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- Mardi 25 mai 2010
- Institutions
européennes
Adhésion de l'Union européenne à la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'Homme (E 5248)
Communication de M. Robert Badinter - Économie, finances et
fiscalité
Avenir de la politique de cohésion
Communication de MM. Yann Gaillard et Simon Sutour - Politique de coopération
Examen de la proposition de résolution européenne (n° 452)
sur l'accord modifiant l'accord de partenariat avec les États d'Afrique,
des Caraïbes et du Pacifique (E 5295)
Rapport de M. Jean Bizet
- Institutions
européennes
- Mercredi 26 mai 2010
Mardi 25 mai 2010
- Présidence de M. Jean Bizet, président -Institutions
européennes
Adhésion de l'Union européenne à
la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'Homme (E
5248)
Communication de M. Robert Badinter
M. Robert Badinter. - Nous sommes saisis d'un projet de décision qui tend à permettre à la Commission européenne d'engager des négociations avec les instances du Conseil de l'Europe en vue de la conclusion d'un accord international qui permettra à l'Union européenne d'adhérer à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH).
Je rappelle que cette adhésion a été expressément prévue par le traité de Lisbonne. Il n'est donc plus temps de débattre de son utilité. Il reste à en définir les modalités. Ce n'est pas le plus simple et l'on peut d'ores et déjà anticiper que les futures négociations prendront du temps. Le processus de ratification sur lequel je reviendrai pourra être plus long encore.
Toujours est-il que l'Espagne a souhaité que ce mandat de négociation puisse être adopté avant la fin de sa présidence. Le Conseil sera donc appelé à se prononcer le 3 juin prochain. D'emblée, je veux souligner que cette précipitation sur un sujet aussi complexe me paraît mal venue.
1/ Quelles sont les principales caractéristiques du système de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH) ?
Entrée en vigueur en 1953, la CEDH a consacré une série de droits et libertés civils et politiques (droit à la vie, à la liberté et à la sûreté, à un procès équitable, au respect de la vie privée et familiale, liberté de pensée, de conscience et de religion, d'expression, de réunion et d'association, droit à un recours effectif, interdiction de discrimination...). Elle a aussi instauré un dispositif visant à garantir le respect de leurs obligations par les États contractants. La France a ratifié la CEDH le 3 mai 1974. Elle a adhéré au droit de recours individuel des citoyens le 2 octobre 1981.
Initialement, la procédure de traitement des requêtes comportait un examen préliminaire par la commission européenne des droits de l'Homme (mise en place en 1954) qui, en cas d'échec d'un règlement amiable, transmettait un rapport au comité des ministres. Avant 1994, les particuliers ne pouvaient pas saisir la Cour européenne des droits de l'Homme (instituée en 1959). Le protocole n° 9 a permis de soumettre leur cause à un comité de filtrage composé de trois juges, chargé de décider si la Cour devait examiner la requête. Il a fallu attendre 1998 et le protocole n° 11 pour que la procédure devienne totalement judiciaire et que la compétence de la Cour soit obligatoire. Je précise que, depuis l'entrée en vigueur de la convention, 14 protocoles additionnels ont été adoptés.
Le système de la convention subit une pression croissante. Fin 2009, 119 300 requêtes étaient pendantes devant la Cour. Quatre États sont l'objet de plus de la moitié des requêtes : Russie (28,1 %), Turquie (11 %), Ukraine (8,4 %) et Roumanie (8,2 %). Avant l'entrée en vigueur du protocole n° 11, en 1998, l'ancienne Cour avait rendu moins de 1 000 arrêts. La nouvelle Cour en a prononcé plus de 12 000. Face aux délais excessifs de traitement des requêtes, les États contractants ont élaboré le protocole n° 14, en mai 2004. Il prévoit un filtrage des requêtes par un juge unique et des formations judiciaires plus réduites de manière à ce que les juges puissent se consacrer davantage aux affaires les plus importantes ou les plus urgentes. Ce protocole a été ratifié dans les deux ans par tous les États à l'exception de la Russie qui a attendu janvier 2010 pour ratifier.
A l'occasion d'une conférence organisée à Interlaken (Suisse) les 18 et 19 février 2010, les 47 États membres du Conseil de l'Europe ont par ailleurs adopté un plan d'action pour améliorer le fonctionnement de la Cour.
2/ Comment se présente le processus d'adhésion de l'Union européenne à la CEDH ?
Le traité de Lisbonne prévoit que « l'Union européenne adhère à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités. » (article 6 § 2).
Cette disposition est complétée par le protocole n° 8 qui encadre l'adhésion. Celle-ci devra préserver les caractéristiques spécifiques de l'Union et du droit de l'Union, notamment en ce qui concerne les modalités de sa participation aux instances de contrôle de la CEDH et les mécanismes nécessaires pour garantir que les recours soient dirigés correctement contre les États membres et/ou l'Union selon le cas. Selon le protocole n° 8, l'accord d'adhésion devra donner plusieurs garanties : non affectation de la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres, préservation de la situation individuelle des États membres à l'égard de la CEDH, préservation du monopole de la Cour de justice sur l'interprétation des traités. En outre, une déclaration annexée au traité souligne la nécessité de préserver les spécificités de l'ordre juridique de l'Union et appelle au renforcement du dialogue régulier entre la Cour de justice et la Cour européenne des droits de l'Homme.
Au niveau du Conseil de l'Europe, le protocole n° 14 (article 17) à la CEDH, qui entrera en vigueur le 1er juin, prévoit expressément la faculté pour l'Union européenne d'adhérer à la convention. Une fois signé, le traité d'adhésion devra être ratifié par les 47 États membres du Conseil de l'Europe. Le processus sera donc inévitablement très long et complexe. Sur la procédure à suivre au sein de l'Union, l'article 218 du TFUE prévoit expressément que le Conseil devra statuer à l'unanimité sur l'accord d'adhésion et que celui-ci devra être approuvé par le Parlement européen. En outre, la décision portant conclusion de l'accord devra être approuvée par les États membres « conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. »
3/ Quels sont les enjeux en cause et quelle appréciation peut-on porter sur le mandat de négociation ?
Quelques remarques préliminaires tout d'abord. Il s'agit d'un mandat de négociation. Ses termes sont donc relativement généraux. On ne peut en attendre un degré de détail équivalent à celui d'un accord d'adhésion.
J'observe néanmoins que le mandat d'adhésion qui nous est soumis est particulièrement peu précis, voire évasif sur plusieurs sujets essentiels, alors même que les traités et le protocole n°8 précité encadrent rigoureusement les conditions d'une future adhésion à la CEDH. Les représentants du ministère de la justice que j'ai rencontrés m'ont toutefois informé que la version initiale du projet de mandat était l'objet de discussions quotidiennes et que les dernières versions avaient été sensiblement enrichies. Les références à la lettre du protocole n° 8 seraient plus complètes. En outre, il est probable que le Conseil adoptera simultanément une déclaration relative aux règles internes à l'Union nécessaires à la mise en oeuvre de l'accord d'adhésion.
Plusieurs questions sont envisagées dans le document qui nous a été transmis. Je me concentrerai sur cinq questions qui correspondent aux enjeux les plus importants.
a) Les compétences de l'Union
D'abord, les directives de négociation précisent que l'adhésion ne devra affecter ni les compétences de l'Union ni les attributions de ses institutions. C'est une exigence qui résulte tant de l'article 6 § 2 du traité que du protocole n° 8. Elle devra être scrupuleusement respectée au cours des négociations. Les dernières versions du projet de mandat sont plus explicites sur ce point. Elles préciseraient aussi que l'Union ne peut pas être condamnée par la Cour de Strasbourg pour ne pas avoir adopté un acte ne relevant pas de sa compétence.
b) La situation des États membres à l'égard de la convention et de ses protocoles
Comme le spécifie également le protocole n° 8, l'adhésion ne devrait pas avoir pour effet de modifier la situation des États membres à l'égard de la convention et de ses protocoles. Tous les États membres ont ratifié la convention, mais tous n'ont pas ratifié certains protocoles, tandis que plusieurs d'entre eux ont formulé des réserves sur la convention elle-même ou sur certains de ses protocoles.
Or, l'article 216 § 2 du TFUE précise que « les accords internationaux conclus par l'Union lient les institutions de l'Union et les États membres. » Les directives de négociation proposent de résoudre cette difficulté en prévoyant que l'accord d'adhésion ne créera des obligations qu'à l'égard des actes et des mesures adoptés par les institutions, les organes ou les organismes de l'Union.
Cette solution ne semble pas très satisfaisante, compte tenu de l'imbrication des législations nationales et des actes de l'Union.
Une autre solution offrant une meilleure sécurité juridique consisterait à prévoir que l'Union ne peut adhérer qu'aux protocoles ratifiés par tous les États membres. Pour les autres protocoles et les futurs, l'Union pourrait y adhérer à la condition que tous les États membres donnent leur accord.
c) La participation de l'Union européenne aux mécanismes du Conseil de l'Europe intervenant sur la CEDH
La participation de l'Union sur un pied d'égalité avec les États membres aux mécanismes du Conseil de l'Europe intervenant sur la CEDH constitue un autre enjeu. Les directives de négociation envisagent le droit pour l'Union de disposer d'un juge au sein de la Cour européenne des droits de l'Homme. Il serait sélectionné parmi trois candidats proposés par l'Union. Cette demande paraît légitime dès lors que la convention prévoit expressément (article 20) que « la Cour se compose d'un nombre de juges égal à celui des Hautes Parties contractantes. »
Pour la Commission européenne, il devrait s'agir d'un juge permanent à temps plein (et non d'un juge « ad hoc ») qui siégerait dans les affaires dirigées contre l'Union ou concernant le droit de l'Union mais aussi dans les autres affaires, ce qui pourrait susciter des réserves ou des réactions d'États européens, telle la Russie, qui pourraient être condamnés par un juge représentant l'Union européenne à laquelle ils n'appartiennent pas.
Je rappelle que la convention (article 22) prévoit que « les juges sont élus par l'Assemblée parlementaire au titre de chaque Haute Partie contractante, à la majorité des voix exprimées, sur une liste de trois candidats présentés par la Haute Partie contractante. » Les directives de négociation envisagent donc qu'un nombre approprié de membres du Parlement européen soient autorisées à participer aux séances de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, lorsque celle-ci procédera à l'élection des juges.
En outre, l'Union devra être autorisée à participer, avec un droit de vote, aux réunions du comité des ministres du Conseil de l'Europe, lorsque le comité exercera des fonctions prévues par la convention.
d) La participation de l'Union européenne aux instances devant la Cour de Strasbourg
Les directives de négociation prévoient par ailleurs la mise en place d'un mécanisme de co-défendeur permettant à l'Union d'être codéfendeur à une instance devant la Cour européenne dès lors que le recours contre un État membre mettrait en cause le droit de l'Union.
Dans certains cas, en effet, la violation présumée de la CEDH par un État membre concernera un acte adopté conformément à une obligation résultant des traités ou du droit dérivé. En outre, l'Union devra pouvoir être liée par un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme dont l'exécution impliquera d'abroger ou de modifier la disposition litigieuse du droit de l'Union. La Commission européenne fait valoir que le mécanisme de la tierce intervention, prévue par la convention (article 36), qui permet à une Haute Partie contractante dont un ressortissant est requérant de présenter des observations écrites et de prendre part aux audiences, ne permettrait pas d'atteindre ce résultat. En effet, dans ce cas, l'arrêt ne pourrait être prononcé qu'à l'encontre du seul État membre. Or celui-ci ne serait manifestement pas en position d'abroger ou de modifier l'acte litigieux de l'Union.
Mais je dois dire qu'après y avoir beaucoup réfléchi et à la lumière des auditions auxquelles j'ai procédé, je suis très réservé sur la mise en place d'un tel mécanisme du co-défendeur.
Voyons les choses concrètement. Compte tenu de la place du droit communautaire dans le droit des États membres, ce mécanisme conduira nécessairement à une intervention de plus en plus fréquente de l'Union dans les instances devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Mais, surtout, il aboutira à ce que l'Union européenne en tant que telle soit condamnée assez régulièrement par la Cour de Strasbourg. On voit bien la portée politique considérable qu'auraient de telles condamnations. Ce n'est pas la même chose de condamner un État pris individuellement et de condamner une union d'États qu'est l'Union européenne !
Pour écarter ce risque, le mécanisme de la tierce intervention me semble préférable. L'Union pourrait venir en soutien d'un État membre lorsqu'elle estime que le droit de l'Union est véritablement mis en cause. Libre à la Cour européenne des droits de l'Homme ensuite de souscrire à ce point de vue ou de l'écarter.
Certes, un inconvénient de cette solution est que l'Union ne serait pas liée par l'arrêt de la Cour. Juridiquement, c'est incontestable. Mais politiquement, on voit mal l'Union ne pas tirer les conséquences d'un arrêt dont le dispositif affirmerait la non-conformité du droit de l'Union à la convention. L'effet utile sera identique.
e) Le monopole d'interprétation du droit de l'Union par la Cour de justice
Une question encore plus délicate concerne le monopole d'interprétation du droit de l'Union par la Cour de justice. Comme on l'a vu, le protocole n° 8 précise que l'accord d'adhésion devra préserver ce monopole d'interprétation.
A ce stade, les directives de négociation retiennent une formule assez générale pour que la question de l'intervention préalable de la Cour de justice soit traitée « de manière adéquate » lors des négociations, même si les dernières versions du projet de mandat semblent plus fermes.
Reste à traduire cette intervention préalable dans l'accord puis dans les procédures juridictionnelles. La Commission européenne fait valoir que, lorsque l'acte juridique en cause sera mis en oeuvre par une instance de l'Union, cette intervention préalable de la Cour de justice sera suffisamment garantie par la disposition de la convention selon laquelle un requérant ne peut saisir la Cour de Strasbourg qu'après épuisement des voies de recours internes.
Lorsque l'acte juridique en cause sera mis en oeuvre par un État membre, la Commission européenne souligne qu'une juridiction nationale statuant en dernière instance est tenue de saisir la Cour de justice à titre préjudiciel de toute question relative à l'interprétation du droit de l'Union. Dès lors, estime-t-elle, les cas dans lesquels un renvoi préjudiciel ne serait pas opéré devraient se présenter très rarement. M. Jean-Paul Costa, président de la Cour de Strasbourg, m'a d'ailleurs indiqué que seulement 6 à 7 % des affaires devant la Cour recoupaient des domaines relevant du droit de l'Union. Ces chiffres doivent néanmoins être pris avec précaution, car ils ne tiennent pas compte du fait que désormais la Charte européenne des droits fondamentaux a la même valeur que les traités.
En outre, le refus d'opérer un renvoi préjudiciel pourrait constituer une violation du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention. La Commission européenne envisage également que la Cour de Strasbourg puisse elle-même interpréter l'obligation d'épuisement des voies de recours interne comme impliquant que la Cour de justice soit saisie d'une question préjudicielle.
Je crois pour ma part qu'il faut aller plus loin et préciser que la Cour de justice devrait être saisie d'une question préjudicielle par la Cour de Strasbourg, si elle ne l'a pas été auparavant.
J'ajouterai que la prise en compte du droit primaire (traités) de l'Union dans l'examen de conventionnalité ne sera pas sans poser des difficultés. Dans un arrêt Mathews du 18 février 1999, la Cour européenne a considéré qu'elle pouvait effectuer un tel examen. Le Gouvernement français aurait pour sa part souhaité que le droit primaire soit exclu. C'est également ma position.
*
En conclusion, je vous propose d'affirmer, sur les principales questions en cause, les principes qui devront guider les négociations qui vont s'ouvrir.
Le sujet est important. Il aurait mérité une proposition de résolution que la commission des lois aurait pu examiner. Malheureusement, compte tenu des délais très brefs avant la décision du Conseil, nous sommes obligés de faire part très vite de nos observations au Gouvernement par la voie de conclusions.
Dans ces conclusions nous devons d'abord regretter la précipitation qui entoure l'adoption du mandat de négociation. Rien ne la justifie. L'extrême complexité du sujet et l'absence d'urgence devraient au contraire inviter à prendre le temps de la réflexion.
