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Mardi 22 juin 2010
- Présidence de M. Jean Bizet, président -Economie, finances et fiscalité
Audition de M. Louis Gallois, président exécutif d'EADS1(*)
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. - Au nom des commissions de l'économie et des affaires européennes, je souhaite la bienvenue à l'ancien président de la SNCF qui, depuis juillet 2007, est président d'EADS. Pourriez-vous, Monsieur le Président, nous présenter les différentes activités de votre groupe et ses perspectives au niveau mondial ?
M. Louis Gallois. - Je me réjouis d'échanger avec la représentation nationale sur des sujets qui touchent certes à mon entreprise, mais la dépassent aussi. EADS a un chiffre d'affaires de 43 milliards d'euros. Le groupe est composé à 65 % d'Airbus, à 35 % des autres activités, c'est-à-dire Eurocopter, spécialisé dans la fabrication d'hélicoptères, Astrium, dédié à la construction de lanceurs spatiaux, de missiles balistiques et de satellites. DS regroupe les activités de défense classiques avec MDBA, le premier missilier mondial, des activités de défense liées à l'aéronautique -nous sommes le 1er partenaire de l'Eurofighter- ou encore des activités de sécurité, par exemple la surveillance des frontières de l'Arabie Saoudite dont nous avons remporté le marché l'an dernier. Autrement dit, Airbus est une composante essentielle d'EADS, sans être la seule. Le cauchemar financier de l'A400M, avion de transport militaire promis à un grand avenir, explique les résultats négatifs de l'an dernier. Nous souhaitons qu'Airbus, qui a longtemps porté le groupe et qui supporte les surcoûts de l'A380 et de l'A400M, redresse sa situation. En la matière, les perspectives s'améliorent.
De fait, la crise a eu un effet relativement limité sur le secteur des avions commerciaux car nous réalisons près de 70 % de nos ventes en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique latine, zones qui ont bien résisté à la crise. Nous avons livré plus d'avions en 2009 que jamais -même si cela n'est pas autant que nous l'aurions souhaité. Après une année 2010 qui sera du même ordre, la production augmentera en 2011. Si les commandes massives, comme celle annoncée par la compagnie Emirates au salon de Berlin il y a quinze jours, seront l'exception, la reprise du trafic aérien, sensible partout sauf en Europe, permettra aux compagnies de reconstituer leur situation financière et de procéder à de nouveaux achats, à partir de 2011-2012. Pour l'heure, notre carnet de commandes est suffisamment rempli. L'important est, pour nous, d'avoir de solides perspectives de reprise, ce qui est le cas. En revanche, le secteur des hélicoptères civils a davantage souffert de la crise. Ce marché, actuellement plat, ne se dégrade plus. Il se redressera lorsque les 500 hélicoptères récents actuellement sur le marché de l'occasion seront écoulés. Bref, la crise a été gérée, la reprise est devant nous, au moins hors des frontières européennes.
Quelques mots sur les programmes. Les retards de livraison de l'A380, notre « super gros bébé », s'expliquent par les perturbations du processus de mise en oeuvre industrielle dues aux exigences des compagnies aériennes quant à l'individualisation de la cabine dont elles ont fait leur porte-drapeau. Pour autant, la situation s'est nettement améliorée depuis neuf mois : nous avons livré sept avions depuis le début de l'année, et nous en prévoyons d'en livrer vingt au total en 2010 contre dix en 2009. Nous poursuivrons cet effort en 2011. Après avoir maîtrisé les incertitudes liées à un processus industriel très complexe, nous devons maintenant travailler à réduire le coût de fabrication de cet avion.
L'A400M représente, pour EADS, une rude épreuve : nous avons déjà provisionné 4 milliards sur le contrat de cent quatre-vingts avions à livrer aux sept pays européens clients, soit une perte de 20 %. D'autant que, contrairement à nos concurrents américains qui bénéficient d'un système de prix dit « cost plus » selon lequel le Pentagone prend en charge le coût de production et paie une marge aux entreprises, nous travaillons avec un système de prix fixe qui nous impose de prendre en charge le surcoût des avions. Au terme de négociations, nous sommes parvenus à un accord en mars avec les sept États acquéreurs : un effort de 2 milliards des États, soit une augmentation de 10 % du prix de l'avion, et 1,5 million d'avances remboursables sur les exportations. Les négociations pour transformer cet accord en contrat se déroulent dans un climat difficile : le diable est dans les détails, disent nos amis anglais, et surtout l'heure est au serrage de vis pour les budgets de la défense. Néanmoins, le respect de cet accord est sur la bonne voie. Au plan technique, les essais se poursuivent -deux avions volent, un troisième volera dans les prochains jours. Cependant, certains défis techniques demeurent : le système de contrôle de vol ou le système de gestion des charges.
Autre point positif, le retour de l'euro à un niveau raisonnable. Contrairement à nos concurrents américains qui travaillent uniquement avec le dollar, nous achetons en euros et vendons en dollars. Un euro fort avantageait donc Boeing. Pour nous, le taux moyen de l'euro qui correspond à une parité de pouvoir d'achat doit être de 1 euro pour 1,15 à 1,20 dollar. Nous sommes à 1,24 actuellement. Une augmentation du cours de l'euro de dix centimes représente une diminution d'1 milliard de résultat net pour EADS : il conditionne donc les résultats de l'entreprise. L'inverse est également vrai. Ayant pris des couvertures de change pour nous protéger d'un dollar faible, nous ne bénéficierons des effets d'un euro plus raisonnable qu'en 2013-2014. Quoi qu'il en soit, la baisse de l'euro, si elle est durable, bouleverse le paysage pour une industrie de long terme comme la nôtre.
Quels sont nos principaux défis ? Le premier est de construire l'A350, le successeur de l'A330, majoritairement construit à partir de matériaux composites, y compris le fuselage. Cependant, nous avons tiré les bons enseignements du programme 787 de Boeing dont la mise au point est loin d'être une partie de plaisir pour les Américains. Nous maintenons le calendrier de la livraison d'un premier avion en juillet 2013, mais nous n'avons plus de marges calendaires. Second défi : la réduction des budgets de la défense de nos principaux clients, les pays « domestiques », soit l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et l'Espagne. Dans le dialogue avec les États, nous devons montrer l'importance de préserver notre capacité en recherche et développement pour l'avenir et de ne pas opérer de coupes budgétaires, en priorité, sur les programmes de coopération, sources d'économies, au bénéfice des programmes nationaux, parfois plus sensibles pour les opinions publiques nationales. Pour exemple, la France ne saurait financer seule le programme de l'A400M, un avion militaire de transport qui reste moins cher que l'avion américain à la tonne transportée, malgré la hausse des prix qui a été acceptée. En bref, depuis quelques mois, la sortie de crise, l'évolution de l'euro et la remise en ordre du processus industriel de l'A380 inscrivent l'entreprise dans une dynamique positive ressentie par le personnel, dont le moral était assez bas selon un sondage de début 2009.
EADS fête cette année son dixième anniversaire. Ce projet, conçu par deux chefs d'entreprise, le Français Jean-Luc Lagardère et l'Allemand Jürgen Schrempp, patron de Daimler, soutenus par les gouvernements français, allemand et espagnol, avait pour but de constituer un groupe européen capable de faire face aux industries américaines qui s'étaient regroupées autour de quatre géants, Boeing, Lockheed Martin, Northrop Grumman et Raytheon. Ce pari est réussi. Avec une taille comparable à celle de Boeing, que nous avons devancé en 2008, nous avons réalisé un chiffre d'affaires en augmentation de 75 % en dix ans, investi 22 milliards dans la recherche et développement - soit plus que Boeing. EADS est le premier contributeur à la balance commerciale française. Nous avons créé 15 000 emplois nets dans la haute technologie en Europe, y compris durant la crise. Enfin, nous achetons en France pour quelque 13 milliards. Dans le paysage industriel mondial, nous sommes désormais placés au même rang que Boeing. Pour preuve, le Pentagone, pour la première fois, a souhaité que nous participions à l'appel d'offre concernant les avions ravitailleurs, le plus gros programme à lancer par le Pentagone pendant cette décennie, en qualité de maître d'oeuvre du programme, et non de sous-traitant comme en 2008.
Pour conclure, rappelons le succès de cette entreprise véritablement franco-allemande, qui représente l'Europe pour les citoyens à travers Airbus et Ariane. Avec une trésorerie nette de 9 milliards en cette fin d'année, nous sommes prêteurs sur le marché monétaire dans des proportions que seuls atteignent les pétroliers. Cela confirme la robustesse de notre entreprise !
M. Jean Bizet. - Dans cette période de turbulences, EADS fait figure de modèle alors que nous en revenons au noyau dur de l'Europe, le couple franco-allemand. Comment vivez-vous les différences culturelles et salariales entre la France et l'Allemagne au sein de votre entreprise ? Quels enseignements pouvons-nous en tirer pour d'autres projets franco-allemands ? La notion de gouvernance à 27 - j'aurais préféré une gouvernance des 16 États membres de la zone euro, mais la position allemande a prévalu - qui a émergé au cours de la crise, va-t-elle faciliter votre quotidien ? Avez-vous prévu des clés de sécurité pour prévenir les effets de l'évolution du taux de change entre l'euro et le dollar ? Pensez-vous être suffisamment protégé en matière de propriété intellectuelle ? Enfin, où en êtes-vous du contentieux avec Boeing au sein de l'OMC ?
