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Mardi 7 décembre 2010
Économie, finances et fiscalité
La crise financière
et bancaire en Irlande
Rapport d'information de M.
Jean-François Humbert
M. Jean-François Humbert. - Lorsque notre commission m'a chargé en juin dernier de suivre la politique européenne de l'Irlande, notre ambition initiale était de sonder les autorités locales et la société civile sur leur sentiment à l'égard de la construction européenne, quelques mois après la ratification, à l'issue d'un deuxième référendum, du Traité de Lisbonne. Considéré il y a encore peu comme un excellent élément de la zone euro, souvent cité en exemple pour sa discipline budgétaire, l'Irlande se distingue aussi par son affirmation sans cesse renouvelée de sa souveraineté, notamment en matière économique et fiscale.
La faillite du système bancaire irlandais est venue bouleverser le champ de ce suivi, tant les limites du modèle irlandais sont apparues au grand jour, rendant nécessaire l'intervention financière de l'Union européenne. C'est dans ce contexte que je me suis rendu à Dublin les 1er et 2 décembre derniers.
Cette communication a pour ambition de dresser un état des lieux de la situation locale et de présenter les modalités de l'intervention européenne, ainsi que ses conséquences tant au plan national qu'en matière de gouvernance économique européenne.
Dans un premier temps, il m'apparait important de rappeler que la croissance irlandaise de la période 1992-2006 est le fruit d'une stratégie en solitaire au sein de l'Union européenne.
Bénéficiant des fonds de celle-ci en matière de cohésion jusqu'en 2004, elle a reçu entre 1973 et 1999 une aide équivalente à cinq fois sa contribution au budget européen et pu financer ainsi en partie la modernisation de ses structures. Un tiers de ces transferts a été affecté au développement des ressources humaines (éducation et formation professionnelle).
Parallèlement et au moyen d'une politique fiscale à rebours de celle de ses partenaires, elle a su dynamiser son économie. Le taux de l'impôt sur les sociétés est le symbole de cette course à la croissance en solitaire. Fixé à 20 % dans les années quatre-vingt dix puis à 16 % en 2002, il s'élève à 12,5 % depuis 2003 alors que la moyenne européenne est de 27,5 %. Son produit représente un dixième des recettes de l'État. Il s'ajoute à de nombreux crédits d'impôts en faveur des ménages et un taux réduit d'imposition des bénéfices pour les entreprises exportatrices fixé à 10 %.
Combinée à un code des investissements favorable pour ne pas dire laxiste, cette fiscalité avantageuse a fait de la terre rurale que constituait l'Eire un territoire attractif, ouvert, drainant encore 110 milliards d'euros d'investissements directs étrangers l'an passé. Les plus grandes multinationales se sont ainsi installées en Irlande, employant plus de 250 000 personnes, dont 110 000 au sein des seules entreprises américaines, à l'instar de Google, Microsoft ou eBay. L'Irlande est de fait devenue la porte d'entrée en Europe de la Silicon Valley. On estime par ailleurs que 20 % des emplois dans le pays résultent de la présence des multinationales.
De fait, il n'est pas étonnant que l'Irlande ait souhaité au cours des négociations avec ses partenaires européens en vue du second referendum que sa spécificité fiscale, comme ses positions quant à l'interdiction de l'avortement ou la neutralité militaire, soit formellement reconnue au Conseil européen de Bruxelles des 18 et 19 juin 2009 et plus tard inscrite au sein d'un protocole annexé au prochain traité soumis à ratification par les États membres.
Les fruits de la croissance ont été, avec l'appui réglementaire et fiscal de l'État, investis à partir de 2001 par les banques dans le secteur immobilier, notamment commercial et de bureau, qui faisait preuve, alors, d'une certaine atonie. Cumulant parfois les fonctions de gestionnaires de fonds et de promoteurs, les établissements bancaires ont été les moteurs de la bulle immobilière qui s'est alors créée, faisant grimper artificiellement les prix. 17 % des revenus de l'État vont alors provenir de l'immobilier, limitant de facto toute tentative de régulation de la part des autorités. L'immobilier devient alors le deuxième moteur de la croissance irlandaise.
Cette frénésie immobilière s'explique par de nombreuses raisons. Membre de la zone euro, l'Irlande bénéficie alors de la faiblesse des taux d'intérêts, inférieur au taux d'inflation. L'argent n'est, pour ainsi dire, pas cher. L'accession à la propriété représente par ailleurs un idéal pour une population venant de rompre avec des décennies de pauvreté. L'Irlande a voulu rattraper ses voisins occidentaux au risque de vouloir grandir trop vite.
Cette stratégie, encouragée au niveau national, n'a pas suscité non plus de réserves marquées de la part des institutions internationales, comme en témoignent les rapports annuels de l'OCDE et du FMI. Les « stress tests » bancaires européens, ces tests de résistance des établissements bancaires, encadrés par la Commission, avaient, quant à eux, souligné en juillet dernier la capacité des banques irlandaises à demeurer solvables.
La crise financière mondiale est cependant venue rappeler la fragilité de ce tropisme immobilier. L'augmentation des taux a rendu difficile la possibilité pour les banques d'emprunter. La baisse des prix de l'immobilier, commercial comme d'habitation, a par ailleurs directement frappé leurs actifs. Les prix sont en effet revenus au niveau de 2002. Les banques sont confrontées, par ailleurs, à l'augmentation du nombre de défauts de remboursements. Liée au ralentissement de l'activité dans le secteur du bâtiment, l'augmentation du chômage renforce ce phénomène tout en creusant les déficits publics. Le surendettement de nombreux foyers, facilité par l'octroi de près de 790 000 crédits hypothécaires - la durée de remboursement des prêts peut aller jusqu'à cinquante ans - est également un élément déterminant dans cette crise bancaire.
Avant d'aborder les réponses que tentent d'apporter l'Irlande à cette quasi faillite du secteur bancaire, il convient d'insister sur un point : la crise bancaire irlandaise est une crise « home made », faite maison, selon les termes du gouverneur de la Banque centrale irlandaise. Le gouvernement a maintes fois mis en avant le naufrage de la banque américaine Lehman Brothers en septembre 2008 pour la justifier. Or, la crise bancaire est bien le fruit des responsabilités locales. Les banques irlandaises ont pensé pouvoir croître au-delà de leur base de départ, agissant imprudemment. Le gouvernement a facilité cette dérive en octroyant nombre d'avantages fiscaux et réglementaires, allant même jusqu'à garantir à l'automne 2008 l'intégralité des dépôts bancaires et des prêts. Il n'a, par ailleurs, pas suffisamment encadré l'activité bancaire au travers d'une régulation efficace.
Comment se traduit cette crise bancaire ?
Les banques irlandaises se sont trouvées confrontées à un double problème : un défaut de solvabilité suivi d'un manque de liquidités. La recapitalisation opérée par le gouvernement et encouragée par la Commission européenne s'est traduite par un investissement de près de 46 milliards d'euros dans un secteur quasi nationalisé désormais. Le sauvetage de l'Anglo Irish Bank à hauteur de 30 milliards d'euros a été un des éléments les plus visibles de cette politique. La création de la National Asset Management Agency lui a, par ailleurs, permis de racheter près de 90 milliards d'euros de prêts aux banques.
