Mercredi 19 mai 2010
- Présidence de M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, et de Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales -Contrôle budgétaire de la réforme de l'administration des anciens combattants - Communication
Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission des finances, conjointement avec la commission des affaires sociales, entend une communication de M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur pour la commission des finances, et Mme Janine Rozier, rapporteur pour la commission des affaires sociales, sur la réforme de l'administration des anciens combattants.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - La communication sur la réforme de l'administration des anciens combattants, que vont vous présenter Janine Rozier et Jean-Marc Todeschini, est une coproduction de nos deux commissions et je salue tout particulièrement la présence en force de la commission des affaires sociales dans notre salle.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. - Je me réjouis du travail commun réalisé entre nos deux commissions et je laisse la parole aux rapporteurs.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur pour la commission des finances. - Les rapporteurs successifs de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation » se sont inquiétés à plusieurs reprises de l'ajustement de ses moyens à la diminution inéluctable du nombre d'ayants droit à réparation. Un premier contrôle a été mené, fin 2007, par la commission des finances sur les directions interdépartementales des anciens combattants (DIAC).
Dans le même temps, le premier Conseil de modernisation des politiques publiques décidait, le 12 décembre 2007, de mettre en oeuvre « la rationalisation de l'administration au service des anciens combattants ». La réforme, intervenant dans le cadre de la RGPP, a pour conséquence principale la suppression progressive de la direction des statuts, des pensions et de la réinsertion sociale (DSPRS), d'ici à la fin de 2011. Elle vise principalement à simplifier et moderniser l'organisation de l'administration au service des anciens combattants avec la création d'un point unique d'accueil et de renseignements de proximité, le service départemental de l'Office national des anciens combattants (ONAC).
Le contrôle de 2008 a donc accompagné le début de la réforme. À mi-parcours de sa mise en oeuvre et compte tenu des inquiétudes soulevées par cette décision dans la population combattante comme chez les personnels, il nous a semblé important de nous assurer que les choix retenus permettront bien de garantir la réparation équitable et l'accompagnement de qualité dus à nos anciens combattants et d'assurer le reclassement des personnels concernés par cette mutation.
La DSPRS dispose de services déconcentrés : les dix-huit DIAC, le service des ressortissants résidant à l'étranger de Château-Chinon et les services de Casablanca, de Tunis et d'Alger. Elle exerce également la tutelle sur les deux établissements publics opérateurs du programme : l'ONAC et l'Institution nationale des Invalides (INI). L'Observatoire de la santé des vétérans lui est également rattaché.
Pour mettre en oeuvre cette réforme, deux instances ont été créées : un comité de pilotage, présidé par le directeur de cabinet du Secrétaire d'Etat, et une commission de suivi, présidée par la directrice de la DSPRS. Une direction de projet a été constituée pour coordonner le travail de près de cent personnes réparties en quinze groupes de travail.
Dix missions ont été identifiées parmi celles exercées par la DSPRS, dont une part a été transférée vers l'ONAC qui assure une fonction de guichet unique à l'échelon départemental. Les autres sont reprises soit par d'autres services du ministère de la défense, soit par les établissements publics qui étaient opérateurs rattachés de la direction supprimée.
Les principaux transferts d'effectifs et de crédits ont été actés et un calendrier de fermeture des sites a été défini : il prévoit la fermeture des directions interdépartementales de la DSPRS de manière échelonnée en 2010, et celle des directions interrégionales, du service des ressortissants à l'étranger implanté à Château-Chinon et de l'administration centrale de la DSPRS, à Paris et à Caen, tout au long de l'année 2011
Les organismes « repreneurs des missions » s'organisent progressivement, avec l'aide de la DSPRS, au rythme des fermetures programmées des dix-huit services déconcentrés. Les premiers transferts ont eu lieu dès le 1er janvier 2010.
Nous avons choisi de nous déplacer à Montpellier, le 1er avril, sur un site en cours de fermeture puisqu'elle intervenait le 1er mai. La directrice de l'ONAC s'est montrée confiante dans la capacité du service à remplir sa mission nouvelle de guichet de proximité.
Les responsables de la DIAC, le médiateur mobilité régional de la défense et le secrétaire général de la préfecture de l'Hérault ont évoqué les difficultés de reclassement, liées aux restructurations locales de la défense conjuguées à la situation régionale de l'emploi. Elles ont été confirmées par les représentants du personnel de la DIAC. Selon le dernier recensement transmis par la DSPRS, au 30 avril, veille de la fermeture de la DIAC, sur les cinquante-deux présents au début de l'opération il en restait seize à reclasser.
En ce qui concerne l'ensemble du personnel, sur les 1 352 équivalents temps plein (ETP) affectés par la réforme, 624 auront été supprimés, 210 transférés en interne et 518 transférés aux opérateurs au cours de la période 2008-2012. Ainsi, le montant des transferts s'établit à environ 23 millions d'euros pour les dépenses de personnel à comparer avec les 55,2 millions attribués au même poste selon la loi de règlement des comptes pour 2008.
Il convient également de prendre en compte la réduction des personnels de l'ONAC à hauteur de cent cinquante personnes, dont trente pour le siège, permise par le non remplacement de départs à la retraite. Cette réduction intervient malgré les nouvelles missions qui lui sont confiées. Les économies pour les dépenses de fonctionnement sont plus difficiles à estimer, notamment en raison des transferts. Ainsi, l'ensemble des crédits transférés à l'ONAC s'établit à 13,8 millions d'euros en 2010 et 3 millions en 2011.
Je conclurai, d'une part, en approuvant le schéma retenu, qui prévoit le maintien d'un service de proximité pour la population combattante, tout en confortant le rôle de l'ONAC, d'autre part, en vous exposant mes sujets d'inquiétude, même si nous avons pu constater que cette réforme donne, dans son ensemble, satisfaction à la majorité des associations.
Tout d'abord, je souhaite que cette réforme ne laisse pas des personnels qui s'étaient, depuis des années, investis au service du monde combattant sur le bord du chemin. Je reste donc inquiet quant à la réussite complète du processus de reclassement, même si les autorités qui en ont la charge m'ont paru préoccupées d'aboutir à un minimum de frustrations.
Ensuite, je relève deux points d'achoppement dans cette entreprise : l'inégalité de traitement entre ouvriers de l'État et fonctionnaires en matière d'indemnité de départ volontaire (IDV) et l'existence de sites où les possibilités de reclassement sont amoindries par des restructurations locales d'autres administrations, notamment de la défense, déjà en cours. Je formule le souhait que ces difficultés n'entraînent pas l'application de mesures trop coercitives pour le personnel.
La dernière inquiétude que j'évoquerai porte sur l'avenir de la mission appareillage : sur sa pérennité d'une part, sur le maintien du service de proximité dû à la population handicapée à laquelle elle s'adresse, d'autre part.
Mme Janine Rozier, rapporteur pour la commission des affaires sociales. - Après que Jean-Marc Todeschini vous a rappelé l'historique de la réforme et présenté l'état d'avancement de sa mise en oeuvre, je souhaite revenir sur deux points essentiels : les conditions de reclassement des personnels d'une part, le maintien de la qualité de service pour les usagers, d'autre part.
Grâce au savoir-faire dont le ministère de la défense dispose en matière d'accompagnement des restructurations militaires, le reclassement des personnels concernés par les premières fermetures de directions interdépartementales s'est, jusqu'à présent, déroulé dans des conditions satisfaisantes. Le nouveau dispositif en vigueur depuis 2009 combine en effet incitations financières à la mobilité et au départ et accompagnement personnalisé, au plus près des personnels.
Il est appréciable que tous les personnels, qu'ils relèvent des catégories A, B ou C, profitent du même niveau d'aides à la mobilité, qui varient uniquement en fonction de la situation familiale et de la distance - en particulier selon qu'elle implique ou non un changement de domicile. On regrettera, en revanche, la différence de traitement manifeste entre fonctionnaires et ouvriers de l'État en matière d'IVD : en plus d'un montant d'indemnité plus élevé, les ouvriers de l'État sont les seuls à bénéficier d'une exonération d'impôt sur le revenu et d'un droit à l'indemnisation chômage et peuvent y accéder jusqu'à deux ans avant l'âge d'ouverture du droit à pension, contre cinq ans pour les fonctionnaires. Cette situation crée un fort ressentiment parmi les fonctionnaires et réduit considérablement l'attractivité, pour ces derniers, de cette disposition.
Au-delà des aides matérielles, le dispositif d'accompagnement des restructurations se décline, au niveau local, entre les antennes mobilité reclassement (AMR), chargées du suivi des personnels tout au long du processus, et les commissions locales de restructuration (CLR), instances de concertation avec les organisations syndicales. Il est complété par l'action des sept médiateurs mobilité qui sont chargés de traiter des cas les plus difficiles et d'assurer l'interface avec les administrations d'accueil. Cet accompagnement personnalisé des agents les a protégés, jusqu'à présent, contre les syndromes d'isolement ou d'abandon et certains drames sociaux vécus lors d'autres restructurations.
Au 30 avril 2010, les services de la DSPRS estimaient qu'une solution avait été trouvée ou était en passe de l'être pour 469 agents, soit près de 58 % des 814 effectifs présents au 1er janvier 2009 : 42 agents avaient pris leur retraite, 16 avaient choisi l'IDV, 192 étaient déjà détachés ou mis à disposition et 97 dossiers de reclassement étaient en cours de traitement, tandis que 117 personnes devront avoir pris leur retraite d'ici à 2012 ; les personnels des directions fermées au 1er mars ont été reclassés sans difficulté majeure de même que ceux des directions de Clermont et Rouen, fermées au 1er mai, et les prévisions sur les fermetures à venir sont plutôt optimistes.
A contrario, les conditions de fermeture des sites de Montpellier et, pour l'avenir, de Limoges ou de Château-Chinon sont plus préoccupantes, car marquées par la conjonction de restructurations civiles et militaires qui limitent considérablement les solutions locales de reclassement.
Autre difficulté : le profil des agents de la DSPRS, dont la moyenne d'âge est plus élevée que dans le reste du ministère - cinquante-deux ans contre quarante cinq ans et dix mois - et qui relèvent majoritairement de la catégorie C, supposés moins mobiles, entraînerait de fortes réticences à la mobilité. Cette dernière idée reçue est cependant mise à mal sur le terrain puisque les solutions de reclassement sont parfois plus difficiles à trouver pour les « catégorie B », aux tâches de secrétariat peu différenciées, que pour les « catégorie C », à la technicité recherchée.
En dernier recours, des procédures plus contraignantes peuvent être mises en oeuvre comme le reclassement d'office après trois refus d'affectation, voire, en cas de refus de ce dernier poste, la mise en disponibilité d'office sans traitement.
