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- Mardi 19 octobre 2010
Mardi 19 octobre 2010
Agriculture et pêche
Possibilité de
restreindre ou d'interdire la culture d'OGM
(texte E
5513)
Communication de MM. Gérard César et
Richard Yung
M. Jean Bizet. - L'ordre du jour de notre commission appelle tout d'abord les autorisations de mise en culture de plantes génétiquement modifiées. Le sujet divise toujours les opinions publiques. Plusieurs faits ont marqué l'actualité de ces derniers mois tant en France qu'en Europe :
- le 15 août à Colmar, des faucheurs volontaires ont détruit des plants de vigne transgéniques qui faisaient l'objet d'une collaboration inédite entre l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), les viticulteurs et des associations ; et cela alors même que ces recherches avaient pour but de lutter contre une maladie virale qui ne se traite pas, la maladie du court-noué.
- le 11 octobre, s'est ouvert devant le tribunal correctionnel de Marmande le procès des 85 «faucheurs volontaires» qui avaient détruit une parcelle de maïs OGM de Monsanto en septembre 2006 à Grézet-Cavagnan dans le Lot-et-Garonne ;
- au début du mois de septembre en Suède, dans un champ de pomme-de-terre Amflora, OGM dont la culture a été autorisée dans l'Union, on a découvert des fleurs d'Amadea, pomme-de-terre transgénique non autorisée de la même firme, BASF ;
- le 6 octobre, alors que l'initiative citoyenne n'est pas encore définitivement adoptée par les institutions européennes, des associations (dont Greenpeace) opposées aux OGM ont informé le président de la Commission européenne qu'elles avaient réuni un million de signatures, provenant des 27 pays de l'Union, demandant un moratoire sur la culture des OGM en Europe, tant que les méthodes d'évaluation des risques n'auront pas été améliorées.
C'est dans ce contexte agité que le Commission européenne a présenté au Conseil sa nouvelle proposition concernant l'autorisation de mise en culture d'organismes génétiquement modifiés.
Je passe immédiatement la parole à nos deux rapporteurs qui sont des familiers de ce dossier.
M. Richard Yung. - Avant que Gérard César ne vous livre l'analyse même de la proposition de règlement qui nous est soumise au titre de l'article 88-4 de la Constitution, je souhaitais vous présenter les raisons et évolutions qui ont présidé à la rédaction de ce texte par la Commission européenne.
Concernant les OGM, l'Union européenne s'est dotée d'un cadre réglementaire dès le début des années 1990. Aujourd'hui, l'autorisation de mise en culture des plantes génétiquement modifiées dans l'Union européenne repose sur un dispositif harmonisé établi par deux textes : une directive de 2001 sur la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés et un règlement de 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés. Or, force est de constater que ce dispositif ne fonctionne pas. Alors que le secteur des biotechnologies se développe rapidement ailleurs dans le monde, il n'y a actuellement que deux OGM cultivées en Europe : le maïs Monsanto 810, autorisé dès 1998, qui résiste à un insecte, la pyrale, et qui est principalement cultivé en Espagne et la pomme-de terre Amflora de BASF, enrichie en amidon, destinée à l'industrie papetière et qui vient d'être autorisée à la culture. Alors que cette industrie se développe sur d'autres continents, l'Europe perd du terrain !
Quelles en sont les raisons ?
Tout d'abord, les méthodes d'expertise scientifique de la Commission sont régulièrement remises en causes par les États membres. C'est l'Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) qui donne un avis scientifique sur le risque pour la santé humaine, animale ou pour l'environnement que peut entraîner une plante génétiquement modifiée. Si son avis est favorable, la Commission européenne propose au Conseil l'autorisation de la mise en culture de la plante.
En raison de la position de plusieurs pays (Danemark, France, Grèce, Italie, Luxembourg), qui estimaient que les procédures d'évaluation, de suivi et de traçabilité des OGM devaient être renforcées avant de procéder à la délivrance de nouvelles autorisations de mise en culture et de mise sur le marché, un moratoire de fait s'est appliqué entre 1998 et 2004. Les autorisations de nouveaux maïs OGM délivrées depuis lors portent sur des mises sur le marché pour les filières alimentaires, mais pas sur des semences destinées à la mise en culture. L'autorisation de mise en culture de la pomme-de-terre Amflora le 2 mars 2010 est la première depuis 1998.
Comme nous le verrons, des études sont en cours pour renforcer cette expertise, mais il aura fallu attendre dix ans et la présidence française de l'Union en 2008 pour que cela soit fait. On constate donc que le système est boiteux : l'organe central, qui ne devrait pas être remis en cause car il est de nature scientifique, est discuté.
Ensuite, la procédure d'autorisation apparaît aujourd'hui comme une source de blocage dans la prise de décision.
Quelle est-elle ? Si l'AESA donne un avis favorable à une demande d'OGM, la Commission européenne le propose au comité permanent de la chaine alimentaire et de la santé animale. Celui-ci est composé de spécialistes représentant les États membres. Il doit se prononcer à la majorité qualifiée pour ou contre l'autorisation. S'il ne parvient pas à prendre une décision dans un sens ou dans l'autre, la Commission doit soumettre la demande au conseil des ministres de l'environnement. Ce dernier doit lui aussi se prononcer dans les mêmes conditions. Si le Conseil ne parvient pas à prendre une décision d'autorisation ou de refus, le dernier mot revient à la Commission qui se doit de trancher. Or, les majorités qualifiées sont très difficiles à trouver et il est rare qu'un État membre change d'avis entre la réunion du comité et celle du Conseil. La plupart du temps, la décision revient à la Commission qui se retrouve seule à devoir l'assumer. Sur un sujet aussi sensible pour les opinions publiques, il est lui difficile de tenir une telle position face aux pays qui s'étaient prononcés contre l'autorisation.
