Mercredi 12 mai 2010
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Audition de M. Bruno Racine, membre du groupe d'experts sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN
Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission entend M. Bruno Racine, membre du groupe d'experts sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN.
M. Josselin de Rohan, président. - Je suis heureux d'accueillir M. Bruno Racine que nous ne recevons pas ce matin en sa qualité de Président de la Bibliothèque nationale de France ou d'ancien membre de la Commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, mais comme membre du groupe de 12 experts présidé par Mme Madeleine Albright et chargé depuis septembre dernier de préparer un rapport sur le futur concept stratégique de l'OTAN.
Ce rapport doit être remis incessamment au Secrétaire général de l'OTAN, M. Rasmussen, qui lui-même établira un projet destiné à être discuté entre les Nations en vue d'une adoption du nouveau concept stratégique lors du prochain sommet de l'Alliance à Lisbonne, à la fin du mois novembre.
Je remercie vivement M. Bruno Racine d'avoir bien voulu venir devant notre commission alors que la touche finale vient à peine d'être apportée à ce rapport. Je souhaiterais qu'il puisse nous présenter les principaux débats auxquels a donné lieu, au sein du groupe d'experts, la révision du concept stratégique de 1999, et bien entendu, les orientations qui se sont dégagées.
Plusieurs thèmes viennent évidemment à l'esprit.
Tout d'abord, celui des missions de l'OTAN et de la signification, dans le contexte stratégique actuel, de la défense collective et de l'article 5 du traité de Washington. Comment traduire cet engagement dans l'action de l'Alliance ? Dans quelle mesure l'OTAN doit-elle intervenir hors de la zone euro-atlantique ? Quel rôle l'OTAN doit-elle jouer face aux nouvelles menaces comme le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive et des missiles balistiques, les cyberattaques, la mise en cause de la sécurité énergétique ? Quelle part accorder, dans sa doctrine de défense, à la dissuasion nucléaire et, éventuellement, à la défense antimissile ?
Une autre série de questions porte sur le thème de l'approche globale de la gestion des crises. L'OTAN va-t-elle développer des moyens non militaires lui permettant de devenir un acteur global ou plutôt rechercher une meilleure synergie avec d'autres organisations internationales ?
L'une des questions qui nous tient à coeur est celle de l'articulation entre l'OTAN et la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne. Je suis parfois surpris de voir que dans certains documents « otaniens », l'Union européenne figure simplement parmi d'autres organisations, mais pas plus qu'une autre, au chapitre des partenaires avec lesquels l'OTAN devrait mieux se coordonner. Il me semble au contraire qu'il y a un lien fondamental entre la capacité des Européens à prendre des responsabilités croissantes en matière de défense et l'avenir de l'OTAN.
Enfin, ce n'est peut-être pas le rôle d'un concept stratégique de dessiner des réformes de structures, mais le fonctionnement interne de l'organisation, la lourdeur de sa bureaucratie et sa gouvernance financière sont au coeur des débats actuels. Peut-être pourrez-vous nous dire si le groupe d'experts a abordé ces questions et préconisé des orientations ?
M. Bruno Racine. - Je vous remercie Monsieur le Président. Comme vous l'avez indiqué, le rapport du groupe d'experts sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN sera remis au Secrétaire général et présenté officiellement au Conseil de l'Atlantique Nord en début de semaine prochaine.
Je dirai en préalable un mot sur le processus suivi pour l'élaboration de ce document. La démarche est assez comparable à celle mise en oeuvre pour la rédaction du Livre blanc français en 2008 et reposait sur les consultations les plus larges possibles et un principe de transparence. Les 12 personnalités constituant le groupe d'experts ont été désignées par le Secrétaire général de l'OTAN, sur la base de propositions effectuées par les gouvernements. Les experts ne représentaient donc pas les Etats, même si certains gouvernements avaient souhaité proposer des diplomates, notamment d'anciens représentants permanents à l'OTAN. Outre Mme Albright elle-même, le groupe d'experts comprenait des responsables politiques comme M. Geoff Hoon, ancien secrétaire britannique à la défense ou le professeur Rotfeld, ancien ministre des affaires étrangères polonais.
Les travaux du groupe se sont appuyés sur quatre grands séminaires largement ouverts au monde universitaire et de la recherche qui ont successivement traité de l'évolution de l'environnement stratégique, des opérations, des partenariats de l'OTAN et des capacités.
Le groupe ne comprenait pas de responsable militaire, mais il a largement travaillé avec les principales autorités militaires de l'OTAN : le président du Comité militaire et les titulaires des deux grands commandements, SACEUR et SACT. Je voudrais souligner sur ce point le rôle important joué par le général Stéphane Abrial. Le groupe d'experts plaide pour le renforcement du commandement pour la transformation (ACT) en vue d'en faire, comme le souhaite le général Abrial, le véritable « think tank » de l'Alliance.
Le groupe d'experts dans son entier s'est déplacé à Moscou, pour marquer l'importance attachée à l'avenir de la relation OTAN-Russie. Des contacts ont été établis avec d'autres Etats non membres de l'Alliance lors du séminaire sur les partenariats. Des délégations du groupe ont procédé à des consultations politiques dans les différents Etats alliés.
J'en viens au contenu de notre travail proprement dit.
Le concept stratégique actuel date de 1999 et a été élaboré dans le contexte de la réunification de l'Europe. Le concept stratégique de 2010 intervient dans un contexte très différent et vise à définir le rôle de l'Alliance dans un monde globalisé.
Si le concept stratégique de 1999 est dépassé à certains égards, d'autres points demeurent d'actualité.
Tout d'abord, il est important de rappeler que l'Alliance atlantique constitue le seul lien contractuel entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Ce lien s'applique à la sécurité, qualifiée d'indivisible entre les alliés. L'OTAN est fondée sur des principes clairs. Elle réunit des Etats adhérant aux valeurs démocratiques qui sont en paix avec leurs voisins. L'OTAN est un forum au sein duquel les alliés échangent sur les questions intéressant leur sécurité. Enfin, l'OTAN dispose d'outils pour nouer des partenariats avec d'autres Etats ou organisations.
Un consensus s'est dégagé sans difficulté au sein du groupe d'experts pour considérer que dans un environnement instable et incertain, la permanence d'un lien contractuel entre l'Europe et l'Amérique du Nord constituait un facteur essentiel pour la stabilité internationale.
Ce rôle de l'Alliance a été réaffirmé en ayant présent à l'esprit le développement de menaces dites non-conventionnelles. A cet égard, les cyberattaques et leur pendant, la cyberdéfense, ont acquis un haut degré de priorité. C'est d'ailleurs une préoccupation majeure des responsables militaires dans nombre de pays alliés.
Un deuxième sujet sur lequel le groupe d'experts s'est accordé touche à la vocation de l'Alliance. Alors que les crises sont de plus en plus interconnectées, l'OTAN doit-elle devenir le « gendarme du monde » ? Le groupe a adopté sur ce point une position raisonnable et a clairement écarté l'idée d'une « OTAN globale ». Nous avons considéré que l'OTAN devait certes être un acteur majeur dans un monde global, mais qu'elle devait s'appuyer sur des partenariats. Pour le groupe d'experts, le caractère euro-atlantique de l'Alliance ne doit pas être remis en cause et son élargissement ne peut être poursuivi que dans la limite de ce critère géographique. Nous avons identifié deux partenariats spécifiques. Les Nations unies, tout d'abord, car elles sont à la fois une source de légitimité pour les actions de l'OTAN et un partenaire naturel dans les zones d'opérations. L'Union européenne ensuite, avec laquelle le partenariat présente, aux yeux du groupe qui est unanime sur ce point, un caractère unique, pour autant cependant que l'effort de défense des pays européens permette de donner un contenu concret à cette relation.
Un troisième point de consensus est apparu au sein du groupe d'experts sur la nécessité d'adapter et de réformer l'OTAN sur le plan militaire et politique.
L'OTAN est confrontée à une crise financière sans précédent. Le groupe d'experts a apporté son soutien à une réforme administrative et budgétaire ambitieuse passant par la redéfinition de la gouvernance financière de l'organisation, la diminution de la structure civile, la révision du nombre de comités et d'agences, la réduction des coûts de fonctionnement et l'allègement de la structure militaire.
Le groupe d'experts s'est également accordé sur un point essentiel : le rôle de l'article 5 du traité de Washington.
Les nouveaux Etats membres étaient particulièrement sensibilisés à cette question et souhaitaient des réassurances. Au vu de la crise géorgienne et de l'expérience de l'Estonie, qui avait été victime en 2007 d'attaques informatiques massives, la question était posée d'une nouvelle rédaction de l'article 5 qui évoque une attaque armée, ou à tout le moins d'une nouvelle interprétation de la notion d'attaque armée.
Notre conclusion est que l'on ne peut définir a priori si une attaque non conventionnelle relève ou non de l'article 5. Cela dépend notamment de l'objectif poursuivi et de l'ampleur de l'attaque. Cela ne peut pas être déterminé a priori. En revanche, un travail de réflexion et de clarification est nécessaire sur ce type de scénario afin d'être en mesure, le moment venu, de définir ce que pourrait être une réponse appropriée de l'OTAN.
Cela renforce d'autant plus la nécessité de bien exploiter les possibilités offertes par l'article 4 du traité qui prévoit des consultations entre les parties chaque fois que l'une d'entre elles considère que sa sécurité est menacée.
En résumé, toute menace sur la sécurité d'un Etat membre relève du mécanisme de consultation de l'article 4 et selon sa nature et ses caractéristiques, elle peut justifier la mise en oeuvre de l'article 5.
S'agissant du champ géographique d'intervention de l'OTAN, il est clair que la sécurité des Etats alliés peut être affectée par des menaces très éloignées. Nous le voyons avec les opérations d'Afghanistan, puisqu'il s'agit d'éviter que ne se recrée un sanctuaire pour des organisations terroristes menaçant directement notre sécurité.
Nous avons cependant considéré que l'OTAN ne pouvait intervenir que sur la base de certains critères. Comme la France l'a fait dans son Livre blanc, nous avons identifié les principes auxquels l'OTAN devrait se référer pour décider le lancement d'une opération hors de ses frontières. La conformité de l'intervention au droit international est l'un de ces principes, mais nous avons également proposé une liste détaillée de ces critères.
L'une des leçons de l'opération d'Afghanistan est qu'une approche exclusivement militaire n'est pas de nature à apporter une solution durable aux crises. Il est nécessaire de combiner les approches militaires et civiles.
Dans cette optique, certains allaient jusqu'à préconiser que l'OTAN se dote d'importantes capacités civiles propres, voire qu'elle crée en son sein une véritable agence civile. Comme vous le savez, la France n'y était pas favorable.
Le groupe d'experts a considéré qu'il fallait renforcer l'aptitude de l'OTAN à coopérer avec d'autres institutions ou organisations capables d'assumer le volet civil de la gestion d'une crise. L'OTAN doit disposer de compétences minimales pour évaluer les besoins en matière d'action civile dès le stade de la planification et assurer la coordination avec les organisations qui la prendront en charge. Elle doit renforcer sa capacité à intégrer la dimension « politico-économique » de la gestion des crises, mais en termes de développement de capacités propres en matière civile, nous avons retenu une approche minimale.