M. Louis Gallois. - EADS est une entreprise franco-allemande, mais n'oublions pas les Espagnols ! Leur participation est essentielle à notre groupe. Les différences culturelles entre la France et l'Allemagne ne constituent pas un obstacle dans le travail. Pour la question salariale, historiquement et en traçant la situation à grands traits, l'Allemagne a fait un choix qui est à rebours de celui de la France : l'emploi plutôt que les salaires. Résultat, au cours de la crise, l'Allemagne a très peu perdu d'emplois. Par ailleurs, le système de chômage partiel très long qu'elle a mis en place lui a permis de préserver les emplois indispensables à son industrie pour la phase de reprise. Je n'ai pas d'avis définitif sur la gouvernance économique européenne, si ce n'est qu'elle serait plus simple peut-être à 16, autour de la monnaie unique, qu'à 27. Les relations franco-allemandes, celles entre la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Espagne, nos marchés d'exportation, voilà quels sont nos réels sujets d'intérêt. Pour prévenir les effets de la volatilité des monnaies qui nous atteignent sans toucher Boeing qui est naturellement déjà en dollars, notre couverture de change s'élève à 66 milliards. Le président Sarkozy veut légitimement mettre sur la table du G20 la question monétaire. Je pense qu'il a raison, même si cela suscite de fortes oppositions. Il y a là un véritable sujet. Nous nous battons à l'OMC entre Américains et Européens sur des aides publiques qui sont en fait secondaires par rapport aux effets monétaires : une variation de l'euro de dix centimes a un impact bien plus décisif sur les résultats de notre entreprise. Entre quatre grands ensembles monétaires - le dollar américain, le yen japonais, le yuan chinois et l'euro -, il faut éviter que l'euro ne soit la variable d'ajustement et freiner la volatilité des marchés, pour retrouver une certaine visibilité sur les taux de change.
Pour la propriété industrielle, le groupe dépose de plus en plus de brevets, l'inconvénient de la publicité étant compensé par une plus forte protection dans un champ plus concurrentiel. La réglementation européenne en la matière ne suscite pas de remarques particulières.
Le rapport de l'OMC, qui nous a été communiqué, ne donne droit qu'à 30 % des réclamations américaines, et il y a les bases d'un appel. Il sera rendu public le 1er juillet, soit neuf jours avant le dépôt de notre offre sur les Tanker. A l'inverse, la communication du rapport intérimaire sur Boeing, suite à la plainte de l'Europe, a été repoussée au 16 juillet, soit huit jours après cette date importante. Je ne peux que le constater et le regretter ...
M. Alain Chatillon. - Je salue votre flegme et votre pragmatisme en ces temps difficiles. Je salue en vous le visionnaire qui met l'accent sur la recherche et développement quand la réflexion à moyen et long termes manquent tant à l'industrie française. Pourriez-vous en dire plus sur la question des nouveaux carburants. Au sein de la commission de l'économie, nous nous interrogeons sur l'opportunité de réserver des surfaces agricoles à la production de ces carburants. En outre, en tant que sénateur de Haute-Garonne, je désire savoir comment vous comptez assurer le développement d'Astrium à Toulouse et préserver ainsi un équilibre entre les régions françaises ?
M. Daniel Raoul. - La réussite de ce projet européen montre tout l'intérêt qu'il y aurait à développer des projets industriels européens, par exemple, dans le secteur de l'automobile. Pour rester compétitif face à la Chine et à l'Inde, il faudrait sortir un Airbus et un métro d'avance sur eux. Soit, vous avez investi 22 milliards dans la recherche et développement, mais quid de la clause de transfert de technologie qui accompagne la signature des contrats ? Nous avions adressé la même question à la présidente d'Areva, car la problématique est la même pour les centrales nucléaires. Ce transfert technologique ne nous condamne-t-il pas à terme ?
Enfin, si nous n'avons peut-être pas assez sauvegardé l'emploi au niveau macro-économique, permettez-moi de souligner que, pour entreprendre des comparaisons entre la France et l'Allemagne, il faut tenir compte de la productivité -nous n'avons pas à en rougir si j'en crois les échos que j'ai eus du travail dans les usines Volkswagen, y compris avec un temps de travail de 35 heures.
M. Michel Bécot. - Comment se passera la coopération et le transfert technologique avec la Chine, le Brésil et l'Inde ? La réévaluation du yuan aura-t-elle des effets positifs sur EADS ?
M. Jean-Jacques Mirassou. - Vous n'avez pas évoqué le plan « Power 8 » qui n'est pas étranger aux bénéfices dégagés par votre entreprise. En outre, si le moral des salariés connaît une embellie, rappelons tout de même que les salariés d'Airbus ont organisé une grève sur tous les sites français, inquiets de leurs conditions de travail et de salaire et de la stratégie industrielle d'Airbus. De fait, ils ont été les premiers touchés par les problèmes liés à l'A380 et l'A400M. Si Toulouse va bénéficier de l'augmentation des ventes de l'A380 et fabriquera l'A350, reste que l'A320 reste le produit phare d'Airbus et que les Allemands comptent produire son successeur. Toulouse ne veut donc pas lâcher la proie pour l'ombre... Ajoutons à cela que, en matière d'aérostructure, une filiale française Aerolia ne présente pas les mêmes garanties que l'allemande Aerotec : elle externalise d'ailleurs une petite partie de sa production en Tunisie. Enfin, sept ou huit sous-traitants sont regroupés autour de l'entreprise en Allemagne ou en Espagne, contre une vingtaine en France. Cet éparpillement constitue un handicap. Preuve est faite qu'un changement de braquet est nécessaire pour rationaliser les moyens humains, intellectuels et financiers. Enfin, vous n'avez rien dit du rôle du principal actionnaire de votre entreprise, l'État français, dans la défense de nos intérêts stratégiques. EADS n'est pas une entreprise comme les autres. Or notre gouvernement est parfois muet, souvent absent, ce qui tranche avec la position du gouvernement allemand où une personne est spécifiquement chargée de l'aéronautique. Enfin, les parlementaires devraient être mieux informés sur le dossier de l'A400M !
M. Robert Navarro. - En ces temps de réduction des budgets de la défense, quel avenir pour les projets de coopération si les États adoptent des stratégies différentes ? Comment maintenir la capacité en recherche et développement ?
M. Aymeri de Montesquiou. - Votre trésorerie de 9 milliards est le signe de la qualité de votre gestion. Pour autant, la situation des sous-traitants est plus difficile. Comment, dans ce contexte de concurrence accrue et de délocalisation, garantir la pérennité de la sous-traitance ?
M. Martial Bourquin. - L'Allemagne n'a pas opté pour l'emploi contre les salaires -il s'agit d'un raccourci-, elle a eu depuis longtemps une ambition industrielle quand la France a préféré les services, mis à l'honneur dans des théories fumeuses qui nous ont conduit dans l'impasse. Or la réussite économique s'appuie toujours sur un socle industriel fort, une stratégie de filière pour les sous-traitants qui nous fait cruellement défaut, et la conservation sur le territoire national du coeur de métier. Il n'est jamais trop tard pour revenir à une politique industrielle cohérente. La France n'a pas fait le choix des salaires contre l'emploi, elle a opté pour le « ni salaire ni emploi ». Enfin, la croissance doit également s'appuyer sur l'investissement, une offre et une demande fortes que risque d'étouffer la politique de rigueur salariale du Gouvernement. Je tenais à ces observations en ces temps de campagne contre les salaires et les retraites. Tout à coup, les salariés sont quasiment qualifiés de nantis ! La France a besoin de salariés qui gagnent leur vie !
M. Ladislas Poniatowski. - Pouvez-vous nous donner des informations sur l'évolution de l'actionnariat de votre groupe après les bruits sur un éventuel retrait de Lagardère ? Où en est-on de l'A400M ? Le ministère de la défense a fait des déclarations il y a quelques semaines. Qui mène la danse, vous ou le Gouvernement ? Où en est le partenariat ? Quand le premier A400M verra-t-il le jour ?
M. Serge Godard. - N'oublions pas qu'il existe en France une petite industrie de matériaux de production de matériaux composites, telles les aciéries Aubert et Duval pour la production de l'A350 ou les forges qui fabriquent des pièces détachées pour Airbus dans le centre de la France. Comment voyez-vous l'avenir de ces entreprises, implantées dans des régions peu tournées vers l'aéronautique ? Ensuite, quel rôle entend jouer EADS pour le programme Ariane et la réalisation des vecteurs spatiaux ?
M. Louis Gallois. - Dans l'industrie aéronautique, il est indispensable d'avoir une vision de long terme quand nos programmes ont une durée de vie de 30 à 40 ans. Mon métier est de regarder à long terme. Pour m'en tenir à un seul exemple, les avions de transport militaire ont une durée de vie moyenne de 40 ans. Et Ariane 6 est à un horizon 2025-2030. Autrement dit, 2013-2014, moment où nous commencerons à ressentir les effets bénéfiques d'un euro raisonnable, pour nous, c'est demain !