Par ailleurs, les États membres qui le souhaitent, disposent d'un mécanisme leur permettant de sursoir à l'exécution de la décision. En effet, si un pays considère que le produit présente un risque pour la santé ou l'environnement, sur la base d'éléments objectifs, il peut en limiter ou en interdire provisoirement la mise en culture sur son territoire en invoquant une clause de sauvegarde. Depuis l'adoption du nouveau cadre réglementaire, sept États membres ont interdit ou limité la culture d'OGM sur leur territoire, soit par le biais de clauses de sauvegardes pour des OGM particuliers autorisés, soit par des interdictions générales de semences. En quatre occasions, le Conseil a rejeté à la majorité qualifiée toutes les propositions de la Commission européenne visant à faire abroger des mesures nationales de sauvegarde. En chacune de ces occasions, la Commission avait estimé que ces mesures n'étaient pas fondées sur des informations scientifiques nouvelles. Mais si les États membres peinent à dégager une majorité qualifiée pour autoriser ou refuser un OGM, ils se retrouvent plus facilement pour s'opposer directement à la Commission.
Quelles pistes ont été suivies pour remédier au problème ?
Face à ce blocage et alors que les OGM se développent dans le monde, la Commission et le Conseil ont chacun cherché à résoudre le problème.
C'est sous la présidence française, lors du conseil du 4 décembre 2008 que les ministres de l'environnement, conscients de leurs divergences et des problèmes existant et soucieux de trouver les moyens d'y remédier, ont approuvé à l'unanimité cinq actions visant à renforcer les exigences en matière d'évaluation et d'autorisation des OGM. Quelles sont ces actions :
1 - le renforcement de l'évaluation des impacts environnementaux, à moyen et long termes, des OGM cultivés, notamment ceux produisant des pesticides ou résistant à des herbicides ;
2 - le lancement en 2009 d'une réflexion communautaire, par les États membres et par la Commission, pour définir et prendre en compte des facteurs d'appréciation socio-économiques relatifs aux OGM. Un rapport de la Commission étant prévu pour la fin de l'année 2010.
3 - l'amélioration du fonctionnement de l'expertise, notamment en associant davantage les États membres au processus d'expertise de l'AESA ;
4 - la fixation de seuils communautaires de présence d'OGM dans les semences conventionnelles, seuils qui doivent contribuer à garantir aux utilisateurs un libre choix réel entre les semences OGM, conventionnelles et biologiques ;
5 - la protection, au cas par cas, de zones sensibles ou protégées, telles Natura 2000, et la prise en compte des pratiques agricoles spécifiques.
A ce jour, le processus lancé n'a pas encore abouti. La Commission affirme que les études devraient être publiées avant la fin de l'année. Elle a par ailleurs évolué sensiblement dans son approche concernant les OGM. Alors que son premier mandat avait été gâché par ses oppositions répétées avec le Conseil sur ce sujet, une fois réélu, M. Barroso a souhaité reprendre la main sur le dossier des OGM. Il a agit en trois temps.
Tout d'abord, le dossier a changé de mains. Alors qu'il relevait jusque-là du commissaire européen à l'environnement, c'est désormais le commissaire en charge de la santé et de la protection des consommateurs, John Dalli, qui s'en occupe. Ce changement symbolique s'est accompagné d'un transfert de compétence entre les services de la Commission. La Direction générale de la Santé et des Consommateurs (DG SANCO) est désormais seule compétente sur l'ensemble des questions concernant les OGM, alors que dans la précédente configuration, elle n'était concernée que pour les sujets ayant trait à l'alimentation humaine et animale (La DG environnement avait la charge des autorisations de dissémination des OGM et la DG agriculture des questions de coexistence des différentes cultures). Il était apparu que les différences de vues et de gestion entre les différentes directions avaient perturbé le travail au sein de la Commission. Par ailleurs, je me permets de rappeler que ce sont les ministres européens en charge de l'environnement qui traitent des OGM pour le Conseil.
Dans un second temps, alors qu'il existait un moratoire de fait depuis 1998 sur les autorisations de mise en culture d'OGM, la commission a souhaité y mettre fin en autorisant la mise en culture de la pomme de terre Amflora. Mise au point par une entreprise européenne, BASF, elle est enrichie en amidon afin de répondre aux besoins de l'industrie papetière. Le 2 mars 2010, la Commission en a autorisé la culture en plein champ, alors que le Conseil, une nouvelle fois, n'avait pu dégager de majorité qualifiée pour ou contre celle-ci. Malheureusement, comme l'a rappelé notre Président, on s'est rendu compte au début du mois de septembre qu'en Suède, un champ d'Amflora avait été contaminé par des semences d'un OGM non autorisé dans l'Union, suite à une erreur humaine. La Commission a réagi tardivement, mais a annoncé qu'elle souhaitait la destruction des 15 hectares plantés en Suède.
Même si la Commission n'y est pour rien, cette affaire est venue polluer le débat qui s'ouvrait au Conseil concernant sa troisième initiative en matière d'OGM, sa proposition du 13 juillet 2010 visant à permettre aux États membres de refuser la mise en culture d'une OGM autorisée au niveau européen. Il s'agit du texte qui nous a été soumis au titre de l'article 88-4 et je vais laisser Gérard César vous en présenter notre analyse.
M. Gérard César. - Le 13 juillet dernier, la Commission européenne a présenté une communication relative à la liberté pour les États membres d'accepter ou non les cultures d'OGM, accompagnée d'une proposition législative, que la Commission a souhaité voir adopter rapidement. Dans ce but, elle propose de réviser la directive de 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés par un règlement.
Que propose ce texte ? Un article 26 ter serait ajouté à la directive de 2001. Il énonce que « les États membres peuvent adopter des mesures visant à restreindre ou à interdire, sur tout ou partie de leur territoire, la culture de tous les OGM, ou de certains d'entre eux » autorisés au niveau de l'Union. On ne modifie pas le dispositif que vient d'énoncer notre collègue, mais on ajoute une possibilité nouvelle pour les États membres. Pour la Commission, la mise sur le marché et l'importation de semences OGM ne sauraient faire l'objet d'aucune entrave dans le cadre du marché intérieur. En revanche, concernant la mise en culture, elle propose ce qu'elle appelle une « clause de non-participation ».