Le groupe d'experts s'est également penché sur la prolifération des missiles balistiques et les vulnérabilités nouvelles des Etats alliés face à cette menace. Nous avons reconnu l'intérêt de développer au profit des alliés un système de protection contre les missiles balistiques. Il a été clairement souligné qu'une telle protection venait en complément de la dissuasion, mais ne pouvait s'y substituer.
Le groupe d'experts a estimé que quelles que soient les perspectives en matière de désarmement nucléaire, l'Alliance devait conserver une dissuasion nucléaire tant que les armes nucléaires subsistent comme facteur important des relations internationales.
S'agissant du débat sur le retrait des armes nucléaires non-stratégiques américaines de certains pays européens où elles sont stationnées, le groupe d'experts s'est prononcé contre tout retrait unilatéral. Une décision de retrait de ces armes ne pourrait résulter que d'une volonté globale de l'Alliance et elle devrait impliquer des discussions avec la Russie sur le sort de ses propres armes nucléaires tactiques, beaucoup plus nombreuses.
En ce qui concerne les relations entre l'OTAN et l'Union européenne, elles sont aujourd'hui entravées par la question politique de Chypre. Le groupe d'experts a cependant souligné de manière très appuyée le rôle de l'Union européenne comme partenaire stratégique global. Nous n'avons en aucun cas préconisé une spécialisation des tâches, le militaire pour l'OTAN et le civil pour l'Union européenne. Au contraire, le rapport saluera les efforts de l'Union européenne pour se doter des capacités militaires et des moyens de commandement lui permettant de prendre des responsabilités dans le domaine de la sécurité.
Il y a également eu consensus au sein du groupe pour insister sur la nécessité de rebâtir une relation constructive avec la Russie. Cela ne dépend pas que de nous, mais cela dépend aussi de nous. Nous avons dressé un constat assez sévère du fonctionnement du Conseil OTAN - Russie qui ne s'est pas révélé être un instrument efficace. Nous pensons qu'il faut proposer à la Russie de travailler en commun dans des domaines tels que la piraterie, le terrorisme ou la lutte contre le trafic de drogue, et qu'il faut utiliser le Conseil OTAN - Russie comme un véritable organe de décision pour ces domaines d'action conjointe.
L'élargissement demeure une pomme de discorde potentielle entre l'OTAN et la Russie. Sa sensibilité s'exerce moins sur l'adhésion éventuelle des Etats des Balkans occidentaux que sur les candidatures de l'Ukraine et de la Géorgie. Pour l'Ukraine, la question de l'adhésion paraît désormais virtuelle, compte tenu des orientations du nouveau Président de la République. S'agissant de la Géorgie, l'OTAN ne pourra que réaffirmer sa politique de la porte ouverte à tous les Etats démocratiques européens qui souhaitent la rejoindre et doivent pouvoir le décider en toute indépendance. Mais l'adhésion de nouveaux membres suppose qu'ils contribuent à renforcer la sécurité de l'Alliance et qu'ils n'importent pas en son sein des conflits avec des Etats voisins. Dès lors, la question de l'élargissement ne devrait pas être, dans les dix ans à venir, un obstacle à l'établissement d'une relation constructive avec la Russie.
Je reviens pour conclure sur la réforme de l'Alliance que j'ai déjà évoquée. Le groupe d'experts avait vocation à s'y intéresser mais compte tenu de l'urgence, le Secrétaire général a reçu mandat de formuler rapidement des propositions. Le futur concept stratégique devrait donc entériner les orientations en cours de définition plutôt que les précéder. Nous avons en tout état de cause plaidé pour une réforme ambitieuse aux plans administratif et militaire. Un rôle majeur est attendu d'ACT sur ce dernier point.
Le Secrétaire général de l'OTAN va désormais prendre connaissance du document et l'utilisera comme il le souhaite dans la préparation du projet qu'il soumettra aux Chefs d'Etat et de gouvernement. Peut-être certaines conclusions consensuelles au sein du groupe d'experts le seront-elles moins entre les Nations.
M. Josselin de Rohan, président. - Dans vos discussions avec les Russes, n'avez-vous pas eu le sentiment qu'ils veulent surtout que l'on ne touche pas à leur glacis, la Biélorussie, l'Ukraine et la Géorgie ? Quelles sont les perspectives de collaboration avec la Russie sur la défense antimissile ? Les Etats-Unis paraissent réellement souhaiter les associer à leurs projets et établir un partenariat dans ce domaine.
Bruno Racine. - En réponse à votre question, je vais évoquer le déplacement de l'ensemble des membres du groupe de travail à Moscou, car il illustre à mon avis très bien une certaine ambiguïté de la position de la Russie. Sur le plan du protocole, les Russes ont réservé à Mme Albright un accueil minimal. J'interprète ce fait comme la volonté des Russes de garder une certaine distance vis-à-vis de l'exercice en cours à l'OTAN. D'autant que nous avons entendu l'énumération traditionnelle, par les autorités officielles, des récriminations à l'encontre des Occidentaux et de tout ce qu'ils ont fait de critiquable à leurs yeux depuis le Kosovo. Leur discours était très négatif sur la décennie écoulée, alors même que le résultat des élections ukrainiennes était connu, avec les conséquences que l'on sait. Il faut dire que nous sommes arrivés au lendemain de la publication d'un document disant que la principale menace venait de l'élargissement de l'OTAN.
D'un autre côté, nous avons eu le sentiment que les Russes étaient tout à fait ouverts à une collaboration réelle sur les menaces communes. En particulier sur l'Iran, où ils envisageaient même de réfléchir à ce que l'on devrait faire si les négociations échouent. Le discours des universitaires russes en particulier, même s'ils sont peu représentatifs de la société, a été particulièrement ouvert. Il est clair pour eux que la menace n'est pas l'OTAN, mais vient plutôt de la Chine et des pays de leur flanc sud. C'est donc un tableau très contrasté. Il y a une réelle bonne volonté, mais il y a encore beaucoup à faire. L'idée de faire du conseil OTAN-Russie un vrai outil a sûrement de l'avenir et permettra de faire avancer les choses. S'agissant de la défense antimissile, les dirigeants américains sont sincères quand ils tendent la main aux Russes. Leur engagement en faveur d'un « reset », d'une reconstruction de leur relation avec les Russes et l'offre qu'ils leur font de travailler ensemble n'est pas qu'une figure de rhétorique.
M. Christian Cambon. - Ne pensez-vous pas qu'il y ait une contradiction entre la volonté de construire une Europe de la défense et le renforcement de l'OTAN ? L'OTAN est financée par les Etats-Unis qui, compte tenu de la crise financière, en appellent à la solidarité européenne. Or les ressources sont comptées en Europe, et nombre d'Etats membres considèrent que tout effort financier en faveur de l'Europe de la défense conduit à diminuer les ressources disponibles pour l'OTAN, et donc interdit de répondre aux demandes américaines. Par ailleurs, il n'est pas impossible que les objectifs de l'Union européenne entrent un jour en contradiction avec ceux des Etats-Unis. Comment voyez-vous ces contradictions ? Une clarification est-elle possible ?
M. Bruno Racine. - La plus grande partie des membres de l'Union sont des membres de l'Alliance et vice-versa. C'est la raison pour laquelle, l'OTAN est le reflet d'une relation spéciale entre l'Europe et l'Amérique du Nord et cette spécificité sera réaffirmée dans le rapport qui va être remis la semaine prochaine. Il est vrai que les nouveaux entrants dans l'Europe voient l'OTAN comme le moyen de les protéger contre l'imprévisibilité de l'évolution de leur voisin russe. Néanmoins, j'ai trouvé chez les Polonais et les Estoniens - dont le membre qui faisait partie du groupe de travail est devenu ministre des affaires étrangères, ce qui garantira au moins une certaine continuité dans la position - un engagement européen sans aucune ambiguïté. Cela traduit peut-être une certaine déception vis-à-vis des Etats-Unis, en particulier à cause de la façon dont ces derniers ont géré la question des sites des radars de détection de tirs balistiques. Mais j'ai trouvé le discours polonais très mûr, bien différent des visions simplificatrices auxquelles on le résume parfois. Les difficultés sont peut-être plus à chercher chez certains anciens membres. Il reste le problème de la question de Chypre, qui empêche la relation OTAN - Union européenne de se développer comme elle le devrait. De plus, du côté des Etats-Unis, le changement est majeur. Les mises en garde contre les risques de duplication n'ont plus cours et l'appui à la défense européenne est réel. Le vrai problème, les vrais facteurs de faiblesse, aussi bien du côté de l'Union que de celui de l'OTAN, c'est la baisse, voire l'effondrement de l'effort de défense européen. Si pour les Etats-Unis, l'Europe ne fait pas l'effort de défense nécessaire, alors ils s'en détourneront. Il faut que les Européens assument leurs responsabilités.
M. Jean-Louis Carrère. - La crise imposera nécessairement une réduction du périmètre de l'OTAN. Dans ces conditions, pourquoi évoquer la possibilité d'étendre ses actions à des opérations civiles. Quelle est la position des Etats sur cette évolution ? Ne risque-t-on pas de générer des coûts supplémentaires et quelle est la place de l'Europe dans ce dispositif ? Sur la défense antimissile, les Etats-Unis ont été très clairs et du côté français, tout le monde affirme, au plus haut niveau de l'Etat, qu'il ne faut pas affaiblir la dissuasion. Le bouclier antimissile vise essentiellement des pays comme la Corée du Nord ou l'Iran. Il aura des retombées technologiques importantes et les Américains proposeront aux Européens de se joindre à eux. Qu'allons-nous répondre ? Par ailleurs, nous nous posons la question des effets bénéfiques de notre retour dans les structures militaires intégrées de l'OTAN.
M. Bruno Racine. - La crise renforce le besoin de réforme et fait ressortir la nécessité d'alléger la structure administrative et militaire. Du reste, le secrétaire général de l'OTAN a reçu un mandat pour aller en ce sens dans les meilleurs délais. S'agissant des capacités civiles, il faut partir du constat que les interventions militaires ne peuvent pas tout résoudre. Des pays comme le Royaume-Uni, le Canada, les pays nordiques en général, étaient extrêmement favorables au développement d'importantes capacités d'intervention civiles au sein de l'OTAN. Cette approche a suscité des réserves au sein du groupe d'experts. En effet, d'autres organisations, à commencer par l'Union européenne, ont des compétences et des ressources financières en la matière. Nous avons préconisé une approche plus réaliste. Il faut améliorer la capacité de l'OTAN à dialoguer avec les organisations qui ont un savoir-faire dans le domaine civil et développer des partenariats. Il s'agit de tirer les leçons de ce que l'on voit sur le terrain en Afghanistan. S'il n'y a pas de dialogue avec les organisations civiles, on court à l'échec.
La défense antimissile vise les missiles balistiques, et non les missiles de croisière, ce qui concerne donc effectivement les pays que vous avez cités. La défense antimissile, ce n'est pas une assurance en substitut de quelque chose. C'est un complément afin d'éviter que l'Iran ou la Corée du Nord ne se livrent à un chantage contre les Alliés.