Ces dispositions, si elles ont creusé le déficit public, 32 % du PIB en 2010, n'ont pas pour autant rétabli suffisamment la confiance pour empêcher une véritable hémorragie des dépôts. 30 milliards d'euros ont ainsi été retirés du secteur bancaire irlandais pour le seul mois de septembre, l'Anglo Irish Bank a, quant à elle, vu ses dépôts fondre de 13 milliards d'euros depuis janvier dernier. Pour faire face à ce problème de liquidités, la Banque centrale européenne a injecté au sein du système bancaire 165 milliards d'euros depuis le début de la crise et a souhaité, le 12 novembre dernier, arrêter ces versements.
Le gouvernement irlandais se retrouve lui aussi confronté à un problème de liquidités. Ses investissements massifs dans le secteur bancaire conjugués aux diminutions de recettes liées à la crise ne lui permettent plus de disposer de liquidités suffisantes au-delà du premier semestre 2011. Cette situation est d'autant plus inquiétante que le gouvernement a déjà entrepris de réduire la dépense publique de 14,5 milliards d'euros sur les trois derniers exercices, au moyen de réductions des salaires dans la fonction publique ou de baisses des allocations famille et chômage.
C'est dans ce contexte délicat qu'intervient la demande d'utilisation du mécanisme européen d'ajustement financier. Si la situation irlandaise n'a rien à voir avec le caractère d'urgence que revêtait le cas grec, l'annonce d'un nouveau plan d'austérité par le gouvernement n'apparaissait pas suffisante pour juguler la crise de liquidités qui menace à terme l'État irlandais.
Cet appel à l'aide n'est pas sans poser un véritable problème politique pour le gouvernement de Brian Cowen, déjà au plus bas dans les sondages d'opinion et ne disposant plus que d'un soutien relatif au Parlement. Le Premier ministre et son parti, le Fianna Fail, sont contestés à double titre dans l'opinion publique. Brian Cowen, ministre des finances durant les années de croissance du Tigre celtique est jugé responsable des errements des banques durant cette période. Son parti, dont l'histoire se confond avec la lutte pour l'indépendance, semble trahir son engagement traditionnel en acceptant l'aide conditionnée de l'Union. L'intervention européenne et celle du Fonds monétaire international sont en effet vécues comme une atteinte à l'indépendance nationale.
L'organisation d'une manifestation le 27 novembre dernier contre la rigueur du nouveau plan de réductions budgétaires, dans un pays peu enclin à afficher son mécontentement dans les rues, traduit bien la gravité de la situation. Si l'austérité et le coût social des mesures présentées ont été dénoncées, la crainte que ce plan ne soit imposé par l'Union européenne pour que les banques allemandes, françaises ou britanniques puissent récupérer leurs créances a également été mise en avant. Il existe au sein de la population une profonde défiance à l'égard de l'Union européenne, le discours de la Commission étant jugé trop sévère à l'endroit de l'Irlande. La Banque centrale européenne est par ailleurs appréhendée comme l'avocate des grandes banques européennes.
Rappelons que le gouvernement prévoit une nouvelle réduction des dépenses publiques de l'ordre de 15 milliards d'euros d'ici 2014, 6 milliards devant être obtenus au cours du prochain exercice. L'ambition du gouvernement est de revenir à cette date à un déficit public inférieur à 3 % du PIB. Le plan prévoit à cet égard la poursuite de la réduction des allocations chômage et familiales (2,8 milliards d'économies d'ici 4 ans), une hausse d'un tiers des frais d'inscription à l'Université (qui passent de 1 500 à 2 000 euros), une compression de 1,4 milliard d'euros des dépenses de santé ainsi qu'une réduction de 1,2 milliard d'euros des dépenses liées à la fonction publique (gel des recrutements, réduction des salaires des nouveaux entrants et baisse des pensions).
Concernant les recettes, le taux de TVA est porté de 21 % à 23 % en quatre ans, de nouvelles taxes sur l'eau, jusque là exonérée, et sur les émissions de carbone seront également mises en place. La suppression de crédits d'impôts est conjuguée à une baisse du seuil d'imposition par contribuable de 18 300 à 15 300 €. Le gouvernement espère percevoir au total 5 milliards d'euros supplémentaires en quatre ans.
Afin de renforcer la compétitivité de l'économie, le gouvernement prévoit parallèlement une révision à la baisse du salaire minimum, amputé d'un euro pour passer à 7,65 € de l'heure.
L'euroscepticisme latent de la population irlandaise ne doit pas pour autant occulter le rejet que lui inspire le gouvernement actuel. Le refus de celui-ci de mettre en oeuvre une régulation effective, sa proximité avec les banques et les promoteurs immobiliers au sein d'un « triangle toxique » selon l'expression d'un parlementaire, l'impunité dont jouissent les banquiers et les promoteurs impliqués dans l'effondrement du système génèrent un sentiment aigu de colère au sein de la population. La perspective de nouvelles élections en février devrait en partie permettre de le dépasser.
La dureté du plan proposé par le gouvernement irlandais peut laisser songeur tant il fait porter sur le citoyen le coût de la faillite du système bancaire. Entièrement consacré à la recherche de nouvelles recettes, il ne prévoit pas, pour autant, d'actionner le levier de l'imposition sur les sociétés, fût-ce de façon modérée.
L'impôt sur les sociétés demeure en Irlande un sujet tabou, l'immuabilité de son taux suscitant un large consensus au sein de la société. Celui-ci est renforcé par les déclarations alarmistes des responsables de multinationales, qui, à l'image de la Chambre de commerce americano-irlandaise, prévoient la fermeture des sites en cas d'augmentation de la fiscalité.
L'avantage comparatif lié à la fiscalité est donc considéré comme un élément fondamental de l'identité nationale irlandaise à l'heure de l'intégration européenne. L'attractivité du territoire et l'ouverture aux multinationales qu'elle induit constitue une double réponse aux peurs de dilution de l'Irlande au sein du vaste ensemble européen et à la perception d'une Europe émolliente, à croissance économique limitée, incapable d'adopter une stratégie de développement viable et de répondre au défi du chômage de masse.
L'attitude de la population irlandaise peut apparaître de facto paradoxale. Elle condamne, tout en l'acceptant de façon résignée, l'austérité imposée par le gouvernement à l'ensemble de la société, mais elle refuse, dans le même temps, une participation des entreprises au redressement des banques. Elle critique l'intervention européenne au motif qu'elle remet en cause l'indépendance nationale, mais estime celle-ci garantie par l'ouverture de son territoire et la mondialisation.
Ces réticences justifient les hésitations puis les effets d'annonce du gouvernement irlandais à l'heure de solliciter l'intervention de l'Union européenne et du Fonds monétaire international. Après avoir été niée, l'aide a été ainsi initialement présentée comme une réponse à la seule crise du secteur bancaire, ne visant pas directement les comptes publics, dont la maitrise appartient encore au gouvernement. Les autorités ont toujours affirmé dans le même temps que la révision du taux d'imposition sur les sociétés ne pouvait constituer un préalable à l'octroi de l'aide.
