médical. Le rapport bénéfices-risques de chacune de ces recommandations n'est toutefois pas évalué. Il importe d'envisager la question des liens entre la HAS qui fait des recommandations, dont beaucoup hors AMM, et ce qui se passe dans d'autres lieux en amont avec des industries du médicament.
Aujourd'hui, avec le progrès médical, on se situe dans une impasse en l'absence d'évaluation pour chaque pathologie des conséquences en termes de bénéfices/risques. Il me semble qu'on est dépassé aujourd'hui par l'importance des prescriptions hors AMM dont les médecins n'ont même pas conscience et qui sont déconnectées de ce qui se passe en amont entre les agences européennes ou nationales et l'AMM.
M. Frédéric Van Roekeghem. - Pour aborder la question du hors AMM, il faut poser d'abord la question de l'AMM. La science progresse parfois plus vite que les données des agences, notamment dans le cas des maladies rares. Le législateur a ressenti le besoin de mettre en place des dispositifs plus souples dans des cas de bénéfices/risques bien encadrés. Pour de très grandes classes de médicaments, le pourcentage de prescriptions hors AMM est extrêmement élevé. Cela dépend de la manière dont l'AMM a été demandée.
Quel est le regard des agences sur les demandes d'AMM déposées par les laboratoires ? Peuvent-elles demander des études complémentaires ? Quelles sont les sanctions possibles en cas de non-respect ? En fait, très peu.
M. François Autain, président. - Les agences répugnent, d'une manière générale, à sanctionner les laboratoires. Les projets de sanctions ne sont que rarement menés à terme. Nous devrions nous décider à davantage sanctionner les laboratoires, d'autant plus qu'ils disposent de moyens financiers suffisants.
Je ne pensais pas que les différences entre recommandations et AMM étaient d'une aussi grande ampleur. Dans le cas d'une étude de pharmacovigilance, un médicament prescrit dans telle indication présente-t-il davantage de risques quand il est prescrit pour une autre indication ?
M. Hubert Allemand. - Dans le cas d'un même médicament prescrit dans le traitement soit de la polyarthrite rhumatoïde soit de cancers métastasés, l'évaluation du rapport bénéfices/risques est loin d'être semblable. Il y a des seuils différents pour un même médicament.
Le hors AMM ne peut pas être contrôlé. Les médecins, du reste, ne s'y retrouvent pas entre l'AMM et le hors AMM, même pour des médicaments courants. C'est dans le dispositif même de régulation du système de soins, de mise sur le marché et de recommandation qu'il faut trouver la solution.
M. François Autain, président. - Avez-vous des propositions ?
M. Hubert Allemand. - Nous y travaillons.
M. Frédéric Van Roekeghem. - Il faut peser le rapport bénéfices/risques. Pour le Mediator, d'après les études réalisées, ce rapport paraissait faible parce que le bénéfice était faible. Il faut toujours rechercher un équilibre.
M. Gilbert Barbier. - Le préjudice évalué est de 400 millions d'euros. Si demain une transaction est proposée par les laboratoires Servier avec le versement d'une somme quelque peu moindre, quelle serait la réaction de la Caisse ?
Compte tenu de votre étude qui présente un caractère statistique, la preuve médicale à apporter devra être étayée pour chacun des patients. Comment cela devra-t-il se passer ? Servier évalue à une quarantaine le nombre de cas de valvulopathies sous Mediator et reconnaît quatre décès qui pourraient être imputables au médicament. La procédure judiciaire s'annonce longue et difficile. Comment voyez-vous l'évolution de ce dossier ? Qu'en est-il si un patient acceptait un arrangement amiable ?
Il y a actuellement soixante-dix-sept médicaments sous surveillance. Comment la Cnam envisage-t-elle de procéder à une étude de certains de ces médicaments à l'instar de celle qui a été menée pour le Mediator ?
M. François Autain, président. - Avez-vous procédé à des études semblables pour les antidiabétiques Rosiglitazone et Pioglitazone ? Si oui, quels sont les premiers résultats ?
M. Frédéric Van Roekeghem. - Concernant le préjudice, il y a trois chefs de préjudice. Pour les soins délivrés aux victimes, l'imputabilité devra être démontrée devant les tribunaux au cas par cas. C'est la raison pour laquelle nous avons ouvert une seconde voie qui est de poser la question au juge si du point de vue de l'assurance maladie, les informations communiquées par le laboratoire ont été exhaustives et si un certain nombre de ces informations n'avaient pas été cachées, ce qui aurait conduit à différer la décision des pouvoirs publics. Le préjudice représente alors l'ensemble des remboursements des régimes d'assurance maladie pour la période où le médicament n'aurait pas dû être autorisé à l'AMM. Le procureur de la République de Paris vient de désigner des juges d'instruction sur deux chefs de préjudice distincts : tromperie aggravée et homicide involontaire. Le procureur de la République remonterait jusqu'en 1973.
Dès lors qu'il n'y a pas de class action en France, seuls l'assurance maladie ou les pouvoirs publics pouvaient déposer plainte au nom de l'ensemble des assurés. Nous avons jugé qu'il était nécessaire de ne pas rester dans le cadre des contentieux antérieurs. Si on se pose la question des conséquences au sujet de l'Isoméride en France, on constate qu'elles sont inexistantes du point de vue de la collectivité publique. Notre analyse a été la suivante : si la justice ne tranche pas ce sujet, dans les circonstances actuelles et compte tenu de la législation, il nous semble que le bénéfice est plutôt favorable à un retrait tardif, tout au moins en termes économiques, qu'au risque d'être sanctionné économiquement par rapport à ce retrait tardif.
Nous demandons au juge de trancher et de faire jurisprudence s'il considère l'existence de certains manquements. L'article L. 213-6 du code de la consommation prévoit que les personnes morales reconnues responsables pénalement encourent un certain nombre d'amendes. Le code de la santé publique souligne que les laboratoires restent responsables des produits qu'ils mettent sur le marché. La qualité essentielle du produit a-t-elle été clairement indiquée aux pouvoirs publics ? Il s'avère, à la lecture du rapport de l'Igas, que le caractère anorexigène a été nié par le laboratoire. Il appartient au juge d'en décider. Nous demandons au juge d'établir si nous sommes en face d'un produit dont les caractéristiques essentielles ont été niées et si tel est le cas nous demandons réparation du préjudice du maintien de ce produit pendant un certain nombre d'années.
A ce stade, nous n'envisageons pas de transaction.
M. François Autain, président. - Avez-vous eu des propositions ?
M. Frédéric Van Roekeghem. - Non, nous n'avons pas de contact avec les laboratoires Servier. Il s'agit d'un sujet de jurisprudence. Il me paraît assez sain que la justice se prononce en toute équité et en toute impartialité.
M. Gilbert Barbier. - Quid d'une action du Ministère public ?
M. Frédéric Van Roekeghem. - N'étant pas avocat, je ne me prononcerai pas. Pour ce qui est des chefs de préjudice, nous avons agi en toute indépendance.
M. François Autain, président. - Pouvez-vous apporter une réponse sur les soixante-dix-sept médicaments ?
M. Hubert Allemand. - Les laboratoires présentent des résultats populationnels (essais thérapeutiques) pour obtenir une AMM. Ce sont des études statistiques qui cherchent à démontrer le bénéfice d'un médicament. L'étude de groupe montre un risque de valvulopathie multiplié par quatre par rapport au groupe témoin. Cette étude des pouvoirs publics qui ressemble à celle des industriels ne semble pourtant pas être entendue. Ce n'est, j'en conviens, pas un essai. Les essais présentent, toutefois, une autre faiblesse en sélectionnant les populations de façon assez favorable pour répondre à la question. Dans le cadre de notre étude, nous avons pris l'ensemble de la population. Nous avons recherché à nous mettre dans une situation défavorable. Nous avons placé les personnes qui ont pris une ou deux boîtes de benfluorex en 2006 dans le groupe benfluorex. De plus, parmi le groupe non benfluorex, nombreux avaient pu en prendre avant 2006. Le signal est donc extrêmement puissant même s'il est effectivement d'ordre statistique, comme tous les essais thérapeutiques.
Devant un patient donné, il revient au juge de décider si le médicament est ou non en cause. Symétriquement, les guérisons ne sont pas toutes dues aux médicaments.
Parmi les soixante-dix-sept médicaments, je citerai l'exemple du vaccin contre le risque du cancer du col de l'utérus Gardasil. L'objectif est d'être certain de l'absence de risque, notamment suite aux polémiques autour du vaccin contre l'hépatite B. Pour l'instant, aucun élément n'est relevé sur les bases de données.
Concernant les deux médicaments que vous avez cités, nous sommes en train de recueillir des données sur plusieurs années. L'étude est en cours. Les résultats transmis à l'Afssaps sont extrêmement préliminaires et doivent donc être maniés avec précaution. Pour l'instant, il n'y a pas de signaux spécifiques ni dans un sens ni dans l'autre. Nous devons affiner notre étude via une approche doses/effets. Les études doivent être réalisées dans des conditions très rigoureuses. Pour l'instant, nous ne donnons pas de réponse sur ces produits par rapport à leurs effets secondaires en l'absence d'éléments probants.
M. Gilbert Barbier. - Quid si Mme Frachon n'avait pas fait son étude ?
M. Frédéric Van Roekeghem. - Mmes Irène Frachon et Catherine Hill, de part leur expérience professionnelle, ont été à l'origine d'une sollicitation. Catherine Hill s'est mise dans un environnement relativement indépendant du laboratoire pharmaceutique en utilisant les données de l'assurance maladie. Nous avons répondu à sa demande immédiatement. Ces données ont joué un rôle important.
M. Hubert Allemand. - Avec les moyens du bord, Mme Frachon a essayé de déterminer la responsabilité du benfluorex. Si son étude peut être critiquable, elle a constitué un signal fort avec les éléments cliniques dont elle disposait. Les autorités doivent être attentives à ce type de travail. C'est le principe même de la pharmacovigilance.
M. François Autain, président. - Concernant les prescriptions hors AMM, le Groupe Servier a contesté vos statistiques sur le mésusage. Vous parvenez à des chiffres de 30 % pour le Mediator. Il nous a transmis les chiffres de l'institut Thalès : les prescriptions pour des patients obèses ou en surcharge pondérale non diabétiques hors AMM n'auraient été que de 11,5 % en 2004-2005 et de 10,7 % en 2005-2006. Entre 2004 et 2009, 11,2 % des prescriptions de Mediator par les médecins généralistes auraient été réalisées chez des patients obèses ou en surcharge pondérale. Connaissez-vous ces statistiques ?
M. Hubert Allemand. - Plus de 400 000 personnes ont pris du Mediator en 2006. Nous comptons autour de 60 000 diabétiques qui ont pris du Mediator cette même année. Doivent être ajoutés les diabétiques non traités par des hypoglycémiants oraux ou par de l'insuline. Pour parvenir à ces chiffres, ceci signifierait que de nombreux diabétiques n'étaient traités que par un régime et du Mediator.
