Jeudi 2 décembre 2010
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -Séminaire de travail organisé par le Programme des Nations unies pour le développement - Accueil d'une délégation de femmes parlementaires de pays du Sud
La délégation accueille une délégation de huit femmes parlementaires de pays du Sud (Mauritanie, Burundi, Djibouti, Tunisie, Maroc, Algérie) dans le cadre d'un séminaire de travail organisé par le PNUD.
Mme Michèle André, présidente. - Je remercie le PNUD d'avoir organisé cette rencontre, qui permet de vous associer à nos travaux. Une délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a été créée en 1999, à l'Assemblée nationale, au Sénat et au Conseil économique et social, à la suite de l'inscription dans la Constitution de l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux. Elle est composée à la proportionnelle des groupes politiques - et compte quelques hommes !
Si la France est le pays des droits de l'homme, ceux de la femme ne sont pas encore acquis ! La délégation interpelle régulièrement le gouvernement sur l'orientation des filles, l'égalité salariale, la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle, ou encore sur la dignité de la femme : violences au sein du couple, contraception, respect de la loi sur l'IVG médicalisée, etc. Nous bataillons enfin pour une meilleure citoyenneté : on ne compte que 18 % de femmes à l'Assemblée nationale, 23 % au Sénat. Ce contrôle prend la forme de questions au gouvernement et de débats, comme récemment sur la prostitution.
Je connais bien ces sujets pour avoir été pendant trois ans ministre aux droits des femmes. À ce titre, ainsi que comme membre de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie, j'ai voyagé dans vos pays, et vu combien les femmes y sont fortes et volontaires !
Femmes et sports - Audition de William Gasparini, sociologue et professeur à l'université de Strasbourg
Mme Michèle André, présidente. - La délégation a choisi cette année de se pencher sur le thème « femmes et sport ». Pierre de Coubertin n'était pas un féministe... Comment les femmes peuvent-elles conquérir une place dans ce monde ?
M. William Gasparini, Professeur des universités en STAPS, Directeur de l'Équipe de recherche en Sciences sociales du sport (EA 1342), Université de Strasbourg. - Merci de m'avoir invité, comme chercheur mais aussi comme homme, alors qu'en sociologie il est plutôt de tradition que ce soient des femmes qui abordent ces questions sous l'angle des gender studies. Je signale aussi en préambule que je ne suis peut-être pas le plus compétent sur la question du sport et du genre car mes collègues universitaires Catherine Louveau et Christine Menesson ont développé de nombreuses recherches très intéressantes dans ce domaine.
Mme Michèle André, présidente. - Nous avons prévu d'auditionner Mme Louveau la semaine prochaine.
M. William Gasparini. - Par contre, dans mes travaux sur les organisations sportives, le sport dans les quartiers et l'intégration par le sport, j'ai rencontré à mainte reprise les rapports sociaux de sexe, la domination masculine et les discriminations sexuelles dans l'accès aux activités sportives, et notamment à l'échelle européenne. Par ailleurs, je connais assez bien les pays du Sud, pour avoir travaillé au Maroc comme professeur d'éducation physique et sportive (EPS) il y a une vingtaine d'années, et je pars en mission très prochainement à l'université Saint Joseph de Beyrouth dans le cadre de l'Agence universitaire de la francophonie pour travailler avec des collègues libanais sur la question du sport et des communautés religieuses: nous avons tout intérêt à travailler avec nos collègues du Sud afin d'échanger nos pratiques et comparer nos recherches.
Le sport est un miroir de la société et façonne nos représentations. Les médias véhiculent une division sexuée : hommes et femmes ont chacun leurs compétitions. Je viens de codiriger un ouvrage collectif intitulé « Sport et discrimination en Europe » aux éditions du Conseil de l'Europe, qui traite de la discrimination subie dans l'accès au sport par les personnes handicapées, les minorités ethnoculturelles et les femmes, notamment dans les quartiers dits populaires, et dont souffrent surtout les femmes adultes et seniors. Mais les discriminations sexuelles dans l'accès aux pratiques physiques (sportives ou d'entretien) peuvent aussi relever de l'auto-exclusion, en raison de représentations, stéréotypes et poids des normes religieuses.
M. Thierry Terret, que vous avez auditionné la semaine dernière, a sans doute retracé le contexte historique de l'accès des femmes au sport. Pierre de Coubertin estimait que la compétition sportive devait être réservée aux « adultes mâles » : les sports de compétition modernes, souvent nés en Angleterre, se caractérisent en effet par la domination masculine. Malgré son féminin, l'institution sportive est de genre masculin. Si les activités de loisir se sont féminisées, le pouvoir, l'argent et la médiatisation des sports de compétition en perpétuent l'image andro-centrée.
Depuis les années 70-80, la pratique féminine s'est développée dans un contexte de démocratisation de l'accès au sport et d'émancipation des femmes. Les femmes qui travaillent rentrent dans un découpage entre temps de travail et temps de loisir ; elles ont paradoxalement plus d'activité de loisir que celles qui restent à la maison. En outre, la sociabilité professionnelle se prolonge dans le cadre des loisirs.
En France, l'EPS est obligatoire à l'école. La gymnastique a été rendue obligatoire dans le primaire en 1880 : cette culture gymnique participe du projet républicain de diffusion d'une éducation corporelle commune ainsi que d'une l'hygiène de vie. Le sport de compétition à l'anglo-saxonne, réservé à la jeunesse masculine, est en revanche longtemps resté le privilège des lycées bourgeois, où l'on estimait qu'il formait le caractère, le self government, l'esprit d'initiative pour les futurs capitaines d'industrie.
Une précision tout d'abord : en France, les cours d'EPS sont mixtes, même si cela suppose de renoncer à certaines disciplines « trop viriles » et de privilégier souvent des disciplines « neutres » ou « asexuées ». En Allemagne, en revanche, on pratique plutôt la coéducation : filles et garçons sont séparés à certains moments, au motif que la mixité renforcerait les stéréotypes de genre: au contact des filles, les garçons adoptent un comportement « de garçons », et vice-versa. Mais les pratiques varient selon les Länder ; filles et garçons peuvent par exemple être séparés pour le football, mais ensemble pour des disciplines plus neutres comme le volley. Je revendique pour ma part la mixité, qui prépare garçons et filles à vivre ensemble dans une société paritaire et respectueuse des spécificités de chacun. Cette conception fait aujourd'hui débat, sous l'influence de chercheurs et pédagogues anglo-saxons : les filles étant plus performantes à l'école, les garçons seraient dominés... il s'agirait alors de les séparer pour éviter cette confrontation. Ces revendications s'inscrivent dans un processus européen et traduisent un souci différentialiste qui est éloigné de notre tradition républicaine.
Je vais maintenant aborder la première dimension des inégalités sexuelles dans le sport à partir de mes travaux sur les quartiers et les processus d'intégration par le sport.
Les données objectives sur la pratique sportive des filles dans les quartiers populaires sont rares. J'ai réalisé une enquête sur le sport dans les zones urbaines sensibles (ZUS) de l'agglomération strasbourgeoise ; mon collègue Gilles Vieille Marchiset, sur la banlieue de Besançon. Notre ouvrage « Le sport dans les quartiers » souligne que seulement 32% des filles en ZEP pratiquent un sport en club. Dans les classes moyennes et supérieures, ce taux est de 80% ! Les filles ne sont pas davantage présentes dans les city-stades, espaces publics ouverts de pratique sportive auto-organisée, à moins d'avoir un très bon niveau ; si elles sont présentes, elles sont aussi souvent reléguées au rôle de supportrices des garçons.
M. Yannick Bodin. - De « pom-pom girls » !
M. William Gasparini. - Une doctorante en STAPS de Paris Orsay (Charlotte Parmantier) a observé dans son enquête de terrain qu'un nombre croissant de filles d'origine maghrébine pratique le football, jusqu'en équipe de France. Idem pour la boxe. En revanche, plus la pratique est esthétisée, érotisée, par exemple dans le cas de la gymnastique ou de la natation, plus elles se font rares. Le football se pratique d'ailleurs souvent avec pantalon et manches longues.
Concernant les politiques d'intégration par le sport mises en place dans les années 90, j'ai aussi remarqué dans mes enquêtes qu'elles s'adressaient prioritairement aux garçons, qu'il fallait occuper tout en leur inculquant les règles de la citoyenneté. On en a oublié les filles, disparues de la scène publique. Même dans le haut niveau, les filles et femmes issues de l'immigration qui réussissent sont souvent des « gloires discrètes », à la différence des jeunes hommes.
Mme Michèle André, présidente. - Cette politique n'est-elle pas antérieure aux années 90 ?
M. William Gasparini. - Les premières émeutes aux Minguettes remontent au début des années 1980 ; les premiers dispositifs socio-sportifs ont en effet été mis en place sous François Mitterrand.
Mme Michèle André, présidente. - Je l'ai fait à la mairie de Clermont-Ferrand.
M. William Gasparini. - Mais c'est depuis 1990 que les ministères de la Ville et des Sports travaillent de concert pour redynamiser et pacifier les banlieues. On a multiplié les animations, ouvert les gymnases en soirée, sur un modèle américain, mais toujours pour les garçons. Il reste beaucoup à faire pour féminiser la politique de la ville : féminisation de l'encadrement, activités d'expression et de loisir destinées aux filles, accompagnement des filles de leur immeuble à la salle de gym...
J'en viens maintenant à la deuxième partie de mon exposé, qui traite d'un autre aspect des inégalités entre les hommes et les femmes dans le monde sportif : celui de la place des femmes dans les organisations sportives. Du côté des pratiques, les femmes ne représentent qu'un tiers des licenciés en club ; elles pratiquent davantage à domicile, en salles de fitness, pendant les vacances... Pas ou peu de femmes dans les grandes administrations du sport, les services des sports des collectivités, les conseils d'administration de Nike, Reebok ou Adidas, au CIO ou à la tête des fédérations : le « plafond de verre » y est encore plus bas qu'ailleurs ! Plus on monte dans la hiérarchie, moins on trouve de femmes : une étude réalisée par Caroline Chimot en 2003 nous révèle qu'elles représentent 5% des 153 présidents de fédération, 10% des entraîneurs nationaux ; 25% des titulaires du brevet d'État d'éducateur sportif premier degré, 15% pour le brevet d'État second degré. C'est un monde très masculin, y compris dans les sports féminins : les sportives sont « entraînées » par des hommes, qui perpétuent un modèle masculin de l'entraînement.
Dans les entreprises et administrations du secteur sportif, les cadres, du public comme du privé, sont majoritairement des hommes. En 2004, j'avais enquêté en Alsace auprès de 200 magasins d'articles de sport. Plus de 85% des dirigeants ou gérants étaient des hommes. En revanche, à l'intérieur des boutiques, les femmes occupaient les postes de caissières et de vendeuses. Ils expliquaient préférer des femmes pour les secteurs à connotation féminine - fitness, vêtements - et celles-ci étaient tenues « d'avoir un beau physique pour attirer les hommes ». Mais tout ce qui était technique - en particulier les secteurs du cyclisme ou de la montagne - était le domaine exclusif des hommes. Ce qui revient à considérer qu'il y a des compétences féminines spécifiques ou « naturelles ». Les femmes qui disent avoir été recrutées dans certains postes parce qu'elles ont davantage de douceur et de doigté reconnaissent aussi parfois cette spécificité des « qualités féminines » et elles ont intériorisé le discours que les hommes tiennent sur les femmes.
Il reste donc beaucoup à faire, la « domination masculine » - pour reprendre les termes de Bourdieu - est sans cesse réaffirmée. Mais on note quand même des résistances et des évolutions : il y a désormais des arbitres femmes pour les matchs masculins de foot ou de handball.
Mme Michèle André, présidente. - Il y a même une arbitre féminine, excellente, pour la lutte.
M. William Gasparini. - Déjà pour un homme le métier d'arbitre est difficile mais, en plus, les femmes se font insulter de façon spécifique.
Les femmes entrent même dans un bastion jusqu'ici uniquement masculin : le corps des guides de haute montagne ; mais là encore, elles sont souvent reléguées à l'encadrement des femmes ou des familles.
Je ne suis pas pessimiste. Je suis convaincu que l'avenir du sport passe par sa féminisation. Mais une politique volontariste est indispensable.
Mme Michèle André, présidente. - Je me souviens encore de la stupéfaction du mouvement sportif local lorsque j'ai été nommée adjointe aux sports à la mairie de Clermont-Ferrand. J'ai cru qu'ils ne s'en remettraient pas. J'ai vite fait de découvrir les mêmes stéréotypes et réflexions que ceux des débats du Sénat sur le droit de vote des femmes entre les deux guerres : les femmes ont un rôle et une place dans la société, et toute tentative pour en sortir est à condamner.
M. Yannick Bodin. - Je salue votre délégation de parlementaires des pays du sud. Il m'est agréable de voir parmi vous une représentante de l'Algérie où j'ai enseigné il y a quarante ans. Dans les années soixante-dix, il m'est arrivé d'y donner au collège des cours mixtes d'éducation physique. Les collèges de l'époque étaient mixtes.
Mme Ouardia Aït Merar, Vice-présidente de la Commission de la Santé, des Affaires sociales, du Travail et de la Formation professionnelle de l'Assemblée populaire nationale d'Algérie. - C'est toujours le cas.
M. Yannick Bodin. - Vous avez dit, Monsieur Gasparini, que la gymnastique a été obligatoire dans le primaire à partir de 1880. Mais il faut tenir compte d'un facteur discriminatoire en faveur du sport pour les garçons : c'est leur préparation militaire nécessaire à la reconquête de l'Alsace-Lorraine.
Dans les établissements mixtes où j'enseignais il y a une vingtaine d'années, une des raisons pour lesquelles il y avait beaucoup moins de filles dans les cours d'éducation physique, c'était le grand nombre de dispenses demandées par les parents au médecin de famille ou, plus rarement, par l'infirmière de l'établissement. Ces demandes de dispense concernaient davantage les enfants de milieux populaires et des familles dont la culture et la religion s'opposaient à une pratique mixte du sport. Où en est-on maintenant ?
Mme Anne-Marie Payet. - En matière de moralité, de dopage par exemple, y-a-t-il une différence entre la pratique sportive des hommes et celle des femmes ? Ou bien, comme en politique, la pratique des femmes est-elle plus morale ?
M. William Gasparini. - Il est vrai qu'en 1880 l'éducation physique était aussi liée à la préparation militaire.
Les filles issues de familles immigrées sont l'objet de nombreuses dispenses d'EPS, notamment pour la natation et, en particulier, dans les zones urbaines sensibles et les ZEP, mais il n'y a pas d'enquêtes précises sur le sujet. En revanche, j'ai travaillé à Strasbourg sur les familles turques ; j'ai remarqué que les filles de « l'élite turque » - universitaires, hauts fonctionnaires du Conseil de l'Europe - ne sont pas dispensées de sport. Autrement dit, la raison de ces dispenses est sociale, elle n'est pas culturelle ni religieuse. En France, la dispense pour les filles doit être accordée par un médecin ; en Allemagne, pays non laïque, elle peut être accordée par l'imam. On ne sait pas bien dans quelle mesure ces dispenses sont liées à la religion ou plutôt à la nouvelle dictature des normes esthétiques corporelles, qui produit un effet non négligeable sur les adolescentes.
Des parents demandent aussi que garçons et filles soient séparés pendant les cours de sport, de même que des associations cultuelles réclament, dans les piscines, des créneaux horaires réservés aux femmes. Certaines villes accèdent à ces demandes. C'est le cas de Strasbourg, ville de régime concordataire qui réserve des créneaux pour les femmes juives ou musulmanes. C'est aussi le cas de Lille. Tout dépend du conseil municipal. J'ai aussi observé quelques tentatives de séparatisme sexuel dans les équipements sportifs (interdire les spectateurs masculins dans les compétitions féminines) mais qui ont toutes échouées parce que notre modèle de société est laïque. Certains pays du Conseil de l'Europe de tradition multiculturaliste, la Norvège par exemple, tolèrent beaucoup plus que nous ces séparations et des compétitions féminines sont interdites aux spectateurs hommes.
Mme Michèle André, présidente. - C'est une revanche...
M. William Gasparini. - L'enjeu, c'est le corps de la femme. Pour toutes les religions, la domination du corps féminin est un enjeu de pouvoir. Dans certaines religions, c'est même une proie dont l'homme est le prédateur. Plus elle se découvre, plus on peut s'en emparer. La vigilance s'impose donc.
Des dérives - dopage, corruption, violences dans les stades - sont constatées dans les sports masculins : football, cyclisme. La féminisation de ces sports entraînerait-elle leur moralisation ? Je peux difficilement répondre à cette question. Dans certains quartiers, on s'aperçoit que des filles peuvent être très violentes, y compris dans la pratique sportive. Il n'y a pas de « nature féminine » liée à la douceur. La moralité dans le sport ne semble donc pas liée au genre mais plutôt aux enjeux financiers et à l'éducation et, à cet égard, les fédérations sportives ont une grande part de responsabilité.
Mme Aïcha Mohammed Robleh, Secrétaire de la commission Législation et Administration Générale et vice-présidente de la commission spéciale d'apurement des comptes de l'Assemblée nationale de Djibouti. - Après le décès à 38 ans d'une athlète américaine plusieurs fois médaillée aux Jeux olympiques, Florence Griffith-Joyner, on a appris qu'elle se serait dopée.
M. William Gasparini. - Tous ceux qui pratiquent le culturisme à un haut niveau, hommes comme femmes, ont pris de la créatinine ou des stéroïdes pour augmenter leur masse musculaire.
Mme Aïcha Mohammed Robleh. - Certains entraîneurs auraient demandé à des athlètes femmes de tomber enceinte afin de secréter des hormones dopantes...
M. William Gasparini. - Cela se faisait en Allemagne de l'Est, dans le contexte de rivalité de la guerre froide, mais d'autres pratiques avaient aussi cours dans les pays de l'autre bloc...
Mme Karima El-Korri, coordinatrice de l'initiative du PNUD pour le développement parlementaire dans la région arabe. - La France a eu une femme ministre des sports. Cela a-t-il permis une féminisation du sport ? Et à quoi sert la féminisation du personnel politique ?
M. William Gasparini. - En France, les premiers ministres des sports ont d'abord été des hommes, Borotra, Herzog, Comiti. Elle a ensuite eu plusieurs ministres femmes. La première, Edwige Avice, n'a pas vraiment pris en compte le genre dans la pratique sportive. Sa principale préoccupation était d'élaborer un cadre législatif pour le sport (domaine de compétence de l'Etat) et d'établir un service public des activités physiques et sportives (APS). Ensuite, ce fut Michèle Alliot-Marie. Mais Marie-George Buffet fut la première à prendre en compte le genre et à pratiquer une politique sportive volontariste à destination des femmes. Les femmes ministres des sports ne sont jamais issues du milieu sportif contrairement à leurs homologues masculins, Calmat, Bambuck, Drut, Lamour, Laporte. Certes Chantal Jouanno a été championne de karaté mais elle était pratiquante, pas dirigeante ou professionnelle du sport.