Le texte indique ensuite qu'une mesure d'interdiction de mise en culture ne pourrait être fondée que sur des motifs « autres que ceux qui ont trait à l'évaluation des incidences négatives sur la santé et l'environnement ». Cette précision vise à distinguer clairement :
- d'une part, le mécanisme des clauses de sauvegarde qui demeure de la compétence européenne et qui reste fondé sur les risques pour la santé et l'environnement ;
- d'autre part, la non-participation volontaire qui serait de compétence nationale.
Or quels seraient les motifs qui permettraient à un État d'interdire la mise en culture ? Le texte ne le précise pas. Dans sa communication du 13 juillet, la Commission évoque des problèmes nationaux ou locaux posés par la culture d'OGM, qu'ils soient d'ordres socio-économique, éthique ou sociétal... Cela reste flou et vague !
Que penser de ce texte ? En plus de l'absence de définition des motifs d'interdiction que je viens d'évoquer, ce texte soulève trois types d'interrogations.
Tout d'abord, en quoi répond-il aux conclusions du conseil du 4 décembre 2008 ? Comme l'a rappelé à l'instant Richard Yung, des priorités avaient alors été dégagées. Des réflexions et des études sont encore en cours, mais aucune n'a encore abouti. Pourquoi un tel empressement de la part de la Commission ? Elle donne l'impression de vouloir purement et simplement se débarrasser d'un problème qui a gêné le précédent collège en renvoyant la responsabilité des décisions vers les États membres.
Ensuite, le texte pose un problème d'ordre juridique concernant les règles de l'Organisation mondiale du commerce. L'OMC n'admet de restriction aux échanges commerciaux qu'en cas de risque démontré scientifiquement pour la santé publique ou l'environnement. Ce sont les clauses de sauvegarde. Que se passerait-il si un ou plusieurs États membres interdisaient sur leur territoire la mise en culture et donc le commerce d'OGM destinés à la culture sur la base de critères socio-économiques ? Le risque d'un contentieux devant l'OMC est grand et la Commission européenne n'a pour l'instant pas apporté la preuve du contraire.
Enfin, ce texte pose question tant au regard du marché intérieur que de la politique agricole commune. La proposition vise à « renationaliser » des choix politiques qui relèvent jusqu'à présent de l'Union européenne. Bien que la Commission s'en défende, ce dispositif porterait atteinte à l'unité du marché intérieur. De plus, à la veille de l'ouverture des discussions sur la réforme de la PAC, une telle initiative apporterait de l'eau au moulin des partisans d'une renationalisation des politiques agricoles.
Quelle est la position des États membres ?
Dès le début du mois de septembre, la présidence belge de l'Union a proposé qu'un « groupe de travail ad hoc » soit créé au sein du Conseil pour étudier la proposition de la Commission. Le texte a été présenté au conseil des ministres européens de l'agriculture le 27 septembre. Il y a rencontré une forte hostilité. Le clivage s'est principalement fondé sur le maintien ou non d'une politique communautaire. Ainsi, on a vu que des pays qui ont des positions assez éloignées sur les OGM sont d'accord pour maintenir une politique intégrée : la France, qui a invoqué une clause de sauvegarde contre le maïs MON 810 et l'Espagne, qui elle l'a mis en culture, refusent toute nationalisation, tout comme l'Italie. Les Pays-Bas (qui sont favorables aux OGM) et l'Autriche (qui est défavorables aux OGM) la souhaitent, au contraire. De son côté, l'Allemagne a montré de vives inquiétudes quant aux conséquences vis-à-vis des règles du marché intérieur et des risques de contentieux devant l'OMC. Une minorité de blocage s'étant formée, le texte a été rejeté en l'état et des explications ont été demandées à la Commission européenne.
Mais c'est le Conseil des ministres de l'environnement, réuni le 14 octobre dernier, qui s'est montré le plus opposé au texte. Dans leur grande majorité, les États membres ont estimé que les propositions de la Commission ne répondaient pas aux attentes exprimées par le Conseil dans ses conclusions en 2008.
Enfin, quelle est la position française ?
Le ministre français de l'agriculture, Bruno Le Maire, a fait savoir dès le 27 septembre qu'il souhaitait que « la décision en matière d'OGM reste communautaire » et qu'il refusait l'idée d'une renationalisation des décisions de mise en culture. A la veille des négociations difficiles sur la PAC, on comprend tout à fait cette prise de position. Lors du Conseil environnement, la Secrétaire d'État à l'écologie, Chantal Jouanno s'est montrée ferme et a opposé une fin de non recevoir à la Commission. Elle a déclaré qu' « il n'y aura pas de discussions tant que les conclusions de 2008, unanimes, ne seront pas appliquées ».
En conclusion, le refus clair et net du Conseil des ministres européens a pour l'instant bloqué l'adoption de ce texte en l'état. C'est pourquoi il ne nous parait pas nécessaire d'adopter une position sur un texte dépourvu d'avenir. Il nous paraissait cependant utile de disposer de toutes les informations sur ce débat.
Le Commissaire européen de l'environnement a d'ores et déjà annoncé que la présentation des lignes directrices révisées de l'AESA sera faite en novembre et que le rapport sur les implications socio-économiques de la culture des OGM sera finalisé d'ici à la fin de l'année. Quant au Parlement européen, il n'instruira la proposition de la Commission qu'à compter de janvier 2011. Peut-être s'agira-t-il d'une proposition modifiée ? C'est notre compatriote Corinne Lepage qui en a été nommée rapporteur au fond. Nous aurons donc l'opportunité de nous prononcer sur les orientations futures de la politique européenne en matière d'OGM au cours des mois qui viennent.
M. Jean Bizet. - Toute renationalisation porte en germe un affaiblissement de l'idée européenne ; je n'ai donc été ni surpris ni déçu qu'une majorité d'États s'opposent à la proposition de la Commission. Je souhaite que les rapporteurs puissent continuer à expertiser ce dossier qui reste un dossier très passionnel, derrière lequel se déroule une véritable guerre économique concernant la propriété intellectuelle. Les entreprises françaises et européennes ont du mal à lutter dans cette bataille puisqu'elles ne peuvent même pas conduire des essais en plein champ ! Elles ont pris un retard considérable dans la compétition mondiale.
M. Gérard César. - Il est vrai que la France prend un retard considérable par rapport aux autres pays. C'est le cas en Europe par rapport à l'Espagne qui produit des céréales OGM. C'est également le cas par rapport à des pays comme le Brésil, les États-Unis, le Canada. Il faut que nos chercheurs puissent faire des essais en plein champ, sans voir le fruit de leur travail détruit par des faucheurs.
M. François Marc. - Je n'ai pas de religion toute faite sur cette question. Il est important que la recherche puisse s'organiser et travailler. Mais je suis élu d'une région agricole et je pense que l'agriculture en France fonctionne bien. Pourquoi vouloir la changer ? Quel est le préjudice du retard pris par l'Europe ?
Par ailleurs, je souhaitais réagir à l'affaire Amflora en Suède que vous avec évoquée. J'ai eu connaissance que, dans ma région, des traces d'OGM ont été trouvées dans des lots de produits « bio ». Cela pose la question de la coexistence des différents types d'agriculture et de l'étanchéité nécessaire entre celles-ci.
M. Pierre Fauchon. - A-t-on des informations sur ce qu'il se passe en Inde, en Chine ou encore en Indonésie ?
M. Richard Yung. - Je n'ai pas d'informations particulières sur ce qu'il se passe en Asie. Mais il me parait normal que des pays qui ont une forte population à nourrir s'intéressent à des cultures plus résistantes. Il me semble que cela fait partie du progrès de l'humanité.
Pour répondre à François Marc, je dirais qu'il y a des marchés mondiaux qui existent et desquels la France et l'Europe sont absentes. Il y a une production française de la semence qui perd des positions sur ces marchés.
Il me semble que la vraie question est en amont : à mon sens, le principe de précaution est dévoyé par une interdiction de facto de la recherche. Cependant, il faut reconnaître que ces actions rencontrent un écho favorable dans l'opinion publique. Les faucheurs sont condamnés à des peines assez faibles au regard de ce qu'ils ont fait et cela ne choque personne. Cela montre qu'il est nécessaire d'agir en sorte de recréer les conditions du consensus.
Je pense que l'action principale à mener concerne l'AESA. Il n'est pas possible qu'un organe scientifique fasse l'objet de méfiance ou de doute. Ses avis doivent être incontestables et incontestés si l'on veut pouvoir avancer.
M. Robert Badinter. - Je partage tout à fait l'avis de notre collègue Richard Yung et son inquiétude. Que redoutent les partisans de l'interdiction absolue de la recherche, qui relèvent de la pensée magique chère à Lévi-Strauss ? Les faucheurs ont la conviction profonde que la recherche sur les OGM est fatale au développement de l'humanité et qu'ils mènent le « bon combat », comme les puritains qui jadis brulaient les sorcières ! Pour ne pas se soumettre à l'avis d'une autorité scientifique, ils la décrivent comme un organisme soumis à des intérêts mercantiles. Or la raison devrait conduire à une expérimentation contrôlée et prudente dont les résultats sont validés par une agence compétente.
Mon sentiment est que les brevets dans le domaine des OGM sont et seront déposés. Et ce sont les anglo-saxons qui en tireront les bénéfices, comme pour les cellules souches, domaine dans lequel la loi française ne permettait pas les expérimentations.
M. Jean Bizet. - La France s'est affaiblie sur le plan de l'expertise, car de nombreux chercheurs sont partis ou ont arrêté leurs travaux. Alors que des pays comme le Brésil, l'Argentine, le Canada voient leur recherche progresser : ce qu'on appelle des traits génétiques, économiseurs d'eau et d'azote, y font actuellement l'objet d'expérimentations. Au nom de quoi s'opposerait-on à la recherche de cultures qui seront moins gourmandes en eau et en azote ? A mon sens, c'est l'esprit même du Grenelle de l'environnement.
L'Inde et la Chine utilisent beaucoup les technologies transgéniques sur le coton et sur le riz. Il faut garder à l'esprit que l'Inde est connue notamment pour avoir employé des produits phytosanitaires destinés au coton, dangereux pour la santé. On sait que la Chine est active dans la recherche OGM, mais il y a peu d'informations concernant les surfaces cultivées.
J'évoquerai enfin la brevetabilité du vivant. Les espèces végétales et animales ne sont absolument pas brevetables. N'est brevetable que le couple gène/fonction-application, que les firmes ont découvert et développé. Ce sont ces génomes que chaque semencier peut acheter, mais pas le vivant. La France a eu l'originalité d'inventer, à côté du brevet, le certificat d'obtention végétale qui permet une meilleure évolution de la science en ce domaine : tout le monde peut acquérir ce certificat pour développer une variété plus performante. La France s'était montrée novatrice et avait bien circonscrit la brevetabilité du vivant, mais elle n'a pas été suivie.
Économie, finances et fiscalité
Traductions pour le brevet de l'Union
européenne
(texte E 5468)
Communication de M.
Richard Yung
I/ QUEL EST LE CONTEXTE ?
Je rappelle que l'amélioration du système des brevets en Europe doit comporter deux volets : la mise en place d'un système unifié de règlement des litiges ; la création d'un titre unitaire valable pour l'ensemble de l'Union européenne.
Afin de relancer les discussions bloquées sur le dossier du brevet, la Commission européenne a adopté, en avril 2007, une communication intitulée « Améliorer le système des brevets en Europe » qui souligne notamment que la création d'un brevet communautaire est un objectif-clef pour l'Europe.
En mars 2009, la Commission européenne a proposé une recommandation au Conseil visant à l'autoriser à ouvrir des négociations en vue de l'adoption d'un accord créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets. En mai 2009, le Conseil a décidé la saisine de la Cour de justice pour qu'elle se prononce sur la compatibilité du projet d'accord avec le droit communautaire.