M. François Autain, président. - Je voudrais aborder la question du prix des médicaments et de vos relations avec la Commission de la transparence et le Ceps.
Thésorimed est la base de données indépendante dont les médecins disposent. Beaucoup de mes collègues ne connaissent toutefois pas l'existence de Thésorimed établi à partir de la base Thériaque. La gestion de cette base est privée. Ce n'est pas la HAS qui en a la responsabilité. Il m'aurait paru plus cohérent qu'on rassemble sous une même tutelle l'information des médecins. Disposer d'une gestion indépendante, y compris de l'assurance maladie, ne me paraîtrait pas absurde pour se prémunir contre les critiques d'éventuels conflits d'intérêts, bien que vous ne fixiez pas le prix des médicaments. J'ai consulté la base Thésorimed, mais je n'ai pas remarqué que vous donniez l'ASMR. Cela mériterait d'y figurer.
M. Frédéric Van Roekeghem. - Nous devons examiner la possibilité d'une amélioration s'agissant de l'ASMR en lien avec la HAS.
Concernant le prix du médicament, l'équilibre repose sur une collégialité au sein du Ceps : trois voix pour les assurances maladie obligatoires, une voix pour l'assurance complémentaire et quatre voix pour les représentants de l'Etat. Plus on augmente le poids des assureurs, plus on durcit potentiellement la tarification.
M. François Autain, président. - Vous ne seriez pas opposé à une augmentation de votre participation au sein du Ceps.
M. Frédéric Van Roekeghem. - C'est au Parlement d'en décider. A titre personnel, une représentation paritaire ne me paraîtrait pas choquante.
M. François Autain, président. - La présence au sein de cet organisme de représentants du ministère des finances peut paraître étonnante. C'est en effet, à ce jour, l'assurance maladie qui est le financeur du médicament.
M. Frédéric Van Roekeghem. - Les modèles étrangers, notamment allemand, peuvent être examinés sur ce point.
M. François Autain, président. - Vous avez un rapport direct avec les médecins libéraux en fixant la convention. Or, l'industrie pharmaceutique est une industrie libérale. Si vous êtes capable de fixer le prix des honoraires médicaux, ne seriez-vous pas capable de négocier avec les laboratoires pour fixer le prix des médicaments ?
M. Frédéric Van Roekeghem. - C'est une question qui doit être tranchée par les responsables politiques.
M. François Autain, président. - C'est vous qui déterminait le taux de remboursement du médicament. En fonction de quels critères l'établissez-vous ?
M. Frédéric Van Roekeghem. - Nous sommes liés aux dispositions législatives et réglementaires. Le taux est totalement déterminé par l'évaluation du service médical rendu (SMR), à l'exception des médicaments qui peuvent être prises en charge à 100 % du fait de leur caractère essentiel par rapport au risque patient. La prise en charge à 100 % est décidée par l'Etat. Notre travail consiste à inscrire le niveau de prise en charge conformément au décret en Conseil d'Etat qui détermine ce taux en fonction du SMR.
M. François Autain, président. - C'est la Commission de la transparence qui fixe le taux.
M. Frédéric Van Roekeghem. - Oui. C'est une compétence purement administrative. Nous avons considéré que dès lors que le SMR était insuffisant, nous ne pouvions pas, de par les textes, inscrire un quelconque taux.
M. François Autain, président. - Les médicaments qui rendent un service médical important bénéficient d'un remboursement à 65 %. Néanmoins, il peut aussi se retrouver en ASMR 5. Certains médicaments n'apportent rien par rapport à l'arsenal existant mais sont malgré tout pris en charge à 65 %. On nous dit que s'ils sont inscrits, c'est qu'ils permettent à la sécurité sociale de réaliser des économies. Néanmoins, la situation ne me paraît pas cohérente. Vous écriviez dans une note publiée le 13 mars 2008 : « 45 % de ces dépenses supplémentaires concernent des molécules qui ne présentent pas ou peu d'amélioration du service médical rendu (ASMR 4 et 5) par rapport à l'arsenal thérapeutique préexistant ». Ces médicaments sont mis sur le marché pour vous permettre de faire des économies. Or apparemment, ceci entraîne une augmentation des dépenses.
M. Frédéric Van Roekeghem. - Une analyse écrite pourra être réalisée. Il y a des effets d'offre. Les économies doivent être évaluées par rapport à un niveau défini (génériques ou produit princeps). Je pense qu'il y a une part de vérité dans ce qui est écrit. Nous devons toutefois approfondir et donner des exemples.
M. François Autain, président. - Ceci signifierait que la réglementation de la sécurité sociale n'est pas respectée.
M. Frédéric Van Roekeghem. - Les économies sont toujours relatives.
Pour ce qui est des comparaisons avec les pays internationaux, nous venons de finaliser une étude comparative avec huit pays européens. Nos politiques de réduction des volumes de prescriptions se montrent assez efficaces. L'écart a été réduit ces trois dernières années. Néanmoins, nous restons le premier pays en termes de dépenses de médicaments par habitant. La question du mix entre les produits est vraisemblablement une des questions à traiter.
M. François Autain, président. - Si l'assurance maladie fixait elle-même les prix, vous ne pourriez plus adresser de critiques.
M. Frédéric Van Roekeghem. - Nous serions effectivement obligés de prendre position.
M. François Autain, président. - Quel est votre rôle au Ceps ? Il n'y a, à mon sens, pas de transparence.
M. Frédéric Van Roekeghem. - Les débats sont confidentiels.
M. François Autain, président. - Je reste personnellement un partisan du transfert de la compétence du prix des médicaments à l'assurance maladie.
M. Frédéric Van Roekeghem. - C'est un équilibre qu'il convient de peser au niveau politique.
M. François Autain, président. - Je vous remercie.
Jeudi 10 mars 2011
- Présidence de M. François Autain, président -Table ronde - Presse médicale
M. François Autain, président de la mission commune d'information. - Lors de notre mission d'information sur le Vioxx, on nous a reproché de ne pas avoir auditionné la presse médicale. Il est vrai que c'est un élément de réflexion important. Nous avons donc convié ce matin MM. Vincent Bouvier, président de Vidal, Gilles Cahn, directeur des éditions John Libbey, Gérard Kouchner, président de Janus, M. Bruno Thomasset, président du groupe Impact Médecine, Alain Trébucq, président du Syndicat de la presse et de l'édition des professionnels de santé, directeur général de Global Média Santé et Mme Stéphanie Van Duin, présidente-directrice générale des éditions Elsevier Masson.
M. Vincent Bouvier, président de Vidal. - Vidal est, plus qu'une entreprise de presse ; c'est une entreprise éditrice de bases de données sur les produits de santé - les médicaments et les dispositifs médicaux -, et une entreprise plus qu'une maison d'édition. Notre métier est de rassembler, agglomérer, diffuser une information standardisée sur les médicaments et les dispositifs médicaux. Notre ligne éditoriale passe par un strict respect de l'information validée par les sources officielles, qui sont nombreuses en France.
Je veux vous dire, au nom des éditeurs de bases de données, que nous avons besoin d'informations officielles de qualité et à jour pour pouvoir fournir de bons outils aux professionnels de santé. Dans le cas qui nous occupe, l'information officielle sur le Mediator n'a pas été, pendant longtemps, au niveau où elle aurait dû être. Notre première demande est d'améliorer le fonctionnement et la qualité des sources officielles.
L'une des composantes de la qualité est la rapidité dans la mise à disposition de l'information. Sur les effets secondaires, le délai moyen pour que les rectificatifs de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) figurent dans les résumés des caractéristiques des produits (RCP) est aujourd'hui de dix-huit mois en moyenne.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur de la mission commune d'information. - A quoi est-ce dû ?
M. Vincent Bouvier. - Aux procédures contradictoires entre l'Afssaps et les laboratoires.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Et ensuite, quel est votre délai ?
M. Vincent Bouvier. - Grâce aux outils électroniques, nous diffusons l'information dans la journée, la semaine tout au plus. C'est ce qui s'est passé pour les informations sur le Mediator.
Nous devons également prendre en compte l'information publique mais moins officielle : les avis de la commission de la transparence ne sont pas à la disposition des professionnels dans les bases de données et l'affaire du Mediator pose la question des informations diffusées. Les avis sont publiés tardivement.
M. François Autain, président. - Pourquoi ne figurent-ils pas dans le Vidal ?
M. Vincent Bouvier. - Les avis de la commission de la transparence figurent dans les bases de données.
M. François Autain, président. - Et les améliorations du service médical rendu (ASMR), de niveau 1, 2, 3, 4 ou 5 ?
M. Vincent Bouvier. - Elles y sont, indexées par indication, puisqu'un même produit peut être prescrit pour différentes pathologies.
M. Gilles Cahn, directeur des éditions John Libbey. - Les éditions John Libbey regroupent des revues médicales liées à des sociétés savantes, financées par abonnement et centrées sur une pathologie, Bulletin du cancer ou Société française d'hématologie, par exemple. Chaque revue a un comité de lecture, les articles sont soumis à la rédaction ou sollicités par elle dans le cadre de l'éducation et de la formation médicale continue. Nous sommes une maison essentiellement francophone : 80 % des titres sont publiés en français.
Le défaut d'information dans nos revues est essentiellement lié à la faible valorisation de l'auteur qui publie en français. Et cela entraîne un déficit d'informations du tissu médical français. Pourquoi l'article de Mme Irène Frachon n'a-t-il pas été publié dans notre presse médicale ? Parce qu'elle ne nous l'a pas soumis. Pourtant, nous aurions été heureux de le publier !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quand les articles sont sollicités par vous, comment cela se passe-t-il ? Un article d'un professeur de médecine a-t-il autant de valeur qu'un article écrit par un donneur d'alerte ? Comment êtes-vous financés ? Uniquement par les abonnements ?
M. Gilles Cahn. - Les articles primaires ne sont jamais sollicités par les rédactions. C'est l'auteur qui décide où il présente son article, où son intérêt de chercheur est le mieux satisfait. Les articles sollicités par nous sont ceux relevant de la formation médicale continue et de l'éducation, ceux qui dressent l'état des connaissances sur un sujet ; et des articles de synthèse, soumis au comité de lecture, qui corrige éventuellement -il demandera par exemple des compléments bibliographiques. Le financement, dans le cas des sociétés savantes, repose uniquement sur les abonnements, mais les revues francophones ne sont pas suffisamment soutenues, et la publicité devient rare !
M. Gérard Kouchner, président de Janus. - J'étais président du groupe UBM Medica France ; il y a huit jours à peine, j'ai racheté une partie du groupe, accompagné par quelques managers. L'entreprise de presse qui a pris le nom de Janus est ainsi redevenue française. Elle édite notamment Le Quotidien du médecin, Le Quotidien du pharmacien, le Généraliste, Décision santé. C'est une presse payante, contrairement à ce qui se dit trop souvent : elle vit d'abonnés. La diffusion ne peut se faire à destination des non-professionnels. Le caractère payant a été vérifié par des magistrats lors des contrôles demandés par la commission paritaire.