Le poids de la France dans l'OTAN est plus important qu'on ne le croit en France. Pour les autres Européens, le retour dans la structure militaire voulu par le Président de la République a été déterminant et a levé les réticences de pays comme la Pologne. Le commandement de la transformation ACT était jusqu'alors en pratique purement américain. Il est en train de devenir authentiquement euro-atlantique. Le problème vient du déséquilibre croissant entre les capacités américaines et européennes. A part la querelle sur Chypre, il n'y a plus d'obstacle politique à l'avènement d'une identité européenne de défense forte.
M. Didier Boulaud. - Qui a formalisé le message que vous avez porté en votre qualité de membre du groupe de travail ?
M. Bruno Racine. - J'ai été désigné par le secrétaire général de l'OTAN, sur proposition du Président de la République, M. Nicolas Sarkozy. Mais je n'étais pas chargé d'exprimer la position officielle de la France. Chaque fois qu'il s'est agi d'exprimer une position officielle, c'est le représentant de la France auprès de l'OTAN qui l'a fait. Bien entendu, je suis resté en contact permanent avec la Présidence de la République, le ministère des affaires étrangères et le ministère de la défense. Mais, pas plus que mon collègue allemand, je n'ai dit : « mon gouvernement exige que ».
M. Robert del Picchia. - Le secrétaire américain à la défense, M. Robert Gates, envisage de réduire le budget américain de la défense. Quelles en seront les conséquences pour l'OTAN ?
M. Bruno Racine. - Un des moteurs de la transformation de l'Alliance, c'est effectivement la nécessité de réduire les dépenses et donc de liquider un certain nombre d'héritages de la guerre froide. Trois pays, qui sont aussi les plus importants par leur poids militaire, sont à la pointe du combat pour la réforme : les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France. D'autres, comme l'Allemagne, la Turquie pour des raisons différentes ou encore le Portugal, attaché à la présence d'un quartier général de l'OTAN sur son sol, paraissent moins allants.
Mme Bernadette Dupont. - Vous avez évoqué les attaques informatiques dont a été victime l'Estonie. Pouvez-vous donner davantage de précisions sur les conséquences de ces cyberattaques ?
M. Bruno Racine - Elles pourraient être catastrophiques. Une cyberattaque réussie provoquerait la paralysie d'un pays et peut même produire des catastrophes humaines. Si vous neutralisez par exemple le système de contrôle aérien, vous pouvez très bien avoir des avions qui se percutent, et de même pour les trains, etc... Face à cela, que doit faire l'OTAN ? A priori, la réponse à ce type d'évènements est plutôt une responsabilité nationale. Néanmoins c'est un problème qui nous concerne tous. L'OTAN, en tant que telle doit protéger d'abord ses propres infrastructures. Mais elle peut jouer un rôle de conseil pour les pays les plus petits, et, à plus long terme avoir des capacités dissuasives. Dissuader c'est d'abord identifier l'agresseur réel qui se masque derrière les paravents, c'est ensuite avoir une capacité de rétorsion. L'article 4 s'applique de façon évidente à ce genre d'attaques. Il faudrait commencer par un système d'alerte en temps réel, car nous savons que certains pays travaillent beaucoup sur la cyberattaque.
M. Josselin de Rohan, président. - Je vous remercie.
Service européen pour l'action extérieure - Examen du rapport et du texte proposé par la commission
La commission procède ensuite à l'examen, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, du rapport de M. Josselin de Rohan sur la proposition de résolution européenne n° 433 (2009-2010) présentée par M. Josselin de Rohan au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur le projet de décision du Conseil fixant l'organisation et le fonctionnement du service européen pour l'action extérieure (E 5220) et la proposition de règlement modifiant le règlement (CE, Euratom) n°1605/2002 portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes en ce qui concerne le service européen pour l'action extérieure (E 5216).
M. Josselin de Rohan, président. - Je ne reviendrai pas sur le projet de création du service européen pour l'action extérieure, que je vous avais exposé en détail lors de notre précédente réunion du 5 mai dernier.
Lors de cette réunion, je vous avais présenté une proposition de résolution européenne, afin que le Sénat puisse prendre position sur les principaux enjeux soulevés par la création de ce service.
A l'issue du délai fixé pour le dépôt des amendements sur cette proposition de résolution, je constate qu'aucun amendement n'a été déposé sur ce texte.
Je vous proposerai donc de l'adopter sans modification.
M. Robert Badinter. - La mise en place du service européen pour l'action extérieure constitue un sujet important qui soulève de réelles difficultés avec nos collègues députés membres du Parlement européen.
J'aurais d'ailleurs souhaité que ce sujet fasse l'objet d'une réunion commune avec les membres de la commission des affaires européennes, même si de nombreux membres de notre commission sont également membres de la commission des affaires européennes et s'il revient à la commission des affaires étrangères et de la défense de se prononcer en dernier ressort sur l'adoption de cette proposition de résolution.
Concernant le texte même de la proposition de résolution européenne, je souhaiterais vous faire part de quelques observations formelles.
A l'alinéa 9, la phrase selon laquelle « le Parlement européen ne dispose d'aucune légitimité pour exercer un contrôle d'opportunité sur l'action du service européen pour l'action extérieure » pourrait être précisée, étant donné qu'elle se réfère à la notion délicate de « légitimité ». Je vous proposerai donc de la remplacer par la formulation suivante : « considérant que les traités ne confèrent pas de compétence spécifique au Parlement européen pour intervenir dans le fonctionnement du service européen pour l'action extérieure ».
Nous sommes à un moment charnière pour l'Union européenne et ses Etats membres. Si nous en étions restés au respect formel de l'intergouvernemental, les décisions qui ont été prises le week-end dernier pour défendre l'euro ne l'auraient pas été. Nous sommes dans une période de renforcement de l'Union.
Je pense également souhaitable, d'un point de vue grammatical, de remplacer dans cet alinéa la conjonction « et » par « ni ».
M. Josselin de Rohan, président. - C'est une question très politique. Le Parlement européen désire accroître son pouvoir politique sur la décision et l'exécution de la politique étrangère commune à travers son pouvoir budgétaire en appuyant un rattachement à la Commission et en combattant l'idée d'un organisme sui generis. Il en va de même de son exigence d'auditionner les responsables des délégations avant leur nomination. Il souhaite enfin une prédominance des fonctionnaires de la Commission dans la composition du service, ce qui reviendrait - du fait de la part réservée aux diplomates d'origine des Etats membres - à limiter à la portion congrue la part des fonctionnaires issus du Conseil. Face à cela, il est important de réaffirmer que la politique étrangère commune ne pourra exister que s'il y a accord unanime des Etats.
J'en viens à présent à votre première observation. La création du service européen pour l'action extérieure est une question qui relève directement de notre commission et la procédure d'examen de cette proposition de résolution est conforme au règlement de notre assemblée.
A la demande du président de la commission des affaires européennes, notre collègue Jean Bizet, je présenterai la semaine prochaine une communication sur le projet de création du service européen pour l'action extérieure devant les membres de la commission des affaires européennes, notamment dans l'optique de la réunion conjointe avec les membres de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale et les députés français au Parlement européen, qui aura lieu le 26 mai prochain et dont l'un des thèmes à l'ordre du jour porte précisément sur cette question.
Même si je regrette que vous n'ayez pas déposé d'amendement sur le texte de la proposition de résolution avant l'expiration du délai limite, je suis toutefois disposé à prendre en compte vos observations qui me paraissent fondées.
J'accepte donc volontiers de modifier le texte dans le sens de vos remarques, sous réserve de remplacer le terme de « fonctionnement » par celui d'« action », étant donné qu'il ne s'agit pas de remettre en cause le contrôle budgétaire du Parlement européen mais le contrôle politique qu'il souhaite se voir attribuer sur l'action du service européen pour l'action extérieure.
M. Robert Badinter. - Je suis d'accord pour prendre en compte votre observation et modifier le texte de ma proposition d'amendement en conséquence.
Il ne s'agit pas en effet de remettre en cause le rôle du Parlement européen en matière budgétaire ni son droit d'être informé sur l'action du service européen pour l'action extérieure.
La récente crise de l'euro a démontré la nécessité de renforcer l'intégration européenne et de dépasser la coopération intergouvernementale.
Ainsi, il ne me paraît pas choquant que le Parlement européen puisse procéder à l'audition des candidats désignés pour être les chefs des délégations de l'Union européenne dans les pays tiers ou auprès des organisations internationales.
M. Josselin de Rohan, président. - Je ne partage pas votre point de vue. La politique étrangère et de sécurité de l'Union européenne ne sera réellement crédible et efficace que si elle s'appuie sur les diplomaties des Etats membres. Si le service européen pour l'action extérieure apparaît comme un instrument aux mains d'une seule institution, il existe un risque sérieux que les diplomaties nationales ne s'impliquent pas dans ce service. Il est donc très important, à mes yeux, que le service européen pour l'action extérieure soit réellement un service sui generis, équidistant de la Commission européenne et du Conseil et qu'il coopère étroitement avec les Etats membres. Si le service européen pour l'action extérieure devait être intégré au sein de la Commission européenne, comme le réclame le Parlement européen, cela affaiblirait inévitablement le lien avec les Etats membres.
Le Parlement européen a réclamé de pouvoir être associé à la procédure de nomination des chefs de délégation ou des représentants spéciaux de l'Union européenne, en procédant à leur audition préalablement à leur désignation, sur le modèle du Sénat américain. Toutefois, cette demande a été unanimement rejetée par les Etats membres et par le Haut représentant. En effet, cela reviendrait à reconnaître au Parlement européen un droit de veto de nature politique dans le choix des chefs de délégation ou des représentants spéciaux. Or, le pouvoir de nomination doit appartenir au Haut représentant.
Par ailleurs, il est important de veiller à ce que les diplomates nationaux soient suffisamment représentés au sein de ce service, par rapport aux fonctionnaires issus de la Commission européenne.
M. Robert del Picchia. - Certains de nos collègues députés européens, à l'image de M. Elmar Brok, ne cachent pas leur volonté de renforcer leurs prérogatives au détriment de celles des Parlements nationaux.
M. Jacques Blanc. - Il me paraît important de rappeler les stipulations des traités, de souligner le rôle des Parlements nationaux, tout en évitant d'être désobligeant vis-à-vis du Parlement européen.
La formulation proposée par notre collègue M. Robert Badinter, telle que modifiée par le président de la commission, me semble donc préférable.
Après l'avis favorable du rapporteur, et sous réserve d'une modification, l'amendement présenté par M. Robert Badinter, est adopté par la commission.
A l'alinéa 12, la commission est saisie d'une demande de précision.
M. Didier Boulaud. - Je m'interroge sur la rédaction de l'alinéa 12. Que faut-il entendre exactement par la phrase selon laquelle ce service devrait se voir reconnaître une « complète autonomie » en matière budgétaire et en termes de gestion des ressources humaines ? Est-ce que cela remet en cause le rôle du Parlement européen en matière budgétaire ?
M. Josselin de Rohan, président. - Pour les Etats membres, et comme il est indiqué dans le texte de notre résolution, ce service doit être un service sui generis, équidistant de la Commission européenne et du Conseil. Pour ce faire, il doit disposer d'une autonomie en matière budgétaire et en termes de gestion des ressources humaines. Il devrait donc disposer d'un statut similaire à celui d'une institution et d'un budget autonome au sein du budget général de l'Union européenne. En effet, dans le cas contraire, le Parlement serait tenté d'utiliser l'arme du budget pour peser sur les orientations de la politique étrangère de l'Union européenne, alors même que les traités ne lui reconnaissent pas une telle compétence. Il est toutefois évident que cette autonomie ne signifie pas qu'il n'est soumis à aucun contrôle budgétaire. Celui-ci est exercé naturellement par le Parlement européen dans le cadre des dispositions prévues par les traités européens.