Le second objectif poursuivi par la réforme a consisté à préserver le droit à réparation dû à nos anciens combattants en confortant l'ONAC dans son ancrage de proximité : au-delà des missions nouvelles qui leur sont confiées, les services départementaux de l'office sont désormais l'interlocuteur privilégié du monde combattant et doivent à ce titre accueillir, informer et orienter les ressortissants dans le nouveau système. À cet égard, on regrettera seulement que les formations à l'accueil et aux nouvelles procédures des personnels de l'ONAC n'aient pas été organisées plus en amont des premières fermetures. L'interconnexion avec les outils de gestion des services repreneurs doit aussi progresser pour assurer le suivi des dossiers.
Grâce à l'appui de pôles de soutien mutualisant les tâches strictement administratives, les services départementaux seront recentrés sur leurs missions de proximité et les temps de traitement réduits.
Au vu, notamment, des premiers retours de terrain, la qualité du service rendu par les nouveaux services repreneurs apparaît aussi préservée. Cette réussite, qu'il faudra toutefois valider sur plus long terme, s'explique d'abord par le caractère progressif de la réforme mais surtout par la logique de métier qui a procédé au choix des services : ainsi, la Caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS), choisie pour la gestion des soins médicaux gratuits, avait déjà pour mission de rembourser des prestations maladie et maternité et le service des pensions de La Rochelle traitait déjà des pensions d'invalidité des militaires. Certains repreneurs ont dû gérer des difficultés transitoires, par exemple pour résoudre les différences de régimes indemnitaires avec les personnels reclassés - c'est le cas de l'INI pour le rattachement du Centre d'études et de recherche sur l'appareillage des handicapés (CERAH) - ou pour recruter des personnels supplémentaires : les soixante-quinze postes ouverts aux agents de la DSPRS pour gérer les soins médicaux gratuits n'ayant pas été pourvus, la CNMSS a été contrainte d'ouvrir un concours pour quarante postes, avec toutes les charges d'organisation correspondantes. Elle a cependant accueilli très favorablement cette nouvelle activité, dans un contexte marqué par la remise en cause régulière des régimes spéciaux. De la même façon, l'INI voit, avec la reprise du CERAH, sa capacité d'expertise en matière d'appareillage renforcée.
Malgré la satisfaction générale exprimée par la très grande majorité de nos interlocuteurs, plusieurs points particuliers, liés à la réforme elle-même ou aux chantiers de modernisation en cours à l'ONAC, soulèvent encore l'inquiétude des ressortissants et de leurs représentants : outre la crainte que les services de l'office ne disposent pas de moyens humains et matériels suffisants, ceux-ci souhaitent recevoir l'assurance que les dossiers de PMI seront traités avec la même bienveillance que par le passé. Dans les deux cas, rien ne permettait, à la date de notre contrôle, de douter de la qualité du service rendu.
Autre sujet de vive préoccupation : le devenir du réseau de l'appareillage. En reprenant les consultations et prescriptions d'appareillage, le Service de santé des armées (SSA) a mis en place un maillage territorial souple, combinant sites primaires et sites secondaires et préservant la possibilité de consultations à domicile. Or, si la solution retenue a le mérite d'assurer la proximité, plusieurs éléments attestent de son caractère non pérenne : chute d'activité prévisible dans les cinq prochaines années, refus de la CNAM de conventionner, pour ses assurés, avec le nouvel opérateur, prochains départs à la retraite de nombreux médecins et techniciens et mise à disposition par le SSA de praticiens à temps complet auprès d'établissements où ils n'exerceront pourtant qu'une part très minoritaire de leur activité au profit des anciens combattants. Cette problématique se posait déjà, il est vrai, à la DSPRS avant la réforme.
La suppression des « délégués mémoire » et la mise en place de « pôles mémoire » régionalisés, qui fait craindre à certains une baisse de l'activité mémoire de l'office, devraient permettre aux directeurs, par ailleurs déchargés de tâches administratives, d'exercer pleinement leur rôle de chef de file en la matière, avec l'appui des « coordonnateurs mémoire ».
Enfin, et bien que les projets de textes correspondants aient été adoptés à une très large majorité au conseil d'administration de l'ONAC, la création de la fondation « Mémoire et solidarité pour le monde combattant », qui doit reprendre la gestion des établissements médico-sociaux de l'office - écoles de reconversion professionnelle et maisons de retraite - suscite encore, chez une minorité de représentants, la crainte d'une privatisation des établissements ou d'une perte de substance de l'ONAC. De mon point de vue, cette solution a l'avantage de répondre aux difficultés actuelles de gestion des établissements et de leur permettre de faire face aux défis nouveaux du vieillissement, de la dépendance et des handicaps sociaux tout en maintenant un lien fort avec le monde combattant, comme en atteste le fait que les associations resteront majoritaires dans le conseil d'administration de la fondation.
Au terme de cette mission de contrôle budgétaire, il nous est apparu que, dès lors que le reclassement des personnels s'opérait dans des conditions satisfaisantes, chacun avait à gagner dans la réforme :
- le contribuable, d'abord, car la rationalisation administrative doit produire, à terme, des gains financiers et de productivité importants ;
- les ressortissants, ensuite, qui bénéficieront, tout à la fois, du maintien d'un maillage territorial de proximité et de la garantie d'un haut niveau de prestations ;
- les opérateurs, enfin : l'ONAC est consacré dans son rôle de pivot du système quand les autres établissements voient leur capacité d'expertise renforcée.
Ce rapport détaille les interrogations, et parfois les craintes, exprimées par le monde combattant à mesure de l'avancement de la réforme. Nous avons reçu les responsables des principales associations qui ont tous témoigné de leur satisfaction d'avoir un secrétariat d'État bien à eux, en charge de leurs problèmes et à l'écoute de leurs aspirations.
Le monde combattant reste, en tous les cas, très vigilant sur le droit à réparation et attaché au fait que l'ONAC demeure et soit conforté. À part un seul interlocuteur, tous les représentants que nous avons rencontrés étaient sereins et confiants.
M. Gilbert Barbier. - Une question se pose à propos des commissions d'appareillage : ce système paraît aujourd'hui anachronique dans la mesure où il est géré par le service de santé des armées alors que la majorité des appareillés sont désormais des civils. N'y a-t-il pas là une réforme plus profonde à engager quand on connaît la difficulté de personnes handicapées à recourir à un appareillage ? Nous ne mettons pas en cause l'organisation actuelle mais il apparaît un peu surprenant que des commissions qui dépendent du ministère de la défense examinent l'ensemble des dossiers d'appareillage.
M. Guy Fischer. - Ce rapport présente des informations très précises et de nombreux chiffres. Ce contrôle confronte, pour la première fois, une décision prise dans le cadre de la RGPP et son application. Parmi les 1 352 équivalents temps plein dont vous nous avez dit qu'ils étaient affectés par la réforme, combien sont réellement supprimés ? Vous nous avez également indiqué que 210 sont transférés en interne et 518 aux opérateurs sur la période 2008-2012. Je souhaiterais avoir des précisions sur ces chiffres.
Quel est l'impact réel sur le budget ? Le secrétariat d'Etat aux anciens combattants semble a priori sauvé mais qu'en est-il des services départementaux de l'ONAC ? Il n'y a bien souvent que deux ou trois personnes pour assumer le travail et j'en profite pour saluer leur dévouement. Les craintes existent aussi tant sur la pérennité du droit à réparation que sur les conséquences de la suppression des délégués mémoire, à l'heure où nous devons pourtant faire vivre la mémoire.
La reprise de la gestion des établissements médico-sociaux de l'ONAC par la fondation « mémoire et solidarité pour le monde combattant » s'apparente à une privatisation. Quoi qu'il en soit, tous ces renseignements précieux nous serviront sans aucun doute pour préparer les débats budgétaires de l'automne.
Mme Gisèle Printz. - Ma question est simple : est-ce que cette réforme marque le début de la disparition du secrétariat d'Etat aux Anciens combattants ?
M. Claude Jeannerot. - A juste raison, les anciens combattants sont attachés à ce que l'ONAC soit préservé dans son rôle de pivot et que ses activités soient garanties. A-t-on cependant prévu, tout en préservant la spécificité des anciens combattants, la mise en oeuvre de synergies, notamment avec les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ?
M. Marc Laménie. - Je regrette la fermeture de nombreux sites au moment où l'on cherche à promouvoir le devoir de mémoire et où l'on salue le travail des bénévoles ; ceci ne va pas forcément dans le bons sens. Nous sommes conscients de la nécessité de la réforme mais dès lors où l'on touche aux moyens humains, c'est du service de proximité qui disparaît. Dans votre rapport, vous citez le contribuable comme gagnant de la réforme alors que le budget des anciens combattants, qui est déjà en baisse, ne figure pas parmi les plus grandes masses de la loi de finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Il faut saluer le travail remarquable de nos deux rapporteurs et la qualité de leurs communications. Si le budget d'une mission diminue, nous devons nous en réjouir, car c'est le signe que la dépense publique peut refluer. Il a été souligné qu'avec des moyens maîtrisés le service est bien rendu et que l'on a pu assurer le reclassement des personnels sans drames humains. La RGPP est conduite, dans ce cas, avec un grand respect des personnes même si, comme l'ont souligné les rapporteurs, nous devons conjuguer le devoir de mémoire avec un nécessaire et constant devoir de vigilance.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur pour la commission des finances. -Pour avoir été quatre ans chef de cabinet de Jean-Pierre Masseret, alors secrétaire d'Etat aux anciens combattants, j'ai connu l'adossement du secrétariat d'Etat aux anciens combattants au ministère de la défense ; dans ce cadre, la RGPP apparaît beaucoup plus simple que dans d'autres ministères. Je veux rappeler que la hantise principale de l'époque était de voir le secrétariat d'Etat rattaché au ministère des affaires sociales. En ce qui concerne la baisse des crédits, je vous assure que nous avons pu supprimer de nombreux postes budgétés tout simplement parce qu'ils n'étaient pas occupés dans les faits.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Il existe un côté surréaliste à débattre parfois d'emplois théoriques alors que l'on ne parvient pas à connaître précisément le nombre d'emplois réels dans les ministères.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur pour la commission des finances. - Il faut rappeler que sans l'adossement au ministère de la défense, la spécificité de l'administration des anciens combattants, qui aurait alors relevé du droit commun, était perdue et c'est la raison pour laquelle le monde combattant l'a soutenu. Nous vivons aujourd'hui la suite de cette réforme et cette administration semble confortée.