Je crois aussi indispensable d'affirmer - cela pourrait peut-être figurer dans la déclaration du Conseil - que le projet d'accord d'adhésion devra être soumis pour avis à la Cour de justice de l'Union européenne, comme le permet l'article 218 du traité, afin qu'elle s'exprime sur la compatibilité de l'accord d'adhésion avec le droit primaire de l'Union.
Sur le fond, une priorité doit guider les négociations qui vont s'engager : écarter autant que possible tout risque de conflit entre les deux ordres juridiques. Rien ne serait pire que de voir les deux cours se déjuger. Au contraire, la complémentarité et la spécialisation doivent prévaloir.
A cette fin, il est impératif d'affirmer le monopole d'interprétation du droit de l'Union par la Cour de Luxembourg. Pour y parvenir, la proposition du juge Timmermans, prévoyant un mécanisme de recours préjudiciel automatique entre la Cour de Strasbourg et la Cour de Luxembourg dès lors que le litige appellerait l'interprétation du droit de l'Union, est une solution intéressante.
La Cour de justice interprèterait l'acte de l'Union et contrôlerait sa conformité au droit primaire. En revanche, pour éviter d'être déjugée par la Cour de Strasbourg, elle ne se prononcerait pas sur la conformité de l'acte à la convention européenne.
L'accord d'adhésion devrait en outre prévoir que la Cour de Strasbourg est liée par l'interprétation de l'acte par la Cour de Luxembourg. Parallèlement, il me paraît préférable d'exclure le droit primaire issu des traités de l'examen de conventionnalité opéré par la Cour de Strasbourg.
Toujours dans le même souci d'éviter les confrontations entre l'ordre juridique de l'Union et celui de la convention européenne, une certaine prudence s'impose avant de s'engager vers la création d'un co-défendeur. En effet, par ce mécanisme, l'Union risque de se trouver quasi systématiquement attrait devant la Cour chaque fois qu'un État membre est mis en cause. En conséquence, elle pourrait être régulièrement condamnée. Pour les raisons que j'ai indiquées, une telle situation serait à mon sens désastreuse. Je crois donc préférable de s'en tenir à la procédure de la tierce intervention.
J'ajouterai que tout le domaine de la politique extérieure de sécurité commune devrait être expressément exclu du champ d'application de l'accord d'adhésion. Comme on le sait, la Cour de justice n'est elle-même pas compétente dans ce domaine. Il serait paradoxal de reconnaître la compétence d'une juridiction extérieure à l'Union, tout aussi respectable soit-elle !
M. Jean Bizet. - Il paraît indispensable de préserver le monopole d'interprétation de la Cour de justice sur le droit de l'Union. Dans le cas contraire, on irait vers de très grandes difficultés et même vers une mise en cause du crédit moral de l'Union européenne.
M. Denis Badré. - Je remercie le Président Badinter pour sa présentation qui m'a paru lumineuse. J'ai précédemment travaillé sur ce sujet dans le cadre de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. C'est la première fois que j'entends une présentation aussi claire.
Je rappelle qu'au sein du Conseil de l'Europe, il n'a été possible de travailler réellement sur cette question qu'une fois le protocole n° 14 ratifié par la Russie. Cela laisse entrevoir la perspective d'une négociation très longue sur l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. On peut même craindre que la Turquie n'utilise la ratification de l'accord d'adhésion comme monnaie d'échange dans le cadre des négociations en vue de son adhésion à l'Union européenne.
L'adhésion de l'Union européenne à la convention n'est pas une fin en soi, il faut trouver le bon équilibre.
Sur la question de la désignation d'un juge de l'Union européenne, je rappelle que les juges de la Cour européenne des droits de l'Homme sont désignés par l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Cette procédure fait débat au sein de l'assemblée parlementaire, certains pays souhaitant la supprimer. Pour ma part, je souhaite que l'on en reste là et surtout que l'on n'aille pas vers la désignation des juges par les pays membres eux-mêmes. Je crois qu'il faut aussi éviter que le juge désigné par l'Union européenne n'intervienne systématiquement sur les affaires dans lesquelles l'Union est en cause. Ce serait un précédent fâcheux.
Je partage les réserves exprimées par le Président Badinter sur la procédure du co-défendeur. Le fait que l'Union européenne soit actuellement au milieu du gué explique les difficultés que nous rencontrons à faire siéger dans les mêmes instances l'Union européenne avec les États membres.
Le contexte financier difficile que connaît l'Europe doit conduire l'Union européenne et le Conseil de l'Europe à travailler davantage ensemble. C'est pourquoi j'estime que l'Union européenne a commis une erreur en créant une agence des droits fondamentaux. Le débat sur l'adhésion de l'Union à la convention européenne est une bonne occasion de clarifier les relations qu'elle entretient avec le Conseil de l'Europe.
Je souscris pleinement aux conclusions proposées par le Président Badinter qui permettent tout à la fois de définir des principes intangibles tout en ouvrant des perspectives.
Mme Fabienne Keller. - Je remercie le président Badinter pour sa présentation très claire. Comment pourra-t-on faire partager les préoccupations qu'il a exprimées par les autres États membres ?
La force obligatoire reconnue à la Charte des droits fondamentaux par le traité de Lisbonne posera aussi la question de la cohérence des jurisprudences respectives de la Cour de justice et de la Cour européenne des droits de l'Homme. Ne faudrait-il pas envisager dans ce domaine un mécanisme de renvoi préjudiciel vers la Cour européenne des droits de l'Homme ?
Je considère également que l'accord d'adhésion donne une bonne occasion de clarifier les rôles respectifs de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe. Il faut aussi être attentif aux évolutions en cours au sein du Conseil de l'Europe où la Russie exerce une influence croissante.
M. Pierre Fauchon. - Je partage votre sentiment sur le co-défendeur ; ce serait une boîte à chagrin ingouvernable.
En réalité, nous avons deux procédures qui sont hétérogènes et qui n'ont ni la même source ni les mêmes objectifs. C'est pourquoi leur interférence conduit à des problèmes insolubles. Cependant, ces débats me paraissent un peu académiques alors que l'Union européenne se trouve au bord du gouffre.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - L'affirmation de la primauté de la Cour de justice dans l'interprétation du droit de l'Union et la mise en place d'un mécanisme de renvoi préjudiciel entre les deux cours ne risquent-elles pas de mettre en cause la hiérarchie des règles de droit ?
M. Robert Badinter. - Sur ce point, je rappelle que le monopole d'interprétation de la Cour de justice résulte des traités et qu'il est clairement affirmé par le protocole n° 8 du traité de Lisbonne en ce qui concerne l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
Il est vrai qu'un problème de cohérence peut se poser avec la Charte européenne des droits fondamentaux qui ne poursuit pas toujours les mêmes buts que la convention. Lors des débats de la convention européenne constituée en vue de l'élaboration du traité constitutionnel, l'idée avait été de prévenir des interprétations différentes sur un même texte au sein de l'Europe. C'est pourquoi on avait considéré que, pour ce qui concerne les droits fondamentaux, c'est l'interprétation de la Cour européenne des droits de l'Homme qui devait prévaloir. Mais il ne faut pas lui donner la faculté d'interpréter le droit de l'Union. Toute rupture du monopole d'interprétation de la Cour de justice serait fatale.
Je partage l'analyse selon laquelle l'accord d'adhésion doit permettre d'éclaircir et d'approfondir les relations entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. Il est vrai que l'on ne s'intéresse pas assez à ce qui se passe au Conseil de l'Europe. C'est pourquoi la Russie a pu accroître son influence au sein de cette instance. Cela peut paraître paradoxal quand on sait que la Russie est le pays qui fait l'objet du plus grand nombre de plaintes devant la Cour européenne des droits de l'Homme et qu'en outre, elle n'a toujours pas ratifié le protocole n° 6 sur l'abolition de la peine de mort.
Je ne partage pas le pessimisme excessif de notre collègue Pierre Fauchon sur la situation de l'Union européenne.
M. Jean Bizet. - Je propose que le Président Badinter assure le suivi de cette question pour le compte de notre commission. Je regrette que les délais très courts dans lesquels nous avons dû travailler ne permettent pas d'en saisir la commission des lois, mais je suis sûr qu'elle examinera de près les conclusions que nous allons adopter. Je déplore aussi que la présidence espagnole se soit engagée aussi vite sur un sujet aussi complexe, comme elle l'a fait également sur l'ouverture de négociations avec le Mercosur.
*
À l'issue de ce débat, la commission a adopté à l'unanimité les conclusions suivantes :
Économie, finances et
fiscalité
Avenir de la politique de
cohésion
Communication de MM. Yann Gaillard et Simon
Sutour
M. Yann Gaillard. - Simon Sutour et moi-même avions réalisé en 2004 un rapport d'information sur les perspectives d'évolution de la politique de cohésion après 2006 (Quels fonds structurels après 2006 ?). Nous sommes entrés dans la programmation financière 2007-2013 depuis trois ans et, déjà, s'amorcent les discussions sur les prochaines perspectives financières.
L'objectif premier de la politique de cohésion reste d'accroître la compétitivité et l'emploi dans toutes les régions d'Europe et d'accélérer en parallèle la convergence des régions qui accusent toujours un retard de développement.
A ce titre, cette politique de cohésion est fondamentale sous l'angle économique, social et territorial de l'Union européenne, et il nous a paru opportun de prendre position très en amont sur la future politique régionale, afin qu'elle ne constitue pas la variable d'ajustement des négociations à venir. Celles-ci s'annoncent en effet particulièrement difficiles en raison des situations budgétaires critiques dans tous les États membres.
Au cours des auditions que nous avons menées à Bruxelles au mois de février, nous avons pu constater que les problématiques principales n'ont pas tellement changé depuis 2004, même si le contexte a évolué plutôt dans le mauvais sens.
Plusieurs questions se posent : quelle sera la place accordée à la politique de cohésion dans les prochaines perspectives financières ? Doit-on conserver l'architecture en trois piliers de la programmation 2007-2013 ? Quelle valeur ajoutée peut apporter la cohésion territoriale, rajoutée dans le traité de Lisbonne, à la politique de cohésion ? Il est primordial de mener une réflexion globale, tant sur l'avenir de la politique de cohésion, que sur le budget de l'Union, puisque les deux éléments sont étroitement liés.
Le but de cette communication est de vous présenter les enjeux et les termes du débat ainsi que les positions en présence, et de marquer la volonté de notre commission de prendre position dès maintenant dans les discussions à venir.
Pour ma part, je vous présenterai un bilan de la politique de cohésion et le contexte politique et budgétaire des futures négociations, avant que Simon Sutour ne vous en expose les enjeux, ainsi que les positions en présence et les perspectives d'avenir.
Je voudrais tout d'abord effectuer quelques rappels préliminaires concernant les grandes masses de la politique régionale pour la période 2007-2013.
Pour la période 2007-2013, une enveloppe de près de 350 milliards d'euros (prix courants) a été prévue pour la politique de cohésion, représentant 36 % du budget communautaire, qui se répartissent à peu près en parties égales pour l'Europe des 15 et pour l'Europe des 12 nouveaux États membres entrés depuis 2004.
L'allocation des fonds est définie autour de trois objectifs qui sont répartis ainsi :
- plus de 80 % pour la convergence, qui vise à soutenir le développement des régions les plus pauvres dont le PIB par habitant est inférieur à 75% de la moyenne communautaire. C'est ce qu'on appelle l'objectif 1 ;
- près de 16 % pour la compétitivité régionale et l'emploi, dont le but est de renforcer la compétitivité et l'attractivité des régions non couvertes par l'objectif « convergence ». Il s'agit de l'objectif 2 ;
- 2,5 % pour la coopération territoriale européenne, qui vise à poursuivre l'intégration du territoire de l'Union européenne en s'appuyant sur la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale.
En outre, la programmation 2007-2013 prévoit une affectation des crédits à des thèmes prioritaires s'inscrivant dans le cadre de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi, à hauteur de 60 % pour la convergence et 75 % pour la compétitivité régionale et l'emploi au sein de l'Union. Afin d'atteindre ces objectifs de dépenses, le règlement général des fonds structurels fixe des actions prioritaires fléchées « Lisbonne + ». Ces actions portent sur les thèmes de la recherche et de l'innovation, la société de l'information, les énergies renouvelables, la capacité d'adaptation des travailleurs, l'amélioration de l'accès à l'emploi et l'inclusion sociale.
Enfin, la période actuelle se caractérise par la simplification de certains aspects de la gestion, à travers la suppression du zonage et la réduction à trois instruments financiers, contre plus de cinq pour la programmation précédente : le fonds européen de développement régional (FEDER), le fonds social européen (FSE) et le fonds de cohésion.
La France bénéficie sur cette période d'une enveloppe globale s'élevant à 14,319 milliards d'euros (soit 4,1 % du total) se répartissant en 52 programmes de la façon suivante :
- 3,19 milliards d'euros au titre de la convergence pour les quatre régions d'Outre-mer affectés à quatre programmes FEDER comprenant pour chacune des régions une allocation traditionnelle FEDER de 481,7 millions d'euros afin de compenser les surcoûts liés à la l'ultrapériphéricité et quatre programmes FSE ;
- 10,257 milliards d'euros pour la compétitivité régionale et l'emploi pour vingt-huit programmes pour les régions métropolitaines, répartis en vingt-deux programmes régionaux et quatre programmes plurirégionaux (Massif central, Alpes, Loire et Rhône) financés par le FEDER, un programme national FSE largement déconcentré à hauteur de 85 % dans chacune des régions et un programme national d'assistance technique couvrant tous les objectifs de la politique de cohésion en France. La France est le principal bénéficiaire de l'enveloppe compétitivité (objectif 2), soit 18,66 % du montant de l'enveloppe pour cet objectif ;
- 872 millions d'euros pour la coopération territoriale financée par le FEDER permettant de financer huit programmes au titre du volet transfrontalier et sept programmes au titre du volet transnational. 10,833 millions d'euros sont affectés obligatoirement à l'instrument de voisinage et de partenariat (IEVP), en vue de l'ouverture aux pays voisins de la Méditerranée. Notre pays est également le premier bénéficiaire au titre de l'objectif de coopération territoriale, à hauteur de 10 % de l'enveloppe.
Quels sont les changements apportés par le traité de Lisbonne dans le domaine de la politique de cohésion ?
L'article 174 du traité introduit le concept de cohésion territoriale, en complément de la cohésion économique et sociale. De plus, il conforte la compétence partagée entre l'Union et les États membres dans un objectif de solidarité (article 2). Enfin, il étend la procédure législative ordinaire (codécision Parlement-Conseil) à tous les règlements traitant les fonds structurels. Le changement est de taille puisqu'il permet désormais au Parlement européen de peser de tout son poids dans la détermination des règles qui régiront l'utilisation des fonds structurels dans l'Union européenne.
Quel est le bilan de la politique de cohésion ?
Elle présente des acquis indéniables, économiques et démocratiques, qui justifient pleinement sa prorogation, dans ses trois dimensions, au-delà de 2013.
Quels sont ses acquis économiques ?
Sur la période 2007-2013, la politique régionale permettra de mobiliser plus de 85 milliards d'euros en faveur de la recherche et de l'innovation. Cela représente un triplement de ces investissements par rapport à la programmation précédente. La politique européenne de cohésion joue donc évidemment un rôle majeur en matière de modernisation du tissu économique et d'investissement.
De plus, les programmes communautaires apportent une valeur ajoutée considérable par rapport aux fonds nationaux. En fournissant à nos régions un financement stable sur une période de sept ans, ils financent des projets qu'il ne serait peut-être pas possible de développer sans un soutien européen. En effet, le caractère pluriannuel de la programmation offre un cadre solide à toutes les parties prenantes et permet de lancer des approches innovantes. Il garantit que la politique structurelle s'oriente bien vers des objectifs et priorités stratégiques et préserve du danger que représente une politique d'aide à court terme. A titre d'exemple, un rapport de synthèse sur la politique de cohésion, publié le 19 avril dernier par la Commission européenne, indique que les 123 milliards d'euros provenant du FEDER (qui intervient sur les trois objectifs), investis entre 2000 et 2006, ont permis la création de 1,4 million d'emplois, la construction de 2 000 km d'autoroutes et l'approvisionnement de 14 millions de personnes en eau potable de meilleure qualité. Enfin, d'après le 4ème rapport sur la cohésion économique et sociale, entre 2000 et 2006, chaque euro investi par la politique de cohésion a mené, dans les régions de l'objectif 1 (convergence), à une dépense additionnelle moyenne de 0,9 euro. Dans les régions de l'objectif 2 (compétitivité régionale et emploi), la dépense peut représenter jusqu'à trois fois le montant investi, grâce aux règles du cofinancement et du partenariat. La politique régionale est donc un levier indispensable pour nos régions en termes d'aménagement du territoire. C'est pourquoi la France est particulièrement attachée à cet objectif 2.