A l'alinéa 13, la commission est saisie de plusieurs observations.
Mme Catherine Tasca. - Je m'interroge, pour ma part, sur la phrase figurant à l'alinéa 13 relative au périmètre du futur service européen pour l'action extérieure d'après laquelle « ce service doit se voir reconnaître, sous l'autorité du Haut représentant, un véritable rôle de chef de file dans l'élaboration des orientations stratégiques des instruments financiers extérieurs de l'Union européenne, et notamment de l'aide au développement ».
Je souhaiterais avoir des éclaircissements sur la nature exacte des attributions qui pourraient être confiées au service européen pour l'action extérieure dans ce domaine.
M. Josselin de Rohan, président. - Ce sujet a fait l'objet de difficiles négociations entre les Etats membres et la Commission européenne.
En effet, les Etats membres, à l'image de la France, souhaitent que le service européen pour l'action extérieure joue le rôle de chef de file dans l'élaboration des grandes orientations stratégiques des différents instruments financiers de l'Union européenne, comme le fonds européen de développement par exemple, même si leur gestion annuelle et leur mise en oeuvre devraient continuer de relever de la Commission.
La Commission européenne s'est toutefois montrée réticente à l'idée de confier ce rôle de chef de file au service européen pour l'action extérieure. Elle a plaidé pour que le travail de ce service soit réalisé sous le contrôle et la supervision des Commissaires européens compétents, à l'image du Commissaire européen chargé de l'aide au développement.
En définitive, le compromis trouvé lors du Conseil du 26 avril prévoit que le service européen pour l'action extérieure aura la responsabilité d'établir, en coopération avec les services compétents de la Commission, les propositions relatives à la programmation stratégique des instruments financiers, sous l'autorité du Haut représentant. En ce qui concerne le fonds européen de développement, l'instrument de financement de la coopération au développement et l'instrument européen de voisinage, ce travail sera opéré également sous la supervision et le contrôle des Commissaires européens compétents.
Ce rôle de chef de file conféré au service européen pour l'action extérieure pour la programmation pluriannuelle des instruments financiers permettra de renforcer la cohérence entre les priorités politiques de l'Union européenne et la définition des orientations de son aide financière.
M. Robert Badinter. - L'adjectif « véritable » me paraît superflu.
M. Jacques Blanc. - Ne serait-il pas souhaitable de préciser que ce rôle de chef de file ne joue que pour la phase de préparation des orientations stratégiques et que la définition de ces orientations reste du ressort des instances politiques ?
Après l'avis favorable du rapporteur, la commission adopte l'amendement présenté par M. Robert Badinter et celui présenté par M. Jacques Blanc.
M. Michel Billout. - Je voudrais rendre compte de la position des sénateurs membres du groupe Communiste, Républicain et Citoyen sur votre proposition de résolution.
Je rappelle que les membres de notre groupe s'étaient prononcés contre la ratification du traité de Lisbonne, que vous avez soutenu.
Nous partageons un certain nombre de préoccupations que vous avez exprimé dans votre proposition de résolution, telles que la nécessité pour ce service de disposer d'une complète autonomie en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines, le rappel que la politique étrangère et de sécurité commune reste de nature intergouvernementale et qu'à ce titre il ne doit pas y avoir de contrôle d'opportunité du Parlement européen sur l'action du service européen pour l'action extérieure, ainsi que la nécessité d'établir des contacts étroits entre ce service et les Parlements nationaux, afin que ceux-ci soient informés de la politique étrangère de l'Union.
Toutefois, notre divergence, et elle est fondamentale, porte sur l'opportunité même de créer ce service européen pour l'action extérieure.
Comme on peut le voir à propos de la crise économique ou de la crise de l'euro, les institutions européennes ne fonctionnent pas de manière efficace.
Par ailleurs, les Etats membres ne sont pas prêts à renoncer à leur politique étrangère au profit d'une politique étrangère de l'Union européenne ni à se mettre d'accord sur des positions communes.
Enfin, dans le contexte budgétaire actuel, on peut s'interroger sur l'opportunité de mettre en place un nouvel organisme, comptant entre 4 000 et 8 000 agents.
Pour ces raisons, les membres du groupe Communiste, Républicain et Citoyen voteront contre l'adoption de la proposition de résolution.
A l'issue de ce débat, la commission adopte le texte de la proposition de résolution ainsi modifié, les membres du groupe socialiste ne prenant pas part au vote et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen votant contre.
- Présidence conjointe de M. Josselin de Rohan, président, et de M. Jean Arthuis, président de la commission des finances -
Table ronde sur les orientations de la politique française en faveur du développement
Lors d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, conjointement avec la commission des finances, tient une table ronde, ouverte à la presse, sur les orientations de la politique française en faveur du développement, à l'occasion de la présentation par le Gouvernement d'un document cadre de coopération au développement. Cette table ronde met en présence :
- M. François Bourguignon, directeur de Paris School of Economics, ancien chef économiste de la Banque mondiale ;
- M. Serge Michaïlof, consultant international, enseignant à l'Institut d'études politiques de Paris, ancien directeur régional à la Banque mondiale ;
- M. Jean-Michel Severino, inspecteur général des finances, ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD) ;
- M. Jean-Louis Vielajus, président de Coordination Sud.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Le Gouvernement a entamé, il y a plusieurs mois, la rédaction du document cadre de coopération au développement qui doit fixer la stratégie de la France en matière de coopération pour la décennie à venir. L'absence d'une doctrine des pouvoirs publics français dans ce domaine a été soulignée à de nombreuses reprises. La préparation de ce document sera d'autant plus utile qu'elle est concomitante avec de nombreuses échéances telles que la préparation du prochain triennum budgétaire, la Conférence des Nations unies sur les objectifs du millénaire pour le développement, en septembre prochain, ou encore la préparation de la présidence française du G20 en 2011.
La rédaction de ce document se situe dans un contexte international qui contribue autant à renforcer la légitimité de l'aide au développement qu'à la remettre en cause.
Renforcer, parce que, depuis le début du siècle, de nombreuses crises ont montré combien le sous-développement du Sud, dans un monde de plus en plus interdépendant, pouvait être une menace pour le Nord. Le terrorisme comme la piraterie naissent dans des États en crises et des zones abandonnées du développement. Les grandes pandémies apparaissent dans les maillons faibles des systèmes de santé humaine et animale. Dans ce contexte, l'aide au développement est, avec notre diplomatie et notre défense, une dimension essentielle de la contribution de la France à un monde plus sûr.
Remise en cause, parce que, d'une part, l'essor de nouvelles puissances comme la Chine ou le Brésil remet en cause la catégorie même de pays en voie de développement et que, d'autre part, l'augmentation des risques liés au réchauffement climatique remet en cause le modèle de développement sur lequel s'était fondé, depuis un demi-siècle, ce type de politique.
Le ministre des affaires étrangères et européennes a souhaité consulter nos deux commissions sur un avant-projet qui vous a été communiqué. Nous avons voulu, avant de nous prononcer sur ce document, recueillir l'avis de quatre personnalités particulièrement qualifiées.
Cette table ronde sera suivie, le 26 mai prochain, par l'audition du ministre des affaires étrangères et européennes, qui viendra présenter le projet de document cadre devant nos deux commissions.
Pour nous éclairer sur les enjeux, les points forts ou les lacunes de ce document, quatre experts ont donc bien voulu répondre à notre invitation : M. François Bourguignon, ancien chef économiste de la Banque mondiale et directeur de la Paris School of economics ; M. Serge Michaïlof, consultant international, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, ancien directeur régional à la Banque mondiale, et auteur, le mois dernier, d'une somme sur ce sujet intitulée « Notre maison brûle au Sud» ; M. Jean-Michel Severino, qui était, il y a encore un mois, le directeur général de l'Agence française pour le développement (AFD), et dont le dernier ouvrage, « Le temps de l'Afrique » fera date ; enfin, M. Jean-Louis Vielajus, président de Coordination Sud, qui fédère l'ensemble des organisations non gouvernementales spécialisées dans l'aide au développement.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Comme vient de le rappeler le président de la commission des affaires étrangères, le Gouvernement a souhaité associer le Parlement à la consultation menée en vue de l'élaboration d'un document cadre pour notre politique de coopération au développement, document appelé à servir de référence pour l'ensemble des acteurs de cette politique. C'est une initiative dont les parlementaires ne peuvent évidemment que se féliciter. Je me réjouis, en outre, qu'elle soit l'occasion de deux réunions communes avec la commission des affaires étrangères : d'abord, aujourd'hui, cette table ronde, ouverte à la presse, qui va nous permettre d'entendre le point de vue d'experts de l'aide publique au développement ; puis, le 26 mai prochain, l'audition du ministre des affaires étrangères et européennes, pour la présentation de son projet de document cadre.
La commission des finances, en la matière, sera naturellement attentive aux enjeux qui la concernent le plus directement, c'est-à-dire les questions de financement. Il s'agit pour nous de faire le point, schématiquement, sur deux grands aspects, et sur la manière dont le futur document cadre peut en rendre compte.
En premier lieu, il nous faut considérer les masses financières à mobiliser en faveur de la coopération au développement, dans le contexte de ressources publiques que chacun sait fortement contraintes. Quelles priorités budgétaires doivent-elles être retenues en ce domaine ?
Pour mémoire, l'effort public français global en faveur du développement, tel que le calcule le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE, a représenté 7,6 milliards d'euros en 2008 et est évalué à hauteur de 8,5 milliards d'euros en 2009. Au seul plan budgétaire, la loi de finances initiale pour 2010 a prévu 6,2 milliards d'euros de crédits pour l'aide au développement, répartis sur onze missions.
Cet effort important fait de la France le deuxième contributeur parmi les membres du G7, après le Royaume-Uni, par rapport au revenu national brut (RNB). Peut-il être maintenu ? Dans quelle mesure doit-il être réorienté ?
En 2008, nous avons consacré 0,39 % de notre RNB à l'aide publique au développement ; l'estimation est de 0,44 % pour 2009. Or la France s'est engagée à consacrer à cette aide, à l'horizon 2015, quelque 0,7 % du RNB. Un tel engagement est-il tenable ?
En second lieu, il s'agit de s'intéresser à l'éventail des outils de financement disponibles, et d'envisager comment les optimiser. En particulier, l'aide publique française au développement s'exerce de plus en plus par le canal multilatéral et européen. Ainsi, en 2008, si l'on retient seulement l'aide dite « programmable » (c'est-à-dire hors dépenses constatées ex post), la part bilatérale, qui ne représente que 40 %, a été minoritaire. Quel serait, à cet égard, le bon équilibre ?
Un autre sujet important tient à l'essor des financements dits « innovants », pour la promotion desquels la France joue un rôle moteur. Ainsi, la contribution de solidarité sur les billets d'avion, instaurée par notre pays en 2006, a rapporté 160 millions d'euros en 2009 ; ce produit permet de financer l'accès aux vaccins et médicaments dans les pays en développement. Quel est le potentiel de semblables mécanismes de taxation d'activités économiques internationales ?