Nous avons été surpris par le fait que le personnel des services départementaux de l'ONAC semblait très serein. Il se perçoit notamment comme devant assumer ce rôle de guichet unique, de « boite aux lettres », sans forcément de grands renforts. Il faut également dire que les principales associations d'anciens combattants consultées se sont montrées, devant nous, satisfaites.
Sur la question de la suppression du secrétariat d'Etat aux anciens combattants et de la création de la fondation, il sera temps d'en débattre lorsque le Parlement en sera saisi. Au final, cette réforme, en dehors de difficultés de reclassement, ne devrait pas poser de graves problèmes.
Sur la question de l'appareillage, l'évolution se serait produite même sans la réforme, par le fait de simples considérations démographiques et notamment en raison du départ à la retraite des médecins spécialisés. La possibilité de synergies avec les MDPH doit être examinée avec la plus grande prudence, car il s'agit d'un point très sensible pour les anciens combattants qui ne veulent absolument pas être considérés comme des accidentés civils. Même si certains médecins conventionnent localement avec des structures locales, dont des MDPH, il ne devrait pas y avoir de problèmes majeurs. Peut-être devrons-nous à l'avenir auditionner le président de la fédération nationale des plus grands invalides de guerre ?
Pour répondre directement sur les suppressions d'emplois, celles-ci sont au nombre de 624 suppressions nettes. En ce qui concerne les transferts internes d'emplois, ils sont opérés au sein même du ministère de la défense. Quant aux 518 transferts vers les opérateurs, il s'agit pour l'essentiel de mouvements vers l'ONAC ou le CERAH.
Mme Janine Rozier, rapporteur pour la commission des affaires sociales. - Je suis en total accord avec les propos de Jean-Marc Todeschini et souhaite souligner que les associations que nous avons reçues se sont montrées confiantes et sereines. Nous resterons cependant très vigilants sur les quelques sujets d'inquiétude qu'elles ont évoqués, s'agissant en particulier de l'appareillage.
Concernant les personnels des services départementaux de l'ONAC, il est vrai que certains ne seront composés que de trois ou quatre agents mais d'autres bénéficieront, si les besoins l'exigent, d'effectifs plus importants. Il faut par ailleurs rappeler que l'ONAC est conforté, budget après budget, dans sa mission d'action sociale, en particulier à l'égard des ressortissants les plus démunis ou des veuves, comme en témoigne la hausse, depuis deux ans, de sa subvention d'action sociale.
M. Jacky Le Menn. - Quand on parle de rapprochement avec les MDPH, il s'agit de la gestion des dossiers et non de l'appareillage. On s'aperçoit qu'avec le reformatage du SSA, on se trouvera, à moyen terme, dans une situation de pénurie pour les disciplines d'appareillage qui voient leurs effectifs diminuer, ce qui posera un problème tant pour les bénéficiaires civils que militaires. Certes, il existe une nécessité de rationaliser l'organisation avec moins d'opérateurs. Il y a certainement quelque chose à faire et nous avons intérêt à rassembler les intervenants civilo-militaires dans une même entité.
Mme Janine Rozier, rapporteur pour la commission des affaires sociales. - Nous avons bien entendu évoqué ce sujet dans le rapport.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Sur cette question, ne serait-il pas du rôle des services départementaux des anciens combattants de faire appel aux meilleures compétences ?
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur pour la commission des finances. - Le problème est qu'il existe une réelle pénurie de techniciens et de médecins dans ces spécialités, car très peu d'étudiants s'engagent dans cette filière. Le ministère des anciens combattants gérait déjà l'appareillage au bénéfice de nombreux civils, sans lesquels ce service, et notamment des centres de recherches importants comme le CERAH, ne pourrait plus exister. Cette question n'a pas été traitée par la réforme.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Il existe en effet de nombreux polytraumatisés qui bénéficient de ces appareillages.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur pour la commission des finances. - Les civils peuvent depuis longtemps utiliser ces structures et leur part a d'ailleurs augmenté régulièrement ; il existe dans le secteur public et privé des médecins d'appareillages. Il va falloir organiser au niveau national un système pouvant répondre à tous les mutilés de la vie et il est clair que le ministère de la défense ne pourra pas payer indéfiniment des médecins mis à disposition dans les hôpitaux qui ne consacrent que 10 % de leur temps aux anciens combattants.
M. René Teulade. - Nous devons rester très vigilants sur l'information des usagers, notamment sur l'appareillage. Sur toutes ces réformes, les élus locaux sont souvent questionnés et pas toujours bien informés.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Afin de permettre la meilleure information possible dans l'ensemble de nos départements et de nos communes, je vous propose d'adopter ce rapport et d'en autoriser la publication. Je tiens également à dire que je me réjouis de ces missions conjointes avec d'autres commissions et j'espère que nous continuerons. Je constate l'unanimité sur l'adoption de ce rapport, qui sera donc publié.
A l'unanimité, les commissions des finances et des affaires sociales donnent acte à M. Jean-Marc Todeschini et à Mme Janine Rozier de leur communication et en autorisent la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. - Ces travaux conjoints sont, en effet, fort utiles et nous aurons l'occasion, d'ici à la fin de l'année, d'adopter la même démarche sur la question des régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP ainsi que sur celle de l'évaluation des coûts de l'allocation aux adultes handicapés.
- Présidence de M. Jean Arthuis, président -
Organisme extraparlementaire - Désignation d'un membre
M. Jean Arthuis, président. - M. le président du Sénat nous demande de désigner un membre de la commission pour siéger au sein du conseil supérieur des prestations agricoles, en application de l'article D. 721-3 du code rural. Je vous propose de reconduire le titulaire sortant, notre collègue Jean-Jacques Jégou.
M. Jean-Jacques Jégou est désigné comme candidat au poste de sénateur appelé à siéger au sein du conseil supérieur des prestations agricoles.
- Présidence de M. Jean Arthuis, président, et de M. Philippe Adnot, secrétaire -
Situation économique et financière de la Croatie et de l'Italie - Communication
La commission entend ensuite une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur la situation économique et financière de l'Italie et de la Croatie, en présence d'une délégation de la commission des finances et du budget du parlement croate, conduite par son président Goran Mariæ.
M. Jean Arthuis, président. - C'est un grand privilège pour nous de pouvoir entendre ces communications en présence de représentants de la commission des finances et du budget du Parlement croate, le Sabor.
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Goran Mariæ, président de la commission, Mme Nevenka Majdeniæ, membre de la commission et également présidente de la commission des élections, des nominations et de l'administration, M. Zlatko Koraèeviæ, membre de la commission et également président de la commission du développement régional, de la forêt et de la gestion de l'eau, Mme Nada Èavloviæ Smiljanec, membre de la commission, et M. Dino Buleiæ, responsable du secrétariat de la commission.
Cette visite de nos collègues croates, qui fait suite à une invitation lancée en janvier par le rapporteur général, lorsqu'il a été reçu au Sabor, est particulièrement précieuse car nous sommes désireux de mieux connaître la Croatie, qui devrait devenir en 2012 le 28ème membre de l'Union européenne. En outre, en cette période de crise, les contacts bilatéraux sont indispensables pour échanger des analyses et élaborer des solutions.
Hier, nos collègues croates ont eu des échanges techniques avec le secrétariat de la commission, portant notamment sur les pouvoirs budgétaires du Sénat et de la commission des finances, sur le rôle de notre commission dans l'examen des textes non budgétaires et sur nos relations avec la Cour des comptes.
M. Philippe Marini, rapporteur général (procédant à l'aide d'une vidéo-projection). - Je me déplace autant que possible dans des capitales européennes car une monnaie commune sans gouvernement économique rend nécessaire la multiplication des contacts bilatéraux. S'agissant de l'Italie, où je me suis rendu du 2 au 4 mai 2010, il est intéressant d'observer une situation différente de celle de la France, caractérisée par un endettement public depuis longtemps supérieur à 100% du produit intérieur brut, un déficit budgétaire sous contrôle et, face la crise, l'absence de mise en oeuvre d'un plan de relance. L'Italie s'apparente à une « zone euro miniature », avec un nord prospère et un sud dont le niveau de développement est plus proche de celui de la Grèce.
L'Italie, comme l'Allemagne, a subi en 2009 un recul de son PIB de près de 5 %. En 2010, la reprise serait modérée avec un taux de croissance d'environ 1 %. La baisse de l'activité s'explique essentiellement par la chute de la demande externe. Dans certains secteurs, comme par exemple les biens d'équipement, la production est encore aujourd'hui inférieure de 20 % à 30 % à ce qu'elle était avant la crise. 360 000 emplois auraient disparu entre 2008 et 2009, le taux de chômage s'élevant à 8,7 % en 2010. Il faut noter la qualité de la méthodologie mise en oeuvre par l'Italie pour quantifier l'économie informelle prise en compte pour le calcul du revenu national.
L'une des explications de l'ampleur de la récession est l'absence de relance budgétaire en Italie, qui lui a permis de ne pas perdre totalement le bénéfice des efforts produits avant la crise et de conserver un déficit public sous contrôle. Malgré des prévisions de croissance moins bonnes que celles de la France, la trajectoire de solde de l'Italie est calée sur celle de l'Allemagne, voire un peu meilleure. Cela s'explique autant par la vertu que par la contrainte, compte tenu de son niveau d'endettement public, qui constitue une grande source de fragilité. Son ratio dette/PIB est le plus élevé de l'Union européenne avec celui de la Grèce, et la crise l'a fait remonter à son niveau de la fin des années 1990, au-delà de 115 % du PIB. L'endettement public élevé s'accompagne cependant d'un faible niveau d'endettement privé, qui permet à l'Italie de financer sa dette publique principalement auprès de résidents, plutôt des ménages. Cette « force » avait été soulignée par l'agence Moody's au mois de décembre 2009.
L'Italie n'a pas connu de crise financière, ni de bulle immobilière comparable à celles qui sont apparues dans d'autres Etats européens. La lenteur de la reprise s'explique par la dépendance à l'égard de la demande internationale. Dans la crise, le système financier que l'on dit parfois archaïque, fait de fondations et de petites banques « de proximité », a plutôt constitué un atout en permettant d'accompagner les petites et moyennes entreprises de manière adaptée à chaque province.
Pour autant, l'Italie connaît toujours des difficultés structurelles qu'elle devra surmonter, en particulier son déclin démographique, l'ampleur de son économie informelle, des phénomènes d'évasion fiscale et un taux de prélèvements obligatoires élevé, proche de celui de la France. Il existe dans ce pays une réflexion sur l'amélioration de la compétitivité par la réorientation d'une partie des prélèvements obligatoires vers les impôts indirects.