Au-delà, la politique de cohésion revêt un enjeu démocratique. En effet, elle constitue un pilier du processus d'intégration européenne et veut permettre aux citoyens de s'identifier au projet européen, car elle est l'expression visible de la solidarité européenne. Elle contribue ainsi à créer un sentiment de citoyenneté européenne et favorise le développement régional dans un cadre économique et social commun. Il y a donc aussi ici un enjeu supérieur, que nous qualifierions « d'argument de coeur », pour reprendre l'expression de notre collègue Simon Sutour : la politique de cohésion permet d'améliorer la perception de l'Union européenne par nos concitoyens sur le terrain.
Quel est le contexte des futures négociations sur la politique de cohésion, dans le cadre de la prochaine révision des perspectives financières ?
Les réflexions et les travaux sur l'avenir de la politique de cohésion après 2013 ont commencé dès 2007, sous la présidence allemande de l'Union européenne. D'après nos interlocuteurs de la DG Budget, le rapport de force dans les négociations à venir serait un peu plus favorable qu'au cours de la période précédente.
La Commission a ainsi organisé un forum sur le sujet en septembre 2007. A cette occasion, elle a lancé une consultation auprès de tous les acteurs régionaux et les États membres, close le 31 janvier 2008, destinée à cerner les contours d'une future politique de cohésion répondant aux nouveaux défis et nourrir, parallèlement, la réflexion à venir dans le cadre de la clause de réexamen du budget communautaire. La Commission a confié une étude à un groupe d'experts indépendant conclue par la parution en avril 2009 de « L'agenda pour une politique de cohésion réformée », ou rapport Barca. Ce document propose un programme de réforme de la politique de cohésion. Il expose d'abord les fondements de cette politique avant de formuler des recommandations en vue d'une réforme globale pesant sur dix « piliers ». Il s'inscrit dans une démarche approfondie de réflexion sur l'avenir de la politique de cohésion après 2013.
Les présidences slovène, française, tchèque et suédoise ont poursuivi ce processus de réflexion à travers des forums et des conférences sur la cohésion territoriale et le futur de la politique de cohésion. La présidence espagnole entendait poursuivre l'approfondissement de la réflexion.
Qu'en est-il du contexte budgétaire ?
Le cadre des prochaines perspectives financières sera défini dans un contexte budgétaire particulier. Le plafond actuel est de 1,23 % du PIB. En 2005, l'objectif affiché était de tendre vers 1 % du PIB, ce qui aurait été possible s'il n'y avait pas eu la crise. Mais, en raison de la crise, le PIB a cru plus faiblement que prévu et on atteindra les 1,13 % du PIB à la fin de la période. Cela pèsera forcément sur les négociations. Nous ne disposons pas de marges supplémentaires pour dépenser davantage au niveau européen. La PAC et la politique régionale représentent 75 % du budget de l'Union. En retenant l'hypothèse d'une absence de croissance de la masse globale du budget, la question est de savoir qui va payer l'augmentation des crédits en faveur de la recherche et de l'innovation ambitionnée pour la prochaine programmation ? Les dépenses dites de compétitivité (recherche, innovation...) seraient en effet appelées à doubler, mais en l'absence de financement supplémentaire, il conviendrait certainement de piocher dans les crédits dévolus à la PAC et à la politique régionale. Au total, le lourd contexte budgétaire et financier impliquera très certainement des pressions fortes sur la politique de cohésion, comme l'a prouvé le non-papier de la Commission du mois de novembre 2009.
En effet, ce document de travail officieux de la Commission européenne, divulgué par la presse préconisait, entre autres, une réorientation majeure des priorités de dépenses de l'Union européenne, avec davantage d'efforts sur la croissance et l'emploi, le climat, la recherche-développement, la sécurité énergétique et les programmes transnationaux. Pour cela, outre un démantèlement de la politique régionale européenne, renationalisée et réservée aux États les plus pauvres, le projet de communication proposait une réorganisation sectorielle des politiques européennes qui faisait fi de la dimension territoriale et du principe de cohésion territoriale. Selon un premier calcul, le résultat des orientations proposées dans ce projet serait que les deux tiers des régions européennes qui bénéficient actuellement de la politique de cohésion en seraient exclues, soit 200 régions sur 271 concernant 16 États membres sur 27 ! Cette position est totalement inacceptable par la France et par d'autres pays. En effet, sacrifier la dimension régionale de la politique de cohésion ne va pas seulement à l'encontre du développement, mais reviendrait aussi à abandonner le principe de cohésion territoriale, mis en exergue par le nouveau traité.
La France n'a guère apprécié les premières propositions informelles de la Commission ; c'est d'ailleurs ce qui a motivé en partie notre démarche. Cela dit, le directeur général de la DG budget nous a quelque peu rassurés en nous expliquant que ce document de travail, s'il avait abouti, aurait connu des modifications, notamment pour ce qui touchait à la politique agricole commune et à la politique régionale, car il reflétait la position d'un service à moment donné, sans arbitrage général. Néanmoins, cela nous prouve qu'il existe à Bruxelles des personnes résolument opposées à la politique de cohésion. Il importera donc d'être très vigilant.
Qu'en est-il du calendrier de négociation ?
Le commissaire chargé de la politique régionale, M. Johannes Hahn, a récemment précisé le calendrier des travaux au sein de la Commission : le réexamen budgétaire sera connu au troisième trimestre 2010, puis le cinquième rapport sur la cohésion comportera en novembre 2010 de premières orientations sur les intentions de la Commission pour l'avenir de la politique de cohésion. Les propositions législatives n'interviendront ensuite qu'au cours de la première moitié de 2011.
Quels sont les enjeux pour la France ?
La position française n'est pas encore établie et sera tributaire de notre situation de contributeur net au budget communautaire. D'où l'intérêt d'engager au plus tôt un dialogue avec les institutions européennes, au moment où celles-ci commencent à élaborer leurs futures propositions. La France est dans une position délicate. Elle est aujourd'hui un contributeur net, avec 19 milliards d'euros, pour un retour de 14 milliards d'euros dont 9 milliards au titre de la PAC. Donc, toute baisse du soutien à l'agriculture affecterait le bilan global de la France. Cet aspect sera sans doute l'un des pivots de la négociation à venir et guidera les arbitrages de notre pays.
M. Simon Sutour. - Je vais vous présenter les principaux enjeux des négociations à venir. La politique de cohésion, compte tenu du contexte budgétaire que vous a présenté Yann Gaillard, risque d'être amputée d'une partie de ces crédits. Quels sont alors les enjeux des prochaines perspectives financières pour la politique de cohésion, et comment se présentent les négociations ?
Nous avons identifié deux problématiques principales pour la politique de cohésion au-delà de 2013 : d'une part, le risque d'une suppression de l'objectif 2 et d'une renationalisation partielle de la politique régionale ; d'autre part, la question des régions en transition.
1) Le risque pesant sur l'objectif 2
Le risque principal des négociations à venir pèse clairement sur l'objectif 2, contrairement à l'objectif de coopération territoriale, qui n'est pas menacé et sera même probablement revalorisé. Pourquoi ? Comme la Commission l'a expliqué, il existe une masse critique nécessaire pour cette politique. Il est question d'augmenter la coopération territoriale. Du coup, l'objectif 2 risque d'être diminué, d'autant plus que certains pays s'opposent à la pérennisation de l'architecture actuelle en trois piliers et envisagent de supprimer le second pilier, estimant que la politique régionale ne devrait se focaliser que sur les régions les plus pauvres. Il s'agit donc de se mobiliser pour garantir la pérennité d'une aide sérieuse à des régions non éligibles à l'objectif 1.
Pourquoi maintenir l'objectif 2 ? Il convient à notre avis de perpétuer le large soutien accordé dans le cadre de la politique de cohésion aux régions relevant de l'objectif « compétitivité régionale et emploi », dans la mesure où celles-ci renferment d'importantes poches de pauvreté, et où les inégalités sociales et territoriales s'y sont creusées dans toute l'Europe. En outre, ces régions fournissent une contribution importante à la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne. Enfin, il nous semble que la suppression de l'objectif 2 irait à l'encontre du principe de cohésion territoriale.
2) La question des régions en transition
L'important effet de seuil entre les actuels objectifs « convergence » et « Compétitivité régionale et emploi » amène à se poser la question des régions « intermédiaires ». Ce sujet important a été abordé au cours de la réunion des ministres chargés de la politique régionale, le 19 février dernier. La Présidence espagnole y a en effet présenté un document de travail qui envisage la mise en place d'un « mécanisme de transition plus juste, qui assure un traitement similaire pour les régions qui sont dans des situations similaires ». Le Commissaire a indiqué à cette occasion que des réflexions étaient en cours sur les régions en transition, notamment concernant les régions dont le PIB par habitant se situe entre 75 % et 90 % de la moyenne communautaire. Selon le commissaire Hahn, la prise en compte de ces régions intermédiaires par les Fonds structurels dépendra néanmoins des marges de manoeuvre budgétaires dont la politique de cohésion pourra disposer. D'où l'intérêt de se mobiliser suffisamment tôt.
Le Parlement européen et la Commission ont reconnu explicitement la situation particulière des régions qui ne seront plus éligibles à un soutien maximal au titre de l'objectif de convergence après 2013, à travers la notion de « région en transition », qui désigne à la fois les territoires relevant actuellement du soutien temporaire et du soutien transitoire, ainsi que les régions dont le soutien arrivera à terme à l'issue de la période de programmation 2007-2013. Ils approuvent ainsi l'élaboration de solutions ciblées sur ces zones.
En tout état de cause, l'aide aux régions qui abandonnent pour la première fois l'objectif de convergence doit être garantie, quelle que soit la future architecture de la politique régionale et ses objectifs respectifs. Il nous faudra donc militer auprès de la Commission et du Conseil pour qu'ils conçoivent un système plus global d'aide transitoire progressive aux régions qui dépasseront bientôt le seuil de 75 % du PIB, afin de leur conférer un statut plus clair et davantage de sécurité dans leur développement. Un tel mécanisme pourrait prendre la forme d'un objectif « intermédiaire » entre les actuels objectifs « convergence » et « compétitivité régionale et emploi », afin de couvrir l'ensemble des régions dont le PIB serait compris entre 75 et 100 % de la moyenne communautaire, et constituerait une piste intéressante pour améliorer l'éligibilité d'un grand nombre de régions aux fonds structurels. Comment financer un tel mécanisme ? Dans ce contexte budgétaire difficile, nos interlocuteurs de la Représentation permanente française à Bruxelles ont attiré notre attention sur un point très important, susceptible de donner quelques marges de manoeuvre budgétaires pour le financement d'un tel instrument. Ils estiment ainsi qu'au sein de la politique régionale, à architecture constante, à l'échéance 2013, la plupart des régions aujourd'hui éligibles à l'objectif 1 ne le seront plus, en raison de l'effet de seuil. Or, 80 % des fonds de la politique régionale vont aujourd'hui vers ces régions. 50 milliards d'euros d'économies pourraient être réalisables de ce fait sur 7 ans, soit 15 % du budget actuel de la politique de cohésion. Cela représente un montant très important qui pourrait précisément servir à financer le mécanisme de transition. Ces 50 milliards d'euros susciteront sans aucun doute des convoitises. Il faudra se battre pour garantir l'affectation de ces crédits ou d'une partie d'entre eux au financement de la politique régionale.
Quelles sont les positions en présence sur l'avenir de la politique de cohésion dans le cadre des prochaines perspectives financières ?
Globalement, le Parlement européen a pris parti pour une politique de cohésion couvrant toutes les régions au-delà de 2013. En outre, celui-ci jouera certainement un rôle crucial dans les négociations à venir, à travers les nouveaux pouvoirs budgétaires dont il dispose avec le traité de Lisbonne. Au sein même du Parlement, c'est la commission du développement régional, présidée par l'ancienne commissaire à la politique régionale, Mme Danuta Hübner, qui aura la plus grande influence. Celle-ci a d'ailleurs récemment indiqué que le Parlement européen souhaitait faire connaître rapidement son point de vue sur l'avenir de la politique de cohésion, sans attendre les propositions de la Commission prévues en 2011. Un groupe de travail spécifique a ainsi été créé au sein de la commission REGI, dont les conclusions seront débattues fin juin par celle-ci. Plus généralement, Mme Hübner a indiqué que le Parlement européen était très attaché à ses nouvelles prérogatives institutionnelles. Nous aurions par conséquent intérêt à développer la concertation avec lui sur ce sujet. En revanche, Mme Hübner s'est montrée plutôt réservée sur la question d'une meilleure prise en compte des régions « intermédiaires » par la future politique de cohésion. Il pourrait être intéressant de rencontrer Mme Hübner afin de dialoguer avec elle sur ce thème, car le soutien du Parlement européen représenterait un atout important.
Le Comité des régions a quant à lui adopté au cours de sa session plénière du mois d'avril un avis sur l'avenir de la politique de cohésion. Il s'agit de la première position officielle d'un organisme européen sur la question. Ce document soutient qu'il conviendra de continuer à allouer une partie substantielle du budget européen au financement d'actions à caractère structurelles dans les collectivités régionales et locales. A ce titre, l'objectif « compétitivité régionale et emploi » doit continuer d'aider toutes les régions de l'Union à renforcer en premier lieu l'innovation, la cohésion sociale et la compétitivité en leur sein. Le Comité des régions se prononce également en faveur du maintien des principes de la politique de cohésion que sont le système de gouvernance à multiniveaux, la programmation pluriannuelle, le partenariat, la concentration, la gestion des programmes fondée sur des indicateurs et l'évaluation. Enfin, il recommande de développer davantage le principe de subsidiarité, en renforçant le rôle des collectivités locales et régionales à tous les stades de la programmation, de la mise en oeuvre et de l'évaluation de la politique de cohésion.
La plupart des États membres n'ont pas encore arrêté de position officielle. Cependant, la réunion des ministres chargés de la politique régionale à Saragosse a permis de clarifier certaines positions. En effet, le document de travail de la présidence espagnole prend clairement parti pour une politique de cohésion continuant à s'adresser à l'ensemble des régions de l'Union européenne au-delà de 2013. De nombreuses délégations ont rappelé leur attachement à cette position. Le Danemark s'est distingué par une opinion contraire. Sur l'architecture, la plupart des États membres ont insisté pour que les fonds continuent à être en priorité concentrés sur les États et régions les plus pauvres, à travers l'actuel objectif de convergence. Plusieurs délégations ont repris à leur compte les suggestions de la présidence visant à améliorer les régimes transitoires pour les régions qui sortiront en 2013 de l'objectif « convergence », ou à envisager la création d'un nouvel objectif « intermédiaire ». En outre, certains ont estimé que de tels mécanismes transitoires ne devaient pas seulement concerner les régions, mais aussi les États qui vont sortir du fonds de cohésion.
Enfin, la Représentation permanente nous a précisé sa perplexité quant à la position des nouveaux États membres sur la politique de cohésion. En effet, ces derniers n'ont pas encore véritablement dévoilé leurs orientations. Pour le moment, ils se présentent comme favorables au maintien de l'objectif 2, en pensant que s'ils ne défendent que l'objectif 1, beaucoup d'États membres préféreront supprimer la politique régionale, qui ne leur apportera plus rien. Mais s'ils doivent faire un choix, ils favoriseront probablement l'objectif 1. Il faudra donc être particulièrement attentifs à ces États et dialoguer avec eux.