Nous croyons beaucoup au développement des nouveaux carburants à partir de produits non alimentaires, telles les algues qui présentent l'avantage d'une forte capacité énergétique et d'un bilan carbone excellent. S'ils ne remplaceront pas le kérosène du jour au lendemain, il faut y réfléchir dès aujourd'hui. Nous avons fait voler un petit avion alimenté par un tel carburant au salon de Berlin. Boeing vient à son tour d'annoncer le lancement de recherches sur les carburants à base d'algues...
Toulouse a effectivement subi deux déconvenues : Galileo pour lequel nous examinons notre gestion de l'appel d'offres ; Météosat pour lequel notre responsabilité m'apparaît moins évidente. Pour autant, une entreprise ne peut pas remporter toutes les compétitions auxquelles elle participe ! A court terme, il n'y a pas de raison de s'inquiéter.
Nous avons besoin de projets industriels européens. Hélas, avec la crise, l'heure est plutôt au repli sur soi alors que nous devrions lancer des projets concrets et valorisants, incarnation de l'Europe aux yeux de nos concitoyens, en matière de véhicule électrique, ou de génétique, pour ne pas parler que de l'aéronautique et de l'espace !
Les pays émergents représentent un marché très important grâce auquel nous avons pu faire face à la crise. Si nous voulons vendre chez eux, nous devons accepter la coopération industrielle. Ne nous faisons pas d'illusions : il y aura transfert de technologies, malgré toutes les précautions prises et leur propre niveau est de plus en plus élevé. La Chine a lancé un homme dans l'espace, pas l'Europe ! En 2016, la Chine sortira son premier avion, concurrent de l'A320. Pour faire face à cette nouvelle concurrence qui mettra fin au duopole Airbus-Boeing, trois mots : innovation, qualité et service. Le différentiel auprès des compagnies aériennes s'opérera sur notre niveau de qualité de service, notre capacité, par exemple, à dépêcher une équipe sur place en cas de problème, dans les délais les plus brefs et cela durant 30 ans après l'acquisition de nos appareils.
Si nous n'avons pas à rougir de la productivité en France, convenons que le nombre d'heures travaillées en France, où l'on entre tard sur le marché du travail pour le quitter tôt, se situe dans le bas de la fourchette européenne. Ce problème mérite d'être étudié de près. Pour avoir longtemps travaillé à la SNCF, je sais qu'il faut offrir des contreparties dans une négociation, en matière par exemple de droits des salariés au sein de l'entreprise. Le système de co-détermination en Allemagne, s'il n'est sans doute pas transposable tel quel en France, me semble, dans son principe, une piste intéressante.
La coopération avec les pays émergents peut être très productive : je pense à la fabrication de l'hélicoptère avec les Chinois dont les coûts sont partagés également entre nous et qui nous donne accès à leur marché où nous sommes leur principal fournisseur pour le marché civil. La réévaluation du yuan n'a pas d'impact sur EADS. L'installation d'une chaîne d'assemblage en Chine n'avait pas pour objectif de faire des économies -cela nous coûte même plus cher qu'une production en France ou en Allemagne-, mais de faciliter notre accès au marché chinois, le premier du monde. Nous vendons aujourd'hui 20 % de nos avions en Chine et sommes passés de 10 à 40 % de parts de marché !
Hambourg se plaint que Toulouse concentre tous les pouvoirs d'Airbus. Je vous rappelle que Toulouse assemble l'A380, soit l'équivalent en charge de travail par avion de la production de huit A320, et on va y assembler l'A350, soit l'équivalent par avion de 5 A320. Nous avons 530 commandes d'A350, soit l'équivalent de 2 500 A320, dont l'assemblage est partagé entre Hambourg et Toulouse. Est-il raisonnable de conserver deux chaînes d'assemblage pour un avion ? Je ne crois pas que cela soit compétitif. Je défends le choix industriel, fait en 2001 lorsque l'A380 a été lancé, d'assembler le successeur de l'A320 à Hambourg car Toulouse n'est pas lésée. Sans la contribution financière des Allemands, Airbus n'existerait pas, même si la capacité technique était principalement française. Conservons un équilibre. Quant à la grève à Airbus, j'estime que le blocage des approvisionnements de l'usine par un groupe limité de salariés n'est pas acceptable. Les personnels ont obtenu de substantielles augmentations de salaires. Bref, le sacrifice supposé de Toulouse au bénéfice de Hambourg relève d'un procès d'intention récurrent et commode.
J'en viens aux sous-traitants. Aerolia construit une usine en Tunisie, mais Premium Aerotech en prépare une en Roumanie. Nous devons effectivement conserver les points critiques et les compétences-clés du processus industriel en Europe tout en étant présents dans le monde entier, car une entreprise comme la nôtre exporte 75 % de sa production. Mais, dans le même temps, Airbus investit 200 millions d'euros cette année à Méaulte, autant à Nantes, et l'A350 représente 1,4 milliard d'euros investis en France entre Toulouse, Nantes, Saint-Nazaire et Méaulte. Nous ne sommes donc pas en train de quitter la France ! En matière de sous-traitants, Airbus a fait son devoir envers le groupe Latécoère via des avances de trésorerie, ou le préfinancement d'investissements et le maintien de nos commandes. Nous ne pouvons pas prendre en charge nos sous-traitants, mais nous y sommes très attachés pour une raison simple : nous réalisons 15 % de la valeur ajoutée d'un avion en interne, 85 % provient de la chaîne des fournisseurs. D'où les énormes progrès d'Airbus depuis environ quatre ans pour éclairer les sous-traitants sur l'évolution des plans de charges, celle des technologies nécessaires et les conditions de la concurrence. Notre fonds Aerofund, que nous avons mis en place avec Safran et la Caisse des dépôts et consignations, vise à les aider à se regrouper. L'application de la loi de modernisation de l'économie a également impliqué un transfert de centaines de millions de trésorerie vers les fournisseurs. Au cours de la crise, nous avons soutenu nos sous-traitants par nos commandes de sorte qu'aucun n'est resté au bord de la route, contrairement à ce qui s'était passé, par exemple, lors de la crise de 1993 qui avait frappé plus durement encore notre secteur. J'ai eu autrefois une expression malheureuse mais réaliste : « nous ne pouvons pas être le Père Noël de la chaîne des sous-traitants ». Cependant, nous pouvons les aider à être plus compétitifs. Reste que l'aérostructure est effectivement trop dispersée en France : la question devra un jour être traitée. Enfin, EADS a des interlocuteurs au sein du gouvernement français, Jean-Louis Borloo et Dominique Bussereau, comme Hervé Morin ou Christine Lagarde, et a bénéficié d'un soutien constant de notre pays. Les parlementaires ont obtenu des informations sur l'A400M avec la publication du rapport des sénateurs Gautier et Masseret. Je suis moi-même venu devant le Sénat expliquer la situation. Au plan technique, nous avons procédé à des essais de vol. Reste à régler les deux problèmes techniques que sont le système de contrôle du vol et le système de gestion de la charge. Le premier avion sera livré en 2013 avec quatre standards selon les logiciels donnant les performances de vol, notamment pour les vols de basse altitude. L'A400M a connu un surcoût de 7,6 milliards, dont 4 pris en charge par EADS, 2 par les États clients et 1,5 par des avances remboursables sur les exportations au terme de l'accord de mai qui doit être maintenant traduit dans un contrat.
L'avenir est effectivement aux projets de coopération. Il faut également veiller à ce que les coupes budgétaires ne touchent pas prioritairement les programmes de nouveaux matériels au bénéfice des plans de livraison de matériel existants que les ministères de la défense ont tendance à privilégier en temps de crise : leurs révisions budgétaires doivent s'attacher à préserver un bon équilibre, supportable pour nos bureaux d'études.
Pour l'ambition industrielle, je vous renvoie à l'article que j'ai publié dans la revue Commentaire. L'industrie française se trouve dans une situation préoccupante. La part de l'industrie dans le PNB a reculé de 22 à 16 % entre 1998 et 2010, quand elle a progressé de 28 à 30 % en Allemagne. La France manque de ces entreprises moyennes de 2 à 5 000 employés, qui font la solidité du socle industriel allemand, capables d'exporter et de s'implanter à l'étranger en conservant leur coeur de métier sur le territoire. Nos entreprises moyennes souffrent d'un problème de financement. Comment orienter l'épargne française vers l'industrie ? Une portion négligeable des 1 200 milliards de l'assurance-vie s'oriente aujourd'hui vers l'industrie. Un dernier mot sur le problème des salaires et de l'emploi : l'augmentation du pouvoir d'achat est une revendication compréhensible, mais ne profite-t-elle pas surtout aux biens importés ?
L'actionnariat d'EADS est constitué à 22,5 % de Daimler, à 22,5 % de SOGEADE (Etat français 15 % et Lagardère 7,55 %), 5 % de SEPI (société d'Etat des participations industrielles, espagnole) et à 50 % de flottant sur le marché. Les rumeurs de retrait vont et viennent. En tant que président d'EADS, je n'ai jamais eu confirmation d'un retrait de Lagardère ou de Daimler.