L'Italie s'est dotée depuis deux ans d'un nouveau cadre institutionnel en matière de finances publiques. Il repose, en premier lieu, sur la loi du 5 mai 2009 relative à la mise en oeuvre du fédéralisme fiscal, qui est issue d'un accord politique entre le Peuple de la liberté du président du Conseil, Silvio Berlusconi, et son allié la Ligue du Nord, et qui reflète la volonté de cette dernière de revoir les relations financières entre les différentes composantes territoriales de l'Italie. Le second pilier est la loi du 31 décembre 2009 « de comptabilité et de finances publiques », inspirée par des principes proches de ceux sur lesquels repose notre loi organique relative aux lois de finances. Pour superviser la mise en oeuvre de ces deux textes, les deux chambres du Parlement ont créé une structure commune.
Ce nouveau cadre institutionnel permet une meilleure articulation entre les calendriers budgétaires européen et national. En 2003, la « loi de finances » est devenue la « loi de stabilité ». Les orientations budgétaires triennales sont transmises au Parlement avant l'été, arrêtées en septembre dans le cadre d'une « décision des finances publiques » adoptée par le Parlement mais n'ayant pas le caractère de loi, et déclinées dans les lois budgétaires. Le programme de stabilité est communiqué au Parlement au moins deux semaines avant sa transmission au Conseil et à la Commission européenne.
L'Italie s'est dotée de deux dispositifs de pilotage global des finances publiques : le pacte de stabilité interne, qui vise à associer l'ensemble des administrations publiques au respect de la trajectoire de finances publiques et prévoit des mécanismes de récompense et de sanction à l'égard des collectivités qui ne respectent pas leurs engagements, et le pacte de convergence, issu de la loi sur le fédéralisme fiscal, qui a vocation à définir, pour les compétences obligatoires financées par l'Etat, des « coûts standards » uniformes pour l'ensemble des régions, les surcoûts éventuels étant mis à la charge des autorités locales.
En matière de procédure budgétaire, l'Italie a renforcé ses règles de « couverture financière » des mesures ayant un impact sur le solde des administrations publiques et des « clauses de sauvegarde » doivent désormais être prévues pour les mesures dont le coût ne peut être défini avec précision à l'avance. Ces mesures s'appliquent automatiquement en cas de dérapage de la dépense. Les services techniques des deux chambres du Parlement ont accès à des données leur permettant d'évaluer la pertinence des chiffrages établis par les services du Gouvernement.
M. Jean Arthuis, président. - L'économie italienne redémarre progressivement malgré l'absence de plan de relance, ce qui a permis de contenir la dégradation du déficit budgétaire en période de crise.
M. Philippe Adnot. - L'impact de l'économie informelle sur le PIB est-il pris en compte dans le calcul des contributions de l'Italie au budget européen ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Tous les Etats prennent en compte des estimations de l'économie informelle dans le calcul de leur revenu national. En France, en 2000, les redressements effectués représentaient 47,3 milliards d'euros, soit 3,3 % du PIB.
M. Philippe Dallier. - Quel est le poids du secteur public en Italie ? Des mesures comparables à celle consistant à ne pas remplacer un départ en retraite sur deux dans le secteur public sont-elles mises en oeuvre ?
M. François Fortassin. - A-t-on une idée du rôle de la mafia dans l'organisation de l'économie informelle ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Ma mission n'a pas été suffisamment longue et approfondie pour me permettre de répondre à cette question.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Le poids du secteur public est comparable à celui de la France, et de mesures de même esprit y sont appliquées.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Il ressort de la communication du rapporteur qu'il y a beaucoup à retenir de l'expérience italienne. Existe-t-il une convergence de vue entre l'Italie et la France sur la façon de gérer la crise de l'euro ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - L'Italie et la France ont rapidement pris les dispositions d'ordre interne pour permettre la mise en oeuvre du dispositif d'aide à la Grèce, la France procédant par collectif budgétaire et l'Italie par décret-loi. Sur le fond, nous ne devons pas hésiter à nous concerter car l'Italie a une approche rigoureuse en matière de gestion des finances publiques, est attachée à la monnaie unique et soutient les efforts de renforcement de la gouvernance économique de la zone euro.
M. Jean Arthuis, président. - La commission remercie le rapporteur général pour sa communication sur la situation économique et financière de l'Italie et va à présent entendre celle consacrée à la situation de la Croatie.
M. Philippe Marini , rapporteur général. - Je me suis rendu à Zagreb du 17 au 19 janvier 2010 afin de mieux connaître le futur 28ème membre de l'Union européenne, d'analyser l'impact de la crise sur les négociations d'adhésion et de me rendre compte de sa capacité à « absorber » les fonds européens.
La Croatie a une superficie supérieure à celle des Pays-Bas et du Danemark et inférieure à celle de la Lettonie ou de l'Irlande. Sa population est environ deux fois plus élevée que celle de la Slovénie et s'élève à 4,4 millions d'habitants, dont près d'un quart à Zagreb. La Croatie partage avec les Etats de l'Europe de l'ouest, de manière peut-être même plus aiguë, la forte exposition de son économie aux risques de délocalisation puisqu'elle est frontalière de pays parlant la même langue et dont le coût du travail est très inférieur à celui de sa main d'oeuvre.
L'adhésion de la Croatie à l'Union européenne devrait intervenir en 2012, mais des chapitres de négociation importants restent à ouvrir, en particulier celui de la politique étrangère, de sécurité et de défense, bloqué en raison du différend territorial avec la Slovénie, ceux de la concurrence ainsi que de la justice et des droits fondamentaux, sachant que les exigences imposées à la Croatie, notamment en matière de lutte contre la corruption, sont renforcées par rapport aux procédures appliquées aux précédents entrants dans l'Union européenne. Il serait utile de connaître le sentiment de nos invités sur les facteurs de blocage du chapitre « Justice et droits fondamentaux », sur la capacité de la Croatie à achever les négociations en 2010 et sur l'état de l'opinion publique, qui était partagée au mois de janvier, au sujet de l'adhésion.
M. Goran Mariæ, président de la commission des finances et du budget du Parlement croate. - Je tiens d'abord à remercier, au nom de l'ensemble de la délégation, les membres de la commission des finances du Sénat français pour la qualité de leur accueil.
La crise n'a en effet pas évité la Croatie, comme le montrent plusieurs indicateurs économiques : le PIB a diminué de 5,8 % en 2009, la production industrielle de 9 % et les exportations de plus de 20 %. Le problème le plus grave reste le chômage, qui touche 21 % de la population active. La Croatie connaît également des retards de paiements importants, comme l'ensemble des pays en transition.
Par ailleurs, la dette extérieure croate est relativement élevée ; elle représente 98 % du PIB et a cru de 4 milliards d'euros entre 2008 et 2009. Le pays est donc dans une situation économique très grave.
Toutefois, certains signes sont encourageants. La Croatie a su conserver la stabilité de son système bancaire, aucun établissement de crédit n'ayant fait faillite. Les prix et la monnaie sont également restés stables, ce qui a contribué à l'efficacité des mesures prises par le Gouvernement pour lutter contre la crise.
Au premier semestre de 2010, le rythme de baisse du PIB a ralenti à 1,5 %. Les recettes fiscales sont supérieures de 2,8 % à celles de la même période en 2009, ce qui permet de conserver un équilibre entre les ressources et les dépenses budgétaires. La production industrielle a augmenté de 0,3 % sur la même période et les exportations de 5 %.
Le gouvernement croate a prévu un nouveau train de mesures visant à une baisse des dépenses publiques, à une réduction à 45 jours des délais de paiement et à une meilleure efficacité des sociétés encore détenues par l'Etat. Certaines participations de l'Etat dans des sociétés privées seront d'ailleurs cédées, ce qui devrait générer un produit supérieur à un milliard d'euros.
En 2009, le produit national brut de la Croatie a été égal à celui de l'année 2006 mais nous avons bon espoir qu'il ne diminue pas en 2010. Le déséquilibre entre les importations et les exportations reste modéré et les perspectives en matière de développement touristique sont positives.
Les indicateurs seraient toutefois meilleurs si les taux d'intérêt étaient moins élevés.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - La Croatie est désormais une démocratie apaisée, avec un gouvernement de centre-droit qui « cohabite » avec un président de centre gauche. Son entrée dans l'Union constituerait à la fois un espoir pour les pays balkaniques, un facteur de normalisation des relations entre Etats issus de l'ancienne Yougoslavie et permettrait d'étendre la sphère d'influence de l'Union européenne. J'ai eu le sentiment que l'action de la France y était appréciée. Les contacts se multiplient, comme en témoigne la visite du président Gérard Larcher en octobre 2009, mais les relations commerciales restent limitées, la France n'étant que le dixième client et le septième fournisseur de la Croatie.
La perspective d'adhésion accélère les réformes structurelles dans ce pays en pleine convergence. Le PIB par habitant représente désormais environ 60 % de la moyenne européenne. Il a progressé fortement ces dernières années et dépasse celui de la Bulgarie, de la Roumanie, de la Lettonie, de la Pologne ou encore de la Turquie. L'euro est déjà largement la devise de l'économie croate. La parité entre la monnaie nationale, la kuna, et l'euro est stable malgré la crise. Plus de 90 % des banques appartiennent à des groupes étrangers et la majorité des crédits et des dépôts sont libellés en euro. En revanche, on ne connaît pas encore les incidences de la crise grecque sur la possible adoption de la monnaie européenne par la Croatie et sur l'évolution des critères d'entrée dans la zone euro. De nombreuses faiblesses structurelles restent à surmonter et la question qui se pose est celle du consensus politique sur les réformes à conduire.
On peut considérer que la crise, qui s'est traduite par une récession de 5,8 %, a été habilement gérée par la Banque centrale et le Gouvernement, qui a mis en oeuvre un plan de relance limité et centré sur le développement de l'offre.
L'adhésion de la Croatie représente un défi à relever pour l'Union européenne. Des interrogations subsistent sur la capacité, d'une part, à mettre en oeuvre une politique efficace de lutte contre la corruption et de consolidation de l'Etat de droit et, d'autre part, à « absorber » les fonds structurels. L'expérience de la Grèce plaide pour un renforcement des contrôles et de l'évaluation de leur utilisation. Cependant, un échec de la candidature croate enverrait un signal très négatif en direction des Etats de la région et par conséquent la France doit poursuivre son soutien aux efforts de la Croatie.
M. Goran Mariæ. - Il est clair que la Croatie est capable de réaliser tous les efforts nécessaires pour répondre aux critères d'adhésion à l'Union européenne. Les négociations peuvent s'achever en 2010 et l'adhésion avoir lieu au 1er janvier 2012. Dans les derniers sondages, seule la moitié de la population croate semblait favorable à l'adhésion. Toutefois, nombreux sont ceux qui ne se déclarent pas favorables mais qui, en réalité, hésitent et n'ont pas encore forgé leur opinion. L'adhésion à l'Union européenne est la seule voie possible.
