Lundi 20 décembre 2010

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président -

Adaptation du chapitre XI bis du Règlement du Sénat aux stipulations du traité de Lisbonne concernant les parlements nationaux - Examen des amendements au texte de la commission

Au cours d'une première réunion tenue dans l'après-midi, la commission prend acte de ce qu'aucun amendement n'a été déposé sur le texte n° 176 (2010-2011) de la commission sur la proposition de résolution n° 155 (2010-2011) tendant à adapter le chapitre XI bis du Règlement du Sénat aux stipulations du traité de Lisbonne concernant les Parlements nationaux.

Renforcement des moyens du Parlement en matière de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques - Examen des amendements au texte de la commission en 2e lecture

Ensuite, la commission examine les amendements déposés sur le texte n° 178 (2010-2011) de la commission sur la proposition de loi n° 584 (2009-2010), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale, tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques.

Article premier

M. Patrice Gélard, rapporteur. - Pour l'essentiel, les six amendements présentés par le groupe socialiste reprennent des propositions que le Sénat comme l'Assemblée nationale ont déjà refusées.

L'amendement n°1 confie à toutes les instances parlementaires d'évaluation et de contrôle les pouvoirs des commissions d'enquête, notamment le pouvoir d'enquêter sur pièces et sur place. Cette extension ne paraît pas opportune : elle amoindrirait le rôle des commissions permanentes et banaliserait les prérogatives des commissions d'enquête, qui ne doivent être utilisées qu'à bon escient. En outre, le dispositif retenu par la commission n'affaiblit pas le pouvoir de contrôle du Parlement, puisqu'il étend à ces instances le droit des commissions permanentes de disposer, à titre exceptionnel, des pouvoirs des commissions d'enquête durant six mois.

Les amendements nos2, 3, 4 et 5 ont été rejetés par notre commission en première lecture.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1, de même qu'aux amendements nos2, 3, 4 et 5.

Article 3

M. Patrice Gélard, rapporteur. - La commission a également refusé l'amendement n°6 en première lecture.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.

Examen des amendements extérieurs

La commission adopte les avis suivants :

Article

Objet de l'article

Numéro d'amendement

Auteur de l'amendement

Avis de la commission

Article 1

Auditions et pouvoirs des rapporteurs des instances parlementaires de contrôle ou d'évaluation des politiques publiques

1 rect.

M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

2

Défavorable

3

Défavorable

4

Défavorable

5

Défavorable

Article 3

Assistance de la Cour des comptes au Parlement pour l'évaluation des politiques publiques

6

Défavorable

Audition de M. Pierre Fauchon, candidat proposé par M. le Président du Sénat pour siéger au sein du Conseil supérieur de la magistrature

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à des auditions, en application de l'article 65 de la Constitution, de personnalités qualifiées pour siéger au sein du Conseil supérieur de la magistrature.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nous procédons à l'audition de quatre personnalités qualifiées proposées pour siéger au sein du Conseil supérieur de la magistrature.

A un double titre, ces auditions constituent une novation. Il s'agit tout d'abord de la première mise en oeuvre des dispositions de l'article 65 de la Constitution issues de la révision de juillet 2008, qui prévoient un avis public des commissions parlementaires compétentes sur la nomination, par le Président de la République et par les présidents des assemblées, des personnalités qualifiées appelées à siéger au CSM.

L'article 65 renvoie sur ce point à l'article 13 de la Constitution. Pour la première fois, ces nominations feront donc l'objet d'un vote, qui aura lieu mardi 21 décembre à 9 heures.

Il s'agit ensuite de l'une des dernières étapes du renouvellement du CSM, qui permettra l'entrée en vigueur de la nouvelle composition et des nouvelles attributions du Conseil supérieur. En effet, à l'issue des opérations de renouvellement, le CSM comptera 22 membres au lieu de 16 actuellement. Les nouveaux membres du CSM prendront leurs fonctions le 23 janvier 2011. A cette date, le Président de la République et le ministre de la justice ne seront plus président et vice-président du CSM. La présidence sera assurée par le premier président de la Cour de cassation pour la formation compétente à l'égard des magistrats du siège et par le procureur général près cette cour pour la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet. Le ministre de la Justice pourra participer aux séances de ces formations, sauf en matière disciplinaire.

La composition du CSM sera plus ouverte sur la société civile, avec l'arrivée d'un avocat et de trois personnalités qualifiées supplémentaires.

La révision constitutionnelle a en outre étendu les attributions du Conseil supérieur. Ainsi, à l'issue du renouvellement, la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet sera appelée à rendre un avis sur la nomination du procureur général près la Cour de cassation et des procureurs généraux près les cours d'appel.

Enfin, les justiciables pourront saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature, s'ils estiment que le comportement d'un magistrat dans l'exercice de ses fonctions peut justifier des poursuites disciplinaires.

Les auditions auxquelles nous allons maintenant procéder constituent donc l'aboutissement de la mise en place d'un nouveau CSM, dont nous souhaitons qu'il contribue pleinement au renforcement de l'indépendance, de l'autorité et de l'efficacité de la justice.

Nous allons maintenant entendre M. Pierre Fauchon, qui n'est pas un inconnu pour la commission des lois, ni pour le Sénat. Il va nous dire comment il conçoit cette nouvelle mission qui lui sera confiée si nous votons pour lui.

M. Pierre Fauchon. - Je suis à la fois impressionné et heureux de me présenter devant des collègues avec qui j'ai travaillé, pour certains, de très nombreuses années.

Je voudrais tout d'abord vous dire ce qui, dans ma carrière maintenant assez longue, m'a, me semble-t-il, préparé à cette fonction. Passant en revue mon passé, je me suis aperçu qu'à de nombreuses reprises j'avais eu l'occasion de voir de près comment fonctionnait la justice.

Au début de ma carrière, j'ai travaillé auprès d'un avoué pendant deux ans et j'ai vu de près les petits métiers de la justice, ce qui était une bonne expérience de terrain. J'ai ensuite été fonctionnaire français comme adjoint du contrôle civil au Maroc alors que le protectorat prenait fin. Comme j'avais fait des études de droit et de sciences politiques, mon patron de l'époque m'a confié la responsabilité de la justice dans la ville sainte du Maroc, Moulay Idriss. Je suis devenu le représentant du parquet du tribunal de cette ville. J'ai donc été chargé de l'instruction de quelques affaires criminelles et j'ai assisté le Caïd, à savoir le juge, dans ses décisions. Je devais, en plus, gérer le greffe et le secrétariat du tribunal et j'ai même dirigé un temps la prison qui regroupait 100 détenus, et jusqu'à 300 après des émeutes. J'ai fait au Maroc presque tous les métiers de magistrat. Je menais les instructions et je me vante même d'avoir introduit quelques modifications. J'ai rétabli la justice de proximité, comme au temps de Lyautey. Nous allions à cheval dans les douars pour rendre la justice sous des tentes. C'était un réel bonheur d'arriver dans ces villages, accueillis par une fantasia et toute la population qui nous remerciait de venir rendre la justice sur place, d'autant que la procédure y était totalement orale et que le rôle des témoins y était, par là même, essentiel.

J'ai également été le premier à demander que les jugements soient motivés. Mon père étant avocat, je ne pouvais en effet pas imaginer qu'un jugement ne soit pas motivé. Au bout de six mois, les avocats de Meknès, qui étaient formés à Bordeaux, ont écrit aux autorités françaises du protectorat pour se féliciter des jugements motivés du tribunal de Moulay Idriss.

Toujours au Maroc, j'ai dû gérer une prison à un moment difficile, après des émeutes. J'ai épargné à une centaine de détenus politiques d'être transférés dans des centrales gérées par les militaires. Quand on m'a demandé ce transfert, j'ai refusé pour des raisons que vous pouvez imaginer : j'ai argué que j'avais besoin de ces détenus pour des travaux d'intérêt général. Je savais ce que voulait dire l'emprisonnement dans ces centrales à l'époque.

Quand on parle du statut des prisonniers, je pense, fort de mon expérience, qu'il faudrait donner davantage de permissions de courte durée : elles ont un effet apaisant indéniable sur les détenus. Bien sûr, dans leur quasi-totalité, ils reviennent et le climat carcéral en est profondément transformé, d'autant qu'ils savent que, si tout se passe bien, ils bénéficieront d'une autre sortie l'année suivante ou à l'occasion de quelque fête.

A la fin du protectorat, le nouveau régime m'a demandé de rester fonctionnaire chérifien. Je n'avais pas l'intention de m'établir durablement au Maroc avec mon épouse, mais comme il s'agissait d'un honneur qu'on me faisait, je suis resté en fonction encore près d'un an. Grâce à cette expérience, j'ai donc une idée assez précise du fonctionnement de la justice.

De retour en France, j'ai exercé la profession d'avocat. J'ai notamment été un collaborateur de Jacques Isorni. J'ai eu à connaître différentes affaires de l'OAS et je sais les problèmes que posent certains avocats par rapport à la confidentialité et je sais aussi ce que peut représenter la présence d'un avocat dès la première heure d'une garde à vue.

J'ai ensuite été membre du cabinet du garde des Sceaux Jean Lecanuet pendant trois ans. J'étais chargé de rédiger ses discours et de préparer ses interventions, notamment en direction des avocats. Après avoir vu pour ainsi dire d'en bas le fonctionnement de la justice, je l'ai vu d'en haut.

Une expérience m'a beaucoup frappée et a modifié mon jugement : j'ai dirigé pendant trois ans l'Institut national de la consommation. J'ai pu alors observer la justice avec l'oeil des petits justiciables et des petits litiges. Cela a été très formateur.

Enfin, j'ai siégé avec bonheur à la commission des lois où j'ai eu l'occasion de contribuer à plusieurs travaux. J'ai notamment rédigé un rapport sur les moyens de la justice à l'occasion duquel je me suis penché sur la réforme de la carte judiciaire. Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur cette réforme qui n'a pas été conduite comme nous l'imaginions. Enfin, nous avons rédigé avec M. Charles Gautier un rapport sur la formation des magistrats. A ce propos je veux saluer les méthodes de travail mises en place par notre président de commission : il est bon que des sénateurs de différents bords politiques participent ensemble à l'élaboration de rapports. La formation des magistrats nous est apparue trop théorique et ne faisant pas suffisamment de place aux connaissances de la réalité. Pour faire de bons juges, il faut avoir cette « faculté de discernement » dont parle La Bruyère, chose rare et qui suppose une certaine expérience.

Ce rapport a débouché sur une réforme de l'École nationale de la magistrature et il semblerait, d'après les contacts que j'ai avec le directeur de l'Ecole, M. Jean-François Thony, que les choses s'améliorent.

Bien évidemment, je me suis intéressé à la question du fonctionnement de la justice. Or, c'est un des rôles du CSM qui est amené à se développer dans les années à venir. Il aura à connaître tous les problèmes quotidiens de la justice, en sus des nominations et du statut, et des débats sur l'indépendance du parquet. La lenteur de la justice n'est aujourd'hui plus supportable. C'est son principal défaut et c'est celui que l'on peut le plus facilement corriger. Certes, la justice mécontente fatalement une personne sur deux, voire les deux, et il est exact que la justice ne saurait être infaillible, même si la formation des magistrats peut améliorer les choses. Mais je suis persuadé que l'on peut faire de grands progrès dans la rapidité des jugements. Dans notre monde moderne, il n'est pas acceptable que des litiges familiaux ou économiques, dont les enjeux sont considérables, ne soient réglés qu'après des années de procédure. Le jugement n'a alors plus d'intérêt. Pour accélérer les délais de jugement, le CSM a son rôle à jouer.

Bien que je ne souhaite pas sanctionner systématiquement les magistrats, j'estime que le CSM doit intervenir quand des délibérés sont reportés de mois en mois, d'année en année. Faire diligence me semble être une obligation professionnelle. D'ailleurs, la Cour de Strasbourg a estimé qu'une procédure trop longue équivalait à un déni de justice.

Le CSM se prononce lors des nominations des magistrats. C'est une question d'appréciation très délicate et j'essayerai de faire de mon mieux. L'expérience des hommes que j'ai pu engranger lors de ma carrière m'y aidera sans doute.

La fonction disciplinaire du CSM est importante. Longtemps, les poursuites ont été inexistantes. Les magistrats ne commettent pas plus de fautes que dans d'autres professions, mais ces fautes mettent en cause des intérêts humains et économiques considérables et c'est pourquoi il convient d'être particulièrement vigilant. Il fut un temps où la saisine du CSM ne pouvait être que le fait du Garde des Sceaux et il s'abstenait de le faire car toute poursuite aurait été suspecte d'arrière-pensées politiques. Je l'ai vu lorsque j'étais au cabinet de M. Lecanuet. Moyennant quoi, on a laissé se développer des comportements choquants dans telle ou telle juridiction.

