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Mardi 28 septembre 2010

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

Économie, finances et fiscalité

Audition de M. Jean-Pierre Jouyet,
président de l'Autorité des marchés financiers

M. Jean Bizet. - Notre commission a le plaisir d'accueillir Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Nous connaissons bien Jean-Pierre Jouyet et nous avons pu apprécier son travail lorsqu'il était secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, en particulier pendant la présidence française de l'Union européenne, au second semestre 2008, dont la qualité a été unanimement reconnue.

Dans vos fonctions actuelles, vous avez la lourde tâche de veiller à la régulation des activités financières en France, mais vous contribuez aussi à la réflexion sur ce sujet à l'échelon européen. Dans une récente interview au journal La Croix, vous êtes revenu sur deux ans de crise financière et sur les avancées de la régulation, en appelant à plus de transparence.

L'actualité européenne en la matière est riche, quelques jours après l'accord auquel sont finalement parvenus les Vingt-Sept, après un an de négociations difficiles, sur la supervision financière. Les débats sur la mise en place d'un prélèvement sur les banques et d'une taxe sur les transactions financières sont également animés, de même que ceux qui se déroulent au sein du groupe de travail présidé par M. Van Rompuy.

Demain, nous entendrons le rapport de Pierre Bernard-Reymond et Richard Yung sur la gouvernance économique européenne. Vos propos, aujourd'hui, seront la meilleure introduction possible aux débats que nous aurons demain sur ce sujet.

M. Jean-Pierre Jouyet. - L'Europe s'est récemment fait très peur au moment de la crise grecque. Des scénarios catastrophes ont été évoqués plus ou moins ouvertement, des articles parus dans la presse évoquant même l'éclatement de la zone euro. Je note d'ailleurs que, en 2008, lors de la crise financière, les Etats avaient sauvé les banques, mais que, au début de cette année, les marchés ont attaqué les Etats. Il est vrai que, dans un premier temps, la réaction européenne a été tardive, voire maladroite, mais l'Europe a réussi à se ressaisir et à éviter la réalisation de ces scénarios catastrophes. L'euro est aujourd'hui à son plus haut niveau depuis cinq mois et a regagné plus de 12 % par rapport à son plancher. La méfiance des investisseurs à l'égard de la Grèce s'est en partie dissipée, une récente émission de titres de court terme s'étant déroulée dans de bonnes conditions.

Finalement, la crise nous aura contraints à rouvrir le dossier de la gouvernance économique européenne. L'urgence avait trop souvent suppléé la faiblesse de la gouvernance de la zone euro. Il est vrai que rien dans le traité n'était prévu pour assumer la solidarité envers des Etats en quasi faillite. Le 9 mai 2010, date symbolique en Europe, l'Union européenne a instauré un fonds de stabilisation financière qui peut représenter l'embryon d'un Fonds monétaire européen (FME). A cet égard, je plaide pour que les facilités de financement ainsi créées soient utilisées de façon durable, y compris pour assainir certains établissements financiers.

Des progrès substantiels ont été actés lors du Conseil européen du 17 juin dernier en matière de méthodes de gouvernance. A partir de 2011, les Etats devront présenter leurs orientations budgétaires pour les années suivantes dans le cadre d'un semestre européen. Chaque parlement national disposera ainsi de l'avis des autres Etats membres sur les prévisions budgétaires retenues par son gouvernement. Le semestre européen, à mes yeux, ne constitue pas une atteinte à la souveraineté nationale, mais donne la possibilité d'obtenir des informations plus larges. Les Etats membres se sont également dotés de tableaux de bord avec des seuils d'alerte permettant de mieux détecter les déséquilibres en matière de compétitivité et de déceler des problèmes tels que des bulles immobilières ou financières affectant certains Etats membres.

Je note toutefois qu'au fur et à mesure que l'horizon s'éclaircit, les ardeurs réformatrices faiblissent. Pourtant, j'estime que le statu quo n'est pas possible. Les marchés financiers, qui sont devenus les juges de paix de la zone euro, pourraient sanctionner de nouveau l'Europe. Nous voyons que la situation en Irlande est aujourd'hui tendue. Nous devons donc répondre aux interrogations du marché sur la soutenabilité de la zone euro. A cet égard, le fait que le fonds de stabilisation européen ait été noté AAA est un signal encourageant. Nous devons mieux nous armer dans notre rapport de force avec les marchés. Du reste, l'appréciation récente de l'euro ne doit pas faire illusion. Elle dissimule aussi les faiblesses du dollar et les problèmes économiques américains. En outre, les marchés risquent prochainement de tester l'état de la Grèce.

C'est pourquoi l'Europe doit aller plus loin pour regagner durablement la confiance des investisseurs. Nous devons dégager des règles de gouvernance et de discipline financière et donner des perspectives claires, pays par pays, quant aux montants et aux volumes d'émissions annuelles de dettes. Nous devons également accroître la transparence des marchés, notamment en modifiant en profondeur les modalités de fonctionnement de certains marchés. Il est également nécessaire de créer une agence européenne de régulation des marchés, ce que permettra l'accord conclu récemment sur la supervision financière. Enfin, des initiatives franco-allemandes proposant un véritable plan de gouvernance de la zone euro sont les bienvenues.

Ce dernier volet est sans doute le plus important, mais il ne m'inspire guère d'optimisme, et ce pour trois raisons.

En premier lieu, je m'interroge sur l'efficacité de la méthode. En dépit de la bonne entente personnelle des dirigeants français et allemands, les deux pays éprouvent des difficultés à travailler ensemble. Par exemple, le ministre allemand des finances prend des initiatives unilatérales pour faire valoir les seules propositions allemandes en matière de renforcement des sanctions alors qu'il avait présenté, le 21 juillet dernier, des propositions communes avec son homologue française. De même, je m'interroge sur la multiplication des propositions de réforme émanant à la fois du groupe de travail présidé par Herman van Rompuy et de la Commission européenne. Cette concurrence pour savoir qui sera le plus rigoureux ne me semble pas satisfaisante, le sujet de la gouvernance économique étant trop sérieux pour donner lieu à un « concours de beauté ».