Des facteurs de scepticisme à l'égard de l'Union persistent. Ainsi, de nombreux croates estiment que les conditions d'adhésion imposées à leur pays sont plus strictes que celles qui ont été fixées pour la Slovénie, par exemple.
La crise économique mondiale et la crise grecque en particulier ont également eu des incidences négatives sur l'opinion publique. Un certain manque de sérieux de la Grèce a pu être perçu, la situation n'étant pas parfaite dans l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne.
M. Philippe Adnot. - Ces crises ont-elles renforcé la volonté des pouvoirs publics de maîtriser les finances publiques ?
M. Goran Mariæ. - Absolument. Même si une partie importante du budget de l'Etat est consacrée au financement des réparations des destructions liées à la guerre. Des efforts majeurs sont aussi conduits dans la lutte contre la corruption, comme l'indique le nombre élevé d'anciens gérants de sociétés actuellement en détention provisoire.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Je souhaite remercier la délégation de sa venue en France et lui poser deux questions. L'adhésion à l'Union européenne fera-t-elle l'objet d'un referendum ou d'un vote du Parlement ? La Croatie va-t-elle demander simultanément son entrée dans la zone euro ?
M. Goran Mariæ. - L'adhésion se fera par un vote du Parlement, en raison du large consensus politique qui règne sur ce sujet. Elle ne nécessite par un référendum. Concernant l'adoption de l'euro, les avis sont partagés. Certains pensent qu'il faudrait conserver, pendant un temps, la kuna. A titre personnel, je suis favorable à une adhésion la plus rapide possible à la zone euro, à laquelle la Croatie est structurellement prête.
Heureusement, la zone euro a su réagir à la crise grecque mais si cette crise devait se prolonger, elle aurait nécessairement un impact sur notre pays.
A l'issue de cet échange, la commission donne acte de sa communication à M. Philippe Marini, rapporteur général.
- Présidence de M. Jean Arthuis, président -
Table ronde sur la fiscalité en faveur de l'investissement immobilier
Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à une table ronde sur la fiscalité en faveur de l'investissement immobilier, à laquelle participent M. Bruno Corinti, président de Nexity logement, Mme Claudy Giroz, présidente de l'association de défense des investisseurs et mandataires (ADIM), M. Jean-François Gobertier, président directeur général de GDP Vendôme, Mme Marie-Christine Lepetit, directrice de la législation fiscale (DLF), M. Mustapha Nadi, secrétaire et Mme Mireille Pierret, présidente de la fédération des associations de résidences de services (FEDARS), M. Marc Pigeon, président de la fédération nationale des promoteurs constructeurs et M. Benoist Apparu, secrétaire d'Etat chargé du logement et de l'urbanisme.
M. Jean Arthuis, président. - Nous ouvrons aujourd'hui une table ronde sur la fiscalité en faveur de l'investissement immobilier. Il s'agit là de répondre à un souhait exprimé par le bureau de la commission des finances, qui s'inscrit dans le débat actuel sur les niches fiscales.
Le domaine de l'investissement immobilier est sans doute l'un de ceux où les dispositifs de défiscalisation sont les plus nombreux et les plus coûteux pour les finances de l'Etat et des collectivités territoriales. Selon les informations fournies par le fascicule des « voies et moyens » annexé au dernier projet de loi de finances, il existe ainsi plus de quarante incitations fiscales pour un montant total estimé supérieur à 11 milliards d'euros en 2010, dont presque la moitié est constitué du seul coût de l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajourée (TVA) à la rénovation des bâtiments.
Au-delà de l'ampleur des montants en jeu, c'est aussi l'extrême diversité des dispositifs qui caractérise ces niches fiscales. C'est pourquoi nous avons été contraints de limiter les sujets qui seront traités dans le cadre de notre table ronde. Nous avons restreint son champ aux aides fiscales incitatives à l'investissement immobilier en direction des particuliers, et spécialement à celles qui concernent les investissements dans des résidences de services, et aux aides à l'investissement locatif « nu » comprenant notamment la réduction d'impôt dite « Scellier ».
Nous organiserons cette table ronde en deux temps correspondant aux thèmes que nous avons retenus. Je vous propose d'abord de nous consacrer à la question très sensible des résidences de services.
Je souhaite que nos intervenants puissent dresser un panorama de la situation dans ce secteur, qui concerne le tourisme comme les résidences pour personnes âgées ou handicapées et qui bénéficie d'aides fiscales très puissantes. Ce faisant, j'espère qu'ils répondront à deux interrogations : la première concerne la protection des investisseurs. Plusieurs opérations ont été mises en péril du fait de la défaillance des gestionnaires de résidences. Ces évènements mettent en cause les conditions dans lesquelles interviennent les promoteurs et les agences de défiscalisation lorsqu'ils vendent ce type de produit aux investisseurs privés et les liens établis entre les promoteurs et les gestionnaires.
La seconde interrogation concerne le ciblage de l'aide fiscale et l'économie générale de ce type d'investissement. Nous sommes bien conscients de la nécessité de développer l'offre de places d'accueil pour personnes âgées et de l'utilité de favoriser l'économie touristique dans le monde rural. Mais a-t-on suffisamment pris en considération la forte rentabilité économique intrinsèque de ces secteurs avant de fixer les curseurs de l'aide fiscale ? On peut parfois en douter au vu des taux de croissance de certains groupes spécialisés dans le secteur des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes.
Dans un second temps, nous aborderons le sujet récurrent de la balance coût/efficacité du dispositif « Scellier » d'aide à l'investissement locatif qui a pris la suite du « Robien » depuis le 1er janvier 2010 et qui met en oeuvre le principe d'une réduction d'impôt plafonnée calculée sur le montant de l'investissement.
La problématique du « Scellier » est d'abord une problématique de coût pour les finances publiques : la dépense fiscale est encore limitée en 2010 à 60 millions d'euros mais elle montera en puissance pour s'établir à 2,8 milliards d'euros par génération de 50.000 logements bénéficiaires, ce qui est l'objectif quantitatif du dispositif.
Elle est également une problématique d'aménagement du territoire que nous avons, en loi de finances, du mal à trancher, faute d'éléments fiables et complets concernant les effets du dispositif. Certes le Gouvernement défend la perspective d'un recentrage au profit des zones urbaines très attractives, recentrage dont il serait intéressant de savoir si les critères relèvent d'une appréciation objective et purement économique, mais comment mesurer les effets de ce recentrage sur le secteur de la construction dans le reste du territoire national ?
Enfin, le « Scellier » pose la question du « surdosage » des aides fiscales. Selon certaines études, il produirait, en effet, des logements dont les loyers sont très supérieurs aux besoins exprimés par le marché et qui ne trouvent pas preneurs. Faut-il alors renforcer les conditions imposées aux bénéficiaires et plafonner plus strictement les loyers de sortie ?
Il est important aussi de mesurer l'effet de contagion sur les mesures d'incitation existantes, lié à la création de cette nouvelle niche, car la défiscalisation est un marché globalisé pour les investisseurs. Le « Scellier » est devenu rapidement un produit phare, en raison de ses conditions particulièrement avantageuses. Il a donc entraîné, par effet « boule de neige », une amélioration des conditions d'autres aides fiscales comme le statut de loueur en meublé non professionnel, ou la défiscalisation outre-mer.
Afin que chacun puisse s'exprimer, je demande à chaque intervenant de faire preuve de concision et je donne tout d'abord la parole à M. Mustapha Nadi qui accompagne Mme Mireille Pierret, présidente de la fédération des associations de résidences de services (FEDARS), pour nous exposer son appréciation du marché des résidences défiscalisées et des relations au sein du trio « promoteur-gestionnaire-investisseur ».
M. Mustapha Nadi, secrétaire de la fédération des associations de résidences de services (FEDARS). - Les produits de défiscalisation dans ce secteur sont nombreux, divers et éparpillés ce qui crée une certaine confusion autour de ces dispositifs.
Le public cible n'est pas composé d'investisseurs professionnels, mais de citoyens non expérimentés. Les deux principaux arguments de démarchage sont, d'une part, un financement du bien acquis à hauteur d'environ 65 % de sa valeur, grâce aux avantages fiscaux et à la perception de loyers et, d'autre part, une source de revenu complémentaire en vue de la retraite.
En théorie, les projets proposés paraissent équilibrés : l'investisseur perçoit des avantages fiscaux en contrepartie de certains engagements, notamment la signature d'un bail commercial avec l'exploitant et le respect de certaines normes de construction. Dans la pratique, ces dispositifs ne le sont pas car ils ont été instrumentalisés au détriment des investisseurs. Au-delà des difficultés que ces dérives posent à titre individuel, ces aides fiscales n'ont pas non plus répondu à leur objectif collectif, l'aménagement du territoire.
Ces offres sont de véritables « arnaques »: d'une part, l'investisseur novice ne connaît pas, au moment de l'achat, le montage financier sur lequel il repose et, d'autre part, le prix de vente est souvent surévalué par les promoteurs ce qui leur permet de reverser à l'exploitant un fonds de concours qui assure l'équilibre financier du gestionnaire pendant les premières années d'exploitation de la résidence.
Dans les montages viciés, le versement des loyers aux investisseurs dure ainsi jusqu'à ce que le fonds de concours s'épuise. Lorsque les gestionnaires n'arrivent plus à faire face aux échéances de loyers, une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est enclenchée, ce qui empêche les petits investisseurs d'engager des poursuites pour le paiement des loyers impayés. Dans certains cas, les pertes subies par les copropriétaires sont largement plus importantes que l'avantage fiscal reçu. Face à ces difficultés, la plupart des investisseurs préfèrent perdre le bénéfice de l'aide fiscale et récupérer leur bien.
Pour la collectivité, ces dérives ont également entraîné des conséquences dramatiques, comme en témoigne l'émergence, dans certaines régions, de friches immobilières touristiques.
M. Jean Arthuis, président. - Je vous remercie pour ce témoignage qui montre que les petits investisseurs et l'Etat sont tous les deux les perdants de ce dispositif.
Mme Claudy Giroz, présidente de l'association de défense des investisseurs et mandataires (ADIM). - Je souhaite saisir l'occasion de cette table ronde pour me faire le porte-parole de milliers d'investisseurs piégés par ces dispositifs. Sept acteurs, à mon sens, sont responsables des difficultés que rencontrent aujourd'hui ces propriétaires.
Le premier d'entre eux est l'Etat qui a créé ces dispositifs fiscaux, certes très attractifs, mais insuffisamment encadrés et contrôlés.
Autres responsables, les maires. Certaines communes demeurent en effet éligibles à certains dispositifs d'aides fiscales - le dispositif « Scellier » notamment - alors que de nombreux logements construits grâce à d'autres avantages fiscaux - le dispositif « Robien » - demeurent inoccupés. Il conviendrait de créer une cellule de contrôle, au niveau gouvernemental, du zonage des aides fiscales.
M. Jean Arthuis, président. - Les maires ne sont pas responsables du classement de leur commune. C'est un décret qui fixe le zonage.
Mme Claudy Giroz. - Les maires peuvent néanmoins faire pression pour que leur commune soit éligible. La délivrance des permis de construire pose, par ailleurs, également des difficultés.
Les promoteurs constituent les troisièmes responsables des dérives constatées aujourd'hui. Tous les promoteurs ne doivent bien sûr pas être incriminés. Je vise surtout ici les promoteurs-constructeurs qui s'improvisent parfois gestionnaires et même assureurs. Les exemples de défaillances sont multiples. Ils résultent d'un choix peu judicieux d'implantation - terrain marécageux ou terrain minier, région enclavée - ou de l'inachèvement des travaux alors que les investisseurs ont payé la quasi-totalité du bien.
Une piste d'amélioration pourrait être d'imposer un dispositif d'assurance extrinsèque qui, en cas de défaillance du promoteur, oblige à l'achèvement des travaux et propose un promoteur de substitution.
Un autre élément est particulièrement choquant : les promoteurs en difficultés se constituent parfois en association de défense pour bloquer les possibilités de contestation de leurs investisseurs. Enfin, lorsqu'ils ont agi en trois entités distinctes - constructeur, promoteur et gestionnaire -, chacun des maillons de la chaîne « se renvoie la balle » en cas de difficultés. Il conviendrait donc de prévoir une responsabilité conjointe du promoteur et du gestionnaire.
Quatrièmes responsables, les groupes de commercialisation qui proposent un ensemble de services à l'investisseur : un prêt, la gestion du bien et une assurance-location. Le premier problème qui découle de ces montages est une surévaluation du prix de vente de l'opération immobilière compte tenu des trois prestations complémentaires proposées. Cette pression à la hausse des prix doit amener à s'interroger sur des mécanismes de régulation.
M. Jean Arthuis, président. - Une plus grande transparence sur les revenus des intermédiaires pourrait par exemple être recherchée.
Mme Claudy Giroz. - Par exemple. Ensuite, la défaillance de ces montages financiers tient également au fait que ces groupes de commercialisation se sont généralement improvisés promoteurs et ont piégé les compagnies d'assurance.
Enfin, ils ont parfois pu mettre les petits investisseurs en porte-à-faux vis-à-vis de l'administration fiscale en proposant, à leur insu, des contournements des plafonds fixés pour bénéficier des aides fiscales.
Les conseillers - conseillers en gestion de patrimoine, mandataires bancaires, conseillers en investissements financiers et sous-mandataires - portent également une part de responsabilité en vendant à des investisseurs non-expérimentés une véritable « illusion budgétaire » : les investissements proposés sont présentés comme quasiment autofinancés grâce aux loyers perçus et aux réductions d'impôt, mais les investisseurs ne sont généralement pas informés des risques liés à ces montages, notamment les retards de loyers ou la non-location du bien. C'est pourquoi, les documents commerciaux devraient permettre d'identifier clairement ces acteurs de la défiscalisation et les règles qui doivent encadrer leur activité.
Des dysfonctionnements apparaissent ensuite souvent au moment de la signature de l'acte notarial. Dans 99 % des cas, le notaire ne joue pas complètement son rôle de garant de la sincérité des prix : dans certaines villes, comme Strasbourg, les prix de vente peuvent ainsi varier dans un rapport de un à cinq selon que le bien a été vendu par un groupe commercial ou par le promoteur. Par ailleurs, dans la plupart des cas, les parties au contrat ont recours à un notaire-procurateur qui, compte tenu de sa faible rémunération, n'est pas incité à approfondir l'analyse des projets qui lui sont soumis. Dans certains cas, les procurations sont signées trois à six mois avant que le projet d'acte ne soit transmis à l'investisseur et constituent ainsi de véritables blancs-seings. C'est pourquoi, pour ce type d'investissements, les procurations devraient être interdites et remplacées par des ventes en « double minute ». Le conseil supérieur du notariat n'a pas encore donné son avis sur ces deux propositions.
Enfin, afin d'améliorer la protection des investisseurs, il conviendrait, d'une part, que ces derniers rencontrent un banquier au moment de l'élaboration du projet d'acte de vente et, d'autre part, que l'accord de prêt soit obligatoirement lié à la souscription d'une assurance - décès - invalidité.
Pour toutes les raisons qui viennent d'être exposées, de nombreux petits investisseurs se sont trouvés piégés par des produits de défiscalisation au départ très attractifs.
M. Jean Arthuis, président. - Comment devient-on présidente de l'association de défense des investisseurs et mandataires ?
Mme Claudy Giroz. - J'ai été conseillère chez le promoteur toulousain Omnium Finance pendant plusieurs années. Je connais donc très bien les méthodes des promoteurs spécialisés dans la défiscalisation. J'ai ensuite souhaité passer de l'autre côté de la barrière pour dénoncer ces méthodes et défendre à la fois les propriétaires et certains vendeurs qui ignorent les effets pervers des produits qu'ils proposent.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Notre commission est, depuis quelques années, sensibilisée aux dérives que peuvent entraîner certains dispositifs fiscaux, par exemple le dispositif « Demessine » qui a donné lieu à discussion lors de l'examen du dernier projet de loi de finances. Nous avons ainsi adopté plusieurs dispositions tendant à protéger les particuliers investisseurs. Mais il me semble que ces « replâtrages » législatifs doivent nous conduire à envisager l'extinction progressive de la mesure elle-même.
Face à une telle situation, deux attitudes sont possibles : soit supprimer purement et simplement ces aides fiscales en proposant des solutions de transition - l'expression « vendre de la défiscalisation », employée plusieurs fois depuis le début de la table ronde, est choquante car la défiscalisation n'est pas une marchandise, soit réprimer les abus manifestes mais l'administration fiscale est souvent dépourvue face à la complexité de certains montages.
M. Jean Arthuis, président. - Ce sont en effet à la fois les petits investisseurs et l'Etat qui pâtissent de ces effets pervers. Le temps de l'évaluation est venu. Nous accueillons M. Benoist Apparu, secrétaire d'Etat chargé du logement, et je donne la parole à M. Jean-François Gobertier, président directeur général du groupe GDP Vendôme.
M. Jean-François Gobertier, président directeur général du groupe GDP Vendôme. - Je me sens à la fois concerné et non concerné par ce qui vient d'être rapporté. Les dérives constatées dans le secteur du tourisme se rencontrent peu dans le secteur de l'hébergement des personnes âgées qui regroupe des opérateurs solides, pour certains cotés en bourse.
Cependant, il est vrai que nous bénéficions également d'aides fiscales, notamment la réduction d'impôt sur le revenu au titre des investissements locatifs réalisés dans le secteur de la location meublée non professionnelle en résidences de services qui, depuis la loi de finances rectificative pour 2009, a été alignée sur les avantages fiscaux du dispositif « Scellier ». Cependant, ces aides fiscales constituent un simple outil, et non une finalité en soi.
Le groupe GDP Vendôme ne vend pas en effet ces produits de défiscalisation, mais passe par des conseillers en gestion du patrimoine ou des sociétés immobilières. Une partie de nos investisseurs est également constituée de sociétés HLM.
Ces produits de défiscalisation sont essentiels car ils permettent de compenser certains avantages dont bénéficie le secteur public d'hébergement des personnes âgées, notamment en matière d'offre de prêts à long terme. Par ailleurs, bien qu'étant des acteurs privés, les établissements d'accueil doivent proposer un nombre de lits réservés aux bénéficiaires de l'aide sociale et pour lesquels le président du conseil général fixe les tarifs, ce qui conduit à baisser la rentabilité des établissements.
M. Jean Arthuis, président. - Pour résumer votre propos, vous seriez prêts à renoncer aux avantages fiscaux si, en contrepartie, vous sont proposés des modes de financement à long terme.
M. Jean-François Gobertier. - Le débat aujourd'hui porte sur l'accès aux établissements d'hébergement car si 20 % des personnes concernées peuvent bénéficier de l'aide sociale, 60 % n'en remplissent pas les critères sans disposer pour autant de ressources leur permettant d'entrer dans ces établissements. Il faut donc trouver des moyens pour baisser les prix de journée, ce qui passe par la diminution des coûts de construction des établissements. De ce point de vue, les aides fiscales peuvent constituer une solution.
Je souhaite ajouter que si certains grands groupes affichent des chiffres d'affaires importants, il faut distinguer leurs résultats en fonction des branches d'activité dans lesquelles ils interviennent. Leurs principales marges ne portent généralement pas sur le secteur de l'hébergement des personnes âgées, mais sur leur activité en matière de soins de suite.
Enfin, je reviens sur les places réservées aux bénéficiaires de l'aide sociale au sein des établissements pour personnes âgées. Bien souvent, par crainte d'une récupération sur succession, les bénéficiaires potentiels hésitent à être placés en maison de retraite et les lits ainsi réservés restent inoccupés, ce qui constitue un manque à gagner pour les établissements.
M. Jean Arthuis, président. - Ceci est peut-être vrai s'agissant de l'aide sociale à l'hébergement, mais pas de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) qui ne fait pas l'objet d'une récupération sur succession et qui est un dispositif très populaire.
M. Jean-François Gobertier. - J'ajoute que la mise aux normes de nos établissements entraîne un surcoût important de l'ordre de 20 % à 25 %. Par ailleurs, nos prix de journée sont plafonnés et gelés pendant les premières années.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Quelle est la marge commerciale réalisée sur ce type d'opération, quel que soit le montage financier utilisé ?
M. Jean-François Gobertier. - Entre 6 % et 13 %.
M. Philippe Dallier. - Quel est le pourcentage du secteur de l'hébergement pour personnes âgées financé par le logement social, d'une part, et par les produits de défiscalisation, d'autre part ? Dans ma commune, une maison d'accueil pour personnes âgées dépendantes (MAPAD) est en train d'être construite et c'est un bailleur social qui porte le projet. Certes, ce sont les crédits destinés au financement du logement social qui sont utilisés, mais la finalité de ces projets est également d'ordre social.
M. Jean-François Gobertier. - Quatre maisons de retraite du groupe sur cent vingt-quatre sont concernées.
M. Jean Arthuis, président. - Les investisseurs peuvent-ils occuper leur propre bien ?
M. Jean-François Gobertier. - Pas dans notre groupe. Les investissements sont parfois réalisés dans une région très éloignée du lieu d'habitation de l'investisseur. Or, généralement, les personnes âgées préfèrent rester à proximité de leur famille.
M. Jean-Jacques Jégou. - La perte de recettes induite par des prix d'hébergement plus bas pour les bénéficiaires de l'aide sociale n'est-elle pas répercutée sur les prix de journée pratiqués pour les autres résidents ?
M. Jean-François Gobertier. - Non, cela n'est pas si simple.
M. Bruno Corinti, président de Nexity Logement. - Il importe de recentrer les débats sur le dispositif « Scellier » actuel, qui a pris en compte certaines dérives du passé.
M. Jean Arthuis, président. - Il faut « liquider » rapidement les anciens dispositifs, mais les turpitudes constatées ne valent-elles pas également pour le « Scellier » ?
M. Bruno Corinti. - Je ne nie pas qu'il y ait eu des problèmes et des clients déçus, mais les dispositifs fiscaux en faveur de l'investissement immobilier, qui existent depuis vingt ans, ont permis la construction d'environ un million de logements qui sont dans leur grande majorité porteurs de plus-values pour les acquéreurs et de rentrées fiscales pour l'Etat au titre des droits de mutation, de l'impôt de solidarité sur la fortune ou de l'impôt sur le revenu. C'est bien parce que l'immobilier, assiette non mobile, est un produit peut-être trop taxé qu'il a fallu mettre en place des outils de défiscalisation pour répondre à une forte demande de logements. Pour autant, les acteurs de la promotion immobilière sont favorables à une meilleure réglementation et à tout ce qui permet de sécuriser la profession, dont l'offre est mixte et ne repose pas sur les seuls produits de défiscalisation.
La déception qu'éprouvent parfois les acquéreurs sur le niveau de rentabilité effective au regard de celle qu'ils attendaient demeure très minoritaire, mais la présence de quelques « moutons noirs » au sein de la profession ne saurait, en soi, justifier la suppression des aides fiscales à l'investissement immobilier. Certains segments, tels que les résidences pour étudiants et personnes âgées, sont confrontés à d'importants problèmes d'offre. Il faut également relativiser fortement les pratiques déviantes des notaires, dont les honoraires sont encadrés. Des ventes sans garantie d'achèvement et de fausses attestations d'avancement peuvent certes advenir, mais elles relèvent de la collusion et de l'escroquerie, qui existent dans de nombreux autres secteurs d'activité.
Il reste que les 50 000 logements construits chaque année trouvent preneur dans la grande majorité des cas, et le dispositif « Scellier » entend relancer une « machine grippée » tout en étant plus simple.
M. Jean Arthuis, président. - On dit que les loyers ne correspondent pas à l'attente du marché.
M. Bruno Corinti. - Il s'agit d'un sujet complexe. Le zonage a été revu et le « Scellier » opportunément concentré sur les zones « tendues », où la demande existe et où les promoteurs ont d'ailleurs intérêt à investir. Le zonage sur 36 000 communes reste cependant très complexe à réaliser et il est soumis aux aspirations des élus locaux. Un « toilettage » est sans doute souhaitable. Certains produits en zone C pourraient ainsi être reclassés en zone B ou inversement. Le niveau des loyers est parfois difficile à caler en zone B et la zone A est loin d'être homogène. A cet égard, notre fédération propose la création d'une zone intermédiaire A1 et un recalibrage des loyers.
Le système « Scellier » reste sain. Il fonctionne et certains promoteurs, dont Nexity, se sont adaptés à la nouvelle éco-conditionnalité en avançant au 1er janvier 2010 l'application du label bâtiment basse consommation énergétique (BBC) à toute leur offre, ce qui permettra d'abaisser progressivement les coûts de construction. Je m'étonne d'ailleurs que l'éco-conditionnalité ne concerne que l'investissement locatif, et non les résidences principales, ce qui revient bien à limiter l'avantage fiscal. Les normes d'accessibilité aux handicapés sont quant à elles naturellement compréhensibles en ce qui concerne les résidences pour personnes âgées et les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), mais tendent à réduire fortement la rentabilité déjà faible des résidences étudiantes, et donc l'incitation à les construire. Un quota de 5 % à 10 % de logements, de préférence au rez-de-chaussée des bâtiments, serait plus adapté.
La plupart des opérateurs sont donc fiables et savent réagir positivement. Le bâtiment est le premier employeur de France ; les dispositifs défiscalisés répondent à des besoins non satisfaits et soutiennent l'activité d'entreprises non délocalisables.
M. Jean-Paul Alduy - Je confirme les propos de M. Corinti. La défiscalisation a permis à Nexity de construire des logements sociaux et étudiants dans une friche industrielle à Perpignan, en pleine crise et à des loyers inférieurs de 20 % à 30 % aux prix du marché. Grâce à ces différents dispositifs, on peut mettre en place des opérations exemplaires en termes de mixité sociale et de réponse aux besoins sociaux d'une commune.
M. Marc Pigeon, président de la fédération nationale des promoteurs-constructeurs. - Au préalable, je constate un décalage lorsque promoteur et exploitant sont des entreprises distinctes, le premier étant incité à augmenter ses prix. Les deux promoteurs que Mme Giroz a cités sont de véritables « marchands de défiscalisation » et j'ai d'ailleurs interdit leur adhésion à la fédération, dont j'entends préserver l'éthique. De même, certains comportements de clients peuvent aussi être incriminés et associés aux catégories de professionnels dont Mme Giroz a mis en cause la responsabilité, car il est inadmissible que l'on puisse acheter un logement sans se déplacer.
Le « Périssol » a permis la construction de 38 000 à 50 000 logements par an, le « Robien » jusqu'à environ 68 000 logements. Les investissements locatifs et l'accession à la propriété ont représenté, respectivement, 68 500 et 65 000 logements en 2007, puis seulement 38 000 et 44 400 en 2008. Grâce au dispositif « Scellier », les investissements locatifs sont remontés à 68 000 en 2009. Les investisseurs institutionnels se sont cependant massivement retirés de l'investissement locatif. Il faut donc prendre garde à ce que les particuliers ne sortent pas à leur tour de la construction des logements dont les Français ont besoin, alors que les loyers s'inscrivent pour la première fois en baisse.
La fiscalité constitue un moyen et ne saurait être une fin en soi ; je suis donc opposé aux « marchands de défiscalisation ». Notre fédération s'est impliquée dans la certification NF logement, qui prévoit une garantie extrinsèque et l'obligation pour le vendeur de fournir au client une étude du marché locatif. La défiscalisation reste indispensable mais, pour ne pas gaspiller l'argent public, il faut la limiter aux seuls besoins importants. A ce titre, je souligne que la zone C n'a pas été mise en place sous la pression des promoteurs, et je propose que les élus puissent établir au sein de cette zone des périmètres d'aménagement prioritaire, strictement délimités, où l'offre de produits serait diversifiée.
Pour éviter les effets d'aubaine et mieux refléter les différences objectives entre certaines communes aujourd'hui en zone A, nous avons proposé que soit définie une zone A1 supplémentaire. Nous défendons également un abaissement des plafonds de loyers des zones A et B2, voire B1 et C. Les plafonds ne doivent pas devenir des planchers et les clients doivent disposer d'une information complète. Le « Scellier » est un outil excellent parce que simple. C'est aux promoteurs de trouver le réglage pour qu'il soit efficace et évite les effets d'aubaine dans les secteurs, tels que le « Scellier social », où les plafonds de loyers sont trop proches du prix de marché. Enfin, je regrette la suppression du cumul entre le « Scellier » et le prêt locatif social, qui se conçoit d'un point de vue budgétaire, mais évince les particuliers de l'investissement dans le logement social.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'Etat chargé du logement et de l'urbanisme. - Je rappelle tout d'abord l'objectif de l'Etat de construire 500 000 logements par an, toutes catégories confondues. On a donc besoin de nombreux outils pour favoriser l'accession à la propriété, la production de logements sociaux et la constitution d'un patrimoine de logements intermédiaires. Les investisseurs institutionnels ont quitté le secteur par des ventes en blocs et ce sont les promoteurs privés qui assurent la continuité du marché ; il ne peut dès lors y avoir de logement intermédiaire sans produit de défiscalisation.
Par ailleurs, il est nécessaire d'arrêter la construction de logements là où ils ne répondent pas à un réel besoin. Le système actuel est « hérétique », si l'on considère par exemple que l'on produit en Auvergne deux fois plus de logements par habitant qu'en Ile-de-France. Il s'agit bien plutôt d'un problème de lieux de production que de quantités. C'est ce qui explique l'évolution vers un recentrage depuis le « Robien » jusqu'au « Scellier », auquel désormais seul 5 % du territoire est éligible. Il importe en tout cas de ne pas faire grief à ce dispositif des errements du passé, essentiellement imputables à une petite partie, 5 % à 10 %, des logements « Robien ».
Il est vrai que nous aurions dû déclasser 170 communes des zones B1 et B2 à l'occasion de la mise en place du dispositif « Scellier » en 2008. Cela n'a pas été fait pour ne pas « casser le marché » dans le cadre du plan de relance ; il faut à présent l'envisager et les élus des communes concernées devront se montrer coopératifs. L'ouverture à la zone C a été décidée par le Parlement lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2010, contre l'avis du Gouvernement, mais le décret prévu permettra de limiter très fortement le nombre d'agréments.
Au-delà de la légitimité du dispositif, se pose également la question des montants de défiscalisation et de plafonnement des loyers. Je souhaite revisiter ces plafonds d'ici la fin de l'été en concertation avec la Fédération nationale des promoteurs-constructeurs. La création d'une zone A1 apparaît évidente au regard des écarts constatés de prix de marché au sein de la zone A, mais cela contrevient à la volonté de simplification et toute révision du zonage a un impact sur d'autres dispositifs.
Chaque dispositif doit être évalué en rapportant l'investissement de l'Etat au niveau de loyer acquitté in fine. Aujourd'hui cet investissement est globalement équivalent dans le « Scellier » et le prêt locatif à usage social, inférieur dans le prêt locatif social et logiquement supérieur dans le prêt locatif aidé d'intégration. La réforme de l'accession à la propriété qui sera engagée dans le prochain projet de loi de finances fournira une occasion de réexaminer l'investissement unitaire par logement au regard de sa finalité sociale.
Enfin il est vrai que la norme BBC ou celle relative à l'accès des handicapés ont un coût, de même que toute norme produit de la dépense fiscale ou budgétaire. Je partage donc l'objectif de simplification mais il faut avoir le courage d'aller au bout de la démarche, car toute modification d'une norme suscite traditionnellement des levées de bouclier. La norme BBC se distingue toutefois par le fait qu'elle renchérit le coût d'investissement, mais fait diminuer en aval le coût de fonctionnement.
M. Jean Arthuis, président. - Une aide fiscale n'est donc pas nécessaire pour cette norme environnementale ?
M. Benoist Apparu. - Effectivement, mais elle doit être maintenue jusqu'en 2013 pour lancer le marché et son anticipation permet de faciliter la transition. En revanche, si le surcoût d'un logement BBC est de l'ordre de 8 % à 12 %, le taux d'effort individuel calculé dans les plans de financement bancaire n'intègre toujours pas l'économie de fonctionnement générée, qui est équivalente à la moitié de la facture d'électricité et de chauffage.
M. Jean Arthuis, président. - Je vous remercie pour ces précisions prometteuses. Nous serons à vos côtés si vous proposez de réduire la dépense fiscale !
M. Benoist Apparu. - C'est clairement mon intention, et je vais m'attacher à faire mieux avec moins de crédits en matière d'accession à la propriété. Sur 7 milliards d'euros de dépense fiscale, un peu plus de la moitié ne solvabilise pas l'accédant à la propriété. Avec un nouveau produit, on peut sans doute économiser un milliard d'euros en doublant le nombre d'accédants.
M. Jean Arthuis, président. - Avez-vous en charge le logement outre-mer ?
M. Jean Arthuis, président. - Je constate également que les besoins en logement social sont très variables d'une région à l'autre et qu'une partie du parc HLM est souvent vacante, mais que de façon paradoxale la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU) contraint certaines communes à construire du logement social. Il faudrait éviter cette gabegie !
M. Benoist Apparu. - Il en existe d'autres. Les trois quarts du logement social ont été financés, en 2008, dans les zones B et C, c'est-à-dire là où les besoins sont moindres ! Plutôt que de construire 120 000 logements sociaux en 2009, il eût été plus efficace d'en installer 90 000 mieux localisés, en particulier en Ile-de-France. Cela permettrait de répondre aux besoins, alors que le temps d'attente pour un logement social en Ile-de-France est de sept ans contre moins d'un an en zone C.
M. Jean-Jacques Jégou. - Il y a aussi des logements sociaux vacants en Ile-de-France. Que pensez-vous des montants élevés dépensés dans la réhabilitation des copropriétés dégradées plutôt que dans leur destruction pour construire de nouveaux logements ?
M. Benoist Apparu. - On trouve du logement social vacant partout, mais le critère important réside dans le taux de vacance. Quant aux copropriétés dégradées, on ne peut leur appliquer, si elles sont importantes, le même régime que celui de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) car il faut gérer de nombreux dossiers d'expropriation. A ce titre, j'attire votre attention sur la nécessité d'achever le paiement des premières conventions de l'ANRU et de stabiliser le financement du logement social avant d'envisager un « ANRU 2 ». Il faut également moduler la règle du 1 pour 1, de reconstruction sur place de chaque logement détruit, en fonction des besoins locaux qui ne sont pas les mêmes en Ile-de France et en province.
M. Philippe Dallier. - Le problème, dans la zone A, n'est pas en priorité d'ordre budgétaire. Il y a surtout un problème de gouvernance politique à l'intérieur des zones tendues. En tant que rapporteur spécial de la mission « Ville et logement », je n'ai jamais soutenu la demande d'un « ANRU 2 ». Bouclons d'abord le financement de « l'ANRU 1 » ! Concernant la règle du 1 pour 1, elle n'est pas obligatoire et il existe des dérogations, notamment en cas de vacance dans le parc. Malheureusement, c'est une règle qu'on applique très strictement dans les départements qui ont déjà un taux très élevé de logements sociaux.
M. Benoist Apparu. - La répartition des constructions de logements sociaux selon les zones, s'inscrit actuellement dans un rapport de 25% en zone A et 75% dans les autres zones. En 2011, nous devrions arriver à un équilibre 35/65, ce qui constituera un réel progrès. Il ne faut pas aller dans l'excès et interdire toute construction en zone C. Le déséquilibre actuel tient au fait que l'Etat a voulu « faire du chiffre » et qu'il a poussé les constructions là où elles se faisaient plus facilement. Mais il est plus facile de diminuer les constructions en zone C que d'en augmenter le nombre dans les zones tendues, aussi bien pour des raisons de gouvernance, de prix que de disponibilité du foncier.
M. Pierre Jarlier. - Il est indispensable d'affiner l'analyse notamment en milieu rural, où existent de vrais besoins, lorsque les habitants ont des revenus très inférieurs à la moyenne nationale. Pour la norme BBC, le marché doit d'abord se stabiliser et il faut aider les personnes à se lancer dans cette démarche.
M. Jean Arthuis, président. - De quelles informations dispose-t-on exactement sur ces niches fiscales ?
Mme Marie-Christine Lepetit, directrice de la législation fiscale. - Nous n'avons pas encore de données d'origine fiscale sur le « Scellier ». Les premières déclarations sont en train d'être remplies par les contribuables.
M. Jean Arthuis, président. - Seront-elles exploitées ?
Mme Marie-Christine Lepetit. - Oui. Les débats ont montré, et nous en avions l'intuition même en l'absence de chiffres sur le « Scellier », qu'il faut faire la part des choses entre ces différents dispositifs d'incitation. Les effets réels sur la construction, le bilan coût-avantages et les pratiques commerciales ne sont pas les mêmes selon qu'il s'agit du « Demessine » ou du « Scellier ». Si l'administration fiscale ne peut que relever la simplicité de la solution qui consisterait à faire le vide dans tous les dispositifs actuels, nous devons aussi réfléchir à des pistes d'amélioration. Le premier champ d'action est celui du face à face entre le client et l'opérateur. Il n'y a pas, pour l'investissement immobilier, de mesures protectrices équivalentes à celles qui s'appliquent à l'investissement mobilier, même si une première mesure a été votée dans le projet de loi sur le crédit à la consommation. Il manque un équivalent à la directive « marchés d'instruments financiers » (MIF). Le second sujet est celui des conditions de l'avantage fiscal. Il faut d'abord s'interroger sur la définition du prix sur lequel cet avantage est calculé. Doit-on prendre le prix global de la transaction ou la valeur vénale ? Il faut également déterminer le bon loyer, qui sécurise l'investissement et correspond à la réalité du marché locatif. Quels documents devrait-on fournir à l'acquéreur ? Quels plafonds de loyers retenir ? Je signale enfin une singularité du régime « Demessine » : il est ouvert aux non-résidents, ce qui est très rare pour un dispositif fiscal ! En tous les cas, ce débat est une source d'inspiration pour améliorer nos dispositifs.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Nous avons voté la prolongation du régime « Demessine » jusqu'au 31 décembre 2012. Dans quels délais pourrons-nous disposer des éléments d'information nous permettant de mesurer concrètement les difficultés rencontrées et d'analyser les contentieux ? Ceci nous permettrait éventuellement d'aménager des dispositions transitoires de sortie du dispositif, voir d'abréger sa durée, en mesurant toutes les conséquences.
M. Jean Arthuis, président. - Le Parlement a effectivement voté une commodité pour ceux qui sont prisonniers du système...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - et un report de deux ans.
M. Jean Arthuis, président. - Il faut sans doute aussi tarir la source.
Mme Marie-Christine Lepetit. - Les statistiques sur le « Demessine » sont disponibles. Ce que nous ne connaissons pas, ce sont les effets de la prolongation et du dispositif d'aide à la survie des opérations « malades » qui comprenaient un étalement de la reprise sur trois années, la possibilité pour 50% des propriétaires de s'organiser en l'absence de gestionnaire et le maintien de l'avantage fiscal si les investisseurs parviennent à assurer les mêmes prestations. Mais une fermeture anticipée et trop brutale du dispositif ne risque-t-elle pas d'entrainer des difficultés dans certaines parties du territoire ?
M. Marc Pigeon. - Certains territoires ont des besoins réels, notamment pour la rénovation du parc des hôtels de tourisme et dans des zones où il y a une vraie demande touristique.
M. Jean Arthuis, président. - Dans ce cas, il n'y a pas besoin d'une sucrette fiscale qui fausse les prix !
Mme Marie-Christine Lepetit. - Il est vrai qu'il y a abondance de biens, en ce qui concerne les aides fiscales.
M. Mustapha Nadi. - Il faut clarifier les dispositifs. Mais nous regrettons les déclarations trop convenues des représentants des promoteurs. On nous affirme que cela fait vingt ans que le système fonctionne. En réalité, cela fait vingt ans qu'il y a des problèmes. Avec le départ des investisseurs institutionnels de ce marché, il reste les particuliers. Si vous n'apportez pas de réponse satisfaisante, méfiez-vous du « buzz » contre l'immobilier défiscalisé !
M. Bruno Corinti. - Pour ce qui nous concerne, on s'interdit la pratique des fonds de concours.
M. Jean Arthuis, président. - Pouvez-vous préciser exactement en quoi consistent ces fonds de concours ?
M. Bruno Corinti. - C'est de l'argent versé, par avance, par le promoteur au gestionnaire, qui permet de payer des loyers.
M. Jean Arthuis, président. - Et ces sommes sont intégrées dans le prix d'acquisition payé par l'investisseur. A combien s'élèvent ces fonds de concours ?
M. Bruno Corinti. - Ils représentent environ 2% du prix de revient...
M. Jean Arthuis, président. - ...auxquels s'ajoutent les frais de commissions. Tout cela devrait être retiré du prix de revient à prendre en compte pour le calcul de l'aide fiscale.
M. Jean-François Gobertier. - Le problème tient à ce que les investisseurs exigent une rentabilité au premier jour. Il faut distinguer entre les fonds de concours qui trompent les investisseurs sur la qualité du bien et ne servent qu'à augmenter artificiellement les prix et les fonds de concours qui assurent l'équilibre du gestionnaire au démarrage de l'exploitation.
Mme Mireille Pierret, présidente de la fédération française des associations de résidences de services (FEDARS). - Les fonds de concours permettent d'afficher des taux de rentabilité très attractifs. Ils permettent aussi de payer des loyers très supérieurs aux prix du marché ... jusqu'au moment où les loyers disparaissent.
M. Marc Pigeon. - Je suis d'accord avec vous sur ce point.
M. Jean Arthuis, président. - Au terme de cette table ronde, je suis persuadé qu'une plus grande transparence permettra d'assurer une meilleure régulation. Il faudra certainement revoir l'assiette de la défiscalisation. Mais soyez conscients que si nous ne diminuons pas la dépense fiscale, le risque de remontée des taux d'intérêt pénalisera durement le secteur de la construction immobilière.