- Mardi 6 juillet 2010
- Certification des comptes de la sécurité sociale - Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, Mme Rolande Ruellan, présidente de la 6e chambre, MM. André Gauron, président de section, conseiller maître, Guy Piolé, conseiller maître, et Maximilien Queyranne, chargé de mission auprès du Premier président
- Situation des finances sociales - Examen du rapport d'information
- Mercredi 7 juillet 2010
Mardi 6 juillet 2010
- Présidence de Mme Muguette Dini, présidente -Certification des comptes de la sécurité sociale - Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, Mme Rolande Ruellan, présidente de la 6e chambre, MM. André Gauron, président de section, conseiller maître, Guy Piolé, conseiller maître, et Maximilien Queyranne, chargé de mission auprès du Premier président
Mme Muguette Dini, présidente. - Nous entendons pour la première fois devant notre commission le Premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, sur la certification des comptes de la sécurité sociale. Il est accompagné de Rolande Ruellan, présidente de la 6e chambre, d'André Gauron, président de section, conseiller maître, Guy Piolé, conseiller maître, et Maximilien Queyranne, chargé de mission auprès du Premier président.
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - C'est un grand plaisir pour moi de participer à vos travaux en tant que Premier président de la Cour des comptes, je le dis en connaissant bien votre commission, pour avoir collaboré avec vous lorsque j'étais à la commission des finances de l'Assemblée nationale. Mon prédécesseur, du reste, avait pour habitude de venir présenter régulièrement devant vous les rapports de la Cour.
Le 22 juin dernier, la Cour des comptes a adopté son rapport sur la certification des comptes 2009 du régime général de la sécurité sociale et il vous a été remis, comme le prévoit la LOLFSS, avant la fin du mois de juin.
La certification des comptes d'un organisme constitue une assurance raisonnable que ses comptes sont réguliers et sincères, et qu'ils donnent une image fidèle du résultat de sa gestion, de son patrimoine et de sa situation financière. Cet exercice annuel est destiné à vous apporter une information fiable sur les produits, les charges et le résultat du régime général. J'espère que nous contribuerons utilement à éclairer vos prochains débats sur la loi de financement de la sécurité sociale.
Cet exercice est complété, depuis l'an passé, pour les comptes des autres régimes de sécurité sociale, par les opinions des commissaires aux comptes chargés de les auditer. La Cour a défini avec eux un cadre contractuel d'échanges d'informations et a pris en compte leurs opinions, notamment le refus de certification des comptes du régime agricole.
Il sera sans doute bientôt nécessaire de prévoir un cadre juridique plus global pour ces échanges.
Les branches du régime général de la sécurité sociale traitent chaque année des centaines de millions d'opérations, pour environ 350 milliards d'euros en dépenses et 320 en recettes. Quand on atteint de tels chiffres, la certification n'est plus seulement une affaire de vérification comptable : il faut savoir si les systèmes d'information assurent la traçabilité des opérations comptables et si le contrôle interne suffit pour maîtriser les risques d'anomalies.
Ainsi analysons-nous systématiquement les procédures de contrôle interne des caisses et en évaluons-nous l'efficacité. Cet exercice est très utile car il incite les organismes de sécurité sociale à mieux maîtriser les risques financiers et à renforcer leurs efforts pour réduire les erreurs et lutter contre la fraude. Ces efforts contribuent à améliorer progressivement la qualité de leur gestion des prestations, et donc la qualité du service rendu aux assurés.
C'est ainsi, suite aux travaux de certification, que la Cnam a renforcé ses contrôles sur les opérations gérées pour le régime général par les mutuelles d'étudiants et de fonctionnaires. Elle a également mis en place des liaisons informatiques qui ont permis aux assurés de ces mutuelles de bénéficier de la même qualité de services que les autres. Dans d'autres branches, la Cnaf et la Cnav ont mis en place des systèmes d'évaluation des erreurs de calcul des prestations et pensions. La maîtrise du risque d'erreurs dans les comptes devient ainsi l'affaire du dirigeant et plus seulement du comptable, au bénéfice des assurés sociaux.
L'exercice de certification met aussi l'accent sur des problèmes de normes comptables. Les agents comptables ne sont pas en cause, puisqu'ils appliquent la réglementation, mais certaines règles ne sont plus adaptées à la réalité économique et financière de la branche. Par exemple, si les comptes du fonds de solidarité vieillesse étaient additionnés à ceux de la branche retraite, le déficit de cette branche en 2009 ne serait pas de 7,2 milliards, mais de 10 milliards d'euros. Il appartient au ministère en charge des comptes publics de mettre les règles en conformité avec les normes comptables.
Les comptes de l'exercice 2009 ont été marqués par une augmentation très importante du déficit des quatre branches du régime général. Pour 347 milliards d'euros de charges, leur déficit s'élève à 20,3 milliards, deux fois plus qu'en 2008. La dégradation est particulièrement visible pour la branche maladie, dont le déficit est passé en un an de 4,4 milliards à 10,6 milliards. La loi organique pose un principe d'équilibre financier des branches, qui a été perdu de vue depuis de nombreuses années.
L'endettement du régime général atteint 25 milliards au 31 décembre 2009. Sans la reprise d'une partie de la dette par la Cades en 2008 et 2009, il aurait atteint 52 milliards. S'il est important d'avoir des comptes certifiés, il l'est tout autant qu'ils soient équilibrés, mais nous en sommes loin.
Cette année, la Cour n'a pas été en mesure de certifier les comptes de la branche retraite et de la Cnav. Elle certifie avec réserves les autres comptes dont, pour la première fois, les comptes de la branche famille et de la Cnaf.
La Cour a refusé de certifier cette année les comptes de la branche retraite et la Cnav, comme elle l'avait fait pour l'exercice précédent. L'an dernier, nos travaux d'audit, menés avec la Cnav, nous avaient fait constater une série de défaillances et nos constats subsistent pour les comptes 2009.
Nous avons ainsi relevé un nombre important d'erreurs dans la comptabilisation des pensions de retraite, pour un montant cumulé trop élevé. Il y a d'abord des erreurs dans le calcul des pensions par la branche : près de 8 % des pensions de retraite calculées en 2009 présentaient une anomalie de portée financière, représentant 0,78 % du montant total, car beaucoup d'erreurs portent sur un montant unitaire faible. Ces erreurs sont liées à des difficultés internes : les mailles du filet du contrôle des opérations effectuées par les gestionnaires doivent être resserrées. A ces erreurs internes s'ajoutent des défaillances dans les données entrantes, c'est-à-dire dans les informations en provenance des employeurs et des organismes sociaux utilisées pour calculer la pension au moment du départ à la retraite.
Nous constatons toutefois des améliorations. La Cnav avait découvert en 2007 que le nombre de périodes assimilées au chômage était majoré à tort depuis 1992, voire auparavant. En 2009, les flux entrants de données ont été corrigés - mais pas les stocks, correction de masse jugée trop complexe par le directeur de la sécurité sociale. Nous attendons encore une sécurisation des procédures comptables et des opérations de paiement des pensions, difficultés déjà signalées l'an dernier et dont le règlement prendra du temps.
La branche a engagé des programmes d'amélioration à la suite de nos observations. Elle refond son dispositif de contrôle interne et son système d'information comptable et financier. Dans l'attente de ces évolutions lourdes, elle diffuse des instructions à son réseau pour mieux formaliser et mieux contrôler la gestion des principaux processus. La Cour est consciente de ces efforts et sait qu'ils prennent du temps. Elle souhaite qu'ils aboutissent dans les meilleurs délais afin de lui permettre de certifier les comptes de la branche.
Concernant la branche famille et la Cnaf, la Cour n'avait pas certifié les comptes 2006, 2007 ni 2008, en raison de trop grandes incertitudes sur le contrôle interne.
Cette année, nous avons accepté de franchir la ligne qui sépare le refus de certifier de la certification avec réserves. Certes, le contrôle interne souffre toujours d'insuffisances et il ne donne pas l'assurance que les risques de fraudes ou d'erreurs de calcul sont suffisamment maitrisés.
Nous avons observé que des provisions et des charges à payer enregistrées au moment de l'inventaire étaient sous-estimées : des corrections ont été apportées, mais elles restent insuffisantes. Enfin, comme l'an dernier, le suivi comptable des flux liés à l'assurance vieillesse des parents au foyer n'est toujours pas fiable : voici un domaine où, au-delà des questions comptables, une simplification de la réglementation s'impose.
Ces difficultés persistantes, qui font l'objet de réserves, ne doivent pas cacher l'importance des progrès accomplis par la branche ni l'ampleur des chantiers engagés, la plupart en bonne voie. Un fichier national des allocataires - le « répertoire national des bénéficiaires » - que nous appelions de nos voeux, a été déployé. Les Caf disposent d'une connaissance désormais plus sûre des ressources des allocataires, obtenue directement auprès de l'administration fiscale.
Les travaux des services d'audit interne et de validation des comptes des organismes du réseau sont maintenant suffisants pour appuyer les vérifications de la Cour. Les opérations de combinaison sont progressivement sécurisées grâce au déploiement d'un nouveau logiciel. Enfin, la Cnaf a engagé la révision complète de son dispositif d'analyse des risques de contrôle interne.
J'en viens aux deux branches dont les comptes avaient déjà été certifiés l'an dernier et sur lesquels nous maintenons notre opinion positive, en incluant des réserves.
En ce qui concerne l'Acoss et le recouvrement, des progrès ont été réalisés, notamment dans la clarification des relations financières avec l'Etat et l'enregistrement de certaines créances en fin d'année. Il reste toutefois des marges de progrès importantes dans la production d'éléments de justification des comptes et dans le contrôle interne des anomalies de recouvrement, notamment pour les artisans et commerçants.
Nous formulons également des réserves concernant les estimations et le traitement comptable de certaines opérations.
Enfin, nous certifions les comptes 2009 de la Cnam, la branche maladie et la branche accidents du travail-maladies professionnelles avec réserves, comme depuis 2006. Des progrès importants ont été réalisés dans le contrôle interne. Cette année, quatre des sept réserves exprimées en 2008 ont pu être levées.
D'autres sujets critiques ont connu des progrès inachevés, mais notables, comme la mise en place d'une comptabilité auxiliaire des prestations et la sécurisation des flux en provenance des mutuelles de fonctionnaires et d'étudiants. Toutefois, des lacunes subsistent, et nous en avons relevé de nouvelles. Elles concernent, entre autres, les dispositifs de contrôle des paiements aux établissements accueillant des enfants handicapés, la prise en charge de soins dispensés par les masseurs-kinésithérapeutes et les médicaments rétrocédés par les hôpitaux.
En accomplissant sa mission de certification, la Cour met en oeuvre la mission que lui confie l'article 47-2 de la Constitution. Elle a ainsi pour ambition de renforcer la confiance dans les comptes publics que doivent avoir les citoyens, les acteurs économiques et leurs représentants.
Chacun sait ainsi qu'en France, les comptes publics sont examinés et vérifiés par une institution indépendante, qui en rend compte au Parlement. Si la Cour a chaque année refusé de certifier les comptes de certaines branches et en a certifié d'autres avec réserves, son objectif est bien sûr de parvenir le plus tôt possible, en liaison avec ses interlocuteurs des régimes sociaux, à certifier sans réserve les comptes de toutes les branches et de toutes les caisses. Pour y parvenir, la Cour aura accompagné dans leur effort de maîtrise des risques, les dirigeants de ces organismes, leurs agents comptables, leur personnel et bien sûr aussi leurs administrations de tutelle. La certification est un exercice d'accompagnement en vue d'une plus grande transparence et d'une plus grande lisibilité.
Mme Muguette Dini, présidente. - Merci pour ces informations. Notre rapporteur général, Alain Vasselle, m'a chargée de vous poser sa première question : pensez-vous que la création de l'interlocuteur social unique aurait pu être mieux préparée, dès lors que vous formulez une réserve sur la gestion des cotisations et des contributions sociales des travailleurs indépendants ? Les mesures correctrices proposées par l'Acoss, en lien avec le régime social des indépendants, vous paraissent-elles suffisantes pour régler le problème ?