Une telle politique de communication n'est pas sans arrière pensée à quelques semaines d'élections législatives anticipées. La coalition parlementaire réunissant le Fianna Fail du Premier ministre et les écologistes a en effet volé en éclats avec l'officialisation de la demande d'aide et l'annonce du plan de rigueur. Les Verts irlandais ne souhaitent pas être associés à une politique transigeant avec le respect de la souveraineté nationale. S'il a tenu compte de cette nouvelle donne politique, le gouvernement entend néanmoins répondre au préalable à l'urgence économique et financière et a annoncé en conséquence l'organisation d'élections anticipées au début de l'année prochaine, soit après le vote du budget 2011 et du plan de rigueur qu'il contient.
Les partis d'opposition, Fine Gael de centre droit et Labour travailliste, appelés sans doute à former la prochaine coalition gouvernementale, ne feront pas obstacle à son adoption. Rappelons par ailleurs que le Fianna Fail et le Fine Gael sont deux partis relativement proches en matière de politique économique et que la coalition Labour - Fine Gael avait été à l'origine de la réduction du taux d'imposition sur les sociétés à la fin des années quatre-vingt dix. Cette proximité idéologique des trois grands partis n'est pas sans susciter la crainte d'une progression de mouvements plus radicaux à l'occasion du prochain scrutin, Sinn Fein en tête.
Une courte majorité devrait ainsi être trouvée aujourd'hui pour le vote concernant la création de nouvelles taxes, préalable indispensable à l'examen du budget. Le discours politique se heurte en effet à une réalité économique : aux yeux de la Commission et du FMI, le plan d'austérité est considéré comme la condition indispensable pour le déblocage du prêt. Celui-ci devient chaque jour de plus en plus indispensable comme en témoigne les révisions régulières des besoins de financement du secteur bancaire.
Par ailleurs, aucune alternative à l'aide européenne - liquidation complète du fonds de réserve des retraites, vente d'actifs de l'État ou solution à l'argentine - ne semble crédible.
Comment se caractérise cette aide européenne ?
Les Vingt-Sept ont trouvé un accord le 28 novembre dernier sur l'extension du mécanisme de crise à l'Irlande. Le montant de l'aide européenne est chiffré à 67,5 milliards d'euros sur trois ans auxquelles viennent s'ajouter 17,5 milliards d'euros prélevés sur le fonds de réserve des retraites irlandais, soit au total 85 milliards d'euros. La contribution des instances européennes et internationales se décompose de la façon suivante : un tiers, soit 22,5 milliards d'euros, supporté par le Fonds monétaire international, un tiers apporté par le mécanisme européen d'assistance financière, financé par des emprunts réalisés par la Commission sur les marchés, et un dernier tiers, constitué à la fois de montants levés sur les marchés via le Fonds européen de stabilité financière qui réunit les pays de la zone euro et des prêts bilatéraux accordés par la Suède (600 millions d'euros), le Danemark (400 millions d'euros), et le Royaume-Uni (3,8 milliards d'euros). L'aide britannique, qui agit de fait à double titre, au travers de ce prêt et par l'intermédiaire du mécanisme européen d'assistance financière, est notamment justifiée par la forte exposition de la City sur l'Irlande. Ses banques auraient en effet octroyé pour environ 162 milliards d'euros de prêts à l'économie irlandaise. L'intervention du Royaume-Uni n'est bien évidemment pas sans susciter quelques crispations au sein de la population.
Les taux d'intérêts entourant ces aides devraient être annoncés aujourd'hui, la partie européenne de l'aide devant être octroyée avec un intérêt fixé autour de 5,8 %. Cette aide serait remboursable sur sept ans et demi. Une telle durée se justifie à l'aune de l'expérience grecque, Athènes ayant laissé entendre qu'elle ne serait pas en mesure de rembourser les prêts européens à l'échéance. Si ce taux se justifie par la durée du prêt, il est dénoncé par l'opposition parlementaire et l'opinion publique qui y voient un manque évident de solidarité. L'opposition parlementaire est également critique à l'égard du recours au Fonds de réserve des retraites, estimant que l'utilisation dès à présent de cette manne financière la prive de marges de manoeuvres en cas d'arrivée au pouvoir à la fin de l'hiver prochain. L'utilisation au profit des banques de sommes qui ne leur étaient pas initialement destinées n'est pas, non plus, sans susciter de réserves au sein de l'opinion publique.
L'intervention financière de l'Union européenne répond à trois objectifs. Le premier vise le système bancaire, 10 milliards d'euros servant à la recapitalisation des banques, 25 milliards d'euros étant déposés au sein d'un fonds de réserve. Sur ces 35 milliards d'euros, la moitié serait financée par l'Irlande. L'Union souhaite parallèlement que le déficit irlandais repasse en dessous des 3 % d'ici 2015 et appuie tout ajustement fiscal d'envergure de la part du gouvernement, sans plus de précision. Le Conseil Ecofin a, à cet égard, pris soin dans son communiqué d'indiquer que l'aide et les conditions de celle-ci respectaient les fondamentaux de l'économie irlandaise, là encore sans plus de détail. L'Union européenne n'entend pas de la sorte imposer un débat sur la fiscalité des entreprises en Irlande. Le troisième objectif concerne le retour de la croissance en Irlande et doit s'appuyer, aux yeux de l'Union, sur la réforme du marché du travail local.
Ainsi, la conditionnalité de l'aide européenne se limite à une obligation de résultats. De fait, si elle n'aborde pas directement la question de la fiscalité attractive du territoire, l'Union européenne entend accompagner les réformes ambitieuses et courageuses entreprises par le gouvernement irlandais. C'est par ce biais qu'elle entend tempérer l'autonomie économique de l'Irlande au sein de la zone euro. Cette voie, plus mesurée que les déclarations allemande et française sur la nécessité de mettre fin au dumping fiscal irlandais, tient compte d'un impératif : le retour rapide à la croissance. Imposer une révision à la hausse du taux d'impôt sur les sociétés serait une réponse conjoncturelle à un problème financier, mais conduirait sans doute à la délocalisation d'une partie des multinationales et tuerait dans l'oeuf toute dynamique de reprise.
Il convient à cet égard de souligner la spécificité de la crise irlandaise qui reste avant tout une crise bancaire. A la différence d'autres pays de la zone dite périphérique, notamment l'Espagne et le Portugal, l'Irlande dispose encore de relais de croissance et ne souffre pas d'un déficit de compétitivité. La banque mondiale classe encore l'Irlande parmi les dix meilleurs pays au monde pour la facilité à exercer des activités commerciales. Le pays se classe au deuxième rang européen en ce qui concerne la productivité et la flexibilité. La bonne tenue des exportations devrait permettre à l'Irlande de retrouver le chemin de la croissance et d'ici deux trois ans d'observer une réelle reprise de la consommation.