Sous présidence suédoise, le Conseil compétitivité, en décembre 2009, a adopté des conclusions sur les principaux éléments du futur système des brevets fondé sur deux piliers principaux :
- la mise en place d'un système unifié de règlement des litiges qui aurait une compétence exclusive pour les litiges civils liés à la contrefaçon et à la validité des brevets et qui comprendrait un tribunal de première instance (avec une division centrale et des divisions locales et régionales) et une cour d'appel. La Cour de justice serait chargée d'assurer la primauté et l'uniformité d'interprétation du droit communautaire dans ce système juridictionnel ;
- la création d'un brevet de l'Union européenne qui serait un instrument juridique unitaire valable dans l'ensemble de l'Union européenne. En outre, le Conseil a marqué un accord de principe sur un projet de règlement relatif au brevet de l'Union européenne.
Mais avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le régime linguistique du brevet fait désormais l'objet d'une base juridique spécifique : l'article 118 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui distingue la création des titres de propriété intellectuelle, régie par la procédure législative ordinaire de l'adoption de leur régime linguistique, décidée par le Conseil à l'unanimité après consultation du Parlement européen. L'orientation générale dégagée par le Conseil en décembre 2009 tient compte de ce nouveau contexte et n'inclut pas les dispositions relatives au régime linguistique.
Dans ces conditions, la création effective du brevet de l'Union européenne est subordonnée à l'entrée en vigueur de plusieurs textes :
- un règlement créant le brevet ;
- un accord liant l'Union européenne et l'Office européen des brevets (OEB) ;
- un accord créant le système juridictionnel unifié ;
- un règlement relatif au régime linguistique.
J'observe qu'il y a désormais un accord sur les caractéristiques du brevet de l'Union européenne. Reste néanmoins à régler le problème délicat de la répartition des annuités qui seront perçues au titre de ce brevet. C'est un enjeu considérable puisque le total des annuités pour l'ensemble de l'Union européenne représente environ 1 milliard d'euros. Dans le système du brevet européen, ces annuités sont réparties à parts égales entre l'Office européen des brevets et les offices nationaux.
II/ QUE PROPOSE LA COMMISSION EUROPÉENNE SUR LE RÉGIME LINGUISTIQUE DU BREVET DE L'UNION EUROPÉENNE ?
La Commission européenne a adopté, le 30 juin 2010, une proposition de règlement sur le régime linguistique du brevet de l'Union européenne.
Pour la publication du brevet, serait applicable le régime trilingue de l'Office européen des brevets (anglais, allemand, français) au moment de la délivrance du brevet : la demande de brevet serait publiée dans la langue de procédure qui doit être l'une des trois langues officielles de l'OEB ; ses revendications seraient traduites dans les deux autres langues officielles ; le texte authentique serait celui de la langue de procédure (seule à faire foi et donc à avoir une valeur juridique).
En cas de litige, deux obligations pèseraient sur le titulaire du brevet : d'une part, fournir, à la demande du supposé contrefacteur ou de la juridiction saisie, une traduction intégrale dans la langue officielle de l'Etat membre où les faits poursuivis ont été commis ou celle du domicile du supposé contrefacteur.
Par ailleurs, des mesures d'accompagnement sont prévues : remboursement total des coûts de traduction pour les États membres et utilisation des outils de traduction automatique, accessibles gratuitement en ligne, pour assurer la diffusion de l'information technique contenue dans le brevet dans toutes les langues officielles de l'Union européenne. Ces traductions seraient disponibles dès la publication de la demande de brevet (18 mois après le dépôt de la demande). Elles auraient un objet purement informatif et seraient dépourvues de valeur juridique.
La Commission européenne met en avant la nécessité de réduire le coût des traductions qui constitue une part importante du coût total des brevets (un brevet européen validé conformément aux stipulations de la convention de Munich dans 13 États coûterait jusqu'à 20 000 euros, dont 14 000 pour les traductions, contre 1 850 euros pour un brevet valable aux États-Unis).
Elle fait aussi valoir qu'une option qui consisterait à retenir l'anglais seul comme langue de procédure et de publication aurait une incidence sur le régime linguistique de l'OEB et se traduirait par des coûts supplémentaires pour les demandeurs qui ne déposent pas leur demande en anglais.
Le régime trilingue qu'elle propose de retenir représenterait un coût de traduction de 680 euros par brevet. La Commission européenne relève que 93 % des demandeurs européens utilisent l'une des trois langues de l'OEB.
Une troisième option consistant à ajouter deux langues (espagnol et italien) impliquerait un coût de 1 360 euros par brevet.
Je relève par ailleurs que les traductions automatiques permettront de réduire sensiblement les coûts.
III/ OÙ EN SONT LES DISCUSSIONS ?
La présidence belge a proposé de compléter la proposition de la Commission européenne par les éléments suivants :
- il fallait assurer la disponibilité à temps des traductions automatiques ; la Commission devrait coopérer avec l'OEB dans ce but ; le concours du budget de l'Union devrait être prévu dans le projet de règlement ;
- la compensation des coûts subis par le demandeur qui présenterait sa demande dans une langue autre que celles de l'OEB devrait intervenir au tout début de la procédure ;
- une procédure commune devrait être suivie pour l'examen des demandes de brevets européens, qu'ils désignent ou non l'ensemble de l'Union européenne ;
- en conséquence, la protection provisoire devrait demeurer régie par les stipulations de la Convention de Munich ;
- conformément à une suggestion portugaise, pendant une période transitoire limitée, une traduction en anglais devrait être fournie par le demandeur. Cette obligation demeurerait tant que des traductions automatiques de haute qualité ne seraient pas disponibles vers toutes les langues de l'Union européenne. La traduction fournie serait publiée avec les spécifications du brevet.
Lors du Conseil « compétitivité » du 11 octobre 2010, la Commission, par la voix de Michel Barnier, commissaire au marché intérieur, a indiqué qu'elle serait en mesure de présenter, d'ici à un prochain Conseil, un programme complet sur la disponibilité des traductions automatiques qui apparaissait comme une mesure d'accompagnement indispensable. Ce programme reposerait sur un mémorandum d'entente avec l'OEB qui en fournirait la feuille de route. Compte tenu de l'investissement de la nouvelle direction de l'OEB (aujourd'hui présidée par un français, Benoît Battistelli, ancien directeur général de l'INPI), l'échéance pour la disponibilité des traductions automatiques pouvait être fixée à la fin 2014. Le programme aurait un coût de 10 millions d'euros environ sur quatre ans et demi. L'appui financier de la Commission permettrait d'accélérer les travaux en cours.