M. François Autain, président. - Lorsque j'étais médecin, je ne payais pas le Quotidien du médecin, mais lorsque je suis devenu sénateur, il a fallu que je règle mon abonnement ! Pourquoi un tel ostracisme ? Aucun de mes confrères en exercice, à l'époque, ne payait !
M. Gérard Kouchner. - La commission paritaire de la presse autorise un tirage équivalent à deux fois le nombre d'abonnements, pour faciliter la prospection. Nos abonnés sont essentiellement des spécialistes et des institutions de santé, des bibliothèques, des facultés. Les abonnés généralistes sont plus rares, ils payent moins facilement... Nous servons un certain nombre d'entre eux gratuitement - mais pas toujours les mêmes ! Nous organisons une rotation. Les généralistes en France reçoivent presque tous Le Quotidien du médecin.
M. François Autain, président. - Vous êtes donc en prospection permanente ?
M. Gérard Kouchner. - Pour chaque médecin, on arrête, puis on recommence, puis on arrête...
M. François Autain, président. - Je reçois Pharmaceutiques sans être abonné.
M. Gérard Kouchner. - Si je vous l'envoie à titre gratuit, nous serons accusés d'être une presse gratuite. Nous appliquons strictement la loi ! Notre presse, dans l'ensemble, n'est pas une presse gratuite.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quelle est la part de la publicité et la part des abonnements, par exemple pour Le Quotidien du médecin, ou Décision santé ?
M. Gérard Kouchner. - Pour l'ensemble de nos titres, la publicité pharmaceutique représente 42 % des financements, mais aucun laboratoire ne dépasse 4 % du chiffre d'affaires, la diversité des annonceurs assurant l'indépendance ; les abonnements représentent environ 20 % pour Le Quotidien du médecin ou Décision santé. Les annonces classées ont une part comprise entre 10 et 15 %, qui monte à 20 % pour Le Quotidien du médecin.
M. François Autain, président. - Je croyais que la publicité assurait 65 % à 70 % du financement de cette revue ?
M. Gérard Kouchner. - Ce n'est plus vrai : en quelques années cette part, qui était de 68 %, est tombée à 58 % : elle recouvre aussi les publicités des mutuelles, des assurances, des entreprises d'électronique, et non seulement des laboratoires.
M. Alain Trébucq, président du Syndicat de la presse et de l'édition des professions de santé, directeur général de Global media santé. - Notre syndicat regroupe des éditeurs de presse et des éditions scientifiques. Nos adhérents sont très divers, multinationales ou sociétés strictement françaises, entreprises employant un grand nombre de salariés et petites structures de deux ou trois personnes... Nous comptons à ce jour 49 adhérents qui représentent 270 publications traditionnelles et 141 publications en ligne. Ce sont ainsi 30 millions d'exemplaires annuels de journaux et de revues qui sont diffusés auprès de toutes les catégories de professionnels de santé, médecins, sages-femmes, ambulanciers, chirurgiens-dentistes,... Notre presse est à la fois d'information et de formation. Les éditions scientifiques émanent de sociétés savantes ; certains de nos adhérents publient des livres scientifiques, tel Elsevier Masson.
Le modèle économique n'est pas très différent de celui des autres secteurs de la presse. Le partage entre publicité et abonnements varie d'un titre à l'autre. Mais s'agissant de santé, nous sommes assujettis au code de la santé publique, au contrôle permanent de la commission de la publicité de l'Afssaps, à la charte de l'Union des annonceurs et de notre syndicat professionnel, au règlement intérieur du syndicat, opposable à chaque adhérent - qui peut être exclu en cas d'infraction au code des bonnes pratiques signé entre les entreprises du médicament (Leem) et le ministère de la santé pour encadrer les actions financées par les laboratoires, dans le cadre de la formation continue des médecins.
L'entreprise que je dirige et dont je suis le principal actionnaire depuis trois ans est à cheval entre deux secteurs de la presse qui suivent des modèles économiques différents. Nous éditons deux publications consacrées à la formation généraliste des médecins - généralistes ou spécialistes - Le Concours médical, créé en 1879, et La revue du praticien, depuis 1861. La seconde est financée à 98 % par les abonnements. Le Panorama du médecin fonctionne différemment, les articles ne sont pas soumis à un comité de lecture, les journalistes sont médecins ou non. Nous sommes sur un modèle qui a plus bénéficié de la publicité que des abonnements. Depuis le milieu des années soixante-quinze et l'avènement des blockbusters, la promotion de ces médicaments à travers la publicité pour les installer sur le marché s'est faite au plus grand bénéfice de la santé publique. Mais cette bulle a disparu. L'ensemble des laboratoires pharmaceutiques dépense en publicité dans la presse médicale généraliste 300 euros par an et par médecin.
M. François Autain, président. - On est loin des 25.000 euros par médecin évoqué dans le rapport de 2007...
M. Alain Trébucq. - Le budget a chuté de moitié depuis 2007, et même de 80 % ces derniers temps, avec la montée en puissance des génériques. Les laboratoires ont de moins en moins intérêt à promouvoir des marques dans nos journaux.
M. Bruno Thomasset, président du groupe Impact médecine. - Impact médecin hebdo comprend 14 publications de médecine générale ou spécialisée ou de pharmacie. Je représente ici, surtout, l'hebdomadaire Impact médecin hebdo, qui compte 45 000 lecteurs, surtout des spécialistes de médecine générale. La presse médicale devrait être considérée comme les autres secteurs de la presse et devrait être soumise aux mêmes droits et des devoirs. Songez à la largeur de la cible de lectorat : nous pourrions parfaitement revendiquer le statut de presse d'information générale et politique !
M. François Autain, président. - Quelle réforme serait nécessaire ?
M. Bruno Thomasset. - Le fisc, les pouvoirs publics, la réglementation de la presse ne nous considèrent pas comme tels, malgré le nombre de lecteurs, l'importance des sujets traités, la place de la santé publique.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Mais s'agit-il d'informations générales ? Chacun doit peut-être faire une partie du chemin...
M. Bruno Thomasset. - La santé représente 35 % de l'information générale, autrement dit nous couvrons déjà un tiers des sujets traités par l'information générale. Impact médecin hebdo a depuis l'origine le projet éditorial d'être Le Point, L'Express ou Le Nouvel Observateur des médecins.
En dix ans, Impact médecin hebdo n'a rien écrit sur le Mediator, sauf le 26 novembre 2009 - il a alors signalé le retrait du marché. Je n'éprouve guère de culpabilité car dans le foisonnement de l'information, le Mediator était inexistant ! J'assume cette responsabilité. Nous avons publié en ligne la lettre de l'Afssaps aux prescripteurs.
M. Alain Trébucq. - Aucun titre de la presse spécialisée n'a évoqué le dossier Mediator ces dernières années, car il n'y avait pas d'« affaire Mediator ». Je rappelle que l'Afssaps a délivré une AMM à des molécules génériques du Mediator en 2009. Ce sujet était inexistant.
Depuis, la presse médicale a relayé l'information. La couverture a été large, sur internet notamment, où les médecins ont été libres de formuler leurs commentaires à charge et à décharge.
M. Bruno Thomasset. - Ce que j'attendrais des pouvoirs publics est un soutien à l'investissement publicitaire. La publicité dans la presse médicale représente moins de 3 % des investissements promotionnels de l'industrie. Or elle finance des projets éditoriaux utiles aux professionnels de santé et constitue un relais pour les politiques de santé publique. La publicité médicale, après contrôle des autorités, ne devrait pas être freinée. Les laboratoires veulent faire de la publicité, mais ils ne veulent pas que cela se sache, car ils craignent de se faire taper sur les doigts !
Mme Stéphanie Van Duin, présidente directrice générale des éditions Elsevier-Masson. - Je dirige la filiale française d'Elsevier, groupe important dans l'édition médicale et scientifique. Nous adhérons au syndicat de la presse et de l'édition, nous suivons des règles de fonctionnement très spécifiques, comités de rédaction, conseils scientifiques, rédacteurs en chef, souvent des leaders dans leur spécialité. Nos revues, souvent l'émanation de sociétés savantes, sont référencées dans les bases de données internationales telles que l'ISI (Institute for scientific information), lesquelles imposent des règles, réception électronique, transmission à deux experts pour avis, correction, intervention du comité de rédaction et du rédacteur en chef. Si l'article est accepté pour publication, l'auteur doit remplir une déclaration mentionnant les conflits d'intérêts qu'il pourrait connaître. Il doit indiquer ses activités annexes, de consultant, d'expert, auprès de laboratoires ou d'autres entités.
Toutes nos revues, aujourd'hui, sont en ligne. Papier ou électronique, cela ne change rien dans le traitement des manuscrits ; simplement, on peut, en ligne, ajouter des contenus complémentaires, des vidéos, des images en 3D.
Nous avons de plus en plus de difficultés à obtenir de bons articles de recherche, car les revues internationales sont plus connues et plus largement diffusées. Nous recevons plutôt des articles de deuxième, troisième ou quatrième niveau. Si bien que les sociétés savantes qui en ont les moyens décident d'opter pour la langue anglaise. Les autres souffrent.
La presse et l'édition spécialisées devraient être considérées comme contribuant à la politique de formation continue - par conséquent éligibles aux crédits de celle-ci. Tous les autres pays procèdent ainsi ! Un abonnement à une revue de société savante coûte entre 400 et 600 euros, ce qui induit une spirale négative sur la diffusion.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quel est le référencement des revues françaises par rapport aux revues anglo-saxonnes ?
Mme Stéphanie Van Duin. - La situation est dramatique. L'impact factor est un algorithme fondé sur le nombre de citations et de consultations. Un article écrit en français a forcément une audience plus limitée, les bons articles paraissent donc en anglais et sont ensuite traduits en français. Quelle perte !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Les revues américaines, je vous renvoie au rapport de l'Igas, publient, semble-t-il, essentiellement des études financées par des laboratoires. Les résultats sont présentés plus favorablement, les résultats négatifs non publiés... Quel est le point de vue de la presse française ? Cette mission peut être l'occasion de réfléchir sur l'ensemble de la politique du médicament. Avez-vous tenté de comparer les différentes bases de données ?
Mme Stéphanie Van Duin. - Le fonctionnement de la recherche est très différent aux États-Unis. Ce sont les laboratoires qui la financent. Il est donc normal, si les résultats ne sont guère favorables, qu'ils ne soient pas publiés.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pourtant, on dit aux Etats-Unis que la presse française est en partie financée par des laboratoires et qu'elle n'est pas objective ! Or certaines revues américaines sont financées en totalité par des laboratoires.
Mme Stéphanie Van Duin. - Le traitement des manuscrits par nos titres est soumis aux normes de Vancouver et au « double blind » en particulier, qui impose la lecture du texte, rendu anonyme, par au moins deux experts. Ensuite, il y a la déclaration des conflits d'intérêts ; mais nous n'avons pas à vérifier si la déclaration est honnête ou mensongère...