Nous avions cru trouver une solution en donnant la possibilité aux chefs de cour, procureurs généraux et premiers présidents, de saisir le CSM. Mais cette réforme n'a pas donné satisfaction : l'esprit de corps et de camaraderie font que les magistrats, même très haut placés, ne veulent pas causer d'ennuis à leurs collègues. La révision de la Constitution permet désormais aux particuliers de saisir directement le CSM dans sa fonction disciplinaire. Mais il me semble très difficile pour un plaideur de se plaindre de son juge ! Il faut qu'il soit sûr de ne plus jamais avoir ensuite de procès de sa vie ! Pourtant, la réforme me semble importante car elle pourra sans doute corriger un certain nombre de comportements fâcheux. Nous avons pu voir récemment des rivalités entre juges de très haut niveau dans certaines cours qui disqualifient la justice. Comment voulez-vous que le justiciable ait confiance dans ces cas-là ? J'entends parler de cours d'appel où sévissent de véritables guerres de clans, entre les magistrats, ou les magistrates, qui les composent, puisque la parité est totalement réalisée dans cette profession. Il y a même plus de femmes que d'hommes, maintenant.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Donc la parité n'est plus respectée !

M. Pierre Fauchon. - C'est bien là le problème ! Dans les petits tribunaux, qui traitent des affaires familiales, les justiciables hommes se posent des questions lorsqu'ils se retrouvent devant un tribunal composé uniquement de femmes. Il n'est pas bon qu'ils se posent des questions.

Enfin, le CSM a un rôle de conseil auprès du Président de la République et des pouvoirs publics sur toutes les questions de justice. Pour moi, c'est un rôle passionnant, compte tenu de mon parcours. Le CSM prend parfois l'initiative de faire des observations : il m'est arrivé d'être un peu réservé sur ces initiatives. Il devrait s'en tenir à des cas tout à fait nécessaires. La participation à l'élaboration de ces avis sera pour moi sans doute l'aspect le plus intéressant de cette nouvelle activité, à supposer que vous me fassiez confiance.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Vous connaissez très bien la question du recrutement et de la formation des magistrats. Des évolutions ont eu lieu, vous l'avez dit. Le concours prend davantage en compte la personnalité des candidats. On s'est demandé si l'immaturité de certains juges d'instruction n'expliquait pas divers fiascos. D'après vous, peut-on encore améliorer la formation ?

M. Pierre Fauchon. - La réforme de l'ENM était nécessaire et elle est engagée dans la bonne voie, dans la mesure où l'on a cessé de toujours privilégier les plus qualifiés intellectuellement : l'idée selon laquelle ceux qui réussissent les concours sont les plus à même de juger les affaires est fausse. C'est la sagesse, la faculté de discernement qui prime. « Après l'esprit de discernement, ce qu'il y a au monde de plus rare, ce sont les diamants et les perles » a dit La Bruyère. C'est vrai que le discernement ne s'apprend pas sur les bancs de l'école, mais au contact de la vie et sans doute aussi par des aptitudes psychologiques. Nous avions imaginé d'introduire dans le concours des tests psychologiques. Mais ce n'est pas du tout simple à mettre en place. M. Thony m'a dit que les recrutements sont plus diversifiés qu'avant.

Une anecdote : la commission avait créé un groupe de travail et nous étions sept ou huit à faire un déplacement à l'ENM, dont M. Charles Gautier, M. Pierre-Yves Collombat et moi-même. Nous avions passé deux heures avec trois élèves : le premier était le major de la promotion, le second avait été greffier et avait intégré l'école au bout de huit ans de métier et le troisième venait d'une toute autre profession. Lorsque nous sommes sortis de l'audition, nous nous sommes dit que, s'il fallait être jugé, nous préfèrerions autant que ce ne soit pas par le major !

Nous avons également constaté que nous avions le tort de confier de très lourdes responsabilités à des magistrats débutants. Malheureusement, le système hiérarchique fait que, lorsque les gens ont acquis davantage d'expérience, on les nomme à des postes où ils ont moins de responsabilités, alors que les juges débutants doivent traiter des affaires les plus brûlantes. Cela ne va pas ! Nous avons pensé qu'une des solutions résidait dans la collégialité, mais il ne faut pas y compter, à la fois parce que nous ne disposons pas d'effectifs suffisants et parce que la pratique fait que, dans une collégialité, un magistrat suit le dossier tandis que les deux autres lui font confiance. La collégialité peut fonctionner en cour d'appel, mais cela devient de plus en plus rare : les dossiers sont lourds et, pour les posséder, il faut les avoir lus de bout en bout. Ne nous faisons donc pas d'illusion : la collégialité n'est pas la panacée. Une des solutions réside dans la formation initiale. A l'ENM, on a la manie des stages courts. Ce n'est pas en quinze jours que l'on peut se former. Dans le cabinet d'avocat, le stage a été rallongé, Dieu merci ! En six mois, on a le temps d'apprendre. Une formation pratique est essentielle. En outre, il faut sans doute revoir toute la hiérarchie et les rémunérations pour faire en sorte que les juges d'instruction et les juges aux affaires familiales soient placés plus haut dans la hiérarchie afin que leurs responsabilités soient réellement prises en compte.

M. Patrice Gélard. - Nous allons regretter M. Fauchon à la commission des lois, d'autant qu'il n'a pas terminé le travail qu'il avait commencé. Comment pourra-t-on prolonger votre action, cher collègue, pour améliorer la justice de proximité ?

Dorénavant, le justiciable va pouvoir saisir directement le CSM. Les personnalités extérieures vont jouer un rôle capital dans cette affaire. Comment entendez-vous l'assumer ?

L'avenir des procureurs n'est pas réglé. On ne va pas pouvoir maintenir longtemps la situation actuelle. Faut-il assimiler les procureurs aux magistrats ? Faut-il les séparer clairement ?

M. Christian Cointat. - La justice est sensée être rendue au nom du peuple français. C'est pour cette raison que diverses réformes ont eu lieu, comme celle en faveur de la collégialité, afin que l'intérêt général prime. J'ai été un peu inquiet d'entendre M. Fauchon dire que la collégialité ne servait pas à grand-chose. Quand un juge est honorablement connu, on peut accepter qu'il vous juge seul. Mais il y a beaucoup de cas où le juge unique se révèle une véritable catastrophe. Quand il y a deux assesseurs, même s'ils ne sont pas magistrats, le bon sens peut l'emporter. Le CSM va jouer un rôle important dans ce rééquilibrage grâce à la saisine directe des citoyens. Ne croyez-vous pas que le CSM devra rappeler que la justice est rendue au nom du peuple français ? Quand une décision est motivée, on peut plus facilement accepter la sentence, même quand elle ne vous est pas favorable.

Enfin, le procureur peut-il rester un magistrat ? Si tel est le cas, le CSM doit pouvoir le nommer comme les magistrats du siège. Enfin, quid du juge d'instruction, avec un procureur qui ne serait pas un magistrat indépendant ?

M. Richard Yung. - Vous avez mentionné la lenteur des décisions de justice. C'est un réel problème, mais quelles sont les solutions possibles, mise à part l'augmentation du nombre de magistrats ?

Vous aurez à gérer les déroulements de carrière des magistrats. Les règles sont contraignantes, notamment celle de la mobilité. Les magistrats ont-ils vocation à être généralistes ou pas ? Avec M. Laurent Béteille, nous terminons un rapport, dans le domaine de la propriété industrielle, et nous voyons les difficultés que la mobilité pose : il faut deux à trois ans pour qu'un magistrat nouvellement nommé à un poste acquière une expérience suffisante pour devenir un bon professionnel. Au bout de ces trois ans, il doit partir dans une autre cour pour faire autre chose. Comment voyez-vous l'aménagement des carrières des magistrats ?

M. Christophe-André Frassa. - Le CSM a-t-il un rôle à jouer dans l'accélération des procédures ? Il en va de la restauration des liens de confiance entre le justiciable et la justice.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Sauf à changer la Constitution, le parquet est composé de magistrats.

M. Pierre Fauchon. - Tout à fait ! Mais s'agit-il de juges ? Telle est la question.

Je croyais beaucoup aux juges de proximité : j'ai été le rapporteur du texte mais il était mal ficelé. L'un des moyens d'améliorer le cours de la justice, c'est d'introduire des juges de proximité à l'anglaise. En Grande-Bretagne, les juges sont des sollicitors qui ont vingt ans de métier et qui ont fait leurs preuves, quelle que soit leur spécialité. Nous devrions avoir cette culture et recruter ainsi nos juges de proximité. Au lieu de faire cela, on a créé une juridiction spéciale de juges de proximité avec un domaine de compétences que l'on a en quelque sorte soustrait aux juges d'instance, qui n'ont pas apprécié, pour mettre en place une sorte de juridiction particulière au bas de l'échelle. Comme on n'avait pas les moyens, on a déclaré que ces juges auraient le même greffe que les tribunaux d'instance. Tout cela était absurde.

A mon sens, le juge de proximité est un excellent moyen d'améliorer la culture judiciaire, mais le juge de proximité doit la plupart du temps rester dans une position seconde : l'axe de la justice, c'est le professionnel. Mais si le juge de proximité est dans une collégialité, il sera attentif et il jouera davantage son rôle car il n'aura pas d'autres préoccupations. Dans les tribunaux d'instance, il faut que le juge d'instance dispose de différentes voies alternatives, comme la médiation, à laquelle je crois beaucoup. Il distribue les affaires aux uns et aux autres en fonction de leurs compétences. Si le juge de proximité se heurte à un problème juridique complexe, il s'adresse au président du tribunal d'instance, qui sera son référent, son conseiller. On a parlé d'introduire des jurés ici ou là, mais cela ne sert à rien : ce qui caractérise le juré, c'est qu'il ne fait qu'une session. Et c'est d'ailleurs là tout le danger : comment juger correctement une affaire si vous n'en jugez qu'une ? Il faut des juges de proximité qui apporteront leurs compétences à la justice.

J'en viens à la saisine par les justiciables. C'est une bonne chose, mais pensez-vous qu'un justiciable osera s'adresser au CSM ? J'ai en tête une affaire dans laquelle les délibérés sont sans cesse renvoyés. Les juges se succèdent et ne font rien. Or, il s'agit d'une grosse affaire économique qui concerne une start up : elle attend, en vain, un jugement. Mais croyez-vous que le dirigeant de cette entreprise va aller se plaindre de son juge d'instruction ? S'il s'y risquait, gare au jugement !

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Le justiciable ne peut porter plainte auprès du CSM que si la décision de justice est définitive.

M. Pierre Fauchon. - Certes, mais il ne faut plus avoir affaire à la justice de sa vie. Néanmoins, cette réforme est nécessaire car les magistrats, comme tout être humain, ne sont pas des personnes parfaites et ils doivent respecter un certain nombre de règles. On peut attendre du meilleur fonctionnement de la formation disciplinaire une amélioration du cours de la justice.

Sur le statut du parquet, la commission des lois devra en délibérer, et je regretterai de ne plus être parmi vous. Je suis de la vieille école : comme l'a rappelé Me Soulez-Larivière dans un article du Monde il y a quinze jours, il n'est pas normal que l'évolution de notre droit pénal ait abouti à ce que la majorité des affaires pénales soient tranchées par des magistrats chargés de la poursuite. De plus, personne ne sait pourquoi des affaires sont classées sans suite ; l'Italie a supprimé l'opportunité des poursuites : toute affaire y est poursuivie.

La solution du plaider coupable ? Ainsi que l'a voulu le Conseil constitutionnel, on a introduit un certain contrôle par le juge du fond. Mais ce juge a déjà énormément de travail : faut-il en rajouter ? En outre, les magistrats n'aiment pas être en discussion les uns avec les autres : ils ne souhaitent pas relever les erreurs dans les dossiers de leurs collègues.

Pourtant, je crois beaucoup au plaider coupable : en Grande-Bretagne, si les débats sont véritablement approfondis, c'est que 80 % des affaires sont traitées à l'amiable. On peut alors consacrer beaucoup de temps aux 20 % restant. Nous devrions développer la culture du plaider coupable. Point n'est besoin de discuter de la culpabilité lorsqu'elle n'est pas discutable.

Je suis donc partisan de rapatrier à des juges, et non pas au parquet, le jugement des affaires. Il ne faut pas non plus critiquer outre mesure les parquetiers : ce sont des magistrats qui ont la même formation que leurs collègues du siège. Ils ont le même sens du devoir.