Demeurent néanmoins quelques interrogations. Le poids de l'endettement privé, 160 milliards d'euros soit l'équivalent du PIB, risque de peser durablement sur la reprise de la consommation. Le chômage des non diplômés issus du secteur du bâtiment ou de la distribution demeure important. L'émigration de diplômés, cette nouvelle fuite des cerveaux vers les États-Unis, le Royaume-Uni ou l'Australie, est également source d'inquiétude.
Par ailleurs, je tiens à rappeler qu'au-delà du montant de l'aide, les marchés demeurent très sensibles au contexte qui l'entoure. De sorte qu'il est impossible de dire à l'heure actuelle si l'intervention de l'Union et du FMI sera suffisante. L'incertitude politique, les craintes entourant la soutenabilité de la dette irlandaise en 2013 comme les déclarations d'Angela Merkel sur la participation du secteur privé au mécanisme de gestion de crise après 2013 ont largement contribué au maintien des taux à 10 ans concernant l'Irlande à un niveau relativement haut la semaine passée, 9 % contre 2,74 % pour l'Allemagne. Le gouvernement irlandais n'hésite d'ailleurs pas à justifier le recours en désespoir de cause à l'aide européenne par l'impact des propos de la chancelière allemande sur le marché des taux.
La rapidité de la réaction européenne n'élude pas, pour autant, les questions que pose une intervention financière européenne dans un pays qui a pris soin de déterminer en solitaire ses orientations économiques, usant largement de la concurrence fiscale au détriment de ses partenaires au sein de l'Union.
Cette crise n'est, en effet, pas sans incidence en ce qui concerne la gouvernance économique de l'Union européenne. La faillite du système bancaire local et son renflouement par les deniers publics européens n'est pas sans laisser songeur et donne du sens au souhait allemand de faire participer les établissements financiers au mécanisme permanent de gestion de crise prévu pour 2013. Elle invite également la Commission à renforcer ses normes en matière de supervision bancaire et notamment en ce qui concerne ses « stress tests », ces tests de résistance des banques aux chocs macroéconomiques, afin de prévenir ce type de crise. Elle incite enfin l'Union à accélérer la mise en place du mécanisme de surveillance macro-économique tel que mis en place par le Conseil européen des 28 et 29 octobre derniers.
Les difficultés annoncées du Portugal devraient néanmoins constituer dans les semaines à venir un test d'une toute autre ampleur. Croissance nulle depuis des années, absence de compétitivité, chômage important, cures répétées d'austérité, la crise portugaise n'est pas une crise de croissance sur le mode irlandais. Elle pousse à s'interroger de surcroît sur les conséquences économiques de l'introduction de l'euro.
M. Jean Bizet. - Je me réjouis que cette communication puisse avoir lieu aujourd'hui, alors que l'Union européenne a officialisé en début d'après-midi son plan d'aide et que le gouvernement irlandais présente à l'heure actuelle son budget devant le Parlement.
M. Pierre Bernard-Reymond. - La situation irlandaise appelle plusieurs observations.
D'abord, à quoi servent les « stress tests » ? J'aimerais que les responsables de ces contrôles viennent nous expliquer l'écart entre leurs estimations et l'état réel des banques irlandaises. Ces tests sont ils surévalués de façon à adresser un message positifs aux agences de notation ? Quoi qu'il en soit, ils ont beaucoup perdu en termes de crédibilité.
Je m'interroge par ailleurs sur la contradiction entre cette volonté irlandaise de faire respecter sa souveraineté et le soin particulier qu'a mis Dublin à fonder sa croissance sur les investissements internationaux.
Je souscris à la nécessité de renforcer la gouvernance économique, notamment par le bais du mécanisme de surveillance macro-économique. Celui-ci devrait notamment nous permettre de repérer la formation des bulles spéculatives. Mais comment faire éclater ces bulles avant qu'elles ne menacent les économies nationales ?
La gouvernance économique européenne implique de véritables transferts de souveraineté et, notamment, la mise en place d'un gouvernement économique. Or on constate une différence notable entre le discours sur la nécessité d'une vraie gouvernance économique et la crispation des États sur leur souveraineté dans le domaine économique. A l'heure actuelle, les pays les plus vertueux parent aux difficultés des autres. Cette situation ne peut tenir durablement, comme en témoignent les réticences de l'Allemagne lors de la crise grecque.
M. Jacques Blanc. - Je tenais à rappeler que l'Irlande a été une des grandes bénéficiaires des fonds structurels européens, devenant même avec la Lozère et le Mezzogiorono un territoire expérimental en ce qui concerne la convergence des crédits européens en matière de cohésion.
Je souligne également que l'Irlande a été un de nos principaux soutiens en matière de politique agricole commune comme en a témoigné il y a quelques années notre combat commun sur le problème des ovins.
Cette adhésion à l'idée européenne trouve néanmoins des limites, comme l'a montré le rejet du Traité de Lisbonne. Peut-être faut-il trouver dans l'influence britannique une raison à ce scepticisme. La crise permettra peut-être à l'Irlande de se rapprocher à nouveau de l'Europe.
Concernant le montant de l'aide européenne, je veux croire, puisqu'il s'agit de prêts, qu'elle ne coûtera rien au contribuable européen.
M. Michel Billout. - La crise irlandaise comme la crise grecque donne lieu à une plaidoirie en faveur de la gouvernance économique. Je m'interroge néanmoins sur un point. Si elle avait été mise en place il y a une dizaine d'années, cette gouvernance économique aurait-elle tempéré les excès irlandais ? Rien n'est moins sûr ! Je me demande même si elle n'aurait pas alors encouragé la croissance irlandaise.
Je suis peu satisfait du niveau de la réponse apportée par l'Union européenne aux difficultés irlandaises. La crise irlandaise est une crise bancaire. L'effondrement des banques irlandaises a conduit à une socialisation de la dette en Irlande. La peur d'un effet domino et d'un effondrement des banques européennes exposées en Irlande s'est propagée et a conduit dans la précipitation à mettre en oeuvre un véritable plan de sauvetage européen des établissements financiers dont les deux tiers seront financés par des emprunts sur les marchés financiers, laissant libre cours à la spéculation.
Force est de constater qu'en Irlande, ce sont les personnes en difficulté qui vont contribuer au redressement de l'économie via la réduction des salaires et des allocations sociales. Le levier de la fiscalité des entreprises ne sera, quant à lui, pas actionné.
M. Jean Bizet. - Il y a quelques semaines, Jacques Delors a rappelé devant cette commission que l'Union économique et monétaire ne marchait que sur une jambe. Le semestre européen ou le mécanisme de surveillance macro-économique sont autant d'avancées en faveur d'une véritable gouvernance économique européenne. Les transferts de souveraineté ne sont pour autant pas à l'ordre du jour, comme en témoigne le programme sur lequel a été élu John Cameron au Royaume-Uni.
Pour revenir aux propos de Jacques Blanc sur le coût pour le contribuable, je pense que s'il y a un coût, il sera à terme à la charge du secteur privé qui sera confronté tôt ou tard à la nécessité de restructurer les dettes.
Je veux croire comme Angela Merkel que nous n'assistons pas à une crise de l'euro, mais bien à des crises liées aux dérives des finances publiques. Cela étant, une telle situation risque de nous obliger à ne pouvoir annoncer que des mesures de rigueur et d'austérité.
A l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé la publication de ce rapport d'information, paru sous le numéro 157 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :
Budget communautaire
Vers un budget 2011 pour l'Union
européenne
(E 5873)
Communication de M. Jean
Bizet
M. Jean Bizet. - Il m'a semblé intéressant de dire un mot sur les enjeux politiques liés aux négociations difficiles sur le budget de l'Union européenne pour 2011.
Je voudrais d'abord rappeler brièvement le contexte.
La Commission européenne a présenté, le 26 novembre dernier, un nouveau projet de budget pour l'année prochaine, en raison de l'échec, le 15 novembre, de la procédure de conciliation entre le Parlement européen et le Conseil sur ce projet de budget.
La nouvelle procédure budgétaire issue du traité de Lisbonne place en effet le Parlement européen sur un pied d'égalité avec le Conseil. Si les deux branches de l'autorité budgétaire ne parviennent pas à se mettre d'accord sur le budget, un comité de conciliation chargé d'élaborer un projet commun est mis en place pendant 21 jours au plus.
Or, le Parlement européen et le Conseil ne sont pas parvenus à un tel accord dans le délai imparti.
Cet échec est intéressant à observer et à analyser car il révèle moins un désaccord proprement budgétaire que des enjeux de pouvoir entre institutions au contenu très politique.
En effet, le Parlement européen et le Conseil sont parvenus à s'entendre sur les chiffres du budget pour 2011. Certes, le Parlement européen s'était initialement prononcé en faveur d'une augmentation de plus de 6 % des crédits de paiement par rapport à 2010, soit plus que la hausse de 5,8 % proposée par la Commission. Au cours de l'été, le Conseil, jugeant une telle évolution inacceptable en raison des fortes contraintes qui pèsent sur les finances publiques nationales, avait - difficilement - dégagé un accord pour une augmentation des crédits de 2,91 %.
Le Parlement européen a, pour la première fois de son histoire, accepté le taux de progression des dépenses arrêté par le Conseil, ce qu'il considère comme une évolution considérable, mais en assortissant son accord sur ce point de contreparties politiques qui ne sont pas directement liées à l'exercice budgétaire 2011.
Le débat s'est alors focalisé sur l'adoption d'une déclaration politique, exigée par le Parlement européen, portant sur trois points :
- l'association du Parlement européen aux négociations des futures perspectives financières, ce que celui-ci appelle une « méthode de travail » ;
- l'engagement du Conseil à ouvrir un dialogue sur les ressources propres ;
- le rétablissement d'un mécanisme de flexibilité budgétaire permettant de faire face à des besoins supplémentaires allant jusqu'à 0,03 % du revenu national brut, que le traité de Lisbonne a de facto supprimé.
Le refus de ces contreparties de la part de plusieurs États membres, en premier lieu le Royaume-Uni, mais aussi les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et la Finlande, s'est traduit par le blocage des négociations.
La perspective que l'Union européenne soit privée de budget pour 2011 est devenue plausible, avec les difficultés suscitées par le recours aux douzièmes provisoires, pour la première fois depuis 1988 : versements financiers perturbés pour les bénéficiaires, absence de financement du projet ITER (1(*)), absence de budget pour le service européen d'action extérieure et les nouvelles agences de supervision financière, risque pour les États membres de ne pas récupérer les crédits non consommés, etc.
Il est certain que le choix du Parlement européen de lier le budget 2011 à des sujets à échéance plus lointaine, tels la négociation du prochain cadre financier ou le financement des politiques européennes, était risqué.
Le Parlement européen, en se ralliant à la position du Conseil sur une hausse des crédits limitée à 2,91 %, a montré qu'il existait un accord entre les deux branches de l'autorité budgétaire sur le budget 2011. Il a du reste mis en évidence les dissensions entre États membres au Conseil, certains d'entre eux ayant manifesté une grande intransigeance, et a réussi à placer celui-ci dans l'obligation de dégager l'unanimité en son sein, en liant un dossier décidé à la majorité qualifiée - les négociations budgétaires - et un autre décidé à l'unanimité - le cadre financier pluriannuel et les ressources propres.
Pour autant, le Parlement européen a aussi sous-estimé un certain nombre de difficultés : la réticence des États membres à ouvrir de façon anticipée le débat, qui s'annonce particulièrement difficile, sur les perspectives financières, la franche hostilité d'un grand nombre d'États membres à l'idée d'un impôt européen, ou encore le regain d'euroscepticisme lié à des courants populistes en Europe.
Le nouveau projet de budget présenté par la Commission reprend les éléments qui ont réussi à faire l'objet d'un accord entre les deux branches de l'autorité budgétaire. Au-delà de la question des chiffres, qui ne posait plus problème depuis longtemps, le Conseil a fait un geste en direction du Parlement européen sur l'instrument de flexibilité au sein de l'actuel cadre financier pluriannuel, le Royaume-Uni ayant finalement assoupli sa position après un entretien entre David Cameron et Nicolas Sarkozy en marge du sommet Union européenne/États-Unis, à Lisbonne.
Il faut maintenant espérer que le Parlement européen acceptera le texte de la déclaration politique sur le financement futur de l'Union européenne que lui propose le Conseil et qui est évidemment beaucoup moins contraignante que ce qu'il souhaitait initialement. Si ce n'était le cas, le Conseil devrait se prononcer sur ce nouveau projet de budget le 10 décembre, puis le Parlement européen le 15 décembre. Ainsi l'Union européenne pourrait-elle enfin disposer d'un budget pour l'année prochaine.
L'absence d'accord pourrait, en effet, emporter des risques d'échec sur d'autres sujets fondamentaux, dans un contexte général de fragilité de l'Union européenne, comme la mise en place d'un mécanisme permanent de gestion des crises dans la zone euro, qui nécessite une modification limitée du traité. L'incapacité de l'Union à arrêter son budget constituerait assurément un mauvais signal, que ne manqueraient pas de relever les marchés financiers.
Pour le budget 2011, le Parlement européen a utilisé la même tactique que celle à laquelle il avait recouru pour le service européen d'action extérieure : subordonner son vote sur un acte pour lequel il dispose d'un pouvoir de décision égal à celui du Conseil à l'obtention d'un accroissement de ses compétences dans des domaines où le traité ne lui accorde pas un pouvoir égal à celui du Conseil.
Institutions européennes
Audition de M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes
M. Jean Bizet. - Je suis heureux de vous accueillir pour la première fois au nom de la commission des affaires européennes du Sénat. Nous allons travailler étroitement ensemble, car les commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat sont les interlocuteurs naturels du ministre des affaires européennes. Je crois qu'il serait intéressant tout d'abord que vous nous exposiez l'esprit dans lequel vous allez exercer ces nouvelles fonctions ainsi que vos priorités et vos méthodes de travail.
Je note - et je vous en félicite - que vous avez été nommé ministre chargé des affaires européennes auprès de la ministre d'État alors que vos prédécesseurs étaient seulement secrétaires d'État. Depuis que notre collègue Pierre Bernard-Reymond a été chargé des affaires européennes au sein du gouvernement de Raymond Barre, il y a eu près d'une quinzaine de secrétaires d'État ou de ministres délégués chargés des affaires européennes, mais il n'y a eu que deux ministres de plein exercice chargés de ces fonctions. D'abord Roland Dumas, qui a été ensuite ministre des affaires étrangères. Ensuite, Édith Cresson qui est ultérieurement devenue Premier ministre. Autant dire, Monsieur le ministre, que votre carrière s'annonce sous les meilleurs auspices. Nous aimerions que vous nous expliquiez si ce titre de ministre plein modifie votre position auprès de la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, et si elle apporte des changements à votre autorité sur les services.
Pour ce qui du fond des affaires européennes, nous souhaiterions que vous nous exposiez l'état de la préparation du prochain Conseil européen qui sera consacré essentiellement à la gouvernance économique européenne et à l'instauration du mécanisme permanent de gestion de crise.
M. Laurent Wauquiez. - Monsieur le Président de la commission des affaires européennes du Sénat, cher Jean Bizet, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis très honoré de m'exprimer devant vous trois semaines après que le Président de la République m'a confié la responsabilité des affaires européennes auprès de Michèle Alliot-Marie.
Je veux travailler en étroite relation avec vous car je suis convaincu de la nécessité d'une concertation avec le Parlement sur les sujets européens, comme est également importante une coopération renforcée entre les parlements nationaux et le Parlement européen, « une coopération dans le respect des responsabilités de chacun », pour reprendre les mots de Jean Bizet. Le Sénat joue un rôle majeur dans l'élaboration d'une stratégie européenne efficace : en témoigne le rapport qu'Hubert Haenel a rendu sur le sujet en 2009.
Aujourd'hui, je vous présenterai les principaux éléments du prochain Conseil européen, mais d'ores et déjà, j'aimerais vous exposer mes premières orientations.
Je suis animé par deux convictions fortes :
- la première, c'est que nous ne sortirons de la crise que tous ensemble. L'Europe traverse une phase difficile, mais nous avons de vraies opportunités à saisir en nous appuyant sur l'élan de la Présidence française de l'Union européenne. La présidence française du G 8 et du G 20 peut aussi nous y aider.
- ma deuxième conviction, c'est que nous avons encore plus besoin de l'Europe après la crise qu'avant la crise, car l'Europe doit être notre meilleur bouclier et notre meilleure épée.
Ma première priorité est donc de renforcer le travail collectif et c'est pourquoi, dès ma nomination, je me suis rendu auprès de la Commission européenne et du Parlement européen à Strasbourg, que je soutiens comme capitale parlementaire de l'Union européenne. Il ne faut pas opposer l'action intergouvernementale et la méthode communautaire. Notre défi est de réussir l'articulation entre les deux, telle que l'incarne le Conseil européen. L'Europe doit mobiliser les différentes institutions de l'Union.
Ensuite j'ai commencé à nouer des contacts avec les autres Etats membres pour établir des relations de confiance. Au lendemain de ma nomination, je me suis rendu à Berlin pour m'entretenir avec mon homologue Werner Hoyer. Notre relation avec l'Allemagne est le socle de notre action en Europe, mais c'est une relation sans exclusive, car nous devons associer l'ensemble de nos partenaires en fonction des sujets. Comme je crois beaucoup aux contributions que peuvent apporter les nouveaux États membres, je me suis entretenu avec mon homologue polonais et je suis allé à Budapest pour préparer la prochaine présidence hongroise. Lors de ces différentes entrevues, j'ai pu constater combien la France est attendue. Lorsque la France se mobilise en Europe, l'Europe bouge.
Ma deuxième priorité consiste à démontrer que l'Europe protège. L'Europe ne doit pas apparaître seulement comme le bras armé de la dérégulation. L'Europe d'après la crise ne peut pas être l'Europe d'avant la crise. Il y a de nouvelles orientations à dessiner.
Tout d'abord, le premier objectif de cette priorité pour l'après-crise, c'est la consolidation de l'Europe qui protège. L'Union européenne doit accompagner les différents États membres, en ne laissant personne sur le bord du chemin. Notre réactivité à soutenir l'Irlande prouve que nous en sommes capables. Mais, pour protéger, l'Europe ne doit pas seulement réagir. Elle doit aussi agir en amont : pour améliorer la surveillance des grands équilibres économiques, pour élaborer une véritable politique industrielle ; pour renforcer la réciprocité de nos échanges commerciaux avec nos grands partenaires mondiaux ; mais aussi pour assurer les bases de la croissance, en protégeant mieux la propriété intellectuelle et en facilitant l'exploitation des brevets en Europe. Pour soutenir l'innovation, je me suis mobilisé pour faciliter la recherche d'une solution sur le brevet de l'Union européenne. Pour protéger, nous devons également renforcer l'action extérieure de l'Union européenne. La France doit prendre toute sa part à la mise en place du Service européen d'action extérieure.
Quant au deuxième objectif, il consiste à assurer la crédibilité des processus d'élargissement et des politiques de libre circulation des personnes. C'est la condition d'une vision apaisée de nos frontières. Mais nous ne pouvons réduire le processus d'élargissement ou les politiques de visas à un outil de communication ou à une variable d'ajustement. Tout en continuant à encourager les pays candidats, nous devons nous montrer exigeants.
Enfin mon troisième objectif est de faire que l'Europe montre l'exemple en étant plus efficace et en dépensant mieux. En cette période où tous les Etats européens prennent des mesures drastiques pour redresser leurs finances publiques, l'Union ne peut s'exonérer de tout effort. Mais maîtriser les dépenses ne signifie pas revoir à la baisse les ambitions européennes. Cela implique au contraire de dépenser mieux, notamment en simplifiant certains dispositifs de versement des aides européennes.
J'en viens maintenant au prochain Conseil européen qui doit nous permettre de faire avancer les priorités de cette feuille de route. Politiquement, il est important de montrer que l'Europe est résolument en état de marche.
Commençons par la politique économique. Il va s'agir de mettre en oeuvre les orientations agréées lors de la réunion des 28-29 octobre. À ce titre, la mise en place d'un mécanisme pérenne de gestion des crises montre que l'Europe veut se doter de moyens pour se protéger et pour préparer l'avenir. Je me réjouis que l'Eurogroupe ait trouvé un accord sur les contours du futur mécanisme européen de stabilité. Le Président Sarkozy a mené d'intenses consultations pour y parvenir. Herman Van Rompuy soumettra au Conseil européen une proposition de révision du traité tenant compte des travaux de l'Eurogroupe.
Sur la gouvernance économique, le Conseil européen a endossé les conclusions du groupe Van Rompuy. Le Conseil européen sera saisi d'un rapport sur l'état d'avancement de ces travaux dont nous attendons qu'ils respectent scrupuleusement les orientations déjà fixées par le Conseil européen d'octobre.
Le Conseil devra également se pencher sur l'impact de la réforme des systèmes des retraites sur le déficit. Vous le savez, il s'agit d'une demande présentée par plusieurs partenaires d'Europe centrale et orientale. Notre objectif est clair : ne pas fragiliser l'application du pacte de stabilité et de croissance par des mécanismes de compensation, au moment même où nos efforts tendent au contraire à renforcer les disciplines collectives.