M. François Autain, président. - Il arrive qu'elles soient mensongères ?
Mme Stéphanie Van Duin. - C'est certain.
M. François Autain, président. - Même parmi les grands professeurs.
Mme Stéphanie Van Duin. - Je signale que nous avons publié l'article du docteur Frachon quand il a été présenté à notre comité de rédaction.
M. Gilles Cahn. - Nos rédacteurs en chef sont des experts hospitaliers et non des salariés de notre société. Nous n'entretenons pas de rapport avec eux, sauf pour fixer le calendrier. La presse francophone est dévalorisée au point que même les publications dans les sociétés savantes comme l'Académie des sciences ne sont pas prises en compte dans l'évaluation des chercheurs ! Cela leur vaudrait plutôt des points négatifs !
Dans les années à venir, les pouvoirs publics devraient nous aider à améliorer l'impact factor. Le système Sigaps d'interrogation, de gestion et d'analyse des publications scientifiques a été mis en place. Il concerne les cliniciens chercheurs.
Une revue scientifique se doit d'être référencée sur Medline : or aucune française ne l'est ! La référence Medline rapporte des crédits à l'hôpital, les chercheurs sont donc fortement incités à publier dans les revues internationales, tandis que les sociétés savantes se paupérisent. L'enjeu peut atteindre 16 000 euros par an pendant cinq ans ! Nous devrions définir avec l'agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) les revues éligibles à une récompense similaire.
Mme Virginie Klès. - Dans une vie antérieure j'ai soumis quelques articles à la presse scientifique et je puis vous dire que le double aveugle n'existe pas en pratique, parce que tout le monde sait qui travaille sur quoi. Et quelle garantie a-t-on d'une absence de conflits d'intérêts, non à l'instant de la publication, mais avant et après !
M. Gérard Kouchner. - Publions-nous seulement des études positives, demandait Mme Hermange ? Il faut distinguer entre les études cliniques où l'on cherche à évaluer l'efficacité supplémentaire d'un médicament, et les études financées par l'Inserm ou par les laboratoires, où l'on tente d'évaluer d'éventuelles nouvelles indications. Dans toute la presse médicale, par le passé, on privilégiait les résultats positifs. Mais les choses ont changé. Le Quotidien du médecin publie les résultats négatifs d'impact clinique.
M. François Autain, président. - Cela n'a pas toujours été le cas : des laboratoires ont été condamnés pour cette raison. Voyez que les sanctions servent à quelque chose !
M. Gérard Kouchner. - Nous avons affaire à un partenariat à trois, qui associe la presse, les pouvoirs publics et les laboratoires.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Je suis heureuse de vous l'entendre dire.
M. Gérard Kouchner. - En ce qui concerne les conflits d'intérêts, la question ne se pose que dans des cas délimités. Les intérêts apparaissent dans nos cahiers de formation continue, et les interventions d'experts pour les laboratoires sont toujours signalées. Chaque fois que nous citons un expert, ses conflits d'intérêts apparaissent soit dans le journal, soit sur le site - c'est la solution à laquelle nous étions parvenus avec Que choisir ?
En ce qui concerne le Mediator, nous avons rendu compte des études Cnam 1 et Cnam 2, des travaux du docteur Frachon, mais aussi des professeurs Alpérovitch et Acar. Il ne s'agit pas de nier le drame des victimes, mais d'évaluer la portée de cet accident de santé publique.
M. François Autain, président. - Pourquoi ne pas avoir publié une analyse de ces travaux au moment où la presse généraliste en rendait compte ?
M. Gérard Kouchner. - Une vague de stupeur et d'indignation a déferlé lorsqu'on a entendu parler de centaines de morts. A ce moment-là, nous n'étions pas audibles. Mme Alpérovitch ne voulait pas s'exposer à un lynchage médiatique en critiquant les études mettant en cause le Mediator...
M. François Autain, président. - Vous l'avez tout de même fait parler.
M. Gérard Kouchner. - Il est difficile de ne publier des informations qu'à charge.
M. François Autain, président. - Sur ce plan-là, on peut dire que vous avez fait votre travail ! Je n'ai lu dans Le Quotidien du médecin aucun compte rendu du livre du docteur Frachon, mais seulement un communiqué AFP de Servier. Est-ce un oubli ?
M. Gérard Kouchner. - Non, c'était délibéré : nous ne sommes pas une presse à sensation. Pareil sujet mérite que l'on prenne du recul, et nous avons parlé ultérieurement de l'enquête du docteur Frachon. Mais nous ne traitons pas des chiens écrasés.
M. François Autain, président. - Vous rangez donc ce livre à la rubrique des chiens écrasés ! Nous en prenons note.
M. Gérard Kouchner. - Des livres à sensation paraissent tous les jours ! Nous devons à nos lecteurs, médecins, une information rigoureuse, et nous avons consacré vingt articles aux travaux du docteur Frachon. Nous avons aussi publié le rapport de l'Igas.
M. François Autain, président. - Il est heureux que vous ne rangiez pas les rapports de l'Igas parmi les chiens écrasés...
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Je tiens à apporter une précision : nous ne sommes pas une commission d'enquête, mais une mission d'information.
Mme Marie-Christine Blandin. - Vous prétendez, en tant que presse d'information générale et politique, au même soutien que la presse ordinaire, mais vous avez refusé de rendre compte du livre du docteur Frachon au motif qu'il était destiné au grand public. N'y a-t-il pas là une contradiction ?
M. Gérard Kouchner. - Je vous rassure : nous ne revendiquons d'aide d'aucune sorte.
Mme Marie-Christine Blandin. - Les éditions Vidal pourraient-elles nous remettre les fiches du Mediator depuis 1975 ? Certaines ne sont disponibles que sur papier, mais ce ne sont pas celles qui disparaissent le plus vite : l'Afssaps avait publié sur Internet un article selon lequel les dérivés mercuriels des vaccins contre la grippe devaient être retirés du marché, mais cet article a disparu lors de la diffusion du vaccin pandémique. Heureusement qu'un doctorant avait enregistré le fichier PDF...
M. Vincent Bouvier. - Nous vous ferons bien sûr parvenir ces informations.
Mme Marie-Christine Blandin. - Vous avez dit qu'aucune alerte n'avait été lancée dans la presse, qui se conformait à la ligne de l'Afssaps. Mais avez-vous publié des articles décrivant le rôle du Mediator, ou de la publicité ?
M. Alain Trébucq. - Le Mediator, comme tout médicament mis sur le marché, a fait l'objet de campagnes promotionnelles. Je ne me rappelle pas de quand date la dernière, mais cela remonte loin.
Mme Marie-Christine Blandin. - Ce n'est pas un reproche que je vous fais, mais il est important pour nous de savoir dans quels termes cette publicité était faite, et si elle correspondait ou non à l'AMM.
M. Alain Trébucq. - Nous vous fournirons des documents, mais vous pouvez aussi vous tourner vers la Commission de la publicité de l'Afssaps, qui exerce un contrôle a posteriori, et vers les laboratoires Servier. Le Mediator avait suscité des polémiques dès avant « l'affaire », mais il nous fallait prendre du recul. Nos sources d'informations sont les institutions publiques - Afssaps et Haute autorité de santé -, les experts et les entreprises du médicament. La publication des études de la Cnam a donné lieu à un emballement médiatique ; nous n'avons pas alors attendu le rapport de l'Igas : quinze articles ont été publiés dans Le Panorama du médecin et sur son site internet, à charge et à décharge. Il est regrettable que la presse d'information générale n'ait pas relayé les informations à décharge, notamment les études du professeur Jean Acar. On a accusé ce dernier de conflits d'intérêts, mais les experts qui composent le comité scientifique de nos revues de formation m'ont assuré qu'il s'agissait d'un homme d'une grande intégrité, et d'un spécialiste mondialement reconnu des valvulopathies.
M. François Autain, président. - Madame Klès, avez-vous le sentiment que l'on ait répondu à votre question ?
Mme Virginie Klès. - Non. Je la répète : comment contrôlez-vous les conflits d'intérêts des experts de vos comités de lecture, qui savent bien quels collègues ont écrit les articles ? Selon quel calendrier contrôlez-vous ceux des auteurs eux-mêmes ?
M. Gilles Cahn. - En général, le nom des membres des comités de lecture n'est pas rendu public, afin de préserver leur indépendance. Mais dans certaines revues très spécialisées, la composition des comités est connue, car les experts sont en si petit nombre qu'il n'y aurait aucun sens à cacher leur identité.
Mme Virginie Klès. - Des membres de comités de lecture m'ont parfois contacté parce qu'ils avaient compris que j'étais l'auteur d'un article... Le « double aveugle » ne marche pas.
M. Gilles Cahn. - Cela dépend des revues. Quoi qu'il en soit, les auteurs doivent signer un formulaire détaillant précisément leurs conflits d'intérêts : se sont-ils fait payer des voyages, des déplacements pour des conférences ? Nous conservons ces déclarations sur l'honneur, et si un auteur refuse de s'y prêter, nous le signalons.
Mme Stéphanie Van Duin. - La question de Mme Klès m'a paru polémique. Dans les domaines très spécialisés, les experts sont peu nombreux, et il n'est pas difficile d'identifier les équipes qui ont réalisé des travaux. Mais les experts font leur travail : chez nous, le taux de rejet s'élève à 50 %, et à 90 % pour The Lancet !
M. François Autain, président. - Arrive-t-il que les laboratoires commandent des articles, ou qu'ils en relisent ?
M. Gérard Kouchner. - Tous les articles publiés à l'initiative des laboratoires, ou soumis à leur relecture, sont signalés comme tels : la publicité rédactionnelle est interdite par notre charte.
M. François Autain, présidente. - Même en cas de petite correction ?
M. Gérard Kouchner. - Dans tous les cas, la chose est signalée.
M. Alain Trébucq. - Je le confirme. Aujourd'hui, les recettes publicitaires ne suffisent plus à assurer l'équilibre financier des revues, qui ont besoin d'une diffusion payante : d'où la nécessité de gagner la confiance des lecteurs. Nous aurions tort de sous-estimer l'esprit critique des lecteurs.
M. François Autain, président. - Monsieur Thomasset, j'ai remarqué que tous les articles sur les laboratoires Servier dans votre journal étaient signés par une certaine Claire Bonnot, dont je n'ai pas trouvé trace dans l'ours. S'agit-il d'une pigiste ? Dans quelles conditions travaille-t-elle ?
M. Bruno Thomasset. - Il s'agit en fait d'un pseudonyme. Je vous ferai parvenir les coordonnées du journaliste concerné.
M. François Autain, président. - Est-ce bien conforme à la déontologie ?
M. Alain Trébucq. - Notre règlement intérieur ne prévoit rien à cet égard. Tout dépend de la déontologie de chaque éditeur.