Les aciéries Aubert et Duval ainsi que les forges sont des fournisseurs très importants pour EADS. Nous avons avec Aubert et Duval, très présente à Toulouse, un dialogue proche et technique très régulier. Le lanceur Ariane 5 est extrêmement fiable, mais peu souple : il exige le lancement de deux satellites ou d'un gros satellite. D'où l'idée d'abord d'améliorer l'étage supérieur d'Ariane 5 pour lui permettre des mises en orbite plus diversifiées et de lancer Ariane 6, en complément d'Ariane 5, d'une taille plus réduite. Aucune décision n'a été prise sur Ariane 6, mais nous avons proposé le financement via le Grand emprunt, d'un intégrateur de technologies, préparant la voie pour Ariane 6.
Institutions européennes
Conclusions du Conseil européen du 17 juin
2010
Audition de M. Pierre Lellouche,
secrétaire
d'État chargé des affaires
européennes
M. Pierre Lellouche. - Je veux d'abord vous dire, et c'est un résultat dont je me réjouis, que les conclusions de ce Conseil ont - très largement - repris les positions communes de la France et de l'Allemagne, qu'il s'agisse de mettre en place un gouvernement économique européen, de préparer une position forte de l'Europe sur la taxation des transactions financières en vue du prochain G20, ou encore de mettre en place une stratégie ambitieuse pour la croissance et l'emploi.
Ceci illustre, une nouvelle fois, l'importance et la force du couple franco-allemand dans l'impulsion politique et la prise de décision au niveau européen. Je veux d'ailleurs vous dire qu'après avoir participé la semaine dernière à la première audition conjointe devant le parlement français avec mon collègue Werner Hoyer, je me rendrai avec lui en Grèce cette semaine : c'est notre première visite conjointe dans un pays de l'Union, et nous voulons, à cette occasion, rappeler le message de solidarité vis-à-vis de la Grèce, premier pays touché par la tourmente financière dans laquelle est plongée la zone euro depuis des mois, et dire tout notre soutien aux nécessaires mesures d'austérité budgétaires prises par le gouvernement de M. Papandréou afin de répondre à ses obligations européennes et internationales.
Venons-en maintenant aux résultats de ce Conseil, qui a été dominé par les questions économiques et financières. Je vous ferai également un retour rapide sur les autres résultats de ce Conseil, notamment sur l'Iran.
1 - Questions économiques et financières
Premier résultat : le Conseil européen a confirmé sans ambigüité l'importance des stratégies de retour à l'équilibre des finances publiques.
J'ai eu l'occasion de vous dire, la semaine dernière, toute l'importance que le Gouvernement attachait au respect de ses obligations européennes au titre du Pacte de Stabilité, qui lui imposent de revenir à un déficit public de 6% du PIB en 2011, 4,6% du PIB en 2012 et 3% en 2013, tout en préservant les capacités de croissance de notre économie.
C'est le sens du plan de maîtrise des dépenses présenté par le Premier ministre, qui prévoit une économie de 100 milliards d'euros d'ici 2013, qui passe par la maîtrise des dépenses publiques de l'État (45 milliards d'euros), la suppression de niches fiscales (5 milliards d'euros), le retour de la croissance (35 milliards d'euros) et la suppression des mesures temporaires liées au plan de relance (15 milliards d'euros).
C'est également le sens de la réforme des retraites, impulsé par le Président et le Premier ministre, et mis en oeuvre par Éric Woerth, et qui passe notamment par le relèvement de l'âge légal de droit commun à 62 ans en 2018, le développement de l'emploi des seniors, l'amélioration de nos mécanismes de solidarité et le renforcement de la convergence entre régimes public et privé, pour atteindre l'équilibre des régimes de retraite en 2018.
Cette approche responsable des finances publiques, tant vis-à-vis de nos partenaires que vis-à-vis des générations futures, est une démarche commune à tous les États membres : regardez les mesures annoncées par l'Allemagne, l'Espagne et, ce matin encore, par le Royaume-Uni.
Le Conseil européen a accompagné cette démarche en soulignant que « les États membres sont déterminés à assurer la viabilité des finances publiques et à atteindre sans tarder les objectifs budgétaires. [...] Tous les États membres sont prêts, s'il y a lieu, à prendre des mesures supplémentaires pour accélérer l'assainissement budgétaire. Il convient d'accorder la priorité aux stratégies d'assainissement budgétaire favorisant la croissance et principalement centrées sur la limitation des dépenses»
Deuxième résultat du Conseil européen : le gouvernement économique européen est désormais une réalité.
Le Président de la République l'a dit à l'issue de ce Conseil, et c'est un message très important : « les mots « gouvernement économique » ne sont plus des mots tabous ».
S'agissant de la composition et de la nature de ce gouvernement, les choses sont très claires. Le Président de la République et la Chancelière avaient dégagé, en début de semaine dernière, un accord plein et entier pour reconnaître la nécessité d'un gouvernement économique de l'Europe, à 27 États membres. Ils avaient précisé qu'en cas de nécessité, les 16 chefs d'État et de gouvernement de la zone euro peuvent se réunir de façon pragmatique et opérationnelle sur les sujets propres à la zone euro. Cette approche a été partagée par le Conseil européen.
Sur le fond, il s'agit de mettre en place, à travers ce gouvernement, une véritable fonction de pilotage économique au niveau européen, notamment pour assurer la coordination des mesures prises par les gouvernements nationaux en matière de réduction des déficits publics et d'assainissement budgétaire, favoriser la convergence des économies et contribuer, dans le cadre d'une stratégie globale, au redressement de la croissance dans toute l'Europe. Le Président l'a dit et répété : « la stratégie économique doit être portée par les chefs d'État et de gouvernement qui, seuls, ont l'interministérialité pour prendre les décisions ».
Ce gouvernement économique est d'autant plus nécessaire que l'Europe s'est dotée, à l'issue de ce Conseil européen, d'une stratégie pour la croissance et l'emploi à l'horizon 2020.
Je suis heureux de souligner, à ce sujet, que la France, de concert avec l'Allemagne, a obtenu gain de cause sur les points essentiels de cette stratégie :
- la reconnaissance de la contribution à la stratégie économique européenne de toutes les politiques communes, y compris la politique agricole commune, et la politique de cohésion. Ceci figure désormais explicitement dans les conclusions du Conseil européen, qui précisent même qu' « un secteur agricole durable, productif et compétitif apportera une contribution importante à la nouvelle stratégie, compte tenu du potentiel de croissance et d'emploi que possèdent les zones rurales, tout en assurant des conditions de concurrence loyales » ;
- le développement d'une « nécessaire politique énergétique commune » et d'une « nouvelle politique industrielle ambitieuse » figurent également dans les conclusions ;
- la reconnaissance de la dimension externe de la stratégie Europe 2020 est affirmée noir sur blanc, le Conseil européen soulignant qu' « il convient d'utiliser pleinement la dimension extérieure de la stratégie, notamment par le biais de la stratégie commerciale que la Commission présentera d'ici la fin de l'année » ;
- la nécessité de faire franchir un nouveau cap au marché intérieur, à partir des travaux de Mario Monti. Le Conseil européen reviendra sur ce point en décembre.
Comme j'avais eu l'occasion de vous le dire, les demandes franco-allemandes sur la politique industrielle et la politique énergétique ne figuraient pas, à l'origine, dans le projet de conclusions initialement soumis au Conseil européen. Les conclusions sont désormais beaucoup plus fortes sur ces deux points, ainsi que sur la politique agricole.
Troisième résultat : le renforcement du Pacte de Stabilité, tant dans son volet préventif que correctif, est un acquis, et les modalités concrètes de ce renforcement seront précisées d'ici octobre prochain.
Les 27 chefs d'État et de gouvernement se sont mis d'accord sur plusieurs « grands principes » destinés à renforcer le Pacte, et notamment :
- le renforcement des sanctions en cas de non-respect des règles du Pacte de Stabilité. Le Président de la République a précisé, à ce propos, que « les sanctions devaient être plus fortes, plus immédiates et la surveillance plus sévère » pour les États membres de la zone euro ;
- la meilleure prise en compte de la trajectoire de la dette publique et pas seulement du déficit ;
- l'examen, à partir de 2011 et dans le cadre d'un « semestre européen », des programmes de stabilité et de convergence pour les années suivantes, dans le respect des procédures budgétaires nationales ;
- le renforcement de la qualité des données statistiques, qui devraient être établies en toute indépendance par les instituts de statistique nationaux ;
- la prise en compte des facteurs de compétitivité dans l'examen des politiques budgétaires nationales. Le Conseil européen retient l'idée d'un « tableau de bord » permettant d'évaluer l'évolution des déséquilibres en matière de compétitivité.
Il s'agit, à ce stade, de grands principes ; tout est loin d'être arrêté dans le détail et, de ce point de vue, le Conseil européen peut être qualifié, comme l'a fait le Président de la République, de « Conseil européen d'étape ». Sur tous ces sujets, le groupe présidé par Herman Van Rompuy fera des propositions définitives en vue du Conseil européen d'octobre.
Quatrième résultat : le Conseil européen a « donné un coup d'accélérateur » à la régulation financière européenne.
Le Conseil européen a confirmé toute l'importance qu'il attache à la régulation financière en Europe, en appelant à l'adoption rapide du « paquet supervision », actuellement en discussion entre le Conseil et le Parlement européen, en préconisant une adoption avant l'été de la directive sur les hedge funds, ainsi que l'examen rapide de la proposition de la Commission sur la supervision des agences de notation.
Suite à la lettre commune adressée par le Président et la Chancelière le 8 juin dernier, le Conseil attend également les propositions de la Commission sur les marchés de produits dérivés, s'agissant notamment des ventes à découvert sans contrepartie et des contrats d'échanges sur défaut (CDS).
Mais le Conseil européen est allé plus loin encore :
- en matière de transparence et de résilience bancaire, il a convenu que des tests de tension (stress tests), c'est-à-dire des tests de résilience en cas de crise, seraient réalisés sur les banques par les contrôleurs bancaires dans tous les pays de l'Union européenne, et que les résultats seraient rendus publics avant la fin juillet.
- Le Conseil a également convenu que « les États membres devraient instaurer des systèmes de prélèvements et de taxes sur les établissements financiers afin d'assurer une répartition équitable des charges et d'inciter les parties concernées à contenir les risques systémiques ». Le Président a précisé que cette taxe sur les banques alimenterait un fonds qui aurait une double fonction : une fonction assurantielle (il s'agit de garantir au contribuable ou à l'épargnant que ce qui s'est passé ne se produira plus) et une fonction redistributive (pour les pays où le plan de sauvetage des banques a coûté de l'argent au contribuable, et qu'il s'agit de rembourser - ce qui n'est pas le cas de la France, où le plan de sauvetage a rapporté 2,4 milliards d'euros).
Cinquième résultat : le Conseil européen a adopté une position commune dans la perspective du G20 de Toronto
La position dégagée en format européen sur les taxes bancaires est reprise dans la perspective du G20 de Toronto, puisque le Conseil européen estime que l'Union devrait jouer un rôle de premier plan pour définir une stratégie à l'échelle de la planète « visant à l'instauration de systèmes de prélèvements et de taxes sur les établissements financiers, en vue de maintenir des conditions égales pour tous au niveau mondial ».
Là encore, le Conseil européen est allé plus loin, sous l'impulsion de la France et de l'Allemagne, en précisant qu' « il conviendrait de réfléchir à l'introduction d'une taxe mondiale sur les transactions financières et de faire avancer les travaux dans ce domaine ».
Les débats sur ce sujet n'ont, certes, pas été faciles au niveau du Conseil européen, certains États craignant une délocalisation des activités financières vers les autres places mondiales n'ayant pas institué une telle taxe, mais c'est un point fondamental pour la France et l'Allemagne.
Le Président de la République a précisé, à ce sujet, que l'Allemagne et la France faisaient de cette taxe un enjeu majeur de discussion au prochain G20. Dans la lettre qu'ils ont adressée le 21 juin au Premier ministre canadien Stephen HARPER, le Président et la Chancelière ont indiqué « souhaité travailler sur un accord international sur une taxe mondiale sur les marchés financiers, telle que la taxe sur les transactions financières. Cette taxe constituerait un élément complémentaire de la contribution du secteur financier ».
2 - Autres résultats du Conseil européen
Je vous confirme, très brièvement, les six décisions prises par le Conseil européen, et dont je vous avais parlé la semaine dernière :
- ouverture des négociations d'adhésion avec l'Islande, avec le rappel d'une négociation fondée selon les mérites propres de l'Islande, et dont le rythme dépendra des progrès accomplis pour respecter les critères fixés par le Conseil (notamment en remédiant aux faiblesses relevées par la Commission, y compris dans le secteur financier) ;
- accord pour une entrée de l'Estonie dans la zone euro le 1er janvier 2011, ce qui prouve toute l'attractivité de la zone euro ;
- constat des progrès réalisés sur la mise en oeuvre du Pacte européen sur l'immigration et l'asile ;
- dans le cadre de la réunion plénière de l'ONU sur les objectifs du millénaire pour le développement (OMD), résolution du Conseil européen visant à atteindre d'ici 2015 les objectifs fixés en matière d'aide au développement, et à réexaminer annuellement ce sujet ;
- adoption de la décision permettant la création de 18 sièges supplémentaires au Parlement européen (dont 2 reviennent à la France), jusqu'au terme de la législature actuelle (2009-2014) ;
- mention de la communication de la Commission sur le changement climatique qui retient, à titre d'option, la perspective d'un mécanisme d'inclusion carbone, comme le souhaitait la France.
S'agissant de l'Iran, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté le 9 juin 2010 une nouvelle résolution de sanctions contre l'Iran, la résolution 1929, qui souligne les profondes inquiétudes de celle-ci à l'endroit du programme nucléaire iranien. A la suite de cette résolution, le Conseil européen a demandé aux ministres des affaires étrangères de préparer, pour le Conseil des affaires étrangères du 26 juillet, des mesures d'accompagnement dans des domaines qui sont précisément identifiés, fixant ainsi une feuille de route pour les travaux européens. Sont ainsi mentionnés les relations commerciales, les banques, les assurances, les transports, l'énergie, les Gardiens de la révolution...
La France reste fidèle à la double approche, constamment promue par les Six, et qui repose à la fois sur le dialogue et la fermeté. Ce sont les refus répétés de l'Iran d'engager le dialogue avec les Six, en dépit des nombreuses offres de ceux-ci, et les poursuites de son programme d'enrichissement, mené en violation des résolutions du Conseil de sécurité et en l'absence de tout objectif civil identifiable, qui nous amènent à renforcer les sanctions contre l'Iran. Celles-ci ne visent pas le peuple iranien, mais leurs dirigeants dont nous espérons qu'ils feront enfin le choix de la coopération. Le Président l'a exprimé clairement : « il faut absolument, maintenant que nous avons les sanctions, que l'on fasse les sanctions et le dialogue. Ce n'est pas les sanctions et l'absence de dialogue, c'est les sanctions pour renforcer les chances de dialogue ».
M. Robert del Picchia. - Les Allemands étaient jusqu'à présent plus que réticents devant la notion de « gouvernement économique ». Qu'ils acceptent désormais cette notion est un pas en avant très important et un effort en direction de la France.
Vous avez évoqué la perspective d'une taxe bancaire. Quelle est la position des États-Unis à ce sujet ?
Comment voyez-vous la présidence belge compte tenu de la situation intérieure complexe de ce pays ?
Enfin, pourquoi ne pas faire élire par les Français de l'étranger les deux députés européens supplémentaires attribués à la France ? J'ai, pour ma part, déposé une proposition de loi en ce sens.
M. Jean Bizet. - La notion de « gouvernement économique » est certainement importante, mais sa mise en oeuvre sera déterminante. À cet égard, je comprends mal la volonté allemande de se placer essentiellement dans le cadre des Vingt-sept, plutôt que privilégier celui de la zone euro. Quelle est la raison de cette attitude ?
Mme Annie David. - Je m'interroge sur le contenu et la portée de la taxe envisagée sur les banques. Quelles en seraient les modalités ? J'espère qu'il ne s'agit pas d'un faux-semblant : le président d'EADS, que nous entendions juste avant cette réunion, soulignait lui-même la nécessité de canaliser les marchés financiers, relevant en particulier les inconvénients de la volatilité des taux de change.
Je voudrais manifester le plus grand scepticisme au sujet de la Stratégie UE 2020, compte tenu des politiques d'austérité qui se généralisent.
Enfin, vous n'avez pas évoqué la situation à Gaza, devant laquelle l'Europe ne peut rester inactive.
M. Pierre Fauchon. - Pouvez-vous confirmer que l'Allemagne retient effectivement les mots de « gouvernement économique » ? Cela me paraît, à moi aussi, un pas significatif. Mais ce que j'aimerais surtout, c'est que ce « gouvernement » fonctionne. Et je ne comprends pas non plus les réticences allemandes à se placer dans le cadre de la zone euro. Votre homologue Werner Hoyer nous disait pourtant il y a peu qu'il était très favorable à la notion de coopération renforcée, évoquant même l'idée du « noyau dur » lancée il y a plus de 15 ans par MM. Lamers et Schäuble.
Cela dit, on a du mal à concevoir ce que pourrait être un mécanisme de sanctions efficace pour faire respecter le pacte de stabilité et de croissance. Retirer le droit de vote à un État n'est pas possible. Des pénalisations financières seraient contre-productives. Je crois qu'il faudrait voir les choses sous un autre angle. Le risque pour un gouvernement d'être mis en cause publiquement par les autres gouvernements n'est-elle pas une incitation suffisante à la vertu budgétaire ?
M. Jean Bizet. - On me dit que les négociations sur le futur cadre financier de l'Union risquent d'être particulièrement difficiles. Le confirmez-vous ?
M. Pierre Lellouche. - L'Allemagne a bien accepté le terme de « gouvernement économique ». Le concept est acquis. Naturellement, beaucoup reste à faire pour le concrétiser.
Il est encore trop tôt pour connaître la position américaine sur la taxation bancaire. Il y aura probablement une sensibilité aux risques de délocalisation de certaines activités.
Pour la présidence belge, il faut souligner que, conformément au traité de Lisbonne, la présidence stable prend une importance croissante. Le rôle de la présidence tournante est donc moins déterminant. Et puis M. Van Rompuy est belge ! Il ne devrait pas y avoir de problème majeur.
Il est vrai que le président de la République était favorable à une plus forte structuration de la zone euro, avec des réunions régulières des chefs d'État ou de gouvernement de la zone et un secrétariat propre. Mais si l'on voulait parvenir à une capacité normative, il fallait une base dans les traités ; or, elle n'existe pas aujourd'hui pour la zone euro. C'est pourquoi nous sommes parvenus à un compromis pragmatique. Le cadre juridique actuel n'interdit pas de se réunir à 16 chaque fois que nécessaire afin d'agir de manière cohérente et coordonnée. Certes, il n'y a pas d'institutionnalisation plus forte de la zone euro, mais cela ne signifie pas que les problèmes propres à la zone euro ne pourront pas être abordés de manière appropriée. Pourquoi les réticences allemandes ? Je crois qu'elles tiennent en partie au souhait d'éviter une situation de confrontation Nord/Sud au sein de la zone euro.
Sur la taxation bancaire, notre position est que les banques doivent contribuer à la sortie de la crise et pas seulement profiter de celle-ci.
En ce qui concerne la situation à Gaza, on observe un début de levée du blocus. Israël commence à se rendre compte que son attitude est contre-productive. Il faut donc plus que jamais maintenir le dialogue pour favoriser les évolutions positives.
Enfin, le mode d'élection des deux députés européens français supplémentaires est un serpent de mer. L'élection par les Français de l'étranger était une option possible : le Gouvernement l'a écartée compte tenu du coût d'un tel scrutin, pour élire deux députés qui vont siéger trois ans. Une deuxième option était de retenir les suivants de liste, mais il y avait un sérieux risque d'inconstitutionnalité. C'est pourquoi nous avons retenu l'élection par l'Assemblée nationale. Les réactions très négatives que ce choix a suscitées chez certains de nos partenaires et au sein de certains groupes politiques me paraissent un peu disproportionnées. Il n'y a naturellement aucune volonté de notre part de remettre en cause l'élection directe du Parlement européen, cela va de soi.
M. Robert del Picchia. - J'espère que pour la prochaine élection - nous avons le temps -, la situation des Français de l'étranger sera prise en compte.
Mercredi 23 juin 2010
- Présidence de M. Jean Bizet, président -Politique de coopération - Politique
étrangère et de
défense
Proposition de résolution européenne sur
les relations
entre l'Union européenne et l'État
d'Israël
Rapport de M. Robert del
Picchia
M. Robert del Picchia. - La proposition de résolution que nous sommes amenés à examiner aujourd'hui vise à suspendre l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël.
Je crois que, avant toute chose, il convient de replacer cet accord d'association dans son contexte global afin de pouvoir en apprécier justement les objectifs. Cet accord d'association entre dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen entre l'Union européenne et les pays du sud de la Méditerranée qui a été lancé en 1995 sous le nom de « processus de Barcelone ». Ce partenariat avait pour objectif d'établir une coopération politique, économique et sociale entre l'Union et ses voisins méditerranéens.
Dans le cadre du processus de ce partenariat, des accords d'association ont été mis en place entre la Communauté européenne et les États membres d'une part, et chacun des pays méditerranéens partenaires d'autre part. Ces accords se substituaient aux accords de coopération qui avaient été conclus au cours des années 70. Ils ont pour but de promouvoir un dialogue régulier en matière politique et de sécurité dans le but d'instaurer une meilleure compréhension mutuelle et une coopération politique approfondie. Ils prévoient par ailleurs l'établissement progressif d'une zone de libre-échange en Méditerranée. Sept accords sont ainsi entrés en vigueur au fil des ans :
- en 1998, l'accord avec la Tunisie,
- en 2000, un accord avec le Maroc et un autre avec Israël,
- en 2002, l'accord avec la Jordanie,
- en 2004, l'accord avec l'Égypte,
- en 2005, l'accord avec l'Algérie,
- en 2006, l'accord avec le Liban.
J'ajoute que, en 1997, un accord d'association intérimaire a été signé avec l'Autorité palestinienne. Il a vocation à s'appliquer entre les parties jusqu'à la conclusion d'un accord euro-méditerranéen d'association définitif « dès que les conditions le permettront ». Cet accord intérimaire porte principalement sur les questions commerciales et de coopération ; il ne comporte pas de dialogue politique.
En revanche, il n'existe pas actuellement d'accord d'association avec la Syrie ni avec la Libye. La Syrie a reporté sine die, pour des raisons d'opportunité politique et économique, la signature de l'accord d'association avec l'Union européenne ; l'accord est paraphé, mais il n'est pas signé. Pour la Libye, les négociations se poursuivent et pourraient aboutir à la fin de 2010 ou au début de 2011.
Pour chacun des accords d'association, il existe un Conseil d'association, organisé au niveau ministériel, qui arrête les décisions et formule des recommandations pour atteindre des objectifs fixés. Il existe en outre un comité d'association qui assure une gestion de l'accord et le règlement des différends éventuels. Seul l'accord intérimaire avec l'Autorité palestinienne ne comporte pas ce Conseil ni ce comité, mais seulement un comité mixte pour le commerce et la coopération.
Ce rappel n'est pas inutile car il faut garder à l'esprit que l'accord d'association conclu avec Israël n'est qu'un élément d'un ensemble.
Nos collègues du groupe CRC estiment que l'attitude d'Israël à l'égard de la population palestinienne dans la bande de Gaza doit conduire l'Union européenne à suspendre l'accord d'association qu'elle a conclu avec Israël.
Je crois qu'il nous faut revenir un instant sur les positions de l'Union européenne à l'égard de cette question. L'Union européenne est fortement impliquée dans le processus de paix au Proche-Orient. Membre du Quartette, elle participe au processus de négociation israélo-palestinien pour parvenir à une solution durable et complète basée sur la co-existence de deux États. D'une part, l'Union européenne souhaite jouer un rôle plus actif dans le processus de paix ; d'autre part, elle est soucieuse de respecter un équilibre dans le traitement d'Israël et des pays arabes. Le deuxième objectif est d'ailleurs certainement une condition pour pouvoir atteindre le premier.
La dernière position officielle de l'Union européenne, qui s'est exprimée dans les conclusions du Conseil Affaires étrangères du 14 juin dernier, c'est-à-dire il y a huit jours, reflète parfaitement cette attitude. L'Union européenne a condamné le recours à la violence durant l'opération militaire israélienne dans les eaux internationales contre la flottille qui tentait de joindre Gaza. Elle a réclamé une enquête immédiate, complète et impartiale sur le déroulement des événements et sur les circonstances qui les ont entourés ; elle a précisé que, pour mériter la confiance de la communauté internationale, cette enquête devait inclure une participation internationale crédible. Les conclusions du Conseil de l'Union mentionnent que la situation à Gaza reste intenable et que le blocus imposé par Israël est inacceptable et politiquement contre-productif. Parallèlement, et vous retrouvez là ce souci d'équilibre qui inspire la politique de l'Union européenne, les conclusions soulignent qu'il faut également tenir compte des préoccupations légitimes de sécurité d'Israël et qu'il faut assurer l'arrêt total de toutes les violences et du trafic d'armes vers Gaza.
Le Parlement européen a également consacré un débat à cette question la semaine dernière et il a adopté une résolution le jeudi 17 juin, c'est-à-dire il y a quelques jours. Sa position rejoint largement celle du Conseil. Il condamne l'attaque contre la flottille par l'armée israélienne, dans les eaux internationales, et réclame une enquête internationale et impartiale. Il invite Israël à mettre fin immédiatement au blocus de Gaza. Mais, et nous retrouvons là ce souci d'équilibre, il exige en contrepartie que toutes les attaques contre Israël cessent immédiatement. En outre, il appelle la Haute représentante et les États membres à prendre immédiatement l'initiative en soumettant un plan de l'Union européenne au Quartette visant la levée du blocus de Gaza et prenant en compte les intérêts de sécurité d'Israël en assurant le contrôle international des points de passage. Il réaffirme également son soutien aux discussions de proximité entre Israël et l'Autorité palestinienne en vue de la reprise des négociations de paix.
Lorsque nous nous penchons sur ce sujet, la véritable question que nous devons nous poser, c'est de déterminer comment l'Union européenne peut peser afin d'aboutir à une amélioration de la situation.
Où en est-on aujourd'hui ?
Israël, à la suite des réactions de la communauté internationale, a décidé la création d'une commission d'enquête qui comprendrait deux observateurs internationaux : l'Irlandais Lord David Trimble, prix Nobel de la Paix en 1998, et le Canadien Ken Watkin, ancien avocat général de l'armée canadienne.
C'est un premier pas positif et ce premier pas résulte des pressions internationales qui se sont exercées sur Israël. Mais, mes chers Collègues, restons lucides, les pressions exercées par l'Union européenne sont secondaires, aux yeux d'Israël, par rapport à celles que peuvent exercer les États-Unis. Je vous avoue que je suis un peu étonné de lire dans la proposition de résolution que « l'Union européenne joue un rôle prépondérant dans la recherche d'une solution pacifique au conflit au Proche-Orient pour une paix juste et durable ». Que l'Union européenne doive jouer un rôle actif dans cette recherche, nous le souhaitons tous. Mais que l'on puisse constater qu'elle joue aujourd'hui un rôle prépondérant en ce sens, permettez-moi de vous dire que c'est prendre ses rêves pour des réalités.
Toujours en réponse aux réactions de la communauté internationale, Israël a été amené à annoncer, il y a quelques jours, ce qui apparaît comme un changement de sa stratégie à l'égard de Gaza. D'après les annonces qui ont été formulées dimanche dernier, toutes les marchandises pourraient désormais entrer à Gaza, à l'exception de celles qui figureraient sur une liste de produits qui, tout en étant à usage civil, pourraient être utilisés à des fins militaires.
Israël passerait ainsi d'une liste des marchandises autorisées à entrer à Gaza à une liste des marchandises interdites, ce qui permettrait l'entrée à Gaza de produits tels que les matériaux de construction et les matières premières pour les usines, qui peuvent favoriser le développement économique et le secteur privé à Gaza. Il faut encore attendre pour pouvoir juger de l'importance de ces nouvelles mesures. Tout tiendra bien sûr aux détails d'application. Mais cela va dans le bon sens.
Bien sûr, cela est encore insuffisant et il faut inciter Israël à aller plus loin. Il faudrait notamment que les biens produits à Gaza puissent être exportés vers les marchés extérieurs. Il faudrait aussi que l'allègement du blocus ne concerne pas seulement la voie terrestre, mais aussi la voie maritime.
Mais comment l'Union européenne peut-elle le mieux agir en ce sens ? Est-ce plutôt par la pression constante que permet un dialogue régulier ou est-ce en rompant les contacts, c'est-à-dire en suspendant l'accord d'association ? Suspendre l'accord d'association, est-ce que ce ne serait pas s'exclure purement et simplement du jeu diplomatique ? Est-ce que ce ne serait pas mettre en péril l'ensemble de la stratégie euro-méditerranéenne de l'Union ? Pensez-vous que cela aiderait l'Union pour la Méditerranée à s'affirmer ? Et si l'Union européenne suspendait aujourd'hui l'accord d'association avec Israël ? Ne devrait-elle pas procéder de même demain avec tel ou tel autre État méditerranéen lorsqu'elle constaterait une grave atteinte à la liberté de la presse ou à la liberté d'opinion ? Et devrait-elle agir ainsi demain si des troubles survenaient au Sahara occidental ?
Les mécanismes de dialogue politique qui sont inclus dans les accords d'association ont précisément pour but de permettre à l'Union de constater les progrès dans la voie du respect des droits de l'Homme et des principes démocratiques et de lui donner le moyen de se prononcer, d'avertir, de conseiller et d'exercer une pression. Dans le cadre de l'accord d'association avec Israël, il y a le Conseil d'association au niveau ministériel ; il y a le comité d'association ; il y a neuf sous-comités ; et il y a un groupe de travail informel consacré aux droits de l'Homme. Est-ce qu'il faut vraiment renoncer à tous ces instruments ?
La proposition de résolution qui nous est aujourd'hui soumise vise la résolution du Parlement européen d'avril 2002 dans laquelle celui-ci demandait la suspension de l'accord d'association. Mais je relève que le Parlement européen, dans la résolution qu'il a adoptée jeudi dernier, invite instamment le Conseil de l'Union à convoquer sans délai le Conseil d'association Union européenne/Israël pour discuter de la situation actuelle. Manifestement, le Parlement européen a changé d'attitude depuis 2002. Il a pris conscience aujourd'hui que le dialogue était plus porteur que le refus. Non seulement il n'appelle plus à suspendre l'accord d'association, mais il demande que l'on recoure sans délai aux instruments de dialogue que celui-ci offre à l'Union. C'est à une même évolution que j'appelle aujourd'hui nos collègues du groupe CRC.
Il faut être ferme avec Israël et réagir avec force et détermination chaque fois que cela apparaît nécessaire, mais il faut toujours privilégier le dialogue plutôt que de renoncer aux instruments du dialogue. C'est pourquoi je vous appelle à rejeter la proposition de résolution.
M. Michel Billout. - Je remercie le rapporteur pour l'examen qu'il a fait de notre proposition de résolution. Cependant, je remarque que pour d'autres propositions de résolution, le rapport avait été confié à un membre du groupe ayant déposé la proposition. J'estime qu'il y a encore des progrès à faire en ce qui concerne les droits de l'opposition.
Ce texte reprend l'esprit d'une proposition de résolution présentée l'an dernier à la suite de l'opération « Plomb durci » menée par Israël, qui avait fait 1400 morts du côté palestinien, la plupart étant des victimes civiles. Peu avant cette opération, la question s'était posée au sein de l'Union européenne du renforcement de ses relations avec l'État d'Israël. Notre proposition de résolution avait alors été rejetée au motif que le renforcement des relations avait été reporté.
Vous avez fait observer que l'adjectif « prépondérant » est excessif eu égard au rôle politique joué par l'Union européenne au Moyen-Orient. Cependant, je tiens à souligner que le rôle économique « prépondérant » de l'Union européenne auprès des populations palestiniennes est incontestable, puisqu'elle est le premier contributeur d'aide humanitaire. Elle a donc une responsabilité particulière et doit prendre position lorsqu'Israël bafoue le droit international, d'autant plus qu'une série de résolutions de l'ONU sur le conflit n'ont jamais été appliquées par Israël. Il ne s'agit pas pour nous d'être pro-israélien ou pro-palestinien, mais d'être en faveur du droit international. L'accord d'association entre l'Union européenne et Israël comporte un article invitant Israël à progresser dans le domaine des droits de l'homme et dans le respect du droit international. Or, force est de constater qu'aucun progrès n'a été réalisé depuis des années en la matière. Au contraire, la situation a empiré à travers le blocus intransigeant de Gaza et la colonisation incessante, malgré des condamnations à répétition de la part de la communauté internationale. Le gouvernement israélien est particulièrement sourd à toutes ces protestations, comme l'ont démontré les plus récents incidents. Notre groupe estime qu'il faut agir, au-delà des condamnations de principes et des grandes déclarations. Il est temps aujourd'hui de prendre nos responsabilités. La commission des affaires européennes m'avait chargé d'un rapport sur la mise en oeuvre des obligations communautaires en Bulgarie et en Roumanie. L'Union européenne a sanctionné la Bulgarie, dont les efforts étaient insatisfaisants dans le domaine de la lutte contre la corruption. Pourquoi l'Union européenne ne sanctionnerait-elle pas Israël ? C'est bien le conflit israélo-palestinien qui bloque tout développement de l'Union pour la Méditerranée. L'Union doit donc s'attacher à peser avec courage sur les décisions du gouvernement israélien comme sur les décisions des représentants palestiniens, qu'il s'agisse de l'autorité palestinienne ou du Hamas. Si nous ne faisons rien, la situation risque d'empirer.
Plutôt que de dénoncer les agissements de l'État d'Israël, la communauté internationale lui permet de rentrer dans tel ou tel organisme, lui octroyant ainsi un sentiment d'impunité. Je remarque à cet égard que l'attaque de la flottille a eu lieu quelques jours seulement après l'entrée d'Israël au sein de l'OCDE. Comment faire comprendre au gouvernement israélien qu'il ne peut pas continuer ainsi ?
Enfin, je remarque qu'il a fallu l'intervention de la Turquie pour ébranler légèrement la détermination d'Israël à bafouer le droit international. Il serait regrettable que notre commission s'en tienne à un rejet pur et simple de notre proposition. Je pense qu'il faut trouver au minimum une position de compromis, de façon à ce que le Sénat s'exprime sur le sujet.
M. Josselin de Rohan. - Nous partageons bien sûr, tous autant que nous sommes, la réprobation de la conduite d'Israël à l'égard des Palestiniens. J'ai eu l'occasion de dire personnellement au président Shimon Peres que l'opinion française désapprouve totalement l'action intransigeante du gouvernement israélien en ce qui concerne le blocus de Gaza. Nous avons réclamé l'assouplissement des conditions de vie de la population palestinienne. Pour autant, la politique de sanctions que vous prônez dans votre résolution est-elle la bonne ? L'accord d'association est en vigueur depuis 2000 et profite aux deux parties dans les domaines économique et culturel notamment. Le renforcement des relations a été gelé en 2009. Cela constituait déjà un avertissement et un signe de la désapprobation de l'Union européenne.
La suspension de l'accord d'association ne me paraît pas la bonne solution, car si nous avons une chance de progresser dans la résolution du conflit, nous n'y parviendrons qu'avec les États-Unis. Or, si l'Union suspend unilatéralement cet accord, les Américains ne nous suivront pas et se démarqueront de notre position. Au final, nous serons divisés alors que l'unité est primordiale dans cette affaire, et les Israéliens ne verront que la position américaine.
En outre, même si le dialogue reste ténu, il a repris à travers des « entretiens de proximité », qu'il faut encourager. Suspendre l'accord d'association, et donc le dialogue, irait à l'encontre de cette politique. Certes, Israël doit effectuer de gros efforts, mais la mettre en position d'accusé ne l'aidera pas à progresser. C'est pourquoi je soutiens la position exprimée par le rapporteur.
Mme Catherine Tasca. - Je félicite Robert del Picchia pour son rapport, mais je souscris à l'observation de Michel Billout selon laquelle il pourrait être opportun de confier le rapport d'une proposition de résolution à un membre du groupe qui en est l'auteur. Il faudra se montrer vigilant à l'avenir.
Sur le fond de la discussion, la position des commissaires socialistes rejoint les conclusions du rapporteur. Nous ne pourrions soutenir la proposition de nos collègues communistes qu'à la condition d'amender le paragraphe 21 de façon à le remplacer par la rédaction suivante : Le Sénat « demande en conséquence au Gouvernement d'inviter instamment le Conseil à prendre les mesures nécessaires pour convoquer sans délai le Conseil d'association UE-Israël afin de discuter de la situation actuelle ».
Nous estimons que des discussions urgentes sont nécessaires, plutôt que la rupture du dialogue.
M. Pierre Fauchon. - Concernant le choix du rapporteur, je ne vois pas pourquoi celui-ci devrait être systématiquement un membre issu du groupe ayant déposé la proposition de résolution. Au contraire, il doit être impartial et évoquer toutes les positions en présence. Il me semble normal que le choix du rapporteur revienne au président de la commission, ou au bureau. Je crois en tout cas qu'il faut éviter tout automatisme en la matière. A la commission des lois, si j'en juge par mon expérience personnelle, ce serait plutôt le principe inverse qui est appliqué : l'auteur d'une proposition de loi n'est jamais rapporteur !
Sur le fond, même si votre démarche est légitime et que j'en partage l'inspiration, je déplore le caractère excessif et partial de la proposition examinée. Vous parler de rôle « prépondérant » de l'Union européenne au Moyen-Orient. Nous pourrions à la rigueur employer le mot « accru », mais pas au-delà. Vous savez parfaitement que l'influence politique de l'Union au Moyen-Orient est encore marginale par rapport à celle des Américains.
De plus, je ne suis pas du tout d'accord pour parler de « condamnation sans équivoque ». Nous ne sommes pas des juges. Il me semble qu'il faut à cet égard conserver une certaine retenue, au regard du passé terrible d'Israël et des circonstances de sa création. Je veux bien formuler des voeux ou des regrets, mais la condamnation est excessive.
De surcroît, votre texte fait preuve d'une grande partialité. Vous mentionnez les victimes palestiniennes, mais il ne faut pas oublier les tirs de roquette, qui atteignent aussi la population israélienne. Je ne parle pas des terroristes, dont on peut penser qu'il est le fait de gens incontrôlables. Je souscris cependant au reproche justifié relatif à l'extension de la colonisation. Mais, de façon générale, il faut rétablir un certain équilibre dans votre proposition de résolution.
Enfin, je crois que ce n'est pas en mettant de l'huile sur le feu que l'on atteindra des résultats probants. Compatissons, critiquons, mais ne donnons pas de leçons.
Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas en faveur de cette proposition de résolution.
M. Robert Badinter. - Avant toute chose, il est évident que l'intervention israélienne est injustifiable au regard du droit international. Personne ne conteste ce point. Je crois qu'il ne faut pas oublier qu'Israël est une démocratie très vivante, et que le gouvernement israélien ne représente pas l'opinion publique. Le système politique israélien actuel favorise la mainmise des extrémistes sur la sphère politique, ce qui est regrettable.
Si je partage l'indignation relative aux conséquences humanitaires du blocus de Gaza, je voudrais rappeler que l'Égypte est également voisine de Gaza. Elle pourrait ouvrir la frontière pour soulager l'isolement de ceux qu'elle appelle ses « frères ». La vérité est que le gouvernement égyptien redoute le renfort intégriste des frères musulmans qui pourrait venir de Gaza. N'oubliez jamais que le Hamas garde toujours un oeil sur la Cisjordanie, car son influence y augmente au fur et à mesure que se dégradent les relations entre le gouvernement israélien et la population de Gaza. Le Hamas veut s'emparer du pouvoir dans l'ensemble des Territoires palestiniens. Le Hamas, comme le Hezbollah, sont tous les deux dans la main de leur véritable contributeur financier, à savoir l'Iran.
L'Union européenne est le premier contributeur d'aide humanitaire dans les Territoires palestiniens. Des incertitudes pèsent sur la gestion de ces fonds. Malgré cela, notre niveau d'influence politique est limité. Tout se décide à Washington.
En outre, votre proposition de résolution vise à suspendre un accord avant tout économique, plutôt que diplomatique. L'Union européenne est le premier partenaire économique d'Israël. Elle tire donc un grand profit de cette coopération au niveau de sa balance des paiements. Du point de vue économique, Israël est un État porté par la mondialisation, très en avance sur les économies européennes. Je rappelle que son PIB a cru de 4 % l'année dernière.
Enfin, il faut se souvenir que l'État israélien est né dans la douleur. Depuis l'origine, les Israéliens vivent dans une angoisse existentielle incompréhensible pour les autres, dans la terreur du « on veut notre mort ». Le Hamas refuse de prononcer le mot même de reconnaissance de l'État d'Israël, ce qui attise ce complexe originel. Le gouvernement israélien agit en fonction de la doctrine selon laquelle les Juifs ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Suspendre l'accord d'association ne ferait que renforcer le camp des extrémistes qui se feraient un plaisir d'expliquer à quel point l'Union européenne stigmatise Israël. Au contraire, l'Union européenne doit aider Gaza autant que possible et demander instamment au gouvernement israélien de ne pas s'y opposer. Nous devons avoir une position claire et ferme, mais ouverte au dialogue. Les conditions de la paix sont connues : naissance d'un État palestinien, partage de Jérusalem, règlement de la question du retour des réfugiés. Or, de chaque côté, les fractions extrémistes ne veulent pas de ces conditions. Votre résolution ne fera que conforter ces derniers, contrairement au but recherché.
M. Roland Ries. - Après l'exposé de Robert Badinter, je n'ai pas grand-chose à ajouter. Je partage bien sûr son point de vue. Je voudrais néanmoins souligner trois points.
D'une part, en tant que maire de Strasbourg, j'ai l'occasion de recevoir beaucoup de délégations étrangères, qu'il s'agisse de représentants des pays arabes ou de représentants israéliens. Face à leur désespoir et à leur sentiment qu'il n'y a pas de solution au conflit, je leur réponds qu'il faut rester confiant. En effet, nous sommes bien placés à Strasbourg pour dire que les impasses les pires trouvent parfois une solution. Je leur cite alors la création du Conseil de l'Europe en 1949.
Votre proposition de résolution ne va pas dans le sens de cette ouverture vers l'avenir, car elle totalement déséquilibrée. Elle n'évoque que des actes condamnables perpétrés par les Israéliens, sans citer les menaces auxquelles Israël est confrontée au quotidien. Dans la résolution du Parlement européen, on trouve cet équilibre, notamment en son point 5. Votre texte est beaucoup trop unilatéral.
Enfin, je ne crois pas un seul instant que des sanctions puissent débloquer les choses et ouvrir des perspectives. Je m'inscris donc dans la continuité des propos de Robert Badinter et de Catherine Tasca, et je voterai contre la proposition de résolution.
M. Michel Billout. - Je vais revenir à nouveau sur le fond de la question. Certes, je n'ai pas votre expérience, mais j'ai une certaine connaissance d'Israël et de la complexité du conflit israélo-palestinien, car j'ai de nombreux amis israéliens, notamment des Juifs progressistes. Je n'oublie pas non plus les conditions de la naissance d'Israël. Vous accusez la proposition de résolution de partialité. Je rappelle qu'elle trouve son origine dans l'indignation suscitée par des événements inadmissibles au regard du droit international. Si nous n'abordons pas spécifiquement la sécurité d'Israël dans le texte, vous ne pouvez pas dire que nous soyons impartiaux, car nous l'avons déjà évoquée, et nous sommes prêts à amender le texte dans ce sens le cas échéant. Le remarquable rapport de Jean François-Poncet et de Monique Cerisier ben-Guiga sur « le Moyen-Orient à l'heure nucléaire » soulignait d'ailleurs que la sécurité de l'État d'Israël n'avait jamais été autant assurée que depuis ces dernières années. Si l'amendement proposé par mes collègues socialistes me paraît en retrait par rapport à notre texte, je suis prêt à l'accepter afin d'éviter le silence du Sénat dans cette affaire.
M. Jean Bizet. - À la suite du rapport très clair et très complet de Robert del Picchia, je voudrais formuler deux remarques.
D'abord, cet accord entre dans le cadre d'un ensemble qui concerne tous les pays euro-méditerranéens. En suspendant l'accord d'association, on porterait atteinte à toute cette architecture.
Ensuite, les conclusions du Conseil « Affaires étrangères » du 14 juin et la résolution du Parlement européen du 17 juin comportent tous les éléments du problème, conservent l'équilibre qui est nécessaire et répondent à toutes les analyses qui ont été exposées au cours de notre débat. Je remercie d'ailleurs Michel Billout de nous avoir donné l'occasion d'avoir entre nous ce débat qui a été riche et plein d'intérêt.
Pour ma part, je rejoins le rapporteur dans ses conclusions qui visent à rejeter la proposition de résolution.
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La Commission a alors rejeté la proposition de résolution.
* Cette réunion est en commun avec la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.