Mercredi 26 janvier 2011
- Présidence de M. Adrien Gouteyron, président d'âge puis de M. François Patriat, président -Constitution du Bureau
M. Adrien Gouteyron, président d'âge - Le souci d'adapter l'organisation des services de l'État n'est pas nouveau. Au fil du temps, on a vu l'État chercher, à différentes reprises, à mettre son organisation en adéquation avec de nouveaux enjeux ou des contraintes qu'il n'avait pu intégrer jusque là.
La décentralisation est elle-même - je le rappelle - un processus qui participe de la réforme de l'État. Elle tend à rendre l'action publique plus efficace et plus proche du citoyen par un nouveau mode d'organisation qui fait une plus grande place à une gestion de proximité.
Tout récemment, l'adoption en 2001 de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, a témoigné du souci du législateur de promouvoir une gestion publique, tout à la fois plus efficace, plus transparente et plus démocratique.
Incontestablement, la révision générale des politiques publiques, la RGPP, lancée en 2007, s'inscrit dans ce mouvement de modernisation de l'action publique.
Elle s'appuie sur des constats qui me paraissent forts : le fait que l'intervention de l'État est souvent perçue comme multiforme et parfois peu lisible ; le degré de complexité excessive de l'action de l'État ; l'accroissement considérable des effectifs de l'État depuis trente ans alors même que celui-ci a transféré des compétences toujours plus nombreuses aux collectivités territoriales et aux opérateurs publics !
Face à ces constats, je relève les trois engagements de la RGPP : améliorer la qualité du service rendu aux usagers ; réduire les dépenses publiques par le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite mais aussi par un effort de rationalisation et de mutualisation des fonctions support ; moderniser la fonction publique et valoriser les initiatives des agents.
Or, inéluctablement, cette réorganisation des services de l'État ne peut se faire sans avoir des conséquences pour nos collectivités territoriales et nos services publics locaux. Ainsi pour ce qui concerne les seules préfectures, elle concerne la délivrance des titres d'identité, le contrôle de légalité mais aussi les fonctions support et la logistique des services déconcentrés de l'État. Autant de sujets qui intéressent directement l'action des collectivités et des services publics locaux.
Alors qu'une deuxième phase de la RGPP a été lancée en juin 2010, je crois donc que notre mission commune d'information, dont le Sénat a décidé la création, peut mener une réflexion fructueuse pour évaluer plus précisément les conséquences de cette réforme qui est en cours.
Elle pourra éclairer au moins deux questions importantes :
- Avec ce processus, va-t-on ou non vers plus d'efficacité mais aussi qu'en est-il du service rendu à l'usager ?
- Quelles sont les conséquences concrètes de la RGPP pour nos collectivités territoriales, sur le plan budgétaire et humain, sur leur organisation mais aussi sur leur capacité à prendre en charge les nombreuses missions qui leur sont confiées par le législateur ?
Notre mission commune d'information pourra ainsi donner des éléments d'appréciation tout à fait utiles au Sénat dans l'exercice de sa mission constitutionnelle de représentant des collectivités territoriales.
Après l'intervention de M. Adrien Gouteyron, président d'âge, la mission commune d'information procède à l'élection de son président et à la constitution de son Bureau.
Sont ainsi désignés :
Président : M. François Patriat ;
Rapporteur : M. Dominique de Legge ;
Vice-Présidents : Mme Jacqueline Gourault, MM. Gérard Bailly, Raymond Couderc, Jean-Luc Fichet et Didier Guillaume ;
Secrétaires : Mmes Michèle André, Marie-France Beaufils et Catherine Deroche, MM. Adrien Gouteyron et Jacques Mézard.
M. François Patriat, président - Je vous remercie de la confiance que vous m'avez témoignée en me désignant président de cette mission.
En tant que président de conseil régional, je ressens fortement la volonté actuelle de l'État de reprendre la main sur la conduite des politiques publiques. Il y a une volonté de recentralisation des politiques publiques, alors que, dans le même temps, l'État n'affiche pas les moyens humains ou financiers nécessaires pour parvenir à ses objectifs.