M. Bruno Thomasset. - Nos revues sont archivées à la Bibliothèque nationale, et nous avons pu analyser nos publications des années 1995, 1997 et 1999. Nous n'avons rien trouvé de significatif sur le Mediator, mis à part une campagne de publicité au début de l'année 1995.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - On dit que certains groupes pharmaceutiques étrangers veulent racheter des laboratoires français. Observe-t-on la même tendance dans la presse médicale ?
M. Gérard Kouchner. - Bien au contraire ! Je viens de racheter l'entreprise à un groupe anglo-saxon coté à Londres.
M. Alain Trébucq. - Celle dont je suis le principal actionnaire appartenait à un groupe britannique il y a trois ans.
M. Gilles Cahn. - Je détiens à 100 % les éditions britanniques John Libbey. Mais notre marché doit s'élargir, notamment grâce aux abonnements.
M. François Autain, président. - La nationalité est devenue secondaire. La mondialisation s'impose à nous, que nous le voulions ou non.
M. Alain Trébucq. - Il faut encourager l'expression médicale francophone, pour laquelle il y a une forte demande en Afrique, en Amérique latine, en Asie ou en Europe de l'Est.
M. François Autain, président. - Une remarque encore : je n'ai pas trouvé trace dans le Vidal du SMR ou de l'ASMR du Mediator.
M. Vincent Bouvier. - Je me suis mal exprimé : ils figurent sur notre base électronique.
M. François Autain, président. - Merci à tous.
Audition de M. Jacques Servier, président des Laboratoires Servier
M. François Autain, président. - Monsieur Servier, merci d'avoir répondu à notre invitation. Vous êtes président-fondateur des laboratoires Servier depuis 1954, et président d'honneur du conseil central de l'Ordre national des pharmaciens. Vous avez souhaité que cette audition se déroule à huis clos : cette demande est de droit. Vos collaborateurs pourraient-ils se présenter ?
M. Laurent Boussu. - Je suis responsable des risques et assurances chez Servier, rattaché à la division juridique.
Mme Patricia Maillère. - Je suis responsable des affaires réglementaires.
M. Emmanuel Canet. - Je suis médecin pédiatre et dirige la recherche-développement.
Mme Corinne Moizan. - Je suis directrice en charge des relations avec le Parlement.
Mme Lucy Vincent. - Je suis directeur général des affaires extérieures.
M. Laurent Sorcelle. - Je suis conseiller en communication, responsable des relations avec la presse.
M. François Autain, président. - Après l'intervention liminaire de M. Servier, Mme le rapporteur et les membres de la mission vous interrogeront.
M. Jacques Servier. - L'entreprise que je préside s'est beaucoup développée depuis quarante ans. Actuellement, nos produits sont consommés pour 90 % hors de France : cela illustre l'effort considérable que nous avons fait pour l'économie du pays.
Notre but est triple. Avant tout, nous voulons satisfaire les patients qui utilisent nos produits, et sommes très attachés à leur confiance, notamment celle des diabétiques confrontés à une maladie difficile et qui vivent souvent dans l'inquiétude. Ensuite, nous avons l'ambition de faire progresser la recherche. Enfin, nous souhaitons que nos collaborateurs soient satisfaits de leur travail ; des laboratoires de quelque importance, nous sommes les seuls à n'avoir jamais procédé à aucun licenciement collectif.
A propos du Mediator, on a parlé de « scandale » ou d'« affaire », termes très exagérés. Ce médicament a reçu son autorisation de mise sur le marché en 1974 ; il a été conçu pour les diabétiques qui tolèrent mal les autres traitements. Depuis, il est toujours resté sous surveillance étroite. Le feuillet du Vidal - organisme très contrôlé par l'Etat - donne sa définition officielle.
M. François Autain, président. - Je vous arrête : Vidal est une entreprise privée, même si les informations fournies ont un caractère officiel puisqu'elles émanent de l'Afssaps.
M. Jacques Servier. - Le contrôle de l'Afssaps est étroit, parfois tatillon. Tous les documents produits par les laboratoires sont soumis à un contrôle en vertu de la loi du 24 août 1974 qui a instauré une véritable censure. L'AMM du Mediator a été renouvelée tous les cinq ans, non sans de longues discussions, car l'Afssaps est, comment dirai-je, loin d'être négligente.
En 2008, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé le Mediator sous la rubrique des « autres médicaments utilisés dans le traitement du diabète, en dehors de l'insuline ». En novembre 2008, il s'est passé quelque chose de remarquable : l'Agence a accordé une AMM à deux génériques du Mediator, qui sont normalement les copies textuelles du médicament, un an avant le retrait de celui-ci : jusqu'à la fin, nous avons été en règle avec la pratique administrative.
Ainsi, en novembre 2009, le Mediator a été retiré du marché, car les laboratoires Servier et l'Afssaps ont voulu appliquer le principe de précaution. Lors d'un point d'information, l'Agence a estimé qu'il n'y avait pas eu d'alerte significative avant le début de l'année 2009. Le retrait faisait suite à l'étude Regulate que nous avons menée à nos frais et à notre initiative sur huit cents patients pendant plusieurs années : les indices donnaient satisfaction sur l'activité du produit mais non sur la tolérance. Cette étude fut entreprise à nos frais et sous notre animation.
Quant aux études des autorités universitaires et administratives, leur méthodologie est très critiquable. On a voulu établir un nombre de victimes, selon des calculs hasardeux. Lorsqu'un produit concurrent, l'Avandia, a été retiré du marché le 23 septembre 2010, cela n'a suscité aucune émotion médiatique !
M. François Autain, président. - Nous n'en avons pas fini avec l'Avandia. Il a fallu un an, depuis le retrait du Mediator, pour que l'opinion s'émeuve de ses effets néfastes.
M. Jacques Servier. - Justement : s'il y avait urgence, pourquoi la presse n'a-t-elle pas réagi plus tôt ?
L'intérêt matériel des laboratoires Servier est chétif en ce qui concerne le Mediator. Ce dernier ne représente que 0,7 % de leur chiffre d'affaires.
Le rapport de l'Igas a suscité une grande émotion. Et l'Igas a refusé de nous entendre ! Ses conclusions sont très violentes, alors qu'en la matière les conclusions n'appartiennent qu'à la justice.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous avez raison de le souligner.
M. Jacques Servier. - En outre, ce rapport est entaché d'inexactitudes. Il ne tient aucun compte des travaux de deux spécialistes très compétents, les professeurs Alpérovitch et Acar.
On lit dans la presse que le Mediator n'est pas un antidiabétique. C'est faux, comme en témoignent les termes de l'AMM et l'expérience quotidienne des médecins.
Les anomalies valvulaires étaient connues il y a cinquante ans. Nous avons étudié le rétrécissement mitral. Jadis, il s'agissait d'une découverte clinique d'auscultation, très forte et symptomatique. Mais la cardiologie a fait des progrès inouïs, et l'on découvre à présent les anomalies valvulaires par milliers, grâce à des examens spécialisés très fins.
On a parlé de glissements de prescription. Il semble en effet que le Mediator ait été prescrit pour le traitement de l'obésité, dans environ 10 % des cas. Mais il existe une zone d'ombre qui n'est pas de notre fait : les diabétiques éprouvent une faim intolérable, et les obèses deviennent souvent diabétiques.
M. François Autain, président. - Sur les prescriptions hors AMM, vous déclinez toute responsabilité. M. Jean-Philippe Seta parlait lui aussi de moins de 10 % de mésusages. Mais selon l'assurance maladie, cette proportion s'élève à 30 %. Comment un antidiabétique a-t-il pu être prescrit comme coupe-faim ? Qu'il l'ait été, cela ne fait aucun doute : lorsque l'Isoméride a été retiré du marché, les ventes de benfluorex ont fortement augmenté.
Mme Patricia Maillère. - Je puis vous expliquer la différence des chiffres. En annexe du rapport de l'Igas, nous avons découvert un document interne de l'Agence, où M. Frédéric Fleurette, en charge de la division épidémiologique, répond à M Jean-Michel Alexandre, qui lui avait demandé de suivre les prescriptions du Mediator ; selon M Fleurette, les prescriptions hors AMM étaient très limitées et n'avaient pas augmenté suite au retrait de l'Isoméride.
Quant aux chiffres avancés par M. Van Roekeghem, ils ne prennent pas en compte les patients soignés pour des troubles du métabolisme des lipides - alors que cette indication figurait dans l'AMM du Mediator jusqu'en 2007 - ni les patients diabétiques au régime ou sous insuline. Selon les chiffres de Thales et Dorema, 45 % des prescriptions concernaient des troubles du métabolisme des lipides, 35 % le diabète, 10 % l'obésité, et 10 % des prescriptions restent indéterminés. Voilà pourquoi l'Afssaps parlait de 20 % de prescriptions hors AMM, proportion assez classique.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Qu'auriez-vous dit aux inspecteurs de l'Igas s'ils vous avaient auditionné ?
M. Jacques Servier. - La même chose qu'à vous, Madame.
M. Emmanuel Canet. - Comme le disait le docteur Seta, nous avons été surpris que l'Igas n'ait pas souhaité nous entendre, alors que son guide de bonnes pratiques de mai 2009 impose un débat contradictoire dans la conduite de ses enquêtes. N'étions-nous pas les premiers accusés ?
M. François Autain, président. - Je ne crois pas que l'Igas ait refusé de vous entendre : selon son interprétation des textes, elle n'avait pas le droit de le faire. Mais nous auditionnerons le docteur Aquilino Morelle.
M. Emmanuel Canet. - Nous n'allons pas refaire l'histoire, mais il s'agit d'une interprétation restrictive des textes de la part de l'Igas et nous aurions préféré un débat contradictoire.
M. François Autain, président. - J'ai bien parlé d'une interprétation.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Estimez-vous que le benfluorex représente une classe pharmacologique à part, avec un profil d'activité différent de celui de l'amphétamine alors qu'il partagerait les effets indésirables d'autres dérivés d'amphétamines ? Ne serait-ce d'ailleurs pas la raison pour laquelle il a été retiré en Espagne puis en Italie ?
M. Jacques Servier. - Cette question est essentielle : en ce qui concerne l'Espagne, l'Italie, la Grèce, la Belgique et la Suisse, il faut savoir qu'à l'époque nous étions un laboratoire peu important et nous n'avions pas les moyens de fonctionner dans ces pays. Nous y étions représentés par des agents avec plus ou moins de bonheur et, quand nous avons retiré ce produit de ces pays, les ventes étaient infinitésimales et nous redoutions de laisser traîner indéfiniment dans les pharmacies des produits non utilisés. Nous avons donc retiré un médicament qui n'avait pratiquement plus d'existence dans ces pays.
Les discussions que nous avons eues en Espagne ont été simples et beaucoup plus compliquées en Italie, mais les conséquences ont été les mêmes.
S'agit-il d'un médicament bien à part ? On ne peut pas confondre le blanc avec le noir : si on consulte la formule du principe actif du Mediator, on constate qu'elle est assez compliquée et nettement différente de celle de l'amphétamine et des produits anorexigènes que nous avons exploités par la suite.