Qu'en est-il de la Commission ? Lors de son audition devant le Parlement européen en janvier 2010, Johannes Hahn a tenu des propos rassurants sur sa conception de la politique de cohésion. En effet, il a souligné son opposition à toute tentative de renationalisation, et s'est clairement prononcé en faveur d'une politique de cohésion couvrant toutes les régions européennes. En outre, il s'est montré ouvert à l'idée d'une meilleure prise en compte des régions en transition. Pour rassurants qu'ils soient, ces propos devront être suivis de décisions concrètes, et l'on ne peut les prendre pour argent comptant, tant on sait que le résultat des négociations reflètera de nombreux arbitrages et compromis entre les intérêts divergents des États membres. D'où, l'importance d'exprimer notre soutien aux propos du commissaire et de rester vigilant. A cet égard, peut-être serait-il pertinent d'inviter M. Hahn à venir s'exprimer devant notre commission, afin qu'il nous précise ses intentions.
Je voudrais maintenant adopter une démarche plus prospective, en soulignant les faiblesses de la politique de cohésion actuelle pour tenter de réfléchir aux moyens de l'améliorer. En effet, renforcer son efficacité contribuera aussi à asseoir sa crédibilité, et partant, à garantir sa pérennité au-delà de 2013. Nous avons identifié six faiblesses principales.
En premier lieu, se pose la question de l'articulation entre le second pilier de la PAC et la politique de cohésion. Une meilleure articulation devrait être recherchée entre les différents fonds communautaires (FEDER, FSE et FEADER), tout en veillant à conserver l'approche intégrée qui caractérise jusqu'ici la politique de cohésion. Comment améliorer l'articulation des deux instruments ? Danuta Hübner, lorsqu'elle était commissaire à la politique régionale, avait tenté de réintégrer le second pilier de la PAC dans le giron de la politique régionale, mais sans succès, du fait des résistances de la DG agriculture. Pourtant, comme nous l'a expliqué un représentant de la DG REGIO, le découplage des deux instruments peut apparaître incohérent car les axes 3 et 4 du FEADER interviennent souvent sur des projets de la politique régionale. Il convient donc de rationaliser le processus. L'une des options envisageables serait de transférer ces deux axes du FEADER vers la politique régionale, en donnant des garanties pour les territoires ruraux. Quelle que soit la solution choisie, l'essentiel est que les territoires ruraux aient accès à ses financements. Un accord aurait été récemment trouvé avec le commissaire Ciolos pour améliorer l'articulation entre le FEDER et le FEADER sur le développement rural, mais nous n'en connaissons pas encore la teneur.
Le deuxième point faible de la politique régionale tient à l'existence de paiements irréguliers encore trop nombreux. En effet, La Cour des Comptes européenne pointe régulièrement l'existence de « paiements irréguliers encore trop élevés dans certains domaines, notamment la cohésion ». Ainsi, les crédits d'engagement pour la politique de cohésion représentaient, en 2008, 48,2 milliards d'euros, soit plus d'un tiers du budget. Or, environ 4 milliards d'euros n'auraient pas dû être remboursés par l'Union européenne aux États membres qui avaient anticipé les dépenses, les projets n'étant pas éligibles ou les règles en matière de passation des marchés n'ayant pas été respectées. Certes, la Commission européenne a renforcé les contrôles, suspend des financements et récupère de plus en plus les sommes indûment versées. Mais il est évident que la méfiance et les réticences à maintenir le financement communautaire subsisteront aussi longtemps que la Cour des Comptes dénoncera l'existence de milliards d'euros de paiements irréguliers. La Commission européenne a souligné que les fraudes véritables ne dépassaient pas les 0,2 % des paiements effectués. Il s'agit donc d'une lacune à combler d'urgence.
Troisièmement, nous pensons qu'il faut améliorer la flexibilité et l'efficacité des aides en les concentrant sur un petit nombre de priorités, comme l'a récemment recommandé le commissaire Hahn devant la commission du développement régional du Parlement européen. En outre, il conviendrait selon lui d'accroître la flexibilité dans la mise en oeuvre des programmes de la cohésion et de créer un guichet unique, afin d'identifier plus facilement les forces et les faiblesses de chaque région, en cohérence avec la stratégie Europe 2020. Ce sont des propositions pertinentes. Cependant, il ne faudrait pas que la politique de cohésion soit subordonnée à la stratégie Europe 2020. En effet, les objectifs de la cohésion vont bien au-delà de ceux de la stratégie. C'est pourquoi, il faudra prendre garde à ne pas mettre en danger les financements de la politique de cohésion en concentrant tous nos efforts sur la croissance et l'emploi, ce qui aboutirait à négliger la dimension territoriale nécessaire au développement de l'Union européenne.
En quatrième lieu, il nous semble que la cohésion territoriale, en ce qui concerne la politique de cohésion, est avant tout une question de diversification des échelons d'intervention. Autrement dit, il faut trouver d'autres échelles d'intervention que le sacro-saint niveau régional. C'est la problématique des macro-régions. Il conviendra donc aussi d'inciter les États membres à diversifier leurs interventions à l'échelle d'un fleuve, d'un massif, d'une macrorégion, dans un cadre transfrontalier par exemple. En outre, la cohésion territoriale appelle une meilleure coopération entre la politique de cohésion et les autres politiques sectorielles communautaires comme la RETD, le transport, l'énergie, l'environnement.
Cinquièmement, il nous paraît important d'insister sur le souci constant de réduire la charge bureaucratique et, partant, de simplifier les procédures administratives. Il conviendrait que cette préoccupation entre en ligne de compte dans les objectifs des futures programmations. En effet, des procédures allégées et transparentes sont des conditions essentielles d'une utilisation efficace des ressources.
Enfin, la politique de cohésion devra remédier à la sous-consommation des crédits, ce qui pose aussi la question des capacités d'absorption. Nos interlocuteurs de la DG Budget ont en effet souligné le caractère problématique de la consommation des crédits et de la capacité d'absorption des fonds communautaires par les États membres, notamment les PECO. Il apparaît ainsi que certaines sommes ne seront jamais utilisées, faute de capacités d'absorption. Dès lors, on peut s'interroger : est-il politiquement souhaitable et économiquement raisonnable d'atteindre des taux de transfert pouvant représenter jusqu'à 5 % du PIB d'un État ? C'est le cas en Lituanie. Nous pensons que la sous-consommation des crédits, au-delà du problème des capacités d'absorption, s'explique aussi par un manque de pédagogie et de communication, et par la complexité des règles d'éligibilité, qui tend à décourager certains acteurs. Cela engendre également un problème de visibilité, puisque l'action bénéfique de l'Union européenne ne peut apparaître aux yeux du citoyen. Nous avons donc aussi un important travail de pédagogie à réaliser auprès de nos citoyens. Cela dit, la sous-consommation des crédits ne saurait constituer un argument recevable contre le maintien des fonds structurels.
En conclusion, nous estimons qu'il faudra être très présents dans le débat sur l'avenir de la politique de cohésion et la négociation des prochaines perspectives financières, et faire preuve de vigilance. Il nous faudra défendre le maintien d'une politique régionale destinée à toutes les régions, donc la pérennisation de l'objectif 2, ainsi que la création d'un objectif intermédiaire, susceptible d'assister les régions en phase de transition, les deux n'étant pas antagonistes mais complémentaires.
Pour cela, nous devrons surveiller dans les mois à venir les positions des différents acteurs, qui vont se préciser, et leur exprimer notre point de vue. A cet égard, il nous faudra vérifier que le gouvernement français est suffisamment sensibilisé et actif. Il apparaît nécessaire de clarifier dès maintenant les orientations nationales françaises à poursuivre, en lien avec les réflexions sur les futures perspectives financières. L'objectif est de définir rapidement une position française sur l'avenir de la politique de cohésion, tant dans ses aspects budgétaires qu'en termes de contenu, afin de pouvoir peser dans les travaux en cours dans les diverses institutions.
Nous poursuivrons donc notre travail au cours du second semestre, afin de vous présenter en fin d'année un rapport d'information qui rendra compte des consultations effectuées et formulera des propositions opérationnelles dans la perspective des propositions législatives qui interviendront au premier semestre 2011.
M. Jean Bizet. - Ce dossier revêt une importance particulière. Premièrement, la cohésion territoriale a été intégrée dans le traité de Lisbonne, ce qui justifie l'attention portée à la dimension territoriale de la politique de cohésion. Deuxièmement, dans le difficile contexte budgétaire actuel, cette politique représente l'une des rares opportunités de financement pour les projets des collectivités locales, en particulier dans les zones rurales. Troisièmement, nous devrons être particulièrement vigilants car la pérennité de cette politique est loin d'être assurée, comme l'ont montré nos rapporteurs. Je reconnais que notre pays n'est pas exempt de critiques. Simon Sutour l'a d'ailleurs souligné en ce qui concerne notre manque de réactivité et notre maladresse pour obtenir des subventions. Ce qui est vrai dans le Gard l'est également dans mon département, en Basse-Normandie.
Mme Bernadette Bourzai. - En tant que députée européenne, j'ai vécu la période de négociations des précédentes perspectives financières, entre 2004 et 2007. Il est vrai que la politique régionale était particulièrement menacée. Je voudrais rappeler que, dans le cadre de la programmation financière en cours, l'objectif de compétitivité régionale et emploi est assorti d'une condition qui consiste à flécher 75 % de ces crédits sur les domaines mis en valeur par la stratégie de Lisbonne, c'est-à-dire l'innovation, la recherche et le développement durable.
Il me semble que, alors que nous sommes à mi-parcours de la programmation 2007-2013, il nous faudrait disposer d'indications relatives à la consommation des crédits, notamment ceux du FEDER, par rapport aux objectifs de la stratégie de Lisbonne. Finalement, les crédits de la politique de cohésion profitent à ceux qui sont les mieux armés pour répondre à ces objectifs. Je pense aux pôles de compétitivité, aux universités, tandis que les zones rurales ont du mal à respecter ce fléchage.
Dès lors, je suis convaincue, comme Simon Sutour, qu'une nouvelle réflexion est indispensable sur l'utilisation du FEDER et du FEADER. Pour cela, je pense que nous devrions demander au gouvernement français des informations relatives à la consommation des crédits de ces deux fonds.
En ce qui concerne les perspectives financières, je suis plutôt pessimiste. Au regard de la conjoncture, il sera difficile d'obtenir un budget supérieur à celui de la programmation actuelle. J'ai été rapporteur sur le budget du développement rural au moment de la négociation des dernières perspectives financières. Celles-ci avaient abouti à une réduction de ce budget de 35 % par rapport à la période 2000-2006. Ce sont ces crédits qui ont été sacrifiés, dans la mesure où ceux de la politique agricole commune avaient été sanctuarisés. Il me semble par conséquent qu'il nous faudra être vigilants et astucieux sur la répartition possible des futurs crédits.
Je pense que la Commission accordera sans doute davantage d'importance à l'interrégionalité, en particulier à la coopération transfrontalière, parce qu'elles permettent des actions innovantes. En tant que députée européenne, j'avais participé à la mise en place d'un document de programme à l'échelle du Massif Central. Celui-ci concernait 6 régions et 22 départements et visait à développer des équipements structurants, tel que le haut débit. Il pourrait être intéressant de recueillir des données sur l'état des lieux de ce programme plurirégional, qui a déjà trois ans et demi d'existence. Les trois autres programmes plurirégionaux, centrés autour du massif alpin, de la Loire et du Rhône, seraient également intéressants à étudier. Ce sont des pistes pertinentes.
Enfin, je pense que la France ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion consistant à déterminer si elle a intérêt à revenir à une politique de développement régional franco-française. Je n'ai guère apprécié certains propos dépréciateurs qui ont été tenus devant notre commission sur l'utilisation que feraient nos régions des fonds structurels. Il est indéniable qu'il existe des différences régionales très fortes et que l'espace français reste inégalitaire. Dès lors, doit-on doter toutes les régions de fonds structurels ou bien ne vaudrait-il pas mieux adopter des politiques prioritaires sur certaines zones, notamment rurales ? Je constate, tout en le déplorant, que l'on parle beaucoup de la nécessité de développer les communautés d'agglomération, mais que l'on s'intéresse bien peu aux zones rurales. Il nous faudra du courage pour admettre qu'il existe des zones prioritaires, tout comme il existe des pays prioritaires au niveau de l'Union européenne. Je rappelle que, lorsque les pays d'Europe de l'Est sont entrés dans l'Union européenne, 90 % de leurs régions étaient plus pauvres que la plus pauvre des régions de l'Europe des 15, à savoir la Guyane. Il ne faut pas oublier cela, et nous devrons effectuer des choix politiques en conséquence.
M. Simon Sutour. - Je partage les analyses de Bernadette Bourzai.
En ce qui concerne le fléchage, je peux témoigner que nous nous en servons au quotidien. Ainsi, lorsqu'une commune demande une subvention pour la construction d'une station d'épuration, elle n'a guère de chance d'obtenir des fonds européen. En revanche, si elle ajoute une dimension de haute qualité environnementale à ce projet, elle peut plus facilement obtenir des subventions, car cela entre dans les critères de Lisbonne. De même, un projet de groupe scolaire, s'il est ciblé sur le développement durable, sera plus aisément éligible aux fonds structurels. J'ai eu l'occasion de le vérifier plusieurs fois dans mon département, en conseillant les élus dans ce sens.
Il me semble que nous devons essayer de maintenir les deux dimensions : d'un côté, garantir les aides aux collectivités locales, qui sont de plus en plus exsangues ; de l'autre inscrire nos projets dans des stratégies à vocation européenne, par exemple à travers des stratégies de massif ou de coopération transfrontalière. Ce qui compte, c'est le résultat apporté à nos communes.
Enfin, je voudrais encore insister sur la nécessité de rendre visibles les bénéfices de l'Europe aux yeux de nos concitoyens. En effet, tant que ceux-ci ne verront dans l'Union européenne qu'une bureaucratie source de contrainte, notamment au regard de la législation sur la chasse, ils seront enclins à voter non à tout référendum portant sur l'Europe. Il faut donc valoriser et préserver les acquis de la politique de cohésion. Mais ce sera une bataille difficile. Si le contexte semble plus favorable qu'au cours de la période précédente, dans la mesure où les dépenses de la politique agricole commune ne seront plus sanctuarisées, il existe un risque de diminution des crédits, à travers l'attention supérieure accordé à la stratégie Europe 2020 et à ses actions novatrices.
Nous avons essayé de démontrer, avec Yann Gaillard, qu'il existe une fenêtre d'opportunité provenant des marges budgétaires qui résulteront de l'effet de seuil, à travers la sortie de nombreuses régions de l'objectif de convergence. Bien sûr, la politique régionale ne récupèrera jamais la totalité des 50 milliards d'euros ainsi économisés. Mais si elle en acquiert ne serait-ce qu'une partie, ce sera déjà une satisfaction.
M. Jean Bizet. - Je partage tout à fait les analyses des rapporteurs et de Bernadette Bourzai. Il me semble en effet que toutes les régions, du fait de leurs inégalités, ne peuvent pas être traitées de façon similaire. Il est évident que l'Alsace ou l'Ile de France ont moins besoin des fonds structurels que le Limousin ou le Languedoc-Roussillon.
Politique de coopération
Examen
de la proposition de résolution européenne (n° 452)
sur
l'accord modifiant l'accord de partenariat avec les États
d'Afrique,
des Caraïbes et du Pacifique
(E 5295)
Rapport de M. Jean
Bizet
M. Jean Bizet. - Le 17 mai dernier, Mme Alima Boumediene-Thiery et ses collègues ont déposé une proposition de résolution européenne tendant à insérer une clause de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans l'accord de partenariat entre les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et la Communauté européenne.
Le texte visé par cette proposition de résolution est une proposition de décision qui devrait être soumise au Conseil de l'Union le 14 juin prochain. C'est pourquoi il nous fallait sans tarder inscrire cette proposition de résolution à notre ordre du jour.
Avant de présenter mon rapport, je vais donner la parole à Mme Alima Boumediene-Thiery pour qu'elle nous présente sa proposition de résolution.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - La question de la dépénalisation universelle de l'homosexualité est un enjeu majeur dans le champ de la protection des droits humains. Elle a pris un relief particulier lorsque 66 États membres de l'ONU ont signé, à l'initiative de la France, un appel historique le 18 décembre 2008, réaffirmant « le principe de non-discrimination qui exige que les droits de l'Homme s'appliquent de la même manière à chaque être humain, indépendamment de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre ».