Sur l'ensemble de ces aspects, le rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement », notre collègue Yvon Collin, qui vient de « succéder » à notre ancien collègue Michel Charasse, aura certainement matière à questions. Mais nous pouvons commencer par entendre les premières réflexions que suscite, parmi les quatre experts ici présents, l'élaboration du document cadre de coopération au développement.
M. Jean-Michel Severino, inspecteur général des finances, ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD). C'est pour moi un honneur et un plaisir de participer à cette table ronde. Je tiens d'abord à signaler que mon point de vue sur le document cadre est nécessairement un peu « biaisé » car, dans l'exercice de mes anciennes fonctions de directeur général de l'AFD, j'ai participé, aux côtés d'autres acteurs de l'aide publique au développement, à son élaboration. Sous cette réserve, je formulerai pour commencer deux observations d'ordre général.
Tout d'abord, ce document est fondé sur l'idée que l'aide au développement ne s'inscrit plus désormais dans une démarche caritative, ou compassionnelle ; elle consiste en une véritable politique publique, que justifient les interdépendances mondiales apparues dans les dernières décennies. En effet, on a bien pris conscience, aujourd'hui, que l'échec économique des pays d'Afrique ou d'Asie comme leur réussite, d'ailleurs est susceptible d'engendrer des conséquences déstabilisantes pour les pays d'Europe. Des enjeux migratoires, économiques, environnementaux, voire de sécurité, pour l'Occident, résultent directement de la situation des autres régions du monde.
Ensuite, l'aide au développement n'apparaît plus comme une aide en faveur de pays pauvres indifférenciés : elle est désormais consacrée à des thèmes prioritaires, distincts selon les zones du globe et tenant compte des intérêts de la France dans chacune. Cette situation justifie les objectifs spécifiques retenus pour le document cadre.
Au stade où il se trouve de son processus de rédaction, ce document appelle de ma part quatre commentaires plus précis.
En premier lieu, il conviendrait d'étendre le champ des actions couvertes, car le projet de document se concentre sur une notion étroite de l'aide publique au développement (APD), en ne visant que des instruments de financement. Ainsi, les aspects culturels et de recherche sont ignorés, bien qu'ils représentent un aspect substantiel de l'APD entendue au sens large.
En deuxième lieu, la question de la « soutenabilité » budgétaire de l'aide publique au développement n'est pas abordée dans le projet de document. Elle est pourtant essentielle, tant il est certain que l'ambition relative aux moyens conditionnera celle des objectifs. En outre, les opérateurs de l'APD aspirent à une meilleure prévisibilité, au moins sur une période de trois ans, des moyens mis à leur disposition. Cet aspect doit donc être amélioré, en associant une prévision quantitative aux objectifs présentés, tout en conservant au document cadre la dimension opérationnelle nécessaire. Par ailleurs, l'élaboration de ce document doit être l'occasion de faire progresser la recherche en matière de financements innovants.
En troisième lieu, ce document devrait, je pense, prévoir une stratégie plus « offensive » à l'égard de l'APD assurée par le canal multilatéral et européen. Durant les dernières années, en effet, on a assisté à un recours important à l'aide multilatérale, au détriment de l'aide bilatérale, dont la part relative est devenue minoritaire en ce qui concerne les subventions. Cette intervention multilatérale de la France, indispensable, se trouve fortement contrainte par nos engagements internationaux, sauf pour notre pays à accepter de quitter le rang qui est le sien dans un certain nombre d'enceintes. Mais il est très difficile de peser sur la programmation des organisations internationales ; c'est d'ailleurs plus difficile encore au niveau européen qu'au niveau international à proprement parler. Il me paraît donc opportun de définir un objectif d'influence en la matière.
En dernier lieu, il me semble que l'élaboration d'un document cadre de coopération au développement devrait être l'occasion de réfléchir à deux enjeux connexes :
- d'une part, la communication de la France sur sa politique d'aide au développement, envers sa propre opinion publique. En effet, la société civile s'avère très favorable à cet effort de solidarité, comme en témoigne le soutien important qu'elle apporte aux organisations non gouvernementales. En revanche, elle se montre sceptique à l'égard de la mise en oeuvre de l'aide au développement par des moyens publics. Pour conserver à cette politique sa crédibilité, un travail d'explication est donc à fournir en direction du citoyen et du contribuable ;
- d'autre part, la valorisation de la recherche sur cette politique, car force est de constater que, malgré d'éminents spécialistes dont certains sont ici présents aujourd'hui, la production académique, sur le sujet, est relativement faible. Par nature, il s'agit d'un domaine où les financements ne sont pas aisés à trouver. Pourtant, cette recherche est nécessaire en vue de structurer une politique publique d'aide au développement qui puisse prétendre à une influence mondiale.
M. Serge Michaïlof, consultant international, enseignant à l'Institut d'études politiques de Paris, ancien directeur régional à la Banque mondiale. Ce document cadre est un bon document de synthèse des enjeux actuels de l'aide au développement. Son défaut principal - mais on ne peut le reprocher à ses auteurs, qui appartiennent à l'administration - est qu'il ne procède pas assez clairement à la forte analyse critique, indispensable, des faiblesses de la politique actuelle de coopération française. Il ne répond pas suffisamment non plus aux interrogations que l'opinion publique et les responsables politiques sont en droit de se poser. La France se targue d'être parmi les tout premiers donateurs mondiaux en termes d'aide publique au développement, le 2ème en 2009, avec près de 9 milliards d'euros. Mais, en même temps, il est pour le moins surprenant de constater que, malgré ces chiffres flatteurs, la France n'est plus un acteur significatif sur de nombreux terrains qui sont importants, soit pour des raisons d'éthique ou historiques, tels les pays les plus pauvres d'Afrique, en particulier le Sahel francophone, soit pour des raisons relevant de notre politique étrangère, tels les pays très fragiles ou sortant de conflits d'importance géopolitique reconnue. L'aide bilatérale effective sur le terrain a pratiquement disparu et représente 2 centièmes de l'APD globale, soit environ 175 millions d'euros sur 9 milliards. L'influence de la France sur la politique conduite par les grands multilatéraux, qui sont les grands bénéficiaires de notre aide effective (Banque mondiale, Banque pour la reconstruction et le développement, et Union européenne), est finalement négligeable.
Alors que la France est absente sur des terrains essentiels comme les pays les plus pauvres d'Afrique, on se demande ce qu'elle fait en Chine qui est le 6ème bénéficiaire de notre aide, en Inde et au Brésil, qui deviennent des puissances économiques mondiales et des concurrents. Où se trouve donc finalement la cohérence de tout ceci ?
Derrière cette critique et cette interrogation, en fait, deux principaux problèmes se font jour de longue date:
- premièrement, le concept d'aide publique au développement est un fourre-tout statistique : on y trouve nombre de dépenses qui n'ont aucun rapport avec une aide de terrain effective, telles que les annulations de dettes, la prise en charge du coût des étudiants étrangers, des frais administratifs, des dépenses pour Mayotte, Wallis et Futuna. En même temps, il ne prend pas en compte nombre d'efforts qui relèvent clairement d'une aide au développement, comme les garanties apportées par l'Agence française de développement, les prises de participation de Proparco, le montant des dotations privées des organisations non gouvernementales (ONG) bénéficiant de déductions fiscales. C'est un indicateur daté et qui ne reflète plus l'effort effectif en matière d'aide au développement. Ainsi, le volume d'activité du groupe AFD doit s'élever à environ 6 milliards d'euros, mais ne relève de l'APD qu'un montant de l'ordre de 1,5 milliard ;
- deuxièmement, lorsqu'on soustrait, des montants officiels d'APD, les opérations qui ne relèvent pas, en réalité, de cette aide, il reste quand même des sommes considérables, consacrées à la conduite effective de projets et programmes de terrain. Cette aide réelle représente environ la moitié de l'effort officiel d'APD évalué, pour 2009, à 9 milliards d'euros. Toutefois, une bonne part correspond à des prêts concessionnels de l'AFD, qui en fait certes un bon usage, mais qui semble inverser les priorités dans la mesure où c'est la nature des instruments d'aide, et non l'objectif politique, qui détermine le choix des pays et la nature de l'action de coopération. Ainsi, lorsque l'on privilégie le prêt au détriment des subventions, on s'interdit d'intervenir dans les pays les plus pauvres, en particulier sur les thématiques sans rentabilité financière avérée. Mais, surtout, l'essentiel des ressources correspondant à des subventions qui permettent d'intervenir dans les pays les plus pauvres ou sur des thématiques sans rentabilité directe, est géré par les institutions multilatérales, soit environ 2,8 milliards sur 3 milliards d'euros, ceci sans que nous nous soyons donné les moyens de guider ou d'influencer sérieusement leur action et leur politique.
Le solde résiduel de nos ressources en subvention pour notre aide bilatérale a fondu depuis 15 ans. Il reste environ 200 millions d'euros par an pour servir plusieurs dizaines de pays, sans compter les urgences telles que Haïti ou les Territoires palestiniens. Face à cette situation, nous sommes sans moyens d'action effectifs pour répondre à nos préoccupations propres, qu'il s'agisse d'intervenir dans des pays pauvres où nous avons des enjeux géopolitiques, comme ceux du Sahel, ou sur des thématiques importantes, comme le développement rural pour lequel nous avons une expertise ancienne avérée.
Cette situation s'explique par un faisceau de raisons : tout d'abord une absence de définition claire des objectifs de notre politique de coopération, critique à laquelle répond intelligemment ce document cadre. Ensuite, une confusion entre coopération et charité publique qui conduit à deux erreurs graves : en premier lieu, à se fixer des objectifs essentiellement comptables au lieu d'ambitions d'efficacité en fonction d'objectifs politiques clairs. En second lieu, cette vision caritative de notre coopération conduit à sous-traiter la gestion de l'essentiel de notre aide aux multilatéraux mais sans se donner les moyens de guider ou au moins d'influencer effectivement leur action. Enfin, les régulations budgétaires portent systématiquement sur l'aide bilatérale car les aides multilatérale font l'objet d'engagements pluriannuels et leurs bénéficiaires ont des capacités de pression ou d'agitation médiatique qui amènent à préférer couper dans l'aide bilatérale qu'aucun lobby dangereux ne va défendre. J'ajoute que la présentation des budgets de la coopération est d'une opacité exceptionnelle, à tel point que les experts eux-mêmes ne s'y retrouvent pas.
Il importe, dans ce contexte, de repartir d'une définition claire des objectifs de notre politique de coopération, et ici je partage largement l'analyse à laquelle procède le document cadre.
Comme le souligne ce document, dans un monde globalisé, interdépendant et soumis à de très fortes tensions, et dans lequel le Sud va connaître des graves crises sociales, environnementales et sécuritaires, qui auront nécessairement des répercussions sur notre pays et sur l'Europe, il faut se fixer quatre grands objectifs de nature politique, qui doivent permettre de décliner nos priorités géographiques, la nature des instruments que l'on utilisera, et enfin nos priorités sectorielles. J'observe que ce dernier sujet n'est pas traité dans ce document, car ces objectifs portent, pour l'essentiel, sur des zones géographiques différentes et exigent le recours à d'autres instruments.
Il me semble que le premier objectif sur lequel porte le consensus doit être de faciliter le rattrapage économique des pays du Sud. Cela concerne principalement, pour la France, bon nombre de pays du Bassin méditerranéen, les pays stables bien gérés de l'Afrique subsaharienne et les pays de la péninsule indochinoise. Notre aide doit ici jouer un rôle de catalyseur vis-à-vis des ressources financières internes et internationales. Les instruments doivent prendre la forme de prêts plus ou moins concessionnels et recourir à la gamme des divers instruments financiers innovants pour favoriser notamment l'essor du secteur privé. Un grand enjeu sera l'Afrique où il convient de faciliter la diversification de ses économies qui sont restées très liées à des activités de rente. En ce domaine, l'AFD fait du très bon travail. Il faut essentiellement poursuivre l'effort engagé.
Le deuxième objectif doit être de lutter contre les déséquilibres économiques et sociaux les plus criants, dans la logique des objectifs du millénaire, en contribuant à la mise en place d'un filet social minimal au plan mondial, mais aussi en contribuant à la constitution d'agricultures performantes et durables. En ce domaine, pour la France, la cible géographique doit être, en priorité, les pays les plus pauvres de son champ historique, en particulier le Sahel francophone. In fine, l'objectif est de réduire les trop graves inégalités au plan social, de stabiliser les populations, d'aider à construire des Etats viables et des institutions modernes, dans un souci qui, sur le long terme, recoupe les préoccupations sécuritaires et de contrôle des flux migratoires qui nous sont propres. La coopération française doit servir de « poisson pilote » aux grands multilatéraux. Pour cela, elle doit disposer de ressources significatives en subventions, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, et mettre en place une politique de réelle influence auprès des agences multilatérales comme savent le faire les Britanniques. Il s'agirait de revoir la répartition bilatérale/multilatérale au profit de l'aide bilatérale. Mais c'est une tâche qui va être extrêmement difficile.
Le troisième objectif doit être de faciliter le renforcement des Etats particulièrement fragiles et la stabilisation des Etats tel que l'Afghanistan, la République démocratique du Congo ou Haïti, susceptibles de devenir des maux publics régionaux et potentiellement mondiaux. Il s'agit ici d'une action qui doit être complémentaire d'éventuelles actions militaires ou sécuritaires conduites par la communauté internationale. L'objectif est ici aussi que la France puisse faire entendre sa voix dans les enceintes internationales et influencer les mécanismes de gouvernance concrète d'une aide internationale, qui, dans ces situations, s'est pour l'instant révélée particulièrement inefficace, lourde et pratiquement autiste. La réalisation de cet objectif suppose, là aussi, un minimum de ressources distribuées sous forme de subventions bilatérales. La France, faute de ressources en subventions bilatérales a été totalement absente en ce domaine pourtant critique. Alors qu'elle n'a pas hésité à mobiliser des moyens militaires, elle n'a jamais pu mobiliser les ressources financières en subventions qui lui auraient permis d'influer sur les politiques d'aide de la communauté internationale. Nous organisons les grandes conférences internationales mais nous ne sommes pas aux réunions clés ou se décident concrètement la nature et les objectifs des programmes d'aide. En Afghanistan, qui restera comme un cas d'école en matière d'inorganisation de l'aide internationale, les chiffres sont accablants : les chiffres de décaissement de l'aide publique du CAD de l'OCDE sont, pour l'année 2007, les suivants : aide française : 2 millions de dollars, Canada : 240 millions de dollars, Grande Bretagne : 171 millions de dollars, Pays Bas : 55 millions de dollars.
Le quatrième objectif est de participer, dans les grands pays émergents, à la redéfinition des politiques publiques portant sur la gestion d'un certain nombre de biens publics mondiaux dont la destruction en cours pose un problème existentiel à l'humanité. Les instruments à utiliser sont le prêt, peu concessionnel, ainsi que les transferts intellectuels. Ici, la construction de partenariats se substitue à une politique d'aide et préfigure de futures politiques publiques globales. L'AFD a fait, dans ce domaine, un travail remarquable au cours des dernières années. Il lui faut poursuivre son action et Jean-Michel Severino en parlera mieux que moi.
En conclusion, trois mesures fortes sont maintenant indispensables pour réorienter et réintroduire une réelle cohérence dans notre politique de coopération :
- premièrement, définir clairement les objectifs de cette politique, sachant que ceux-ci ne sont pas exclusivement caritatifs. Ils doivent se situer au confluent des intérêts des pays concernés et de nos propres intérêts. Ils relèvent donc aussi de notre politique étrangère et doivent refléter nos préoccupations propres comme la gestion de la mondialisation, le contrôle des flux migratoires à long terme et la stabilisation des zones sensibles où nous avons des intérêts à long terme comme le Sahel ;
- deuxièmement, redéfinir la répartition de notre aide. Le problème sera de revenir sur des arbitrages anciens, effectués sans consultation du politique, mais qui nous engagent sur une base pluriannuelle. Il est en particulier indispensable de revenir sur cette ancienne décision, jamais explicitée, qui a sacrifié l'aide programmable bilatérale en subventions au profit des grands multilatéraux (Banques régionales de développement, Banque mondiale), des canaux européens, et des fonds des Nations unies. Pourquoi devrions nous chercher à tout prix à rester le deuxième contributeur du Fonds européen de développement (FED) si la bureaucratie de Bruxelles ne nous écoute pas ? Pourquoi vouloir garder un rang à la Banque mondiale qui ne correspond pas à nos moyens si nous ne pouvons orienter son action ni par notre présence dans des cofinancements ni par une forte présence humaine à des postes de management ? Il faut également réexaminer le dosage de nos ressources entre ces subventions bilatérales programmables réduites aujourd'hui à néant et les autres usages de nos ressources que sont les bonifications de prêts AFD et la prise en charge sans limites du coût des étudiants étrangers dans la plus grande anarchie. Ces décisions sont éminemment politiques sachant que les nécessaires arbitrages pour modifier la position du curseur seront très difficiles. En effet, dans un contexte budgétaire dramatique, toute modification de l'équilibre actuel se heurtera à des lobbys actifs. Il serait enfin souhaitable de réaffecter à l'aide bilatérale programmable en subventions les mesures d'économies qui sont envisageables, telles que la réduction significative de notre dispositif diplomatique actuellement surdimensionné ou une plus grande sélectivité dans la prise en charge du coût des étudiants étrangers. Un grand travail reste à faire, en particulier en réduisant notre contribution aux instances européennes et en procédant à un ménage approfondi de nos contributions à une myriade de fonds des Nations unies, dont certains n'ont aucune efficacité sur le terrain ;
- troisièmement, sécuriser les budgets affectés sous forme de subventions pour notre aide bilatérale qui, ne faisant pas l'objet d'actions de lobbying, sont les proies naturelles de réduction de crédits plus faciles à effectuer qu'au niveau des budgets multilatéraux faisant l'objet d'engagements pluriannuels. Diverses pistes sont possibles : la constitution de fonds spécialisés sécurisés tels qu'un fonds post conflit, un fonds Sahel, etc., et l'affectation à ces fonds d'une partie des ressources provenant d'une future fiscalité internationale.
M. François Bourguignon, directeur de Paris School of Economics, ancien chef économiste de la Banque mondiale. En premier lieu, je tiens à féliciter les auteurs du rapport sur l'avancée des travaux concernant le document cadre de la coopération française au développement, qui nous a été confié. N'ayant pas participé aux réunions de travail, j'ai un regard neuf à apporter pour proposer des améliorations à ce document.
Le document cadre présente une analyse excellente et très fine du problème de la coopération pour le développement dans le monde d'aujourd'hui, car il intègre à la fois la réalité, les enjeux et le phénomène de la globalisation.
Il s'agit toutefois d'un document trop général. C'est un document cadre, il est normal qu'il commence par une analyse contextuelle. Cependant, il faut sans doute mieux distinguer les objectifs de l'aide au développement en général, de ceux que la France souhaite poursuivre dans ce domaine compte tenu de ses intérêts et de ses moyens. S'agissant, par exemple, de l'aide bilatérale et de l'aide multilatérale pour le développement, il faut avoir à l'esprit que la position des instances multilatérales n'est pas forcément la même que celle des pouvoirs publics français.
En outre, l'APD désigne seulement une petite partie des flux de financement du Nord vers le Sud. L'APD française s'élève à environ 9 milliards d'euros, mais il faut opposer ce montant aux 600 milliards d'euros que représente le total.
Le document évoque, par exemple, la répartition des «clients» de l'aide en zones géographiques essentielles aux «intérêts français et européens» de la France. Il conviendrait de mieux définir ces intérêts. De même, la question du partage des tâches et des financements entre les pays du Nord selon les secteurs ou les pays mériterait d'être approfondie.
Je vais donc me concentrer sur des éléments de détail. Il faut bien distinguer les politiques d'aide publique au développement susceptibles d'être poursuivies dans les pays émergents de celles pratiquées dans les pays en développement et en particulier en Afrique subsaharienne.
En Afrique subsaharienne, il faut distinguer les pays stables pourvus d'une gouvernance satisfaisante des pays les plus vulnérables. Dans la première catégorie, on constate une modification des modalités de l'aide, avec les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et la Conférence de Monterrey en 2002. Depuis cette date, les gouvernements des pays aidés sont mieux impliqués dans la définition de la stratégie de développement poursuivie par les bailleurs de fonds. Le recours au soutien budgétaire a progressé dans les pays qui bénéficient d'une bonne gouvernance. Le modèle de politique de coopération soutenu par les organisations multilatérales, qui s'est ainsi imposée depuis les conférences de Monterrey et de Paris, donne globalement satisfaction.
En revanche, dans le cas des Etats dits fragiles, la différenciation entre aide bilatérale et aide multilatérale devient capitale. En effet, lorsque l'aide consiste à favoriser la reconstruction d'institutions, l'aide publique au développement dépasse la dimension strictement financière et monétaire et concerne des questions d'assistance technique et d'aide au maintien de l'ordre public et de la sécurité. Le document cadre doit rappeler que dans ces situations l'aide bilatérale doit être mobilisée car elle est plus appropriée.
Lorsqu'on considère les OMD, on constate qu'ils couvrent de nombreux domaines, comme la réduction de la pauvreté, l'amélioration de la santé, l'accès à l'eau potable, l'éducation. Mais les OMD n'insistent pas assez sur le rôle des dépenses d'infrastructures. Ces dernières ont un impact direct sur la croissance économique et expliquent, par exemple, la sympathie à l'égard des Chinois, dans les pays d'Afrique où ils construisent des infrastructures, même s'ils le font avec des ouvriers venus de Chine. Cependant, le financement des politiques d'infrastructures lourdes est plus difficile à justifier en raison des fuites potentielles de l'APD via la corruption.
Le rapport pose le problème de savoir en quoi consiste le développement africain. On observe, depuis plusieurs années, une croissance forte. Ce résultat est-il dû à un changement dans la gouvernance et les politiques économiques ? Est-il lié aux effets des politiques de formation et de consolidation des institutions ? Le développement africain a-t-il, à l'inverse, simplement bénéficié d'une conjoncture favorable des prix des matières premières ?