M. Emmanuel Canet. - Ce point est effectivement très important. Il y a une grande différence entre la structure d'un produit et la fonction pharmacologique dont est porteur un composé.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Une note sur ce point serait souhaitable.
M. Emmanuel Canet. - En termes de structures chimiques, il n'est pas douteux que l'on peut trouver une analogie de structure chimique entre une amphétamine ou une phényléthylamine et le benfluorex, au même titre qu'un certain nombre de neuromédiateurs naturels ou d'autres médicaments qui n'ont en aucun cas le profil, sur le plan pharmacologique ou sur le plan de l'efficacité thérapeutique, d'une amphétamine : il faut donc bien faire la distinction entre, d'une part, la structure chimique et, d'autre part, le profil d'activité pharmacologique. L'exemple des sulfamides est, de ce point de vue, assez clair.
J'en viens à l'aspect pharmacologique : si on regarde la pharmacologie moléculaire, c'est-à-dire l'affinité d'une molécule pour ses récepteurs, il y a une grande différence entre l'amphétamine et le benfluorex : d'un côté, les amphétamines sont plutôt des composés qui vont interagir avec la dopamine ou la noradrénaline alors que le benfluorex interagit plutôt avec la sérotonine.
Sur le plan de la pharmacologie de ces composés, les amphétamines vont induire des effets hémodynamiques, avec l'augmentation de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque, ce qui n'est pas le cas avec le benfluorex.
Il n'y a pas non plus d'effet psychostimulant avec le benfluorex, ce qui n'est, bien sûr, pas le cas avec les amphétamines.
Si nous revenons aux modalités de prescription, j'observe que pour la Ritaline, qui est une amphétamine, le Vidal précise que ce composé doit être donné le matin pour éviter les insomnies.
M. François Autain, président. - C'est une amphétamine cachée, car elle est sur le marché alors que toutes les autres amphétamines ont été retirées en 1997.
M. Emmanuel Canet. - Les indications sont bien particulières. Contrairement à ce médicament, le Mediator était administré trois fois par jour, dont le soir. D'ailleurs, il n'induisait pas d'hyperactivité, ni de psychosimulation, il entraînait plutôt une légère somnolence.
Troisième point majeur : on observe une addiction aux amphétamines, alors que tel n'était pas le cas avec le benfluorex.
Vous voyez donc que le profil du Mediator était à l'opposé d'une amphétamine. Certes, il y a une analogie de structure, mais on ne peut conclure qu'il y ait analogie de fonction : ce raccourci n'est pas recevable.
Mme Patricia Maillère. - On prétend que les amphétamines ont été retirées du marché en 1995. Les fabricants d'amphétamines ont fait appel à la Cour européenne de justice et celle-ci a estimé que la position européenne n'était pas légale. Il y a eu une nouvelle discussion au niveau national et aujourd'hui l'amfépramone est à nouveau en vente et utilisée comme anorexigène en Allemagne et en Finlande.
M. François Autain, président. - Mais pas en France.
Mme Patricia Maillère. - Tout ne s'est donc pas arrêté en 1995.
M. François Autain, président. - Il y a effectivement encore quelques amphétamines sur le marché.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous estimez donc qu'il y a analogie de structure mais pas de fonction.
M. Emmanuel Canet. - Ce qui est d'ailleurs assez classique dans le domaine de la pharmacologie.
Mme Marie-Christine Blandin. - Merci pour ces explications très claires.
Je souhaite en revenir aux amphétamines : votre directeur général, avant-hier, nous avait expliqué que, dans le bilan métabolique du benfluorex, il restait seulement 7 % de fenfluramine. Dans le bilan métabolique de l'Isoméride ou du Pondéral, combien reste-t-il de fenfluramine ou de norfenfluramine ?
M. Emmanuel Canet. - C'est un point important sur lequel nous aurions également aimé être entendus par l'Igas.
Lorsque vous administrez de la fenfluramine ou de la dexfenfluramine, le composé parent, elle représente environ 60 % des composés circulants, les 40 % autres circulants étant de la norfenfluramine. Si vous prenez du benfluorex, ce dernier ne circule pas au niveau plasmatique en tant que tel : il est en effet métabolisé en trois à quatre métabolites circulants, la norfenfluramine ne représentant que 10 % des composés circulants. Ce qui fait la différence majeure, c'est que le benfluorex ne donne pas naissance à de la fenfluramine. Dans le cas de l'Isoméride, la fenfluramine est elle-même porteuse de l'activité pharmacologique, et donc en partie responsable de l'effet anorexigène.
La fenfluramine et la norfenfluramine sont tous deux porteurs de l'activité pharmacologique alors que, pour le benfluorex, la norfenfluramine ne représente qu'environ 10 % de l'exposition plasmatique de l'ensemble des métabolites qui sont d'une autre nature. Le benfluorex ne donne pas naissance à la fenfluramine.
Le rapport de l'Igas rappelle que l'effet anorexigène a été rapporté dans les études de pharmacologie chez l'animal. Mais il y a une différence majeure entre le métabolisme du rat et celui de l'homme pour ce qui concerne le benfluorex. Chez le rat, après administration de benfluorex, la norfenfluramine est le métabolite principal et est retrouvé en quantité très supérieure au métabolite S1475 qui lui est le métabolite principal retrouvé après administration de benfluorex chez l'homme. Nous sommes donc dans un niveau d'exposition à la norfenfluramine différent et un ratio des composés circulants totalement inverse selon qu'on fait la pharmacologie chez le rat ou chez l'homme. Cela permet de comprendre pourquoi chez le rat on est capable de mettre en évidence, à des taux d'exposition élevés de norfenfluramine, une activité de type anorexigène, alors qu'on ne le constate pas chez l'homme.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quelles études avez-vous menées sur l'homme ?
M. Emmanuel Canet. - Si nous regardons l'effet sur le poids chez l'homme, qui n'est pas forcément lié à un effet de type anorexigène, dans des études en monothérapie ou dans des études versus comparateur, la baisse de poids induite par le benfluorex est en moyenne d'un kilo. Pour les fenfluramines, elle est au moins égale à trois kilos. La baisse de poids est équivalente chez les personnes ayant pris ou non du benfluorex. Il y a en effet un certain nombre d'autres antidiabétiques qui ont un effet bénéfique sur le poids : je pense à la metformine, aux agonistes GLP-1 et même à l'insuline qui a un effet central sur la prise alimentaire. Pour autant, on ne dit pas que ce sont des produits de type anorexigène.
Nous aurions pu porter ces points importants à la connaissance de l'Igas dans le cadre d'un débat contradictoire pour éviter des raccourcis ou des conclusions hâtives qui soient tirés à partir d'une analyse partielle, qui néglige en particulier les études menées chez l'homme.
M. François Autain, président. - Votre thèse n'est pas partagée par l'Afssaps : le professeur Lechat, chargé de l'évaluation, a estimé dans son document qu'il n'y avait pas de différences entre les différents médicaments et les différentes molécules, étant donné les doses qui avaient été prescrites et c'est pourquoi il a conclu que le benfluorex était un anorexigène.
Il s'agit d'une querelle d'experts et il nous est difficile d'avoir un avis sur ce point : il leur appartiendra de se mettre d'accord entre eux.
Le professeur Le Douarec, qui a été un de vos experts, disait dans les années soixante-dix que le benfluorex était un anorexigène puissant. Il a pu se tromper, mais les choses ne sont pas simples puisque, même chez vous, on a pu défendre des thèses inverses à celles que vous soutenez aujourd'hui.
M. Emmanuel Canet. - Encore une fois, si un débat contradictoire avec l'Igas avait eu lieu, nous aurions pu nous expliquer de façon détaillée. Je ne remets pas en cause nos publications, mais elles concernaient le rat dont le métabolisme est différent. L'activité anorexigène de la fenfluramine n'est pas portée uniquement par la norfenfluramine, qui ne représente qu'un tiers des composés actifs circulants. Dans ce cas, la fenfluramine, qui représente deux tiers des composés actifs circulants, est elle-même porteuse de l'activité. M. Lechat a considéré qu'il n'y avait qu'un composé actif, la norfenfluramine, dans les deux cas, ce qui est faux pour l'un et pour l'autre de ces médicaments.
Mme Virginie Klès. - D'entrée de jeu, vous nous avez expliqué que la posologie et la fréquence d'administration étaient bien supérieures par rapport aux amphétamines. Vous nous parlez de ratio de métabolite actif mais, au-delà, il y a des concentrations plasmatiques qui sont intimement liées à la posologie et à la fréquence d'administration.
M. Emmanuel Canet. - Dans un cas, vous avez deux composés, A et B, et dans l'autre vous avez B, C, D, E. Pour un médicament A et B sont actifs tandis que pour l'autre B, C, D et E sont actifs mais ne portent pas la même activité pharmacologique (excepté pour B). Il y a donc à la fois des différences de ratio, mais aussi de nature des composés circulants et de profil d'activité de ces composés.
L'Igas oublie également de dire qu'il y a une différence importante entre le profil métabolique chez l'animal, notamment chez le rat, et l'homme.
Mme Virginie Klès. - Pourquoi ne pas avoir mené des essais avec d'autres espèces que le rat, plus proches de l'homme ?
M. Emmanuel Canet. - Nous avons fait des études de toxicologie à la fois sur les rongeurs et sur les gros animaux, en particulier le chien, à des doses suprathérapeutiques. Or, à très fortes doses chez le chien après traitement chronique (52 semaines), on ne constate pas d'impact sur le poids ni sur la consommation alimentaire.
Mme Virginie Klès. - Le métabolisme du chien se rapproche assez peu de celui de l'homme. Pourquoi ne pas avoir étudié les réactions sur le porc, proches de celles de l'homme ?
M. Emmanuel Canet. - Pas pour le benfluorex.
M. Philippe Darniche. - Merci pour ces précisions sur les aspects pharmacologiques. Quand le produit a été mis sur le marché, le lien moléculaire structurel très fort qu'il y a entre le benfluorex et l'ensemble des anorexigènes était-il connu ?
M. Emmanuel Canet. - L'analogie structurale avec les dérivés de la phényléthylamine était connue et nous avions d'ailleurs publié ce fait à deux reprises, mais le Salbutamol est également un dérivé de la phényléthylamine. Je fais bien la distinction entre une parenté de structure et une activité pharmacologique. Notre objectif était d'identifier un composé qui avait en priorité une activité sur le métabolisme des glucides et des lipides, ce qu'ont confirmé ultérieurement la pharmacologie et les essais cliniques.
M. Jacky Le Menn. - A chaque renouvellement de mise sur le marché du Mediator, vous avez tenu le même raisonnement. Je suppose que lorsque vous déposiez un demande de renouvellement d'AMM, les questions étaient les mêmes. Vous garantissiez ce produit et vous assuriez qu'il n'y aurait pas de dérives pour d'autres utilisations. Comment se fait-il que vous n'ayez pas remarqué jusqu'à une date récente les risques d'anomalies valvulaires ? Pourquoi êtes-vous passés à côté de ces risques ? Quand l'Isoméride a été retiré du marché, vous ne vous êtes pas posé de questions, sachant qu'il y avait des prescriptions hors AMM ? Nous ne comprenons pas ce décrochage.
M. Emmanuel Canet. - Concernant le mésusage, nous avions pris des mesures auprès des médecins prescripteurs et de nos visiteurs médicaux pour nous assurer que les recommandations de prescription du produit étaient bien suivies, à la fois par nos propres collaborateurs et par nos médecins prescripteurs. Nous avons tout fait pour réduire les prescriptions hors AMM. Nous tenons ces documents à la disposition de la mission d'information.
Fin décembre 2008, il n'y avait pas de signal tangible, et d'ailleurs différentes commissions de pharmacovigilance l'ont confirmé : après trente-cinq ans de commercialisation, après plus de deux millions et demi de patients traités, nous comptions onze cas de valvulopathies dans notre base de pharmacovigilance, et la Commission nationale de pharmacovigilance considérait qu'il n'y avait pas de signal tangible. Ce n'est qu'en 2009, avec une augmentation importante des notifications, en particulier avec les cas de Brest, que le signal est apparu et que les choses se sont accélérées. A la même époque, les résultats de l'étude Regulate ont confirmé ce signal, ce qui a abouti au retrait du Mediator à l'automne 2009.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Un mois avant le retrait du Mediator, deux génériques ont obtenu leur AMM : les règles sont-elles différentes en fonction des laboratoires ? Avez-vous le sentiment que vos concurrents cherchent à singulariser le cas du Mediator ?
Mme Patricia Maillère. - L'AMM des génériques en question a été délivrée par l'Afssaps en 2008, mais ces médicaments n'ont été mis sur le marché qu'en octobre 2009, ce qui démontre que l'Afssaps ne mettait pas en doute le rapport bénéfice-risque du produit en 2008 : je pense qu'elle n'aurait pas donné d'AMM à ces génériques en octobre 2009.
M. Emmanuel Canet. - En ce qui concerne la rosiglitazone, nous sommes un peu surpris de la façon dont les choses se sont passées, car ce produit induit des effets secondaires sur le plan cardio-vasculaire. Pourquoi ne parle-t-on que de « l'affaire » du Mediator ? Il existe d'autres produits qui sont susceptibles de donner des valvulopathies. Jusqu'à décembre 2010, il y avait d'autres produits sur le marché, qui y sont encore et qui sont des dérivés de l'ergot de seigle et dont on sait qu'ils risquent d'induire de telles maladies.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Faudrait-il être, d'après vous, plus attentif aux mises sur le marché des génériques ?
M. Emmanuel Canet. - Il y a probablement des mesures à prendre pour que les exigences soient identiques en ce qui concerne les princeps et les génériques.
Mme Patricia Maillère. - Le générique doit seulement démontrer sa bioéquivalence avec le produit et se raccroche à toutes les preuves d'efficacité et de sécurité d'emploi du médicament princeps. La qualité de la fabrication de ces produits doit cependant être vérifiée. En France, les mesures d'inspection sont très sérieuses, mais il n'en va pas de même en dehors de l'Europe.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - C'est pour cela que j'ai refusé de voter hier la transposition de la directive en matière sanitaire.
M. François Autain, président. - Il ne s'agissait pas de la directive sur la pharmacovigilance qui n'est pas encore parvenue au Parlement !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous avez parlé d'indemniser les victimes à hauteur de 20 millions d'euros. Cette indemnisation doit-elle s'opérer dans le cadre de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) ou d'un dispositif ad hoc ? Nous avons auditionné M. Martin, directeur de l'Oniam, qui indiquait que le coût moyen d'un dossier médical est d'environ 100 000 euros. Cela signifie-t-il que vous considérez le nombre de victimes aux alentour de deux cents alors que vos bases de données n'enregistrent que trente-huit décès « sous Mediator », dont quatre chez des malades porteurs de valvulopathies ?
M. Emmanuel Canet. - Fin février 2011, nous avons dans notre base de données trente-huit décès, ce qui ne veut pas dire qu'ils soient liés à la prise de Mediator. Sur ces trente-huit décès, quatre sont le fait de porteurs d'une valvulopathie, sans préjuger de l'imputabilité.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment êtes-vous parvenus à cette somme de 20 millions d'euros ?
M. Laurent Boussu. - Pour calculer le montant de l'indemnisation, nous avons un problème d'évaluation. Nous avons exprimé cette incertitude à Mme Favre, qui a été missionnée par les ministères de la santé et de la justice. Nous avons eu trois rendez-vous avec elle et c'est pour cela que le communiqué de presse d'hier peut être qualifié d'intermédiaire. Les solutions techniques n'ont pas encore été validées par les deux autorités qui ont missionné Mme Favre. Il faut comprendre que ces 20 millions sont une première dotation et nous verrons si cette estimation doit être révisée. Nous n'avons pas procédé à une projection de nos bases de pharmacovigilance pour aboutir à ce chiffre.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Par rapport à vos bases de données, ce chiffre n'est-il pas erroné ?
M. Laurent Boussu. - Pour faire des projections d'indemnisation, il faut prendre en compte le nombre de personnes amenées à être indemnisées et l'amplitude de leurs dommages. Grâce à notre étude Regulate, nous avons pu démontrer que les atteintes cardiologiques ou de type valvulopathie dont souffraient les patients étaient minimes. C'est pourquoi nous estimons que, dans la majorité des cas, les indemnisations seront relativement basses ou modérées et que nous pourrons répondre à la plupart des demandes d'indemnisations grâce à ce fonds.
J'en viens à l'Oniam : nous avons voulu combler un vide juridique en proposant une indemnisation aux patients les plus modérément atteints, c'est-à-dire ceux présentant entre 5 % et 24 % d'incapacité permanente partielle (IPP). Nous offrons une procédure d'expertise simplifiée pour ces patients et nous répondons à la demande qui a été faite d'une indemnisation juste et rapide. Un collège d'experts fera un examen sur pièces avant de proposer une indemnisation. Nous travaillerons avec la Commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) pour les cas qui seraient supérieurs à 24 % d'incapacité permanente partielle (IPP).
M. Jacques Servier. - Il s'agit avant tout d'un geste de bonne volonté.
M. Emmanuel Canet. - Comme l'a souligné M. Boussu, il est possible qu'un certain nombre de patients se manifestent dans les mois à venir, ce qui explique la distorsion de chiffres entre les données dont nous disposons et le montant dont nous avons doté le fonds d'indemnisation.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Que pensez-vous de la plainte de la Cnam pour « tromperie aggravée » ? L'affaire est portée devant la justice. Nous ne sommes pas des juges : notre mission est d'informer et d'améliorer la politique du médicament.
M. Emmanuel Canet. - Nous contestons un certain nombre de points soulevés par le rapport de l'Igas qui semble, pour l'instant, être la vérité admise et qui ne reflète pas ce que nous savons.
Nous avons toujours travaillé en étroite concertation et avec le maximum de transparence avec les autorités administratives et avec l'Agence du médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Notre mission est de restaurer la confiance vis-à-vis du médicament et d'induire une nouvelle politique du médicament. Quel regard portez-vous sur l'évolution des conditions de mise sur le marché ? Pensez-vous que des médicaments comme le Mediator - ou comme l'aspirine - seraient aujourd'hui mis sur le marché dans les mêmes conditions qu'en 1974 ?
Les modifications des règles administratives ont-elles été dans le bon sens ? En souhaitez-vous de nouvelles ?
M. Jacques Servier. - Cette question est passionnante mais il est difficile d'y répondre.
Je crois beaucoup en la capacité des serviteurs de l'Etat français et j'estime que nous avons les fonctionnaires les plus honnêtes du monde.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous regrettez que Mme Castot soit partie ?
M. Jacques Servier. - Elle n'a jamais été indulgente et je ne la connais pas personnellement.
J'ai toujours eu affaire à des fonctionnaires parfaitement honnêtes.
La pharmacie était entièrement libre jusqu'en 1940. Cette année-là, on nous a imposé une loi qui n'a pas été très heureuse, alors qu'il y avait peu d'accidents thérapeutiques en France auparavant et une liberté complète.
La professionnels de la santé n'ont jamais intérêt à tuer, à blesser, ni même à mécontenter leurs clients.
M. François Autain, président. - Primum non nocere !
M. Jacques Servier. - Exactement ! L'industrie pharmaceutique française était la première du monde jusqu'en 1914 et la deuxième jusqu'en 1940. Il était indispensable de mieux règlementer les pratiques à cause de l'efficacité et de l'activité des nouveaux médicaments. Mais les contrôles ont été très lourds, avec d'abord le service central de la pharmacie qui comprenait 40 personnes. On a estimé, à tort, qu'elles ne travaillaient pas très bien, et on a créé l'Agence qui est passée à 1 200 personnes. Les fonctionnaires devaient être choisis en fonction de leurs compétences, de leur objectivité et de leur ténacité. Mais ils auraient dû avoir une situation en rapport, ce qui ne s'est pas passé. Les fonctionnaires et les membres des commissions ne sont pas bien traités. Ils travaillent très souvent dans des conditions difficiles et ils font ce qu'ils peuvent.
M. François Autain, président. - Vous faites allusion aux conditions de travail des membres des commissions, des praticiens hospitaliers professeurs des universités (PHPU), par exemple, dont les membres viennent souvent travailler bénévolement ?
M. Jacques Servier. - Absolument ! Ainsi, un professeur de Montpellier devait se lever à 5 heures du matin pour être à 10 heures à Paris et il avait une demi-heure pour prendre connaissance de dossiers qui comportent des millions de données. C'est inhumain. Mais les fonctionnaires de carrière ne sont pas mieux traités. Il aurait fallu des instances moins lourdes et sélectionner les gens en fonction de leur bon sens et leur ténacité.
En outre, on suppose de la malhonnêteté dans tous ces mécanismes : mais il n'y en a pas. Mais comment éviter que, dans de si lourdes organisations, il n'y ait pas des camaraderies et des affinités de toutes sortes ? La France vit assez largement sous un régime d'endogamie.
Il faudrait sélectionner des gens parfaitement raisonnables dans les commissions et non pas des ténors de la contestation ou de la conservation. Nous y sommes arrivés dans le domaine du nucléaire.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous avez évoqué le poids de l'industrie pharmaceutique en France et son rang. Aujourd'hui, sentez-vous l'appétit de certaines grandes firmes étrangères, notamment américaines, pour l'industrie française ?
M. Jacques Servier. - Quand j'ai commencé à exercer, il y avait 3 000 laboratoires français. Aujourd'hui, il n'en reste que trois ou quatre. Évidemment, il y a eu un mouvement de concentration mais en Allemagne ou aux États-Unis, il y a beaucoup plus de sociétés pharmaceutiques, ce qui permet davantage de créativité.
L'industrie pharmaceutique française n'a pas d' « ambassades », alors que les industries étrangères en ont : quand un grand pays industriel veut imposer ses produits dans un autre pays, ses « ambassades » jouent un grand rôle.
Comme le disait Charles Mérieux, ce sont des métiers dont on vit et dont on meurt, car ce sont des métiers stimulants mais aussi horriblement angoissants, vous en comprenez les raisons dans le contexte actuel. Ce sont des métiers extrêmement agités dans leurs rapports administratifs et politiques. Nous avons absolument besoin de ténacité. Il a fallu 50 ans pour construire ce laboratoire. A l'heure actuelle, les grands managers entrent dans une grande entreprise, y restent deux ans et s'en vont avec des indemnités et des primes considérables, mais notre industrie ne peut pas se permettre ce type de fonctionnement.
M. François Autain, président. - C'est pourtant ce qui se passe dans les grands laboratoires internationaux.
M. Jacques Servier. - Chez nous, nous essayons de payer convenablement tout le monde, et pas spécialement les grands cadres, et c'est pour cette raison que nous sommes une maison extrêmement unie. L'argent ne compte que lorsqu'on n'en a pas : lorsqu'on en a suffisamment, il faut s'en contenter et on a fait une folie avec les sursalaires des grands managers, car ils n'en n'ont pas besoin et parce que cela provoque des jalousies dégradantes.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Que pensez-vous de la proposition consistant à interdire la visite médicale ?
M. Jacques Servier. - Il s'agit d'une activité particulière : elle a beaucoup augmenté dans les années 70 lorsque les laboratoires américains se sont implantés en France : nous avions alors dans notre maison 30 visiteurs et nous nous sommes trouvés devant des concurrents qui en avaient 1 000 ! Il aurait fallu à l'époque un arrangement entre les laboratoires et les pouvoirs publics afin de ne pas multiplier les visiteurs médicaux.
Être visiteur médical, c'est souvent une deuxième chance dans la vie : nous recrutons des gens intelligents mais qui n'ont pas eu la chance de faire des études longues ou qui ont connu des accidents familiaux. Mais les médecins ont aussi besoin qu'on vienne leur présenter les dernières nouvelles de la thérapeutique dans leur cabinet.
Et puis, si l'on supprimait les visiteurs médicaux, cela ferait 25 000 chômeurs de plus du jour au lendemain. Enfin, l'État doit-il être le seul à produire de l'information sur les médicaments ?
M. François Autain, président. - Que s'est-il passé avec Les entreprises du médicament (LEEM) ? Quels sont vos rapports avec cette organisation ?
M. Jacques Servier. - Si les syndicats ouvriers étaient aussi efficaces que le LEEM, il y aurait toujours des enfants qui travailleraient dans les mines. Cela dit, c'est certainement un des clubs les plus sympathiques du XVIe arrondissement.
Nous avons démissionné quatre fois et, comme dans l'affaire du Mediator il n'a pas fait preuve d'une grande solidarité, nous avons démissionné une cinquième fois. De temps en temps, nous nous rapprochons un peu, nous nous rendons des services, mais ce sont des rapports comme on en a dans les mauvais ménages.
M. François Autain, président. - En lisant le livre d'Irène Frachon, j'ai vu que le laboratoire Servier aurait suspendu sa subvention à l'Association des diabétologues et sa participation à son congrès annuel. Est-ce exact ?
M. Jacques Servier. - C'est impensable ! Nous sommes très liés à l'Association de langue française pour l'étude du diabète et des maladies métaboliques (Alfédiam) et cela fait 20 ans que nous y cotisons.
M. François Autain, président. - D'après vous, ce qu'écrit Mme Frachon est donc faux.
M. Jacques Servier. - Son état d'esprit s'apparente sans doute à celui de Jeanne d'Arc.
M. François Autain, président. - Nous poserons la question à Mme Frachon lorsque nous l'auditionnerons.
J'en viens au think tank nommé l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen (IPEMED) dont l'objectif est de rapprocher par l'économie les deux rives de la Méditerranée et dont l'un des présidents était M. Guigou. Avez-vous participé à son financement, comme il a été indiqué dans la presse ?
M. François Autain, président. - Vous avez confié au professeur Lucien Abenhaïm une étude restée célèbre, l'International primary pulmonary hypertension study (IPPHS), que vous avez rémunérée dans sa totalité. Lui avez-vous confié d'autres études ?
M. Jacques Servier. - Jamais !
Mme Patricia Maillière. - Avant l'étude IPPHS, une étude relative à l'hypoglycémie et aux sulfonylurées avait été réalisée par le professeur Lucien Abenhaïm. Après l'IPPHS nous avons continué à travailler avec lui dans le cadre d'une étude sur la maladie veineuse.
M. François Autain, président. - Donc vous lui avez confié d'autres études ?
M. Jacques Servier. - Oui, je l'avais oublié ...
M. François Autain, président. - Vos relations étaient donc excellentes, malgré une petite divergence sur l'IPPHS, dont les résultats n'étaient pas forcément conformes à vos attentes. Quelle appréciation portez-vous sur cette étude et quelles en ont été les conséquences sur vos rapports avec le docteur Abenhaïm ?
M. Jacques Servier. - Si je le rencontre dans Paris, nous aurons des échanges amicaux. Mais nous renouvelons nos experts de temps à autre.
M. François Autain, président. - A la suite de cette étude, il ne s'est rien passé ?
M. François Autain, président. - Lui se plaint d'avoir reçu des petits cercueils par la Poste, il s'est senti persécuté.
M. Jacques Servier. - On a même dit qu'ils étaient envoyés par mon épouse.
M. François Autain, président. - C'est un fantasme ?
M. Jacques Servier. - De la mythologie.
Mme Marie-Christine Blandin. - Votre très récente annonce d'une proposition d'aide aux victimes n'a été accompagnée ni d'une évaluation chiffrée, ni de mesures techniques. Vous avez lié cette offre, comme cela se fait dans certaines affaires, à une renonciation aux poursuites judiciaires, ce qui a semé l'émotion. Dans le cas de l'amiante, l'indemnisation par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ne fait pas obstacle aux poursuites - le Fiva se portant lui-même en justice. Les victimes ont besoin de recevoir une aide mais aussi de faire dire la faute. Votre demande leur pose problème.
M. Laurent Boussu. - La façon dont les medias ont présenté l'information nous a émus. Sachez que des personnes qui n'ont subi aucun préjudice s'adressent à nous pour recevoir de l'argent...
Dans le cas de l'amiante, les victimes indemnisées conservent la faculté d'engager des poursuites. Mais dans le cas d'autres fonds, créés pour des indemnisations de même nature, les intéressés renoncent à agir en justice. Je comprends l'émotion que vous rapportez mais les personnes qui nous contactent, ou leurs avocats, ou les associations, formulent avant tout un souhait d'indemnisation. Chacun est libre d'user de sa faculté d'ester en justice. Et les informations pénales qui ont été ouvertes se poursuivent. Nous en attendons beaucoup pour avoir l'occasion enfin de nous exprimer sur le sujet. Nous sommes du reste étonnés - à moitié - que des avocats dénoncent notre démarche en évoquant une visée procédurière, alors que nous proposons une solution rapide.
M. Jacky Le Menn. - Estimez-vous que votre laboratoire est victime d'une cabale médiatique ? La médiatisation de l'affaire du Mediator vous semble-t-elle normale ? Les pouvoirs publics sont-ils dans leur rôle en insistant pour comprendre ce qui se passe ?
Mme Janine Rozier. - Je ne comprends pas grand-chose aux informations scientifiques et je crois que les medias ne les maîtrisent guère plus que moi. Si bien que tout et n'importe quoi a été écrit, mais toujours à charge contre les laboratoires Servier, avant même qu'aucune preuve n'ait été apportée. Je le déplore. Il en résulte des dommages considérables pour cette entreprise et pour l'activité économique dans le Loiret. Servier y fournit du travail depuis 56 ans et sa réputation n'a auparavant jamais été égratignée.
M. François Autain, président. - Nous sommes en présence de différentes thèses et il faut qu'elles s'expriment.
Mme Janine Rozier. - D'où cette mission, mais je regrette que tout et n'importe quoi soit dit avant même que nous soyons parvenus à une quelconque conclusion et que la vérité ait émergé.
M. Emmanuel Canet. - Nous sommes heureux de pouvoir nous exprimer devant la représentation nationale, exposer nos arguments, donner des éléments de réponse. Le déroulement des événements est parfois anormal : ainsi la commission nationale de pharmacovigilance a tenu une réunion où elle ne nous a pas entendus ; des informations ont filtré dans la presse le soir même et la commission a convoqué une conférence de presse avant même de nous avoir donné l'occasion de répondre.
M. François Autain, président. - Vous aussi avez tenu une conférence de presse, réservée à la presse médicale, me semble-t-il ?
M. Jacques Servier. - Nous avons de temps en temps de telles réunions avec la presse spécialisée.
M. Emmanuel Canet. - Nous considérons que le traitement médiatique ne nous a pas laissé la possibilité de faire valoir notre point de vue dans le cadre d'un débat contradictoire, conforme aux règles de la démocratie. Nous sommes favorables à un débat public dans une enceinte qui garantit son caractère contradictoire.
M. François Autain, président. - Ici, il n'y a pas de débat, on vous écoute, on ne vous contredit pas.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - L'affaire du Vioxx a montré que les médicaments sont mis sur le marché selon un modèle pasteurien. Or un médicament est appliqué à une population qui souffre d'une pathologie sur le long terme. Il peut y avoir inadéquation entre le modèle d'élaboration des médicaments et leur utilisation ultérieure.
M. Jacques Servier. - C'est absolument certain. Le seul remède est de tenir compte de l'avis des médecins. La médecine française est la meilleure du monde, au plus près du patient. La santé publique est un concept théorique : ce qui doit être pris en compte avant tout, c'est la souffrance de chacun, la migraine de l'un et la gastralgie de l'autre. On entend encore trop d'opinions dogmatiques.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Il faut faire évoluer le modèle en fonction des pathologies chroniques.
Mme Patricia Maillère. - Dans les études de phase III et le dossier d'AMM, on tient compte des pathologies chroniques mais il est exact qu'on n'inclut pas dans les d'essais, sur des sujets fragiles, personnes très âgées ou enfants, etc. La pharmacovigilance a connu des évolutions profondes, l'AMM s'accompagne désormais d'une réflexion sur un plan de gestion des risques : il s'agit de réfléchir sur les risques éventuels qui n'ont pu être évalués initialement. Des points d'étape sont prévus.
Mais je rappelle que les études portent sur un nombre toujours plus important de patients, jamais moins de 5 000 dans un dossier d'AMM. Néanmoins le risque à fréquence rare reste difficile à cerner. La pharmacovigilance restera toujours un outil indispensable.
M. Jacques Servier. - Je vous remercie de ce débat en profondeur : il n'y a pas de démocratie sans Sénat.