M. Didier Migaud, Premier président. - L'introduction de l'interlocuteur social unique va dans le bon sens et démontre l'utilité du dialogue à partir des réserves formulées par la Cour. De fait, nous aurions souhaité une préparation plus approfondie de la réforme ; trop de difficultés ont été sous-estimées.
Mme Rolande Ruellan, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes. - Nous n'avons pas audité le fonctionnement de l'interlocuteur social unique ni le régime social des indépendants, car nous avons préféré les laisser monter en charge et c'est ce souci de ne pas les perturber en début de réforme qui nous a fait reporter l'an passé une demande de l'Acoss d'analyser leur traitement informatique des données. Notre audit s'est donc limité à la certification.
De fait, la réforme a été insuffisamment préparée. Au motif que l'Urssaf recouvrait déjà les cotisations familiales et la CSG des travailleurs indépendants, on n'a pas vu que l'Acoss et les différentes caisses concernées traitaient leurs fichiers très différemment, ce qui a entraîné de nombreuses erreurs dans les appels à cotisations.
M. Guy Piolé, conseiller maître à la Cour des comptes. - L'an passé, nous n'avions pas audité le système d'information de l'Acoss et des incertitudes sont apparues cette année face aux différences du traitement des contentieux entre les différents organismes. De fait, le partage entre l'Acoss et le régime social des indépendants doit être clarifié.
M. Alain Vasselle, rapporteur général. - J'ai trois autres questions.
Sur les contrôles en matière de rétrocession des médicaments, d'abord. Lors du stage que j'ai effectué au CHU de Lille - qui m'est apparu remarquablement géré, exemplaire -, j'ai constaté que l'assurance maladie contrôlait les rétrocessions de médicaments en examinant un simple échantillon sur une période de six mois, pour en extrapoler les résultats sur deux ans. Cette méthode apparaît assez contestable tout comme la proposition de « négociation amiable » faite par la CPAM au CHU de Lille : qu'en pensez-vous ?
Vous avez suggéré de limiter à 30 milliards le plafond de trésorerie de l'Acoss ; or, le président de cet organisme estime qu'un tel plafond serait trop rigide et qu'il compliquerait le travail de l'agence. La commission des affaires sociales est plutôt favorable à un tel plafond, pour que le Gouvernement ne laisse pas filer le déficit, mais nous ne sommes pas insensibles à cet argument. Qu'en pensez-vous ? Si un tel plafond compliquait les choses, faudrait-il le relever ? On a vu qu'un épisode de grippe pouvait avoir un impact sur les dépenses...
Troisième question : après quelques mois d'application, que diriez-vous de la loi HPST ? On en attend beaucoup pour la maîtrise des dépenses : la loi vous paraît-elle commencer à remplir cette mission ?
M. Didier Migaud, Premier président. - Nous n'avons pas audité la méthode de sondage pratiquée par la Cnam pour contrôler les rétrocessions de médicaments, mais elle est classique.
Le plafond d'avance, par définition, sert à la trésorerie en cours d'année. Le porter à 30 milliards, c'est déjà considérable et il ne me paraîtrait pas raisonnable de l'élever davantage. Car au-delà de 30 milliards, on serait face à des problèmes qu'on ne saurait gérer par des avances de trésorerie.
Après quelques mois, il est trop tôt pour mesurer l'effet de la loi HPST. Les agences régionales de santé se mettent tout juste en place. Nous souhaitons que cette loi accélère les restructurations, qu'elle améliore la répartition de l'offre de soins. Nous aurons davantage d'éléments lors de la présentation de notre rapport annuel sur la loi de financement de la sécurité sociale à l'automne.
Mme Isabelle Debré. - Le déficit de la branche maladie est passé de 4,4 milliards à 10 milliards : connaissez-vous la part des arrêts maladie dans cette progression ?
M. François Autain. - Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour la clarté de votre exposé : nous comprenons que les comptes se dégradent, et nous savons aussi, même si vous ne le dites pas, que la dégradation va se poursuivre dans les années à venir.
La rétrocession de médicaments est évoquée, mais pas la liste des « médicaments en sus », médicaments qui ne sont pas intégrés à la T2A et qui pèsent aussi. Cette liste en sus augmenterait de 15 %, un rythme très supérieur à celui des dépenses hospitalières. La loi de financement de 2008 a donné des pouvoirs au directeur d'hôpital pour limiter la progression de cette liste en sus : savez-vous si ce dispositif est efficace ?
Par ailleurs, notre commission a saisi la Cour des comptes d'une demande d'enquête pour évaluer le coût de la grippe H1N1 : où en êtes-vous de vos investigations ? Le Gouvernement a déjà fait l'exercice, même s'il a varié sur le résultat : il a d'abord évoqué un coût de vaccination de 600 millions, puis, il y a deux semaines, de 500 millions, ce qui fixe le prix de chaque injection de vaccin à 100 euros, très au-dessus de ce qu'elle aurait coûté si elle avait été faite par les médecins généralistes.
Mme Muguette Dini, présidente. - Nous avons effectivement demandé à la Cour des comptes l'établissement de cette évaluation dès le mois de décembre dernier et ce travail devrait nous être remis à la rentrée de septembre.
M. Jacky Le Menn. - La Cour des comptes constate des erreurs de la Cnav dans le calcul des pensions, ce qui peut se comprendre quand on sait combien les réformes ont compliqué les régimes, et vous soulignez que des erreurs viennent des informations qui sont transmises par les employeurs. Des erreurs sont-elles récurrentes, ce qui les ferait paraître délibérées ?
Mme Marie-Thérèse Hermange. - La Cour des comptes est-elle en mesure d'évaluer le coût des pathologies liées aux addictions ? Il semblerait que les dispositifs d'alerte de la sécurité sociale ne fonctionnent pas pour certains produits de substitution aux drogues. Lorsqu'un patient achète un médicament en pharmacie sur présentation d'une ordonnance, l'achat est enregistré et peut faire l'objet d'une alerte auprès de la caisse locale s'il est répété. Mais dans certains cas, cette alerte ne fonctionne pas : on peut par exemple se procurer du Subutex dix fois dans une même journée, sans que la caisse n'en soit alertée. Quelles actions peut-on envisager ?
Mme Raymonde Le Texier. - Merci, monsieur le Premier président, pour votre exposé clair, mais je crains que l'ambiance feutrée de notre commission ne nous fasse perdre de vue, par habitude, la démesure des chiffres que vous citez. Le déficit de la sécurité sociale a doublé entre 2008 et 2009, vous dites accompagner les caisses pour les aider à maîtriser les dépenses et pour parvenir à certifier leurs comptes sans réserve : pouvez-vous nous en dire davantage sur cet accompagnement ?
Le déficit est dû pour 60 % à la branche maladie : connaissez-vous la part de l'hôpital et des pathologies lourdes dans ces chiffres ?
M. Gilbert Barbier. - On constate une augmentation forte des dépenses liées aux affections de longue durée (ALD) : avez-vous les moyens de contrôler ces dépenses et le respect des ordonnanciers bizones ? Qu'en est-il également de la forte augmentation des dépenses liées aux maladies professionnelles et aux accidents du travail ?
M. René Teulade. - Quelle est la proportion de médicaments génériques dans les prescriptions ? Quelles sont les économies réalisées grâce aux génériques ?
M. Alain Gournac. - Le rapporteur général a évoqué les bonnes pratiques et cité l'exemple de l'hôpital de Lille. Est-il de votre responsabilité d'attirer l'attention sur les bonnes pratiques de gestion, afin de les diffuser plus largement ?
M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Nous avons auditionné le directeur général de la Cnam, Frédéric Van Roekeghem : il nous a présenté l'état des comptes et mis en évidence les dépenses d'assurance maladie qui dérapent. J'ai demandé quelles économies nous pouvions attendre en regard. La crise a eu un « effet masse salariale » désastreux sur le budget de la sécurité sociale, mais des économies doivent être possibles, dans la médecine de ville et à l'hôpital. La Cour des comptes peut-elle les chiffrer ? Dans le cas contraire, qui peut le faire ?
M. Didier Migaud, Premier président. - Les indemnités journalières au titre de la maladie représentent 8,8 milliards d'euros sur 175 milliards, soit 5 %. Elles sont en augmentation sensible, de 4,6 %, en 2009.
J'indique à François Autain, au sujet de la liste en sus, que des mesures ont été prises : la Cour des comptes avait mené une enquête il y a trois ans ; un nouvel examen aujourd'hui, trois ans après les observations formulées, serait justifié. Sur la grippe H1N1, nous répondrons à votre demande ; notre rapport est toujours à l'instruction, il sera soumis à la contradiction et à un examen collégial, selon l'usage, et remis fin septembre ; j'aurai l'occasion de revenir devant vous pour le présenter et nous pourrons en reparler.
Il reste des difficultés sur la branche retraite. Nous n'avons pas d'informations sur la concentration des erreurs de calcul : nous avons demandé à la Cnav de se pencher sur le problème. Nos réserves visaient, précisément, à obtenir cette information. Notre conception de la certification peut se décrire en un terme : accompagnement. Il n'existe pas de mur entre nous et nos interlocuteurs, le dialogue est permanent, notre démarche est constructive et positive. Le but est d'améliorer toujours la transparence, la fiabilité des comptes, la gestion.
Marie-Thérèse Hermange s'interroge sur le coût des addictions pour la sécurité sociale. Nous en traiterons dans le prochain rapport annuel de la Cour sur la loi de financement de la sécurité sociale. Nous devrions pouvoir citer un exemple de lutte contre la fraude au Subutex.
J'indique à Raymonde Le Texier que nous avons levé de multiples réserves sur la branche famille parce que nous avons obtenu des réponses à nos demandes. Il faut admettre que modifier les systèmes d'information est long et difficile. Des engagements ont été pris, les premiers éléments concrets sont apparus, ce qui a permis d'accorder une certification, même avec réserves car là est la frontière. Nous avons donc moins d'observations à formuler cette année. La Cour est là pour signaler les réponses insuffisantes et les dysfonctionnements, mais lorsqu'elle constate des améliorations, elle tient aussi à les saluer et à reconnaître ceux qui font un très bon travail pour plus de transparence.
La délivrance des médicaments génériques progresse en France mais demeure inférieure à la moyenne européenne, 35 % contre 40 % environ, malgré des incitations fortes. Dans certains pays, on rembourse les médicaments sur la base du prix du générique. Ce n'est pas encore le cas dans notre pays. Quoi qu'il en soit, il y a là une source d'économies.
M. François Autain. - Pas seulement à l'hôpital...
M. Didier Migaud, Premier président. - Les sommes s'additionnent ! S'agissant des ALD, la caisse nationale effectue des contrôles. Il faudrait une évaluation en amont, ai-je entendu. Mais cela ne relève plus de la certification... La lutte contre la fraude pourrait être traitée dans le prochain rapport annuel.
Nous avons chiffré les propositions de réforme que nous avons formulées dans nos diverses recommandations. Des mesures de redressement immédiates, et des mesures continues et soutenues, autrement dit des réformes de fond, sont en effet nécessaires. Tout ce qui n'est pas financé par des recettes l'est par l'emprunt. Or, au-delà d'un certain montant de dette, on commence à perdre sa souveraineté et son indépendance. J'ajoute que la loi organique fait obligation à la sécurité sociale de présenter des comptes à l'équilibre.
Mme Raymonde Le Texier. - Les petits ruisseaux font les grandes rivières : a-t-on procédé à des simulations pour connaître l'effet potentiel d'une extension des génériques ?
M. Didier Migaud, Premier président. - Non. Certains chiffres circulent. On pourrait évaluer les économies à attendre d'un remboursement au prix du générique. Mais ce n'est pas simple. La Cour a fait des recommandations qui montrent qu'il serait possible de mener une action positive.
Situation des finances sociales - Examen du rapport d'information
La commission procède à l'examen du rapport d'information de M. Alain Vasselle, rapporteur général, sur la situation des finances sociales, en prévision de la tenue du débat d'orientation sur les finances publiques.
M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Le débat d'orientation des finances publiques peut parfois donner l'impression d'un exercice rituel sans grande portée, mais il prend place cette année dans un contexte particulier.
En 2008 et 2009, la France a connu une récession économique particulièrement forte qui a dégradé considérablement les comptes publics, notamment les comptes sociaux. L'an dernier à la même époque, puis lors de l'examen du projet de loi de financement, le Gouvernement rendait la crise responsable de la plus grande partie des déficits et indiquait que la résorption de ceux-ci passerait d'abord par la reprise de la croissance. Un an plus tard, la reprise demeure très incertaine et on constate que les déficits conjoncturels provoqués par la crise sont en train de devenir structurels. A cet égard, le précédent du début des années 2000 est très éclairant. En 2002, le déficit du régime général de la sécurité sociale était limité à 3,5 milliards d'euros. La France a alors subi un ralentissement économique qui a porté le déficit à 10 milliards environ, niveau auquel il s'est stabilisé entre 2003 et 2008. Ce qui menace aujourd'hui, c'est une stabilisation du déficit à 20 ou 25 milliards. Une telle évolution est absolument insoutenable à moyen terme.
Quelle est la situation des comptes sociaux en 2009 et 2010 ? En 2009, le déficit de la sécurité sociale s'est élevé, pour l'ensemble des régimes de base, à 20,3 milliards d'euros, soit un quasi-doublement par rapport à l'année précédente. Toutes les branches ont été affectées par cette situation. En particulier, la branche maladie, dont le déficit avait été ramené de 8 milliards à 4,4 milliards en trois ans, a vu son déséquilibre atteindre 10,6 milliards.
Alors que les recettes de la sécurité sociale croissaient fortement auparavant, elles ont diminué en 2009. Les dépenses ont connu une croissance encore dynamique, qui s'est établie, comme en 2008, à 4,2 %. Les dépenses maladie du champ de l'Ondam ont progressé de 3,7 % par rapport à 2008, compte tenu d'un dépassement de 740 millions de l'objectif initial. Un fort dérapage a en effet été constaté en fin d'année sur les établissements de santé, en raison d'un volume d'actes plus important que prévu, de la nouvelle tarification mise en place en mars 2009 et de l'épisode grippal de fin d'année.
En revanche, l'augmentation des prestations de retraites servies par la Cnav s'est infléchie en 2009, du fait de la diminution du nombre de départs en retraite anticipée, passé d'environ 100 000 en 2008 à 25 000 en 2009. La baisse de ces départs est liée à l'allongement de la durée d'assurance requise, en application de la loi de 2003, et aux restrictions apportées aux régularisations de cotisations arriérées.
Les prestations familiales ont crû en 2009 à un rythme légèrement supérieur à celui de 2008, soit de 3,3 %.
Selon les dernières prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale, le déficit du régime général atteindrait, en 2010, 26,8 milliards d'euros et concernerait à nouveau toutes les branches, la branche maladie demeurant la plus déséquilibrée. Les recettes progresseraient faiblement, tandis que les dépenses continueraient à augmenter à un rythme proche de celui des années précédentes.
Ainsi, dans son avis du 28 mai 2010, le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie a estimé que l'objectif pour 2010 pourrait être dépassé de 600 millions d'euros en l'absence de mesures correctrices. Le Gouvernement a immédiatement annoncé la mise en oeuvre de mesures destinées à infléchir l'évolution de l'Ondam, notamment un gel de crédits qui seront délégués ultérieurement en fonction de l'évolution des dépenses.
A la fin de l'année 2010, le déficit pourrait atteindre 13,1 milliards pour la branche maladie, 9,3 milliards pour la branche vieillesse, 3,8 milliards pour la branche famille et 0,6 milliard pour la branche AT-MP.
Le fonds de solidarité vieillesse, qui avait connu deux années d'excédent en 2007 et 2008, retrouve des niveaux de déficits considérables. Cette situation s'explique certes par la montée du chômage, qui accroît ses charges, mais aussi par l'amputation des recettes de CSG qu'il a subie en 2009 au profit de la Cades.
La certification des comptes de la sécurité sociale par la Cour des comptes intervient chaque année avant le 30 juin. En 2008, la Cour ne s'était pas estimée en mesure de certifier les comptes des branches famille et vieillesse. Pour 2009, la seule branche à ne pas recevoir la certification est la branche vieillesse. La Cour estime que l'activité de liquidation dans la branche retraite se caractérise par des risques d'erreurs et un contrôle interne encore insuffisant même si elle relève que les données relatives aux périodes assimilées chômage adressées par Pôle emploi ne comportent plus l'erreur systématique identifiée en 2008.
Les comptes de toutes les autres branches ont été certifiés, mais avec des réserves. Pour les comptes de l'Acoss une réserve concerne les comptes cotisants des travailleurs indépendants qui comportent de très nombreuses anomalies depuis la mise en place de l'interlocuteur social unique (Isu). Cette réforme est entrée en vigueur il y a deux ans ; il est temps que les erreurs et anomalies soient corrigées.
Trois sujets essentiels seront au coeur des travaux de la commission des affaires sociales à l'automne : la dette sociale, les retraites et l'assurance maladie.
Sur la dette, la commission avait proposé, lors de l'examen du PLFSS pour 2010, une première reprise de dette de 20 milliards par la Cades accompagnée d'une hausse modérée de la CRDS, compte tenu de l'ampleur des déficits constatés. Le Gouvernement s'était alors opposé à cette proposition mais s'était engagé à réunir, au printemps, une commission de la dette sociale composée de parlementaires afin d'examiner toutes les hypothèses permettant de traiter la dette issue des déficits du régime général et du FSV.
Dans l'attente, l'Acoss a dû porter cette dette en recourant à des ressources non permanentes et son plafond de découvert a été fixé au niveau record de 65 milliards d'euros. Même si ce montant maximum ne devrait pas être atteint, une telle situation ne sera pas tenable une année supplémentaire.
En effet, le plafond des ressources non permanentes de l'Acoss est destiné à couvrir un besoin de trésorerie courant et non un déficit provenant de la divergence entre les dépenses et les recettes de sécurité sociale. La Cour des comptes a proposé dans son dernier rapport que le niveau de ce plafond soit limité à 30 milliards et que le Gouvernement ne puisse plus modifier par décret le seuil fixé par la loi de financement de la sécurité sociale. Cette piste, qui permettrait d'éviter la tentation d'un report des solutions nécessaires, mériterait d'être examinée.
Une reprise de dette par la Cades est désormais obligatoire, puisque les déficits cumulés des années 2009 et 2010 devraient atteindre près de 55 milliards d'euros et si l'on y ajoute les déficits prévus pour 2011, 87 milliards, soit l'équivalent de la totalité de la dette que la Cades a déjà actuellement à rembourser.
Compte tenu des montants en jeu, il apparaît maintenant pratiquement inévitable que la durée de vie de la Cades soit prolongée de quelques années. Mais il importe que cette reprise de dette soit préparée dans des conditions garantissant que la crédibilité du processus de remboursement de la dette sociale demeure aussi forte après la reprise qu'avant.
Il faut notamment qu'elle soit accompagnée de ressources robustes et pérennes. Aujourd'hui, la Cades est financée essentiellement par la CRDS, qui est un impôt lisible et assis sur une assiette très large couvrant l'ensemble des revenus.
Pour reprendre les déficits du régime général et du FSV pour 2009 et 2010, sans allonger la durée de vie de la caisse, il faudrait attribuer à la Cades, 0,47 point de CRDS et porter le taux de celle-ci de 0,5 % à 0,97 %. Le transfert des déficits 2009 à 2011 impliquerait d'en porter le taux à 1,24 %.
Le Gouvernement a déjà annoncé qu'il souhaitait affecter à la Cades les ressources et les actifs du fonds de réserve des retraites pour lui permettre de rembourser les dettes résultant des déficits de l'assurance vieillesse entre 2011 et 2018. Les modalités techniques selon lesquelles le FRR viendra alimenter la Cades ne sont pas encore connues, mais il est certain que cette ressource ne pourra pas permettre le remboursement de l'ensemble des nouvelles dettes sociales puisqu'elle sera dédiée à celles de la seule branche vieillesse. En outre, une partie des actifs du FRR, environ 3 milliards d'euros, ne peut être affectée au remboursement de la dette car elle correspond à la soulte liée à l'adossement du régime des industries électriques et gazières au régime général.
Dans ces conditions, d'autres ressources seront nécessaires pour assurer le financement de la dette sans qu'on sache encore ce qu'elles pourraient être. Une trop grande diversification des ressources de la caisse présenterait néanmoins d'importants inconvénients pour la Cades qui se prévaut auprès des investisseurs et des agences de notation de la simplicité de son financement et de la qualité de la ressource qui lui est exclusivement affectée.
Une autre question importante est celle du calendrier de la future reprise de dette. L'opération à venir présente une certaine complexité, dès lors que les éléments qui la déterminent pourraient figurer dans trois ou quatre projets de loi distincts :
- un allongement de la durée de vie de la Cades, quelles que soient les modalités de celui-ci, implique une modification de l'article 4 bis de l'ordonnance de 1996 issu de la loi organique de 2005 et, en conséquence, le dépôt d'un projet de loi organique ;
- le contenu définitif de la future loi portant réforme des retraites permettra seul de déterminer si le transfert des ressources et des actifs du FRR à la Cades est à même de permettre la prise en charge de l'ensemble des déficits de la branche vieillesse et du FSV pour la période 2011-2018 ;
- enfin, le montant de la reprise de dette, ainsi que la nature et le niveau des ressources qui l'accompagnent ont vocation à figurer dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, voire le projet de loi de finances pour 2011.
Dans ces conditions, il est impératif que la commission des affaires sociales puisse disposer de la totalité des informations et éléments chiffrés relatifs à cette reprise de dette à venir et aux recettes prévues dès la présentation du premier des textes qui sera soumis à son examen.
En l'absence de telles informations, le Sénat ne pourrait se prononcer de manière convenablement éclairée sur une opération dont les conditions de réalisation démontreront le degré de volonté des pouvoirs publics d'éteindre, dans des délais raisonnables, la dette sociale.
Sur les retraites, la Mecss a travaillé pendant plusieurs mois et a formulé des orientations très complètes sur les évolutions souhaitables du système. Elle a jugé nécessaire que tous les paramètres disponibles puissent être expertisés pour endiguer les déficits de l'assurance vieillesse devenus insoutenables. L'allongement de la durée d'activité est un élément essentiel de ce rétablissement financier et la mission a estimé possible d'augmenter l'âge légal de départ en retraite à condition de prendre en compte la pénibilité et de conduire une politique active en faveur de l'emploi des seniors. La Mecss a également identifié de nombreuses pistes susceptibles d'apporter aux régimes de retraite des recettes supplémentaires qui seront indispensables au cours des années à venir. Elle a souhaité que politique de l'emploi et retraites soient des sujets traités conjointement. La pénibilité doit évidemment être prise en compte par une amélioration des conditions de travail, mais une compensation individualisée au titre de la retraite mérite d'être étudiée pour les personnes exposées à des facteurs de pénibilité dans le passé. La politique en faveur de l'emploi des seniors doit être intensifiée et il convient de vérifier que les préretraites ne sont pas en voie d'être remplacées par d'autres dispositifs tels que la rupture conventionnelle pour les écarter du marché du travail.
La Mecss a surtout souhaité que puisse être mise à l'étude une véritable réforme structurelle du système de retraite, qui permettrait de le rendre plus lisible, plus simple et surtout plus équitable. L'harmonisation progressive des paramètres et règles de calcul entre régimes, le rapprochement des gouvernances et le renforcement du droit à l'information des assurés font partie des pistes évoquées par la mission, de même que l'organisation d'un large débat national qui permettrait d'envisager le passage progressif à un système par points dans les régimes de base.
Depuis la publication du rapport de la Mecss, le Gouvernement a présenté son projet de réforme, qui repose sur un allongement de la durée d'activité par le relèvement progressif de l'âge légal de départ en retraite et prévoit des mesures d'accroissement des recettes, ainsi que des dispositions relatives à la pénibilité, au rapprochement des règles applicables dans le public et le privé et aux dispositifs de solidarité.
Comme pour l'opération de reprise de dette en cours de préparation, les mesures constituant la réforme des retraites figureront, selon leur nature, soit dans le projet de loi spécifiquement consacré à cette question, soit dans le projet de loi de finances, soit encore dans le projet de loi de financement. Au cours de leur examen, la commission des affaires sociales devra être particulièrement attentive à l'efficacité de la réforme pour résorber les déficits insupportables que connaît l'assurance vieillesse, mais aussi à son équité et à la prise en compte de la nécessité de préparer une modernisation plus profonde du système.
Sur l'assurance maladie, qui n'est pas un chantier moins important que les deux précédents, il faut d'abord relever le dépassement systématique de l'Ondam. En 2009, les dépenses relevant de l'Ondam ont progressé de 3,7 % alors que l'objectif voté en loi de financement était de 3,3 %. Pour 2010, le comité d'alerte a déjà identifié un risque de dépassement non négligeable qui a conduit le Gouvernement à prendre des mesures immédiates. Le déficit de la branche, supérieur à 10 milliards en 2009, pourrait s'élever à 13 milliards en 2010.
Ces différents chiffres posent la question du pilotage des dépenses d'assurance maladie, qui n'apparaît pas assuré dans de bonnes conditions aujourd'hui. Un groupe de travail présidé par Raoul Briet a travaillé sur cette question et a formulé des propositions importantes. Il a rappelé que si les dépassements d'Ondam sont apparemment faibles (0,7 % en moyenne par an), les masses financières en jeu sont considérables. La somme des dépassements constatés depuis 1997 a en effet atteint 19,4 milliards en euros constants.
Le groupe a donc formulé plusieurs recommandations pour améliorer la construction et la gouvernance de l'Ondam. Il a proposé d'organiser, via le comité d'alerte, une expertise externe, avant le vote de la loi de financement, sur les hypothèses techniques sous-tendant la construction de l'Ondam, d'enrichir l'information du Parlement en étoffant le contenu des documents annexés au projet de loi de financement, de renforcer le caractère pluriannuel de la régulation.
Le groupe de travail a également souhaité la création d'un comité de pilotage de l'Ondam et le renforcement de son suivi statistique et comptable. Il a surtout recommandé d'abaisser progressivement le seuil d'alerte à 0,5 % de l'Ondam, contre 0,75 % actuellement. Pour faciliter le respect de l'objectif, le groupe de travail a préconisé d'instaurer des mécanismes systématiques de mise en réserve en début d'année sur les dotations s'apparentant à des crédits budgétaires.
Lors de la deuxième session de la conférence sur le déficit, le Président de la République a annoncé que toutes les mesures d'économies suggérées par ce rapport seront mises en oeuvre pour respecter l'Ondam de manière systématique, y compris en 2010.
La commission des affaires sociales ne peut que se féliciter de ces évolutions, qui correspondent à ses propres préoccupations. Cependant, certaines des propositions du rapport, comme l'amélioration du suivi infra-annuel de l'Ondam, ne pourront être effectives que si des progrès tangibles sont accomplis dans le suivi des dépenses hospitalières. Par ailleurs, si des dépenses doivent être mises en réserve, il est important que le Parlement soit averti, dès le vote de la loi de financement, de leur nombre et de leur montant et qu'au fur et à mesure des décisions prises sur ces dépenses, il soit tenu au courant.
En ce qui concerne la maîtrise des dépenses d'assurance maladie proprement dite, le rapport Champsaur-Cotis sur la situation des finances publiques et les derniers rapports de la Cour des comptes mettent tous en exergue l'impératif d'un infléchissement de la progression des dépenses de santé, sauf à accepter l'accumulation de déficits qui pourraient rapidement devenir insoutenables.
La Cour est en particulier sévère sur l'insuffisante maîtrise des dépenses sociales. Elle propose, d'une part, de nombreuses mesures à effet rapide pour améliorer la situation, sur le prix du médicament, la baisse de certains tarifs, la réduction du volume des prescriptions , la révision des critères d'entrée en affection de longue durée, une hausse des tickets modérateurs, un déremboursement de certains médicaments, la non-revalorisation de la consultation au-delà de ce qui a été décidé. Les montants laissés à la charge des assurés sociaux devront toutefois rester compatibles avec leurs ressources, pour ne pas remettre en cause l'accès aux soins des plus démunis, ce qui suppose de mieux connaître ces montants et de mettre en place des dispositifs adéquats pour les limiter.
Sur les réformes structurelles à plus long terme, d'autre part, la Cour rappelle la nécessité de remédier aux défauts d'organisation de la médecine de ville et à l'inadaptation du parcours de soins à une médecine atomisée, ainsi qu'à l'insuffisante détermination dans la conduite des politiques hospitalières, qu'il s'agisse des restructurations ou de la politique d'investissement. Les gains pouvant être tirés d'une meilleure organisation interne aux établissements, dans les différents services ou pôles, lui semblent importants. Les efforts déployés par les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) devront donc être amplifiés par les agences régionales de santé (ARS), qu'il s'agisse de l'optimisation de l'offre, de la responsabilisation des gestionnaires, de l'organisation des établissements ou du pilotage des investissements. Les ARS devront être particulièrement attentives à la mise en oeuvre des nouveaux outils prévus par la loi de 2009, notamment les possibilités offertes aux établissements de développer leurs coopérations.
Face à ces nombreuses propositions, le rapport préparatoire au débat d'orientation établi par le Gouvernement demeure trop vague puisqu'il mentionne seulement la poursuite des efforts engagés dans le cadre de la loi HPST, la fixation d'un objectif de progression de l'Ondam de 2,9 % en 2011 et 2,8 % en 2012, enfin le renforcement de l'efficience du système de soins. Certaines orientations intéressantes sont cependant évoquées, en particulier le développement de la chirurgie ambulatoire, la promotion d'organisation de soins au plus proche de la vie et du domicile des patients, la diversification des modes d'exercice des professionnels ou la diffusion du contrat d'amélioration des pratiques individuelles, le Capi. Toutes ces pistes demeurent cependant floues.
Il conviendrait en réalité de fixer des objectifs chiffrés et précis pour chacune des mesures énoncées. Par exemple, pour les soins de ville, un nombre cible de signatures de Capi devrait être déterminé pour chaque année, les nouveaux modes de rémunération envisagés devraient être décrits et des objectifs quantifiés d'expérimentation définis, le nombre et la nature des nouveaux référentiels basés sur des recommandations de la HAS devraient être annoncés.
Pour l'hôpital, des objectifs très précis devraient être définis, par exemple pour le développement de la chirurgie ambulatoire. Plusieurs rapports récents, et dernièrement encore la commission des comptes de la sécurité sociale dans son rapport du mois de juin, ont en effet mis en exergue le retard de la France en cette matière et le fort potentiel de développement de cette pratique dans notre pays.
Sur le plan de la gestion des hôpitaux, il est devenu impératif de fixer une date obligatoire sous peine de sanction pour la mise en oeuvre dans chaque établissement d'une comptabilité analytique qui en soit véritablement une. Le temps des circulaires et des incantations est désormais dépassé.
Dans un autre ordre d'idées, la prise en charge des pathologies cardio-vasculaires, qui représente la première source de dépenses pour l'assurance maladie, soit 35 milliards d'euros en 2008, et l'un des éléments les plus dynamiques de la dépense, mériterait d'être entièrement revue : quel partage entre les ALD et les non-ALD, quelles recommandations et aides à la prescription, quels référentiels, quelles mesures de prévention ?
La connaissance s'est beaucoup accrue au cours des dernières années sur les différents éléments de la dépense. Les écarts entre professionnels et établissements sont importants. Il est possible de les corriger de manière à améliorer l'efficience du système et sa qualité aussi. Bien souvent d'ailleurs, on constate que les établissements les plus performants en termes de gestion sont aussi ceux où la qualité est la meilleure. Il est donc essentiel de créer cette dynamique en mettant un terme à la trop grande inertie observée au cours des dernières années.
Le projet de loi de financement pour 2011 devra contenir des mesures allant dans ce sens. Le contexte économique et financier rend plus que jamais indispensable de s'engager dans cette voie.
M. François Autain. - Les mesures proposées pour réduire le déficit des années passées ne me semblent pas les bonnes. Notre système souffre d'un cruel besoin de financement. Sans doute faut-il veiller à ce que les dépenses médicales ne croissent pas exagérément et s'assurer qu'elles apportent de réelles améliorations en matière de santé, mais je ne puis souscrire à une augmentation de la reprise de la dette par la Cades, dont on allongerait la durée de vie. Il n'est pas normal de reporter des déficits liés aux dépenses actuelles de soins sur les générations futures.
Ce qu'il faut, c'est augmenter les ressources dont bénéficient la protection sociale et l'assurance maladie. La CRDS en est une, mais d'autres pourraient être dégagées, en mettant à contribution les grandes fortunes et les patrimoines.
En matière de dépenses, on a tort de stigmatiser les ALD et l'hôpital. Il est paradoxal de s'étonner que ce soient les malades qui consomment le plus ! Un système fondé sur la solidarité veut que les bien-portants payent pour les malades, sauf à opérer un tri entre les assurés, notamment pour les maladies liées au vieillissement, ce qui constituerait une pente dangereuse vers un système assurantiel.
Les dépenses hospitalières comportent des dépenses de personnel mais aussi de médicaments, lesquelles, représentant près de 25 milliards par an, restent très mal identifiées. Explorer la voie d'une réduction de ces dépenses, à l'instar de ce qu'a fait l'Espagne en décidant autoritairement une baisse des prix de 5 %, me paraîtrait de bonne politique. Il serait bon, également, d'éviter les autorisations de mise sur le marché de médicaments qui n'apportent aucune amélioration. La commission de la transparence, récemment appelée à examiner un produit des laboratoires Sanofi-Aventis, le Multaq, censé agir sur la fibrillation auriculaire, n'avait proposé qu'un remboursement à 35 % faute d'efficacité nouvelle. Or, cette société a mystérieusement obtenu un réexamen et, in fine, un remboursement à 65 % ! Il faut savoir que 90 % des médicaments mis sur le marché sont classés au niveau cinq pour le service médical rendu : autrement dit, ils n'apportent aucune amélioration par rapport à l'existant. J'ai demandé à plusieurs reprises au comité économique des produits de santé, le Ceps, quelles économies étaient réalisées grâce à ce système d'autorisation, sans jamais obtenir de réponse...
Mme Sylvie Desmarescaux. - Je salue le travail de notre rapporteur général mais j'ai le sentiment que nous sommes dans la même situation que l'an passé, en pire. Je ne mâcherai pas mes mots. La commission de la dette sociale, réunie dans la précipitation, a été décevante. Nous avons eu le sentiment de nous y trouver pieds et poings liés.
L'an dernier, la proposition de notre commission, qui tendait à augmenter la CRDS, n'a pas été retenue. Or, nous savons tous que la Cades a besoin d'un nouveau souffle, donc de nouvelles ressources. On ne cesse de déplorer l'augmentation des déficits de l'assurance maladie, mais j'ai le sentiment que l'on ne recherche pas les moyens pérennes de les réduire par des mesures qui ne pénalisent pas les plus démunis. Celles que l'on a prises jusqu'ici sont, du reste, insuffisantes. En avez-vous d'autres à proposer, monsieur le rapporteur général ? Et peut-on espérer être écoutés par le Gouvernement ? Sans de vraies mesures structurelles, les choses n'iront que de mal en pis.
M. François Autain. - Je crains que ce ne soit encore le cas l'an prochain.
M. Dominique Leclerc. - Merci à notre rapporteur général pour son discours de vérité. Nous pouvons doubler le taux de la CRDS, mais si le niveau des déficits reste le même, il nous faudra le doubler tous les cinq ans... De même que pour les retraites, nous avons conclu, au sein de la Mecss, que jouer sur quelques paramètres est insuffisant et qu'une réforme structurelle est nécessaire, de même il faudra trouver un consensus pour aller, sur cette question des déficits, vers autre chose qu'un replâtrage annuel, qui inquiète, à juste titre, nos concitoyens. Le rendez-vous sur les retraites doit être l'occasion d'engager un processus débouchant sur une vraie solidarité, pour assurer aux plus âgés ce qu'ils sont en droit d'attendre.
Les propositions que vous avez faites, dans votre présentation, pour réduire le déficit de l'assurance maladie sont toutes pertinentes. L'est au premier chef celle qui concerne les ALD, où de nombreux abus existent. Or, aucun laxisme, dans le contexte que nous connaissons, ne saurait plus être toléré. La généralisation du tiers payant a déresponsabilisé les patients ; quant à l'hospitalisation à domicile systématique, on sait qu'elle peut être préjudiciable aux grands malades et à leurs familles, en même temps qu'elle détériore les comptes de la sécurité sociale. Sortons, sur ces questions, de l'idéologie !
En matière de gouvernance, l'hôpital a encore des progrès à faire. Les missions des ARS doivent se mettre en place, dans le double souci des patients et des comptes sociaux. J'espère que la Cour des comptes dressera un bilan du plan hôpital 2007 : les investissements ont été faits sans cohérence et au détriment d'une bonne gestion des deniers publics.
Je me félicite de la clairvoyance renouvelée de notre rapporteur général car il reste beaucoup à faire.
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Puisse-t-il être suivi ! A mon tour de le remercier de son constant engagement. J'aurais cependant souhaité qu'il insiste davantage, dans sa présentation, sur les réformes structurelles à mettre en place pour l'assurance maladie, tant en matière de médecine de ville que de médecine hospitalière. En ce dernier domaine, je m'étonne de voir sans cesse augmenter le personnel non médical de l'AP-HP. J'ai également constaté que deux grands hôpitaux parisiens engageaient des investissements lourds qui ne vont pas toujours dans le bon sens. Je pense, notamment, au regroupement des Bleuets avec Trousseau, qui a donné lieu à la construction d'une maternité, avant que l'on ne parle de transférer les services de pédiatrie à Necker: il est évident que cette maternité ne survivra pas. Il faut une vision à long terme.
Il faudrait également développer la chirurgie ambulatoire. On occulte trop souvent le collectif pour s'en prendre à l'individuel, plus facile à cibler. Pourtant, sur cette question de la chirurgie ambulatoire, sur laquelle les acteurs se renvoient la balle pour ne pas réformer, le problème est le même que celui que l'on rencontre dans la branche famille : le choix idéologique du « tout collectif » coûte plus cher qu'une politique efficace et de prise en charge de l'enfance aux niveaux collectif et individuel.
J'insiste, au total, sur la nécessité de conduire des réformes structurelles.
M. Yves Daudigny. - Merci à notre rapporteur général pour la clarté de son discours. Faudra-t-il donc nous habituer à ces chiffres vertigineux ? L'an dernier, nous étions tous d'accord sur la nécessité d'une majoration des ressources : l'amendement présenté en ce sens par la commission aurait dû être adopté. Nous aurions dû nous montrer plus pugnaces...
Les objectifs de meilleure efficience en matière de santé suffiront-ils à nous faire renouer avec l'équilibre ? Ne faudrait-il pas affecter de nouvelles ressources pour éviter un perpétuel replâtrage ?
Par ailleurs, quelle est l'indépendance réelle des pouvoirs publics face aux grands laboratoires ?
Mme Christiane Demontès. - Comme les années précédentes, votre rapport est sans concession, mais je crains qu'il ne reste aussi, hélas, sans conséquences. Il semble que vos propositions soient toujours renvoyées à plus tard par ce Gouvernement.
Ainsi que l'ont rappelé Dominique Leclerc et Yves Daudigny, il faut faire la part entre le court terme et le long terme. On n'échappera pas à la nécessité d'une remise à plat du système de retraite comme du système de protection sociale dans son ensemble. Pour autant, des mesures à court terme peuvent être envisagées. La fuite en avant sur les médicaments doit cesser. Les questions du générique et du conditionnement sont essentielles : que de gâchis chaque année !
On peut être vigilant sur les dépenses sans mettre en cause la qualité du système. Les professionnels de santé et les patients doivent comprendre la nécessité de changer les comportements. Alors que ceux qui ont le plus besoin de soins tardent à se faire soigner, on dépense beaucoup trop pour des soins de confort.
En ce qui concerne la recherche de recettes nouvelles, nous avons vu à propos des retraites, et les experts nous l'ont dit à demi-mot, que le dispositif de la loi Tepa est extrêmement onéreux. Le coût des heures supplémentaires défiscalisées et exonérées de cotisations est loin d'être anecdotique. Même chose pour le bouclier fiscal, véritablement indécent dans le contexte actuel.
M. Jacky Le Menn. - Notre rapporteur général a bien du mérite. Car année après année, son exercice de haute voltige ne donne finalement lieu qu'à un simple replâtrage : plus dure sera la chute...
J'ai siégé à la commission de la dette : on a le sentiment de servir de caution à des décisions déjà prises. Le plafond des ressources permanentes de l'Acoss destiné, ainsi que l'a rappelé la Cour des comptes, à ne couvrir que des besoins de trésorerie aurait dû être limité. Mais on nous accusait alors d'irréalisme ! Et, alors que la Mecss recommandait la sanctuarisation du FRR, il est mis à contribution dans l'affolement. Il n'est pas inutile de rappeler que son montant n'est pas totalement disponible, à cause de la soulte des industries électriques et gazières.
On avance sous la pression de l'urgence, en laissant tomber les mesures de long terme. Ce n'est pas une bonne chose. Le Gouvernement nous parle d'une réduction de la progression de l'Ondam de 0,1 % par an au cours des deux années à venir. Mais il serait plus utile de chercher à expliquer le dépassement de 600 millions cette année. Aucune comptabilité analytique sérieuse n'existe dans les hôpitaux. La direction générale de l'offre de soins mène des travaux sur les groupes homogènes de séjour, mais on est incapable de mesurer les coûts pour fixer les tarifs, faute d'une comptabilité analytique performante.
La loi HPST a surchargé de compétences les ARS. Il faudra analyser le champ énorme des compétences qui leur sont conférées : gestion du risque, planification... Il est clair qu'à ce compte, elles ne peuvent que tirer le diable par la queue.
Merci, néanmoins, à notre rapporteur général de ne pas baisser les bras.
M. René Teulade. - Nous soutiendrons les propositions lucides du rapporteur général, mais sans illusion. Car pour qu'elles soient suivies d'effet, il faudrait une volonté politique, qui aille au-delà des seules considérations budgétaires.
Nous avons à faire des propositions sur les dépenses et sur les recettes. Côté dépenses, gardons-nous de la facilité consistant à croire qu'il suffirait d'augmenter le ticket modérateur pour faire diminuer les dépenses : les études ne démontrent pas de relation directe, alors qu'elles constatent toutes que l'augmentation du ticket modérateur fragilise davantage les plus vulnérables. Méfions-nous également de certaines idées qui ont cours dans l'opinion publique comme proposer un système d'assurance avec des bonus et malus, selon que vous êtes bien-portant ou malade ; on comprend que des jeunes en bonne santé puissent être séduits mais c'est dangereux ! Côté recettes, je crois aussi qu'on n'échappera pas à une augmentation des cotisations et à une réforme de la fiscalité.
Enfin, je n'oublie pas que nous avons mis plus de dix ans, dans les années 60 et 70, pour introduire les génériques dans notre pays : c'est que le lobby des laboratoires pharmaceutiques s'y opposait farouchement et que les pharmaciens n'étaient pas du tout d'accord. Aussi, je suis favorable aux mesures qui responsabilisent tous les acteurs.
Nous devons donc nous battre, politiquement, pour que les recommandations de notre rapporteur général soient suivies de conséquences.
M. Claude Jeannerot. - Sans être un spécialiste des comptes sociaux, j'ai le sentiment que la dette sociale est le problème central : dès lors, quand le chômage augmente, comment mobiliser des ressources robustes et pérennes ? N'est-ce pas la quadrature du cercle ?
M. Alain Vasselle, rapporteur général. - François Autain, parmi ses remarques habituelles sur les comptes sociaux, ne partage pas notre objectif de maîtriser la dette sociale. Je réaffirme la position de la commission : nous avons clairement proposé une hausse des recettes pour assurer le remboursement de la dette sociale. A titre personnel, je crois que nous n'échapperons pas à la nécessité d'augmenter les recettes de l'assurance maladie. Nous devrons le faire après la réforme des retraites, qui devrait ramener la branche vieillesse à l'équilibre. On nous dit que celui-ci sera rétabli en 2018, mais qu'adviendra-t-il ensuite ? Le papy-boom ne sera pas résorbé à cette date, et nous devrions en fait prendre déjà des mesures allant jusqu'en 2030, même sans être capables de chiffrer précisément la situation que nous connaîtrons alors. C'est une affaire de précaution, car le FRR sera utilisé bien plus tôt que prévu, compte tenu de l'aggravation des déficits liée à la crise.
Cependant, avant d'augmenter les recettes, sommes-nous certains d'être à l'optimum d'efficacité pour les dépenses liées aux soins de ville et à l'hôpital ? Ne dispose-t-on pas encore de marges de manoeuvre à utiliser avant de proposer d'augmenter les prélèvements obligatoires ?
M. François Autain. - Il faut faire les deux parallèlement.
M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Le véritable choix politique doit consister à préserver la solidarité, en particulier celle entre les générations. Faut-il aller vers un système plus individualisé, qui tienne mieux compte de la situation actuelle ? On ne le décidera pas en trois jours, et c'est bien d'une réflexion approfondie dont nous avons besoin, qui ouvre sur des réformes structurelles pour l'assurance maladie, comme pour les retraites. Un amendement apporté au projet de loi de financement n'y suffit pas : tous les pays qui ont réformé leur système en profondeur y ont passé une dizaine d'années, ce qui n'a rien à voir avec le fait de trouver des financements conjoncturels.
Le recul du nombre d'actifs, ensuite, même si notre taux de natalité est élevé, posera des problèmes à la branche maladie, comme à la branche vieillesse, car la solidarité consiste ici aussi à couvrir les dépenses des malades, souvent âgés, par les cotisations des actifs.
Les réformes structurelles, que nous appelons de nos voeux, exigent donc une réflexion approfondie et lucide. L'augmentation de la CRDS est-elle une solution ? Ou bien faut-il taxer davantage les revenus du patrimoine ? La grande fortune ? Ces pistes apporteraient des recettes utiles à l'affichage d'une volonté d'équité, mais sans commune mesure avec les besoins de financement.
M. François Autain. - C'est vrai.
M. Alain Vasselle, rapporteur général. - C'est bien pourquoi un effort supplémentaire du plus grand nombre sera nécessaire.
S'agissant de l'hôpital et des ARS, je crois que la Mecss devra en faire son prochain chantier.
M. François Autain. - Encore ! Mais nous n'avons pas arrêté de légiférer sur l'hôpital !
M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Oui, et c'est en conduisant de nombreux contrôles sur pièces et sur place que j'ai pu réaliser que nous n'étions pas allés au fond des choses et qu'il fallait aller plus loin. Cela pose plus largement la question du contrôle parlementaire de l'application des lois que nous votons : nous ne pourrons changer les règles utilement sans mesurer leurs effets pratiques sur le terrain. Les différents rapports sur l'hôpital sont intéressants mais ils restent encore trop peu approfondis, à mon sens, et la Mecss doit y revenir.
Elle devra aussi se saisir de la question du médicament. Cependant, je ne m'avancerai pas aujourd'hui à dire que le lobby des laboratoires pharmaceutiques serait si puissant qu'il expliquerait nos dépenses records en matière de médicaments...
M. François Autain. - Le lobby du médicament existe pourtant bel et bien...
M. René Teulade. - J'aimerais que figure précisément dans notre rapport, pour éclairer l'opinion, le fait que l'assurance maladie est un investissement, non une charge, ce qui n'exclut évidemment pas qu'elle ait un coût...
La commission adopte le rapport d'information et autorise sa publication.
Mercredi 7 juillet 2010
- Présidence de Mme Muguette Dini, présidente -Mission d'information sur le mal-être au travail - Présentation du rapport d'information
La commission entend M. Gérard Dériot, rapporteur, de la mission consacrée au mal-être au travail, sur le rapport qu'elle a adopté.
M. Gérard Dériot. - La commission a constitué, le 28 octobre dernier, une mission d'information sur le mal-être au travail. Au terme de ses travaux, il est d'abord possible d'établir un diagnostic : à l'évidence, le mal-être au travail progresse dans notre pays, même s'il n'est pas une spécificité française. Il touche tous les secteurs d'activité, les employés comme les cadres sans oublier les chefs d'entreprise.
Plus d'un salarié sur cinq se plaint de devoir gérer une charge de travail excessive et 30 % déclarent être victimes d'agressions verbales ou souffrir de conflits de valeurs, c'est-à-dire de l'obligation d'accomplir dans leur travail des choses qu'ils désapprouvent.
De son côté, l'INRS a cherché à évaluer le coût économique du stress et constate également que le phénomène serait en progression. Sa première estimation, en 2002, faisait état d'un coût compris entre 830 millions et 1,6 milliards d'euros. L'actualisation effectuée en 2009 a abouti à un résultat compris, a minima, entre 2 et 3 milliards d'euros.
Les statistiques de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de la sécurité sociale révèlent également, depuis plusieurs années, une augmentation préoccupante du nombre de cas de troubles musculo-squelettiques (TMS), qui sont typiquement des pathologies de surcharge. En ce qui concerne les suicides, la branche ne collecte les données que depuis 2007, ce qui ne permet pas d'avoir beaucoup de recul. Il n'en reste pas moins vrai que c'est la médiatisation des suicides survenus dans de grandes entreprises, comme France Télécom ou Renault, qui a fait de la question du mal-être au travail un véritable problème de société.
Comment expliquer l'ampleur prise par ce phénomène ? Il est, pour partie, la conséquence de la recherche de la performance à tout prix, qui met les salariés sous pression et qui s'accompagne de l'apparition de nouvelles formes de taylorisme.
Cette évolution est particulièrement sensible dans le secteur des services, qui emploie plus des deux tiers des actifs. Il avait été longtemps épargné par cette méthode d'organisation du travail, qui vise à augmenter la productivité en spécialisant les tâches et en éliminant les gestes inutiles : ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui. L'exemple des centres d'appels est, sur ce point, parlant : les salariés doivent suivre un script préétabli, leurs tâches sont répétitives, le respect des procédures est soumis à un contrôle permanent et les salariés se voient généralement assigner des objectifs de rendement élevés.
Par ailleurs, plus de 70 % des salariés sont aujourd'hui au contact du public, soit physiquement soit par téléphone, et cette proportion augmente. Or, cela accroît le risque d'être victime d'agressions ou d'incivilités : les agents publics sont souvent en première ligne, mais c'est également le cas de nombreux salariés du secteur privé.
La recherche de la performance n'est cependant pas nouvelle et elle ne saurait donc expliquer à elle seule le malaise actuel. Un autre élément d'explication est à trouver dans l'isolement croissant des salariés.
Autrefois, le mal-être au travail était pris en charge par des collectifs qui assuraient solidarité et entraide. Or, l'individualisation des rapports de travail, la chasse aux « temps morts », la sous-traitance en cascade, le développement des outils de communication électroniques qui, à la fois, connectent et isolent, pour ne citer que ces principaux facteurs, ont affaibli les collectifs de travail et laissent, trop souvent, les salariés seuls face à leur souffrance. Vécue sur le mode de l'échec individuel, cette souffrance tend à être analysée en termes psychologiques, même lorsqu'elle trouve son origine dans des problèmes très concrets d'organisation ou de management.
Un troisième facteur explicatif réside dans la perte de sens du travail. La souffrance apparaît lorsque les salariés ne comprennent plus les objectifs qui leur sont assignés ou lorsqu'ils ont le sentiment que leur travail n'est pas reconnu à sa juste valeur. La distance croissante entre les dirigeants et leurs subordonnés est source d'incompréhensions : cette distance peut être géographique, dans les grands groupes, mais elle peut résulter aussi d'une méconnaissance, par les managers, des métiers de leurs collaborateurs, ce qui les empêche de fixer des objectifs réalistes et de prendre la mesure des efforts accomplis.
Par ailleurs, il est dans notre culture française de valoriser la satisfaction du travail bien fait : cet aspect subjectif cadre mal avec les méthodes d'évaluation actuelles, d'origine anglo-saxonne, qui apprécient le travail à partir de grilles exhaustives mesurant notamment le « savoir-être ». S'y ajoute, dans le secteur public, une inquiétude spécifique quant à l'avenir des valeurs du service public.
Enfin, deux facteurs aggravent le sentiment de mal-être au travail : le stress des transports et la « double journée » des femmes. En outre, l'attachement des Français à l'idée de carrière, combiné à la peur du chômage, fait que beaucoup de salariés hésitent à quitter leur entreprise quand ils s'y sentent mal, ce qui n'est pas forcément le cas dans d'autres pays étrangers.
Avant de proposer des solutions, il nous faut dresser le bilan des nombreuses initiatives qui ont été prises depuis que le thème du mal-être au travail s'est imposé dans le débat public.
Comme vous le savez, les partenaires sociaux ont conclu, en juillet 2008, un accord sur le stress au travail, puis, en mars 2010, un accord sur le harcèlement et la violence au travail. Ces accords rappellent la responsabilité de l'employeur et formulent des préconisations.
Le Gouvernement a également pris des initiatives. En octobre 2009, l'ancien ministre du travail, Xavier Darcos, a lancé un plan d'urgence pour la prévention du stress au travail. Il a notamment demandé aux 1 500 entreprises employant plus de mille salariés d'ouvrir, avant le 1er février 2010, des négociations sur le stress, afin de décliner l'accord interprofessionnel de 2008.
Le 18 février, trois listes, rouge, orange et verte, ont été rendues publiques : elles classaient les entreprises en fonction de l'état d'avancement de ces négociations. Cette méthode, qui misait sur la pression de l'opinion et des médias pour inciter les entreprises à agir, a été vivement critiquée, à tel point que les listes orange et rouge ont été retirées des pages internet dès le lendemain, d'autant que des erreurs entachaient leur crédibilité. Il ne faut pas y attacher, à mon avis, une importance excessive : il suffit, après tout, pour figurer sur la liste verte, d'avoir conclu un accord mais aucune exigence n'est posée concernant son contenu.
Le ministre Eric Woerth, quand nous l'avons auditionné, nous a donné des indications sur le deuxième plan Santé au travail, qui couvre la période 2010-2014. La prévention des risques psychosociaux est un des axes majeurs de ce plan qui prévoit, notamment, de mettre en place des indicateurs statistiques nationaux, de diffuser des outils d'aide à la prévention, de favoriser la mise en place d'actions d'information et d'outils de diagnostic, de prendre en compte la prévention des risques psychosociaux à l'occasion des processus de restructuration des entreprises et de développer la formation des acteurs de l'entreprise.
En novembre 2009, un accord sur la santé et la sécurité au travail a été signé, pour la première fois, dans la fonction publique. Il prévoit de porter une attention toute particulière aux risques psychosociaux. Un plan national de lutte contre ces risques va être défini et décliné localement.
Enfin, je rappelle que des employeurs, privés ou publics, ont pris des initiatives, en particulier lorsque des drames se sont produits dans certaines de leurs unités. Le rapport présente ainsi, pour donner quelques exemples, les mesures mises en oeuvre par PSA Peugeot Citroën, par Renault, sur le site du Technocentre, et par France Télécom.
J'en arrive aux propositions et recommandations que nous pourrions formuler. Nous devons nous attacher, je pense, à prolonger et conforter les nombreuses actions engagées.
Sur le plan juridique, le code du travail prohibe le harcèlement, sexuel ou moral, et impose déjà à l'employeur de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Cette obligation est formulée en termes très généraux et gagnerait sans doute à être précisée. Nous pourrions, par exemple, ajouter dans le code une disposition qui indiquerait que l'organisation du travail et les méthodes de gestion mises en oeuvre par l'employeur ne doivent pas mettre en danger la sécurité des travailleurs, porter une atteinte sérieuse à leur santé ni compromettre leurs droits et leur dignité. Nous pourrions également mentionner la charge psychosociale du poste de travail parmi les risques que l'employeur a l'obligation d'évaluer, en application de l'article L. 4121-3 du code du travail.
Ces deux compléments ne créeraient pas d'obligations nouvelles à la charge des employeurs en matière de santé et de sécurité mais ils auraient le mérite de préciser les textes et de marquer la volonté du législateur que ces questions fassent l'objet d'une vigilance accrue. Ils auraient aussi une vertu pédagogique, en attirant l'attention des employeurs sur ces risques émergents.
Le rapport formule ensuite des recommandations en matière de management, la première portant sur la formation. Les cadres gagneraient à être mieux formés à la gestion d'équipes et à disposer d'un socle minimum de connaissances sur la relation entre santé et travail. Je signale, à ce sujet, qu'un réseau francophone de formation en santé au travail a été lancé, en septembre 2009, à l'initiative des ministères du travail et de l'enseignement supérieur. Il vise à fédérer les compétences de plusieurs organismes publics, organisations professionnelles, centres de formation et entreprises. Sa première tâche va consister à élaborer un référentiel de compétences en santé au travail, ayant vocation à être diffusé auprès des entreprises et des écoles de management.
La deuxième recommandation consisterait à revenir aux fondamentaux du management, ce qui implique de redonner toute leur place aux comportements individuels, au détriment des procédures préétablies, et de corriger certains excès en matière d'individualisation. Sur ce point, je précise que je suis réservé sur l'intérêt des démarches de certification : elles conduisent trop souvent à contrôler le respect formel d'une norme plutôt que de s'attacher aux effets réels des mesures de prévention engagées.
J'ajoute que, pour inciter les managers à se préoccuper du bien-être des salariés, une part de leur rémunération variable pourrait dépendre d'indicateurs sociaux et de santé au travail.
Enfin, une attention particulière devrait être portée aux très petites entreprises (TPE) et aux PME. Le dialogue social doit jouer ici un rôle essentiel, que ce soit au niveau des branches ou au niveau territorial, afin d'élaborer des plans d'action « clefs en main » dont les entreprise pourraient se saisir.
Le troisième volet de nos propositions porte sur les acteurs de la prévention des risques professionnels.
Je ne m'attarderai pas sur l'Anact, l'INRS et la direction des risques professionnels de la sécurité sociale, dont le travail utile devrait être encore mieux connu et coordonné. Je souhaite dire un mot, en revanche, de la médecine du travail, qui doit être prochainement réformée. Il s'agit d'une institution en crise, à en juger par le peu d'attractivité de cette profession et les doutes récurrents sur son indépendance vis-à-vis des employeurs. Le projet de réforme est critiqué par les médecins du travail qui craignent, notamment, que certaines de leurs attributions ne soient confiées à des généralistes.
Notre commission des affaires sociales aura l'occasion de se prononcer sur cette réforme, qui n'est pas encore connue dans le détail. A ce stade, je propose que la mission défende deux principes essentiels : d'abord, la nécessité de revaloriser la profession de médecin du travail ; ensuite, le renforcement de son indépendance, ce qui pourrait être obtenu par le rattachement des services de santé au travail à une structure paritaire.
Le CHSCT est un autre acteur essentiel de la prévention des risques professionnels. Une négociation est en cours sur une éventuelle réforme des institutions représentatives du personnel et nous devrions donc connaître, dans quelques mois, les propositions des partenaires sociaux sur ce thème. Cela ne nous empêche pas de formuler des suggestions de nature à renforcer et revaloriser les CHSCT : la première serait de procéder à l'élection directe de leurs membres, afin de leur donner plus de légitimité et de provoquer des débats réguliers, dans les entreprises, sur la santé et la sécurité au travail ; la deuxième pourrait consister à renforcer leurs moyens d'action, par exemple en augmentant les délégations horaires des élus ; la troisième serait de mieux former les élus au CHSCT, en particulier sur les nouveaux risques pour la santé psychologique des salariés.
Lorsque les mesures de prévention ont échoué, la détection et l'accompagnement des salariés en souffrance s'avèrent naturellement indispensables. La création de lignes d'écoute dans les entreprises peut être un instrument utile pour faire bénéficier les salariés d'un premier soutien psychologique. Mais la vigilance de tous les acteurs - managers, collègues, élus du personnel, délégués syndicaux - est requise pour repérer les situations de détresse. En dehors de l'entreprise, une sensibilisation des médecins de ville aux liens entre santé et travail serait utile, dans la mesure où les personnes qui souffrent se tournent souvent plus spontanément vers leur médecin traitant que vers leur médecin du travail.
Pour terminer, se pose la question de la réparation des préjudices causés par le stress ou la souffrance au travail. La branche AT-MP de la sécurité sociale indemnise un nombre croissant de victimes de TMS, mais plus rarement les personnes atteintes de maladies psychologiques. Faut-il, dès lors, compléter les tableaux de maladies professionnelles de façon à indemniser plus facilement les victimes de dépression ou d'accidents cardiaques causés par le travail ?
La difficulté réside dans le fait qu'il est quasiment impossible de faire la part entre les facteurs professionnels et les facteurs personnels dans le déclenchement de ces pathologies. Une exception pourrait peut-être toutefois être envisagée : celle du stress post-traumatique consécutif à un accident ou à une agression. Il devrait être assez facile d'établir, dans ce cas, le lien de causalité entre un événement lié au travail et l'apparition de la maladie.
Il est également envisageable d'assouplir les critères devant être remplis pour qu'une maladie professionnelle soit reconnue par la voie de la procédure complémentaire. Actuellement, je vous rappelle qu'il est exigé un taux d'incapacité d'au moins 25 %, ce qui est un pourcentage élevé.
En conclusion, je voudrais souligner que la recherche du bien-être au travail et l'efficacité économique ne sont pas antinomiques ; elles vont, au contraire, de pair puisque des salariés heureux et fiers de leur travail donneront le meilleur d'eux-mêmes. La lutte contre le mal-être au travail est d'autant plus urgente que la perspective d'un allongement de la durée d'activité impose plus que jamais de réduire toutes les formes de pénibilité.
Mme Muguette Dini, présidente. - Je remercie le président et le rapporteur pour ce travail qui reflète avec fidélité ce qui est ressorti des nombreuses auditions organisées par la mission.
M. Claude Jeannerot. - Je partage en tout point le diagnostic établi par le rapporteur. Il serait toutefois intéressant de mettre en parallèle le phénomène du mal-être au travail avec le mal de vivre qui s'exprime dans la vie quotidienne. Les deux sont étroitement liés dans la mesure où la sphère professionnelle n'est pas déconnectée de la sphère privée.
A l'évidence, l'individualisation croissante de nos sociétés est en grande partie responsable du malaise actuel. Les méthodes de management sont sans doute également en cause. A ce sujet, que faut-il entendre par « méthodes d'évaluation anglo-saxonnes » ? Des exemples pourraient-ils être donnés ?
Par ailleurs, la réserve formulée par le rapport à propos des démarches de certification mérite certainement d'être nuancée. En effet, ce ne sont pas les procédures de certification qui sont critiquables en tant que telles, mais l'usage qui en est fait. Dans leur principe, celles-ci demeurent pertinentes puisqu'elles ont vocation à garantir le respect de normes et donc un résultat en termes de service rendu aux usagers.
Sachant que le phénomène du mal-être au travail s'explique aussi par le délitement des collectifs de travail et par la perte d'audience des syndicats, ne pourrait-on pas formuler une recommandation tendant à promouvoir le fait syndical ? Davantage de participation syndicale permettrait sans doute de récréer du lien entre les salariés.
M. André Lardeux. - Le mal-être au travail est révélateur d'une crise de la société : depuis trente-cinq ans, date du premier choc pétrolier, le modèle social français est en crise car il n'a pas su s'adapter aux mutations économiques mondiales. La forte consommation de psychotropes en France - sujet qu'il sera nécessaire d'approfondir un jour - montre combien le malaise est profond.
S'agissant de la proposition visant à compléter et préciser le code du travail, il faut être vigilant à ce qu'une telle mesure ne produise pas d'effets pervers et ne se retourne pas contre les salariés eux-mêmes. La prévention de certains risques qui ne sont pas mentionnés dans le code pourrait en effet être négligée.
Enfin, il faut garder à l'esprit que toutes les recommandations relatives à la médecine du travail et aux CHSCT représentent un coût financier non négligeable, du moins à court terme. En outre, faire prendre en charge par la branche AT-MP les préjudices causés par le stress ou la souffrance au travail n'est guère raisonnable car celle-ci a déjà du mal à assumer ses dépenses actuelles. N'oublions pas que le déficit de la branche est de 600 millions d'euros !
M. Jacky Le Menn. - Le rapport met à juste titre l'accent sur les risques psychosociaux et sur la nécessité de récréer les collectifs de travail. Il est important d'insister sur les valeurs et le sens du travail, notamment dans le service public, ainsi que de rappeler l'existence de facteurs aggravants tels que le stress des transports et la « double journée » des femmes.
La reconnaissance du stress post-traumatique constituerait une réelle avancée : plusieurs des personnes auditionnées ont en effet expliqué que le stress ne s'arrête pas aux portes de l'entreprise, mais qu'il perturbe la vie quotidienne des salariés. Il est également indispensable de revoir la formation initiale des managers. Force est de constater qu'actuellement, la plupart d'entre eux ne connaissent pas suffisamment le métier des personnes qu'ils encadrent.
La revalorisation du métier de médecin du travail est elle aussi indispensable. Il ne s'agit pas seulement de revoir leur niveau de rémunération, mais aussi d'accorder plus de reconnaissance à cette profession et de garantir son indépendance. Quant aux CHSCT, les conforter dans leur action de prévention des risques professionnels est une proposition pertinente.
Toutes ces préconisations sont, certes, un peu coûteuses à court terme, mais en mettant l'accent sur la prévention, elles contribueront, en définitive, à limiter le nombre de salariés victimes de maladies professionnelles et donc les coûts y afférents. Comme l'a très bien dit le rapporteur en conclusion, le bien-être au travail et l'efficacité économique ne sont pas antinomiques, au contraire.
Mme Annie David. - La mission a organisé des auditions nombreuses et variées, au cours desquelles sont intervenus aussi bien des professionnels de santé, que des salariés, des employeurs ou des experts. Le rapport fait parfaitement ressortir la richesse de ces échanges. Il ne s'attarde toutefois pas suffisamment sur le lien entre les restructurations survenues dans certaines entreprises, consécutives à la mondialisation de l'économie, et l'aggravation du phénomène du mal-être au travail. Cependant, j'ai été agréablement surprise par les propositions présentées, en particulier celles relatives à la revalorisation de la médecine du travail et au renforcement du rôle de prévention des CHSCT.
Le sujet du mal-être au travail appelle, par ailleurs, trois remarques :
- l'accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 sur le stress au travail aurait sans doute mérité d'être transposé sur le plan législatif ;
- il est regrettable que les négociations sur la pénibilité n'aient pas abouti et que le dossier soit aujourd'hui au point mort ;
- sur le plan à la fois juridique et symbolique, il est important que le code du travail fasse référence à l'organisation du travail et aux méthodes de gestion comme étant susceptibles de mettre en danger la santé et la sécurité des travailleurs.
M. Yves Daudigny. - Je partage le constat dressé par le rapporteur mais je souhaite avoir des éclairages complémentaires concernant le phénomène du mal-être au travail dans la fonction publique. Certes, les fonctionnaires ne subissent pas, ou très peu, de stress lié à la possibilité de perdre leur emploi, comme c'est le cas pour les salariés du privé, mais ils ne sont pas pour autant à l'abri des risques psychosociaux.
Ainsi, la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et les restructurations qui en découlent pour les services de l'Etat, notamment pour les directions départementales de l'équipement (DDE) et les directions départementales de l'agriculture (DDA), sont à l'origine d'un sentiment de mal-être chez les personnels concernés. Dans la fonction publique territoriale également, le malaise est perceptible, comme en témoigne l'augmentation du nombre d'arrêts maladie. Le stress dans la fonction publique a-t-il des causes spécifiques ou est-il le reflet d'un mal-être plus global de la société ?
Mme Sylvie Desmarescaux. - Je me félicite que des entreprises aient pris des initiatives après la survenance de drames humains mais je regrette qu'il ait fallu en arriver là pour agir. Ne pourrait-on pas intervenir plus en amont pour éviter que de telles situations ne se reproduisent ? En particulier, ne faudrait-il pas mettre en place des actions de prévention en direction des jeunes qui, dès leur entrée sur le marché du travail, sont confrontés au stress professionnel ? A ce sujet, les auditions des représentants des grandes écoles ont été très décevantes, ceux-ci n'ayant apparemment pas pris la mesure du problème ni exprimé de véritable volonté d'agir.
Mme Isabelle Debré. - Comment revaloriser la profession de médecin du travail, les enjeux n'étant pas seulement financiers ? Quelles sont les préconisations du rapporteur en la matière ? Par ailleurs, sait-on si le mal-être au travail est plus perceptible dans les PME-TPE que dans les grands groupes ? Enfin, en tant que représentante du Sénat au conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié (Copiesas), j'ai eu connaissance d'études et de rapports - dont celui de notre collègue Alain Gournac - montrant que les mécanismes de participation et d'intéressement aux résultats de l'entreprise ont un effet positif sur l'ambiance de travail et sur l'implication des salariés. A-t-on pu mesurer ce phénomène et le rapport en fait-il mention ?
Mme Raymonde Le Texier. - Je me réjouis de l'excellente entente qui a régné entre le président et le rapporteur de la mission, preuve qu'il est possible de dépasser les clivages partisans, comme ce fut ainsi le cas lors des travaux de la mission sur les politiques en faveur des jeunes que j'ai présidée.
L'intérêt de ce rapport réside dans le fait qu'il met en lumière des éléments d'explication objectifs et suscite des interrogations. A sa lecture, il apparaît bien que la question du management est centrale lorsqu'on traite du mal-être au travail. Si les cadres dirigeants avaient davantage le respect de l'autre, on n'en serait sans doute pas là. Les salariés ont un évident besoin de reconnaissance et de considération qui fait terriblement défaut aujourd'hui.
Le discours tendant à rapprocher le malaise au travail du malaise de la société en général est dangereux car il pourrait conduire à nier les difficultés spécifiques qui s'expriment dans le monde du travail.
La formation des managers est un problème crucial. Il est inquiétant de constater, comme l'a indiqué Sylvie Desmarescaux, que les grandes écoles ne sont pas suffisamment sensibilisées à la nécessité d'agir dans ce domaine. Le système scolaire français exerce sur les enfants une pression pour la réussite, qui est reproduite ensuite dans leur vie professionnelle. L'école ferait mieux de mettre l'accent sur l'attention portée à autrui.
Au cours de mon mandat de maire, j'ai été confrontée à des problèmes de stress professionnel au sein des services municipaux. Un bilan social a été effectué et a révélé un taux d'absentéisme particulièrement élevé - 12% - chez le personnel de restauration alors que, chez le personnel d'entretien - pourtant d'un niveau de formation équivalent -, celui-ci n'était que de 5,5%. L'explication de cet écart résidait dans les méthodes managériales opposées des chefs de ces deux services : l'un était excessivement directif et méprisant avec ses subordonnés, tandis que l'autre savait au contraire les valoriser et les motiver.
S'agissant de la démarche de certification, il ne suffit pas que les dirigeants respectent rigoureusement des normes pour que les problèmes de souffrance au travail disparaissent ; encore faut-il qu'ils adoptent un autre état d'esprit.
Le rapport ne fait sans doute pas suffisamment référence à l'actionnariat et à ses effets pervers sur l'organisation du travail. La recherche de la performance à tout prix a en effet pour conséquence de mettre les salariés sous pression et d'engendrer des situations de stress, voire de souffrance.
Par ailleurs, force est de constater que les recommandations de la mission relatives au dialogue social, à la médecine du travail, au renforcement des CHSCT ne sont pas véritablement en adéquation avec la ligne gouvernementale actuelle. Nos collègues de la majorité ne vont-ils pas souffrir, à leur tour, de conflits de valeurs ?
Enfin, je m'interroge sur le devenir des rapports d'information que nous établissons chaque année. Il est regrettable que ceux-ci, qui ont donné lieu à un travail approfondi et constructif, tombent trop souvent dans l'oubli après leur publication et que leurs recommandations ne soient pas assez prises en compte par les pouvoirs publics.
Mme Isabelle Pasquet. - Je veux insister sur l'importance de la relation entre salariés et employeurs. Dans l'entreprise dans laquelle j'ai longtemps travaillé, plusieurs mouvements sociaux auraient dû attirer l'attention des dirigeants sur la dégradation des conditions de travail mais ils n'ont pas été pris en considération.
Aussi est-il indispensable d'améliorer la relation entre salariés et employeurs et d'instaurer un véritable dialogue afin de prévenir les situations de mal-être au travail. Chez France Telecom par exemple, certains drames auraient sans doute pu être évités si la direction avait tenu compte des remontées de terrain faisant état de la souffrance ressentie par certains salariés.
M. Guy Fischer. - Le groupe CRC-SPG avait lui-même souhaité la création de cette mission d'information qui remet aujourd'hui un rapport dont je constate qu'il reçoit un accueil très positif. Il est malheureusement à craindre que celui-ci ne reste lettre morte et ne permette pas de réelles avancées. Le mal-être au travail risque de perdurer si les mentalités des managers n'évoluent pas. Preuve en est, le comportement du patronat au cours des négociations sur la pénibilité, qui n'ont pas abouti. De même, la mise en place de la RGPP s'accompagne de la suppression de milliers de postes et est donc source d'angoisse pour les fonctionnaires, alors que le récent accord sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique insiste avec raison sur la prévention des risques psychosociaux. Le manque de perspective de carrière, ainsi que le faible niveau des salaires et des pensions de retraite participent d'un sentiment général de mal-être social très perceptible chez nos concitoyens.
Mme Anne-Marie Payet. - Je regrette que le problème de la consommation d'alcool en entreprise ne soit pas abordé dans le rapport. Des études montrent en effet qu'un lien existe entre la consommation d'alcool sur le lieu de travail et l'apparition de situations conflictuelles. Dans son dernier ouvrage, le journaliste Hervé Chabalier aborde cette question et propose d'interdire la consommation d'alcool dans les entreprises, ce qui permettrait de réduire le nombre d'accidents. Le groupe Toyota, par exemple, a d'ores et déjà inscrit cette interdiction dans le règlement intérieur de son restaurant d'entreprise.
M. Ronan Kerdraon. - Je ne suis sénateur que depuis peu et vous me pardonnerez ma naïveté mais je considère que ce rapport d'information illustre parfaitement le rôle que doivent jouer les parlementaires. Dans une période où les hommes politiques ont tendance à être vilipendés, il est important de montrer à l'opinion publique que les sénateurs peuvent contribuer à enrichir le débat public.
Le diagnostic formulé met, à raison, l'accent sur l'isolement croissant des salariés. Sur le terrain, on constate que tous les secteurs d'activité sont concernés et que de plus en plus de salariés, notamment des femmes, sont mis sous pression. La perte de sens du travail est elle aussi très perceptible.
Certes, la création des lignes d'écoute pour les salariés est une bonne chose, mais il faut surtout agir en amont afin de prévenir les situations de mal-être au travail, qui ne doit pas être confondu avec le mal de vivre dont les ressorts sont différents.
L'attitude des représentants des écoles de management témoigne d'une méconnaissance des réalités du monde du travail. Enfin, il faut reconnaître que la médecine du travail est le parent pauvre de la médecine en général. Les médecins du travail ne demandent pas prioritairement une revalorisation salariale mais souhaitent surtout que leur métier soit reconnu à sa juste valeur.
Mme Jacqueline Alquier. - Le mal-être au travail est une réalité et les entreprises ont, heureusement, dépassé aujourd'hui le stade du déni. Qu'elles soient publiques ou privées, elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir progresser dans la prévention des risques psychosociaux. Les recommandations de la mission sur le management et la médecine du travail sont intéressantes, mais ce ne sont pour le moment que des préconisations. Il faudrait qu'elles donnent lieu à des mesures concrètes car il est grand temps d'agir, ce qui pose le problème des moyens financiers et humains de leur mise en oeuvre. Par ailleurs, l'aggravation du phénomène du mal-être au travail témoigne avant tout d'un problème sociétal, celui de la toute puissance de la culture du chiffre et de la performance. Il est urgent de remettre l'humain au centre de nos préoccupations.
Mme Françoise Henneron. - Je crois qu'il est nécessaire d'agir le plus tôt possible, c'est-à-dire dès l'école primaire, en inculquant aux enfants le respect de l'autre. En effet, comment des jeunes, qui vivent dans un climat de violence toujours plus inquiétant, pourront-ils ensuite se comporter en adultes responsables et respectueux d'autrui dans le monde du travail ?
M. Gérard Dériot, rapporteur. - Je me félicite que le thème du mal-être au travail suscite un débat si riche. Ronan Kerdraon a raison de souligner qu'au Sénat, et à la commission des affaires sociales en particulier, les parlementaires se parlent et s'écoutent, quelle que soit leur appartenance politique.
Pour répondre à Claude Jeannerot, je dirais que le lien entre vie personnelle et vie professionnelle ne peut être éludé mais qu'il ne s'agit pas nécessairement d'un élément déterminant.
M. Claude Jeannerot. - Je ne voudrais pas qu'il y ait un malentendu sur mes propos. Je n'ai pas voulu dire que les origines du mal-être étaient extérieures au travail mais seulement que l'être humain forme un tout et qu'il y a forcément des interactions entre vie personnelle et vie professionnelle, l'une influençant l'autre et inversement.
M. Gérard Dériot, rapporteur. - Je suis d'accord sur ce point. On observe que la pénibilité au travail a évolué au fil du temps : autrefois, elle concernait surtout les métiers manuels, alors qu'il faut désormais se préoccuper de nouveaux risques à caractère psychosocial.
On peut regretter que les politiques de prévention mises en oeuvre ne soient pas toujours poursuivies dans la durée, les crédits alloués étant souvent réaffectés vers d'autres priorités. Le mal-être doit être détecté à la source dans les entreprises, celles-ci ayant trop tendance à réagir seulement après des drames. L'élection directe des membres des CHSCT encouragerait la prévention, en favorisant une prise de conscience, par l'ensemble des salariés, de l'importance des questions de santé et de sécurité au travail. Les évolutions, en ce domaine, seront progressives, mais le président du Sénat, qui a été ministre du travail, peut être un relais efficace de nos préconisations. Il avait à l'époque veillé à augmenter significativement le nombre d'inspecteurs du travail et il reste sensible aux questions de santé au travail.
Concernant la certification, la mission n'y est pas absolument opposée mais souligne qu'elle conduit souvent, si on l'applique à la lettre, à appliquer des procédures rigides alors qu'il faut préserver une certaine souplesse.
Les syndicats peuvent jouer un rôle pour restaurer le sens du collectif, même si on peut douter qu'ils soient en mesure de rassembler l'ensemble du personnel. Une élection directe des membres du CHSCT permettrait, en revanche, à tous les salariés de participer.
Pour répondre à André Lardeux, je rappellerai d'abord que les risques psychosociaux ont été au coeur du travail de la mission d'information ; j'estime qu'il ne serait pas illégitime de les mentionner dans le code du travail, dans la mesure où celui-ci fait déjà référence à de nombreux autres types de risques. Enfin, les charges résultant des propositions de la mission doivent être mises en regard des économies et des gains de productivité qu'un plus grand bien-être au travail permettrait d'obtenir. En ce qui concerne plus précisément la branche AT-MP, il faut rappeler que les pathologies qu'elle ne prend pas en charge le sont de toute façon par la branche maladie.
Jacky Le Menn a eu raison de mettre l'accent sur la revalorisation de la médecine du travail : celle-ci ne passe pas seulement par une hausse de leur rémunération, mais surtout par un changement du regard porté par les étudiants en médecine sur cette spécialité. Il existe en effet une hiérarchie implicite entre les spécialités et la santé publique se situe tout en bas de l'échelle. La santé au travail est en outre fort peu abordée pendant les études de médecine. Mieux garantir l'indépendance de la médecine du travail serait déjà une manière de lui apporter plus de reconnaissance.
Yves Daudigny a raison de poser la question du mal-être dans la fonction publique. C'est un sujet que la mission n'a pas éludé ; les transformations en cours dans le secteur public créent de l'incertitude et suscitent des inquiétudes bien compréhensibles. Les fonctionnaires ne craignent pas de perdre leur emploi mais sont préoccupés par l'évolution de leur métier.
Je rejoins Sylvie Desmarescaux lorsqu'elle souligne l'appréhension des jeunes au moment d'entrer sur le marché du travail. L'accueil par un salarié expérimenté, sous la forme d'un tutorat, peut être une manière de les rassurer à leur arrivée dans l'entreprise. Beaucoup de jeunes qui ont appris un métier manuel hésitent à s'installer à leur compte.
Pour répondre à la question d'Isabelle Debré sur les TPE et PME, il n'existe pas de statistiques démontrant que le mal-être y est moins répandu mais on peut supposer que tel est effectivement le cas. Dans une petite structure, les rapports humains sont différents et le risque qu'un salarié soit isolé est plus faible. La participation peut effectivement être un moyen efficace de faire partager aux salariés les objectifs de l'entreprise et d'éviter ainsi bien des difficultés.
Comme Raymonde Le Texier et Jacqueline Alquier l'ont noté, le management est un problème clé ; nos ingénieurs, pour prendre cet exemple particulièrement parlant, sont très bien formés sur le plan scientifique et technique mais beaucoup moins à la conduite d'équipes. Chez Renault, des managers RH de proximité ont d'ailleurs été nommés pour les seconder. Le rapport mentionne la financiarisation de l'économie, mais gardons-nous de tomber dans l'excès : certes, le rendement financier ne doit pas être le seul objectif, mais les entreprises ont besoin de leurs actionnaires et la France doit rester attractive pour les investisseurs internationaux.
Isabelle Pasquet a raison de souligner la nécessité de rapprocher les salariés de leurs dirigeants. La place centrale de l'homme a été trop souvent oubliée du fait de l'accélération du rythme des transformations. L'entreprise doit dégager des bénéfices pour continuer son activité, mais la démarche de prévention doit être toujours présente.
Je partage le point de vue de Guy Fisher lorsqu'il explique que les réorganisations dans la fonction publique créent de l'incertitude mais je souligne que des changements sont inévitables. Tout l'enjeu est de les accompagner pour atténuer les inquiétudes qu'ils suscitent.
La mission ne s'est pas penchée sur les problèmes de santé publique posés par l'alcool, qui débordaient son champ d'investigation. Mais j'approuve les remarques d'Anne-Marie Payet, tout comme celles de Françoise Henneron sur la violence chez les jeunes.
En conclusion, je crois qu'il est indispensable, à l'heure où la mondialisation impose de nouvelles exigences en matière de compétitivité, d'être toujours plus attentif à l'humain et de venir en aide à ceux de nos concitoyens qui connaissent des difficultés.
La commission autorise la publication du rapport d'information de la mission.
Nomination d'un rapporteur
La commission désigne ensuite Dominique Leclerc comme rapporteur du projet de loi portant réforme des retraites.
Loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 - Nomination des rapporteurs
La commission procède à la nomination des rapporteurs pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.
Elle désigne :
- Alain Vasselle, rapporteur général, (équilibres financiers et assurance maladie) ;
- Dominique Leclerc (vieillesse) ;
- André Lardeux (famille) ;
- Gérard Dériot (accidents du travail - maladies professionnelles) ;
- Sylvie Desmarescaux (secteur médicosocial).
Loi de finances pour 2011 - Nomination des rapporteurs pour avis
Puis la commission désigne en qualité de rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2011 :
- Janine Rozier (mémoire et liens avec la Nation) ;
- Anne-Marie Payet (outre-mer) ;
- Dominique Leclerc (régimes sociaux et de retraite) ;
- Alain Milon (santé) ;
- Gilbert Barbier [action Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt)] ;
- Paul Blanc (solidarité et intégration) ;
- Alain Gournac (travail et emploi) ;
- Jean-Marie Vanlerenberghe (ville et logement).
Questions diverses
Mme Muguette Dini, présidente. - Je vous indique que, sur la suggestion d'Annie Jarraud-Vergnolle et André Lardeux, co-rapporteurs du rapport d'information que la commission leur a confié sur la compatibilité de la réglementation européenne des aides d'Etat avec les interventions sociales des collectivités territoriales, un troisième rapporteur leur sera adjoint. Paul Blanc a accepté cette charge, si vous en êtes d'accord.
La commission confirme la désignation de Paul Blanc en qualité de co-rapporteur de ce rapport d'information.