L'appel se fonde sur le principe d'universalité des droits de l'Homme, consacré dans la Déclaration universelle de ces droits, et qui prévoit en son article premier que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Les 66 pays « condamnent les violations des droits de l'Homme fondées sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, où qu'elles soient commises ». Ils dénoncent en particulier « le recours à la peine de mort sur ce fondement, les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, la pratique de la torture et autres traitements ou peines cruels, inhumains et dégradants, l'arrestation ou la détention arbitraire et la privation des droits économiques, sociaux et culturels, notamment le droit à la santé ».
En effet, ce ne sont pas moins de 77 pays qui criminalisent aujourd'hui l'homosexualité. Dans sept de ces pays, la peine capitale est prévue pour l'homosexualité, comme par exemple en Arabie Saoudite, aux Émirats Arabes Unis, en Iran, en Mauritanie, au Nigeria, au Soudan et au Yémen.
C'est également le principe d'universalité des droits de l'Homme qui a motivé le dépôt de la présente proposition de résolution européenne. Sur le continent africain, l'homosexualité n'est légale que dans treize pays. Dans 38 pays africains, elle est considérée comme un délit. En Mauritanie, au Nigeria et au Soudan, elle est passible de la peine capitale. Cette situation est, selon nous, intolérable.
Les personnes homosexuelles et transgenres y sont victimes de persécutions en raison de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Elles subissent, au quotidien, des violences insupportables se traduisant par des discriminations, des mauvais traitements et des humiliations intolérables, amplifiées par un discours de haine et de rejet de la part des responsables politiques africains, qui voient dans l'homosexualité et la trans-identité une abomination qu'il convient d'éradiquer.
Cette stigmatisation des relations sexuelles entre personnes de même sexe doit être condamnée avec la plus grande vigueur, tant elle entre en totale contradiction avec les valeurs universellement partagées de respect du principe d'égalité et d'interdiction de toute discrimination fondée notamment sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre.
Ce principe exige que les droits de l'Homme s'appliquent de la même manière à chaque être humain, indépendamment de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre. Il est un principe fondamental indissociable du respect des droits de l'Homme, dont il est une des composantes. Son application est inconditionnelle et universelle. Dès lors, aucune religion, culture ou idéologie ne saurait faire échec à son application. C'est d'ailleurs ce même principe qui a guidé la France, à l'initiative de son Garde des Sceaux de l'époque, Robert Badinter, vers le chemin de la dépénalisation de l'homosexualité le 27 juillet 1982. C'était il y a plus de 30 ans. Cette dépénalisation, que l'on doit au courage politique plus qu'au contexte juridique international, doit être aujourd'hui considérée comme une nécessité absolue.
D'ailleurs, l'Union européenne s'est largement investie dans la lutte contre la discrimination en fonction de l'orientation sexuelle et a rappelé, à de nombreuses reprises depuis 2006, son attachement à la lutte contre l'homophobie, la lesbophobie et la transphobie. Récemment, par une résolution en date du 17 décembre 2009, le Parlement européen a pris une position ferme contre le projet de législation « anti-homosexualité » en Ouganda, rappelant son caractère profondément discriminatoire et contraire aux principes de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle, tel que protégé par les instruments internationaux et européens garantissant les droits humains et les libertés fondamentales, ainsi que l'interdiction de toute discrimination. Cette résolution, aussi précieuse soit-elle, n'a pas constitué un outil suffisamment fort pour mettre un terme au processus législatif.
Dès lors, il convenait de convoquer des outils juridiques, internationaux ou européens, permettant de mieux répondre à l'urgence de la situation des personnes homosexuelles et transgenre en Afrique. Seule une action concertée des pays membres de l'Union européenne permettrait d'amener les États africains à respecter ce principe, et mettre un terme, dans leurs législations internes, aux discriminations et persécutions intolérables subies par les personnes homosexuelles et transgenres.
L'Union européenne dispose de cet outil : il s'agit de l'Accord de Cotonou, signé entre l'Union européenne et les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. L'article 9 de cet accord permet à l'Union européenne de suspendre l'Accord en cas de non-respect des droits de l'Homme par l'une des parties. Cette disposition de l'Accord de Cotonou constitue un levier puissant pour mettre un terme aux persécutions et discriminations subies par les personnes homosexuelles ou transgenres en Afrique : il permet en effet à l'Union européenne de suspendre ses relations commerciales avec les États africains qui ne respecteraient pas le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle, justifiant ainsi par la même occasion la suspension de toute aide financière à tout État qui ne respecterait pas ce principe.
La révision en cours de l'Accord de Cotonou constitue une opportunité pour rappeler aux parties signataires leur obligation de respecter les droits de l'Homme, et notamment le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou l'identité de genre. Une telle révision devrait nécessairement conduire à rappeler aux États africains leurs obligations internationales au regard du respect des droits des personnes homosexuelles et transgenres, ainsi qu'à l'insertion, dans l'accord révisé, d'une clause de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, afin de rappeler les États parties à leurs obligations.
Notre proposition de résolution entend se saisir de cette opportunité. Elle rappelle la nécessité du respect du principe universel de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle et invite la Commission européenne, dans le cadre de la négociation en cours, à défendre une position ferme à l'égard des États signataires de l'Accord de Cotonou, en leur rappelant l'exigence du respect du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre.
Elle invite, par ailleurs, la France et la Commission européenne a défendre l'insertion, dans l'Accord de Cotonou révisé, d'une clause mentionnant de manière explicite le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre.
Elle invite, enfin, les États signataires de l'Accord de Cotonou au respect effectif du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, devant se traduire notamment par une dépénalisation de l'homosexualité et la pleine jouissance des droits de l'Homme des personnes homosexuelles ou transgenres.
M. Jean Bizet. - La proposition de résolution porte sur l'accord modifiant pour la deuxième fois l'Accord de Cotonou. Je vous rappelle que l'Accord de Cotonou a été signé le 23 juin 2000 entre l'Union et européenne et les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Cet accord a été conclu pour vingt ans, mais il a été prévu qu'il serait révisé tous les cinq ans. Il a fait l'objet d'une première révision en 2005 et le texte qui nous occupe aujourd'hui concerne la deuxième révision de cet accord. L'Accord de Cotonou vise essentiellement à faciliter l'intégration des pays ACP dans l'économie mondiale.
La proposition de résolution porte plus précisément sur le dialogue politique inclus dans l'Accord de Cotonou et sur la question du respect des droits de l'Homme. Il n'est pas étonnant que notre collègue Alima Boumediene-Thiery ait voulu porter cette question devant nous. Je me rappelle en effet que, en juillet 2008, lorsque nous avions évoqué la politique européenne de voisinage, elle était intervenue à ce sujet pour regretter que l'on néglige trop souvent les dispositions relatives au respect des droits de l'Homme qui figurent systématiquement dans les accords d'association ou de partenariat conclus par l'Union européenne.
La proposition de résolution « regrette l'absence de mention explicite du principe de non- discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans le projet de révision de l'Accord de Cotonou ».
Je crois qu'il est nécessaire de donner quelques explications sur la chronologie et le déroulement des négociations entre l'Union européenne et les pays ACP. Le mandat de négociation, qui constitue la feuille de route pour la Commission européenne, a été adopté par le Conseil en février 2009. Les négociations ont été ouvertes officiellement en mai 2009 et elles ont duré jusqu'à mars 2010. Elles ont été conclues le 19 mars 2010.
La question de la non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle, qui figure à l'article 8-4 de l'accord, a été un des points difficiles dans la négociation. Il a d'ailleurs fait l'objet de débats entre l'Union et les pays ACP jusqu'aux dernières séances qui ont précédé la conclusion de l'accord.
La Commission européenne a proposé de reprendre dans l'accord les dispositions qui figurent dans la charte des droits fondamentaux et qui mentionnent explicitement « l'orientation sexuelle ». Mais elle s'est heurtée à une opposition résolue des pays ACP qui ont considéré que la mention de « l'orientation sexuelle » était inacceptable pour eux.
À la suite de longues négociations, un compromis a été trouvé qui consistait à introduire le concept de « discrimination pour quelque raison que ce soit » et d'énumérer ces raisons parmi lesquelles la discrimination en raison du sexe. Il s'agit en fait d'une reprise de l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme.
La Commission a alors envisagé que l'Union européenne fasse une déclaration unilatérale pour interpréter les termes de ce compromis. Cette déclaration aurait précisé que le texte retenu couvrait toutes les formes de discrimination, y compris les discriminations en raison de l'orientation sexuelle. Tous les États membres de l'Union ont appuyé cette proposition de la Commission.
Toutefois, il est rapidement apparu que si l'Union européenne faisait cette déclaration, la partie ACP ferait une contre déclaration donnant sa propre interprétation. Fallait-il s'engager dans cette voie ? Je n'en suis par certain pour ma part car s'il y avait deux déclarations contraires pour expliciter le sens d'une disposition, cela aboutissait en réalité à neutraliser complètement la disposition elle-même. De plus, on risquait ainsi d'encourager les États ACP à formuler des déclarations unilatérales sur d'autres points de l'Accord.
On peut regretter l'issue des négociations et le texte final de l'Accord. On ne peut en tout cas pas reprocher à la Commission ni aux États membres de ne pas avoir tenté d'inclure le principe de la non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle dans le projet de révision.
Je crois que nous sommes tous d'accord ici pour regretter qu'il n'ait pas été possible d'aller plus loin. En revanche, je m'interroge quelque peu sur l'opportunité de certaines dispositions de la proposition de résolution qui a été déposée.
Cette proposition de résolution « invite la Commission à parvenir à un compromis tendant à l'insertion d'une mention explicite du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans le projet d'Accord de Cotonou révisé ». Il est trop tard pour cela. C'est au moment où a été déposé le mandat de négociation qu'il aurait fallu émettre une telle invitation.
De même, la proposition de résolution « demande au Gouvernement français de défendre une telle position en vue de la signature prochaine de cet accord ». Là encore, il est désormais trop tard. J'ajouterai que le Gouvernement français a répondu par avance à l'attente des auteurs de la proposition. Comme l'ensemble des États membres et comme la Commission européenne, il a défendu cette position tout au long des négociations.
Je vous ai exposé l'ensemble de la situation. Je remercie Mme Boumediene-Thiery d'avoir soulevé ce problème devant nous. Je crois qu'il y a un sentiment unanime pour aller dans le sens de ses préoccupations.
C'est pourquoi je vous proposerai de supprimer les deux derniers alinéas de la proposition de résolution et de les remplacer par un nouvel alinéa invitant la Commission européenne et le Gouvernement à déployer tous leurs efforts pour obtenir, lors de la prochaine révision de l'Accord de Cotonou, qui devrait intervenir en 2015, l'insertion d'une mention explicite du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans le projet de l'Accord de Cotonou.
*
La commission a accepté cette suggestion du rapporteur et a adopté la proposition de résolution dans le texte suivant :
Mercredi 26 mai 2010
- Présidence de M. Jean Bizet, président -Institutions
européennes
Rencontre avec les membres français du
Parlement européen
(stratégie numérique ; service
européen d'action extérieure)1(*)
M. Jean Bizet. - Je suis très heureux d'accueillir au Sénat cette troisième réunion conjointe des commissions des affaires européennes du Sénat et de l'Assemblée nationale et des membres français du Parlement européen. Je remercie encore Pierre Lequiller d'avoir pris l'initiative d'organiser ce type de réunion. Compte tenu du calendrier parlementaire, notre prochaine rencontre devrait se tenir le mercredi 3 novembre 2010 à l'Assemblée nationale. Le thème pourrait être la réforme de la politique agricole commune.
Deux sujets seront abordés aujourd'hui : la stratégie numérique de l'Union et le service européen pour l'action extérieure.
M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Je tiens à remercier Jean Bizet pour son accueil dans cette superbe salle. Je crois que ces réunions régulières sont désormais ancrées dans les habitudes. C'est un succès important pour renforcer les liens entre le Parlement français et le Parlement européen.
M. Gérard Larcher, président du Sénat. - Mesdames, Messieurs les parlementaires, je tenais à vous dire l'importance que j'attache à la construction de liens plus forts entre le Parlement français et le Parlement européen. Je remercie l'Assemblée nationale d'avoir lancé cette initiative de réunions communes régulières. Elles s'inscrivent pleinement dans la dynamique du traité de Lisbonne qui renforce le rôle des parlements. Notre coopération ne doit pas se borner aux questions de subsidiarité. Sur de nombreux sujets, nous devons être proactifs et être un relais des opinions publiques.
A cet égard, un des grands enjeux des mois à venir sera la réforme de la politique agricole commune. Le Sénat prendra toute sa place dans ce débat au travers du groupe de travail conjoint constitué par la commission des affaires européennes et la commission de l'économie. Notre approche se fera en lien avec les parlements des autres États membres et le Parlement européen. A cet égard, je suis heureux que votre prochaine réunion ait pour thème la réforme de la PAC.
I. LA STRATÉGIE NUMÉRIQUE DE L'UNION
M. Jean Bizet. - L'encre du « paquet Télécom » est à peine sèche et la stratégie I-2010 arrivée à son terme que l'Union réfléchit déjà à une nouvelle stratégie numérique pour les prochaines années. La Commission européenne a présenté sa communication la semaine dernière. Cela témoigne de la vitesse avec laquelle la société de l'information évolue et la difficulté pour les autorités publiques de suivre le rythme.
Le premier défi est de transposer rapidement le « paquet Télécom » qui est très attendu par tous les opérateurs. Le Sénat a commencé à s'y atteler en adoptant il y a deux mois une proposition de loi relative à la vie privée à l'heure du numérique. Elle transposait notamment deux dispositions importantes du paquet Télécom sur la notification des failles de sécurité et le régime juridique des « cookies ». Les débats ont toutefois montré que cette transposition laissait la place à de nombreuses interrogations.
Il nous faut dans le même temps rouvrir d'autres chantiers dans le cadre de la nouvelle stratégie numérique. Je pense par exemple à la protection des données. Il nous faut également réfléchir rapidement à la définition du service universel des communications électroniques ou à l'utilisation du dividende numérique, ces fréquences libérées par l'abandon de la télévision analogique. Pour nos territoires, il y a là un outil précieux pour développer l'accès à l'Internet haut débit dans les zones rurales qui en manquent cruellement. Le développement des infrastructures est en effet au coeur des enjeux. Il requiert des investissements considérables pour que l'Europe conserve son rang. A cet égard, la résolution du Parlement européen sur l'avenir numérique de l'Europe fixe des objectifs forts.
Un autre défi, peut-être encore plus difficile, est de parvenir à faire émerger des acteurs européens leaders capables de créer de nouveaux usages, ou de développer des modèles économiques innovants. Nos pays ne doivent pas se contenter d'être des consommateurs de technologies de l'information. Ils doivent développer une offre européenne capable de s'imposer comme un standard mondial.
Enfin, la communication de la Commission européenne sur la stratégie numérique pour l'Europe met l'accent sur les obstacles rencontrés pour créer un véritable marché unique du numérique. Les marchés européens restent très fragmentés. Ce constat rejoint celui de M. Mario Monti dans son rapport sur l'avenir du marché intérieur. C'est dans ce domaine que nous, parlementaires, devront certainement concentrer nos efforts pour faire émerger des idées nouvelles.
Pour la clarté des débats, je vous propose de les organiser en trois parties :
- le paquet Télécom et sa transposition ;
- l'agenda numérique et la circulation des contenus ;
- la bibliothèque numérique « Europeana ».
1. Le paquet Télécom et sa transposition
Mme Catherine Trautmann, députée européenne. - Ayant été rapporteur sur le paquet Télécom au Parlement européen, je vous présenterai ses principales dispositions et les enjeux entourant sa transposition. Incidemment, je signale que la consultation publique ouverte par le gouvernement français sur la transposition de cet ensemble de directives devrait s'achever dans les prochains jours.
Compte tenu de l'importance du secteur des technologies de l'information et des communications (TIC) - 4 % des emplois dans l'Union soit 7 millions de salariés -, le Parlement européen a considéré que la stimulation de la concurrence et l'intégration des marchés nationaux devaient être un moyen et non une fin. Le cadre ainsi défini pour les régulateurs, mais aussi pour les entreprises et les usagers, augmente la sécurité juridique et l'efficacité économique.
En matière de gestion des fréquences radioélectriques, on doit au Parlement européen la création d'un programme de gestion du spectre radioélectrique. Il sera adopté en codécision. L'enjeu démocratique est fort, puisqu'il s'agit en particulier de répartir le dividende numérique entre les usages publics et privés. Le paquet Télécom prévoit plusieurs procédures d'affectation des fréquences : soit des autorisations administratives traditionnelles, soit un mécanisme d'enchères. La question est très délicate car plusieurs États membres, notamment l'Italie, souhaitent garder le contrôle de l'affectation des fréquences qui relève habituellement de la souveraineté des États. Le sujet n'est pas clos. Le premier sommet Spectre s'est tenu récemment et la Commission européenne doit remettre prochainement un rapport.
Un autre point très délicat a été celui de la « séparation fonctionnelle » des opérateurs historiques (les anciens monopoles) en deux entités distinctes, l'une étant responsable de gérer les infrastructures de réseau, et l'autre d'offrir les services de détail à ses clients, l'objectif étant de stimuler la concurrence. Ce principe était défendu par la Commission européenne et une partie des régulateurs nationaux. La solution proposée par le Parlement européen a permis de trouver un compromis. La « séparation fonctionnelle » est optionnelle et ne peut être imposée qu'après une étude d'impact démontrant rigoureusement sa nécessité.
En ce qui concerne le développement des réseaux de fibre optique, le rôle moteur des collectivités territoriales a été souligné. En revanche, la Commission européenne n'a toujours pas présenté sa recommandation sur l'investissement dans les réseaux. C'est regrettable au moment où les opérateurs privés sont en retrait par rapport à leurs engagements initiaux. Je suis convaincu qu'il est possible de déployer ces réseaux sans recours aux fonds publics. Les parlements nationaux ont un rôle à jouer.
Les droits des consommateurs ont été renforcés en exigeant par exemple des contrats plus clairs ou en imposant la possibilité de changer d'opérateur en un jour.
La directive-cadre du paquet Télécom crée aussi l'Office des régulateurs européens pour les communications électroniques (ORECE). Cet organe n'est aucunement un régulateur européen, mais un groupe d'experts qui fournira à la Commission européenne des avis et recommandations sur la mise en oeuvre de la législation.
Enfin, je rappellerai que l'adoption du paquet Télécom a failli achopper sur l'amendement 138 du Parlement européen tendant à subordonner la suspension de l'accès d'un utilisateur à l'internet à une décision judiciaire préalable. Un bras de fer a en effet opposé le Conseil et le Parlement européen sur la procédure de sanction des internautes se livrant à des téléchargements illégaux d'oeuvres protégées par le droit d'auteur. Le compromis final prévoit que l'accès d'un utilisateur à l'internet peut être restreint seulement si cela est « jugé nécessaire et proportionné au terme d'une procédure juste et impartiale tenant compte du droit pour l'internaute d'être entendu, de la présomption d'innocence et du droit à la vie privée ». Ce texte reconnaît que l'accès à l'Internet est un moyen nécessaire pour l'exercice de plusieurs libertés fondamentales. Il ne permet pas à mon sens de couper l'accès à une boîte mail ou à des services publics en ligne.
Une question reste ouverte, celle de la neutralité du réseau. Ce principe fondateur exclut toute discrimination à l'égard de la source, de la destination ou du contenu de l'information transmise sur le réseau. L'article 8 de la directive-cadre et deux dispositions de la directive « services » donnent compétence aux régulateurs de s'assurer du respect de ces principes par les opérateurs. C'est une question clef à un moment où monte la tentation chez certains opérateurs de mettre en place des priorités de trafic, par exemple aux États-Unis. Je reviens à cet égard de Washington où le Congrès des États-Unis considère que la régulation européenne en la matière est beaucoup plus avancée.
Pour l'avenir, les principales évolutions législatives devraient intervenir dans trois domaines :
- la définition des usages du spectre radioélectrique ;
- la définition du service universel des communications électroniques ;
- la propriété intellectuelle et les libertés fondamentales.
La transposition du paquet Télécom doit être rapide. Ce texte est un texte pragmatique qui laisse une grande souplesse, car rien ne serait pire qu'un marché encadré de manière surabondante.
M. Jérôme Lambert, député. - Je me permets de suppléer mon collègue Michel Herbillon qui ne peut malheureusement être là.
La commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale s'est prononcée sur le projet de paquet Télécom en octobre 2008. Quatre points ont été soulignés.
Tout d'abord, ce texte accroît la concurrence, ce qui est une bonne chose à la condition qu'elle soit régulée. La perspective du développement des transactions numériques devrait ouvrir de nouveaux marchés. L'ORECE qui a tenu sa première réunion au début de l'année est une simple structure d'expertise, ce qui rejoint les conclusions de notre commission qui s'était opposée à l'idée d'une autorité de régulation européenne.
En matière de consommateurs, il était important de faciliter le changement d'opérateur.
Notre commission avait estimé que la lutte contre le téléchargement illégal devait rester de la compétence des États membres. Le compromis sur l'amendement 138 est acceptable.
Enfin, le respect de la neutralité du réseau est essentiel. Nous attendons la communication de la Commission européenne.
M. Bruno Gollnisch, député européen. - Le principe de neutralité est fondamental. Animés par les meilleures intentions, certains défendent l'idée de réduire l'accès à certains sites, par exemple les sites pédopornographiques. Je comprends naturellement cette tentation. La jurisprudence française tend d'ailleurs à rendre responsable les fournisseurs d'accès. Mais je perçois un risque puissant de dérive, si l'on s'engage dans cette voie, vers une restriction de la liberté de communication. Bien entendu, mon propos ne signifie pas qu'il ne faut pas poursuivre et condamner les activités criminelles sur l'Internet. Au contraire. Mais ce n'est pas aux opérateurs de faire eux-mêmes la police. C'est un peu comme si l'on rendait la Poste responsable du contenu des lettres.
M. Jérôme Lambert. - Ce n'est pas aux fournisseurs d'accès de juger a priori si certains contenus sont répréhensibles. Les législations pénales sont d'ailleurs différentes selon les États membres. En revanche, les opérateurs doivent être en état de fournir à la justice toutes les données utiles pour retrouver les auteurs d'activités criminelles.
Mme Catherine Trautmann. - Le principe de non responsabilité des fournisseurs d'accès est affirmé par plusieurs directives. Il est favorable au développement des services sur l'Internet. Il n'en reste pas moins que deux problèmes se posent.
Le premier est celui de la gestion du trafic pour éviter la congestion. Comment l'organiser sans que nos préférences pour tel ou tel contenu prévalent ?
Le second est celui de la cybercriminalité. Il existe déjà de nombreux textes, par exemple contre la pédopornographie. Mais il faut prendre garde à ne pas dériver vers des pratiques contestables par rapport au principe de neutralité.
Mme Corinne Ehrel, députée. - Je rappelle qu'en France, la loi pour la confiance dans l'économie numérique de 2004 dispose que l'éditeur d'un contenu est totalement responsable.
2. L'agenda numérique pour 2015 et la circulation des contenus
Mme Marielle Gallo, députée européenne. - J'évoquerai le projet d'agenda numérique que la Commission européenne a présenté la semaine dernière pour relancer la stratégie numérique, puis mon rapport d'initiative sur le respect de la propriété intellectuelle qui devrait être adopté par la commission des affaires juridiques du Parlement européen le 1er juin.
La Commission européenne souhaite faire de la stratégie numérique un levier de croissance pour l'Europe. Au cours des quinze dernières années, la moitié des gains de productivité dans l'Union était dû aux technologies de l'information et des communications (TIC). Cette part tend à augmenter.
L'agenda décrit sept domaines prioritaires d'action.
Le principal est la création d'un marché unique de l'innovation et des contenus culturels de l'Union européenne. Le document de la commission fait le double constat de l'existence d'un marché unique de l'offre illégal et de l'absence d'une offre légale diversifiée suffisamment attractive. La protection insuffisante de la propriété intellectuelle est l'une des explications de ce déséquilibre.
L'amélioration de la gouvernance et de la transparence de la gestion collective des droits est une des pistes avancées. Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur, devrait faire une proposition, notamment en faveur d'un guichet unique pour l'obtention de licences afférentes à différents types de droits. Il privilégierait une approche sectorielle.
On évoque aussi la promotion de « business models » innovants qui permettent un juste équilibre entre la rémunération des ayants droit et l'accès du public à la connaissance. Une législation européenne ne serait pas indispensable à la condition que les parties intéressées parviennent à s'entendre.
Enfin, la politique fiscale mériterait d'être revue. L'offre légale pourrait bénéficier d'une TVA réduite.
Le programme de travail de la commission serait le suivant :
- une proposition de directive-cadre sur la gestion collective des droits fin 2010 ou début 2011 ;
- une proposition de directive sur les oeuvres orphelines en 2010 ;
- une révision de la directive sur le respect de la propriété intellectuelle en 2011 ;
- une modification de la directive « services média audiovisuels » pour faciliter l'exploitation des droits par les fournisseurs de services audiovisuels en 2012 ;
- une évaluation des options permettant de développer les services de contenus culturels (licence paneuropéenne, licence collective étendue, harmonisation du droit d'auteur) en 2012.
Ceci m'amène à évoquer mon rapport d'initiative sur le respect de la propriété intellectuelle. Son vote a été reporté à plusieurs reprises, mais il devrait être examiné en commission le 1er juin et en plénière en juillet. 122 amendements ont été déposés qui m'ont conduite à proposer 12 amendements de compromis. 11 ont réuni un large accord. Ils tendaient notamment à remplacer le terme « piratage » par celui plus juridique d'« infraction au droit d'auteur », à préciser le rôle de l'observatoire de la contrefaçon et du piratage, à souligner la nécessité des campagnes de sensibilisation et à exiger des données fiables sur l'échelle des infractions.
Malheureusement, au moment où nous allions examiner le dernier point, Françoise Castex, rapporteur fictif du groupe de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen, a remis en cause tous les compromis. Je n'ai pas eu d'autre choix que de retirer l'ensemble de mes propositions, puisque ce qui m'était demandé - proposer la légalisation du téléchargement illégal et réfléchir à un mécanisme de compensation financière tel que la licence globale - était inacceptable. La licence globale est une négation du droit d'auteur, qui n'est pas seulement un droit d'exploitation, mais aussi un droit moral. A l'ère numérique, il ne faut pas nier le droit d'auteur, mais l'adapter. Au cours d'ultimes négociations, j'avais admis le traitement différencié, et non la légalisation, du « file sharing ». Mais cela n'a pas suffi.
M. Hervé Gaymard, député. - Je ferai trois observations.
Tout d'abord, l'agenda numérique ne précise pas si le déploiement des réseaux à très haut débit, en particulier la fibre optique, bénéficiera d'un financement européen en plus des financements nationaux et locaux actuels.
Ensuite, en matière fiscale, se pose la question de la TVA sur les biens numériques. De nombreux opérateurs sont domiciliés au Luxembourg pour bénéficier de la TVA à taux réduit. Pourtant, dans de nombreux États membres, les biens culturels physiques en bénéficient. Il conviendrait de généraliser rapidement la TVA à 5,5 % sur les biens numériques avant que les recettes ne deviennent significatives et que les administrations fiscales ne soient davantage réticentes à cette idée.
Enfin, je pense que tous les sujets relatifs au droit d'auteur, à la numérisation des biens culturels ou à la bibliothèque Europeana se tiennent. Je prends pour exemple le projet de Google de numériser des oeuvres sans l'autorisation des ayants droit. Dans le cadre de la procédure judiciaire engagée par les éditeurs américains contre Google aux États-Unis, la France et les éditeurs français ont pu faire valoir leurs observations devant la Cour. La Commission européenne a longtemps hésité avant de faire de même. Cette affaire n'est pas close. Le ministère de la justice américain s'est encore opposé récemment à une transaction possible entre Google et les éditeurs américains. Nous, européens, pourrions d'ailleurs souscrire pleinement aux objections soulevées par le ministère américain de la justice qui vont dans notre sens.
Dans le débat sur le droit d'auteur et la numérisation, il faut distinguer trois catégories d'oeuvres :
- celles tombées dans le domaine public ;
- celles sous droit d'auteur incontestable ;
- les oeuvres orphelines, c'est-à-dire dont on ne connaît pas l'auteur, et les oeuvres dont on connaît l'auteur mais qui ne sont plus éditées.
C'est sur cette troisième catégorie - cette zone grise - que Google s'est ruée.
Le grand emprunt français mobilise 750 millions d'euros pour régler cette question. Mais il ne s'agit que d'une réponse nationale. Une grande vigilance doit donc demeurer sur ces questions qui concernent directement l'identité européenne.
A propos du projet de bibliothèque numérique Europeana, je dirai simplement que les choses sont mal engagées. La littérature européenne sur ce sujet, y compris celle de la Commission européenne, reste très floue.
Mme Catherine Trautmann. - Le débat sur la définition juridique des infractions au droit d'auteur n'est pas clos. Plusieurs stratégies sont encore envisagées.
L'une consiste à ne pas bouger. Cette solution me semble déraisonnable, car d'ores et déjà on constate que le respect du droit d'auteur est complètement débordé. Une autre consiste à harmoniser les législations nationales sur le droit d'auteur.
Ce débat me rappelle celui sur le logiciel libre. Faute d'accord, le résultat est qu'aujourd'hui il n'y a toujours pas de texte. On risque d'arriver au même résultat en matière de téléchargement, si on continue à privilégier la sanction comme seule réponse.
À propos du financement des nouveaux réseaux, je regrette aussi que la Commission européenne n'ait toujours pas remis son rapport.
Enfin, en ce qui concerne la fiscalité des biens numériques, j'indique que ma collègue Pervenche Berès propose précisément d'étendre le taux réduit dans son rapport sur la crise économique et sociale. Ce rapport devrait être adopté en septembre.
M. Richard Yung. - Je souhaiterais savoir où en est la mise en oeuvre de l'Observatoire de la contrefaçon et du piratage. Il me semblait mal né, le Parlement européen n'en voulant pas.
Mme Marielle Gallo. - Cet observatoire n'est pas mal né. Je rappelle que ce n'est pas une structure supplémentaire. Il s'agit d'une organisation qui fait appel aux compétences des structures existantes en Europe. L'observatoire a commencé à produire des études. En revanche, il n'est sans doute pas suffisamment sollicité.
3. La bibliothèque numérique « Europeana »
M. Jean-Marie Cavada, député européen. - Europeana est un projet de numérisation, de mise en ligne et de préservation sur Internet d'un ensemble d'oeuvres européennes via un point d'accès unique et multilingue. Ce n'est donc pas formellement une bibliothèque, mais une plateforme unique d'accès à des bibliothèques.
Europeana vise à répondre à des enjeux culturels majeurs. En premier lieu, la démocratisation de l'accès à la culture. Sa création répond au souci d'offrir à un public très large un outil performant d'accès à la connaissance. Cette interface est en effet multilingue de manière à permettre à l'ensemble des citoyens européens, quelle que soit leur nationalité, de pouvoir la consulter. Elle comporte également des oeuvres encore protégées par le droit d'auteur afin de ne pas faire obstacle à l'accès à la connaissance. En deuxième lieu, Europeana constitue un outil de conservation et de protection du patrimoine culturel européen issu des vingt-sept États membres. A ce titre, la bibliothèque comporte des oeuvres rares ou anciennes, dont la consultation est aujourd'hui difficile en raison des mesures de conservation qui entourent ces documents. En troisième lieu, Europeana offre la possibilité aux pays européens de développer leur propre offre de contenus culturels en ligne, aux côtés de celle mise à disposition par les entreprises privées, telles que Google. Elle leur permet donc d'apporter une réponse collective aux risques qui entourent cette offre d'origine privée, à savoir la confiscation d'oeuvres qui font pourtant partie du domaine public et les doutes qui pèsent sur le maintien de la gratuité de consultation.
Cela dit, le développement d'Europeana se heurte aujourd'hui à un certain nombre de difficultés. D'une part, Europeana peut poser problème au regard du droit d'auteur. Aujourd'hui, les règles en matière de propriété intellectuelle ne sont pas les mêmes dans tous les États membres de l'Union européenne, ce qui pourrait être problématique si Europeana permettait la consultation d'oeuvres récentes encore protégées par le droit d'auteur. Il serait inconcevable que les auteurs dont les oeuvres sont numérisées sur Europeana ne soient pas protégés équitablement. D'autre part, Europeana souffre de difficultés de financement. A titre personnel, je ne suis pas opposé à la mise en place de partenariats public/privé, mais il est certain que la conclusion de tels accords nécessite la plus grande vigilance. Les entreprises privées sont guidées par une logique de retour sur investissement, ce qui n'est pas toujours compatible avec le principe d'une diffusion de la culture la plus large possible.
Avant de céder la parole à mes collègues, je souhaiterais brièvement vous présenter la résolution alternative sur Europeana que j'ai présentée au Parlement européen et qui a été adoptée en séance plénière le mercredi 5 mai 2010 avec le soutien du groupe PPE et l'appui de trois autres groupes politiques (Sociaux et démocrates, ADLE et Verts). Cette résolution visait à modifier deux paragraphes du texte issu de la commission de la culture qui auraient pu avoir des conséquences fâcheuses. En effet, ces paragraphes permettaient à tous les Européens d'échanger librement et sans aucun contrôle sur ce portail. Or, à mon sens, il ne pouvait être question de laisser les internautes intervenir voire modifier le contenu mis en ligne sur la bibliothèque numérique. Je ne nie pas l'intérêt de pouvoir commenter les oeuvres. Mais, il me semble que si cela doit être autorisé en ligne, cela doit figurer sur un site séparé. Dans tous les cas, il me semble que la suppression de ces deux paragraphes a permis à Europeana de se recentrer sur ses principaux objectifs : un outil de démocratisation de la culture, qui contribue à la protection et à la conservation de notre patrimoine culturel, tout en préservant le droit d'auteur, même si je reconnais que la protection du droit d'auteur pourrait encore être améliorée dans l'Union européenne.
Mme Colette Mélot. - Europeana a été créée en 2005 à l'initiative de la France, puis a été lancée en 2008, alors que la France exerçait la présidence de l'Union européenne. Cette bibliothèque en ligne constitue un instrument fondamental de diffusion des oeuvres européennes et de rayonnement de notre culture - non seulement en Europe, mais également à travers le monde. Europeana vise à donner à tous un accès aux collections des bibliothèques, musées et archives des États membres de l'Union européenne. D'ici la fin de l'année, la plateforme devrait ainsi héberger 10 millions d'oeuvres : des livres bien sûr, mais aussi des cartes, des extraits de film, des peintures et des oeuvres musicales. Non seulement ce projet est essentiel pour l'avenir de notre patrimoine culturel et à la promotion de la diversité culturelle dans le monde ; mais il représente également un formidable outil pour la recherche, qui pourrait nous permettre d'avancer dans la construction d'une économie de la connaissance.
Face à l'importance de ces enjeux, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, dont je suis membre, a engagé, depuis septembre dernier, une réflexion sur la question de la numérisation du patrimoine culturel et, en particulier, du patrimoine écrit. Sur ce sujet, la commission pense qu'il est primordial que la pérennité du patrimoine écrit soit assurée et qu'un accès universel aux contenus culturels soit garanti. Nous concevons la numérisation comme un moyen de transmettre notre patrimoine culturel aux générations futures et de jeter les bases d'une mémoire collective.
Pour autant, il est ressorti des débats que nous avons eus au sein de la commission de la culture - lors des auditions ou des tables rondes que nous avons organisées - et en séance publique, le sentiment que la numérisation soulevait certaines difficultés, en particulier économiques. Trois points doivent en particulier être évoqués.
Premièrement, le coût élevé de la numérisation. Nous sommes tout à fait conscients que la question du financement constitue d'ailleurs aujourd'hui l'un des principaux freins au développement d'Europeana. Dans ce cadre, nous croyons que la mise en place de partenariats public/privé est une piste qu'il ne faut pas exclure, même s'il convient de les encadrer strictement. Marc Tessier, dont le rapport sur la numérisation du patrimoine écrit fait aujourd'hui référence en ce domaine, a pu dissiper certaines de nos craintes autour de ces partenariats, en nous montrant qu'il nous fallait parvenir à conserver la maîtrise du processus de numérisation et de diffusion des contenus.
Deuxièmement, le droit d'auteur. Nous estimons que le processus de numérisation doit impérativement garantir le respect des droits d'auteur. Je sais qu'il s'agit d'une problématique dont le Parlement européen est familier, comme en témoignent les éclairages de Mme Gallo sur ce sujet il y a quelques instants. Nous savons tous que l'Internet peut constituer une menace à la juste rémunération des créateurs ; et c'est justement parce que nous souhaitons offrir au public l'accès à un contenu le plus large possible que nous devons veiller à renforcer la protection des droits d'auteur en Europe, principal gage pour la poursuite de la créativité et de l'innovation sur le territoire européen. Je crois savoir que la Commission européenne devrait proposer, dès la fin de cette année, une directive-cadre relative à la gestion collective du droit d'auteur afin de remédier à l'hétérogénéité qui prédomine aujourd'hui entre les États membres. Tous les contenus numériques seront-ils concernés, y compris l'audiovisuel ?
Troisièmement, la question des oeuvres orphelines, à laquelle nous nous intéressons d'ailleurs ces derniers jours au sein de la commission de la culture à propos des oeuvres visuelles. Je crois qu'il serait vraiment dommage que nous nous privions de telles oeuvres au sein d'Europeana. Je souhaite que l'Europe s'investisse davantage dans ce domaine à la fois sur le plan réglementaire et financièrement. Comme l'a souligné notre collègue Hervé Gaymard précédemment, je ne néglige pas non plus la question des oeuvres épuisées. Je sais qu'une directive-cadre européenne est également attendue sur le sujet des oeuvres orphelines. A-t-on une idée de sa date de publication et des principales dispositions qu'elle devrait comporter ? La France doit-elle attendre cette directive pour légiférer à son tour ?
Mme Malika Benarab-Attou, députée européenne. - Le groupe des Verts au Parlement européen estime qu'une solution doit être rapidement trouvée afin d'assurer le financement d'Europeana après 2012. Je rappelle, à cet égard, que mon groupe politique s'est toujours montré particulièrement sensible à la problématique du numérique et propose, par exemple, que la réduction de fracture numérique figure parmi les priorités des fonds structurels pour la période 2014-2020.
En ce qui concerne la rétribution des créateurs ou des ayants droit dont les oeuvres sont accessibles sur Europeana, le groupe des Verts est favorable au développement du système des licences collectives étendues. Ce système, instauré dans les pays nordiques dès la fin des années 1970, a prouvé son efficacité : il a d'ailleurs été introduit en droit européen pour le cas des oeuvres audiovisuelles dans la directive 93/83/CE relative aux droits d'auteur applicables à la radiodiffusion par câble ou satellite. Nous pensons que la mise en place d'un tel système de gestion par licence collective devrait utilement garantir le respect des droits d'auteur par Europeana, tout en apportant une solution au problème précédemment soulevé des oeuvres orphelines. La société de gestion collective pourrait tout à fait conserver les droits perçus auprès d'Europeana et les redistribuer aux créateurs ou à leurs ayants droit après que ces derniers auront été identifiés.
Mme Marielle Gallo. - Je souhaitais apporter quelques précisions en matière de calendrier. D'après les informations dont je dispose, la proposition de directive-cadre sur la gestion collective des droits, ainsi que la proposition de directive sur les oeuvres orphelines devraient être publiées d'ici la fin de cette année ou, au plus tard, au début de l'année 2011.
M. Jean-Marie Cavada. - Malgré les doutes qui ont malheureusement pesé sur le fonctionnement de quelques rares sociétés de gestion collective des droits d'auteur au cours des dernières années, je crois que nous devons encourager leur développement, tant cette solution a globalement donné satisfaction jusqu'à présent. Ces sociétés apportent effectivement une réponse aux problèmes d'accessibilité des oeuvres orphelines sur la toile. Elles participent aussi activement au développement de l'économie de la culture en facilitant le respect des droits d'auteur. D'ailleurs, je constate que les créateurs y sont généralement favorables. Il nous faudra donc réfléchir, dans les prochains mois, aux moyens d'améliorer la qualité de leur fonctionnement, mais, surtout, aux possibilités dont nous disposons pour étendre leur fonctionnement.
En ce qui concerne le financement de la numérisation des oeuvres, je souhaiterais rappeler que certains de mes collègues proposent l'introduction d'un ticket complémentaire perçu à l'entrée des salles exposant des oeuvres culturelles devant être numérisées afin de les affecter au financement de la numérisation au niveau national. Quelle que soit la solution que nous retiendrons, je crois qu'il est indispensable que nous mettions tout en oeuvre pour poursuivre la construction d'Europeana. L'heure n'est plus à déplorer les avancées de Google en matière de numérisation ni à critiquer son mode de fonctionnement. L'important, au contraire, est que nous mettions en place une alternative crédible à la numérisation par les sociétés privées qui, à terme, pourraient être plus protectrice des créateurs et surtout plus accessible par l'ensemble des citoyens.
Mme Catherine Trautmann. - Je souhaitais signaler que nous avions récemment entendu, au sein du groupe de travail sur les droits d'auteur que coordonne Marielle Gallo, des représentants des sociétés de gestion collective des droits d'auteur. A cette occasion, ils nous ont indiqué qu'ils travaillaient à la rédaction d'une proposition de création d'un « one-stop shop » - autrement dit, un guichet unique sur Internet permettant aux utilisateurs d'accéder à tous les répertoires d'oeuvres culturelles gérées par les sociétés de gestion collective - afin d'améliorer l'accès du public au patrimoine culturel. Ils nous ont demandé qu'aucune disposition législative les concernant ne soit adoptée dans l'attente de la publication de leur proposition.
Quelle que soit cette proposition, je pense que le Parlement européen devra cependant rester vigilant en ce qui concerne le fonctionnement de ces sociétés de gestion collective. Mon intention n'est nullement de mettre en cause leur mode de gestion ou de les soupçonner de malhonnêteté. Je constate simplement que ces sociétés ont tendance à thésauriser des sommes d'argent importantes, qui correspondent bien souvent aux sommes en attente de répartition, du fait que les auteurs ou leurs ayants droit ne sont pas toujours connus. Il me paraît regrettable que cet argent se trouve ainsi accumulé, sans pouvoir être immédiatement injecté dans l'économie culturelle. J'espère donc qu'au cours de nos débats au Parlement européen, nous pourrons trouver une solution afin de garantir la transparence de ces sociétés. Peut-être pourrions-nous trouver une formule dans laquelle nous pourrions demander à ces sociétés de répondre de l'utilisation de ces sommes d'argent ?
II. LE SERVICE EUROPÉEN POUR L'ACTION EXTÉRIEURE
M. Jean Bizet. - Le service européen pour l'action extérieure est une innovation majeure du traité de Lisbonne, et il est important que nous puissions discuter tous ensemble de sa mise en place. Il existe une position officielle du Sénat en ce domaine puisque, à la suite de plusieurs débats au sein de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, une résolution a été adoptée qui est devenue la résolution du Sénat.
La résolution a identifié trois enjeux principaux. Le premier porte sur la nature du service. Le Sénat considère que le service européen pour l'action extérieure doit être un service sui generis, équidistant de la Commission européenne et du Conseil. Cela nous paraît résulter de la pluralité des missions du service. Il doit être placé sous l'autorité du Haut représentant ; il doit pouvoir assister le président du Conseil ; il doit aussi assister le président et les membres de la Commission européenne ; enfin, il doit coopérer étroitement avec les États membres. Il nous semble que, pour pouvoir remplir pleinement toutes ces fonctions, il ne doit pas être intégré à la Commission européenne et il doit jouir d'une autonomie en matière budgétaire et de gestion du personnel.
Le second enjeu concerne le périmètre du service. Le Sénat estime que le périmètre du service européen pour l'action extérieure devrait être le plus large possible. L'objectif premier est d'abord de renforcer la cohérence de l'ensemble des instruments en matière de relations extérieures de l'Union européenne. Le second objectif est de permettre au Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité d'exercer pleinement son mandat. En effet, en vertu du traité, le Haut représentant, en sa qualité de vice-président de la Commission, a la responsabilité de la coordination des aspects touchant aux relations extérieures au sein de la Commission européenne. Cela concerne non seulement l'aide au développement, la politique de voisinage mais aussi la réponse de l'Union européenne aux crises.
Le troisième enjeu, et non des moindres, porte sur l'organigramme et la répartition des effectifs entre la Commission, le Conseil et les États membres. À cet égard, le Sénat estime qu'un équilibre adéquat devra être trouvé entre les trois viviers de personnels, et que les États membres - et notamment ceux qui jouent un rôle majeur dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité, comme la France - devront être suffisamment représentés au sein de ce service. De plus, le Sénat insiste sur l'importance d'accorder à la langue française la place qui doit lui revenir dans les travaux du service.
Enfin, et ce sujet nous tient beaucoup à coeur, la résolution du Sénat souligne l'importance que le service européen pour l'action extérieure entretienne des relations étroites avec l'ensemble des parlements de l'Union, c'est-à-dire non seulement avec le Parlement européen, mais aussi avec les parlements nationaux.
M. Arnaud Danjean, député européen. - Je voudrais revenir sur les trois points qui figurent dans la résolution du Sénat, afin de préciser où nous en sommes aujourd'hui. Les négociations évoluent de façon quasi-quotidienne, même si elles sont actuellement interrompues pour quinze jours. Début juin aura lieu ce qui pourrait être une dernière session, nous l'espérons, avant le Conseil européen du 17 qui pourrait avaliser une partie des accords qui auront été trouvés, en particulier entre la Haute représentante et nos collègues qui négocient au nom du Parlement européen.
En ce qui concerne l'équidistance entre la Commission et le Conseil, le caractère sui generis du service européen pour l'action extérieure n'est pas remis en cause en tant que tel. Cela ne sera pas une agence, au titre classique, ni un organe tel qu'il en existe d'autres ; donc cet aspect sera bien respecté dans sa définition. En revanche, le contentieux actuel porte sur le positionnement budgétaire. Sous quelle section positionnera-ton le budget du service européen pour l'action extérieure ? Ce sera un budget communautaire, mais la question est de savoir s'il relèvera de la sous-section 3, c'est-à-dire d'un instrument de la Commission, ou bien s'il sera sui generis. De ce point de vue, il existe un véritable blocage entre Mme Ashton, le Parlement européen, les États membres et le Conseil, et l'on est loin d'avoir trouvé une solution. Il s'agit de la principale difficulté à laquelle se heurtent les négociations actuelles.
La deuxième question concerne le périmètre du futur service. Le point dur porte sur l'intégration de la partie développement, dont un certain nombre pensent qu'elle doit faire partie intégrante du futur service, en tant qu'outil majeur au niveau financier. Cela pose un certain nombre de problèmes de compétence avec la Commission et le débat n'est pas encore tranché.
Enfin, sur l'organigramme et les effectifs, il y a eu beaucoup de progrès. Cependant, le débat reste vivace sur la représentation politique du service européen pour l'action extérieure devant le Parlement européen. C'est le point dur de la négociation pour nous. Nous souhaitons que Mme Ashton puisse s'exprimer régulièrement devant les commissions compétentes, ce qu'elle consent à faire. Cela étant, pour des raisons de disponibilité, il est évident que cela posera d'énormes problèmes. Il s'agit donc d'élaborer un dispositif permettant d'assurer une représentation politique de la Haute représentante devant le Parlement européen. Certaines dispositions laissaient entendre que Mme Ashton pourrait déléguer cette fonction à de hauts fonctionnaires européens. Le Parlement européen s'oppose catégoriquement à cette solution.
De plus, même si nous n'intervenons pas de façon législative sur les sujets de politique étrangère, nos prérogatives ont été renforcées par le traité de Lisbonne, et il n'est pas question pour nous d'abdiquer cette capacité d'avoir des auditions de nature politique avec Mme Ashton et ses représentants. Un système subtil doit donc être mis en oeuvre avec des Secrétaires généraux et des adjoints qui pourraient suppléer Mme Ashton. L'un d'entre eux pourrait notamment être nommé pour traiter spécifiquement des questions de gestion de crise et des affaires de défense et de sécurité.
Cela rejoint d'ailleurs une autre de nos préoccupations, à savoir l'autonomie et la spécificité reconnue de ce que l'on appelle la chaîne de commandement de gestion des crises. Cela concerne des instruments civils et partiellement militaires qui touchent vraiment à l'implication des États membres dans le domaine de la gestion de crise et de la politique de sécurité et de défense commune. Les États membres ont souhaité, me semble-t-il à juste titre, que la spécificité de ces instruments soit préservée au sein de l'organigramme du service européen pour l'action extérieure. Il s'agit bien sûr d'intégrer ces outils, parce qu'ils feront partie intégrante de la nouvelle structure, tout en leur conservant une capacité autonome ; il s'agit notamment de mettre en place une chaîne de commandement qui remonterait directement au Haut Représentant ou à son subordonné en charge de la gestion de crise et des affaires de défense. Là-dessus, les négociations progressent et l'on a bon espoir que cela aboutisse.
Un autre point dur, enfin, qui reste en suspens, est la question des effectifs, directement liée à la question statutaire que vous évoquiez dans le point sur l'équidistance entre la Commission et le Conseil. En effet, les clés de répartition du personnel du service européen pour l'action extérieure font l'objet d'âpres négociations. Au stade actuel des négociations, la clé de répartition prévoit que 50 % des effectifs viendront de la Commission et que le Conseil et les États membres se partageront le reste des postes à égalité. Mais, dès lors que des diplomates nationaux intégreront le service, devront-ils abandonner leur statut national et passer sous un statut communautaire ? Ce point fait l'objet d'âpres discussions, car cela tient évidemment à la définition du statut global du service et à sa responsabilité, notamment devant le Parlement.
Tel est l'état des lieux des discussions. Rien n'est encore acquis, même si un certain nombre de progrès ont été réalisés. Les négociations qui reprendront début juin seront donc cruciales. Enfin, je crois que nous devons garder à l'esprit le calendrier. Plus nous prendrons du retard, et plus nous perdrons en crédibilité, alors que le service envisagé par le traité de Lisbonne doit être un instrument majeur de visibilité, de crédibilité et d'efficacité de l'action extérieure de l'Union européenne. Il faudrait donc que l'on parvienne assez rapidement à un accord, ou au moins un pré-accord avant cet été. J'espère que tout le monde fera preuve de responsabilité à cet égard. C'est une condition essentielle pour qu'on puisse mettre en place le futur service à la rentrée dans de bonnes dispositions.
M. Bruno Gollnisch. - J'étais personnellement hostile au traité de Lisbonne et à la création du service européen pour l'action extérieure. Aujourd'hui, le problème ne me paraît pas tant ce dernier que l'absence de clarté quant à la direction de l'Europe. Qui dirige la diplomatie européenne ? Comme disait Henri Kissinger : « L'Europe, quel numéro de téléphone ? ». Quatre acteurs sont en concurrence : la Haute représentante, qui fait preuve de mépris en se dérobant à sa responsabilité politique quand elle nous explique qu'elle ne peut pas venir devant le Parlement européen ; le Président Barroso ; le président stable ; et la présidence tournante. Il me paraît absurde que celle-ci n'ait pas disparu avec la mise en place d'un président stable. Dès lors, comment le service européen pour l'action extérieure pourra-t-il fonctionner de façon efficace et cohérente ?
M. Jérôme Lambert. - Dans le contexte actuel, nous avons le sentiment que tout ce qui donne l'impression que l'Europe reste incapable de prendre des décisions fortes, notamment dans le domaine économique, affaiblit notre entité et risque d'avoir des répercussions au-delà des questions diplomatiques, comme on a pu le constater avec la crise. D'où l'enjeu important que représente la mise en place de ce service dans des délais raisonnables. La commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale prépare un rapport sur le service européen pour l'action extérieure, qui sera présenté le 1er juin.
M. Jacques Blanc. - Je voudrais revenir sur les points clés de la résolution du Sénat. Il est heureux que nous puissions discuter tous ensemble des enjeux de la mise en place du service européen pour l'action extérieure. Je constate que nos analyses diffèrent, au niveau de la nature même de celui-ci. La politique extérieure de l'Union européenne reste de nature intergouvernementale. Il s'agit pour nous de dire au Parlement européen que chacun doit rester dans ses compétences, et que nous devons envisager ensemble l'instauration de ce service. Le traité de Lisbonne accentue d'ailleurs les compétences des parlements nationaux. Le Parlement européen ne peut être le seul interlocuteur démocratique dans ce débat. Ce point de vue a été exprimé par des gens qui, comme moi, sont convaincus qu'il faut aller de l'avant en matière européenne.
En outre, je constate que le débat est également ouvert sur le périmètre du futur service. Les problématiques budgétaires relèveront-elles de la codécision ? Comment trouver le bon équilibre entre les rôles de la Commission, du Parlement européen et des parlements nationaux ? C'est une démarche nouvelle pour nous. Il est par conséquent important que nous puissions nous exprimer sur ces questions.
Troisièmement, on nous a dit que, sur la répartition des effectifs, le Parlement européen voudrait auditionner les candidats, sur le modèle américain. Cela suscite perplexité et interrogations.
Je tiens à dire qu'il n'y a pas de volonté de blocage du Sénat par rapport au Parlement européen, mais une demande forte d'être associé et de pouvoir participer, dans la mesure où nous croyons que c'est ainsi que nous progresserons vers une cohérence nécessaire dans la politique extérieure de l'Union européenne.
Mme Constance Le Grip, députée européenne. - La commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, dont je suis membre, est la deuxième commission compétente pour la réflexion sur l'architecture institutionnelle et la mise en oeuvre du service européen pour l'action extérieure. La commission, notamment en la personne de Guy Verhofstadt, ancien premier ministre belge, s'est beaucoup impliquée pour négocier pied à pied avec le Conseil et la Haute représentante sur ce que pourraient être le périmètre, les responsabilités, les prérogatives, le budget et la composition du futur service.
Comme le disait Arnaud Danjean, les négociations évoluent tous les jours. Nous sommes nombreux à espérer, au sein de la commission des affaires constitutionnelles, que le Parlement européen ne donne pas l'image d'une instance s'enlisant trop longtemps dans un débat institutionnel « nombriliste », dans lequel l'Union européenne n'a eu que trop tendance à se complaire, durant dix ans de négociations. On ne doit pas réinventer maintenant des querelles institutionnelles, alors que nous disposons d'une formidable boîte à outils avec le traité de Lisbonne, qu'il s'agit simplement d'appliquer. Nous essaierons donc de faire entendre la voix de la sagesse et de la raison au sein de nos commissions respectives et de notre groupe, mais il y a encore du chemin à faire. Les parlements nationaux doivent bien comprendre que l'enjeu de la discussion autour de l'architecture institutionnelle du futur service a été l'occasion pour le Parlement européen de se lancer dans un rapport de forces avec les autres institutions et de peser de tout le poids nouveau et de toute la responsabilité nouvelle que lui confère le traité de Lisbonne. Notre préoccupation est que le service européen pour l'action extérieure ne devienne pas l'otage du bras de fer entre les représentants du Parlement européen qui négocient en notre nom, le Haut représentant et le Conseil. C'est un aspect auquel il faut être très sensible et très vigilant, et que les parlements nationaux doivent avoir bien présent à l'esprit. La voie est donc étroite et le schéma qui aboutira devra forcément tenir compte de toutes ces contraintes et de ces différents paramètres.
Pour nous, membres du Parlement européen, à ce stade, les rapports et résolutions des parlements nationaux que vous avez mentionnés constituent des documents très précieux. Car, au-delà des débats en cours entre la conception intergouvernementale de la politique étrangère et la conception plus communautaire du Parlement européen, quelle que soit la solution adoptée, il faudra que le point de vue des parlements nationaux soit pleinement entendu et pris en compte, si ce n'est dans les textes, du moins dans la pratique. Il faudra nous assurer d'être toujours en connexion les uns avec les autres. C'est pourquoi les députés européens doivent être à l'écoute des parlements nationaux, sur ce domaine qui reste en grande partie régalien.
M. Josselin de Rohan. - M. Jacques Blanc, vice-président de notre commission, a très bien reflété le point de vue de la commission des affaires étrangères du Sénat. Nous sommes convaincus que l'existence d'une politique étrangère de l'Union européenne est indispensable. Car on ne peut pas à la fois déplorer l'absence de l'Union européenne en tant qu'entité pesant sur la scène internationale, et lui dénier le droit d'avoir une politique étrangère. Il est vrai que le traité de Lisbonne met sur pied une mécanique extrêmement complexe. Néanmoins, le service européen pour l'action extérieure marque un progrès, puisque, aux Nations unies, par exemple, l'Union européenne disposera désormais d'une représentation unique pour faire entendre sa voix, alors qu'il existe actuellement plusieurs services (Commission, Conseil...). C'est un progrès qu'il faut encourager.
Il ne s'agit pas de créer un conflit avec le Parlement européen mais de nous en tenir au texte. Ainsi, la déclaration n° 14 annexée au traité de Lisbonne stipule que « les dispositions régissant la politique étrangère et de sécurité commune ne confèrent pas de nouveaux pouvoirs à la Commission de prendre l'initiative de décisions ni n'accroissent le rôle du Parlement européen ». Tels sont les textes.
Nous considérons que les décisions de politique étrangère relèvent toujours du Conseil. Comme il n'existe pas encore de nationalité européenne, les parlements nationaux ont un rôle essentiel à jouer en ce qui concerne la politique de défense et la politique extérieure. Nous avons voix au chapitre.
Quand ce service sera définitivement constitué, il aura certainement vocation à s'exprimer devant le Parlement européen, mais il devra aussi rendre des comptes devant les parlements nationaux. Bien sûr, il faudra être raisonnable et proposer à Mme Ashton des solutions pour l'auditionner à bon escient, compte tenu de son emploi du temps très chargé
Sur la composition du service, il convient là aussi de faire preuve de vigilance. Nous entendons bien que les diplomaties nationales puissent être représentées. L'idée d'un service européen totalement déconnecté des États, et qui serait administré par la Commission, est inacceptable pour nous.
Le budget du service européen pour l'action extérieure ne doit pas être un simple appendice de la Commission, car nous savons tous que celui qui paye commande.
Enfin, nous avons le devoir de veiller, nous, parlementaires nationaux et européens, à ce que la francophonie soit maintenue. Or, à Bruxelles, tout se passe en anglais. D'où l'intérêt de ce type de réunion pour coordonner nos actions par rapport au Conseil ou à la Commission. Tant que nous n'aurons pas une Europe fédérale, il faudra rester dans ce cadre. De ce point de vue, je dis clairement que nous ne pouvons soutenir les propositions du rapport de MM. Brok et Verhofstadt. Leur position est très nostalgique d'une certaine Europe dont on peut regretter qu'elle n'ait pas existé, mais qui n'existe pas. Donc, restons dans le cadre fixé, efforçons-nous de l'améliorer et de créer de véritables synergies entre les organes de l'Union européenne pour aboutir à une politique étrangère européenne. Il s'agit d'un exercice complexe, mais, si nous voulons en faire trop, nous serons voués à l'échec. Par-dessus tout, il me semble que nous devons dépasser les corporatismes. Ne nous barricadons pas derrière nos prérogatives et nos pouvoirs, sinon nous n'arriverons à rien.
M. Arnaud Danjean. - Je partage le point de vue du président de Rohan. Je suis persuadé que nous élaborerons des solutions pragmatiques et réalistes pour organiser la coopération interparlementaire en matière d'affaires étrangères et de défense. Je voudrais revenir sur quatre points.
Premièrement, la nomination des chefs de délégation de l'Union européenne à l'étranger et des Représentants spéciaux. Un courant du Parlement européen souhaitait doter celui-ci d'un pouvoir d'audition préalable, sur le modèle américain. Le compromis retenu me paraît une solution de bon sens. Il est ainsi agréé que Mme Ashton procédera aux nominations et que les chefs de délégation retenus passeront devant les commissions compétentes avant leur départ en poste, sans que le Parlement européen ait un pouvoir de sanction ou de veto. Il s'agira d'un échange de vues.
Deuxièmement, le suivi et le contrôle de la politique étrangère et de sécurité (PESC) et de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Certes, la PSDC demeure largement du domaine intergouvernemental, mais pas seulement. La PSDC et la PESC ont en effet une réalité européenne. C'est pourquoi le Parlement européen doit avoir son mot à dire dans le suivi et le contrôle de ces politiques. Nous ne sommes pas dans le domaine communautaire strict, mais cela va au-delà de l'intergouvernemental. Par exemple, il y a des envoyés spéciaux ainsi que des politiques spécifiques de l'Union européenne dans certaines régions, qui ne sont plus pilotées par les capitales mais par le Secrétariat du Conseil. Cette situation implique à mon avis, que, du point de vue du contrôle parlementaire, nous ne tombions pas d'un extrême à l'autre. Le Parlement européen ne doit pas avoir un droit de regard sur tout, mais ce contrôle ne peut relever des seuls parlements nationaux. Je suis optimiste sur notre capacité à trouver une bonne articulation entre le Parlement européen et les parlements nationaux. Quoi qu'il en soit, il convient d'éviter les débats qui polarisent trop les points de vue.
Troisièmement, au-delà de l'opinion que chacun peut avoir sur l'utilité d'une politique étrangère européenne et le caractère réaliste d'une politique plus intégrée, le traité de Lisbonne est en vigueur. Le service européen pour l'action extérieure existera donc. Personnellement, je m'en réjouis, car je pense que c'est un outil de cohésion, d'efficacité, de visibilité, de crédibilité, autant de choses qui nous manquaient jusqu'à présent, dans la conduite de ces politiques qui existent, qu'on le veuille ou non.
Enfin, je crois qu'il faut remettre les choses en perspective. Le traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1er décembre et la nouvelle Commission a été investie le 1er février. Cela fait quatre mois que nous négocions sur la mise en oeuvre du service européen pour l'action extérieure, qui est un outil majeur. Ce n'est pas un échec, vu l'ambition et l'ampleur du projet. Tout cela demande du temps. Nous venons de très loin en la matière ; donc il faut être patients et ne pas tirer de conclusions hâtives.
Enfin, par rapport à ce que vous disiez de nos collègues Brok et Verhofstadt, je pense effectivement que, là encore, il ne faut pas dramatiser les positions. Nous sommes dans une phase de négociations. Il est de bonne guerre que chacun défende ses intérêts pour obtenir ce qu'il veut. C'est un jeu de négociation qui implique des postures catégorielles et corporatistes. Nous devons échapper à une polarisation excessive des points de vue, qui braque inutilement les différents acteurs. Je reste optimiste sur la capacité de tous à s'entendre sur une solution acceptable, qui ne portera pas atteinte à la crédibilité et à l'efficacité du service européen pour l'action extérieure.
M. Jean-Marie Cavada. - Très brièvement, je voudrais introduire une touche d'humour dans ce débat qui est lourd de sous-entendus. Je voudrais dire deux choses. La première est que l'observation de M. Kissinger, que l'on cite trop souvent, me paraît assez malvenue, lorsque l'on connaît le personnage et son autorité personnelle, qui a pu créer des confusions au niveau de son administration. Je pense donc qu'il est temps de classer cette citation dans la catégorie des expressions désuètes, notamment du côté des Anglo-saxons.
Deuxièmement, j'ai beaucoup apprécié que M. de Rohan souligne la question de l'expression francophone. Je vous confirme que l'usage de la langue française recule dans l'ensemble européen. A cet égard, je regrette que le groupe du Parti populaire européen, pourtant présidé par un Français, dérive vers l'anglomanie. En effet, la plupart des documents qui nous sont remis, notamment les documents de séance plénière, nous sont distribués en anglais. Cela n'est pas acceptable et il faudrait en faire remarque à qui de droit.
M. Pierre Lequiller. - A l'issue de cette réunion, je souhaiterais une nouvelle fois vous dire à quel point je me félicite de la mise en place de ces réunions conjointes qui nous permettent de confronter nos visions de parlementaires européens et de parlementaires nationaux. Je crois que nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres et je tiens à vous assurer que les parlementaires nationaux sont particulièrement désireux d'intervenir en amont du processus de décision européen et de pouvoir faire connaître rapidement leur opinion sur les textes européens qui nous sont soumis.
Je suggère que nous n'inscrivions à l'ordre du jour de notre prochaine réunion qu'un seul sujet, celui de la réforme de la politique agricole commune, de manière à permettre à chacun de s'exprimer librement sur ce thème qui revêt une importance particulière pour notre pays.
* 1Cette réunion est en commun avec la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale.