Mardi 11 mai 2010
- Présidence de M. Alain Lambert, président -Modes de scrutin envisageables pour l'élection des conseillers territoriaux - Débat
M. Alain Lambert, président.- Plusieurs semaines après notre débat d'orientation du 16 février, nous voici de nouveau réunis pour débattre de la question, ô combien épineuse, des modes de scrutin envisageables pour l'élection des conseillers territoriaux.
Je dis bien « débattre », car il n'aura échappé à personne que la rédaction même de notre ordre du jour rectifié ne porte pas à proprement parler sur l'examen d'un rapport, alors qu'à la fin de la semaine dernière, j'espérais pouvoir y parvenir.
J'en ai décidé ainsi pour sortir d'une difficulté dans laquelle se trouvaient nos collègues Hervé Maurey et Pierre-Yves Collombat, en charge de ce dossier. Pour des raisons qu'ils seront bien mieux à même que moi d'expliquer, ils n'ont pu parvenir à la rédaction d'un texte commun.
Il fallait bien trouver une voie de sortie, et c'était mon rôle de le faire. Pour cela, il m'appartenait de choisir entre le retour à un seul rapporteur, la confrontation et la discussion :
- le retour à un seul rapporteur, solution à laquelle j'avais songé en fin de semaine passée, aurait consisté à prendre acte de l'impossibilité d'un accord et à soumettre à la délégation le projet de rapport du sénateur appartenant à la majorité. Bien entendu, l'autre sénateur aurait eu tout loisir de nous expliquer pourquoi cette analyse n'était pas la sienne ; bien entendu, soucieux du respect des droits de la minorité, je vous aurais proposé la publication de cette opinion sous forme d'annexe au rapport. Dans ces conditions, cette solution avait ma préférence et je croyais sincèrement, pour la leur avoir soumise, qu'elle avait également la préférence de nos deux collègues. Mais M. Pierre-Yves Collombat m'a fait savoir qu'il y avait eu un malentendu et qu'il souhaitait, lui aussi, soumettre son projet de rapport à la délégation ;
- une autre solution, la deuxième qui s'offrait à moi, que je qualifie, peut-être de manière un peu abrupte, de « choix de la confrontation », aurait consisté à ce que chacun de nos deux collègues vous présente son rapport avant que la délégation choisisse celui dont elle autorisait la publication (le cas échéant, en mettant l'analyse minoritaire en annexe). Il y aurait donc eu, en quelque sorte, un gagnant et un perdant. Ce n'est pas la méthode que je préconise pour notre délégation. Elle n'est pas jury de concours et nos rapporteurs ne sont pas des candidats à un titre quelconque. L'affrontement majorité-minorité n'a pas la meilleure pertinence, dans notre enceinte, pas plus que la répartition entre gagnants et perdants. Le plus fructueux me semble dans le dialogue Parlement/Gouvernement avec une réflexion commune au sein du Parlement, et notamment de notre délégation, pour proposer à l'exécutif des solutions issues des expériences de terrain ;
- dans ces conditions, et pour prendre en compte le souhait - tout à fait légitime - de M. Pierre-Yves Collombat de soumettre son analyse à la délégation, j'ai dû modifier le format initialement prévu pour notre réunion pour retenir la dernière solution, celle de la discussion. Il n'y aura donc pas - en tout cas à l'issue de notre réunion - d'adoption formelle de rapport. Nous le ferons ultérieurement si un consensus se dégage en ce sens, mais n'ayons pas non plus l'obsession des rapports : l'essentiel n'est pas de produire du papier, mais des idées, des analyses, des arguments et de le faire dans le respect des opinions de chacun. La solution que j'ai retenue pour aujourd'hui le permet.
Cette forme de conclusion est une première pour notre jeune délégation... mais n'est peut-être pas une dernière, car le choix de co-rapporteurs induit inévitablement des ajustements à trouver dans la pratique.
Sauf à nous limiter à des sujets de moindre intérêt politique (ce qui serait une conception étroite de notre rôle), la recherche préalable de solutions transpartisanes, dont nous avons fait notre marque de fabrique, implique l'association de sensibilités différentes et donc, forcément, le risque d'un constat de désaccord.
Désaccord ne signifie pas échec. Notre rôle consiste de toute manière à informer, non à décider. Même si l'obtention d'un consensus est évidemment toujours préférable, l'essentiel reste de travailler ensemble, d'échanger les points de vue à partir d'informations recueillies en commun et de porter le fruit de ces réflexions à la connaissance du Sénat (c'est ce qu'ont précisément fait nos collègues en l'espèce) et notamment des commissions saisies au fond.
Dans ce cas, il n'y a plus formellement deux rapporteurs, mais il y a toujours deux protagonistes, à qui je cède maintenant la parole.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Je souscris à l'esprit de ce que vient de dire notre président. Il n'est pas anormal, compte tenu de la difficulté du sujet et des enjeux politiques, que nous restions en désaccord sur certaines choses. Mais, depuis le début, notre objectif a été simplement de poser les conditions du problème et de faire part de nos réflexions pour que chacun puisse se faire sa propre opinion.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Avec M. Pierre-Yves Collombat, nous avons mené de nombreuses auditions en commun afin d'établir un document de travail qui contribue à alimenter la réflexion de la délégation sénatoriale à la décentralisation et de la commission des lois du Sénat, avant l'examen du projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et la deuxième lecture du projet de loi portant réforme des collectivités territoriales.
En décidant de se saisir du mode d'élection des conseillers territoriaux, notre délégation n'entendait pas revenir sur le principe du conseiller territorial, mais bien procéder à une analyse des modes de scrutin pouvant être appliqués à cette nouvelle catégorie d'élus.
Mon analyse s'appuie sur la méthodologie et la grille d'analyse approuvées lors de notre réunion du 16 février dernier. A cette occasion, nous avions estimé collectivement que les modes de scrutin envisageables devaient être compatibles avec les trois objectifs fixés par l'article 1A du projet de loi relatif à la réforme des collectivités territoriales, c'est-à-dire la représentation des territoires, la représentation des sensibilités politiques et l'objectif de parité. A la réflexion, un quatrième objectif me semble incontournable, c'est la formation de majorités stables au sein des assemblées délibérantes.
Nous avions également évoqué les modes de scrutin dont nous souhaitions évaluer les effets : le scrutin dit « à l'allemande », le scrutin combinant le recours au scrutin majoritaire en zone rurale et au scrutin de liste en zone urbaine, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours, le scrutin de type municipal, le scrutin majoritaire plurinominal et bien entendu le mode de scrutin proposé par le Gouvernement.
Je me propose donc maintenant de vous exposer les résultats de cette analyse.
Le mode de scrutin proposé par le Gouvernement est censé favoriser l'ancrage territorial des conseillers territoriaux, puisque 80 % d'entre eux seraient élus dans le cadre cantonal. Les effets attendus du recours au scrutin de liste sont insignifiants en raison du faible nombre de sièges soumis à ce mode de scrutin - seuls 20 % des conseillers territoriaux seraient élus au scrutin de liste départemental - et les modalités d'attribution des suffrages ne suffisent pas à favoriser le pluralisme politique. Les simulations figurant dans l'étude d'impact jointe du projet de loi confirment ce point. Ce mode de scrutin est plutôt favorable aux grandes formations politiques.
La création des conseillers territoriaux s'accompagne, par ailleurs, d'une réduction du nombre d'élus. Il y aurait moins de conseillers territoriaux qu'il n'existe de cantons aujourd'hui (3 000 conseillers territoriaux pour 4 000 cantons existants aujourd'hui). En conséquence, seuls 2 400 sièges seraient soumis au scrutin uninominal majoritaire (80 % de 3 000). La réforme se traduirait donc en outre par la suppression d'environ 1 600 cantons, soit une réduction de 40 %.
L'analyse des effets de ce mode de scrutin ne permet pas d'atteindre les objectifs annoncés. Ce constat est sévère, mais le Gouvernement lui-même a reconnu ces carences en précisant qu'il était ouvert à toute amélioration.
En outre, ce mode de scrutin a fait l'objet de nombreuses critiques de la part des constitutionnalistes, notamment de M. Guy Carcassonne qui a estimé que le recours à un seul tour de scrutin pour les 80 % de conseillers territoriaux élus au scrutin majoritaire uninominal pouvait heurter un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
J'évoquerai maintenant le mode de scrutin dit « à l'allemande ». Dans ce système, la moitié des députés sont élus au scrutin uninominal majoritaire, et l'autre moitié, au scrutin de liste, les élus à la proportionnelle corrigeant les effets du scrutin majoritaire.
Vous comprenez aisément qu'appliquer ce mode de scrutin à l'élection des conseillers territoriaux soulèverait des difficultés. Dans un département désignant 20 conseillers territoriaux, seuls 10 seraient élus dans un canton, et au final la représentation des territoires serait loin d'être optimale.
Ce défaut me semble rédhibitoire, bien que ce mode de scrutin présente des avantages certains en matière de représentation des sensibilités politiques et de respect de l'objectif de parité du fait du nombre important de sièges à pourvoir au scrutin de liste. En revanche, il ne garantit pas forcément l'émergence d'une majorité de gestion.
Je voudrais maintenant évoquer le mode de scrutin combinant scrutin uninominal majoritaire dans les zones rurales et scrutin de liste dans les zones urbaines.
Le recours à ce mode de scrutin pour l'élection des conseillers territoriaux a été envisagé par le Gouvernement qui a choisi d'y renoncer, le rapport Balladur ayant mis en doute sa constitutionnalité. Ce point de vue n'est pas partagé par les constitutionnalistes que nous avons auditionnés.
L'étude d'impact jointe au projet de loi souligne également la difficulté de différencier zones rurales et zones urbaines. Sans nier cette difficulté, je considère que cet argument ne constitue pas un élément suffisant pour écarter sine die ce mode de scrutin qui présente en effet de nombreux avantages.
Ce mode de scrutin favorise une meilleure représentation des territoires, en pérennisant les cantons dans les zones rurales et en rationalisant les circonscriptions dans les zones urbaines. Il permet de conserver un lien fort entre élus et territoires dans les zones rurales, celles où aujourd'hui le conseiller général joue le rôle le plus important.
Le scrutin majoritaire uninominal à deux tours est le plus connu, celui qui correspond le mieux à la tradition républicaine française. Il est admis de manière quasi unanime que ce mode de scrutin favorise la représentation des territoires, et instaure une relation très forte entre l'électeur et l'élu, entre l'élu et la circonscription.
C'est également un mode scrutin qui semble compatible avec la constitution d'une majorité de gestion, bien que cela ne soit pas garanti avec la même automaticité que dans le scrutin de type municipal. De manière générale, avec un nombre de cantons impair, ce mode de scrutin est reconnu comme compatible avec les exigences de gestion d'une assemblée délibérante. Mais, il ne correspond pas aux principes fixés par l'article 1A du projet de loi, qui évoque un scrutin mixte.
Ce mode de scrutin n'est toutefois pas non plus très favorable à l'objectif de parité. Cette dernière progresse plutôt par l'intermédiaire des scrutins de liste, si l'on se fie à l'exemple des élections municipales, régionales ou sénatoriales. L'instauration de mesures complémentaires, pénalités financières, obligation de choisir un suppléant de sexe opposé, ne suffirait sans doute pas à favoriser l'élection d'un nombre de femmes équivalent à celui que permet le scrutin de liste.
Le recours à ce mode de scrutin peut se traduire par une régression en matière de représentation des sensibilités politiques et de l'objectif de parité.
Toutefois, le scrutin majoritaire uninominal permet l'émergence des candidats de la société civile et fait aussi de l'élection une rencontre entre un candidat et ses électeurs, ce qui n'est pas le cas au scrutin de liste.
Le scrutin de type municipal a, selon moi, pour principal défaut de ne pas assurer la représentation des territoires. Appliqué à l'échelle départementale, il provoquerait un délitement du lien entre les élus et les territoires. Notre collègue Pierre Bernard-Reymond a suggéré de prévoir une obligation de représentation de l'ensemble des zones du département lors de la constitution de la liste. Cette solution astucieuse ne garantit pas pour autant que chaque zone dispose d'un élu.
Il s'agit là du principal défaut de ce mode de scrutin qui, par ailleurs, offre des garanties en matière de représentation des sensibilités politiques, de poursuite de l'objectif de parité et de gouvernance.
En matière de représentation des sensibilités politiques, le recours au scrutin de liste permet de favoriser la diversité des assemblées locales et la poursuite de l'objectif de parité. Il garantit également l'émergence d'une majorité dans la circonscription dans laquelle il est appliqué. Ultime avantage, les électeurs connaîtraient le candidat qui a vocation à présider l'exécutif départemental en cas de victoire.
L'évaluation des effets du mode de scrutin plurinominal est intimement liée au choix des circonscriptions. Ainsi, appliqué au niveau départemental, le scrutin plurinominal se verrait reprocher les mêmes défauts que le scrutin de type municipal en matière de représentation des territoires.
Il est également assez difficile d'appréhender les effets de ce mode de scrutin au regard des objectifs de représentation des sensibilités politiques et de gouvernance des territoires. En effet, avec le recours à des listes bloquées, le scrutin plurinominal, à un ou à deux tours, amplifie les effets du scrutin uninominal puisque la liste arrivée en tête emporte tous les sièges.
En conclusion, j'observe qu'aucun mode de scrutin n'apporte une réponse satisfaisante aux différents objectifs retenus.
Les modes de scrutin à l'allemande et de type municipal présentent des avantages incontestables au regard de la représentation des sensibilités politiques et de la parité. Leurs effets divergent sur la formation des majorités de gestion, où seul le scrutin municipal offre une véritable garantie. Leur faible capacité à représenter les territoires constitue un motif suffisamment puissant pour écarter le recours à l'une ou l'autre de ces solutions.
A l'inverse, le scrutin majoritaire uninominal vaut prioritairement pour sa capacité à représenter les territoires. Il s'agit, d'avis unanime, de sa principale qualité. Mais, ce mode de scrutin est défaillant lorsqu'il s'agit de favoriser la représentation des sensibilités politiques et la parité.
De plus, il convient de souligner que le scrutin majoritaire uninominal n'est pas compatible avec les principes fixés par l'article 1A du projet de loi portant réforme des collectivités territoriales, adopté par le Sénat le 21 janvier.
Le mode de scrutin plurinominal ne présente que des avantages restreints, il ne favorise ni la représentation des territoires, ni celle des opinions politiques.
Seul le scrutin combinant scrutin majoritaire uninominal dans les zones rurales et scrutin de liste dans les zones urbaines permet d'approcher les critères fixés à l'article 1A en raison de son caractère mixte.
Mais, si les débats se focalisent naturellement sur la question du choix du mode de scrutin, certains sujets connexes doivent également être débattus publiquement car ils sont étroitement liés.
C'est le cas de la décision du Gouvernement de réduire de moitié les effectifs des assemblées départementales et régionales.
Ce débat n'est pas sans conséquence sur le choix du mode de scrutin, car la réduction drastique du nombre d'élus accentue les effets négatifs des modes de scrutin, qu'il s'agisse de la représentation des territoires, de celle des sensibilités politiques ou de la parité.
Je suis plutôt circonspect quant aux économies à attendre d'une telle mesure, d'autant que le Gouvernement a annoncé qu'en raison de la réduction du nombre d'élus, leurs suppléants seraient appelés à jouer un rôle actif. On peut donc imaginer qu'ils seront indemnisés. Dès lors pourquoi remplacer 6 000 élus indemnisés par 3 000 titulaires et 3 000 suppléants indemnisés ?
Il semblerait donc plus raisonnable de renoncer à une diminution aussi drastique du nombre d'élus.
Je suggère à titre personnel un scrutin mixte qui pourrait être le suivant :
- 3 600 conseillers territoriaux élus au scrutin majoritaire uninominal à deux tours dans le cadre de cantons redécoupés. Ce chiffre ne réduirait que de 10 % le nombre de cantons, assurant ainsi la nécessaire proximité entre élus, citoyens et territoires. Cela préserve le rôle de proximité de l'élu, surtout dans les zones où la ruralité est en crise ;
- 900 conseillers territoriaux supplémentaires, soit 25 % de conseillers territoriaux supplémentaires, élus au scrutin proportionnel dans le cadre départemental favorisant ainsi, conformément à l'article 1A du texte voté par le Sénat, la représentation du pluralisme et la parité.
Les citoyens disposeraient alors de deux bulletins de vote ; l'un pour choisir un conseiller territorial dans le cadre du canton et l'autre pour apporter leur suffrage à une liste départementale.
Le nombre total d'élus serait ainsi réduit de 6 000 à 4 500, soit une diminution de 25 %.
80 % seraient élus au scrutin majoritaire assurant ainsi la représentation des territoires et 20 % au scrutin proportionnel favorisant le pluralisme et la parité.
Ce mode de scrutin respecterait la volonté manifestée par le Sénat le 21 janvier 2010, lorsqu'il a adopté l'article 1A du projet de loi de réforme des collectivités territoriales.
M. Alain Lambert, président. - Je donne maintenant la parole à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Effectivement, aucun mode de scrutin ne répond de façon satisfaisante aux critères retenus par la délégation.
De mon point de vue, la question du mode de scrutin pour l'élection du conseiller doit être analysée dans une problématique plus large, celle d'une nouvelle catégorie d'élu à la fois départemental et régional, issue de la même élection, dans le cadre départemental. Parallèlement, les effectifs des conseils généraux seraient réduits de 25 % et ceux des conseils régionaux augmenteraient de 50 %.
Une réflexion sur le mode de scrutin ne peut pas ne pas tenir compte de ce cadre général, à la fois sur le plan pratique et sur le plan constitutionnel.
Trois remarques complémentaires doivent être prises en compte.
Premièrement, le respect du principe de l'autonomie des collectivités territoriales. Si l'assemblée régionale est formée fondamentalement de la réunion des conseils généraux, peut-on dire que la région dispose d'une assemblée délibérante qui lui est propre ? Le problème se pose d'autant plus sérieusement que, dans les trois régions composées de deux départements, l'Alsace, la Haute-Normandie, le Nord-Pas-de-Calais, un département sera majoritaire à lui tout seul au sein de l'assemblée régionale. Comment, au moins dans ces régions à deux départements, ne pas parler de tutelle du département le plus important sur le conseil régional, et indirectement sur l'autre département ?
Cette question intéresse directement celle du mode de scrutin, car le couplage des élections régionales et départementales fait que l'élection essentielle, pour l'électeur et le système lui-même, c'est l'élection départementale. Dans ces conditions, l'élection régionale pourra difficilement faire sens, ses enjeux deviendront illisibles pour l'électeur. Dès lors que le canton sera la circonscription électorale de base, l'enjeu départemental occultera l'enjeu régional. Cette démarche va à rebours de l'Histoire puisque depuis 1985, l'évolution du mode de scrutin régional est allée dans le sens d'une régionalisation de la circonscription et d'un système capable d'assurer des majorités claires et stables.
Deuxièmement, il faut prendre en compte les modalités de répartition des effectifs à l'intérieur de chaque région. La distribution des conseillers territoriaux entre les départements d'une même région, respectueuse du principe d'égalité devant le suffrage, devra être fondée sur une représentation essentiellement démographique. Il s'agit d'un véritable casse-tête, notamment lorsqu'il faudra prendre le cas des départements peu peuplés ou d'une région sujette à de profonds déséquilibres démographiques entre les départements qui la composent. En deçà d'un effectif minimum, certains modes de scrutin (proportionnel, par exemple) n'ont plus de sens. Au-delà, les assemblées ne sont guère efficaces.
Troisièmement, la congruence des élections régionales et départementales fait qu'un même mode de scrutin peut avoir des effets contraires au niveau départemental et au niveau régional. Par exemple, si un mode de scrutin majoritaire favorise l'émergence de majorités stables au niveau départemental, il les rend aléatoires au niveau régional.
Le scrutin de « type municipal » produit les mêmes effets. Non seulement il ne garantit pas la formation d'une majorité au niveau régional, mais la conjugaison des primes majoritaires et de la proportionnelle peut donner des effets indésirables. Impossible dans le département, le risque d'une inversion des résultats en voix et en sièges doit être envisagé au niveau régional. Si donc, les effets sont contraires aux deux niveaux, lequel privilégier ? Aucun, évidemment.
L'analyse des différents modes de scrutin envisageables peut être réalisée à partir des critères retenus par la délégation, mais il est préférable de les hiérarchiser.
S'agissant d'élections locales, deux critères paraissent essentiels : la capacité du mode de scrutin à dégager des majorités stables et la capacité à représenter le territoire. Un troisième critère peut être pris en compte : la capacité à permettre l'expression de la diversité des opinions.
Il faut également prendre en compte les critères de « constitutionnalité », le problème étant qu'aucun consensus ne s'est dégagé dans la communauté universitaire. Les constitutionnalistes n'ont, par exemple, pas déterminé la portée exacte de la parité, figurant à l'article premier de la Constitution, ni même sur ce qu'il faut entendre concrètement par « égalité des suffrages ». Difficile, en outre, de tirer une conclusion incontestable de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui ne concerne que peu les élections locales.
Tout ce qu'on peut faire, c'est relever, pour chaque mode de scrutin, le nombre plus ou moins grand de points de faiblesses constitutionnelles et privilégier, éventuellement, celui qui présente le moins de risques. La seule convergence de vues que j'ai notée chez les constitutionnalistes, concerne le scrutin mixte géographique (majoritaire en zone rurale/ proportionnel en zone urbaine) puisque le comité Vedel, la commission Balladur et l'étude d'impact du projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale jugent qu'il présente de grands risques d'inconstitutionnalité.
Concernant le mode de scrutin proposé par le Gouvernement pour l'élection des conseillers territoriaux, il faut rappeler qu'il est directement inspiré par le « scorporo » italien, et comme le montre un examen attentif des simulations fournies avec l'étude d'impact, il y a de fortes chances que ce mode de scrutin donne les mêmes résultats. La dose de proportionnelle accentue l'instabilité du système majoritaire à un tour qui ne garantit automatiquement ni des majorités départementales, ni une majorité régionale.
L'alternative c'est, soit de renoncer à l'instauration du conseiller territorial, une solution de sagesse, soit d'adopter une position de repli : un mode de scrutin qui, n'amplifiant pas l'effet des votes locaux dans le département, rend moins aléatoires les majorités régionales : tel est le cas du scrutin majoritaire uninominal à deux tours.
Le recours au mode de scrutin majoritaire uninominal permet de se débarrasser de « l'appendice proportionnel » qui n'apporte que des inconvénients. L'existence d'un second tour améliore la capacité du système à exprimer la diversité des opinions, permet de mieux satisfaire le principe d'égalité des suffrages et limite les risques d'inversion entre les résultats en voix et en sièges.
Le scrutin majoritaire uninominal à deux tours m'apparaît comme la moins mauvaise manière d'élire les conseillers territoriaux.
Dernière interrogation : faire élire, en même temps, au scrutin majoritaire à deux tours les conseillers régionaux et généraux, représente-t-il un progrès par rapport à la situation actuelle ?
Ma réponse est évidemment non, pour les raisons que j'ai rapidement évoquées en commençant et pour une autre que je voudrais esquisser. La disparition de la circonscription régionale comme base d'élection des conseillers régionaux risque, non seulement de la faire disparaître de la conscience des électeurs, mais aussi de mettre la majorité du conseil régional à la merci de formations politiques représentant globalement peu de voix au niveau régional mais disposant de bastions électoraux locaux.
Ceux-ci pourraient leur permettre d'obtenir suffisamment de sièges, grâce au scrutin majoritaire, pour devenir les arbitres des majorités. En effet, en cas de quasi-équilibre entre les formations principales, ces quelques sièges pourraient faire la différence...
Le risque donc, de ce couplage entre élections départementales et régionales, c'est l'apparition, sur fond de désaffection de l'électorat, de territoires où les oppositions parviendraient à se coaliser, souvent avec une composante identitaire et/ou tribunicienne.
Peut-on vraiment exclure, en France, l'enracinement de l'extrême droite dans suffisamment de « bastions » locaux pour lui permettre de devenir, comme dans les années quatre-vingt avec la proportionnelle, malgré le scrutin majoritaire, voire grâce au scrutin majoritaire, l'arbitre de majorités régionales sinon départementales ?
Plus simplement, dès lors que les enjeux départementaux et régionaux seront confondus, qu'est-ce qui empêchera des candidats « indépendants » de faire campagne, dans leur département, sur le thème de la défense des intérêts locaux, sinon identitaires, contre la centralisation et la domination de la métropole régionale ?
La sagesse voudrait plutôt que l'on cherche à perfectionner le dispositif existant s'agissant des élections départementales, dont le mode de scrutin finalement ne donne pas de si mauvais résultats, sous réserve d'un nouveau découpage des cantons actuels pour éliminer les déséquilibres démographiques excessifs. Le consensus existe là-dessus.
S'agissant des élections régionales, tout en conservant la prime majoritaire régionale, seule susceptible de garantir des majorités stables, une solution, inspirée du système Blum ou du système à « l'allemande » pourrait permettre de mieux « localiser » la représentation, ce qui est la principale faiblesse du mode de scrutin actuel. Quoi qu'il en soit, si on veut assurer à la région une réalité dans la conscience des Français, ce ne peut être en confondant élections régionales et départementales.
M. Alain Lambert, président. - Je remercie les rapporteurs pour la qualité du travail qu'ils ont mené car, malgré la complexité du sujet, ils ont fait apparaître les avantages et les inconvénients des différents modes de scrutin. Je vous propose maintenant d'ouvrir le débat.
Mme Jacqueline Gourault. - Je veux attirer l'attention sur un point qui n'a peut-être pas été suffisamment exploré, à savoir celui de la délimitation des zones urbaines et des zones rurales. Il serait très difficile d'y procéder si l'on décidait de s'engager dans un scrutin distinguant les deux. Cela sera d'autant plus compliqué que des intercommunalités ont souvent relié des zones urbaines et des zones rurales sur les territoires. Le projet de loi présenté par le Gouvernement entend respecter les circonscriptions électorales législatives. Je souhaite pour ma part que soient prises en compte les limites des intercommunalités en versant cette question au débat. La rationalisation des périmètres de l'intercommunalité doit être prise en compte dans la détermination des circonscriptions électorales des conseillers territoriaux. Il me semble qu'un autre sujet doit alimenter notre débat, celui relatif à la méthode du découpage de ces circonscriptions. Quand ce découpage aura-t-il lieu, et selon quelles modalités ?
M. Antoine Lefèvre. - Je souhaite revenir sur la question de la « territorialisation » du conseiller territorial. Il me semble que c'est l'enjeu essentiel de cette réforme, qui vise à « cantonaliser l'élu » au sein du conseil régional. Ceci permettra une vraie identification de l'élu par rapport à son territoire, ce qui est un élément indéniable de démocratie.
Je me pose aussi la question du respect des limites des intercommunalités dans le cadre de la définition des circonscriptions électorales des conseillers territoriaux. Il convient d'attirer l'attention sur les différences de taille de ces intercommunalités, ce qui me conduit à me demander quelle devrait être la taille du canton idéal.
Enfin, si la préservation de la représentation de la ruralité est essentielle, l'amélioration de l'identification des villes ne l'est pas moins. Il faudrait réfléchir à la possibilité d'élire un conseiller territorial représentant l'agglomération centrale. En effet, il peut arriver que la commune soit divisée en plusieurs cantons, ce qui ne facilite pas la lisibilité démocratique de la représentation territoriale.
M. Éric Doligé. - Je note que chacun d'entre nous, à l'aune de son expérience personnelle et des caractéristiques des territoires qu'il connaît, pourra émettre quelques réserves sur un mode de scrutin proposé au niveau national. L'exercice consistant à déterminer le meilleur mode de scrutin est particulièrement complexe, du fait de l'hétérogénéité des territoires.
Dans la réforme engagée deux points me semblent essentiels : la proximité et la reconnaissance du nouvel élu qu'est le conseiller territorial. L'identification pourrait être difficile puisque le représentant départemental et le représentant régional seront traités au sein d'une même élection. Je rappelle que plus on connaît son candidat et plus l'intérêt pour son élection est grande.
Je dirai à notre collègue Pierre-Yves Collombat qu'il me paraît normal que la réforme qui nous est proposée ne soit pas entièrement définie. C'est l'intérêt de notre réflexion commune de dégager des pistes sur ces sujets, et nous sommes déjà bien avancés dans cette voie. La mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales présidée par notre collègue Claude Belot, le comité pour la réforme des collectivités locales présidé par l'ancien Premier ministre Edouard Balladur, et maintenant notre délégation permettent d'éliminer certaines solutions et de retenir des critères qui nous semblent essentiels, tels que le nombre de cantons, la taille des cantons, ou la prise en compte de la représentation démographique et des limites des intercommunalités.
Je reconnais que les disparités pourront être importantes, qu'un conseiller territorial ne représentera pas la même population au sein de chaque département et de chaque région. Des critères devront être définis. S'ils ne permettent pas l'égalité parfaite, ils seront sans doute un progrès face aux écarts qui existent aujourd'hui entre les cantons.
J'avais une préférence pour le scrutin mixte géographique, mais je suis conscient des difficultés qu'il pose. Je suis aujourd'hui plutôt favorable au scrutin uninominal à deux tours, tout en souhaitant qu'un effort particulier soit fait pour la cohérence de la taille des cantons. Enfin je tenais à remercier les rapporteurs pour leur travail qui a permis d'éclairer notre délégation.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Je suis très favorable à la proximité de l'élu local avec son territoire, car cela correspond à une attente forte de nos concitoyens. Je crains, cependant, que certains scrutins majoritaires ne soient défavorables à la parité.
Par ailleurs, en me basant sur l'exemple de la Lozère et de l'Hérault, je m'interroge sur les modalités permettant de garantir un minimum de conseillers territoriaux pour chaque département, y compris les moins peuplés, tout en assurant une juste représentation de la population des départements les plus peuplés. Comment parvenir à un équilibre sans voir exploser le nombre de conseillers territoriaux des départements à forte densité de population ?
M. Jean-Claude Peyronnet. - Je me trouve dans une situation un peu délicate, malgré l'intérêt de la synthèse réalisée par nos rapporteurs : parler du mode du scrutin c'est déjà parler du conseiller territorial, alors que je suis contre la réforme qui prévoit sa création et qui implique une confusion entre les missions des conseils généraux et des conseils régionaux. Cette confusion se retrouve dans le mode de scrutin du conseiller territorial.
La réforme pose deux questions essentielles. La première porte sur le nombre de conseillers territoriaux permettant de fonctionner dans une assemblée. La fusion va rendre particulièrement difficile la fixation d'un plancher pour assurer la représentation des conseils généraux et d'un plafond pour permettre le fonctionnement des conseils régionaux. Il en découlera probablement un problème d'inconstitutionnalité lié à l'égalité des suffrages. Je crains qu'il n'y ait pas de solution à ce problème de découpage des circonscriptions électorales, auquel s'ajoute celui de la réduction du nombre des conseillers territoriaux.
Je suis favorable au regroupement des cantons ou au moins à l'égalisation des populations qu'ils représentent. Je ne vois pas d'objection à l'idée de réduire un peu le nombre d'élus, mais une réduction de moitié n'a pas de sens. Cette réduction de moitié, telle qu'elle est prévue, serait contraire au bon fonctionnement des assemblées et aurait des effets pervers sur les modes de scrutin étudiés.
M. Yves Daudigny. - Des éléments de réflexion intéressants ont été apportés à notre délégation. On mesure toutefois la limite de l'exercice. En effet, tout pouvoir politique, au moment du choix d'un mode de scrutin, prend certes en compte l'intérêt général mais aussi son propre intérêt, c'est une évidence. Une deuxième limite à cet exercice de réflexion est qu'il est paradoxal de réfléchir au mode d'élection du conseiller territorial lorsque l'on n'est pas convaincu du bien-fondé de sa création.
L'élection étant prévue dans le cadre départemental, le mode de scrutin du conseiller territorial semble obéir à des objectifs départementaux, sans que l'on mesure les conséquences que cela pourra avoir sur le fonctionnement des conseils régionaux.
La prise en compte du périmètre des intercommunalités dans le cadre de la réflexion sur le mode de scrutin des conseillers territoriaux est souhaitable. L'hétérogénéité des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ne permet pas d'envisager que chacun d'entre eux soit représenté par un conseiller territorial. Les circonscriptions électorales doivent s'inspirer des limites cantonales en tenant compte, autant que faire se peut, des périmètres des intercommunalités mais aussi des territoires des communes.
Je suis très favorable à l'idée d'abandonner la réduction de moitié du nombre des conseillers territoriaux. Il a été dit, par quelqu'un qui n'est pas de l'opposition, que l'économie attendue serait négligeable, voire très négligeable. J'ajoute qu'une telle évolution serait une perte pour la démocratie.
Enfin, pour garantir la proximité du conseiller territorial, je soutiens le scrutin uninominal à deux tours.
M. Alain Lambert, président. - J'aimerais faire deux remarques quant aux recommandations ou alertes que vous souhaiterez présenter à la commission des lois et à l'ensemble des sénateurs en vue de l'examen du projet de loi sur l'élection des conseillers territoriaux et le renforcement de la démocratie locale. Au cours de nos débats, deux sujets m'ont marqué par leur récurrence.
D'une part, le fait de discuter du mode de scrutin pour l'élection des conseillers territoriaux sans connaître précisément le nombre d'élus constitue un exercice difficile et fait peser un aléa supplémentaire sur la réforme. C'est un point sur lequel notre délégation pourrait attirer l'attention du Sénat, ce qui renvoie à plusieurs questions : la taille des cantons, la prise en compte de l'intercommunalité...
D'autre part, notre délégation pourrait également attirer l'attention sur la nécessité de choisir un système où les majorités soient stables à la fois au niveau départemental et au niveau régional.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - En réponse à ce que mes collègues viennent de dire, il me semble tout d'abord important de préciser que je suis favorable à ce que le découpage des cantons respecte les limites de l'intercommunalité.
Par ailleurs, je dirai qu'il est presque normal de ne pas encore pouvoir disposer d'informations supplémentaires concernant la taille et le périmètre de ces futurs cantons. Tant que l'on ne connaît pas le mode de scrutin, il est difficile d'aborder la question du découpage, d'autant que, quel que soit le gouvernement, les découpages ne se font généralement pas dans la plus grande transparence !
Sur la question de M. Jean-Claude Peyronnet relative à la disparité des cantons, je dirai que, comparée à la situation actuelle (les disparités sont de l'ordre de 1 à 40), la copie du Gouvernement ne pourra être que meilleure. Le Conseil d'Etat examinera ce point et comme l'a rappelé M. Pierre-Yves Collombat, le juge administratif qui a déjà accepté des écarts importants, acceptera les futures disparités qui semblent être moins fortes.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Nous ne connaissons pas encore précisément les disparités entre les cantons !
M. Hervé Maurey, rapporteur. - D'après M. Hervé Fabre-Aubrespy, conseiller pour la législation électorale au cabinet du Premier ministre, les disparités entre les futurs cantons seront acceptées par la haute juridiction administrative, puisque le Conseil d'Etat a déjà validé des écarts plus importants.
Pour avoir un sens, les cantons doivent être à taille humaine, le maintien de la proximité étant essentiel. Dans l'appréciation de la taille des cantons, il faut prendre en considération certes l'importance de la population, mais aussi d'autres critères, tels que le nombre de communes.
Mme Jacqueline Gourault. - Pensez-vous qu'un sénateur n'est pas un élu de proximité ?
M. Hervé Maurey, rapporteur. - La notion de proximité n'a pas le même sens, selon qu'on l'applique à un sénateur ou à un conseiller général.
Ce que je veux dire, c'est qu'il est absurde de vouloir nécessairement porter à 3 000 le nombre de conseillers territoriaux. En effet, s'il est acceptable de réduire un peu le nombre de cantons, par exemple de 10 %, une diminution de 50 % n'est pas imaginable.
Pour terminer, je tiens à souligner que je n'ai personnellement rien contre le scrutin uninominal à deux tours, mais je vous rappelle que la majorité du Sénat a voté l'article 1A qui pose le principe d'un scrutin mixte.
M. Pierre Yves Collombat, rapporteur. - S'agissant des questions liées aux zones urbaines et rurales et à la proximité, l'étude d'impact du projet de loi concernant l'élection des conseillers territoriaux et le renforcement de la démocratie locale souligne la difficulté de définir un critère objectif de l'urbanité et précise que la notion d'aire urbaine au sens de l'INSEE n'a aucun lien avec la carte des départements et, a fortiori, avec la carte cantonale.
L'étude d'impact ajoute que le suffrage d'un électeur n'est pas pris en compte de la même manière selon qu'il s'exprime dans une zone urbaine (répartition des sièges entre plusieurs listes proportionnellement aux voix recueillies par chacune d'elles) ou dans une zone non urbaine (attribution du siège en jeu au candidat arrivé en tête, même d'une seule voix).
S'agissant de la notion de proximité, il s'agit de savoir de quel territoire on parle : du territoire au sens de la géographie euclidienne ou bien de la géographie humaine ? Cette question opposait déjà en 1790, lors de la création des départements français, les tenants d'un découpage au cordeau, qui s'inspiraient des Etats-Unis d'Amérique, et ceux qui souhaitaient respecter la vie locale et la taille humaine.
Lorsque le projet de loi portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés a été déposé au Parlement, j'ai présenté une contre-proposition visant à effectuer le découpage des circonscriptions législatives à partir des frontières des intercommunalités. On m'a alors objecté que ce projet renforcerait les pouvoirs du préfet, compte tenu de ses pouvoirs en matière de découpage des intercommunalités. Je vous laisse juger la valeur de l'argument ! En réalité, l'intercommunalité est une variable que l'on refuse de prendre en compte, alors qu'elle le mériterait.
Par ailleurs, les difficultés liées aux élections régionales trouvent leur origine dans la problématique de la territorialisation des élus. J'ai regardé par exemple ce qui se passerait dans mon département et j'ai constaté un déséquilibre évident entre le pourcentage d'électeurs dans certaines zones et le nombre d'élus. Il y a à l'évidence un problème. Le système de Léon Blum permettrait de répondre à cette difficulté. Selon ce système électoral, les personnes élues à la proportionnelle sont par ailleurs candidates sur des listes territorialisées, ce qui permet de disposer « d'élus territorialisés ».
Mais ce système, aussi bon soit-il, nous conduit toujours à la même difficulté, sur laquelle nous ne sommes pas d'accord : l'élection simultanée des conseillers régionaux et des conseillers généraux. A mon avis, tous les risques d'inconstitutionnalité et de définition de majorité stable dans les conseils régionaux et généraux sont liés à cette élection simultanée. C'est pourquoi, selon moi, cette réforme n'est pas un progrès !
M. Alain Lambert, président. - Je tiens à vous remercier car, sur un sujet aussi sensible et délicat que sont les conseillers territoriaux, nous avons travaillé dans un esprit visant à rechercher des propositions concrètes. Lors de la prochaine séance de notre délégation, je souhaiterais aborder avec vous les modalités de publication d'un rapport consacré à la question des modes de scrutin des conseillers territoriaux, car les analyses qui ont été faites sur le sujet pourront être utiles à la commission des lois du Sénat, et au Sénat dans son ensemble lorsque le projet de loi n° 60 sera discuté en deuxième lecture au sein de notre Assemblée.