La Commission a également soutenu l'idée d'une procédure unique qui s'appuyait sur la pratique des entreprises qui souhaitaient conserver la flexibilité nécessaire pour décider le champ territorial de la protection demandée. Pour la Commission, l'exigence transitoire d'une traduction en anglais permettrait de répondre à certaines inquiétudes et représenterait une charge supplémentaire limitée pour les demandeurs qui sont déjà tenus de fournir une traduction des revendications en application de la Convention de Munich. Elle devrait être supprimée dès que des traductions automatiques appropriées seraient disponibles.
Au total, la Commission européenne privilégie un compromis à 27, dès lors que celui-ci respecteraient les deux « lignes rouges » que constituaient l'exigence de sécurité juridique et le maintien de coûts de traduction modérés de façon à préserver la valeur ajoutée du brevet de l'Union européenne par rapport à un brevet européen délivré conformément au protocole de Londres qui a permis de réduire les coûts de traduction. C'est un préalable à l'accord de l'industrie européenne à la création du brevet de l'Union européenne.
Lors de ce même Conseil « compétitivité », 20 États membres ont semblé en mesure d'accepter la proposition de la présidence belge. 5 États membres (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Chypre et Hongrie), sans faire état de leur ralliement à ce stade, ne l'ont pas exclu pour la suite. L'Espagne et l'Italie ont, en revanche, exprimé leur refus de cette proposition. L'Espagne, qui avait fait une contreproposition privilégiant l'anglais, a contesté le principe du système trilingue qui ne tenait pas compte des changements intervenus depuis la signature de la Convention de Munich et ne respectait pas la diversité linguistique pourtant affirmée par le traité de Lisbonne. L'Italie a mis en cause une discrimination entre les Etats membres selon qu'ils avaient ou non une des langues officielles de l'OEB. Je rappelle qu'en pratique, la part de l'Espagne dans le système européen des brevets est faible puisque l'on ne décompte qu'environ 300 dépôts espagnols par an.
Le Gouvernement a fait valoir que le développement de traductions automatiques devrait assurer que celles-ci soient disponibles vers toutes les langues de l'Union européenne lorsque le premier brevet de l'Union européenne serait délivré. Il a souhaité des précisions sur la mesure transitoire, considérant que la réponse à apporter en faveur d'une meilleure diffusion de la technologie des brevets dépendait du rythme auquel les traductions automatiques seraient développées. Si cela était utile, la priorité pourrait être donnée au développement de deux paires linguistiques les plus à même de satisfaire l'objectif de diffusion de la technologie. Le Gouvernement a demandé que la Commission fasse régulièrement rapport au Conseil sur l'état du programme et a demandé la mise en place d'une certification des traductions automatiques. Si les traductions automatiques n'étaient pas au point au moment de la publication du premier brevet de l'Union européenne, la Commission devrait faire un rapport au Conseil et formuler, le cas échéant, des propositions appropriées de nature à promouvoir, de manière transitoire, une meilleure diffusion de l'information technologique. Pour le Gouvernement, c'est sur un tel dispositif que la France pourrait marquer son accord.
Pour ma part, un régime transitoire qui privilégierait l'anglais seul me semblerait très dangereux car il risquerait de constituer un précédent pour promouvoir un régime unilingue. Je rappelle que, actuellement, 70 % des brevets européens sont déposés en anglais, 20 % en allemand, et 10 % en français.
Cinq États membres (Suède, Pays-Bas, Royaume Uni, Estonie et Irlande) ont fait part de la nécessité, si un consensus n'était pas réuni dans un délai raisonnable, d'examiner l'option d'une coopération renforcée.
Notre représentation permanente estime qu'une telle stratégie pourrait susciter, de la part d'États membres craignant d'être désignés comme responsables de l'échec et d'être écartés de la coopération, des contrepropositions, susceptibles de diviser profondément le Conseil et de placer le cas échéant la France dans une situation très difficile (notamment si un régime tout en anglais était susceptible de recueillir un consensus). En outre, à ce stade, le nombre d'États membres s'étant prononcés pour une coopération renforcée est trop faible pour en faire une alternative évidente.
Je trouve, pour ma part, que la France est extrêmement timide sur la perspective d'une coopération renforcée, qui devrait pourtant être envisagée si un compromis ne pouvait être dégagé entre les 27 États membres.
La Commission européenne continue à privilégier la recherche d'un compromis à 27 dans le respect des « lignes rouges » qu'elle a fixées.
La présidence belge maintient l'objectif d'un accord d'ici à la fin de l'année. Le sujet sera inscrit à l'ordre du jour d'un Conseil « compétitivité » supplémentaire en novembre.
M. Jean Bizet. - Il est fondamental de pouvoir aboutir sur ce dossier après tant d'années de négociations. Peut-être peut-on espérer qu'une décision soit prise à l'occasion du prochain Conseil « compétitivité » du 10 novembre.
M. Pierre Fauchon. - Je voudrais avoir des précisions sur la terminologie employée. Il est question alternativement d'un brevet communautaire ou d'un brevet de l'Union européenne. Vise-t-on les mêmes titres de propriété industrielle ?
M. Richard Yung. - Je vous confirme que c'est bien le cas. Pendant 35 ans, on a parlé d'un « brevet communautaire ». Plus récemment, pour relancer ce dossier, et compte tenu du traité de Lisbonne, on a préféré la dénomination « brevet de l'Union européenne ». Mais il s'agit bien du même titre unitaire qui serait valable pour l'ensemble de l'Union européenne.
M. Pierre Fauchon. - Il est effarant de constater le retard qui a été pris dans la création de ce titre de propriété industrielle. C'est une nouvelle fois la confirmation que seules des coopérations spécialisées permettent à l'Europe de progresser, comme nous l'a montré tout récemment l'exemple du casier judiciaire européen. Les États qui bloquent les négociations ne doivent pas être en mesure d'empêcher les autres d'avancer.