On peut se demander si les pays africains sont seulement des pays rentiers de ressources naturelles ou s'ils peuvent se diriger vers une réelle industrialisation, ce qui supposerait d'accorder à l'Afrique de réelles préférences commerciales, qui ne sont pas encore assez développées.
Du côté des pays émergents, la France peut jouer un rôle important, non pas en accordant des moyens de financement supplémentaires mais plutôt en termes de coopération technique, d'apport intellectuel en matière de coopération et de reconstruction institutionnelle.
M. Jean-Louis Vielajus, président de Coordination Sud. Je souhaite d'abord remercier la commission des affaires étrangères et la commission des finances du Sénat pour leur invitation. Je me réjouis de cette heureuse initiative, qui en prolonge deux autres :
- d'une part, celle du comité interministériel de la coopération internationale et du développement du 5 juin 2009 (CICID) qui, sous l'impulsion du comité d'aide au développement de l'OCDE, a décidé l'élaboration d'un document cadre pour la politique de coopération au développement ;
- d'autre part, celle du ministère chargé des affaires étrangères, qui dans cette perspective a organisé une importante consultation, à laquelle ont participé, notamment, les organisations non gouvernementales et les collectivités territoriales.
Le projet de document cadre, au stade où il se trouve, me paraît globalement très satisfaisant. Cependant, je suis réservé sur l'approche de l'aide publique au développement qui a été retenue en termes de risques : risque climatique, risque financier, risque alimentaire, trafics, terrorisme... C'est une justification de notre politique d'aide au développement, par des impératifs de sécurité, qui me semble très anxiogène ! Il serait préférable de faire passer à l'opinion publique, dont le soutien à cette politique est nécessaire, le message selon lequel, dans un monde devenu interdépendant, la France doit assumer sa part de responsabilité face à un risque de nature globale.
Au-delà de cette remarque d'ordre général, je formulerai plusieurs remarques ponctuelles :
- sur les objectifs du millénaire pour le développement, d'abord. Il est entendu qu'il reste beaucoup à faire pour que ces objectifs puissent être atteints. Toutefois, l'effort en la matière ne doit pas s'en tenir à une dimension caritative ou compassionnelle ; il est aussi nécessaire de l'inscrire dans la promotion des droits économiques et sociaux, en cherchant à pérenniser l'accès des populations aux services essentiels ;
- sur la préservation des biens publics mondiaux, ensuite. Dans la mesure où cet enjeu ne relève pas seulement de l'aide au développement, il conviendrait qu'un périmètre clair soit tracé, en ce qui concerne ces biens, dans le futur document cadre ;
- sur l'aide apportée aux pays fragiles. Coordination Sud est naturellement favorable à cette aide, mais nous souhaitons que soit évitée, en ce domaine, la confusion entre l'aide humanitaire, en principe limitée dans le temps, et la véritable aide au développement, qui a vocation à être durable ;
- sur la mise en oeuvre des priorités retenues. Le projet de document cadre met l'accent, de façon pertinente, sur la nécessaire appropriation des politiques publiques par la population des pays aidés. Cette approche par la gouvernance démocratique est préférable à celle qui a pu être menée, naguère, en termes de « bonne gouvernance ». Le souci marqué pour la recherche d'une cohérence entre l'APD française et les autres politiques de développement constitue également un progrès ;
- sur le financement, enfin. Chaque année, en décortiquant le projet de loi de finances initiale, Coordination Sud met au jour qu'environ 25 % des crédits officiellement inscrits en faveur de l'APD ne correspondent pas, en réalité, à de l'aide au développement. Ce sont les frais d'écolage d'étudiants étrangers, les transferts à Wallis-et-Futuna, des annulations de dette qui restent sans effet réel... Il est certain qu'il sera difficile d'atteindre l'objectif de 0,7 % du RNB consacré à l'APD. Une partie de la solution serait peut-être de comptabiliser à la fois les flux publics et les flux privés, notamment les investissements des entreprises à l'étranger.
Par ailleurs, il est nécessaire de poursuivre la réflexion sur la mise en place de financements innovants, en vue d'assurer des ressources pérennes à l'aide publique au développement, ainsi que la Gouvernement s'y est engagé. Il est également indispensable d'améliorer la prévisibilité des ressources disponibles en la matière, comme M. Jean-Michel Severino l'a indiqué. J'ajoute qu'il faudrait en finir avec les effets d'annonce lesquels, la plupart du temps, se bornent à présenter de manière nouvelle des crédits déjà ouverts antérieurement.
Pour le reste, il est certain que la crédibilité du document cadre sera fonction des estimations financières qui pourront lui être associées.
En outre, je forme un rêve : plusieurs Etats européens ont mis en place un débat parlementaire régulier sur leur politique publique d'aide au développement, et ont recours à des lois de programmation en ce domaine. Pourquoi la France ne se doterait-elle pas d'un même dispositif ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Merci, Messieurs, pour ces réflexions très éclairantes. J'observe d'ores et déjà que la poursuite de notre aide publique au développement devra s'inscrire, en tout état de cause, dans un débat budgétaire pour l'exercice 2011 qui sera soumis à une forte exigence de rigueur. L'effort d'explication en direction de nos concitoyens n'en sera que plus nécessaire. Quel est le point de vue du rapporteur spécial ?
M. Yvon Collin, rapporteur spécial de la commission des finances pour la mission « Aide publique au développement ». Comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, je ne suis en charge de la mission « Aide publique au développement » que depuis peu de temps. Aussi, j'avoue mon humilité devant des enjeux importants et une matière très dense. Je n'en tiens pas moins à complimenter les intervenants de cette table ronde pour la qualité de leurs propos. Leurs exposés ont largement répondu aux questions que je m'apprêtais à poser au début de cette réunion, et je les en remercie.
Il est certain que l'aide publique au développement constitue une politique essentielle pour le rayonnement de la France dans le monde, en même temps qu'un sujet sensible pour l'opinion publique. Aussi, je serai particulièrement attentif au contenu du document cadre qui nous sera soumis par le Gouvernement, avec une préoccupation toute particulière, comme il est naturel, pour les aspects financiers et budgétaires. Comme le Président Arthuis vient de le suggérer, ce sont des questions sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir dans les prochains mois.
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour la mission « Aide publique au développement ». Je voudrais d'abord féliciter les intervenants pour la clarté de leurs propos. L'aide au développement est un sujet complexe. Je le mesure au fur et à mesure des très nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé cette année avec mon collègue et co-rapporteur André Vantomme qui regrette de ne pas pouvoir être ici avec nous aujourd'hui. Ils ont su mettre en lumière de façon particulièrement limpide les principaux enjeux auxquels nous devons faire face.
Je suis heureux que nous ayons ce débat aujourd'hui. J'avais demandé lors de l'examen du budget que ce document cadre fasse l'objet d'un débat au Parlement. Je me félicite que le ministre des affaires étrangères ait pris cette initiative. Je crois que le Parlement français, comme les Parlements espagnol ou anglais, doit se saisir de ces questions. Je crois, avec M. Vielajus, qu'il faut rêver et que ce type de document pourrait, à terme, faire l'objet d'une adoption par le Parlement au même titre que d'autres lois d'orientation.
Je me félicite que, pour la première fois, un document définisse les objectifs et les instruments de notre politique de coopération à l'issue d'une analyse stratégique des enjeux actuels. Je suis d'accord avec les intervenants. Le contexte a changé et le document a le mérite de bien identifier les enjeux nouveaux et notamment ceux liés à la préservation des biens publics mondiaux. Je crois également que l'instauration de mécanismes de solidarité internationale au profit des populations les plus pauvres, à l'instar de ce qui a été fait à travers les objectifs du millénaire pour le développement, sont au coeur de notre politique en faveur du développement. Je pense aussi qu'il nous faudra aider les pays émergents à orienter leur modèle de croissance dans le sens d'une plus grande préservation de l'environnement. On l'a vu lors de la conférence de Copenhague : sans un effort de notre part, ces pays ont beau jeu de nous dire que les préoccupations environnementales sont secondaires par rapport à l'objectif de rattrapage économique.
La préoccupation de la représentation nationale en matière d'aide au développement, comme dans d'autres domaines, est la bonne utilisation des deniers publics. De ce point de vue, on peut regretter que le document cadre ne contienne ni évaluation des politiques passées, ni chiffrage des actions à venir. Si on peut comprendre qu'il est difficile, dans le contexte actuel, d'établir une stratégie budgétaire pour les dix années à venir, il aurait été sans doute souhaitable que ce document donne des indications en termes de pourcentages, en fonction des priorités. Sans aucune donnée chiffrée, il prend le risque de n'être qu'un document d'intention.
Au-delà des 14 pays prioritaires, des «partenariats différenciés» cités dans le document, la politique de coopération française ne semble s'interdire aucune géographie : nous allons en Tanzanie, au Mali, mais aussi en Argentine, en Indonésie ou en Chine. La politique française de coopération ne s'interdit aucun instrument : aide technique, prêt, garantie, don, aide projet, aide budgétaire. La politique française ne s'interdit aucun objectif : la lutte contre la pauvreté bien sûr, le rattrapage économique des pays les plus pauvres évidemment, mais aussi la biodiversité, la lutte contre le réchauffement climatique, autant d'objectifs louables. J'observe cependant qu'à l'inverse, les Anglais, par exemple, concentrent leur aide bilatérale sur les dons laissant aux banques multilatérales le soin de faire des prêts, que les Allemands mettent un plafonnement aux crédits consacrés aux financements multilatéraux, que les Pays-Bas ont considérablement concentré leur coopération sur quelques pays. Je me demande si, dans le contexte actuel, nous sommes capables de poursuivre tous ces objectifs et si on ne gagnerait pas à définir une stratégie plus réaliste qui prenne en compte la réalité budgétaire et fasse preuve d'une plus grande sélectivité.
Je veux également évoquer le lancinant problème du bon équilibre entre aide bilatérale et aide multilatérale. Je rejoins l'appréciation des intervenants selon laquelle il conviendrait de redresser notre aide bilatérale. Je constate, sur le terrain, dans le cadre de la coopération décentralisée, combien cette aide qui venait souvent compléter le financement de petits projets a diminué. Je souhaite que les marges de manoeuvre dont la France pourrait bénéficier, grâce à la diminution de sa contribution au FED, soient affectées à l'aide bilatérale. Je me demande s'il ne serait pas souhaitable également qu'une plus grande partie de l'aide multilatérale soit utilisée par des opérateurs nationaux, et notamment français. Nous avons une expérience et une expertise qui nous permettraient d'utiliser ces fonds de façon efficace. Le recours à des opérateurs nationaux aurait pu favoriser, par exemple, l'accélération des décaissements du fonds Sida, qui ont longtemps été très lents du fait de l'absence d'opérateurs sur le terrain. Je m'interroge également sur les moyens dont nous disposons en France pour évaluer l'efficacité de la politique d'aide au développement. Il est essentiel de pouvoir mesurer les résultats des différents instruments mis en oeuvre et d'en tirer des leçons pour l'avenir. La conférence de Paris sur l'efficacité de l'aide décrit un catalogue de procédures administratives et de bonnes pratiques, mais elle ne garantit pas véritablement l'efficacité de notre coopération. Je vous pose donc la question : sommes-nous capables en France de mesurer l'efficacité de notre politique d'aide au développement ?
Je crois aussi qu'il faut assurer une plus grande cohérence entre nos politiques de coopération et les autres politiques nationales et communautaires, qui ont un impact fort sur le développement des pays du Sud. Pour traduire cela de manière plus concrète, on nous demande d'assurer une plus grande cohérence entre le fait de soutenir le secteur cotonnier au Mali et de maintenir les subventions à la production cotonnière de la Grèce ou de l'Espagne. Le document cadre dit que la France met en oeuvre un dispositif institutionnel pour la mise en oeuvre et le suivi de la cohérence de ces politiques nationales et européennes avec les objectifs de développement. Ce dispositif existe-t-il aujourd'hui ? La France assure-t-elle réellement une cohérence de ces politiques ? Je me demande si nous devons nous inscrire dans une perspective où il y aura toujours une aide au développement ou si on ne peut pas imaginer un scénario où, grâce à des accords commerciaux plus favorables, dans le cadre notamment de la conférence de Doha, ces pays puissent s'en sortir eux-mêmes grâce à un développement endogène.
Je regrette enfin que la formation professionnelle ne soit pas mise au coeur de la politique de l'aide au développement car elle a un rôle essentiel dans la création du tissu économique de ces pays.
Je souhaite enfin que le rôle de la coopération décentralisée soit bien identifié dans ce document cadre car elle joue un rôle important dans le financement de microprojets mais aussi dans l'association de la population française aux objectifs du développement.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. J'observe que si l'Etat n'arrivait pas à atteindre les objectifs quantitatifs que la France s'est fixée dans ce domaine, il faudra s'interroger sur la capacité des collectivités territoriales à contribuer à ces objectifs.
Mme Fabienne Keller. Je tiens à remercier les différents orateurs qui se sont exprimés, pour la clarté et l'intérêt de leur propos. Je voudrais intervenir, brièvement, sur quatre points.
Premièrement, je relève qu'il n'est pas pensable de s'abstenir de fournir un effort d'aide publique au développement, quelle que soient les contraintes budgétaires actuelles, eu égard à l'importance des enjeux en cause pour l'avenir.
Deuxièmement, je me demande si la question du changement climatique, sujet essentiel pour les pays de l'Afrique subsaharienne, ne fait pas, actuellement, l'objet d'une sous-estimation.
Troisièmement, je constate la présence massive des investisseurs chinois dans certains pays d'Afrique, par exemple le Cameroun, et je m'interroge sur l'existence d'une bonne coordination entre l'aide que la France apporte au développement et le développement économique effectif dans les pays soutenus.
Enfin, on sait que la « fuite des cerveaux » est un problème crucial pour les pays pauvres. Quelle est la stratégie de la France sur ce point ?
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je me félicite à la fois de la qualité du diagnostic établi par le document cadre et de celui des intervenants. Je crois que le document cadre gagnerait à se fonder sur la notion de vulnérabilité commune des pays du Nord et du Sud. Des sujets majeurs, comme le réchauffement climatique ou la sécurité sanitaire, sont, en effet, des éléments de vulnérabilité commune. S'agissant d'objectifs, il me semble que le but poursuivi par notre coopération doit être de renforcer les compétences au sein des pays en développement, aussi bien à la base de la société qu'au niveau de son élite, mais aussi de renforcer les droits des citoyens. Car, si la démocratie n'est pas une condition nécessaire du développement, on ne peut que le constater, le développement des droits doit constituer un objectif de la politique d'aide au développement. Le document gagnerait à être plus clair sur ce point.
Je souhaite, par ailleurs, qu'il soit mentionné, dans le document cadre, que la France s'engage à restaurer sa capacité de dons sans laquelle la crédibilité de la politique française sera limitée. J'appelle de mes voeux un véritable débat en séance publique sur ce document cadre et j'estimerais souhaitable qu'une véritable loi de programmation soit soumise au Parlement et puisse faire l'objet d'un débat approfondi.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il conviendrait que l'ensemble des lois de programmation soit ainsi agrégé et que l'on puisse évaluer le caractère soutenable des dépenses ainsi engagées.
M. André Trillard. Ce qui me gène dans la formulation de la politique d'aide au développement, c'est qu'elle se fonde, comme la politique culturelle, plus sur une logique d'instruments que d'objectifs et qu'on souhaite atteindre un pourcentage du budget sans avoir précisément défini ces objectifs. La définition d'une politique passe par des objectifs clairs et leur contrôle.
Mme Catherine Tasca. Je souscris à la critique selon laquelle le document cadre reste trop général et n'est pas assez un guide d'action pour le Gouvernement, définissant concrètement ce que doivent être, dans nos contextes budgétaire et international actuels, les objectifs à atteindre. Je regrette, par ailleurs, que ce document ne s'appuie pas sur une évaluation de l'efficacité respective des différents instruments de l'aide au développement française. Une évaluation des politiques passées est indispensable pour déterminer les instruments et les objectifs souhaitables dans tel ou tel contexte. S'agissant du rééquilibrage entre les objectifs sociaux, tels qu'ils figurent dans les OMD, et les objectifs économiques en matière d'infrastructures, il me semble que la construction de grandes infrastructures a été au coeur des politiques de coopération qui ont suivi la décolonisation. Or, il n'est pas certain que cela ait produit des résultats très satisfaisants. Cette expérience passée n'est-elle pas de nature à réfréner toute volonté de rééquilibrage ?
M. Adrien Gouteyron. Je pense que le document cadre doit insister sur les relations entre l'aide bilatérale et l'aide multilatérale. Il est par ailleurs nécessaire d'insister sur les modalités d'évaluation des politiques publiques dans ce domaine. Enfin, il faut insister sur le lien entre l'aide au développement au niveau macro-économique et le financement de microprojets soutenus aussi bien par les collectivités territoriales que par les ONG.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La parole est aux intervenants, pour des éléments de réponse aux questions qui viennent d'être soulevées les plus concis possibles, dans la mesure où le temps nous est compté pour conclure cette réunion, au demeurant très intéressante.
M. Jean-Michel Severino. De nombreux sujets ont été abordés. Je m'en tiendrai à quelques observations.
En premier lieu, la France devrait pouvoir se doter, un jour, d'un document cadre de stratégie visant le développement, et pas seulement l'aide publique au développement. Toutefois, pour le moment, nous ne somme pas mûrs pour l'exercice, d'un point de vue intellectuel mais aussi, sans doute, en termes politiques. Par exemple, l'élaboration d'un tel document supposerait une mise au clair des rapports entre la politique agricole commune et la notion de développement. C'est un débat à ouvrir.
En deuxième lieu, chacun a souligné le caractère limité des possibilités budgétaires, mais il faut avoir présent à l'esprit que l'aide publique au développement, comme toute politique publique, se trouve en compétition, pour l'accès aux crédits, avec les autres politiques publiques. Or cette compétition est plus difficile à mener pour l'APD que dans d'autres domaines d'intervention, car elle ne dispose pratiquement pas de lobby qui intervienne en sa faveur au niveau interne. La visibilité de l'APD dans le débat public national n'en est que plus nécessaire. Il revient aux acteurs de cette politique d'en expliquer les enjeux.
En troisième lieu et sur ce point, pour être bref je devrai peut-être forcer un peu mon expression , il est en pratique quasiment impossible, pour les opérateurs de l'aide publique au développement, de se tenir à une politique de sélectivité de leurs financements. En effet, les pressions politiques en faveur de telle ou telle cause, toutes légitimes au demeurant, y font obstacle. Il me semble donc préférable de renoncer à cet objectif, inatteignable.
Enfin, je relèverai que la contribution française en faveur de l'aide publique au développement, en valeur, a été divisée par deux depuis les années 1990. Or la France est aujourd'hui beaucoup plus riche. C'est un aspect que la discussion budgétaire devrait prendre en compte. J'ajoute qu'il revient aux décideurs politiques de tenir le bon discours, en se gardant des annonces non suivies d'effets auxquelles on a assisté, souvent, en matière d'APD, contraignant les acteurs de terrain à devoir expliquer ce décalage.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La France est également plus endettée, aujourd'hui ! Mais vos propos sonnent évidemment justes.
M. Serge Michaïlof. Je ferai une remarque concernant les objectifs de l'aide publique au développement. Les pays sahéliens Burkina Faso, Mali, Niger représentent aujourd'hui 44 millions d'habitants ; les projections démographiques à l'horizon 2050 font état de 120 à 130 millions d'habitants. Les agricultures de ces pays, telles qu'elles sont organisées aujourd'hui, se trouvent dans l'incapacité de subvenir aux besoins alimentaires correspondants. Mais il est possible de doubler voire tripler l'activité agricole de cette région, à condition que l'on procède aux investissements fonciers adéquats et que la politique de production menée soit cohérente.
La France ne peut, à elle seule, conduire ce changement ; en revanche, elle doit « amorcer la pompe », c'est-à-dire mettre en place les projets pilotes et poursuivre les recherches en cours. Ce faisant, il s'agit de trouver les moyens d'influencer les bailleurs multilatéraux, notamment européens, en leur montrant la possibilité d'agir dans cette direction.
M. François Bourguignon. L'évaluation est l'une des préoccupations majeures que le document cadre doit prendre en compte. Dans l'établissement que je dirige, Paris School of Economics, un master « Politiques publiques et développement » a été créé. Y sont enseignées les méthodes existantes pour évaluer les politiques publiques. Il est possible d'évaluer clairement l'aide projet, en observant concrètement les résultats. Souvent au niveau agrégé, l'évaluation de l'impact de l'aide sur les politiques publiques et sur la réalité du sous-développement est difficile. En outre, dans le cas de plus en plus fréquent de cofinancement, déterminer la part et le rôle de chacun n'est pas chose aisée. Par ailleurs, je tiens à ajouter qu'il faudra toujours une aide au développement dans la mesure où il y aura toujours des inégalités à combattre.
M. Jean-Louis Vielajus. Je crois qu'il faut considérer trois niveaux dans l'aide au développement : le niveau global, le niveau national et le niveau local. L'ambition, c'est de trouver la bonne combinaison entre les trois niveaux. Les ONG et les collectivités territoriales sont nécessaires pour initier les projets. Cette question est bien identifiée dans le document cadre à travers la notion de partenariats. Je crois qu'elle est essentielle. Je suis enfin heureux de constater que je ne suis pas le seul à rêver d'un débat parlementaire sur l'aide au développement et d'une loi de programmation dans ce domaine.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Merci, Messieurs, pour ces précisions. Cette table ronde a été extrêmement riche. L'audition du ministre des affaires étrangères et européenne, le 26 mai prochain, pour la présentation du document cadre, nous permettra de prolonger ce débat.
Compte tenu du temps qu'il nous reste, nous n'avons pas la possibilité d'épuiser notre ordre du jour et je vous propose, avec l'accord des rapporteurs, de reporter au mercredi 26 mai à 15 h 15 la présentation des conclusions des rapports de MM. Didier Boulaud, rapporteur pour avis, et François Trucy, rapporteur spécial, sur la politique immobilière du ministère de la défense et de MM. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis et M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, sur les implantations communes du réseau diplomatique gérées avec d'autres pays de l'Union européenne.