Mais j'ai toujours pensé que les magistrats ne devraient pas pouvoir faire des va-et-vient entre parquet et siège durant toute leur carrière. C'est en effet très choquant pour le justiciable. Dans certains tribunaux, vous voyez un procureur puis, six mois après, la même personne est assise au siège et juge les affaires, et parfois celles qu'il a eu à traiter en tant que procureur ! Quelle que soit la vertu des magistrats, la justice est aussi faite pour être comprise du public et des justiciables. Et de tels changements sont incompréhensibles. J'avais proposé à une époque qu'à la sortie du second grade, les magistrats choisissent définitivement de faire leur carrière au parquet ou au siège.

En second lieu, se pose le problème des instructions individuelles de la Chancellerie. On croit qu'elle passe son temps à en donner : il n'en est rien, car à chaque fois qu'une instruction est donnée, elle est suspecte d'arrière-pensées politiques. Pourquoi ne pas créer une autorité indépendante du ministère de la justice chargée du suivi individuel des affaires ? Le Sénat avait voté une proposition de loi en ce sens, le procureur général de la République, mais elle n'a pas prospéré. Le Président de la République voulait instaurer un procureur général de la Nation qui aurait eu ce rôle. Cette personne aurait pu être nommée pour quatre ou cinq ans par le Président de la République, mais sur une liste de trois noms proposée par le CSM, de manière à éviter tout abus, et son mandat n'aurait pas été renouvelable. Elle aurait été chargée de suivre individuellement les dossiers et de donner ces fameuses instructions écrites et versées au dossier. L'indépendance de cette autorité aurait été assurée. J'en ai parlé au Président de la République, mais il a estimé que cela faisait beaucoup d'autorités indépendantes. Certes, lui ai-je répondu, mais celle-là serait particulièrement utile et contribuerait à améliorer le système, car actuellement, la direction des affaires criminelles de la Chancellerie se tient au courant des affaires, mais elle n'ose pas donner d'instructions, même si les circulaires restent de son domaine.

J'ai fait cette année un stage d'immersion au parquet général de Rouen pour voir comment fonctionnait une telle instance. Je croyais que le rôle de ces parquets n'était que formel et qu'ils ne suivaient pas l'action des procureurs. Il n'en est rien ! Le suivi de leurs actions est très bien fait, des conférences et des téléconférences ont régulièrement lieu et les échanges d'expérience se font. Ces parquets généraux font des rapports à la Chancellerie ; mais cette dernière ne donne pas d'instructions, m'a-t-on dit. Si une autorité politique a, par malheur, quelque chose à dire à un magistrat, elle ne passe pas par la direction des affaires criminelles. Quel que soit le système en place, elle saura le dire par des voies détournées. D'ailleurs, si vous voulez consolider l'indépendance des magistrats, songez à supprimer les décorations, comme cela fut fait pour les parlementaires. Ce serait un grand progrès.

Reste la question des nominations : actuellement, le CSM donne un avis, mais la Chancellerie peut prendre une décision différente pour les magistrats du parquet. Faut-il prévoir un avis conforme ? Nous devrons sans doute tenir compte de l'état de l'opinion publique et prévoir un avis conforme, réserve faite pour les chefs de cour qui sont nommés en Conseil des ministres.

Je ne suis pas partisan d'aller vers la confusion entre les magistrats qui sont chargés des poursuites et les magistrats qui jugent les affaires. Ce sont deux écoles de pensée et deux cultures différentes, même si la déontologie est commune.

J'ai été magistrat à la Cour de justice de la République lorsqu'il a fallu juger le dossier Pasqua. J'ai été extrêmement embarrassé d'avoir à juger, car ma culture est celle d'un avocat. Je suis prêt à défendre une cause, mais il m'est beaucoup plus difficile de prétendre dire la vérité : je n'ai pas suffisamment d'assurance en moi-même pour le faire.

« Soyez objectif, maître », dit un juge au jeune avocat que j'étais ; « ce n'est pas à moi de l'être, mais à vous ! », lui rétorquai-je ! Il ne faut pas confondre les fonctions.

Dans les affaires de criminalité organisée, je ne conteste pas que certains avocats soient amenés à être des complices. J'ai moi-même refusé des clients de l'OAS à l'époque, pour cette raison. L'avantage est que le choix par le prévenu de tel ou tel avocat crée parfois une présomption de culpabilité ! La solution espagnole me paraît bonne : l'avocat est choisi sur une liste établie par le bâtonnier, en collaboration avec le parquet. Ainsi tout soupçon peut être écarté, sans que soit oublié le fait que la délinquance organisée est la plus dangereuse de toutes.

S'agissant du juge unique et des assesseurs non magistrats, je pense que les juges de proximité peuvent redonner un sens aux collégialités.

Il faut savoir sanctionner les juges qui font traîner les délibérés et rallongent les délais : certains ne rendent aucun arrêt ! Les retards de la justice sont une constante. On ne peut doubler le nombre de magistrats ; ceux-ci ne le souhaitent d'ailleurs pas. Une solution pratique serait d'affecter une brigade supplémentaire d'une cinquantaine ou d'une centaine de juges à telle cour d'appel, pour résorber le retard, puis à telle autre, etc. Si l'on veille à ce que les retards ne se reconstituent pas, on devrait avoir tout résorbé en dix ans.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Vous avez dit qu'il est difficile d'être juge.

M. Pierre Fauchon. - C'est une vocation. Il faut avoir le tempérament qui convient !

M. Jean-Jacques Hyest, président. - C'est une fonction éminemment respectable. Le rôle du CSM est de veiller à ce que cette noble mission soit remplie au mieux.

M. Pierre Fauchon. - Je vivrai une éventuelle nomination comme un honneur, et comme une promotion !

Audition de M. Jean-Pierre Machelon, candidat proposé par M. le Président de la République pour siéger au sein du Conseil supérieur de la magistrature

M. Jean-Jacques Hyest, président. - En quoi votre parcours, monsieur le professeur, a-t-il des liens avec la justice et avec la fonction que vous pourriez être amené à occuper au sein du CSM ?

M. Jean-Pierre Machelon. - C'est un grand honneur pour moi que de me présenter devant vous. Je mesure le privilège de pouvoir dialoguer avec la représentation nationale sur le sujet de la magistrature.

Ma carrière est essentiellement celle d'un professeur qui a rejoint l'université par goût de la libre recherche intellectuelle, et s'y est trouvé bien, tout en étant appelé de temps à autres à remplir d'autres missions de service public dans l'administration active.

Après mes études supérieures, aux facultés de droit et des lettres et à Sciences po, j'ai parcouru le cursus normal des juristes universitaires : assistanat, doctorat d'État. À l'issue de l'agrégation de droit public, j'ai été nommé professeur à l'université d'Auvergne, où je suis resté jusqu'en 1987, puis à l'université Paris V-René Descartes, où j'enseigne le droit constitutionnel et l'histoire de la pensée politique. Élu doyen, je dirige la faculté de droit, ainsi que son centre de recherche en droit public. À la Sorbonne, je suis directeur d'études cumulant à l'École pratique des hautes études et titulaire de la chaire d'histoire des institutions européennes.

J'ai parallèlement exercé différentes responsabilités. Conseiller au cabinet du président Monory pour les questions juridiques et institutionnelles, j'ai assisté à la rénovation du CSM par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993. J'exerce depuis 25 ans des fonctions dans l'administration de la recherche : auprès du ministère, à deux reprises, comme chef de département ou directeur scientifique, et à la direction du CNRS, dont je suis administrateur depuis 2005. Je signale également mon ancienne appartenance à la Commission nationale consultative des droits de l'homme, mes fonctions d'expert à la commission européenne contre le racisme et l'intolérance du Conseil de l'Europe, et ma présidence de la commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics.

Le vif intérêt que je porte à l'institution judiciaire ressort sans doute davantage de mon activité et de mes travaux universitaires. Comme doyen de la faculté de droit, je suis responsable de l'Institut d'études judiciaires. Avec un millier d'inscrits, c'est aujourd'hui le troisième en France.

Comme juriste et comme historien, j'ai conduit et dirigé des recherches sur la magistrature française. Ma thèse de doctorat comportait des développements sur la magistrature sous la Troisième République. J'ai fait paraître un recueil de textes commentés qui montrent que la réforme judiciaire était à la fois sujet de discussion favori de la classe politique et terrain de réforme quasi impraticable. D'autres de mes publications, par exemple sur l'épuration, mettent en lumière la proximité entre le pouvoir et les juges au XIXème siècle, et les difficultés qui s'ensuivaient entre la magistrature en place et les régimes politiques. Les conséquences étaient graves pour le crédit de l'institution judiciaire. Anatole France résume cette méfiance : « Cela seul me cause un insupportable embarras qu'il faille que ce soient les juges qui rendent la justice » ! Tout cela est fort loin. L'étude du passé rend optimiste pour l'avenir : le besoin de justice toujours plus impérieux interdit les pronostics péremptoires.

La transformation du CSM renforce cet optimisme. Sans porter de jugement, je suis aujourd'hui plus sensible aux promesses de la réforme qu'inquiet de ses éventuelles insuffisances. Ce nouveau Conseil, pourvu d'un droit de regard sur l'ensemble des nominations de magistrats, est mieux à même d'assurer l'indépendance du corps judiciaire vis-à-vis du pouvoir politique et d'éviter le corporatisme. Le Conseil supérieur de la magistrature n'est plus le Conseil supérieur des magistrats, désormais minoritaires. La faculté accordée aux justiciables de saisir le CSM à titre disciplinaire fait naître beaucoup d'espoirs, et s'inscrit, comme les questions prioritaires de constitutionnalité, dans le mouvement actuel de renforcement de l'État de droit.

Je souhaite aider à lever les inconnues qui demeurent sur la portée des innovations. Le nouveau CSM aura à connaitre des grandes questions statutaires ou matérielles que soulèvent l'activité judiciaire et la recherche d'une bonne justice, indépendante, sereine et efficace. Le corps judiciaire ne peut se gérer sans avoir égard aux moyens de la justice et ni à la portée réciproque du principe d'inamovibilité des magistrats du siège et de l'impératif « managérial » de mobilité. Le principe de l'unité du corps judiciaire, consacré par le Conseil constitutionnel, ne peut rester sans incidence sur la mise en oeuvre de cet impératif de mobilité.

Au CSM d'apprécier jusqu'à quel point la responsabilité du juge peut être recherchée sans entamer son indépendance. Entre les deux - responsabilité et indépendance - le CSM détiendra le curseur, en statuant sur les questions disciplinaires. Il mettra à jour le recueil des obligations déontologiques du magistrat. Ce chef de compétence, dont l'affaire d'Outreau a révélé les implications humaines, suffirait à justifier une large présence de non magistrats au sein du Conseil supérieur. Il suffit à justifier la motivation résolue qui est la mienne pour exercer la fonction à laquelle le Président de la République, sous réserve de votre avis, envisage de me nommer.

M. Patrice Gélard. - Nous nous connaissons bien. Une question perfide : n'est-il pas déplacé de nommer un publiciste, et non un privatiste, au CSM ?

M. Jean-Pierre Machelon. - Il ne m'appartient pas de rechercher pour quelles raisons un publiciste est préféré à un privatiste. Un juriste est un juriste.

M. Patrice Gélard. - En fait, il y a toujours eu des publicistes au CSM.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - S'agissant de l'organisation de l'État, cela se justifie !

M. Jean-Pierre Machelon. - La différence entre professeurs de droit public et de droit privé est bien plus mince qu'il y a trente ans.

M. Patrice Gélard. -Ce sont les publicistes qui ont évolué !

Les Instituts d'études judiciaires sont en panne, et la formation des magistrats échappe aux facultés de droit ; l'Institut d'études politiques voit ses étudiants réussir le concours de l'École nationale de la magistrature (ENM) sans mastère en droit ! La formation au sein de l'ENM mériterait d'être profondément rénovée. Je rêve d'une formation à l'allemande, où toutes les professions juridiques seraient à la même école pendant trois ans...

Quel est votre sentiment sur le recours des citoyens devant le CSM ? À cet égard, le rôle des personnalités extérieures me paraît fondamental.

Vous avez une expérience des cabinets ministériels que peu de professeurs ont ; je regrette qu'il n'y ait plus de juristes auprès du ministère de l'Enseignement supérieur !

M. Christian Cointat. - Vous avez été membre de la commission nationale consultative des droits de l'homme. Que pensez-vous de la récente décision de la Cour européenne des droits de l'homme sur le parquet français ? Comment allez-vous agir au sein du CSM à la lumière de cette évolution ?

Avez-vous l'intention de profiter de l'expérience d'autres pays de l'Union européenne pour conduire votre action ?

M. Jean-René Lecerf. - Dès lors que la différence entre publicistes et privatistes s'amenuise, le dualisme des juridictions vous paraît-il toujours s'imposer ?

L'unité du corps de la magistrature est-elle compatible avec les pouvoirs très différents du CSM à l'égard du siège et du parquet ?

Enfin, j'ai été surpris par l'écrasante majorité de femmes parmi les élèves de l'ENM. Ce monopole féminin ne risque-t-il pas de poser problème ?

M. Richard Yung. - L'obligation de mobilité imposée aux magistrats pour leur avancement ne nuit-elle pas à leur spécialisation ? En matière de propriété intellectuelle, par exemple, il faut trois ans à un magistrat pour devenir performant ; or j'en connais qui ont dû partir au bout de cinq ans, s'occuper des divorces en Normandie, alors qu'ils auraient souhaité rester ! Comment concilier ces exigences contradictoires ?

M. Christophe-André Frassa. - Je vois que vous vous êtes impliqué à Abou Dhabi et à Monaco, monsieur le professeur. Pensez-vous que le système judiciaire français soit un modèle d'exportation ?

M. Jean-Pierre Machelon. - Nos facultés de droit doivent continuer à revendiquer la formation des magistrats et des avocats. Si je déplore que nos concurrents soient plus efficaces pour préparer au concours de l'ENM, je ne me fais pas de soucis : nous risquons plutôt de crouler sous la confiance que nous inspirons !

Il y a deux manières d'appréhender la formation des magistrats. On peut soit, comme à l'ENM, donner aux futurs auditeurs de justice la formation la plus vaste possible, qui doit les rendre opérationnels rapidement ; soit, comme dans certains pays, n'admettre dans la magistrature que des juristes éprouvés. Sous la IIIe République, il fallait être inscrit au barreau et avoir une expérience de trois ans pour devenir juge ! L'opinion publique ne comprendrait pas que l'on revienne à un tel système : c'est une objection dirimante. Toutefois, je ne juge pas malsaine une cohabitation entre des personnes au profil et à l'expérience différents, et je regrette que la formation actuelle des magistrats ne le permette pas suffisamment.

S'agissant de l'action des personnes extérieures au sein du CSM, je ne peux répondre que pour moi-même. Les dossiers disciplinaires sont essentiels. Donner aux justiciables la possibilité de se plaindre est une réforme sans précédent. Les magistrats ne sont pas pour autant responsables civilement, du moins dans la pratique. C'est un enjeu important. À ce titre, l'action des membres extérieurs à la magistrature, au nom de la société, peut être précieuse, car la magistrature est au service du pays tout entier.

La question du parquet est brûlante. J'ai pris connaissance de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Moulin contre France, et des polémiques sur le statut du parquet. Aujourd'hui, le parquet est, sans aucun doute, une autorité judiciaire. L'article 1er du statut de la magistrature l'affirme, le Conseil constitutionnel, par sa décision du 11 août 1993, le confirme. Dans l'affaire Moulin, la Cour ne fait que dire que la privation de liberté ne peut résulter d'une décision du parquet : le statut du parquet en tant qu'autorité judiciaire n'est pas nécessairement remis en cause. L'enjeu est de savoir si le procureur pourra continuer encore longtemps à contrôler le placement en garde à vue. Je ne fais pas de pronostics, tout en précisant que la situation actuelle ne me choque pas.

Faut-il s'inspirer des expériences d'autres pays ? Je le crois. Nous ne pouvons rester indifférents aux innovations de pays voisins. Toutefois la justice, fonction régalienne, est tellement intimement liée à notre histoire qu'on ne peut sans transition adopter des mesures révolutionnaires, même si elles semblent excellentes en Allemagne ou en Angleterre. Je prône donc la prudence, mais non la fermeture.

J'ai longtemps enseigné la raison d'être du dualisme juridictionnel, mais avec une foi faiblissante, connaissant les mécomptes qui s'ensuivaient pour les justiciables. L'unification complète des ordres juridictionnels n'est pas possible, ne serait-ce qu'à cause du statut particulier du juge constitutionnel ou des juridictions financières, mais il faut en finir avec les jeux de raquette que les fins connaisseurs du contentieux administratif admirent avec trop de piété...

Je suis mal à l'aise pour répondre sur l'unité de corps au regard des attributions du CSM. Je ne suis pas le législateur, encore moins le constituant ! Je prends les textes tels qu'ils résultent des délibérations du Parlement. Je crois toutefois que l'extension des compétences du CSM est un réel progrès : aucune décision en matière de nomination ne lui échappera.

Je suis moi aussi étonné par la féminisation de la magistrature : 75 à 80% des nouveaux magistrats sont des femmes, et 57% des magistrats actuellement en poste. Dans le pyramidage des postes, toutefois, hors hiérarchie, rien ne peut inquiéter l'élément masculin. Il y a lieu de s'inquiéter... Ce n'est toutefois pas ma mission de donner une solution.

Je ne crois pas que les trois grades nuisent à la spécialisation des magistrats. C'est une incontestable simplification. Je ne crois pas que la mobilité imposée par le souci d'avancement soit excessive. Depuis la loi organique de 2001, inamovibilité ne veut plus dire absence totale de mobilité. Il me semble raisonnable de ne pas rester plus de sept ans chef de cour. Ces règles n'aboutissent pas au papillonnage que l'on pourrait craindre.

Le modèle français est-il exportable ? Encore faudrait-il le définir.... Je ne suis pas sûr qu'il faille préconiser l'exportation du modèle juge d'instruction-parquet, avec partage de l'autorité judiciaire, déjà menacé en France. Un système juridictionnel est en fait le produit de l'histoire : je suis contre les exportations dans ce domaine.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nous vous remercions.

Audition de Mme Rose-Marie Van Lerberghe, candidate proposée par M. le Président de la République pour siéger au sein du Conseil supérieur de la magistrature

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Je relève que sur quatre candidats, tous sont d'anciens élèves de Sciences Po !

Vous allez, madame, gérer la mobilité et la promotion d'un corps de 8 000 personnes. Après avoir dirigé l'AP-HP, qui compte 93 000 salariés, vous revenez à une dimension presque artisanale !

Mme Rose-Marie Van Lerberghe. - L'AP-HP a le même budget que la justice : 6 milliards d'euros !

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Pouvez-vous nous présenter votre parcours, et votre intérêt pour le CSM ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe. - Je suis honorée d'avoir été pressentie pour ce poste, mais aussi surprise, car je ne suis nullement spécialiste de la justice. Ce qu'on attend de moi, c'est de porter un regard neuf, extérieur, mais alimenté par mon expérience en management et ressources humaines.

Ma longue carrière a été jalonnée d'allers-retours entre le public et le privé, car je reste très attachée à l'intérêt général. Après dix années passées à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) puis à la Délégation à l'emploi, j'ai rejoint le groupe BSN, devenu Danone, où je suis restée dix ans ; j'y ai dirigé des filiales, puis les ressources humaines du groupe. J'ai beaucoup appris de la politique sociale de Danone, de sa tradition de dialogue social ; j'ai appris à mettre au premier rang le développement des compétences, la formation tout au long de la vie. Le choix de la bonne personne au bon endroit est aussi dans l'intérêt des personnes. Il sera intéressant de voir comment ces principes s'appliquent à la justice...

Je suis retournée au ministère de l'Emploi, où j'ai réuni délégation à l'emploi et à la formation professionnelle. Puis j'ai rejoint le cabinet de conseil Altedia Ressources humaines : toujours le même domaine. J'ai ensuite été nommée directrice générale de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), là aussi pour porter un regard neuf, car je n'étais nullement spécialiste des hôpitaux. Ce fut difficile mais passionnant. J'ai mis au service de l'institution tout ce que j'avais appris, notamment en matière de gestion des compétences. Aujourd'hui, je dirige le groupe Korian, qui gère des maisons de retraite médicalisées et des cliniques de soins de suite et de réadaptation en France et en Europe : il faut se soucier de l'aval de l'hôpital.

Vous le voyez, je ne suis pas spécialiste de la justice ; je comprendrai que vous considériez que je ne suis pas qualifiée pour exercer cette mission au sein du CSM !

M. Jean-Jacques Hyest, président. - L'objectif du constituant était précisément d'ouvrir la composition du CSM. Le corporatisme est un danger pour toute organisation. Il faut apporter un oeil neuf, mais aussi une expérience. Vous avez une riche expérience de l'administration et des ressources humaines. Vous avez géré les 93 000 salariés de l'AP-HP : une tâche d'une telle ampleur me découragerait !

Mme Rose-Marie Van Lerberghe. - J'ai commis un ouvrage que j'ai intitulé « Oui, la réforme est possible »...

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Peut-être même celle de la magistrature !

M. Patrice Gélard. - Vous devez être comme le Huron au Palais Royal. Quelle est votre vision du droit et de l'institution judiciaire française ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe. - J'ai eu affaire au droit tout au long de ma carrière. En tant qu'inspecteur des affaires sociales, j'ai rencontré des éducateurs de l'aide sociale à l'enfance qui étaient déçus quand, en désespoir de cause, ils s'adressaient au juge...

Je n'ai pas d'opinion tranchée, et je me refuse à faire état de préjugés. J'ai beaucoup d'interrogations, mais il serait inconvenant de prétendre y apporter des réponses ! Mon expérience à l'AP-HP, sur le terrain, a balayé l'opinion teintée de préjugés que j'en avais avant d'y entrer, notamment sur le corporatisme des médecins. Il en va de même pour la justice.

M. Christian Cointat. - Dans sa composition disciplinaire, le CSM sera composé à parité de magistrats et de non magistrats. Qu'on le veuille ou non, les premiers, qui poursuivent leur carrière au sein de la justice, qu'ils connaissent bien, pourraient bien avoir une forte influence sur les seconds. Pour que l'instance paritaire puisse dépasser les corporatismes et fonctionner dans l'intérêt général, les non magistrats devront donner le ton. Comment entendez-vous vous y prendre pour garantir l'effective responsabilité des magistrats et veiller que la justice soit bien rendue au nom du peuple français ?

M. Christophe-André Frassa. - Vous considèrerez-vous comme une porte-parole des justiciables auprès du CSM ? Quels bénéfices l'entrée de justiciables comme les autres au CSM pourra-t-elle apporter, notamment en matière de délais de jugement ? Comment rendre, à votre sens, la justice plus rapide ?

M. Jean-René Lecerf. - La Chancellerie souffre d'un énorme problème de relations humaines et de management. Estimez-vous qu'il vaut mieux être au CSM, au cabinet du ministre ou à la direction des services judiciaires pour le gérer ?

M. Richard Yung. - Votre parcours au sein de grandes entreprises vous a acquis des compétences en matière de gestion des ressources humaines. Estimez-vous qu'elles sont applicables au corps des magistrats et êtes-vous tentée de les lui transposer ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe. - Je n'aurai pas l'outrecuidance de me considérer comme le porte-parole des justiciables, mais je considère que tout corps, quel qu'il soit, a des comptes à rendre à ceux qu'il sert. Je vois quelque analogie entre les magistrats et les médecins. Dans mes fonctions à l'AP-HP, j'ai été confrontée au mandarinat, fait de personnages à la fois d'une qualité hors du commun et très corporatistes. Antoine Riboud, que j'ai côtoyé chez Danone, avait coutume de dire : « A grandes qualités, grands défauts. » La maxime vaut pour les médecins, mais peut-être aussi pour les juges.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Et pour les sénateurs...

Mme Rose-Marie Van Lerberghe. - J'ai été frappée de voir combien chez les médecins, pourtant prompts à se prendre du bec, le réflexe corporatiste revenait en force dès que l'on faisait mine de mettre en cause l'un des leurs. J'ai tenté de leur expliquer que cette attitude ne les servait pas, car il est essentiel d'évaluer le service rendu. Les classements du Point et de L'Express montrent assez que les Français veulent connaître la qualité non seulement des hôpitaux, mais de chaque service, et partant de chaque médecin. Je leur ai dit qu'il leur revenait de mettre en place une évaluation. Il n'est pas de bonne politique de mettre les fautes et les dysfonctionnements sous le boisseau.

S'il est bon, à mon sens, de donner la parole au citoyen ordinaire, il ne faut pas que le dialogue s'engage dans le conflit. J'en ai eu l'expérience, à l'AP-HP, avec les associations de patients, et je sais que la chose n'est pas simple. Je sais que si l'on veut avancer, il est essentiel d'écouter les arguments de chacun. A tous ceux que j'ai vu arriver dans mes services, j'ai toujours demandé un « rapport d'étonnement » après leurs trois premiers mois. Je pense que le questionnement fait évoluer. C'est le moyen de passer de l'affrontement à la convergence. Dans ma formation universitaire, plus que les sciences politiques, c'est la philosophie qui m'a marquée. Je reste profondément hégélienne et crois que ce sont les confrontations qui font progresser. Je crois aussi au devoir d'étonnement. A l'AP-HP, c'est ainsi que le dialogue entre administration et médecins, d'abord difficile, s'est peu à peu noué. Je pense qu'il peut en être de même au CSM. De questionnement en questionnement, on procède à des ajustements progressifs, pour aller vers la convergence. Mais il faut savoir que les outils dont nous disposons, comme l'entretien d'activité, peuvent être très bien ou très mal utilisés. Partout où je suis passée, j'ai toujours fait suivre au comité de direction une formation à l'entretien. Il est évident que l'outil doit s'adapter au milieu. Dans la fonction publique, il doit prendre en compte les règles statutaires. Je ne crois pas au prêt-à-porter : ce qui vaut dans le privé ne peut s'ajuster tel quel au public.