Je me suis beaucoup mobilisé auprès de nos partenaires et du Parlement européen pour que l'Union vote à temps son budget pour 2011 et j'ai l'espoir que le projet pourra être approuvé par le Conseil le 10 décembre et par le Parlement européen le 15. Nous avons veillé à ce que le budget pour 2011 limite la hausse des crédits en 2011 à 2,91%.
En deuxième point, après la politique, il faut parler de l'état des travaux conduits par Madame Ashton. Il est crucial d'évaluer précisément les relations de l'Union européenne avec ses grands partenaires stratégiques, principalement la Chine, la Russie et les États-Unis. Notre objectif est d'identifier les intérêts communs aux Européens et de définir ensuite les moyens de les défendre collectivement. Les Européens ont des intérêts à défendre, qu'il s'agisse du respect des normes, de l'accès aux marchés ou de la lutte contre les nouvelles menaces (terrorisme, prolifération des armes de destruction massive).
Enfin, troisième point, le Conseil européen pourrait être invité à accorder au Monténégro le statut de candidat, mais sans que les négociations d'adhésion commencent avant que de nouvelles conditions soient remplies.
Je le réaffirme clairement : nous avons encore plus besoin de l'Europe après la crise qu'avant la crise et il faut l'adapter aux enjeux de l'après-crise.
Les Conseils européens doivent continuer de montrer l'image d'une Europe en état de marche, consciente des contraintes et des défis qu'elle doit relever, repartant à l'offensive et préparant, dès à présent, son avenir.
Je sais que la commission des Affaires européennes du Sénat aura à coeur d'oeuvrer pour réaliser cet objectif.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Monsieur le Ministre, je crois sentir dans votre projet une frilosité qui est celle aussi de la famille politique à laquelle j'appartiens, car naturellement il y a deux conceptions de l'Europe. La première conception, classique et centriste, consiste à se replier sur le village européen, à l'intérieur des frontières de l'Union, car il faut que l'Europe fonctionne bien à l'intérieur et l'autre conception est celle qui prend en compte la mondialisation et qui considère que c'est par la dynamique de l'élargissement et de l'ouverture que nous parviendrons à mieux protéger l'Europe.
C'est ainsi que je ne pense pas qu'on puisse mettre sur le même pied la Chine et la Russie comme vous le faites, mais comme ne le fait pas la Ministre des affaires étrangères qui propose de raisonner à l'échelle du continent européen et donc d'intégrer dans son action l'Union européenne et la Russie.
Il est important de maintenir notre coopération avec la Russie, qu'il s'agisse de la défense ou du partenariat stratégique, et le Président Sarkozy a bien fait d'associer la Russie au sommet de Deauville. Il faut véritablement s'orienter vers une vision plus dynamique de l'Europe, il faut aller plus vite et même envisager des coopérations renforcées avec des pays qui ne sont pas membres de l'Union ; en un mot, je suis favorable à plus de hardiesse.
M. Jacques Blanc. - Je me réjouis de votre promotion, car je ne doute pas que vous apporterez une contribution décisive à un moment difficile de l'histoire de la construction européenne.
Ma première question concerne la réciprocité et j'aimerais savoir si cette notion que vous avez évoquée est un moyen élégant de passer sous silence la préférence communautaire qui n'a plus autant de défenseurs qu'autrefois. Pour ma part, je reste favorable à la préférence communautaire et je souhaiterais connaître votre position sur ce problème.
Ma deuxième question concerne la politique de cohésion territoriale, sortie renforcée du traité de Lisbonne. Il faut se féliciter qu'enfin nous ayons, à l'échelle de l'Europe, une politique d'aménagement du territoire et je voudrais savoir comment vous pensez traduire cet objectif qui, à mes yeux, nécessite une étroite collaboration entre les ministres chargés des affaires européennes, de l'agriculture et de l'aménagement du territoire. Cette politique est primordiale et elle a d'ailleurs des retombées sur les territoires de montagne que je représente. Je ne la conçois pas sans une articulation étroite avec la PAC.
Enfin, vous avez évoqué les frontières de l'Europe : c'est là un vieux débat, mais, en tant que défenseur de l'entrée de la Turquie dans l'Europe, même si cette entrée n'est pas pour tout de suite, je n'hésite pas à y revenir toutefois et à rappeler que je ne crois pas qu'il soit bon que la France apparaisse comme le pays qui bloque cette entrée et je voudrais savoir quel regard vous portez sur cette question qui me tient à coeur. Quant aux deux derniers élargissements, reconnaissons quand même qu'il fallait que les pays sacrifiés à Yalta entrent dans l'Union.
Je voudrais, pour finir, attirer votre attention sur une assemblée que je connais bien et qui peut se révéler une aide précieuse : il s'agit du Comité des régions d'Europe et j'ajoute que j'aimerais aussi savoir si vous serez acteur sur le dossier de l'Euro-Méditerranée ?
M. Roland Ries. - Je me réjouis de vos profondes convictions européennes. Vous avez employé une expression qui m'a frappé et avec laquelle je suis parfaitement d'accord : effectivement l'Europe ne doit pas être le « bras armé de la dérégulation ».
Comme vous, je regrette aussi que l'Europe soit trop souvent le bouc émissaire des difficultés nationales. Enfin, j'aimerais m'entretenir avec vous plus longuement sur ce qui fonde et justifie la présence des institutions européennes à Strasbourg, car il me semble qu'il faut qu'au-delà des questions matérielles et des infrastructures, nous enracinions l'Europe à Strasbourg au nom de l'« humanisme rhénan » si nous ne voulons pas retrouver ces referendums européens auxquels les électeurs commencent par répondre spontanément « non » avant de demander « mais quelle était la question ? »
M. Laurent Wauquiez. - A propos des frontières de l'Europe, je souhaite qu'il soit bien clair que ma vision repose sur l'idée que l'on ne peut s'étendre que si le camp de base est solide. Quant à la Russie, je pense que c'est avec un bon service européen de l'action extérieure que nous parviendrons à un bon partenariat stratégique avec les Russes. Mais, croyez-moi, nous avons besoin d'une Europe stabilisée, ce qui n'empêche pas la France d'être très offensive en matière de partenariats stratégiques privilégiés et l'idée d'une Europe de l'Atlantique à l'Oural pourra se concrétiser un jour, non pas au sein de l'Union européenne, mais plus naturellement au sein d'un partenariat stratégique où la Russie a toute sa place. D'ailleurs, nous oeuvrons aujourd'hui pour faire entrer la Russie dans l'OMC, nous aspirons à une zone de prospérité commune et nous ne négligeons pas les enjeux énergétiques.
Sur l'Union pour la Méditerranée, je ne peux être que sensible aux propos tenus par Jacques Blanc, vous savez que je parle arabe et que j'ai fait une partie de mes études en Egypte, c'est vous dire que le projet me tient à coeur. Je suis donc convaincu par l'idée que l'Europe n'a jamais été aussi prospère que lorsque la Méditerranée était stable. Pour le projet d'Union pour la Méditerranée, la difficulté commence lorsqu'on aborde les projets concrets ; Pourtant, sur deux dossiers que j'ai eu à connaître dans mes précédentes fonctions, la formation et l'emploi, la situation progresse et nous avançons vers une reconnaissance commune de certaines formations et qualifications.