Ensuite, de nombreux points restent encore ouverts à la discussion, avec des positions encore éloignées les unes des autres. C'est le cas de la prise en compte de la dette des Etats. Faut-il sanctionner une diminution insuffisante de la dette quand celle-ci se situe au-dessus de 60 % du PIB ? Il en est de même au sujet des sanctions. Quel doit être le degré d'automaticité de ces sanctions ? Pour ma part, j'estime que le système de sanctions suppose une dose d'automaticité, à moins de rester inefficace. Par ailleurs, il paraît difficile de ne disposer que de mesures correctives avec le risque de nourrir un populisme anti-européen, dans un contexte social tendu.

En troisième lieu, je m'interroge sur le contenu d'une coordination plus efficace des politiques macro-économiques. Rien ne semble prévu en matière de fiscalité ou de coordination d'autres politiques structurelles telles que la réforme du marché du travail ou les politiques de recherche. Ce sujet, s'il doit être traité, le sera au titre de la stratégie Europe 2020 qui me paraît insuffisante pour calmer les inquiétudes des investisseurs. En outre, la question se pose de savoir comment seront véritablement appliquées les sanctions prévues. De même, comment empêcher que des pays mettent en oeuvre des politiques non coopératives, à l'instar de ce que l'Allemagne avait fait avec la TVA sociale ?

Il me semble que ces interrogations résultent des divergences de vues entre Français et Allemands sur le contenu à donner à la coordination des politiques économiques. Si nous ne nous mettons pas d'accord sur ce sujet, ce seront les marchés financiers qui s'en chargeront.

M. François Marc. - La transparence des marchés financiers constitue un axe majeur à mettre en oeuvre. La qualité de l'information est donc décisive et je rappelle que les agences de notation avaient été mises en cause alors qu'elles ne faisaient qu'utiliser des informations mises à leur disposition. Or, cette information peut être biaisée ou insuffisante, comme l'avait montré, en son temps, l'affaire Enron. Comment l'AMF peut-elle contribuer à améliorer la fiabilité des informations financières ?

M. Aymeri de Montesquiou. - Je me demande s'il est possible de sanctionner une grande banque comme Goldman Sachs qui, dit-on, s'est prêtée au maquillage des comptes de la Grèce ? La rigueur des mesures d'assainissement prises par le gouvernement grec suscite des inquiétudes sur leur acceptabilité sociale. Comment peut-on soutenir la population grecque ? Enfin, est-il possible de sanctionner les grands pays européens, comme l'Allemagne et la France, qui n'auraient pas respecté les règles communes ?

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je constate que le rythme de la construction européenne, du fait de son caractère intergouvernemental croissant et compte tenu de la façon dont le Conseil gère les dossiers, ne correspond plus à celui de la mondialisation. Ce décalage doit, me semble-t-il, être pris en compte dans la réflexion sur la réforme de la gouvernance de l'Europe. De ce point de vue, il y a lieu de s'inquiéter. En outre, les opinions publiques adhèrent de moins en moins à la construction européenne, comme le montre la résurgence de l'extrême droite dans de nombreux Etats membres. Le couple franco-allemand est indispensable pour faire progresser l'Europe, mais connaît des difficultés. Du reste, je me demande comment il est perçu par les autres Etats membres qui pourraient craindre l'apparition d'un « G2 » européen.

J'ai constaté, moi aussi, la compétition à laquelle se livrent le Conseil et la Commission en matière de réforme de la gouvernance économique. Nous pouvons nous féliciter des décisions prises jusqu'à présent en matière de surveillance budgétaire. Je note que les parlementaires nationaux acceptent sans trop de difficultés la supranationalité en matière agricole et monétaire, mais pas en matière budgétaire. L'intérêt porté à la convergence des politiques budgétaires est relativement récent, ce qui, en soi, constitue déjà un progrès. En revanche, le dossier du système de sanctions, à la fois financières et politiques, ne progresse pas en raison des divergences entre Etats membres. La situation est identique pour la mise en place d'un mécanisme permanent de gestion des crises. On a l'impression que l'Europe retombe dans les mêmes ornières dès que la crise s'éloigne un tant soit peu.

Pourtant, d'autres parties du monde, en particulier les Etats émergents, connaissent une très forte croissance économique. L'Europe ne parvient pas à dépasser l'étape de la coordination et à mettre en oeuvre de véritables politiques intégrées. La gouvernance de l'Europe ne doit pas être seulement économique, elle doit être aussi politique.

M. Jean-Pierre Jouyet. - En ce qui concerne la transparence des marchés financiers, nous devons distinguer trois éléments :

- la transparence doit permettre d'obtenir des informations ; celles-ci sont en effet absentes sur un certain nombre de marchés ;

- les pratiques de certaines agences de notation ont parfois été peu correctes, mais il n'existe guère d'alternative à la notation ;

- la recherche de la qualité des informations financières appelle une attention permanente : elle conditionne le retour des épargnants et donc les modalités du financement de l'économie. Ces informations ne sont pas seulement financières, elles peuvent aussi porter sur le contexte économique et social, ou encore sur le système de rémunération.

Nous devons attendre les conclusions des enquêtes en cours aux Etats-Unis et en Grèce sur la banque Goldman Sachs. Je note que le défaut de transparence provient également de certains Etats membres vis-à-vis des institutions communautaires, Eurostat par exemple. En outre, l'Europe présente des informations encore trop souvent fragmentées, si bien qu'il est difficile d'évaluer le comportement qu'a eu Goldman Sachs en Grèce.

La population grecque doit naturellement être soutenue dans la situation difficile qu'elle traverse. Mais l'Europe a fait son devoir envers ce pays en lui apportant 80 milliards d'euros. Une aide européenne directe à la population grecque exigerait des moyens structurels plus puissants.

Je sais combien le processus décisionnel communautaire reste complexe et lent. Il a fallu un an pour parvenir à un accord sur la supervision financière, alors que les Etats-Unis ont mis six mois pour adopter des réformes plus profondes. Et je déplore que l'Union européenne n'ait pas de position unique vis-à-vis des pays émergents, comme la Chine, ce qui permet aux Etats-Unis de dialoguer directement avec eux.

Si les marchés financiers n'ont pas de visibilité au-delà des trois ans que doit fonctionner le fonds de stabilisation financière, je crains que les problèmes ne recommencent.

M. Yann Gaillard. - Je reste interrogatif sur cette notion de marchés. De qui s'agit-il ? Qui agit sur les marchés à une époque où ceux-ci sont très largement dématérialisés ?

M. Jean Bizet. - Que pensez-vous de la proposition consistant à gérer en commun les dettes souveraines dans la limite d'un taux d'endettement de 60 % du PIB ? Selon vous, la politique agricole commune peut-elle contribuer à réguler la volatilité des prix des matières premières agricoles ?

M. Robert Badinter. - Quelles garanties avons-nous sur l'intégrité et la compétence des agences de notation ?

M. Jean-Pierre Jouyet. - Il faut mettre l'Europe face à ses responsabilités afin qu'elle pousse plus loin l'intégration communautaire. L'instauration d'un fonds de stabilisation financière montre que le pessimisme ne peut être de mise.

Les régulateurs devraient sans doute faire preuve de plus de pédagogie sur la notion de marchés financiers. Il n'y a plus aujourd'hui de marchés en tant que tels, du fait de leur dématérialisation. La faible organisation des marchés pose précisément problème. Il y a, en effet, une finance officielle, mais aussi une finance parallèle. Par exemple, des cabinets d'avocats peuvent recruter, partout dans le monde, 200 ou 300 traders qui vont travailler de manière indépendante. On constate ainsi que, sur un des marchés, ce qu'on appelle un « trader de haute fréquence » réalise à lui seul 50 % des transactions. Pour contrôler ce phénomène nouveau, il est indispensable que les régulateurs coopèrent entre eux, et que la coopération en matière de surveillance financière fonctionne bien.

En ce qui concerne les agences de notation, les autorités de régulation essaient de mieux connaître la qualité des personnels recrutés, l'existence d'éventuels conflits d'intérêt et les méthodes de notation utilisées. Il existe en effet deux grandes catégories de méthodes de notation, à partir des fondamentaux de l'économie d'une part, et à partir des informations obtenues sur les marchés d'autre part. Il paraît indispensable que chaque agence de notation choisisse clairement une de ces deux méthodes et qu'elle s'y tienne. Je pense qu'un accord sur la manière de les y obliger devrait être trouvé d'ici le premier trimestre 2011. De même, il n'existe pas de divergences profondes sur cette question entre l'Union européenne et les Etats-Unis.

Le partage de la dette souveraine est une idée certes séduisante, mais qui ne rencontre l'adhésion ni de l'Allemagne ni de la France.

La volatilité des marchés agricoles s'est accentuée en raison de la disparition de nombreux mécanismes d'amortissement. Il me semble nécessaire de reconstituer des stocks de produits alimentaires au niveau mondial pour amortir les mouvements de marchés. Il faut aussi que les professions agricoles s'organisent mieux pour être en phase avec le développement des marchés à terme et afin de parvenir à une plus grande transparence et à une meilleure régulation. Je plaide donc pour une meilleure organisation des marchés agricoles, comme c'est le cas aux Etats-Unis, les marchés européens demeurant trop étroits.

M. Jean Bizet. - Deux enseignements me semblent pouvoir être tirés de votre audition : être ambitieux en matière de coordination économique dans le cadre de la réforme de la gouvernance économique européenne, et améliorer la réactivité de l'Europe.

Mercredi 29 septembre 2010

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

Environnement

Modalités de la mise aux enchères
de quotas d'émission de gaz à effet de serre (E 5562)
Communication de Mme Fabienne Keller

Mme Fabienne Keller. - Cette communication vient dans le prolongement de la résolution européenne du Sénat du 7 décembre 2009 sur le marché des quotas de CO2 et le mécanisme d'inclusion carbone aux frontières. Je vous rappelle que cette résolution avait été adoptée à l'initiative de notre commission.

A la veille de la conférence de Copenhague, il s'agissait de définir et de promouvoir les conditions d'un fonctionnement optimal du système communautaire d'échange de quotas d'émission que j'appellerai plus simplement « le marché européen du carbone ».

Pour mémoire, je vous rappelle brièvement que le marché européen du carbone, entré en vigueur en 2005 à la suite de l'adoption de la directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003, est un des instruments mis en place par l'Union européenne pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce marché ne concerne que les plus gros émetteurs industriels de gaz à effet de serre (métallurgie, cimenterie, production d'électricité, chimie, industrie manufacturière...). En donnant aux émissions de gaz une valeur économique, il incite les pollueurs à les intégrer dans leurs décisions et à arbitrer entre deux stratégies : soit réduire les émissions et revendre les quotas non utilisés si le coût des investissements pour réduire les émissions est inférieur au coût des quotas équivalents, soit acheter des quotas couvrant la totalité des émissions si les investissements nécessaires à une réduction des émissions sont trop élevés.

Jusqu'à présent, les quotas sont alloués gratuitement aux principaux émetteurs industriels de CO2 en fonction de leurs émissions passées, ceux-ci pouvant ensuite échanger ces quotas sur le marché secondaire selon leurs besoins. Toutefois, la directive 2009/29/CE du 23 avril 2009, adoptée dans le cadre du paquet « énergie-climat » et qui modifie la directive de 2003, va profondément changer les règles de fonctionnement du marché de quotas de CO2 pour la période 2013-2020. L'objectif affiché est une baisse de 21 % des émissions en 2020 par rapport à 2005. En effet, à compter du 1er janvier 2013, les modalités d'attribution primaire des quotas d'émission seront différentes. Le principe sera désormais, avec des exceptions, celui de la mise aux enchères des quotas dès la première tonne de CO2 émise.

L'article 10 de la directive renvoie à un texte ultérieur, devant être adopté le 30 juin 2010 au plus tard selon une procédure de comitologie, la définition du calendrier, de la gestion et des autres aspects de la mise aux enchères des quotas.

Extraits de l'article 10(4) de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté

Le 30 juin 2010 au plus tard, la Commission arrête un règlement concernant le calendrier, la gestion et les autres aspects de la mise aux enchères afin de faire en sorte que celle-ci soit réalisée de manière ouverte, transparente, harmonisée et non discriminatoire. À cette fin, le processus doit être prévisible, notamment en ce qui concerne le calendrier, le déroulement des enchères et les volumes de quotas qui, selon les estimations, devraient être disponibles.

Les mises aux enchères sont conçues de manière à garantir :

a) le plein accès, juste et équitable, des exploitants, et en particulier des petites et moyennes entreprises couvertes par le système communautaire;

b) que tous les participants aient accès simultanément aux mêmes informations et que les participants ne compromettent pas le fonctionnement de la mise aux enchères;

c) que l'organisation et la participation aux enchères soient rentables et que les coûts administratifs inutiles soient évités;

d) que l'accès aux quotas soit accordé aux petits émetteurs.

C'est ce texte qui est aujourd'hui l'objet de ma communication. Il a été transmis au Sénat le 12 août dernier après avoir été adopté à l'unanimité le 14 juillet 2010 par le comité « changement climatique » du Conseil, composé d'experts des États membres, sur proposition de la Commission.

Ce projet de règlement relève d'une procédure dite de comitologie et peut donc être encore contesté par le Conseil et le Parlement européen. En pratique, il devrait être adopté définitivement dans le courant de l'automne, afin de permettre une entrée en vigueur du texte avant la fin de l'année.

Comme vous l'avez sans doute noté, la date butoir du 30 juin 2010 fixée par la directive n'a pas été tenue. Ce retard est imputable à des négociations difficiles et, plus particulièrement, à l'opposition de quatre États membres - l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne et la Pologne - à une plateforme unique de mise aux enchères.

Ce texte est donc appelé à régir la mise aux enchères des quotas de CO2 à partir du 1er janvier 2013, date à partir de laquelle une part croissante des quotas ne sera plus attribuée gratuitement. Pour le secteur de l'aviation, 15 % des quotas seront mis aux enchères dès 2012. Ce calendrier suppose que l'ensemble du dispositif de mise aux enchères des quotas soit opérationnel dans le courant de l'année 2011.

La résolution du Sénat du 7 décembre 2009 posait plusieurs conditions au bon fonctionnement des enchères de quotas en l'absence de tout cadre réglementaire.

Extraits de la résolution européenne n° 27 du Sénat du 7 décembre 2009

[...]

1. À propos de la mise aux enchères des quotas de CO2 à compter de 2013

Considérant que le marché du carbone a été créé pour répondre à un intérêt public, à savoir réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre de la manière la plus efficiente économiquement et que les premières années de fonctionnement de ce marché ont montré ses faiblesses, notamment un risque de variation erratique des cours ;

Considérant que, si depuis la création du marché du carbone en 2005 les quotas de CO2 sont alloués gratuitement aux principaux émetteurs industriels de gaz à effet de serre, puis échangés sur le marché secondaire, il n'en sera plus ainsi à compter du 1er janvier 2013, la directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, précitée posant le principe de la mise aux enchères des quotas ;

Considérant que la même directive 2009/29/CE ne définit pas les modalités de la mise aux enchères des quotas ;

Considérant que cette directive dispose que la Commission européenne arrête, le 30 juin 2010 au plus tard, un règlement concernant le calendrier, la gestion et les autres aspects de la mise aux enchères des quotas ;

- Juge que, pour éviter les distorsions de concurrence et tout risque de perturbation du marché secondaire des quotas, ce règlement devra prévoir l'organisation de la mise aux enchères au niveau d'une plateforme européenne, un prix unique d'adjudication étant ensuite arrêté ;

- Précise que ces modalités d'enchère seraient sans incidence sur la règle prévoyant que le produit des enchères est entièrement reversé aux États membres, au prorata des quotas qui leur sont alloués ;

- Invite le Gouvernement à agir pour que le règlement annoncé aille en ce sens ;

[...]

Le point essentiel, et qui semblait le plus difficile à obtenir dans les négociations, était l'organisation des enchères au niveau d'une plateforme européenne unique fortement réglementée. Un tel dispositif aurait été le mieux à même de garantir une parfaite coordination des adjudications et le meilleur fonctionnement du marché. Il aurait également constitué le meilleur moyen d'assurer le respect des principes de non-discrimination, de transparence et de simplicité.

Qu'en est-il finalement ? Les préconisations de notre assemblée ont-elles été écoutées ?

En première analyse, le bilan peut paraître mitigé, voire décevant. La Commission européenne qui partageait notre point de vue est parvenue à affirmer le principe d'une plateforme commune européenne. Toutefois, à la demande des quatre États membres déjà cités, le texte prévoit que les États membres qui le souhaitent peuvent dans un délai de trois mois suivant l'adoption définitive du projet de règlement décider de se doter d'une plateforme particulière.

Cette entorse au principe est évidemment dommageable. Pourtant, une analyse plus fine montre que les conditions de création de ces plateformes particulières limitent les risques de distorsion de concurrence et de perturbation du marché européen du carbone.

Tout d'abord, le choix de se doter d'une plateforme particulière ne pourra se faire que dans les trois mois suivant l'adoption du projet de règlement. Cette date expirée, les États membres n'auront plus le choix. En outre, si des distorsions ou des dysfonctionnements apparaissaient, la dérogation au principe de la plateforme commune ferait l'objet d'un réexamen dans trois ou cinq ans.

Ensuite, ces plateformes particulières seront soumises à des règles identiques à celles de la plateforme commune. Ces plateformes devront être agréées en tant que marché réglementé et organiser les enchères de la même manière. Quant au calendrier des enchères, il sera calé de façon à ne pas gêner les enchères de la plateforme commune.

Enfin, quelques clauses sont de nature à limiter dans les faits le nombre d'États membres souhaitant se doter de leur propre plateforme. Les plateformes alternatives devront être mononationales et chaque séance d'enchères devra permettre l'adjudication d'au moins 10 millions de quotas. D'autres dispositions en matière de traduction sont aussi un frein. La conséquence est que seuls quelques États membres auraient la volonté et la capacité de créer leur plateforme.

Il est à peu près certain que l'Allemagne et le Royaume-Uni feront ce choix. L'Allemagne dispose déjà d'une plateforme d'adjudication et souhaite la conserver. En revanche, il n'est pas sûr que l'Espagne et la Pologne poursuivent dans cette voie. La Pologne a notamment été rassurée sur la fonction réelle de la plateforme commune qui ne serait qu'un canal de transmission des ordres, les quotas et le produit des enchères restant dans les mains de chaque État membre.

On peut donc s'attendre à deux, voire trois plateformes alternatives, mais pas plus. La plateforme européenne devrait être commune à 24 ou 25 États membres.

Les autres dispositions du projet de règlement ne posent pas de difficultés particulières. Au contraire, elles sont satisfaisantes au regard des principes de simplicité, de transparence et de non-discrimination.

Les grandes lignes sont les suivantes :

- le format des enchères sera à un tour, sous pli cacheté et à prix unique ;

- le calendrier et les volumes des séances d'enchères seront arrêtés un an à l'avance ;

- une instance commune de surveillance des enchères sera désignée ;

- les règles applicables aux instruments financiers, qui vont être encore renforcés, s'appliqueront.

Synthèse du projet de règlement

> Format des enchères

Les quotas sont proposés à la vente sur une plateforme d'enchère, au moyen de contrats électroniques standardisés qui sont négociés sur cette plateforme d'enchère.

Les quotas sont mis aux enchères par chaque État membre sous la forme d'un seul des deux produits d'enchère suivants:

a) des produits au comptant à deux jours;

b) des futures à cinq jours.

Les enchères sont organisées sous la forme suivante: les enchérisseurs soumettent leurs offres durant une fenêtre d'enchère donnée sans voir les offres soumises par les autres enchérisseurs, et tous les adjudicataires paient le même prix de clôture par quota, indépendamment du prix qu'ils ont proposé.

L'offre minimale en volume est de 500 quotas, ce qui représente un lot.

> Prix de clôture et dénouement des offres égales

Le prix de clôture est déterminé à la fermeture de la fenêtre d'enchère.

La plateforme d'enchère classe les offres qui lui sont soumises par ordre de prix proposé. Lorsque le prix de plusieurs offres est identique, ces offres sont classées par sélection aléatoire conformément à un algorithme déterminé par la plateforme d'enchère avant la séance d'enchères. Cette disposition doit éviter les ententes.

Les volumes demandés sont additionnés à partir de l'offre proposant le prix le plus élevé. Le prix de clôture est le prix auquel la somme des volumes demandés est égale ou supérieure au volume des quotas mis aux enchères.

Lorsque le volume total des offres classées est inférieur au volume des quotas mis aux enchères, la plateforme d'enchère annule la séance d'enchères. Il en est de même lorsque le prix de clôture est nettement inférieur au prix prévalant sur le marché secondaire.

> Calendrier et fréquence

Toute plateforme d'enchère conduit ses enchères séparément, via sa propre fenêtre d'enchère, ouverte régulièrement. Les fenêtres d'enchère de plusieurs plateformes d'enchère ne peuvent se chevaucher, et il s'écoule un intervalle de deux heures au moins entre deux fenêtres d'enchère consécutives. La plateforme d'enchère détermine les dates et horaires des enchères.

La plateforme commune procède aux enchères sur une base hebdomadaire au moins pour les quotas des installations fixes et bimestrielle au moins pour les quotas du transport aérien.

Chaque année, la plateforme commune détermine et publie les fenêtres d'enchère, les volumes et les dates des différentes séances d'enchères prévues pour l'année civile, après avoir consulté la Commission et obtenu son avis à ce sujet. L'ajustement du calendrier et des volumes en cours d'année est possible mais dans des conditions strictes.

> Personnes admises à enchérir

Le droit de demander l'admission aux enchères est accordé à des catégories de participants aisément identifiables et bien définies, notamment les exploitants d'installations fixes et les exploitants d'aéronefs relevant du système d'échange de quotas, mais aussi les entités financières réglementées telles que les entreprises d'investissement et les établissements de crédit. Les groupements économiques d'exploitants agissant comme agent pour le compte de ses membres, auront aussi le droit de demander l'admission aux enchères.

> Désignation de l'adjudicateur

Chaque État membre désigne un adjudicateur. Aucun État membre ne met de quotas aux enchères sans désigner un adjudicateur. Plusieurs États membres peuvent désigner le même adjudicateur.

Chaque État membre désigne son adjudicateur en temps utile avant le début des séances d'enchères pour que les dispositions nécessaires soient arrêtées et mises en oeuvre en concertation avec la plateforme d'enchère et avec tout système de compensation ou de règlement auquel elle est connectée.

L'adjudicateur :

a) met aux enchères le volume de quotas à vendre par chacun des États membres qui l'ont désigné ;

b) perçoit le produit des ventes aux enchères dû à chacun des États membres qui l'ont désigné ;

c) verse à chacun des États membres qui l'ont désigné le produit des ventes aux enchères qui lui est dû.

> Désignation et fonctions de l'instance de surveillance des enchères

Tous les processus d'enchères, y compris ceux des plateformes d'enchères particulières, sont contrôlés par la même instance de surveillance des enchères qui est désignée à l'issue d'une procédure conjointe de passation de marché entre la Commission et les États membres.

L'instance de surveillance des enchères contrôle chaque séance d'enchères et adresse des rapports à la Commission et aux Etats membres. Elle peut faire des recommandations.

Tous les adjudicateurs, les plateformes et les autorités nationales de surveillance des marchés sont tenus de coopérer avec cette instance.

> Désignation et fonctions d'une plateforme d'enchères

Le principe est celui de la désignation d'une plateforme d'enchère unique dans le cadre d'une action commune des États membres et de la Commission, à l'issue d'une procédure conjointe de passation de marché. Cette plateforme ne pourrait être désignée pour une période de plus de cinq ans. En outre, une plateforme doit avoir été agréée en tant que marché réglementé.

Toutefois, tout Etat membre peut désigner sa propre plateforme pour la mise aux enchères de son volume de quotas. Plusieurs Etats membres peuvent aussi désigner la même plateforme. La plateforme est alors désignée pour une période de trois ans maximum pouvant être prolongée de deux ans maximum. Elle doit être inscrite en annexe du présent règlement.

La plateforme d'enchère fournit aux États membres les services suivants :

a) l'accès aux enchères, y compris la mise à disposition et la maintenance des interfaces électroniques basées sur l'internet et du site web nécessaires à cet effet;

b) la conduite des enchères ;

c) la gestion du calendrier des enchères ;

d) l'annonce et la notification des résultats des séances d'enchères ;

e) la mise à disposition, directe ou par sous-traitance, des systèmes de compensation ou de règlement nécessaires pour :

i) gérer les paiements effectués par les adjudicataires ou par leurs ayants cause et verser le produit des enchères à l'adjudicateur ;

ii) livrer les quotas adjugés aux adjudicataires ou à leurs ayants cause ;

iii) gérer les garanties et les éventuels appels de marge versés par l'adjudicateur

ou les enchérisseurs ;

f) la fourniture à l'instance de surveillance des enchères de toute information sur la conduite des enchères dont elle a besoin pour exercer ses fonctions ;

g) la surveillance des enchères.

Les fonctions des plateformes particulières sont identiques. Toutefois, la gestion du calendrier des enchères est un peu différente. Le calendrier et le volume des enchères de ces plateformes ne sont arrêtés qu'après que la plateforme commune a annoncé son propre calendrier.

En outre, les plateformes particulières doivent proposer lors de chaque séance d'enchères un volume de quotas compris entre dix et vingt millions de quotas.

> Régime applicable aux abus de marché relatifs à des produits d'enchère

Lorsque le produit d'enchères est un instrument financier (« futures » à cinq jours), le projet de règlement dispose que la directive du 28 janvier 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché s'applique.

Lorsque ce produit n'est pas un instrument financier (produit au comptant à deux jours), les articles 37 à 43 du projet de règlement reprennent les termes de la directive de 2003 et prévoit que les autorités nationales chargées de faire respecter la directive de 2003 sur les marchés financiers sont aussi responsables de la surveillance des enchères de produits au comptant.

Ces orientations répondent aux préoccupations exprimées par la résolution du Sénat.

Je terminerai en évoquant le choix de la future plateforme. Elle devrait être sélectionnée dans le cadre d'une action commune des États membres et de la Commission, à l'issue d'une procédure conjointe de passation de marché. Cette plateforme ne pourrait être désignée pour une période de plus de cinq ans.

Bluenext, basé à Paris, est actuellement la première place d'échange sur le marché européen du carbone au comptant. Elle candidatera pour devenir la plateforme commune. A cette fin, je signale qu'à l'initiative de notre collègue Philippe Marini, rapporteur du projet de loi de régulation bancaire et financière, plusieurs amendements ont été déposés pour compléter la définition des marchés réglementés d'instruments financiers et permettre ainsi à Bluenext d'être agréé en tant que marché réglementé. C'est une condition nécessaire pour pouvoir répondre à l'appel d'offre européen.

En conclusion, le projet de règlement demeure satisfaisant compte tenu de la position très ferme de quatre grands États membres désireux de disposer de leur propre plateforme. Il pourra être dérogé au principe de la plateforme commune, mais dans des conditions strictes qui devraient garantir un prix quasi-uniforme du carbone, un accès large aux enchères et une sécurité des transactions. Ce texte illustre néanmoins l'incapacité de l'Union européenne à s'engager pleinement dans des politiques intégrées.

M. Jean Bizet. - On peut regretter, en effet, que certains Etats membres n'aient pas abandonné leur réflexe national, alors même que le marché européen du carbone est une création de l'Union. On peut nourrir l'espoir que, avec le temps, ces plateformes alternatives dépérissent au profit de la plateforme commune.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Ces plateformes alternatives sont-elles créées de manière permanente ? Par ailleurs, j'aimerais savoir si on a constaté des phénomènes spéculatifs sur le marché du carbone depuis 2005 ?

Mme Fabienne Keller. - Les plateformes alternatives ne pourront être désignées pour une période excédant cinq ans. Une nouvelle procédure de passation de marché public devra alors être lancée. En outre, la Commission européenne devra, le 31 décembre 2014 au plus tard, réexaminer le fonctionnement de tous les processus d'enchères. Si l'expérience démontre que les plateformes alternatives sont à l'origine de dysfonctionnements des enchères et du marché secondaire des quotas, la Commission pourra proposer toutes mesures utiles, y compris la suppression de ces plateformes.

Quant au risque de bulle ou de spéculation, il existe, surtout sur un marché aussi jeune que le marché du carbone. Les intervenants y sont relativement nombreux. C'est pourquoi ce marché doit être exemplaire et contrôlé. A la différence d'autres marchés, celui-ci est une pure création des Etats pour atteindre un objectif d'intérêt général, à savoir réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce marché n'existe que parce que les Etats membres l'ont voulu. Je plaide pour la création d'un comité de gestion chargé de surveiller ce marché et de proposer des mesures en cas de variations anormales du cours du carbone.

M. Richard Yung. - Est-ce un marché au comptant ou des produits dérivés y sont-ils également échangés ?

Mme Fabienne Keller. - Les deux produits sont échangés. Incidemment, il faut rappeler que chaque année, à la fin du mois de mars, les exploitants des installations soumises au système des quotas doivent restituer à l'autorité publique une quantité de quotas équivalente à la quantité de carbone rejetée. Avec la crise, certaines activités, notamment l'industrie lourde, se sont retrouvées avec un excédent de quotas non utilisés.

Économie, finances et fiscalité

Gouvernance économique européenne
Communication de MM. Pierre Bernard-Reymond et Richard Yung

M. Pierre Bernard-Reymond. - Le système actuel de gouvernance économique en Europe souffre d'un certain nombre de lacunes, qui ont été mises en évidence à l'occasion de la crise ayant affecté la Grèce puis l'ensemble de la zone euro :

- les déséquilibres engendrés par la coexistence d'une politique monétaire unique conduite par la Banque centrale européenne et de politiques budgétaires qui demeurent la compétence des États membres. Il existe ainsi un fédéralisme monétaire sans fédéralisme budgétaire ;

- l'absence de système efficace de surveillance et d'alerte ;

- l'absence d'institutions permettant de réagir rapidement en cas de crise ;

- un système de sanctions peu dissuasif ;

- des institutions nombreuses, redondantes et inefficaces.

La réforme de la gouvernance économique européenne s'articule autour de deux grands axes : le renforcement de la surveillance budgétaire, à travers une réforme du Pacte de stabilité et de croissance, et une meilleure appréhension des divergences entre les économies des États membres, source de perte de compétitivité.

En ce qui concerne le Pacte de stabilité et de croissance, je rappelle que cet outil s'est révélé inadapté et que les sanctions qu'il prévoit n'ont jamais été appliquées. Je m'interroge sur la possibilité de rendre les critères du Pacte plus flexibles en cas de récession économique, plutôt que de conserver un dispositif rigoureux, mais qui sera nécessairement transgressé. De même, ne faudrait-il pas différencier, en fonction de la situation de chaque État membre, le rythme de retour à l'équilibre budgétaire ? Nous devons également nous interroger sur les procédures d'alerte à mettre en oeuvre.

Le système de sanctions pourrait prévoir des sanctions financières, par exemple la suspension du versement des fonds communautaires aux États membres qui persistent à ne pas respecter le Pacte, ou l'obligation de payer des amendes ou des pénalités, même si cette solution reviendrait à aggraver la situation d'États déjà fragilisés. Les sanctions pourraient également être non-financières et prendre la forme d'une suspension des droits de vote des impétrants. Je me demande toutefois s'il est opportun d'aller jusque-là.

Le semestre européen créera un cadre de coordination générale de la surveillance des États membres. Cette proposition de la Commission avait initialement suscité des réticences de la part de certains États membres, soucieux de la souveraineté budgétaire de leur parlement national. Nous pouvons nous interroger pour savoir si les modalités retenues seront suffisamment contraignantes. Par exemple, nous pourrions prévoir un dispositif de contrôle a posteriori de l'exécution des budgets annuels.

De même, faut-il ajouter d'autres critères au Pacte de stabilité ?

Je crois qu'il serait également opportun qu'un organisme indépendant du Conseil et de la Commission - ce pourrait être la Cour des comptes européenne, dont les compétences pourraient être renforcées - évalue les objectifs obtenus par les politiques publiques européennes.

Je propose également que l'avis des institutions communautaires sur les projets de budgets nationaux examinés dans le cadre du semestre européen soit intégré aux programmes de stabilité nationaux.

La surveillance des États membres ne doit pas seulement porter sur le solde budgétaire, mais également sur le niveau d'endettement. Cela pose aussi la question de l'introduction dans la Constitution de l'objectif d'équilibre budgétaire.

Enfin, les États membres devraient reprendre leurs négociations pour parvenir progressivement à une politique fiscale commune.

Le deuxième axe de la réforme de la gouvernance économique concerne l'analyse de la compétitivité et des divergences économiques des États membres. Cette analyse, me semble-t-il, devrait être menée par un observatoire de la compétitivité, qui serait indépendant de la Commission, et dont la renommée ferait de lui une référence.

La nouvelle stratégie Europe 2020, qui constitue le cadre dans lequel seront coordonnées les politiques économiques des États membres, risque d'avoir le même sort et les mêmes résultats que la stratégie de Lisbonne, en raison du peu de moyens qui lui sont alloués. A cet égard, je suis favorable au développement de politiques européennes intégrées, portant par exemple sur la recherche, et non pas seulement coordonnées.

Les objectifs de la BCE pourraient être également élargis et ne plus porter sur la seule recherche de la stabilité des prix.

A terme, il serait également souhaitable d'instituer un Fonds monétaire européen (FME) qui permettrait à l'Europe de gérer des crises. Je rappelle en effet que le Fonds de stabilisation financière, mis en place en mai dernier, et dont on peut penser qu'il préfigure ce FME, n'est que provisoire, pour une durée de trois ans.

L'Eurogroupe pourrait être également doté d'une certaine autonomie.

Nous devons également réfléchir au rythme optimal de la libéralisation, par exemple dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.

L'institution d'un Haut représentant en charge de l'économie européenne, sur le modèle de la Haute représentante pour les affaires étrangères, pourrait être étudiée.

D'une manière générale, il me semble que la révision des traités n'est pas une question taboue, l'histoire de la construction européenne étant jalonnée de plusieurs révisions des textes fondateurs.

M. Richard Yung. - J'ai été frappé, lors de la préparation du rapport, par l'importance prise par l'équilibre budgétaire qui apparaît comme un véritable dogme. Il me semble cependant que les États membres doivent faire l'objet d'une analyse économique d'ensemble prenant en compte leur politique d'investissement, leur effort de recherche-développement, et leur capacité à corriger plus ou moins rapidement les déséquilibres qui les affectent.

Comme mon collègue, je redoute la réédition du processus qui a conduit à l'échec de la stratégie de Lisbonne. Celle-ci affichait des objectifs extrêmement ambitieux, mais, faute de financements adéquats, et de mécanismes de gouvernance efficaces, elle en est restée à un catalogue de voeux pieux. Or, je crains que la stratégie Europe 2020 ne constitue pas une véritable stratégie économique à moyen terme pour l'Union européenne.

Je suis favorable au semestre européen dont le calendrier et les modalités permettront d'associer les parlements nationaux au renforcement de la surveillance des États membres.

Le Pacte de stabilité et de croissance souffre du primat accordé aux paramètres budgétaires. Son application comporte le risque d'une trop grande uniformisation, alors que la prise en compte d'autres critères économiques permettrait de différencier la mise en oeuvre des mesures de redressement selon les États membres.

La question des sanctions est rendue complexe par les obstacles juridiques que constituent certaines dispositions des traités. Il me semble paradoxal de vouloir imposer des sanctions financières à des États membres qui connaissent déjà des difficultés budgétaires.

L'institutionnalisation du Fonds de stabilisation financière pourrait permettre de créer un FME. Il faut toutefois reconnaître que l'Allemagne est hostile à cette solution, à moins qu'on ne lui donne d'importantes garanties pour l'amener à changer d'avis.

L'Allemagne n'est pas non plus favorable à la gestion commune de la dette souveraine, puisqu'elle bénéficie actuellement des meilleurs taux d'emprunt sur le marché pour financer sa dette. Certains économistes proposent de distinguer une « bonne dette » qu'ils appellent la « dette bleue », celle qui correspond au critère de 60 % du PIB, de la « mauvaise dette », ou « dette rouge », qui est supérieure à ce taux. La gestion des « dettes bleues » pourrait être mise en commun afin d'obtenir un taux de refinancement satisfaisant. Les « dettes rouges », en revanche, continueraient de rester de la compétence nationale.

En matière institutionnelle, nous devons réfléchir à la manière d'individualiser la responsabilité de la coordination au sein de la zone euro. Enfin, se doter d'une représentation économique et financière de l'Europe au niveau international, par exemple dans les sommets du G 20, permettrait de discuter directement avec les États-Unis.

Je suis également favorable au renforcement des politiques européennes intégrées dans des domaines d'avenir, tels que la recherche-développement, l'énergie ou les transports.

Mme Catherine Tasca. - L'imprévisibilité des marchés financiers, mise en évidence par Jean-Pierre Jouyet, au cours de son audition d'hier, m'a beaucoup inquiétée.

Votre proposition de moduler l'application du Pacte de stabilité et de croissance, en fonction de la conjoncture, est une idée séduisante, mais elle est contradictoire avec le souhait que vous exprimez de voir développer davantage de politiques intégrées, et non simplement coordonnées.

La ratification du traité de Lisbonne a été particulièrement difficile, mais nous constatons que son application ne règle pas tous les problèmes. Nous devons donc, dès à présent, nous interroger sur la manière de le faire évoluer.

Votre proposition d'instituer un Haut représentant en charge de l'économie et des finances est particulièrement ambitieuse, voire utopique. Du reste, la fonction de Haut représentant pour les affaires étrangères, même si elle doit poursuivre sa mise en place, n'est pas une réussite évidente. Je me demande si nous n'avons pas atteint les limites de la répartition des compétences entre commissaires.

M. Serge Lagauche. - La crise grecque a révélé l'existence de manipulations des statistiques, mais elle a aussi montré que nous les avions admises trop longtemps. L'opinion publique européenne ne perçoit plus les avantages que les États membres tirent à s'associer. Les divergences franco-allemandes actuelles révèlent aussi la montée des égoïsmes nationaux. La compétitivité est davantage recherchée dans le cadre national que dans celui de l'Europe. De ce point de vue, il me semble que les propositions des rapporteurs requièrent la loyauté dans les rapports entre États membres, alors que la méfiance me semble aujourd'hui s'imposer.

Mme Fabienne Keller. - J'ai été frappée, lors de la mission que j'ai effectuée sur la coopération transfrontalière, par la faible compétitivité de la France par rapport à celle de ses voisins. Les divergences économiques entre États membres sont aujourd'hui très importantes. Que l'on songe aux systèmes fiscaux. En outre, l'application de la règlementation communautaire est inégale selon les États membres. Il me semble donc que les conditions d'un consensus sur la politique économique à conduire en Europe ne sont pas réunies. Contrairement à ce qu'avaient imaginé les rédacteurs du traité de Maastricht, la monnaie n'a pas entraîné l'économie.

Je ne suis pas certaine que la solution proposée en matière de gestion commune des dettes souveraines, même s'il est nécessaire d'y réfléchir, soit pertinente. En effet, distinguer la « dette bleue » de la « dette rouge » reviendrait à créer des structures de défaisance qui isoleraient la mauvaise dette et risquerait d'entraîner une augmentation des taux d'intérêt pour tout le monde.

M. Jacques Blanc. - Il me semble que le développement des politiques intégrées ne peut emprunter que la voie des coopérations renforcées.

M. Pierre Fauchon. - Je suis pessimiste sur l'avenir de la construction européenne. On ne se donne plus les moyens de nos ambitions et on se contente de déclarations incantatoires.

M. Richard Yung. - L'institution d'un Haut représentant pour les affaires économiques et financières est une proposition optimiste.

Plusieurs États membres, dans le cadre d'une coopération renforcée, pourraient se mettre d'accord pour aller vers une fiscalité commune, celle des sociétés par exemple.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je voudrais préciser une chose. La flexibilité dans l'application des critères de Maastricht que je propose n'aboutit pas à une diminution du niveau d'exigence. Ces critères continueraient d'être appliqués en cas de conjoncture haute. Ce n'est qu'en période de crise que l'on pourrait adapter ces critères plutôt que de les voir systématiquement transgressés.

Nous pouvons d'ores et déjà réfléchir aux dispositions du traité qui pourraient faire l'objet d'une révision, par exemple pour instaurer un mécanisme permanent de gestion des crises.

La nomination d'un Haut représentant pour l'économie de nationalité allemande serait de nature à rassurer nos voisins d'outre-Rhin. Cela constituerait pour eux une garantie forte en matière de vertu budgétaire et économique.

Il faudrait trouver une pratique permettant de passer de la coopération à l'intégration européenne en rassurant nos partenaires. Nous devrions également réfléchir à la manière de parvenir à une plus grande harmonisation européenne en matière fiscale.