Mme Michèle André, présidente. - Nous voulons être plus nombreuses au Parlement pour briser le plafond de verre politique et économique et, ainsi, permettre à toutes un choix plus libre. Si nous sommes peu en politique, nous pouvons peu, nous ne bougerons rien. J'ai présidé des séances du Sénat : même si vous défendez la meilleure des idées, si 10 mains seulement se lèvent contre 240, rien ne se passe. J'ai eu la chance de rencontrer Benazir Bhutto. Son crève-coeur était de ne pas disposer dans son Parlement de la majorité des deux tiers nécessaire pour modifier la scélérate loi Zia-ul-Haq selon laquelle, en justice, la parole d'une femme ne valait que la moitié d'une parole d'homme. Cela montre bien la nécessité d'être plus nombreuses en politique. Si un jour nous parvenons à être 40 % au Parlement, les questions se poseront différemment, on jugera les femmes non plus sur leurs « caractéristiques féminines » mais sur leurs compétences. Il nous faut donc être plus nombreuses mais, en outre, il nous faut être plus conscientes et c'est ce à quoi travaille notre délégation.
Lorsque Edwige Avice est arrivée aux Sports, cela a provoqué un choc. Dès le départ, elle a eu une position très politique, celle d'interdire à notre équipe de rugby d'aller jouer en Afrique du Sud. Le président Ferrasse était fou de rage : il invoquait sa liberté. Mais Edwige Avice est restée ferme : l'équipe de France représentait la France, il s'agissait de faire prendre conscience de l'apartheid. Certaines femmes sont pionnières, car plus intransigeantes.
Mme Boutayna Iraqui Houssaini, Membre de la Commission des Finances et du Développement Economique de la Chambre des représentants du Maroc. - Je suis championne marocaine de course de jet-ski. Lorsque j'ai voulu m'inscrire au championnat, on m'a dit : « Ce n'est pas pour les femmes, il n'y a pas de catégorie « Femmes » en jet-ski ! ». Je suis donc revenue avec les statuts du championnat et ai fait remarquer qu'il n'y était nulle part inscrit qu'il était interdit aux femmes et je me suis donc inscrite dans la catégorie « Hommes ». Et j'ai gagné !
Cela m'a servi en politique lorsque j'ai été candidate aux législatives. A la dernière ligne de mon CV, j'ai écrit : « Championne de jet-ski, catégorie Hommes ». Dès lors, toutes les discussions ont porté sur ce seul point, on ne me croyait pas, on parlait d'erreur. J'ai beau diriger l'Association marocaine des femmes chefs d'entreprise, on ne m'a jamais interrogée sur mes compétences managériales. Je n'ai jamais été médiatisée que pour cette question de jet-ski. Pourtant, avec les femmes chefs d'entreprise, nous avions réalisé des exploits, récolté 1,5 millions en trois ans, monté des incubateurs, créé 57 entreprises, formé des chômeuses et d'anciennes prostituées jusqu'à leur faire obtenir des CDI. Pour tout cela, je ne suis jamais passée à la télévision. Au Parlement, j'ai travaillé sur la réforme des médias ; cela ne m'a valu que quelques lignes dans la presse. Seule ma victoire au championnat de jet-ski intéresse les journalistes.
C'est pourquoi je vois dans le sport une manière d'avancer vers la parité, d'une manière intelligente et détournée car nous ne pouvons le faire de façon trop frontale. Au Maghreb, le football est très populaire mais, malheureusement, il est aussi le symbole de l'argent. Je déplore cette image que donne le sport. La Coupe du monde a poussé les gens à changer leur télévision - mon mari le premier - mais elle n'a pas développé en eux l'amour du sport.
- Présidence de Mme Christiane Kammermann, vice-présidente -
Mme Kadiata Malik Diallo, Présidente de la commission des Relations extérieures de l'Assemblée nationale de Mauritanie. - Compte tenu de leurs qualités physiques différentes, peut-on vraiment parler d'égalité entre les hommes et les femmes et ne vaut-il pas mieux préconiser des sports différents pour les uns et les unes ?
M. William Gasparini. - Bien sûr les données physiques sont différentes et, en rugby par exemple, une pratique mixte peut être dangereuse pour les filles et femmes face à des hommes. De même pour le football ou les combats de boxe. Au volley-ball, c'est plus facile. Mais on peut pratiquer un rugby purement féminin. Au niveau des performances, les différences ne sont pas très grandes et, si depuis un siècle les femmes avaient pratiqué l'athlétisme comme les hommes, les performances tendraient sans doute à se rejoindre.