Pour la politique de cohésion territoriale, nous défendons toutes les dispositions en faveur des zones défavorisées et nous savons que l'agriculture de montagne doit être protégée : il est donc intéressant et nécessaire que les deux sujets - PAC et politique de cohésion - soient suivis chez nous dans un même ministère et je me réjouis que ce soit un de mes prédécesseurs, Bruno Le Maire, qui en soit chargé. Mais attention de ne pas sous-estimer nos intérêts en matière de politique de cohésion, ils sont au moins aussi importants que nos intérêts en matière de politique agricole commune.
Le Comité des régions d'Europe est une instance très intéressante et un lieu de sagesse et de réflexion très précieux que vous connaissez bien, je le sais.
Reste la question de la réciprocité qui repose sur un principe simple et de bon sens: ni le libre échange ni l'angélisme. On quitte le rivage d'une libre concurrence pure et parfaite, comme l'Europe la pratique, pour une approche plus pragmatique : priorité au libre échange, certes, mais à condition que tous le pratiquent et, surtout, restons fermes et montrons quand il le faut que nous sommes capables de faire le bras de fer.
J'ai trouvé très intéressante la réflexion que vous avez ouverte sur la nécessité d'asseoir la politique européenne sur le socle d'un humanisme rhénan : il faut renouveler notre discours sur Strasbourg, capitale européenne, en nous appuyant sur cette matrice humaniste et vous me trouverez toujours à vos côtés pour ce combat.
De même, je vous rejoins sur le rôle de l'Europe, bouc émissaire trop facile : vraiment, quand je prends l'exemple du tabac, on ne peut pas se contenter de dire que l'Europe est fautive et qu'elle nous empêche d'agir. C'est faux puisque l'Europe n'interdit pas tout contrôle aux frontières, il ne tient qu'à nous de contrôler en tant que de besoin. Il est donc hors de question de toujours se défausser sur l'Europe de Bruxelles.
M. Pierre Fauchon. - J'ai écouté avec plaisir votre intervention, car il est de plus en plus rare d'entendre parler de l'Europe comme d'une ambition. Je suis de ceux qui pensent que l'Europe ne peut se maintenir et ne peut sauver sa civilisation que si elle possède tous les autres attributs de la puissance, sinon chacun devine que l'Europe ne sera plus dans quelque temps que le musée de la Civilisation, à la manière de la Grèce vaincue au sein de l'Empire romain. Il faut donc être exigeant pour l'Europe !
D'autre part, je m'inquiète du problème que peut poser le binôme franco-allemand : ne pensez-vous pas que nous allons finir par fâcher les autres États membres à force de considérer comme une évidence que ce que veulent ensemble l'Allemagne et la France doit s'imposer naturellement aux autres ? Pour ma part, je suis adepte des coopérations renforcées, car je tiens que la coopération renforcée est un juste milieu entre le binôme franco-allemand et le groupe des 27.
Quant à la crise de l'euro, certains disent que c'est une crise des finances publiques et un excès de dettes, mais je pense que c'est la financiarisation de l'économie qui est fautive. Qu'attendons-nous pour agir ?
Mon expérience m'amène à penser que l'Europe est dans une crise paradoxale : le scepticisme l'emporte au moment même où nous avons le plus grand besoin de l'Europe et l'Europe n'est encore rien au moment où la globalisation triomphe. Lors de la visite du Premier ministre indien ou du Président chinois, comme je regrettais que cette visite eût lieu à Paris et non pas à Strasbourg et qu'elle ne fût pas une visite à l'Europe !
Je suggère qu'à la manière de Brasilia, nous créions la future capitale de l'Europe à partir de zéro, mais en face de Strasbourg, de l'autre côté du pont : ce serait là une belle ambition !
Mme Colette Mélot. - Pour ma part, loin des projets spectaculaires, je crois qu'il faut renforcer les programmes d'échanges et créer des programmes de citoyenneté européenne ; je suis très sensible aussi à l'aide au développement. Qu'en est-il aujourd'hui ? Avez-vous l'intention de relancer l'aide au développement ?
M. Jean Bizet. - Je vais me permettre d'ajouter deux questions : comment pensez-vous nous tenir informés de ce qui passera au G 8 et au G 20 ? A propos de Schengen, la Bulgarie et la Roumanie prétendent remplir les critères exigés par les textes, quelle va être l'attitude de la France ?
M. Laurent Wauquiez. - A propos des coopérations renforcées, je suis partisan d'y recourir et le brevet européen va nous en offrir un exemple précis.
Sur la gestion des crises, je vous rejoins complètement, mais quand il y a le feu, il faut d'abord l'éteindre ! C'est ce que nous avons fait pour la Grèce et ensuite nous avons mis au point un mécanisme d'aide, excellent outil pour l'avenir qui renforce l'euro ; ensuite, l'Irlande, à la différence de la Grèce, respectait parfaitement les critères de Maastricht, mais le secteur bancaire était hypertrophié. On ne pouvait donc pas se contenter des critères de Maastricht et de la surveillance des déficits ; il fallait tirer une autre leçon et cela a débouché sur la « gouvernance économique ». Enfin, il faut réguler le secteur bancaire : l'Irlande a laissé son secteur bancaire prendre des risques pour lesquels il n'était pas armé. Après chaque feu éteint, rassurez-vous, les leçons sont tirées.
Sur le dialogue de la France avec les grandes puissances, je ne partage pas votre sentiment, la France est la cinquième puissance économique et il n'y a rien qui me choque quand le Président chinois rend visite à la cinquième puissance économique mondiale.
Quant à votre projet d'un Brasilia rhénan, je le trouve très séduisant et sympathique !
Oui, je suis totalement favorable aux échanges scolaires et aux jumelages.
Pour l'aide au développement, il faut surtout qu'elle soit visible, car très souvent l'aide européenne est convoyée par un camion américain.
Pour le G 20 et le G 8, je m'engage à vous tenir informés.
Enfin, à propos de Schengen, soyons clairs et précis : il y a des critères simples à remplir et ils sont en toutes lettres dans le traité. Si la Roumanie et la Bulgarie entrent dans Schengen, nous aurons deux graves problèmes, car leurs frontières deviennent alors notre frontière. Or, premier problème : la Roumanie ne reconnaît pas totalement sa frontière avec la Moldavie et nous, Européens, nous reconnaissons une frontière avec la Moldavie. Alors nous allons nous trouver quasiment sans frontière avec la Moldavie et tous les Moldaves passeront. Deuxièmement, nous sommes en droit de demander que les contrôles européens soient effectifs ; les enquêtes diligentées par la Commission nous apprennent que la corruption reste un problème. Dans ces conditions, le bon sens nous oblige à surseoir à leur entrée dans l'espace Schengen. Il nous incombe d'être vigilants.
* (1) Réacteur thermonucléaire expérimental international.