Vous me demandez si j'entends mettre à profit les responsabilités qui ont été les miennes en matière de ressources humaines. C'est une bonne question. Pour faire évoluer la gestion des compétences, il faut un patron. S'il ne donne pas l'impulsion, le service des ressources humaines ne peut rien. Dans l'univers judiciaire, cependant, il n'y a pas de patron. C'est le prix de son indépendance. Comment, dans un monde indépendant, parvenir à une meilleure adéquation des emplois aux compétences - démarche qui n'a rien à voir avec une politique du mérite, mais doit prendre le pas sur l'ancienneté ou tout simplement le piston ? C'est là tout l'intérêt du CSM.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Je vous remercie.

Audition de Mme Chantal Kerbec, candidate proposée par M. le Président du Sénat pour siéger au sein du Conseil supérieur de la magistrature

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Je souhaite la bienvenue à Mme Kerbec, que nous connaissons bien puisqu'elle occupe l'éminente fonction de directrice du service des commissions de notre assemblée.

Mme Chantal Kerbec. - Je tiens à remercier le président du Sénat qui a proposé ma candidature au Conseil supérieur de la magistrature. Je mesure l'honneur mais aussi la responsabilité qui m'échoit, puisque cet organisme a vocation à veiller à l'indépendance de l'autorité judiciaire, dont le Président de la République est le garant. Je ne suis pas la première fonctionnaire du Sénat appelée à siéger au CSM, puisque deux anciens secrétaires généraux du Sénat m'ont précédée, M. Ollé-Laprune et M. Bécane, ce dernier dont les fonctions prendront fin autour du 21 janvier. C'est peut-être là la preuve que les fonctionnaires parlementaires peuvent être utiles à cette institution. Je remercie les sénateurs et les députés d'avoir, par leur vote lors de la réforme, élargi de fait le nombre potentiel de femmes au CSM : c'est sans doute une des raisons pour lesquelles le président du Sénat a pensé à moi.

Fonctionnaire du Sénat depuis quarante-quatre ans, j'ai demandé à bénéficier de la retraite à compter du 31 décembre. Je suis entrée au service de l'administration parlementaire en 1967, juste après ma sortie de Sciences-po. J'ai donc connu le Sénat avant le référendum de 1969... J'y ai fait toute ma carrière, tout d'abord au service de la séance, à la division des lois, où je me suis initiée à la rigueur juridique, tout en poursuivant une licence de sciences économiques.

Car j'avoue que c'est au Sénat, plus que dans mes études initiales, que j'ai trouvé ma formation juridique. J'ai passé dix années à la commission des affaires sociales, où j'ai été successivement chargée des questions touchant au droit du travail, à la sécurité sociale - y compris, déjà, dans ses aspects financiers, puisqu'il s'agissait de remédier à un déficit récurrent - et à la santé - domaine où les relations avec les professionnels ont suscité chez moi beaucoup d'intérêt. Autant de matières certes moins prestigieuses que celles dont votre commission des lois a à connaître, mais qui m'ont dotée d'une solide culture juridique.

Il faut croire que les hautes autorités du Sénat ne m'ont pas tenu rigueur de mon élection à la présidence du syndicat du Sénat, que j'ai assurée pendant un an, puisqu'elles ont appuyé, auprès du service du personnel, ma candidature à un poste au sein de ce service, où j'ai passé dix ans. J'en ai été nommée directrice en 1986, à une époque où une telle promotion était accessible à de jeunes administrateurs, en raison de la pyramide des âges. Durant mes quatre années comme directrice du personnel, je me suis occupée du recrutement, de l'avancement, des changements d'affectation des personnels, du régime des concours ; j'ai préparé et suivi les réformes statutaires, et c'est à cette époque qu'a été introduite la règle des mobilités externes.

Puis, j'ai été nommée, en 1990, à la direction du service du secrétariat général de la présidence, poste qui m'a donné l'occasion de participer à bien des prises de décision. Assistant le secrétaire général pour le secrétariat du Bureau, j'ai connu une époque où furent agitées bien des questions statutaires relatives au mandat de sénateur - transparence, déclarations de patrimoine, déclarations d'appartenance, immunités. Le secrétariat général de la présidence était également une pépinière de divisions opérationnelles. J'ai vu la division de l'information devenir service de la communication, de même que la division des relations internationales, créée à l'initiative de M. Monory, rapidement s'ériger en service. Avec la division des impressions et des scrutins, j'ai eu à mettre en oeuvre la création de l'espace librairie, chargée de diffuser les documents parlementaires... avant qu'ils ne soient bientôt mis en ligne sur Internet.

Puis, en 1998, j'ai été nommée directrice du service des commissions, ce que je suis toujours. J'y ai beaucoup appris en toutes les matières qui touchent à l'action publique. Si ces fonctions sont par nature moins proches de l'activité législative au jour le jour, j'ai cependant assuré le secrétariat d'une longue mission sur la décentralisation, qui a été riche d'enseignements. Le rôle du directeur du service des commissions est de faire en sorte que les services fonctionnent de façon satisfaisante. Cela suppose de nombreux échanges avec les fonctionnaires du service, pour assurer une solidarité sans faille à l'intérieur des équipes et entre elles. Ce sont là des fonctions très enrichissantes, bien que très discrètes.

Je suis fière, au terme de ma carrière, d'avoir appartenu à la fonction publique parlementaire, qui est un observatoire exceptionnel de la vie politique et de la vie publique en général et où j'ai eu la chance de travailler dans des conditions de convivialité remarquables.

Que le président du Sénat ait pensé à moi pour le CSM, organisme chargé de veiller à l'indépendance de l'autorité judiciaire, m'honore : c'est une mission de premier ordre. Y siéger, c'est se trouver au coeur des compétences très concrètes qui sont les siennes : participer à la nomination des magistrats, selon des procédures différentes selon qu'ils appartiennent au siège ou au Parquet ; dans ce dernier cas, même si la compétence a été élargie par la révision constitutionnelle aux procureurs généraux, l'avis simple continue de prévaloir, la question de l'avis conforme, au terme de longs débats, n'ayant pas été tranchée.

Ces fonctions de nomination représentent une part importante de l'activité du CSM, puisque 8 000 magistrats sont concernés par la mobilité, ce qui représente plus de 1 000 dossiers par an. C'est une charge lourde, qui appelle une information aussi rigoureuse que possible, les auditions des pressentis, mais aussi celles des « observants ». Pour les membres de la Cour de cassation, les premiers présidents de cours d'appel, les premiers présidents de tribunaux de grande instance, le CSM propose des nominations au Président de la République.

L'autre compétence est disciplinaire. Le CSM est conseil disciplinaire pour les magistrats du siège et rend des avis pour les magistrats du Parquet, qui sont en pratique toujours suivis par le garde des sceaux. Dans sa formation de conseil disciplinaire, le CSM a la charge nouvelle d'élaborer un recueil de déontologie, très subtil, qui est moins un recueil d'interdits que de recommandations.

Autre mission nouvelle, très délicate : recueillir les doléances des justiciables qui estiment avoir été lésés, en cours d'instance, par un magistrat. Le travail pourrait se révéler assez lourd. Si les justiciables ont déjà des voies de recours gracieux, devant le garde des sceaux ou les présidents de juridiction, la tâche du CSM sera de rendre la réponse plus efficace : après avoir jugé de la recevabilité des demandes, il devra donner suite aux poursuites. La loi organique du 22 juillet 2010 encadre précisément les modalités d'exercice de cette nouvelle compétence, depuis la définition de la faute disciplinaire - le magistrat ne pouvant être mis en cause pour son jugement mais pour son comportement au cours de l'affaire - jusqu'à la question des délais de recours, limités à un an après le jugement de l'affaire. Se pose encore la question de la manière dont les justiciables se saisiront de cette faculté et en seront informés, et des modalités de défense des magistrats.

Le CSM a changé. Il a gagné en indépendance vis-à-vis de l'exécutif. Le Président de la République et le garde des sceaux n'en sont plus le président et le vice-président de droit. Il est désormais présidé par le premier président de la Cour de cassation, avec le procureur général près cette cour pour suppléant, tandis que le secrétaire général est choisi par le CSM et non plus par le président de la République. Tout cela change la donne. Ce qui ne signifie pas, bien évidemment, qu'il ne continuera pas à travailler en bonne intelligence avec le ministère de la Justice.

L'autre nouveauté tient à la prédominance des personnalités qualifiées - sauf pour les formations disciplinaires, où la parité est la règle. Tous les présents auront voix au chapitre, sauf éventuelles questions de déport, encadrées par la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de 2010. Comme membre extérieur, représentante de la vie civile, j'arriverai, si vous agréez ma candidature, avec une expérience qui n'est pas celle de la magistrature. Si je n'ai pas été appelée, au cours de ma carrière, à me pencher de près sur les questions touchant à la justice, je m'y attellerai de bon coeur. La fonction publique parlementaire forme des fonctionnaires très adaptables. Je m'emploierai à entrer dans les arcanes du fonctionnement de la justice, des procédures, des statuts, de la formation des magistrats - où je sais que des progrès d'ouverture vers l'extérieur sont à l'oeuvre, pour donner de l'air à la profession et parer au corporatisme.

Les membres extérieurs doivent à mon sens s'employer à écouter et à s'informer, pour participer aux décisions de manière aussi éclairée que possible. J'arrive sans a priori, avec la volonté d'apprendre pour donner. Ce ne sera pas facile. Je ne redoute pas les magistrats, pour lesquels j'ai le plus grand respect, et qui méritent la plus grande admiration, car ils exercent un métier rendu depuis plusieurs années difficile par sa médiatisation, par la contestation des décisions de justice, la judiciarisation de la société, l'instabilité du droit et les aléas géographiques dont la réforme de la carte judiciaire a fait le lot de certains. Il faudra trouver un juste équilibre entre le besoin de sérénité de la justice, qui légitime l'indépendance des magistrats, et la légitime attente des justiciables qui veulent des magistrats irréprochables. Mon expérience au Sénat me sera de ce point de vue utile, bien que l'enceinte en soit plus resserrée.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - On reprochait auparavant l'ingérence du Président de la République, du garde des sceaux ou du directeur des services judiciaires dans le fonctionnement du CSM. Mais ne craignez-vous pas qu'aujourd'hui, à l'inverse, les membres non magistrats se trouvent de fait sous la coupe du Premier président ou du Procureur général ? Quels moyens auront les néophytes, face à des magistrats qui connaissent parfaitement le fonctionnement de l'institution, pour les faire sortir de leurs habitudes ?

Mme Chantal Kerbec. - Il est vrai que la seule supériorité des membres extérieurs sera tout d'abord celle du nombre : ils n'auront pas la connaissance intime de l'institution. Mais un esprit curieux s'emploie à poser, sans fausse honte, des questions. Je crois aux vertus du rôle de candide.

M. Patrice Gélard. - Comme représentante de la société civile, que pensez-vous qu'il faille changer dans la magistrature d'aujourd'hui ? Qu'apporte la révision constitutionnelle de 2008 pour avancer sur la voie de la réforme ?

Mme Chantal Kerbec. - Ce qu'apporte la révision constitutionnelle, c'est l'ouverture vers l'extérieur, déjà en cours. Mais seulement au CSM. Or, les magistrats sont appelés à trancher des affaires très complexes, qui ont une incidence sur la vie de chacun. Si en matière pénale, les enjeux sont assez clairs, il n'en va pas de même pour d'autres types d'affaires, qui concernent, par exemple, la vie des entreprises. Il me semble que pour les magistrats, avoir l'occasion, au travers de stages, de mieux la pénétrer, pourrait être bénéfique.

La réforme constitutionnelle a donné au CSM mission de recevoir les doléances des justiciables. Ce peut être l'occasion pour le Conseil, investi de l'autorité, d'aider les magistrats à prendre conscience de failles éventuelles. Il serait sans doute bon, de ce point de vue, de donner une certaine publicité à ces doléances qui, en dépit de celles qui peuvent être incongrues, doivent avoir leur utilité.

M. Richard Yung. - L'idée de développer les jurys populaires en correctionnelle est-elle pour vous pertinente ?

Mme Chantal Kerbec. - Je ne pourrai vous faire, à ce stade, qu'une réponse prudente. Je discerne mal l'objectif poursuivi. S'agit-il de faire évoluer les décisions de justice ? Doit-on soupçonner des arrière-pensées ? S'imagine-t-on obtenir par là des jugements plus sévères ? Quelle peut être l'utilité de la réforme ? Ne risque-t-on pas d'alourdir inutilement les audiences correctionnelles ? Est-il bien nécessaire de mobiliser autant de citoyens pour des délits qui ne sont pas toujours, loin s'en faut, de grande importance ? Il faut s'intéresser aux modalités d'organisation...

M. Christian Cointat. - La révision constitutionnelle a changé la nature du CSM. Aujourd'hui, cette instance est davantage un conseil supérieur des magistrats qu'un conseil supérieur de la magistrature, ce qu'il deviendra demain... si les membres extérieurs sont capables de s'imposer aux magistrats. Qu'est-ce qui vous apparaît fondamental pour donner sens à la révision constitutionnelle et forme à l'avenir du CSM ?

La révision a introduit dans l'ordre judiciaire, avec la possibilité de saisine directe du Conseil par les justiciables, une procédure qui s'apparente, en quelque sorte, à la question préjudicielle de constitutionnalité pour l'ordre législatif. Comment donner sens à cette saisine pour contribuer à s'assurer de la responsabilité des magistrats tout en garantissant l'indépendance de la justice ?

Mme Chantal Kerbec. - Il faudra que les membres extérieurs fassent connaissance.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Entre eux et avec les magistrats, qui seront tous nouveaux eux aussi.

Mme Chantal Kerbec. - Cela pour répondre à votre première question. L'examen des dossiers de nomination n'est pas insurmontable, pourvu que l'on s'applique à bien connaître la nature des fonctions. Je crois que l'important est de ne pas arriver avec des idées toutes faites, et de se plonger sans réserve dans les modes de fonctionnement du système, pour bien le comprendre. Je crois que l'on peut y parvenir sans trop de délai, afin de prendre position en connaissance de cause à l'heure de voter.

M. Christian Cointat. - Ne craignez-vous pas de servir d'alibi ?

Mme Chantal Kerbec. - C'est bien parce que je l'appréhende que j'entends faire ce qu'il faut pour m'en garder. En ce qui concerne les saisines qui vont confluer vers le CSM, dont j'ai du mal à évaluer quel pourra en être le volume, je crois que l'examen en recevabilité constituera un important travail.

M. Christian Cointat. - C'est en ce domaine de la saisine que les membres extérieurs joueront vraiment un rôle d'avant-garde. En matière de nomination, les magistrats, qui connaissent l'institution judiciaire, auront inévitablement plus de poids. Mais en matière de saisine des justiciables, vous aurez le pouvoir de remettre en cause certaines pratiques. Comment faire pour créer une jurisprudence qui apporte des garanties quant à la responsabilité des magistrats et à l'indépendance de la justice ?

M. Jean-René Lecerf. - Permettez-moi de prolonger la question. Certains pensent que la principale ambition de la réforme est de réconcilier les Français avec leur justice. Je me demande si, de ce point de vue, les membres extérieurs n'ont pas un rôle particulier à jouer.

Mme Chantal Kerbec. - Je l'espère. Si l'on veut être à l'écoute des justiciables, on ne peut pas s'en tenir à une stratégie de protection des magistrats. Il y a toujours de bonnes raisons pour excuser, pour justifier. Il faudra mettre dans tout cela beaucoup de doigté.

M. Jean-René Lecerf. - Les magistrats ont estimé que dans l'affaire d'Outreau il n'y avait pas eu de faute, puisque la procédure avait été respectée...

Mme Chantal Kerbec. - Il y a cependant eu sanction... Il me semble que, dans cette affaire, la hiérarchie a peut-être eu conscience d'avoir manqué de vigilance : elle n'a pas voulu accabler l'intéressé. Car est-il bien prudent de nommer un jeune magistrat sans expérience et un peu raide dans des fonctions de juge d'instruction ?

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Je vous remercie et rappelle aux membres de la commission que nous procèderons demain matin au vote et au dépouillement du scrutin.

Mardi 21 décembre 2010

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président -

Nomination d'un rapporteur

La commission procède à la nomination d'un rapporteur sur la proposition de loi n° 146 (2009-2010) tendant à proroger le mandat des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger.

M. Christian Cointat. - Je m'étonne que ma proposition de loi tendant à rendre concomitants le scrutin pour l'élection des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger et le premier tour des élections législatives n'ait pas été jointe à celle de M. del Picchia. J'espère que le rapporteur en tiendra compte.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nous pouvons envisager une jonction. Je vous propose de rapporter moi-même cette proposition de loi.

Il en est ainsi décidé.

M. Jean-Jacques Hyest est nommé rapporteur :

- sur la proposition de loi n° 146 (2009-2010) tendant à proroger le mandat des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger ;

- sur la proposition de loi n° 341 (2009-2010) relative aux élections à l'Assemblée des Français de l'étranger.

Réforme de la représentation devant les cours d'appel - Examen des amendements au texte de la commission en 2e lecture

La commission examine ensuite les amendements au texte n° 161 (2010-2011) qu'elle a établi pour le projet de loi n° 43 (2010-2011), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel.

AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

M. Patrice Gélard, rapporteur. - Quatre problèmes demeurent pendants sur ce texte. Si le ministère tient ses engagements, nous pourrons le voter conforme. A défaut, et pour défendre notre position initiale, il nous faudra voter deux amendements visant à apporter des précisions sur la fiscalité applicable aux indemnités dues aux avoués, n°s LOIS.2 et LOIS.1. Je vous propose de les adopter aujourd'hui à titre conservatoire.

Les amendements n°s LOIS.2 et LOIS.1 sont adoptés.

AMENDEMENTS EXTÉRIEURS

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Un certain nombre d'amendements doivent être déclarés irrecevables. Les amendements n°s 2, 26, 46 et 60 tendent à reporter la disparition de la profession d'avoué au 1er janvier 2013 : cela remettrait en cause l'article 34 du projet de loi, voté conforme par l'Assemblée nationale, et enfreindrait donc la règle dite de « l'entonnoir ».

L'amendement n° 47 remet en cause l'article 29, voté conforme, sur le maintien de la Chambre nationale des avoués : il tombe sous le coup du même principe.

Plusieurs amendements prévoient des rapports qui n'ont pas à figurer dans la loi, l'évaluation des politiques publiques étant une mission du Parlement aux termes de l'article 24 de la Constitution. L'un d'entre eux, le n° 62, est irrecevable en application de la règle de l'entonnoir, car il n'a aucune relation directe avec les dispositions restant en discussion : il prévoit un rapport sur la mise en place d'un internat du barreau.

Les amendements susmentionnés sont déclarés irrecevables.

M. Patrice Gélard, rapporteur. - Les amendements n°s 7, 3, 49, 29, 8, 55 et 15 visent à rendre l'offre d'indemnisation préalable à la cessation d'activité des avoués, remettant ainsi en cause la logique de l'acompte qui doit permettre aux avoués de bénéficier d'une trésorerie suffisante pour procéder à la liquidation de l'office avant de percevoir l'indemnisation prévue, une fois la cessation d'activité intervenue. Je vous propose de leur donner un avis défavorable.

Les amendements n°s 4 rectifié, 30 rectifié, 52 rectifié, 53, 9, 31 et 54 visent à rétablir l'exonération fiscale ou sociale adoptée en première lecture par le Sénat. La commission n'a pas souhaité y revenir, car elle avait reçu l'assurance que les avoués relèveraient du droit commun, les dispositions fiscales étant appliquées dans le sens qui leur serait le plus favorable. Les amendements d'appel que nous venons d'adopter visent à obtenir des engagements clairs du ministre. Dans cette attente, je vous propose de réserver l'avis sur ces sept amendements, auxquels la commission serait défavorable si les engagements du Gouvernement lui permettaient de retirer les siens.

Les amendements n°s 11, 12, 32 et 57 visent à revenir sur les délais ouverts pour l'indemnisation des salariés, pourtant fixés en conformité avec la date prévue pour la cessation d'activité des avoués à l'article 34, qui a fait l'objet d'un vote conforme. Pour cette raison, je vous propose de leur donner un avis défavorable. On peut même s'interroger sur leur recevabilité...

Les amendements n°s 58, 13 et 37 portent sur les conditions de reclassement des salariés d'avoués. Ces derniers auront accès aux dispositifs de droit commun et notamment aux conventions de reclassement personnalisées, conformément à ce que la commission avait décidé en première lecture. Sur le fond, l'avis devrait donc être défavorable. Cependant la discussion de ces amendements donnera l'occasion d'obtenir des éclaircissements du Gouvernement sur l'avancée des reclassements. Pour cette raison, je vous propose de leur donner un avis de retrait au bénéfice des explications que fournira le Gouvernement.

Je vous propose de donner un avis défavorable aux amendements n°s 27 et 14 qui reviennent sur des positions de la commission qui n'ont fait l'objet d'aucune modification à l'Assemblée nationale.

Sept amendements présentés à l'article 17 tendent à modifier le régime de l'acompte que pourront obtenir les avoués, en prévoyant notamment que le remboursement du prêt d'acquisition de l'office n'aurait pas à être déduit de cet acompte. Le dispositif prévu par le projet de loi paraît suffisant, étant donné que les avoués ne vont pas cesser toute activité en 2011. Jusqu'à la fin 2011, ils garderont le monopole de la postulation en appel.

Les amendements n°s 19, 42, 20 reviennent sur le maintien ou le budget de la Chambre nationale des avoués. Or le projet de loi prévoit le maintien de cette chambre jusqu'à fin 2014, ce qui paraît suffisant.

Les amendements n°s 28 rectifié, 1er rectifié et 21 tendent à créer une commission d'évaluation de la mise en oeuvre de la réforme, mais c'est au Parlement de s'en charger.

Une série d'amendements relatifs à l'accès des collaborateurs diplômés aux professions juridiques réglementées ou à la possibilité pour les avoués d'exercer la profession d'avocat - les n°s 22, 23, 43, 63, 24 et 44 - semblent largement satisfaits. La période de double exercice ne doit pas être trop longue. De même, il ne paraît pas opportun de revenir sur les conditions selon lesquelles l'avocat peut décider de plaider un dossier en appel pendant la période transitoire, comme le proposent les amendements n°s 25 et 45.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nous avons déjà reconnu, dans le cadre du projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées, la possibilité pour les salariés des offices d'avoués, titulaires du certificat d'aptitude à la profession d'avoué, une fois devenus avocats, de bénéficier de plein droit de la spécialisation en procédure d'appel.

Examen des amendements extérieurs

La commission adopte les avis suivants :

Article

Objet de l'article

Numéro d'amendement

Auteur de l'amendement

Avis de la commission

Article 9

Convention collective réglant les rapports entre les anciens avoués et leur personnel

27

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

Article 13

Procédure d'indemnisation des avoués

7

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

3

M. Alain Fouché

Défavorable

49 rect bis

M. Yves Détraigne et plusieurs de ses collègues

Défavorable

29 rect.

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

   

8

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

55

Mme Josiane Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen

Défavorable

4 rect.

M. Alain Fouché

Défavorable

30 rect.

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

52 rect. bis

M. Yves Détraigne et plusieurs de ses collègues

Défavorable

53 rect.

M. Yves Détraigne et plusieurs de ses collègues

Défavorable

9

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

31

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

54 rect.

M. Yves Détraigne et plusieurs de ses collègues

Défavorable

Article 14

Reconnaissance du caractère économique du licenciement des salariés des avoués - Majoration des indemnités de licenciement versées à cette occasion

11

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

12

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

32

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

57

Mme Josiane Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen

Défavorable

 

58

Mme Josiane Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen

Défavorable

13

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

Article additionnel avant l'article 16

 

37

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

Article 16

Organisation et fonctionnement de la commission chargée de statuer sur les demandes de versement ou de remboursement d'indemnités

14

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

15

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

Article 17

Possibilité d'obtenir le versement d'un acompte ou le remboursement du capital restant dû sur un prêt pendant la période transitoire

6

M. Alain Fouché

Défavorable

39

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

51 rect.

M. Yves Détraigne et plusieurs de ses collègues

Défavorable

17

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

40

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

18

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

41

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

Article additionnel après l'article 19

 

19

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

Article 20

Modalités de mise en oeuvre

42

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

20

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

Article additionnel après l'article 20

 

28 rect.

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

1 rect.

M. Jean-Pierre Vial

Défavorable

21

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

Article 21

Accès des avoués et de leurs collaborateurs aux professions juridiques réglementées

22

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

23

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

43

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

Article 24

Exercice simultané, pendant la période transitoire, de la profession d'avocat par les avoués

63

Mme Josiane Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen

Défavorable

24

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

44

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

25

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Défavorable

45

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

Article additionnel après l'article 24

 

2

M. Jean-Pierre Vial

Irrecevable

26

M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues

Irrecevable

46

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Irrecevable

60 rect.

Mme Josiane Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen

Irrecevable

Article additionnel après l'article 29

 

47

M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Irrecevable

Article additionnel après l'article 32

 

59

Mme Josiane Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen

Défavorable

61

Mme Josiane Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen

Défavorable

62

Mme Josiane Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen

Irrecevable

Avis sur les candidatures proposées par M. le président du Sénat pour siéger au sein du Conseil supérieur de la magistrature - Résultats des scrutins

La commission procède ensuite au vote sur les propositions de nomination du président du Sénat de personnalités qualifiées appelées à siéger au sein du Conseil supérieur de la magistrature.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Voici les résultats du scrutin : sur la nomination de M. Pierre Fauchon, 9 votants, 9 suffrages exprimés, 8 voix pour, 1 voix contre ; sur la nomination de Mme Chantal Kerbec, 9 votants, 2 suffrages blancs ou nuls, 7 suffrages exprimés, 6 voix pour, 1 voix contre.

La commission vote également sur les propositions de nomination du Président de la République.

Le dépouillement de ces scrutins est reporté jusqu'au vote de la commission des lois de l'Assemblée nationale.

Immigration, intégration et nationalité - Audition de M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration

La commission procède ensuite à l'audition de M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, sur le projet de loi n° 27 (2010-2011), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. - Avant tout, je tiens à saluer le travail de M. Eric Besson qui a élaboré ce projet de loi et l'a défendu devant l'Assemblée nationale. Les principes de la politique du Gouvernement en matière d'immigration sont simples, clairs et justes : la France a le droit de choisir qui elle veut ou peut accueillir sur son sol ; tout étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays d'origine, sauf circonstances exceptionnelles d'ordre humanitaire, sanitaire, social, politique ou religieux ; enfin les étrangers accueillis légalement sur notre territoire bénéficient pour l'essentiel des mêmes droits économiques et sociaux que les Français.

Ces principes sont partagés et mis en oeuvre par tous les pays européens. J'en veux pour preuve le pacte européen sur l'immigration et l'asile, adopté à l'unanimité des pays membres de l'Union, quelle que soit la couleur politique de leur gouvernement, des communistes chypriotes au parti de M. Berlusconi. Les Vingt-sept se sont mis d'accord, lors d'une réunion du Conseil « Justice et affaires intérieures » en février 2010, pour protéger leurs frontières extérieures et lutter contre l'immigration clandestine. Cette coopération se poursuivra au premier semestre 2011 : je souhaite que se réunissent les ministres en charge de l'immigration des cinq pays qui concentrent 80 % des flux migratoires - la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne - et les responsables des pays de transit, Malte, Chypre et la Grèce.

Notre politique porte ses fruits. L'immigration clandestine est en recul : depuis 2007, près de 106 000 personnes en situation irrégulière ont été reconduites à la frontière. Dans la lutte contre les filières d'immigration clandestine, même si beaucoup reste à faire, nous avons marqué des points : 156 filières ont été démantelées depuis le début de l'année, et 2 843 personnes ont été mises en cause en 2009 pour l'emploi de clandestins.

Nous sommes parvenus à rééquilibrer l'immigration professionnelle et l'immigration familiale : la première représente aujourd'hui 23 % du total au lieu de 12 % naguère ; cette évolution a toutefois été freinée par la crise économique.

Nos engagements en faveur du développement solidaire ont été tenus : 15 accords bilatéraux de gestion concertée des flux migratoires, comportant à la fois des mesures pour réguler les migrations et des concours matériels pour des projets ciblés, ont été signés avec le Bénin, le Brésil, le Burkina-Faso, le Cameroun, le Cap-Vert, la République du Congo, le Gabon, le Liban, la Macédoine, le Monténégro, le Sénégal, l'île Maurice, la Russie, la Serbie et la Tunisie. J'étais au Burkina hier : nos interlocuteurs ne comprennent pas pourquoi il faut tant de temps pour ratifier l'accord. Il ne sera transmis au Sénat que demain !

Nous nous efforçons aussi de promouvoir l'intégration et d'entraver le communautarisme. Depuis 2003, 500 000 personnes ont conclu un contrat d'accueil et d'intégration, s'engageant ainsi à respecter les principes de la République et à apprendre notre langue. Pas moins de 100 000 personnes ont obtenu en 2009 le diplôme initial de langue française, 115 000 en 2010.

Le contexte est pourtant difficile. Comme beaucoup de nos voisins, particulièrement l'Allemagne et la Belgique, nous sommes confrontés à une hausse rapide du nombre des demandes d'asile : 20 % de plus en 2009, 8 % pendant les premiers mois de 2010. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a dû examiner 47 686 demandes en 2009, contre 35 520 en 2005. En conséquence, le délai d'examen des dossiers atteint aujourd'hui 19 mois. Une partie des personnes déboutées viennent grossir les rangs de l'immigration clandestine. La procédure d'asile est dévoyée : n'est-il pas paradoxal que le nombre de demandes d'asile augmente,  alors que les dictatures sont de plus en plus rares ? Il est injuste de faire attendre 19 mois les demandeurs de bonne foi.

Pour réduire ce délai, il faut renforcer les moyens de l'Ofpra et de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), mais aussi revoir la liste des pays d'origine sûrs. Le Kosovo, par exemple, est aujourd'hui un pays démocratique, sur lequel veille l'ONU.

Le présent projet de loi a trois principaux objets. En premier lieu, il vise à moderniser les conditions de l'accès à la nationalité et de l'intégration, en créant tout d'abord une procédure de naturalisation accélérée pour les étrangers exemplairement intégrés, qui se distinguent au plan civique, scientifique, culturel, économique ou sportif : la durée de résidence requise sera de deux ans au lieu de cinq.

Pour mieux vérifier que les demandeurs sont convenablement intégrés dans la société française, le texte prévoit une charte des droits et des devoirs et une évaluation des compétences linguistiques selon des critères européens plus objectifs.

La déchéance de nationalité fait débat, mais elle existe depuis longtemps dans notre droit. Jusqu'en 1998, elle pouvait être prononcée contre les personnes reconnues coupables d'un crime et condamnées à une peine d'au moins cinq ans de prison. Le projet de loi ne revient pas à cet état du droit : ne pourraient être déchues de leur nationalité que les criminels ayant attenté à la vie de personnes dépositaires de l'autorité publique, car ces dernières symbolisent l'Etat et la nation. Je voulais aller plus loin, en m'inspirant du cas nantais, mais cela posait des problèmes constitutionnels.

En second lieu, le projet de loi conforte la politique européenne de l'immigration en transposant trois directives : la directive « carte bleue », tout d'abord, qui favorise l'immigration professionnelle de haut niveau. La « carte bleue » prendra le relais, au niveau européen, de la carte « compétence et talents ». La directive « retour » de 2008 concerne les conditions d'éloignement des étrangers en situation irrégulière : le départ volontaire demeure la règle, et la durée maximale de rétention est fixée à six mois par la directive. La France a d'ailleurs la durée maximale la plus courte. L'éloignement est assorti de l'interdiction de retour sur le territoire européen. Il s'agit aussi de mettre fin à la superposition de l'obligation de quitter le territoire français et de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. La directive « sanctions » de 2009 a pour double objet de punir les employeurs d'immigrés clandestins et de protéger les travailleurs concernés. Les donneurs d'ordres doivent assumer leurs responsabilités. La présomption d'une relation de travail d'au moins trois mois obligera l'employeur à indemniser son salarié.

En troisième lieu, ce texte vise à renforcer l'efficacité des procédures d'éloignement. Des événements récents ont montré que nous ne pouvons pas faire face à l'arrivée à la frontière d'un groupe important d'immigrants hors des points de passage répertoriés : je vous rappelle les perturbations causées en janvier dernier par le débarquement de 123 Kurdes sur une plage de Corse du Sud. Nous voulons donc donner un cadre juridique à ces situations exceptionnelles, en autorisant la création d'une zone d'attente sur le lieu d'arrivée. Les migrants y auront les mêmes droits que dans les zones d'attente portuaires ou aéroportuaires.

Le projet de loi porte la durée de rétention administrative de 32 à 45 jours. Quand j'étais ministre de l'immigration, je m'étais déclaré favorable au statu quo. Mais les choses ont changé. Les accords de réadmission, négociés au niveau communautaire, ne peuvent souvent être conclus compte tenu de la brièveté de la durée maximale de rétention en France. La non-délivrance du laissez-passer consulaire est responsable de 34 % des échecs de procédures d'éloignement ; or 10 % des laissez-passer sont délivrés entre le 32e et le 45e jour ! Le délai moyen est de 35 jours pour la Chine, de 38 jours pour le Mali. La France restera d'ailleurs le pays d'Europe où la durée de rétention est la plus courte : le gouvernement de M. Zapatero vient de la porter de 40 à 60 jours.

Nous avons aussi voulu réorganiser le contentieux des mesures d'éloignement : il était étrange que le juge judiciaire pût prolonger une rétention provisoire sur le fondement d'une décision susceptible d'être annulée par le juge administratif... A la suite des préconisations du rapport Mazeaud, je propose d'instituer un délai de 48 heures pour saisir le juge administratif, qui devra se prononcer avant 72 heures, le juge des libertés et de la détention devant intervenir au cinquième jour de rétention. Certains contestent la constitutionnalité d'un tel dispositif, mais il répond à l'objectif d'une bonne administration de la justice et garantit l'indépendance du juge administratif. Le Conseil d'Etat ne l'a d'ailleurs pas contesté.

Pour achever la transposition de la directive sur la libre circulation des ressortissants de l'Union européenne, comme nous en avons pris l'engagement envers la Commission de Bruxelles, je proposerai de préciser les conditions dans lesquelles un ressortissant européen peut être éloigné s'il représente une menace pour l'ordre public : ce ne sera possible que si le comportement personnel de l'intéressé présente une menace réelle et actuelle pour un intérêt fondamental de l'Etat, et dans le respect du principe de proportionnalité, qui impose que soient prises en compte sa durée de séjour et sa situation personnelle. Nous appliquions déjà ces règles qui découlent des principes généraux de notre droit, mais elles figureront désormais dans le droit positif.

Enfin, je proposerai un régime spécial de rétention administrative pour les terroristes qui ne peuvent être éloignés alors qu'ils ont été interdits du territoire : l'empêchement tient souvent à des raisons procédurales, notamment à la non-délivrance du laissez-passer consulaire. Actuellement, il n'y a pas d'autre solution que d'assigner la personne à résidence, généralement à l'hôtel, ce qui ne suffit pas à garantir la sécurité publique. Le Conseil d'Etat a été saisi d'une demande d'avis à ce sujet : nous aurons sa réponse pendant la première quinzaine de janvier. Il s'agit d'autoriser le placement en rétention de l'intéressé pendant le temps nécessaire pour l'éloigner, et au maximum pendant six mois, peut-être plus dans des cas exceptionnels, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention. La menace terroriste justifie cette précaution.

Voici donc un texte utile, concret et opérationnel, qui traduit nos engagements européens.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Je m'interroge sur l'article 17 ter, relatif aux étrangers malades : les associations de médecins sont inquiètes du sort des personnes atteintes de pathologies graves.

L'article 57 B, introduit à l'initiative de la commission des lois de l'Assemblée nationale, exonère de sanctions les employeurs de bonne foi, ce qui me paraît poser un problème de cohérence juridique ; l'employeur est toujours libre de prouver sa bonne foi.

Il existe pour les recours devant la CNDA une procédure prioritaire sans caractère suspensif. Les associations réclament que l'appel soit suspensif. Ne pourrait-on trouver une solution intermédiaire, pour nous mettre en accord avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ?

M. Brice Hortefeux, ministre. - La loi du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, dite « loi Reseda », fixe le statut des étrangers malades. En 2009, 5 945 cartes de séjour pour étrangers malades ont été délivrées, et ce dispositif n'est pas remis en cause. La jurisprudence récente du Conseil d'Etat a étendu ce dispositif au-delà des exigences de la loi et de la Cour européenne des droits de l'homme. Le Gouvernement accueille favorablement cet article dû à une initiative de Thierry Mariani quand il était rapporteur : voilà une approche équilibrée.

L'Assemblée nationale a adopté un amendement exonérant les employeurs de bonne foi. Il paraît en effet assez naturel de ne pas les sanctionner. L'article 57 B n'est pas indispensable, le droit pénal prévoyant déjà le caractère intentionnel du délit, qui est explicité par l'emploi de l'adverbe « sciemment ».

Je ne souhaite pas une évolution de la CNDA. S'agissant de la procédure prioritaire, le caractère non suspensif du recours ne signifie pas que les demandeurs soient privés de toute protection juridictionnelle.

M. Richard Yung. - Vous n'en serez pas étonné, monsieur le Ministre, nous n'aimons pas beaucoup ce projet, le sixième sur cette question : adopter une loi par an conduit à s'interroger sur la législation adoptée précédemment. S'il faut, nous en convenons, transposer les directives, vous prenez ce prétexte pour ajouter toute une série de dispositions problématiques. Vous avez souligné l'augmentation du nombre de demandes, mais votre texte ne remédie en rien à l'engorgement de l'Ofpra et de la CNDA ; il propose donc un système boiteux - nous y reviendrons en février.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nous aurons la discussion générale le moment venu.

M. Richard Yung. - Juge administratif ou juge judiciaire ? Le rapport Mazeaud a montré la complexité de la question. Vous inversez l'ordre et faites passer d'abord le juge administratif. Est-ce mieux ? Ce sera forcément perçu comme une marque de défiance envers un juge judiciaire considéré comme trop laxiste.

Dans le nouveau calendrier, l'étranger concerné pourra-t-il saisir d'emblée le juge des libertés et de la détention ? C'est affaire de libertés publiques.

M. Mariani avait déposé un amendement sur l'assignation à résidence avec bracelet électronique. J'ai bien compris que le gouvernement n'y était pas plus favorable que nous. Allez-vous déposer un amendement de suppression ? La difficulté tient à ce que cela se ferait sous le contrôle de l'administration et non du juge des libertés et de la détention.

Vous avez déjà répondu sur les amendements de clarification ; nous les attendons. Je m'associe enfin à la question sur les employeurs d'étrangers en situation irrégulière dont la bonne foi laverait tout.

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Le projet parle d'abord de naturalisation mais l'article 2 évoque « le contrôle de l'assimilation », ce qui semble bizarre.

Vous avez parlé du pacte européen. La Grèce pose un problème du fait de Dublin II. Comme elle refuse de donner l'asile, des demandeurs d'asile ne veulent pas y retourner et restent bloqués en France dans un espace juridique non identifié.

Suivant quels critères élaborer la liste des pays sûrs ? Les pays européens n'arrivent pas à se mettre d'accord entre eux ; chacun a la sienne. L'Ofpra en établit une mais il y a eu des problèmes sur la Turquie. Où en est-on ?

M. Christophe-André Frassa. - Ma question porte sur un sujet collatéral, la politique des visas avec recours à la biométrie et à l'externalisation. Si la biométrie concerne 170 des 200 consulats, les trente restants, dont Alger et Moscou, sont les plus importants et reçoivent 2 millions de demandes. Le nouveau Biodev a pris beaucoup de retard. Une expérimentation concerne les consulats d'Alger, Londres, Istanbul ainsi que l'antenne d'Izmir. Il pourrait également bénéficier à nos compatriotes à l'étranger pour l'obtention de leurs titres, dans le respect bien sûr, de la sécurité des documents.

M. Christian Cointat. - Mes interrogations ne sont pas d'ordre théorique mais bien pratique. Je m'interroge moi aussi sur le contrôle de l'assimilation : comment vérifier l'adhésion aux valeurs de la République ? Ma famille habite dans le faubourg Saint-Denis, où se mêlent Français et étrangers. Grâce au brassage de la population, les choses se passent très bien dans ce quartier populaire mais les choses sont totalement différentes à Château-d'Eau. Ce que l'on perçoit comme du racisme relève d'une différence de comportement : de braves gens, étrangers en situation régulière, ne peuvent être assimilés faute de brassage ; les jeunes n'apprennent pas nos comportements de leurs parents- et certaines attitudes ne sont pas innées. Or les professeurs ne veulent plus être des éducateurs, le service militaire a disparu et je ne vois pas les crédits pour les éducateurs nécessaires.

M. Jean-René Lecerf. - Je prends acte avec satisfaction de la précision sur la directive de 2004. Comme M. Yung, je ne trouvais en effet pas très convaincant de renvoyer le respect du principe de proportionnalité aux principes généraux ou à la jurisprudence Benjamin, qui traite des pouvoirs de police du maire.

Il y a interaction entre intégration et asile. Notre pays est celui qui reçoit le plus de demandes d'asile et en accepte le plus ; il est aussi, même si c'est moins connu, celui qui a le plus faible taux d'exécution des décisions de reconduite à la frontière, ce qui crée des situations de non-droit. Il faut par conséquent raccourcir les délais d'instruction. Ceux de l'Ofpra sont très convenables ; en revanche, il conviendrait de développer les moyens de la CNDA. De même, les différences de jurisprudence sont trop importantes et les annulations de décisions de l'Ofpra par la CNDA sont trop nombreuses.

Un pays sûr est un pays qui veille au respect des libertés individuelles, Je me demande si le conseil d'administration de l'Ofpra est l'instance la plus qualifiée pour en dresser la liste et si l'on ne pourrait pas, par exemple, demander l'avis du Conseil d'Etat.

Je m'inquiète enfin de la conciliation entre procédure de retour et asile. La situation de danger ne l'emporte-t-elle pas sur l'interdiction de retour ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. -Je ne partage pas du tout la philosophie de ce texte. M'associant aux questions de Mme Boumediene-Thiery, je me demande aussi combien il y a sur le territoire national d'étrangers sans papier ou sans droits. La déchéance de nationalité figure de longue date dans notre Code, j'aimerais toutefois savoir combien de fois elle a été appliquée. Le nombre de demandes d'asile est passé de 35 000 à 45 000 en trois ans, mais combien d'étrangers ont-ils obtenu l'asile ?

M. Jean-Patrick Courtois. - Le projet transpose la directive carte bleue. Que faut-il attendre de la valorisation de l'immigration professionnelle ? La procédure accélérée d'accès à la nationalité française prévue à l'article 1er ne va-t-elle pas multiplier les demandes ?

M. Brice Hortefeux, ministre. - Où M. Yung trouve-t-il le sixième projet de loi ? Celui-ci est le second sur l'immigration depuis 2007, le quatrième depuis 2002.

M. Richard Yung. - J'en ai compté six !

M. Brice Hortefeux, ministre. - J'ai noté votre modération sur les juges administratif et judiciaire. L'idée est d'ordonner : d'abord le juge administratif et ensuite le juge judiciaire.

M. Richard Yung. - Pourra-t-on faire appel dès le début de la procédure ?

M. Brice Hortefeux, ministre. - Non, seulement à partir du cinquième jour.

L'assignation à résidence répond à une obligation de la directive. C'est à l'initiative du rapporteur de l'Assemblée nationale que la surveillance électronique a été introduite - il pensait à un étranger avec des enfants. Certes, cette situation apparaît en ce cas et à ce stade préférable à un placement en rétention. Je suis cependant assez réservé et j'ai demandé qu'on examine la faisabilité d'une telle mesure. Elle doit rester une option à la main de l'autorité administrative.

Au risque de compromettre Mme Boumediene-Thiery, je dirai que je n'ai jamais aimé le mot « assimilation ». Il n'en figure pas moins dans le Code civil....

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il faut l'en ôter.

M. Brice Hortefeux, ministre. - ... depuis 1945. Le Conseil d'Etat a été très affirmatif là-dessus.

M. Richard Yung. - Cela renvoie aux colonies d'alors.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Il nous arrive de modifier le Code civil.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Le mot « assimilation » est employé par certains, sur tous les bancs, mais il laisse entendre qu'il faut renoncer à ce qui est sa propre histoire.

Mme Alima Boumediene-Thiery. - On n'est pas obligé de le reprendre dans la loi !

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Surtout si une majorité juge que ce n'est pas le terme approprié.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Même si on peut avoir une liste nationale des pays sûrs, on ne dispose toujours pas d'une liste européenne. Il y a des velléités d'en établir une, mais pas de volonté. La création du bureau européen d'appui pour l'asile permettra un rapprochement. C'était à l'ordre du jour de la réunion de Paris en 2008. C'est une faiblesse de notre dispositif.

La difficulté de la Grèce est double. Il s'agit d'abord de l'accès par mer : l'île de Samos est à 800 mètres de la Turquie. Il s'agit ensuite de la considérable pression sur la frontière terrestre. Depuis que l'Italie a signé un accord avec la Libye, le problème a été résolu, mais cet Etat demande cinq milliards d'euros à l'Union européenne et un jour viendra où les pays de transit lui demanderont une participation pour la protection de ses frontières. L'Union a envoyé des garde-frontières en Grèce dans le cadre de l'opération Rabit.

Mme Alima Boumediene-Thiery. - La Grèce refuse de donner le statut de demandeur d'asile, de sorte que ceux qui sont entrés en Europe par ce pays refusent d'y retourner mais ne peuvent demander l'asile en France du fait de la convention de Dublin.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Cela sera évoqué par le bureau d'appui, qui siège à Malte et dont Stéphane Fratacci, secrétaire général du ministère, a été élu président. L'Union a débloqué dix millions d'euros en urgence pour aider la Grèce.

L'externalisation de la procédure des visas, sur laquelle m'a interrogé M. Frassa, permet de réduire les délais pour les rendez-vous dans 30 consulats, et dans 28 pour les documents. Une expérimentation sera lancée en 2011 à Alger, Londres et Izmir. Nous avions consulté le Conseil d'Etat et obtenu l'avis favorable de la Cnil. On pourra ensuite envisager l'extension d'une solution grâce à laquelle les délais de rendez-vous sont compris entre 24 et 72 heures.

M. Cointat a lancé le débat entre l'inné et l'acquis. Le contrat d'intégration a permis l'apprentissage de la langue française, qui et le meilleur moyen de s'imprégner des valeurs qu'elle véhicule.

Oui, monsieur Lecerf, les délais sont de 4 mois à l'Ofpra et de quinze mois à la CNDA. Je travaille avec le secrétaire général du Conseil d'Etat pour professionnaliser cette instance ; des recrutements de magistrats sont en cours ; j'ai écrit il y a quinze jours au Premier ministre pour lui demander des moyens pour la CNDA. En effet, la liste des pays sûrs établie par le conseil d'administration de l'Ofpra peut faire l'objet de contentieux.

Mme Borvo-Cohen-Seat m'avait déjà interrogé sur le nombre d'étrangers en situation irrégulière. On estime leur nombre entre 200 000 et 400 0000 - il y a déjà 215 000 personnes à l'AME. Il est toujours délicat de dénombrer les sans-papiers et les porteurs de faux papiers. Quant aux déchéances de nationalité, il y en a eu 14 avant 1998 et 7 depuis. L'objectif n'est pas quantitatif mais qualitatif. Les 7 personnes concernées depuis 1998 avaient choisi de renoncer à notre nationalité - il s'agit de terroristes.

La carte bleue est une extension à l'échelle européenne de la carte « compétences et talents » (on en compte 1 500). Peuvent ainsi obtenir un titre de séjour les scientifiques, les chefs d'entreprise qui apportent une contribution économique exceptionnelle et certains salariés. La nouvelle carte permet la mobilité en Europe. Premier titre de séjour dans l'ensemble des pays européens, la carte bleue est délivrée pour une durée de trois ans renouvelable ; elle permet d'aller dans un autre pays après dix-huit mois. Elle est soumise à des conditions très strictes d'obtention telles que justifier de trois années d'études supérieures et gagner une fois et demie le salaire moyen.

La voie d'accès accéléré à la nationalité française n'entraînera pas une explosion des demandes. Le ministère des affaires étrangères a un dispositif pour les personnes qui ont rendu ou peuvent rendre des services importants à la France ; notre ministère n'avait pas de dispositif comparable. Je pense à un professeur d'origine vietnamienne travaillant à Orsay et qui a obtenu la médaille Fields. Il y aurait une douzaine de cas par an.

Avis sur les candidatures proposées par M. le Président de la République pour siéger au sein du Conseil supérieur de la magistrature - Résultats des scrutins

Après une suspension de séance, la commission procède au dépouillement simultané avec la commission des lois de l'Assemblée nationale du scrutin sur les propositions de nomination par le Président de la République de personnalités qualifiées pour siéger au sein du Conseil supérieur de la magistrature.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Voici les résultats du scrutin : sur la nomination de M. Jean-Pierre Machelon, 9 votants, 9 suffrages exprimés, 7 voix pour, 2 voix contre ; sur la nomination de Mme Rose-Marie Van Lerberghe, 9 votants, 9 suffrages exprimés, 7 voix pour, 2 voix contre.