Au cours des six mois que durera notre mission d'information, nous devrons dépasser nos a priori, et écouter nos interlocuteurs afin d'analyser la mise en oeuvre de la RGPP et ses conséquences pour nos collectivités territoriales. Chacun d'entre nous aura certainement une analyse différente de la situation mais le respect mutuel nous permettra d'aboutir à des conclusions communes et objectives.
Je souhaiterai aborder avec vous la question de la méthode et du périmètre de notre mission. Pour cela, nous devrons apprécier quelles sont les conséquences, pour nos collectivités territoriales, nos concitoyens et le management territorial, de la mise en oeuvre des trois objectifs de la RGPP, qui sont : économiser, simplifier et valoriser. La RGPP a-t-elle permis ou non à nos collectivités de clarifier leurs compétences et leurs moyens avec l'État ? Les relations avec nos administrés ont-elles gagné en lisibilité, en efficacité et en coût ? Pour répondre à ces questions, il est essentiel d'auditionner les acteurs de terrain et pas seulement les chefs de service des administrations centrales ou les ministres.
Notre analyse devra également aborder la deuxième phase de la RGPP qui a débuté en juillet 2010, avec l'étude des expérimentations départementales, à l'exemple de celle du département du Lot, visant à concilier renforcement de la décentralisation et rationalisation des services déconcentrés. Citons également les accords, signés en septembre dernier, entre l'État et neuf opérateurs nationaux de services (tels que La Poste ou la SNCF). Les problématiques de l'ingénierie publique, du contrôle de légalité, ou encore des relations entre les préfets de régions, de départements et les sous-préfets et leur implication dans la mise en oeuvre de la réforme, feront également l'objet de notre analyse.
M. Didier Guillaume, vice-président - Cette mission doit être abordée sans a priori positifs ou négatifs. Quelles que soient nos orientations politiques, nous parviendrons à un constat commun : la nécessité de moderniser l'administration de l'État, tout en nous interrogeant sur l'avenir des services publics dans nos territoires.
Nous constatons tous des évolutions dans l'organisation des services déconcentrés de l'État. C'est pourquoi, outre les acteurs traditionnels, que sont les ministres concernés ou les associations nationales d'élus locaux, notre mission devra auditionner les praticiens de la RGPP, aussi bien ceux des services déconcentrés que de nos collectivités. A travers quelques déplacements, nous pourrons apprécier plus concrètement ces évolutions.
Par ailleurs, nous devrons différencier, sans toutefois les opposer, les conséquences de la RGPP en milieu rural et en milieu urbain. Elle n'est pas vécue de façon identique selon la typologie des territoires, et elle est peut être l'occasion d'aborder la question de l'adaptation de la présence étatique aux spécificités locales.
Enfin, notre mission devra présenter des propositions de réorientation de la réforme au Gouvernement. Bien que la modernisation de l'État soit indispensable, elle ne doit pas s'opérer en faisant fi des acquis anciens. Les différentes « cartes » mises en place, telles que les cartes judiciaire ou militaire, ont pu avoir des conséquences dramatiques dans certains territoires, en termes d'aménagement du territoire ou d'attractivité. L'État a eu tendance à recentraliser et certains territoires ont le sentiment d'être laissés pour compte. Cette politique a pu produire de nouvelles tensions entre l'État et les élus locaux, renforçant la défiance entre les deux partenaires. Sur ce sujet, je présenterai la semaine prochaine, avec Jacqueline Gourault, un rapport consacré au dialogue entre l'État et les collectivités territoriales devant la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat. Nous devons restaurer une relation de confiance avec l'État, ce qui constitue un enjeu majeur.
M. Dominique de Legge, rapporteur - Une des principales difficultés de la mission sera d'en définir le périmètre. Toute politique nationale a indéniablement des conséquences sur nos collectivités territoriales, d'où l'importance d'opérer des choix, et d'illustrer notre analyse à travers certains thèmes spécifiques, tels que l'ingénierie publique ou l'avenir des préfets de départements.
Je rappelle que la RGPP comporte une double phase de mise en oeuvre, la première ayant débuté en 2007, la seconde en juillet 2010. Plusieurs initiatives antérieures à 2007 ont ensuite été incluses dans la RGPP. C'est pourquoi nous ne devons pas répéter les divers travaux déjà effectués par nos collègues de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dont nous pourrons intégrer les conclusions à nos analyses : citons, à titre d'exemple, les rapports sur les transferts de personnels de MM. Eric Doligé et Claude Jeannerot, sur les compensations des transferts de compétences de MM. Yves Krattinger et Roland du Luart, sur la mutualisation des moyens de MM. Yves Détraigne et Jacques Mézard, sur l'avenir de l'ingénierie publique de M. Yves Daudigny, et enfin, le groupe de travail sur le bilan de la décentralisation présidé par M. Edmond Hervé.
Je vous propose d'organiser nos travaux en trois étapes. La première consisterait en des auditions de portée générale, avec les initiateurs de la RGPP et les associations nationales d'élus, afin d'avoir une présentation des objectifs de la réforme, la méthode employée pour sa mise en oeuvre et les résultats obtenus. Nous pourrions, dans une deuxième étape, confronter ces objectifs à la réalité du terrain à la faveur, soit de déplacements dans des territoires spécifiques, soit d'auditions de praticiens territoriaux de la RGPP. Enfin, la troisième et dernière étape consisterait à revoir les initiateurs de la RGPP afin de débattre avec eux des résultats de nos observations.
M. François Patriat, président - Nous pourrions aussi envisager d'auditionner en premier lieu les praticiens de la RGPP avant de présenter et débattre de nos conclusions avec les initiateurs de la réforme.
M. Gérard Bailly - J'insiste sur l'impact des nouveaux moyens de communication dans la vie quotidienne de nos collectivités territoriales depuis dix ans. Le temps de travail a beaucoup évolué et continuera d'évoluer. C'est pourquoi il serait intéressant d'analyser l'organisation de nos services publics face aux bouleversements initiés par les outils informatiques et leurs conséquences sur le terrain.
Un deuxième thème est lié au regroupement des services déconcentrés de l'État. De tels regroupements peuvent susciter des critiques, notamment les Directions Régionales de l'Environnement (DIREN) dont le niveau régional s'avère trop éloigné des connaissances de terrain.
Enfin, je m'inquiète de la traduction et de l'application, par les administrations déconcentrées, des lois du Grenelle de l'Environnement. Nous constatons sur le terrain un alourdissement des normes impactant les finances des collectivités, lié très souvent à un zèle administratif de la part des services de l'État.
M. Adrien Gouteyron - Les deux premières étapes proposées par notre rapporteur peuvent, à mon sens, ne pas être nécessairement « chronologiques » car elles peuvent se renforcer mutuellement. La mission pourrait également être l'occasion d'appréhender, malgré la difficulté de l'exercice, la diversité des situations, liée à la configuration géographique, à la richesse et également à la personnalité des individus, fonctionnaires et élus locaux.
Mme Michèle André - En 2010, j'ai conduit une mission de contrôle, au sein de la commission des Finances, consacrée à la mise en place de la RGPP dans les préfectures. Cette mission a été l'occasion d'apprécier la prévalence du préfet de région sur les préfets de départements, le rôle de plus en plus important des secrétaires généraux aux affaires régionales (SGAR), le développement des nouvelles technologies, les difficultés engendrées par le logiciel Chorus pour le paiement des factures, et la réforme du contrôle de légalité. J'ai également abordé la question des relations entre les nouveaux services déconcentrés et les services centraux, l'avenir incertain des sous-préfectures, l'inquiétude des fonctionnaires liée à leur changement de statut ou leur déménagement. Les collectivités territoriales ne sont pas toujours directement impactées par l'ensemble de ces bouleversements, à l'exception notable du contrôle de légalité.
La dématérialisation de nombreuses procédures a pour objectif un gain de temps, aussi bien pour les fonctionnaires que pour les usagers. Pourtant, l'informatisation ne peut faire l'économie de l'humain et ne peut s'abstraire d'un accompagnement individuel des agents. Notre mission devra analyser l'évolution des collectivités dans cette nouvelle organisation déconcentrée de l'État, initiée par ce dernier, et apprécier également les éventuels doublons entre les services étatiques et ceux de nos collectivités.
M. François Patriat, président - Il est important que l'État cherche à adapter ses structures en raison de la décentralisation et des nouvelles donnes technologiques. Les collectivités territoriales perçoivent mal la persistance de ces doublons, malgré les nombreux transferts de compétences de ces dernières années. Nous devons aboutir à une répartition équitable des moyens humains et financiers entre l'État et nos collectivités.
Mme Michèle André - Je suggère que la mission auditionne M. Yvon Olivier, ancien préfet, qui est le concepteur de la RGPP, afin qu'il nous livre son appréciation sur les objectifs retenus, la méthode utilisée et les résultats atteints.
M. Jean-Luc Fichet - La RGPP est fortement critiquée car elle est perçue comme une démarche subie et non comme une réforme dynamique. Notre mission devrait analyser son impact en distinguant les zones rurales, les zones périurbaines et les zones urbaines. Dans les territoires ruraux, la suppression de services publics liée au développement des nouvelles technologies de l'information peut se justifier budgétairement, en diminuant le nombre de personnels nécessaires. Toutefois, une telle décision peut avoir un effet désastreux, à très court terme, en matière d'aménagement du territoire, de développement et de maintien de l'activité économique. Il serait intéressant d'en mesurer les effets.
Mme Catherine Deroche - Je propose l'audition de représentants de territoires ayant mis en oeuvre des expériences innovantes en matière, par exemple, de services publics ou de relations exemplaires entre l'État et les collectivités territoriales.
M. Adrien Gouteyron - Les déplacements seront essentiels car ils nous permettront de nourrir nos réflexions et de faire des constatations communes sur le terrain.
M. Rachel Mazuir - La question des doublons entre services de l'État et services de nos collectivités a été évoquée à maintes reprises. A titre personnel, j'estime que la suppression de ces doublons ne doit pas se faire au détriment des collectivités, compte-tenu du contexte actuel. En tant que président de conseil général, je ne demande pas de charges supplémentaires pour les départements !
M. Michel Bécot - Il existe également des doublons de services entre nos collectivités territoriales. Par exemple, des compétences ont été transférées à des communautés de communes. Pourtant, certaines communes conservent un niveau de personnels équivalent à celui d'avant le transfert de compétences, qui peut se justifier par la complexité de notre environnement et par les demandes de missions supplémentaires de la part de nos administrés. Mais ceci n'explique pas tout. C'est pourquoi une réflexion pourrait être conduite sur cette question.
M. François Patriat, président - Jacques Mézard est l'auteur d'un rapport consacré à la mutualisation des services entre collectivités territoriales au nom de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. La mutualisation entre collectivités est facilitée lorsqu'elles sont de même sensibilité politique.
M. Dominique de Legge, rapporteur - En région Bretagne, le conseil régional a conduit une politique de promotion de la Bretagne à laquelle le conseil général d'Ille-et-Vilaine, pourtant de même sensibilité politique, n'a pas voulu s'associer. La ligne ferroviaire entre Brest et Quimper a été réhabilitée par le conseil régional de Bretagne pendant que le conseil général du Finistère, également de même sensibilité politique, réaménageait la liaison routière entre les deux villes. Ces exemples témoignent du fait que les divergences ne sont pas toujours fondées sur les différences de sensibilités politiques.
M. Georges Patient - La mission doit également aborder les conséquences de la RGPP dans les départements et les régions d'outre-mer, bien que les analyses recoupent largement celles des départements métropolitains.
M. François Patriat, président - Je propose que le bureau se réunisse mardi 1er février afin de définir le calendrier de nos travaux. Nous pourrons utiliser les vidéoconférences, qui nous permettront un gain de temps, d'argent et d'efficacité. Les réunions de la mission auront lieu les mercredis après-midi et éventuellement les jeudis matins.