M. Richard Yung. - Je constate que, dans le cadre du brevet européen institué par la Convention de Munich, on est parvenus à mettre en place l'Accord de Londres qui réduit sensiblement les coûts de traduction de ce brevet sans que cela ne suscite d'hostilité particulière de la part de l'Espagne.
A l'issue de ce débat, la commission a adopté à l'unanimité les conclusions suivantes :
Économie, finances et fiscalité
Gouvernance économique
européenne
Rapport d'information
de MM. Pierre
Bernard-Reymond et Richard Yung
M. Richard Yung. - Pierre Bernard-Reymond et moi-même vous avions présenté une communication sur les grandes orientations de notre rapport d'information lors de notre réunion du 29 septembre dernier. Depuis lors, nous avons mis au point nos propositions, que nous soumettons à votre appréciation, et qui sont les suivantes :
1. Prendre en compte, dans le Pacte de stabilité et de croissance, au-delà des seuls paramètres budgétaires, d'autres critères économiques pour appréhender la situation économique d'ensemble des États membres et mettre en oeuvre des mesures de redressement individualisées.
2. Moduler le retour à un déficit de 3 % du PIB selon la situation de chaque État membre et selon un calendrier approprié, fixé d'un commun accord entre la Commission européenne et l'État membre concerné.
3. Prévoir la possibilité d'adopter provisoirement des critères du Pacte moins contraignants en cas de conjoncture économique mondiale particulièrement dégradée afin de pouvoir conduire des politiques contracycliques. Il est préférable d'adapter les règles en cas de circonstances exceptionnelles plutôt que de les voir transgressées par quelques États membres.
4. Prendre en compte la distinction entre déficit structurel et déficit lié à l'investissement, l'innovation et la recherche.
5. Confier à un Observatoire de la compétitivité, organisme autonome de la Commission européenne, l'analyse de la compétitivité des États membres.
6. Faire figurer parmi les documents budgétaires transmis au Parlement les avis rendus par les différentes institutions communautaires sur les programmes de stabilité des États membres.
7. Débattre, dans le cadre du semestre européen, des résultats de l'exécution budgétaire des États membres.
8. Élargir les compétences de la Cour des comptes européenne, en lui confiant également l'évaluation des politiques publiques.
9. Prolonger le mandat du groupe de travail du Président du Conseil européen afin de recueillir des propositions relatives à la gouvernance économique européenne qui nécessitent de modifier les traités, en particulier l'instauration d'un dispositif pérenne de résolution des crises au sein de la zone euro, sous la forme d'un Fonds monétaire européen (FME).
10. Instaurer un « Haut Représentant à l'économie » sur le modèle du Haut Représentant pour la politique extérieure, qui assurerait la vice-présidence de la Commission européenne, la présidence du Conseil ECOFIN et celle de l'Eurogroupe et qui représenterait la zone euro dans les instances internationales.
11. Développer davantage de politiques publiques intégrées dans des domaines d'avenir tels que les technologies de l'information et de la communication, les biotechnologies, l'énergie, les transports, etc.
12. Explorer les voies d'une plus grande harmonisation de la politique fiscale en Europe ainsi que d'une meilleure convergence des politiques sociales.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Nos travaux se sont déroulés parallèlement à ceux qui sont conduits au niveau européen. Je rappelle que notre commission a tenu sa première réunion sur le sujet le 29 septembre dernier, soit le même jour que celui où la Commission européenne a présenté ses propositions législatives. Notre réunion d'aujourd'hui a lieu le lendemain de la dernière réunion du groupe de travail du Président Van Rompuy et de la déclaration franco-allemande, conclue à Deauville, sur le renforcement du gouvernement économique européen.
Le contexte de la réforme de la gouvernance économique est marqué, d'une part, par un consensus sur les lacunes du Pacte de stabilité et de croissance, tant de son volet préventif que de son volet correctif, et, d'autre part, par l'absence de dispositif de surveillance de la situation macroéconomique des États membres, qui n'a pas permis de prendre conscience suffisamment tôt de l'apparition d'importantes divergences en termes de compétitivité.
La Commission européenne et le groupe de travail du Président Van Rompuy sont entrés dans une compétition évidente en matière de propositions de réformes, ce qui est regrettable. J'observe toutefois que la déclaration franco-allemande d'hier confirme la prééminence des États membres par rapport à la Commission, qui est observable depuis plusieurs années.
Le point de désaccord porte essentiellement sur le degré d'automaticité des sanctions qui seront infligées aux États membres ne respectant pas les dispositions du Pacte. La Commission souhaite que ces sanctions soient immédiates et adoptées à la majorité qualifiée inversée, c'est-à-dire que le Conseil devrait réunir une majorité qualifiée pour ne pas les appliquer. En revanche, certains États membres, dont la France, sont favorables à la semi-automaticité des sanctions, qui permet de préserver le pouvoir d'appréciation du Conseil.
Je vais maintenant vous présenter les grandes lignes de l'accord auquel Angela Merkel et Nicolas Sarkozy sont parvenus hier.
En ce qui concerne les sanctions, la France et l'Allemagne souhaitent une gamme de sanctions plus large, progressivement applicable dans les volets préventif et correctif du Pacte. Ces sanctions doivent être plus automatiques, tout en respectant le rôle des différentes institutions et l'équilibre institutionnel :
- pour le volet préventif, le Conseil doit pouvoir décider, à la majorité qualifiée, d'imposer de manière progressive des sanctions sous la forme de dépôts portant intérêt lorsque la trajectoire de consolidation budgétaire d'un État membre dévie de manière particulièrement significative par rapport à la trajectoire d'ajustement prévue sur la base du Pacte ;
- pour le volet correctif, lorsque le Conseil décide d'ouvrir une procédure de déficit excessif, il devrait y avoir des sanctions automatiques dès lors que le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, décide qu'un État membre n'a pas pris les mesures correctrices nécessaires dans un délai de six mois.
Les dépôts rémunérés, dont le montant pourrait, comme le propose la Commission, s'établir à 0,2 % du PIB de l'État concerné, pourraient se transformer en dépôts non rémunérés si les déséquilibres persistent, voire en amendes si aucune mesure correctrice n'est prise.
En ce qui concerne la surveillance des déséquilibres macroéconomiques, le cas d'un État membre affecté d'un déséquilibre persistant et placé sous la surveillance du Conseil devrait être discuté au Conseil européen. Il s'agit d'instaurer un jugement par les pairs qui aurait essentiellement une portée dissuasive.
Ces dispositions concernent la réforme de la gouvernance économique à traité constant. Mais les dirigeants français et allemand sont également convenus, dans la déclaration sur laquelle ils se sont accordés à Deauville, de la nécessité de réviser le traité. A cette fin, ils ont évoqué la possibilité de demander au président du Conseil européen de présenter, en étroit contact avec les membres du Conseil européen, des actions concrètes permettant l'établissement d'un « mécanisme robuste de résolution des crises » avant la réunion de mars 2011.
Cette révision des traités serait limitée à deux points :
- « l'établissement d'un mécanisme permanent et robuste pour assurer un traitement ordonné des crises dans le futur, comprenant les arrangements nécessaires pour une participation adéquate du secteur privé et permettant aux États membres de prendre des mesures coordonnées appropriées pour préserver la stabilité financière dans la zone euro ; »
- la suspension des droits de vote de l'État membre concerné, « dans le cas d'une violation grave des principes de base de l'Union économique et monétaire et suivant les procédures appropriées. »
La déclaration franco-allemande précise enfin que les amendements nécessaires à cette révision du traité devraient être adoptés et ratifiés par les États membres, en accord avec leurs règles constitutionnelles respectives, avant 2013. Concrètement, il semble que l'on envisage de procéder à la ratification de cette révision du traité via le prochain traité d'adhésion, celui de la Croatie.
M. Pierre Fauchon. - Je suis soulagé que la France et l'Allemagne aient pu parvenir à cet accord. J'étais pessimiste sur le couple franco-allemand. Je me félicite donc qu'il ait su se ressaisir. Il était indispensable de prendre des mesures pour avancer. C'est un enjeu vital pour l'Europe dans le contexte de la mondialisation. Il me semble inévitable que, avec l'élargissement des compétences européennes engagé depuis le traité de Maastricht avec la création des deuxième et troisième piliers, les chefs d'État et de gouvernement reprennent la main sur certains dossiers.
En ce qui concerne les sanctions, il me semble que nous ne devons pas verser dans le « fétichisme juridique ». L'Europe est en train d'évoluer profondément. Pour cette structure juridique en voie de construction, nous devons admettre des solutions transitoires qui peuvent paraître imparfaites, tant que l'Europe ne se sera pas dotée d'une véritable Constitution. De ce point de vue, des sanctions politiques, c'est-à-dire la suspension des droits de vote, auraient l'avantage de la clarté. Elles peuvent paraître choquantes sur le plan intellectuel, mais le système proposé revêt une logique profonde qui tient à la nécessité de respecter des règles communément édictées. En la matière, nécessité fait loi.
M. Robert Badinter. - L'accord conclu hier démontre une fois de plus que, sans entente franco-allemande, la construction européenne ne progresse pas.
L'histoire nous enseigne que les États, au sein des organisations internationales, se mettent généralement d'accord sur le plus petit dénominateur commun pour dégager un consensus. Seules des institutions communes, en particulier la Commission et le Parlement européen, ont permis de faire progresser l'Union européenne. Les choix effectués pour la désignation du président du Conseil européen et du Haut représentant ont bien montré que les États ne souhaitaient pas une trop grande affirmation des instances communes.
Jacques Delors avait évoqué, pour définir l'Union européenne, une fédération d'États-nations. Mais il s'agit d'une projection française, le concept d'État-nation étant très loin d'exister partout en Europe, comme le montre le cas de la Belgique ou de l'Italie. Il est très difficile de demander à des États membres de prendre des sanctions contre d'autres États membres. On le voit bien au Conseil de sécurité de l'ONU. C'est pourquoi le système de sanctions proposé me parait peu crédible et s'inscrit dans une vision technocratique, encore accentuée en ce qui concerne l'éventuelle suspension des droits de vote.
En revanche, je suis favorable à la conduite, dans les États membres, de contrôles plus fréquents et plus approfondis en amont. C'est pourquoi j'approuve votre proposition d'accroître les compétences de la Cour des comptes européennes et de lui confier des tâches d'évaluation.
M. Richard Yung. - Je partage assez largement votre point de vue. La tâche que la France et l'Allemagne entendent confier au Président Van Rompuy ne sera pas facile.
M. Pierre Fauchon. - Les Allemands sont particulièrement attachés au renforcement des sanctions. Il est possible que seuls quelques autres États membres partagent leur point de vue. J'y vois une opportunité pour développer des coopérations renforcées.
M. Richard Yung. - Le pouvoir au sein du système institutionnel européen a clairement basculé en direction du Conseil européen.
M. Pierre Fauchon. - C'était inévitable.
M. Jean Bizet. - Il est vrai que la dérive en faveur de la Commission commençait à devenir préoccupante. Ses propositions en matière de sanctions vont extrêmement loin et je considère que l'accord franco-allemand trouvé hier constitue un point d'équilibre. N'oublions pas que le gouvernement allemand a besoin de sécuriser sa position sur le Fonds de stabilisation financière par rapport à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Il est indispensable de trouver un équilibre sur la répartition des pouvoirs dans le système institutionnel. Nous constatons que les parlements nationaux, sur de nombreux sujets, sont incontournables.
M. Robert Badinter. - Rappelons-nous qui a choisi le président du Conseil européen ! Force est de constater que les gouvernants des États membres n'ont pas distingué les personnalités les plus marquées.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Il me semble que le système de sanctions retenu devrait avoir un vrai pouvoir dissuasif. Par ailleurs, Angela Merkel avait sans doute besoin de rentrer dans son pays avec un accord sur ce point.
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A l'issue de ce débat, la Commission a autorisé la publication du rapport d'information, paru sous le numéro 49 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :