- Mercredi 7 juillet 2010
- Audition de M. Jean-Luc Gaffard, directeur du département recherche sur l'innovation et la concurrence de l'OFCE
- Audition de M. Philippe Maitreau, vice-président de Mulhouse Sud-Alsace, président de la commission « emploi » de l'Association des maires des grandes villes de France (AMGVF) et de M. Claude Gewerc, président de la région Picardie, trésorier de l'Association des régions de France (ARF)
Mercredi 7 juillet 2010
- Présidence de M. Martial Bourquin, président -Audition de M. Jean-Luc Gaffard, directeur du département recherche sur l'innovation et la concurrence de l'OFCE
M. Jean-Luc Gaffard. - Je vais vous présenter une réflexion sur la désindustrialisation en m'appuyant notamment sur un ouvrage de l'OFCE intitulé « L'industrie manufacturière française », qui vient de paraître. Je prendrai comme référence le classement de chaque secteur en basse, moyenne ou haute technologie.
L'industrie manufacturière représente plus de 70 % de la recherche et développement et plus de 75 % des exportations. Son évolution est marquée par une chute du nombre d'emplois, dans les entreprises de basse technologie comme dans celles de moyenne ou haute technologie. En revanche, la part de l'industrie manufacturière dans la valeur ajoutée produite a beaucoup moins diminué. En valeur absolue, la valeur ajoutée augmente peu dans les secteurs de basse technologique mais dans des proportions plus importantes s'agissant des activités de haute technologique. Il convient de noter à ce sujet qu'un secteur classé en basse technologie peut comporter quelques activités à haute teneur technologique.
Par ailleurs, les entreprises de haute ou moyenne-haute technologie ont plus souvent recours à la sous-traitance et connaissent des gains de productivité plus élevés. Naturellement, leur activité de recherche et développement est plus développée.
Au total, il faut parler, plutôt que de désindustrialisation, d'une recomposition du secteur industriel, avec la montée en puissance d'activités à fort contenu technologique, ainsi que de la fragmentation et de l'internationalisation de l'activité de production.
Au niveau national, une nouvelle répartition géographique des activités se dessine, les régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côtes d'Azur, ainsi que Toulouse, profitant du développement des activités de haute technologie.
À l'échelle mondiale, la part de l'Allemagne dans la production manufacturière mondiale a baissé dans les mêmes proportions que celle de la France. Toutefois, les flux internationaux sont fortement poussés par la fragmentation internationale des activités : 20 % de ce que nous exportons (25 % en Allemagne) proviennent ainsi de biens importés. Une part croissance des importations de produits de moyenne-haute technologie proviennent des pays à bas salaires.
L'industrie française rencontre donc des difficultés pour exporter sur les produits de moyenne-haute et haute technologie. Plus précisément, la France est aussi bien placée que l'Allemagne sur les activités de haute technologie, mais beaucoup moins sur celles de moyenne-haute technologie, comme en témoigne la domination bien connue de la domination de l'Allemagne en matière de machines-outils.
S'agissant de la recherche et développement, son intensité rapportée au chiffre d'affaires est assez faible dans notre pays, qui dépose nettement moins de brevets que l'Allemagne, les États-Unis ou le Japon.
Ces difficultés sont le signe d'une perte de compétitivité, qui n'est pas compensée par une baisse correspondante du coût unitaire du travail. Si celui-ci a fortement baissé au Japon et un peu moins en Allemagne, il est resté à peu près stable en France et a crû en Italie. Certaines études montrent toutefois que la baisse du coût du travail en Allemagne ne s'est pas appliquée aux secteurs qui exportent le plus.
Au fond, l'industrie manufacturière française se caractérise par un retard relatif dans son internationalisation.
Les facteurs de l'efficacité industrielle peuvent résider dans les entrées ou sorties d'acteurs ou dans les réallocations entre les acteurs existants à l'intérieur du système industriel. Les créations d'entreprises sont nombreuses en France, mais leur croissance est difficile : sept ans après sa naissance, une entreprise française est passée d'une taille de 100 à une taille de 120 en moyenne, alors qu'une entreprise américaine atteint une taille de 250 au même moment. Non seulement les jeunes entreprises jouent en France un rôle mineur dans la haute technologie, mais elles sont fragiles dans les basses technologies.
Les facteurs de survie sont le niveau de performance pour les firmes matures et la structure industrielle pour les jeunes entreprises.
Les entreprises françaises sont nombreuses à exporter : de 59 % à 92 % selon le secteur. En revanche, la quantité de biens qu'elles exportent est faible si on la compare à leur chiffre d'affaires. De plus, 10 % des exportateurs réalisent 88 % des exportations. Aujourd'hui, l'enjeu n'est donc pas de construire un petit nombre de champions, mais de constituer un tissu industriel riche et capable d'exporter plus. La difficulté semble résider dans un coût d'entrée élevé, en raison notamment des connaissances sur les marchés internationaux que doivent acquérir les entreprises avant de commencer à exporter.
En conclusion :
- les jeunes entreprises sont beaucoup plus vulnérables ;
- l'Europe connaît à la fois une croissance relativement faible depuis vingt ou trente ans et une concurrence interne marquée notamment par la stratégie de désinflation compétitive de l'Allemagne ;
- il est nécessaire d'agir sur les moteurs souvent cités de la croissance, tels que la recherche et le développement ou le développement durable, mais les pouvoirs publics dépendent trop souvent, pour leur information, de l'action des lobbies.
La politique industrielle devrait inciter les bénéficiaires des aides à coopérer au sein de consortiums technologiques, comme c'est le cas dans les pôles de compétitivité. Ce principe est suivi depuis longtemps aux États-Unis. Cette politique doit certes soutenir les filières stratégiques, mais elle ne doit pas inciter à la relocalisation car la fragmentation internationale de la production est favorable à la création de valeur domestique. Enfin, le crédit impôt-recherche ne suffit pas : il faut aider l'industrie au-delà des seules activités de recherche.
M. Marc Daunis. - Pourquoi les entreprises françaises sont-elles plus petites que les entreprises américaines au bout de sept ans ? S'agit-il d'un problème de débouchés ou de capitalisation ? Pouvez-vous nous donner plus d'informations sur les liens entre les gains de productivité et les pertes d'emplois ? Enfin, la stratégie de l'Allemagne, qui importe des pays de l'Est pour exporter des produits finis vers l'Europe, pose le problème de la pérennité d'un tel système et de la détermination des investissements à mener sur le long terme. Enfin, je fais observer que les pôles de compétitivité combinent compétition et coopération au travers de la mutualisation de plateformes.
M. Alain Chatillon, rapporteur. - Il faut en effet s'engager sur la voie de la clusterisation. S'agissant de l'exportation, il me semble qu'il faut plutôt parler, comme les entreprises allemandes, d'une internationalisation des activités. Je souligne enfin que Toulouse ne se limite pas à l'aéronautique mais possède également un secteur agroalimentaire très important.
M. Martial Bourquin, président. - Pourquoi la recherche privée n'atteint-elle pas un niveau suffisant en France ? La Cour des comptes a indiqué que le crédit impôt recherche bénéficie à près de 30 % à des grands groupes pour des activités qui ne constituent pas réellement de la recherche. Dans vos statistiques, tenez-vous compte des produits entièrement fabriqués à l'étranger mais vendus comme français ? Enfin, ne faut-il pas prendre en compte les circuits courts et l'empreinte carbone des produits, qui pourrait donner lieu à une fiscalité écologique ?
M. Jean-Luc Gaffard. - Sur le dernier point, il faut tenir compte des enjeux économiques lorsqu'on considère les objectifs environnementaux. Pour prendre l'exemple des circuits courts, le consommateur doit avoir les moyens d'acheter les produits. Or les prix bas dépendent de rendements croissants et de gains de productivité. Sur les autres points :
- s'agissant des mesures statistiques, on sait mesurer le contenu en importation des exportations ;
- la fragmentation de la production entraine une hausse considérable des flux de marchandises, à l'intérieur même des entreprises, et donc un développement rapide du commerce international qui peut conduire à des déséquilibres ;
- l'enjeu des clusters, c'est vraiment la coopération entre les entreprises, comme on le voit dans les pôles de compétitivité : le soutien doit passer par des programmes transversaux ;
- les gains de productivité sont globalement créateurs d'emploi : en effet, ils permettent de créer davantage de richesse et donc de rémunérer une quantité de travail plus importante sur le moyen terme. On constate par exemple, aux États-Unis comme en Europe, une corrélation entre la chute des gains de productivité et la hausse du chômage ;
- les entreprises ont en effet un problème de capitalisation et d'accès à des moyens de financement, mais il ne faudrait pas à l'inverse faciliter de manière excessive le recours aux sources de financement, car une telle stratégie risquerait de mener à la constitution de bulles ;
- enfin, s'agissant des relations entre les grandes et les petites entreprises, les innovations majeures viennent toujours des petites structures. Ce sont toutefois les grandes entreprises qui améliorent progressivement ces innovations et en font des produits de grande consommation, ce qui permet d'instaurer une relation de coopération entre les petites et les grandes entreprises.
Audition de M. Philippe Maitreau, vice-président de Mulhouse Sud-Alsace, président de la commission « emploi » de l'Association des maires des grandes villes de France (AMGVF) et de M. Claude Gewerc, président de la région Picardie, trésorier de l'Association des régions de France (ARF)
M. Martial Bourquin, président. - Nous avons mis en place une mission d'information sénatoriale sur la question de la désindustrialisation des territoires et nous avons souhaité, dans ce cadre, inviter les collectivités territoriales à nous donner leur diagnostic, à nous faire part de leur action, au quotidien, dans le domaine de l'industrie car nous savons qu'elles font des efforts très importants pour maintenir des sites industriels et pour avoir des politiques économiques à part entière. Dans ce contexte, que pensez-vous des phénomènes de désindustrialisation et avez-vous des pistes à nous proposer afin de les enrayer ?
M. Claude Gewerc. - En tant que président de la deuxième région industrielle de France après la Lorraine je tiens à souligner, d'emblée, que l'industrie reste un coeur de cible de l'économie.
Tout d'abord, je crois que nos territoires ont le sentiment qu'un certain nombre d'Etats ont abandonné les politiques industrielles et qu'il n'y a plus de politiques industrielles. J'ai eu l'occasion de rencontrer, dans ma région, le président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, et je lui ai expliqué qu'il allait à la fois financer, sur mon territoire, la fermeture d'un site Continental, celui de Clairoix, et, dans le même temps et au sein du même groupe, le développement d'un site en Roumanie. Pour l'Union européenne, le gain est nul. Alors qu'on avait une industrie pneumatique en France sur un site qui gagnait de l'argent, on la délocalise en Roumanie. Il ne s'agit pas, bien évidemment, de nier le phénomène de la mondialisation. Mais il est nécessaire qu'à un moment donné, les Etats membres de l'Union européenne fassent preuve d'une volonté de politique industrielle européenne en décidant que des aides seront apportées sur certains territoires et dans certains secteurs. Nous manquons sur ce sujet de langages clairs.
Nous sommes confrontés à un paradoxe : d'un côté, on nous dit qu'il y a une politique industrielle européenne, et de l'autre à Bruxelles, on entend que cette dernière n'est que l'addition des politiques industrielles des Etats. Je pense que l'une de nos difficultés, quel que soit le secteur, c'est d'établir et de respecter un certain nombre de règles.
On assiste aujourd'hui à de nouvelles pratiques. Des sociétés, souvent des petites et moyennes entreprises vertueuses dont le propriétaire ne trouve pas de repreneur au moment de la retraite, sont à un moment donné rachetées par des multinationales et ne restent pas sur le territoire national. On « déshabille » ainsi le territoire. C'est ensuite un engrenage : on supprime les efforts en recherche et développement sur ce territoire puis on explique que le site coûte trop cher et on le ferme.
Or, les collectivités territoriales, quel que soit leur niveau, participent aux dépenses de recherche et développement. Quelles sont les retours que nous pouvons espérer ? Je considère qu'il serait normal d'avoir au moins un retour à « caractère social » lorsque nous avons aidé des entreprises à se développer et à s'implanter sur nos territoires. En contrepartie, l'emploi devrait rester sur nos territoires.
Je voudrais prendre l'exemple d'Airbus et d'Aerolia. En 2009, Airbus a livré la plus grosse quantité d'avions dans toute son histoire. Sur le site de Méaulte, qui fabrique toutes les pointes avant du fuselage, Airbus emploie 1300 personnes alors qu'en Picardie, l'industrie aéronautique emploie 4000 personnes. 2009, où Airbus livre le plus d'avions, est aussi l'année où un certain nombre de sous-traitants perdent 30 % de leurs marchés.
Les collectivités territoriales financent les pistes aéroportuaires, la recherche sur les assemblages mécaniques notamment, et en retour, la plus-value pour le territoire est négative. Il faut donc déterminer des règles afin de fixer de nouveaux partenariats entre les collectivités territoriales et les entreprises.
Je remarque que certains commencent à jouer le jeu. La fameuse clause 11 dans un contrat de financement de recherche et développement permet désormais de prévoir qu'il doit être partagé avec la sous-traitance. Par ailleurs, ces contrats ne sont plus cessibles.
Je rappelle que l'Allemagne a 200 milliards d'euros d'excédent de sa balance commerciale alors que la France est en déficit de 50 milliards d'euros et la Grande-Bretagne de 100 milliards. Il y a quelques années, les services étaient considérés comme l'avenir de notre économie. Je vous rappelle que si l'industrie s'en va, les services liés à l'industrie s'en vont également. Ainsi lorsque l'usine de Clairoix a fermé, ce n'est pas 1400 emplois qui ont été supprimés mais près de 4000. C'est une réalité économique et sociale.
Je crois que l'Europe a besoin de construire et d'inventer l'industrie du 21ème siècle. Cela passera par la recherche, le développement et l'innovation mais pour que cela fonctionne il faut une réassurance pour les collectivités.
C'est pourquoi il faudrait aujourd'hui réfléchir à nouveau sur la définition du « territoire ». Nous avons du mal en réalité à sortir du concept de « grand espace ». Les Länder allemands nous donnent en la matière un bel exemple de lien entre l'entreprise et le territoire et où le territoire s'investit pleinement dans les progrès de l'entreprise. Il s'agit d'un lien véritablement vertueux.
Je crois que la meilleure façon de lutter contre la désindustrialisation, c'est d'inventer un nouveau modèle d'industrialisation sur nos territoires en faisant en sorte que l'ensemble des participants y soient acteurs.
M. Philippe Maitreau. - Je vais avoir une approche très territoriale dans mon intervention car je voudrais d'abord souligner qu'il faut faire confiance aux territoires, aux élus locaux. Car la désindustrialisation se mesure-t-elle en termes d'emplois, de valeur ajoutée, de balance commerciale, d'externalisation d'activités ? Je ne suis pas sûr, pour ma part, que l'on puisse parler de désindustrialisation et je préfère l'idée d'une « mutation » de l'industrie.
Deuxième point, les notions de « mondialisation » ou encore « d'approche d'excellence » semblent un peu vides et paraissent révéler une vision très française des problèmes, qui peuvent pourtant dépasser largement ce cadre. Je crois qu'il y a aujourd'hui une véritable responsabilité sociale des territoires, qui se fonde sur quatre piliers essentiels. Le premier pilier, c'est la responsabilité économique, la durabilité économique : les entreprises restent sur le territoire et s'appuient sur les filières que le territoire souhaite développer. Si PSA-Mulhouse comptait par exemple quatorze mille salariés il y a quelques années et neuf mille aujourd'hui, se sont développées dans le même temps des entreprises à caractère endogène en lien avec le réseau local. Cinq mille emplois ont ainsi été créés dans le secteur des technologies de l'information et de la communication.
Autre exemple, nous avons également la filière textile sur le territoire, qui travaille aujourd'hui avec le secteur automobile ou encore avec le secteur des technologies de l'information et de la communication.
Des filières comme l'automobile, comme le textile, ou encore comme la chimie, ne sont donc absolument pas condamnées, à condition de savoir accompagner les mutations en cours de l'industrie. A-t-on besoin d'aide de l'Etat pour cela ? Les territoires doivent d'abord se prendre en charge, même s'il faut souligner que la réforme de la taxe professionnelle a effectivement posé de graves problèmes de ressources financières. Pour ce qui est de la mobilité professionnelle, elle est nécessaire à condition de ne pas dépasser un périmètre raisonnable de trente à quarante kilomètres.
A Fribourg, l'évolution démographique est très différente de celle de la France : l'administration du travail allemande anticipe une diminution du nombre de jeunes de moins de vingt-cinq ans de 30 % à moyen terme. Il s'agit d'en tirer les conséquences sur le plan de la formation professionnelle et d'inciter les jeunes Français à apprendre l'allemand dès maintenant afin qu'ils puissent être recrutés de l'autre côté de la frontière qui n'est, en réalité qu'administrative. On doit désormais réfléchir en termes de bassin d'emploi ou de territoire économique.
Dans ce cadre, il faut s'assurer de l'existence des quatre piliers que j'ai mentionnés : durabilité économique, sociale et environnementale, mais aussi durabilité institutionnelle. Il s'agit en effet de favoriser le maintien dans l'emploi (durabilité sociale) et d'assurer la mise en place d'une véritable gouvernance institutionnelle basée sur la conclusion de partenariats territoriaux.
Il s'agit de développer une stratégie de territoire. D'ailleurs, en lien avec l'engagement n° 9 des Etats généraux de l'industrie, la direction générale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DGTEFP) vient de publier une circulaire relative au développement de la dynamique territoriale et de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Aujourd'hui, nous travaillons avec les entreprises pour identifier les emplois qui, du fait de l'amélioration de la productivité, vont disparaître ou se transformer, afin de gérer les transitions professionnelles et d'anticiper les besoins en compétences dans les secteurs d'avenir tels que l'aéronautique, les emplois verts, les produits à basse consommation, etc. Certains gestes professionnels réalisés dans l'industrie automobile, y compris lorsqu'ils sont effectués par des ouvriers peu qualifiés, peuvent être transférés et valorisés dans d'autres secteurs amenés à se développer.
De plus, il s'agit d'intensifier l'activité des sites de production en utilisant les équipes de nuit. Mais cela suppose que les sous-traitants aient la même logique et aient pour objectif d'utiliser les capacités de production à 130 % ou 140 % ! Si les constructeurs automobiles (Peugeot, BMW, Mercedes) s'entendent pour acheter les pièces à des sous-traitants européens tels que Faurecia ou Johnson, ces derniers seront en mesure de mieux rentabiliser les outils de production et d'offrir ainsi des coûts plus faibles, et d'améliorer ainsi leur compétitivité par rapport aux entreprises chinoises. Ce modèle vaut pour toutes les filières (textile, chimie, etc.).
Par ailleurs, il convient de noter le passage d'une économie patrimoniale de production à une économie de la fonctionnalité. Il ne s'agit plus d'acquérir des produits mais plutôt d'utiliser leur fonctionnalité. Tel est le cas par exemple pour les réseaux urbains d'utilisation partagée de bicyclettes ou d'automobiles ou encore, le logement social, où l'on observe que la location d'un logement offre une plus grande satisfaction que l'accession à la propriété. En effet, lorsqu'ils deviennent propriétaires, les ménages ne disposent plus des moyens suffisants pour assumer l'entretien des parties communes alors que lorsqu'ils sont locataires, ils conservent leur pouvoir d'achat et les organismes HLM disposent de suffisamment de moyens avec les loyers pour assurer l'entretien des bâtiments.
Parallèlement, on assiste au développement d'une économie circulaire même si celle-ci est encore peu développée : la production mondiale n'utilise actuellement que 8 % des déchets et 80 % des produits ne donnent lieu qu'à un seul usage. On pourrait aller beaucoup plus loin et développer cette filière.
Enfin, il s'agit d'approfondir la notion d'écoparc et de mettre en place une logique de réseaux en s'appuyant sur les territoires et les élus locaux afin qu'ils adoptent des démarches de développement basées sur les PME et non sur les plus grandes entreprises. Il s'agit de mettre en place une véritable « GPEC territoriale ».
M. Alain Chatillon, rapporteur. - Après ces plaidoyers en faveur de la défense des territoires et du monde de l'entreprise, il me semble que ces deux visions ne sont pas incompatibles, bien au contraire ; elles doivent même être complémentaires.
L'un de vous s'interrogeait sur ce que l'on appelle la désindustrialisation : très concrètement, c'est la perte de 550 000 emplois en dix ans mais aussi la diminution de la valeur ajoutée dégagée par l'industrie qui est a été ramenée de 16 % à 13 % en France, tandis que dans le même temps, elle a atteint 30 % en Allemagne et 20 % en Italie. Il faut dire qu'il existe un différentiel en termes de charges sociales de l'ordre de 120 milliards d'euros entre la France et l'Allemagne, la charge fiscale atteignant 44 % en France tandis qu'elle n'est que de 37 % en Allemagne. Ce différentiel de sept points n'est évidemment pas neutre en fin d'exercice dans le compte d'exploitation et dans la capacité d'autofinancement que seront en mesure de dégager les entreprises. Cette charge supplémentaire grève la compétitivité des entreprises françaises.
Dans le même temps, il ne faut pas nier les progrès réalisés dans certains secteurs. Ainsi, les entreprises du secteur textile ont réalisé la plus forte valeur ajoutée l'année dernière après avoir réalisé de gros efforts de modernisation pour se développer. Les petites PME en particulier ont créé de nombreux emplois.
La question qui se pose est de savoir comment mieux lier les territoires et leurs entreprises. Comment assurer le développement des entreprises en les incitant à innover et à améliorer leur compétitivité ? Comment les aider à s'internationaliser, l'internationalisation des groupes étant désormais davantage un atout que le développement des exportations ?
M. Martial Bourquin, président. - Dans vos deux approches, j'ai beaucoup apprécié l'intérêt que vous avez porté à la dynamique des territoires. Il serait intéressant de connaître précisément les crédits que les collectivités consacrent à l'innovation, au développement de l'université et aux aides économiques. Au-delà des montants investis, il s'agit également de s'assurer du retour sur investissement des aides apportées. En effet, un rapport de la Cour des comptes a mis en évidence qu'un tiers des aides au développement s'évapore sans donner de résultats concrets en termes de développement économique et d'emploi. Notre rapport doit faire des préconisations en ce sens, afin que les aides apportées par les collectivités soient plus efficaces et profitent aux PME et aux territoires. Dans ma région, en Franche-Comté, les aides apportées par l'Etat, l'Europe et les collectivités représentent des montants considérables. Il s'agit d'en enregistrer les dividendes et d'en mesurer l'impact de façon précise.
Enfin, je suis convaincu que la mise en place d'une politique industrielle relève d'abord d'une volonté politique.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Je crois en effet que c'est une question de volonté politique. Les Länder allemands sont un bon exemple. Mais je voulais dire aussi que l'argument selon lequel les entreprises européennes pâtissent de la concurrence des pays à bas coût est de faible portée au regard de ce que j'ai pu observer de la concurrence entre les sous-traitants allemands et français, Aérotech et Aérolia, dans le domaine de l'aéronautique. D'après les syndicats eux-mêmes, les salariés allemands d'Aérotech travaillent bien plus que ceux d'Aérolia. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les syndicats craignaient un rachat de leur entreprise par le sous-traitant allemand.
De surcroît, la gouvernance politique allemande est beaucoup plus efficace que les interventions françaises. Le gouvernement allemand a mandaté les personnalités politiques au plus haut niveau pour traiter les dossiers du secteur aéronautique. La France doit mettre en place un tel système assurant le primat du politique au plus haut niveau. Alors que l'Etat français participe au capital d'EADS, n'est-il pas paradoxal qu'il pèse moins que l'Allemagne dans les décisions du secteur au niveau européen ? De la même façon, alors qu'Aérolia a tendance à délocaliser en Tunisie, le sous-traitant allemand parvient à maintenir ses implantations européennes.
M. Alain Chatillon, rapporteur. - Il est indéniable que nous devons mettre en place au plus vite une politique industrielle européenne, faute de quoi on n'obtiendra aucun résultat. Parallèlement, il faut également une ambition et une volonté politiques affichées de la France.
Mais il faudra aussi, pour régler les problèmes évoqués par notre collègue Mirassou, définir quel est le curseur d'intervention de l'Etat et des collectivités territoriales s'agissant des aides versées aux entreprises.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Généralement, les aides des collectivités suivent celles de l'Etat.
M. Alain Chatillon, rapporteur. - Certes, c'est souvent le cas. Mais il ne faut pas que l'Etat décide de tout. Je ne suis pas hostile au versement d'aides aux entreprises, assorties de contraintes et de conditions. Mais il faut éviter de basculer dans un système soviétique où l'Etat déciderait des priorités économiques et de la stratégie de développement des principaux secteurs. Il faut fixer le curseur d'intervention de l'Etat, tout en laissant aux entreprises la maîtrise de leur stratégie et de leur destin.
M. Martial Bourquin, président. - S'il est vrai que nous souffrons de ne pas avoir de politique industrielle européenne, cette carence ne doit toutefois pas être invoquée pour justifier le retard dans la mise en place d'une politique nationale. Il est urgent que la France la mette en place.
M. Claude Gewerc. - Il est certain qu'il faut à la fois une volonté nationale et européenne. J'ai expérimenté l'impact de l'implication des autorités politiques allemandes dans l'industrie lorsque je travaillais dans une entreprise d'impression sur tissu de 4 500 employés et qui est aujourd'hui propriété chinoise. Les autorités politiques des Länder nous ont demandé de monter une entreprise de soie naturelle en Chine alors que nous étions spécialisés sur l'impression sur polyester et viscose. Nous avons été contraints de vendre à perte avec une compensation financière versée par les Länder. En réalité, l'objectif était d'assurer la vente de locomotives françaises aux autorités chinoises et de se les faire payer sous une autre forme. Bien entendu, l'interventionnisme de l'Etat n'a pas été payant dans la mesure où les intérêts économiques ont été méconnus.
Cela étant, on dit souvent que l'industrie allemande est plus performante que l'industrie française, toutefois la France est le deuxième pays d'accueil des investissements directs étrangers après la Grande-Bretagne. Cette bonne place s'explique par le taux élevé de productivité des ouvriers français qui figurent parmi les meilleurs au monde. La qualité de nos infrastructures participe également à l'attractivité du territoire français.
Mais pour que la France conserve sa place dans la gouvernance économique internationale, il faut réaffirmer une volonté politique nationale et européenne. Par ailleurs, il convient d'assurer un contexte économique satisfaisant et financier aux entreprises. A titre d'exemple, la suppression de dix mille emplois chez Airbus en Europe a permis de réaliser 900 millions d'euros d'économies tandis qu'une baisse de 10 centimes de la parité euro/dollar représente 1 milliard d'euros. Les Etats-Unis, le Japon et la Chine l'ont compris et ont mis en place une banque centrale qui assure la stabilité de leur monnaie. A l'inverse, la banque centrale européenne a laissé flotter l'euro.
Parallèlement, il s'agit de constituer des entreprises de sous-traitance d'une taille suffisante pour faire face à la compétition mondiale. Dans l'aéronautique, il faut des sous-traitants de rang 1 dotés d'un capital d'au moins 1 milliard d'euros. Cela suppose que l'Etat soutienne une stratégie de regroupement d'entreprises ou le rachat d'entreprises étrangères (exemple de Latécoère), avec le concours de la Caisse des dépôts et consignations.
Il est également essentiel que l'Etat se mobilise et intervienne lors des arbitrages stratégiques dans les principaux secteurs : alors que l'Etat allemand ne détient directement aucune part dans le capital d'EADS et que la France détient 14 %, rien n'est décidé sans l'aval des autorités allemandes. Les Français ont la réputation d'être des « sleeping partners » alors qu'ils possèdent tous les outils pour peser sur les grandes décisions européennes. Le fonds stratégique d'investissement (FSI) par exemple, pourrait permettre à la France d'intervenir dans tous les secteurs d'avenir : chimie, textile, machines agricoles, aéronautique, etc. Ce fonds peut jouer le rôle de fonds souverain d'Etat et permettre de financer les politiques industrielles nationales. On serait d'ailleurs en droit de s'interroger sur les raisons qui expliquent l'inefficacité des actions mises en oeuvre dans le domaine industriel par la France alors que l'on dispose de tous les outils adaptés.
A titre d'exemple, le FSI a contribué à l'investissement dans quatre groupes industriels de la région Picardie, qui a abouti à la destruction de six cents emplois. S'il peut s'avérer nécessaire de procéder à des restructurations et des fermetures d'entreprises avec l'accord de l'Etat, il convient toutefois d'être cohérent et de s'assurer du retour sur investissement, en particulier en termes d'emplois. Avec la volonté de le faire et les outils dont on dispose, on doit pouvoir et savoir faire. Mais pour l'heure, je reste sceptique.
M. Alain Chatillon, rapporteur. - Contrairement à vous, je ne suis pas certain que l'on dispose réellement des moyens d'agir.
M. Claude Gewerc. - A travers les fonds souverains, nous disposons des moyens pour investir.
M. Alain Chatillon, rapporteur. - Encore faut-il garantir une baisse du coût des capitaux sur les marchés financiers ! Je ne parle pas du financement bancaire. Le Crédit agricole par exemple est particulièrement exposé sur la dette grecque, ce qui rend difficile l'octroi de prêts aux entreprises.
M. Philippe Maitreau. - Les politiques industrielles européenne et nationale ne pourront se développer sans le soutien du tissu local associant les territoires et les PME. Je comprends votre souhait de faire l'inventaire des aides versées aux entreprises par les collectivités publiques, mais l'élément financier n'est à mon sens pas déterminant. Si l'on fait le bilan, vous observerez qu'il existe beaucoup d'aides, mais qu'elles ne nous permettent pas pour autant d'être les plus performants. Parfois même, les aides financières accordées à certaines entreprises en difficulté peuvent achever de les détruire.
En revanche, si les aides sont bien orientées, elles peuvent aider les entreprises à passer un cap difficile. J'ai en tête l'exemple de la Société alsacienne de construction mécanique (SACM) pour laquelle la ville de Mulhouse est intervenue en rachetant les murs et le terrain pour les louer à l'entreprise et lui redonner une bouffée d'oxygène. En quatre ans, on a pu récolter les fruits de cet investissement en termes d'emplois tout en permettant le maintien des compétences professionnelles des personnels qui y travaillaient. Ce fut une expérience bénéfique pour notre territoire et pour l'entreprise.
Autre exemple, les 3 milliards d'euros du plan de relance nous ont finalement permis de mobiliser 18 milliards d'euros, grâce à l'effet de levier de un à six qui résulte de l'investissement complémentaire des collectivités concernées. Celles-ci ont suivi, parce qu'elles étaient intéressées aux résultats.
A l'inverse, le grand emprunt, de 60 milliards d'euros, aura un effet de levier faible parce qu'il a été essentiellement orienté vers la recherche fondamentale en ciblant les laboratoires d'excellence sans que cela ne se traduise obligatoirement par des applications industrielles avec de la création de valeur ajoutée à la clé. En identifiant les entreprises d'avenir et les gisements de valeur et d'emploi, on aurait pu augmenter l'effet de levier des sommes mobilisées par l'Etat.
Enfin, vous évoquez beaucoup EADS mais la force de l'Allemagne réside davantage dans ses PME. La France devrait focaliser davantage ses efforts sur les petites et moyennes entreprises plutôt que de les orienter sur les plus grandes ou de recourir à de grands plans de financement.
M. Martial Bourquin, président. - Il est vrai que les collectivités sont davantage incitées à soutenir les projets d'avenir créateurs d'emplois. Pour ma part, j'ai été conduit à accompagner la reconversion d'une entreprise traditionnelle de fabrication de crémaillères vers la production de crémaillères à haute technologie, réalisées avec des aciers spéciaux, qui a finalement permis l'embauche d'une centaine de personnes. Afin de trouver des personnels à haut niveau de qualification, l'entreprise a sollicité l'aide de la région pour développer un partenariat avec l'université pour les former. Il est vrai que les régions sont souvent les chefs de file même si elles associent les communautés de communes ou d'agglomérations. Elles contribuent à la mise en oeuvre des politiques publiques susceptibles de créer de la valeur ajoutée et d'aider les entreprises à investir. Nous devrions disposer d'un tableau récapitulatif de toutes les aides et actions qui sont mises en place dans les territoires. On s'apercevra probablement qu'au-delà des actions conduites par l'Etat, il existe, dans les territoires, des politiques économiques efficaces. Parmi les actions mises en oeuvre, il se pourrait que l'on trouve celles qui permettront, en les généralisant, d'inverser la tendance à la désindustrialisation. C'est pourquoi il nous faut recenser ces efforts et ces savoir-faire.
M. Alain Chatillon, rapporteur. - Monsieur Maitreau, pourriez-vous également nous expliquer comment les laboratoires pharmaceutiques de votre région ont réussi dans le rachat de petites unités spécialisées en biotechnologies aux Etats-Unis. Leur chiffre d'affaires a connu des augmentations à deux chiffres et a permis de nombreuses créations d'emplois. Nous pourrions peut-être nous inspirer de cette expérience.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Je suis moi aussi convaincu que l'attractivité d'un territoire passe par le développement de ses infrastructures : la mise en place de la ligne grande vitesse (LGV) par exemple devrait participer au développement du secteur industriel et touristique.
Par ailleurs, je suis de ceux qui pensent qu'on ne doit pas dissocier PME vertueuses et grandes entreprises. De la même façon que la recherche fondamentale est le corollaire de la recherche appliquée.
Enfin, dans le cadre des missions dévolues aux régions, il est clair que l'on a encore bien des progrès à faire en matière d'investissement.
M. Claude Gewerc. - On peut toutefois se féliciter de la réussite des pôles de compétitivité, la commission européenne ayant reconnu que la France a un temps d'avance sur ces sujets.
Il ne faut effectivement pas opposer les grandes entreprises et les plus petites. Les grandes entreprises sont les donneurs d'ordres et on a besoin de toutes les forces vives pour réussir. Chaque fois que l'on adopte des politiques qui segmentent l'économie, cela nous conduit à l'échec. A titre d'exemple, je voulais évoquer le projet de réseaux CREATI (centres régionaux d'appui technique et d'innovation) : des multinationales internalisent au moins cent chercheurs par site et aident des PME à faire de l'innovation.
Enfin, je voulais insister sur l'importance de la formation. Lorsque l'Etat a créé les maisons de l'emploi, nous avons fait le choix de créer une maison de l'emploi et de la formation. Pour créer l'emploi de demain, il faut anticiper les filières de formation à mettre en place. En réalité, tout l'environnement de l'entreprise contribue à sa réussite. Je ne crois pas que seul le différentiel de sept points en matière de charges fiscales entre la France et l'Allemagne explique toutes les difficultés de notre industrie. Une enquête réalisée sur les raisons pour lesquelles les entreprises s'implantent sur notre territoire a mis en évidence que la charge fiscale n'intervenait qu'en septième position. Les trois premiers critères du choix des entreprises étaient l'accessibilité du territoire, la formation et l'aide à l'innovation. Il s'agit de créer un climat positif pour favoriser le développement économique et inciter les gens à venir s'installer dans nos territoires. Lorsqu'une entreprise à forte valeur ajoutée veut attirer des ingénieurs, la qualité du lycée ou même la présence d'une école de musique sont déterminantes. Or, ces sujets relèvent de la responsabilité des collectivités territoriales. Cela nécessite d'avoir une vision stratégique plus ample et plus globale du territoire, qui ne se limite pas au seul calcul du coût économique d'un salarié. Notre capacité à attirer les entreprises et à les conserver sur nos territoires exige que l'on développe nos efforts en ce sens.
M. Philippe Maitreau. - Mon propos n'était pas d'opposer recherche fondamentale et recherche appliquée, grandes entreprises et petites et moyennes entreprises mais de rééquilibrer notre approche. On fait trop pour la recherche fondamentale et les grandes entreprises et pas assez pour la recherche appliquée et les petites et moyennes entreprises.
S'agissant de la maison de l'emploi et de la formation, je la conçois comme vous comme une maison d'ingénierie territoriale en faveur du développement économique du territoire.
M. Martial Bourquin, président. - Je crois en effet que cette vision élargie de l'économie est le gage de la réussite.