Mme Ouardia Aït Merar. - Nous ne sommes pas très nombreuses au parlement algérien mais cela ne reflète pas l'importante participation des femmes dans les autres secteurs, à tous les niveaux de responsabilité. Les secteurs de la santé, de l'éducation ou de la justice sont très féminisés.
Y-a-t-il, dans votre Sénat, une commission chargée de la jeunesse et des sports ?
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. - La commission de la culture est chargée de l'éducation, des sports et des médias. Les problèmes de la jeunesse sont répartis entre cette commission de la culture et, pour ce qui est de la santé, celle des affaires sociales.
Mme Françoise Laborde. - La commission de la culture, de l'éducation et de la communication ne traite pas beaucoup du sport. Il existe certes un groupe d'études « sport » mais ce qui concerne le sport est rattaché à d'autres domaines de compétence, le dopage ou les jeux en ligne par exemple.
M. Yannick Bodin. - Nous traitons du sport essentiellement sous l'aspect de la lutte contre le dopage et des relations entre le budget de l'État et les fédérations sportives.
Mme Ouardia Aït Merar. - Le Sénat prépare-t-il une loi pour promouvoir le sport féminin ? Et votre délégation travaille-t-elle avec cette commission de la culture ?
En Algérie les femmes sont parfois dissuadées de faire du sport ou de voir des matchs à cause de la violence dans les stades. Nous avons beaucoup de sportives d'élite - Hassiba Boulmerka par exemple. Dans les sports de combat, les femmes s'entraînent - peut-être pour se protéger - dans des conditions déplorables mais cela ne les décourage pas. Nous avons un championnat national de football féminin. La violence des supporters ne diminue pas, ni les agressions contre les joueurs ou les arbitres parce que nous n'avons pas de culture sportive, pas le sens du fair-play. Avez-vous des solutions ?
M. William Gasparini. - En France, le sport est de la compétence de l'État mais celui-ci délègue une partie de ses pouvoirs aux fédérations. Celles-ci doivent prendre à leur compte la volonté de féminisation et d'égalité dans le sport. Quant à l'État, il a le devoir de mettre en place des lois sur la parité.
En France les violences sur les stades relèvent de mesures prises par les collectivités locales. En outre, nous appliquons une convention du Conseil de l'Europe contre ces violences et qui concerne surtout le football. Par exemple dans toutes les compétitions de haut niveau, les places assises sont obligatoires, pour éviter les mouvements de foule. Et il y a désormais des « stadiers », vêtus de gilets colorés, qui tournent le dos au terrain pour faire face aux supporters. Cette convention a été adoptée par les 47 pays du Conseil de l'Europe après le drame du Heysel. Une autre convention porte sur le dopage. Mais vous avez raison, venir en famille aux matchs de football, dans les compétitions nationales ou européennes, peut comporter un risque.
Mme Christiane Kammermann, présidente. - La commission de la culture avait établi un rapport sur la violence des supporters.
M. Yannick Bodin. - Nous avons travaillé directement avec les clubs sportifs pour voir dans quelle mesure la présence policière ou l'éducation pouvaient diminuer les faits de violence.
Mme Muguette Dini. - Le travail de la délégation aux droits des femmes est de tenter de comprendre ce qu'il en est, puis de faire des recommandations au ministère. Si celui-ci ne réagit pas, alors nous pouvons déposer une proposition de loi.
Mme Mentata Mint Heddeid, Présidente de la commission des Finances de l'Assemblée nationale de Mauritanie. - La pratique sportive doit tenir compte des besoins et spécificités des femmes. Il vaudrait donc mieux parler de complémentarité plutôt que d'égalité. Dans mon pays le ministre de la culture et des sports est une femme : cela n'a amené aucune avancée. Pour les filles la dispense d'éducation physique est presque automatique, pour des raisons religieuses. Notre combat est le même que le vôtre. Ici comme chez nous une femme doit prouver sa compétence davantage qu'un homme. Nous allons réfléchir à la création d'une « délégation » analogue à la vôtre au sein de notre assemblée. M. Gasparini a dit que l'avenir du sport passera par sa féminisation. On dit aussi que « la femme est l'avenir de l'homme ». On ne progresse pas beaucoup pour autant.... Il faut grignoter par un combat quotidien.
Mme Christiane Kammermann, présidente. - Que fait votre ministre si elle ne s'occupe pas de cette question ?
Mme Mentata Mint Heddeid. - La structure formelle ne suffit pas. Il existe d'autres contraintes, religieuses, culturelles. Il faudrait commencer à l'école.
M. William Gasparini. - En France les femmes pratiquent maintenant tous les sports, et tous les métiers, même ceux du bâtiment ou les travaux de force.
Mme Bariza Khiari. - De tous temps, les hommes ont tenté d'asseoir leur pouvoir sur les femmes et les religions ont toujours été les outils de ce dessein. Le corps de la femme est un enjeu. Et cela continue. Car nous avions un maître et si nous nous en sommes débarrassées, nous l'avons remplacé par un autre : la norme esthétique de la minceur, véhiculée par les médias. Le corps de la femme est à nouveau réifié. Dans ma circonscription, des femmes obèses demandent un créneau horaire spécial pour la piscine. Nous ne l'avons pas accordé car cela aurait ouvert la porte à d'autres demandes de créneau réservé pour des raisons cultuelles. Cela prouve que si la femme a obtenu sa libération, elle n'a pas encore obtenu sa liberté. Et certaines cumulent les obstacles religieux, culturels et physiques.
Sport et santé publique vont désormais de pair : on le voit avec les campagnes d'affichage prônant les bienfaits de la marche. Avec l'allongement de la vie, la pratique sportive devient un impératif. Pourquoi ne pas inciter les médias à montrer des personnes en surpoids en train de pratiquer un sport ? Le corps reste une entrave pour nombre de femmes.
M. William Gasparini. - En effet, l'activité physique ne se limite pas au sport de compétition. Désormais, les campagnes de santé publique sur l'activité physique ne s'adressent plus uniquement aux sportifs.
L'obésité est une maladie, qui touche surtout les couches les plus populaires, mais de plus en plus de femmes n'osent plus pratiquer de sport faute de se conformer au modèle filiforme promu par les médias. Je me suis penché sur ce problème des « exclus du sport » : les enfants en surpoids ne vont pas en club, ou restent sur le banc de touche. Je consacre un chapitre de mon livre Sport et discrimination en Europe au rôle des médias dans la lutte contre la discrimination. En la matière, il faut être incitatif.
Mme Bariza Khiari. - Il ne s'agit pas seulement d'obésité : même un léger surpoids devient discriminant. Quelle est la part du culturel et celle de la norme esthétique quand les filles demandent à être dispensées de natation ? Les garçons ne sont pas épargnés : aux États-Unis, de jeunes adolescents prennent de la créatine et s'adonnent à la musculation pour afficher une musculature digne des footballeurs qu'ils admirent !
M. Alain Gournac. - Les mannequins sont des gosses de quinze ou seize ans, que l'on déguise en femmes...
Mme Aicha Mohammed Robleh. - Le sport, on aime, ou on n'aime pas. À Djibouti, la religion n'a jamais interdit aux filles de pratiquer le sport, mais dans certaines familles, on ne se découvre pas devant les hommes : or il fallait porter des shorts, nous tirions dessus pour les rallonger... Pour ma part, je n'aimais pas le sport, et mes camarades et moi nous en faisions dispenser - à l'insu de nos parents. Mon professeur de sport me disait : si je lâche un lion derrière toi, tu courras ! Rien à faire... (Sourires) Les performances des Éthiopiennes ou des Kenyanes en athlétisme, et notamment en course de fond, montrent bien que le problème n'est pas culturel.
Enfin, je ne pense pas qu'il faille avoir été champion pour être ministre des sports, d'autant que l'on ne peut être champion dans toutes les disciplines !
Mme Christiane Kammermann, présidente. - Merci. Ces échanges ont été fort intéressants.