Mardi 6 avril 2010
- Présidence de M. Alain Vasselle, président -Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi
La mission a procédé à l'audition de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi, dans le cadre du rendez-vous 2010 pour les retraites.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, a tout d'abord souligné le bien-fondé et la nécessité de s'intéresser aux questions d'emploi, notamment des seniors, dans le cadre de l'examen d'un dossier comme celui de la réforme des retraites. Le thème de l'emploi des seniors renvoie à plusieurs sujets essentiels. Il met en évidence un problème financier considérable : il n'est pas possible d'équilibrer le système de retraites si la France reste le pays de l'OCDE où l'on entre le plus tard sur le marché du travail et où on le quitte le plus tôt. Par ailleurs, avoir un faible taux d'emploi des jeunes et des seniors pénalise la capacité de l'économie à dégager de la croissance, ce qui met en cause une gestion malthusienne de l'emploi et de la compétitivité qui a trop longtemps prévalu en France. Enfin, d'un point de vue de justice et d'équité, on ne peut réformer les retraites si tous les salariés qui souhaitent trouver un emploi voient leurs candidatures rejetées dès lors qu'ils ont plus de cinquante-cinq ans. Réformer les retraites implique d'être capable de lutter contre les discriminations en matière d'emploi liées à l'âge.
Retraites et emploi des seniors sont donc intrinsèquement liés et doivent évoluer ensemble, même si la politique en faveur de l'emploi des seniors n'a pas pour seul objectif de préparer le terrain de la réforme des retraites. La Suède constitue en la matière un exemple particulièrement intéressant puisqu'elle a mis en place conjointement un plan très offensif pour l'emploi des seniors et une réforme ambitieuse de son système de retraites. Aujourd'hui, ce pays affiche un taux d'emploi des cinquante-cinq/soixante-quatre ans de 70 % quand la moyenne européenne est à 46 % et la France à 38 %. Ce dernier chiffre doit être nuancé puisqu'il convient de faire une distinction entre la tranche cinquante-cinq/cinquante-neuf ans et la tranche soixante/soixante-quatre ans, compte tenu de la fixation à soixante ans de l'âge légal de départ en retraite en France. Notre pays est cependant très en retard et encore bien loin de l'objectif de 50 % prévu par l'agenda de Lisbonne.
Comment se fait-il qu'une même entreprise qui, en Allemagne, en Espagne, en Suède, conserve ses salariés bien au-delà de cinquante-cinq ans, puisse conduire une politique tout à fait différente en France ? Plusieurs facteurs d'explications doivent être lucidement énoncés. Il s'agit tout d'abord du résultat de trente années d'a priori qui se sont progressivement enkystés dans les politiques de l'emploi et de gestion de ressources humaines. Les responsables politiques, toutes tendances confondues, ont cru pouvoir gérer, voire camoufler, les statistiques du chômage, en poussant les seniors hors du marché du travail. Pour un ministre de l'emploi, il est plus confortable de favoriser les dispenses de recherche d'emploi ou les préretaites des seniors que de se battre pour les maintenir dans l'emploi. De leur côté, les entreprises ont utilisé les seniors comme variable d'ajustement pour diminuer leurs effectifs et regagner artificiellement de la compétitivité. Enfin, les syndicats ont eux-mêmes participé à ce processus en utilisant le départ des seniors comme moyen de rendre moins difficiles les plans sociaux dans les entreprises. Cette manière de gérer l'emploi a constitué une forme de gangrène. Dès lors qu'il est admis que les seniors quittent l'emploi vers cinquante-huit ans, les employeurs souhaitant embaucher font un calcul de rentabilité de l'investissement qu'ils vont opérer, ce qui conduit progressivement à décaler vers le bas l'âge à partir duquel les salariés ne parviennent plus à trouver un emploi. On en est arrivé à considérer qu'il n'est plus rentable d'embaucher quelqu'un dès lors qu'il atteint cinquante ans.
Le Gouvernement a donc souhaité faire de l'emploi des seniors un des volets majeurs de mobilisation sur la politique de l'emploi et une rupture très forte a été opérée sur ce sujet au cours des dernières années. Alors qu'en 1997, 100 000 personnes partaient en préretraite chaque année, on ne compte plus aujourd'hui que 40 000 préretraités au total, dont la plus grande partie sont des victimes de l'amiante, et ce chiffre est en diminution rapide.
Le Gouvernement a engagé trois types d'actions :
- le premier volet est opérationnel depuis fin 2008 et concerne la fin de la mise à la retraite d'office, associée à la libération du cumul emploi-retraite et à un relèvement de la surcote pour qu'elle soit simple et lisible. Pour le seul premier trimestre 2009, le taux de recours à la surcote a augmenté de près de 50 % par rapport à 2008 ;
- le deuxième volet consiste à mettre en place un meilleur accompagnement des demandeurs d'emploi seniors. La dispense de recherche d'emploi est en voie de suppression par le décalage progressif de l'âge auquel elle peut être accordée ;
- enfin, le troisième volet tend à modifier en profondeur la gestion des âges dans les entreprises. Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, les branches et entreprises de plus de cinquante salariés ont dû signer, avant le 1er janvier 2010, des accords ou des plans d'action pour recruter ou maintenir des seniors dans l'emploi, avec des objectifs et des moyens précisément chiffrés.
Les résultats sont à la hauteur de cet engagement. Ainsi, alors que dans toutes les crises économiques précédentes, les ajustements de l'emploi se sont faits au détriment des seniors et des jeunes, la crise actuelle a infirmé ce schéma. Le taux d'emploi des seniors a progressé pour la première fois et a augmenté de 1 % en un an pour atteindre 39,1 % au quatrième trimestre 2009. Cette évolution doit contribuer à faire disparaître l'idée selon laquelle donner un emploi à un senior, c'est en priver un salarié plus jeune. Un tel raisonnement est à la fois particulièrement choquant, en ce qu'il culpabilise les salariés, totalement faux du point de vue macroéconomique, puisque la France cumule de faibles taux d'emploi des seniors et des jeunes, enfin inexact du point de vue microéconomique. A titre d'exemple, Areva s'est trouvée en grandes difficultés il y a quelques années parce qu'elle perdait son savoir-faire. Les générations qui avaient construit les premières centrales et avaient accumulé ce savoir-faire arrivaient à l'âge de la retraite sans que les jeunes générations aient été véritablement préparées à leur succéder. L'entreprise a donc mis en oeuvre une politique de tutorat permettant aux seniors de former les plus jeunes. De son côté, Bouygues a lancé les opérations « casques oranges » qui permettent à des salariés expérimentés de prendre en charge les jeunes entrant dans l'entreprise, notamment par la voie de l'apprentissage. Ces opérations ont permis de diviser par deux les départs précoces de ces jeunes, dont une grande partie se décourageait rapidement auparavant.
Les accords ou plans d'actions des branches et des entreprises ont été précédés de l'élaboration par le groupe Vigeo d'un guide des bonnes pratiques existant dans ce domaine : bilans de carrière à plus de cinquante ans, formations pour changer de poste, embauche de seniors pour la vente de produits destinés à cette catégorie de la population... Ce guide a été mis à disposition des entreprises et des branches, qui ont pu y puiser des idées pour élaborer leurs plans d'action. Plus de 70 % des salariés, soit près de treize millions, sont aujourd'hui couverts par un accord de branche ou d'entreprise. Il n'y a donc pas de fatalité à ce que l'emploi des seniors soit sacrifié dans notre pays.
En ce qui concerne l'emploi des jeunes, l'une des actions les plus utiles et efficaces consiste à renforcer le recours à l'apprentissage et à l'alternance, qui permettent aux jeunes de trouver plus facilement un emploi et de le garder, mais aussi de cotiser au titre de la retraite dès l'entrée en contrat d'apprentissage ou de professionnalisation.
En définitive, on ne peut pas gérer l'emploi avec une logique de courte vue. Cette logique voudrait que les seniors partent en préretraite et que les jeunes poursuivent plus longtemps leurs études. Une telle politique soulage les statistiques de l'emploi à court terme, mais a des effets catastrophiques à moyen et long terme. Des changements structurels sont en cours, mais il faudra du temps avant que tous leurs effets puissent être pleinement mesurés.
M. Dominique Leclerc, rapporteur, s'est félicité des progrès accomplis en faveur de l'emploi des jeunes dans le cadre de l'alternance et de l'apprentissage. Comment pourrait-on faciliter la validation par les jeunes d'années de cotisations au titre de la retraite ? En ce qui concerne l'emploi des seniors, comment s'explique l'échec du contrat à durée déterminée spécifique pour les seniors ? Serait-il possible d'envisager un contrat personnalisé individuel pour les seniors leur permettant de continuer à valoriser leur expérience au sein de l'entreprise ? Enfin, l'âge légal du départ à la retraite ne joue-t-il pas un rôle essentiel en matière d'emploi des seniors, compte tenu d'un effet d'horizon qui peut dissuader d'embaucher un salarié dont l'âge de départ possible est proche ?
Mme Christiane Demontès, rapporteure, a observé que, certes, la crise actuelle n'a pas empêché une progression du taux d'emploi des seniors, mais elle s'est soldée par un grand nombre de pertes d'emploi touchant les trente-cinquante ans. En ce qui concerne les plans d'action en faveur de l'emploi des seniors, quelles sont les branches et les types d'entreprises qui ont été les plus actives et quelles ont été les mesures les plus souvent retenues ? La rupture conventionnelle ne risque-t-elle pas de devenir une nouvelle voie de sortie du marché du travail pour les seniors ? Dispose-t-on de données chiffrées sur cette question ?
S'agissant de l'apprentissage et de l'alternance, compte tenu des progrès déjà accomplis, une mobilisation très forte des entreprises, et notamment des plus grandes d'entre elles, sera nécessaire car de nombreuses demandes de jeunes ne sont pas satisfaites. Par ailleurs, tous les jeunes ne se forment pas par l'alternance et certains d'entre eux effectuent des études longues pendant lesquelles ils ne cotisent pas au titre de la retraite. La mise en place d'une allocation d'autonomie en faveur des jeunes, proposée par la mission d'information sur les jeunes en 2009, ne constituerait-elle pas une piste intéressante pour permettre de cotiser au cours des périodes d'études ?
M. Alain Vasselle, président, a souligné l'insuffisance du nombre de contrats en alternance. Quels sont les obstacles au développement de l'offre de ce type de contrats par les entreprises ?
M. Laurent Wauquiez a tout d'abord estimé que le problème de l'accès des seniors à l'emploi n'est pas un problème de statut juridique. En revanche, il est nécessaire de s'attaquer à certains verrous, tels que les préretraites, l'impossibilité d'accéder à la formation professionnelle à partir d'un certain âge ou l'inadaptation de certaines machines aux seniors. En renouvelant son parc de machines pour la fabrication des pneus, Michelin a pu maintenir dans l'emploi davantage de seniors. Il est également nécessaire de développer les bilans de carrière en envisageant les postes qui pourraient être occupés par les salariés au cours de leurs dernières années d'activité et à quelles conditions.
Par ailleurs, il faut faciliter l'embauche des seniors et, pour parvenir à cet objectif, l'évaluation en milieu de travail est un excellent outil qui permet souvent de convaincre les employeurs que les seniors peuvent apporter beaucoup à l'entreprise.
L'âge légal de départ à la retraite a évidemment un impact sur l'emploi des seniors. Mais les deux sujets doivent être traités ensemble et l'élévation éventuelle de cet âge ne peut être menée sans une politique vigoureuse en faveur de l'emploi des seniors.
Assurément, la récente crise a eu des effets très douloureux sur l'emploi. Mais il est illusoire de faire face à la crise en gérant la politique de l'emploi sous forme de discriminations entre les âges. Il n'y a pas de raison de préserver seulement l'emploi des trente-cinquante ans au détriment des plus jeunes et des seniors. Opposer les générations entre elles n'est pas une voie d'avenir.
A ce jour, 98 branches sur 160 environ négocient ou ont négocié un accord sur l'emploi des seniors, ce qui représente une proportion considérable, certaines branches étant en réalité en sommeil. Ces accords concernent les principales branches et tous les périmètres d'activité. 79 de ces négociations ont déjà abouti et ont été validées par l'administration, ce qui correspond à neuf millions de salariés. Si l'on ajoute à cela les 30 000 accords d'entreprises ou plans d'action qui ont été engagés, ce sont treize millions de salariés qui sont couverts par un accord de branche ou un accord d'entreprise. Les dispositifs de tutorat sont ceux qui intéressent le plus les entreprises. Certaines entreprises se sont engagées à ne plus prendre en compte l'âge parmi les critères de recrutement. De nombreuses mesures concernent également les conditions de travail et la lutte contre la pénibilité.
Sur l'apprentissage et l'alternance, il convient de se rappeler qu'il y a quelques années, certaines filières ne parvenaient pas à recruter des apprentis. Les mentalités ont changé et ces filières sont aujourd'hui très recherchées. Malgré la crise, l'alternance ne s'est pas effondrée en 2009 et a même connu une légère progression. Il reste cependant des obstacles au développement de ces dispositifs. Le système de mise en relation des entreprises est beaucoup trop artisanal. A titre d'exemple, aucun site Internet ne rassemble l'ensemble des besoins des entreprises et des candidatures des jeunes. Par ailleurs, il faut faciliter les déplacements de ces jeunes, qui n'ont souvent pas leur permis de conduire, lorsqu'une entreprise éloignée de leur domicile et de leur centre de formation accepte de les accueillir ; cela peut impliquer le développement des internats et des capacités d'hébergement liées aux centres de formation d'apprentis, ainsi que la possibilité de prendre en charge les frais de mobilité de ces jeunes.
Il faut également avoir conscience que l'alternance ne se développera plus beaucoup dans certains secteurs qui l'utilisent déjà fortement, comme le bâtiment ou la restauration, et qu'elle doit maintenant s'étendre à d'autres secteurs (informatique, fonction publique territoriale...) et métiers (employés et cadres de banque, commerciaux, ingénieurs). Pour parvenir à ces résultats, il faut que les grandes entreprises jouent davantage le jeu. Les engagements pris par certains grands groupes dans le cadre de la mission confiée à Henri Proglio ont été tenus et doivent servir d'exemple. Pour faciliter le développement de l'apprentissage dans les grandes entreprises, il faut renoncer à l'idée selon laquelle l'apprentissage débouche nécessairement sur un emploi dans l'entreprise où il se déroule. Il paraît plus utile que les grands groupes accueillent des apprentis puis en orientent certains vers leurs sous-traitants qui peuvent être susceptibles de les embaucher et n'ont pas les moyens de développer une filière d'apprentissage en leur sein.
En ce qui concerne l'allocation d'autonomie, il convient d'abord de laisser se dérouler les expérimentations en cours avant de prendre des décisions. Par ailleurs, cette allocation d'autonomie serait financée par de l'argent public et en consacrer une partie à des cotisations retraites ne crée pas de richesses supplémentaires. Il est plus important de faire en sorte que la sortie de crise bénéficie aux jeunes et aux seniors afin d'accroître l'assiette des cotisations de retraite.
M. Alain Gournac a estimé indispensable de développer le sens du travail et la culture de l'entreprise auprès des jeunes. L'exemple des « casques oranges » de Bouygues est de ce point de vue intéressant. Toutes les actions permettant de faciliter l'entrée des jeunes dans le monde de l'entreprise, comme le tutorat ou l'accompagnement personnalisé, doivent être favorisées.
M. René Teulade a insisté sur le véritable « gâchis » humain, économique et social que représente le faible taux d'emploi des seniors. La question des retraites n'est pas seulement un problème d'ordre démographique ou économique, elle constitue aujourd'hui un choix de société. Celle-ci a beaucoup évolué au cours des dernières années ; en témoigne le fait que les générations arrivant actuellement en fin de carrière ont désormais la charge de quatre générations. De même, il est important de souligner que la cessation de la vie professionnelle ne signifie nullement la fin de toute activité. La réforme des retraites ne pourra se faire sans un consensus de l'ensemble des acteurs économiques et sociaux. C'est un problème difficile mais passionnant, comme le montrent les débats du Conseil d'orientation des retraites (Cor), qui conditionne l'équilibre de la société de demain.
M. Guy Fischer a demandé plus de précisions sur les conditions de mise en oeuvre de la rupture conventionnelle. Il a insisté sur la diversité des qualifications acquises dans le supérieur et posé la question de l'ouverture des droits à compter de la formation ou des périodes d'étude.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe a souhaité savoir si l'on peut envisager de façon plus systématique la prise en compte des stages dans le cadre de la validation des droits à la retraite. Par ailleurs, dans les contrats passés avec les grandes entreprises en matière d'emploi des seniors, le départ progressif ou « en sifflet » a-t-il été envisagé ?
M. André Lardeux a fait valoir que le seul consensus certain est celui du souhait d'un départ à la retraite le plus rapide possible. Il a regretté la séparation entre les fonctions de ministre de l'emploi et de ministre du travail. Enfin, trop de contradictions subsistent entre l'idée d'un recul de l'âge du départ à la retraite et le faible taux d'emploi des seniors ou entre la suppression progressive des préretraites et la réflexion sur des dispositifs de départ anticipé dans le cadre de la pénibilité.
M. Laurent Wauquiez a relevé l'intérêt du développement de la culture d'entreprise chez les jeunes. La mise en place de formules de tutorat, comme chez Michelin, répond précisément à cette nécessité. La transmission d'un savoir professionnel à un jeune représente, en outre, un excellent moyen de reconnaître, à la veille du départ en retraite, l'ensemble d'une vie professionnelle. Il est donc important d'organiser de manière souple la valorisation du rôle de tuteur, ce que permet par exemple la loi sur la formation professionnelle qui a prévu qu'une partie du salaire du tutorat puisse être prise en charge dans le cadre des fonds de la formation professionnelle.
Il est tout à fait souhaitable d'aborder le problème de l'emploi des seniors sous un angle sociétal, avec le souci du respect des générations, de l'expérience accumulée et de la solidarité intergénérationnelle, le mot employé de « gâchis » n'étant pas exagéré.
Il n'existe pas de chiffres précis sur l'âge des salariés concernés par une rupture conventionnelle. Néanmoins, il apparaît que, proportionnellement, les seniors sont nettement plus nombreux dans les plans de licenciement que dans les ruptures conventionnelles. La rupture conventionnelle n'est donc pas aujourd'hui l'antichambre de la retraite anticipée.
L'alternance doit être défendue, notamment du fait de son utilité en tant qu'ascenseur social ; cela permet d'élargir les recrutements et de renforcer les chances de nombreux jeunes. En Allemagne d'ailleurs, l'apprentissage existe à tous les échelons de la formation.
La loi est claire sur la façon dont les stages sont pris en compte pour le calcul des retraites : s'ils sont couverts par un contrat de travail, ils donnent lieu à cotisations ; dans le cas contraire, il n'y a pas de cotisations et donc pas d'ouverture de droits pour la retraite.
Beaucoup d'accords prévoient des formes de départ « en sifflet » ou des aménagements de fin de carrière. Ainsi, Schneider a prévu des dispositions particulières pour le travail de nuit de ses salariés de plus de cinquante-cinq ans.
La séparation entre les fonctions de ministre de l'emploi et de ministre du travail a l'avantage de bien mettre en évidence le rôle essentiel de l'économie dans la création d'emplois, celle-ci ne pouvant se faire de façon artificielle.
Le recul de l'âge de départ en retraite est certainement un moyen pour faire évoluer la situation en termes d'emploi des seniors ; les deux questions doivent être examinées de manière parallèle et globale. La pénibilité, enfin, est un vrai sujet mais elle ne doit pas être l'occasion de se défausser de ses responsabilités.
Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de M. Pierre Bruandet, responsable de l'entité Politiques sociales et salariales à la Régie autonome des transports parisiens (RATP)
La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Pierre Bruandet, responsable de l'entité Politiques sociales et salariales à la Régie autonome des transports parisiens (RATP), dans le cadre du rendez-vous 2010 pour les retraites.
M. Pierre Bruandet a présenté le régime de retraite de la RATP, en insistant sur les deux réformes qu'il a connues en 2006 et en 2008. Sa création repose sur le décret du 23 septembre 1959 portant statut de la RATP, pris en application de l'ordonnance du 7 janvier 1959. Historiquement, la RATP avait compétence pour gérer le régime de retraite du personnel, qui présentait avant réformes les caractéristiques suivantes :
- un taux plein atteint à trente-sept annuités et demie ;
- le calcul de la pension sur la base du salaire des six derniers mois ;
- un âge de départ fixé à soixante ans avec trente ans de service, pour les sédentaires, mais l'existence de dérogations pour certaines catégories de personnels : cinquante ans avec vingt-cinq de service pour les agents d'exploitation, cinquante-cinq ans pour les agents de maintenance ;
- l'octroi de bonifications d'annuités dans la limite de cinq années aux agents d'exploitation et de maintenance ;
- des taux de cotisations salariale et patronale respectivement fixés à 7,85 % et 15,35 % ;
- un déficit structurel du régime couvert par des fonds publics (indemnité compensatrice initialement versée par l'Etat, puis par le syndicat des transports d'Ile-de-France - Stif - depuis 2000).
Le régime spécial a fait l'objet de deux réformes successives dans les années 2000, l'une modifiant son mode de financement, l'autre, les droits de ses ressortissants. Deux raisons ont conduit à la première réforme, mise en oeuvre en juin 2006 : d'une part, l'obligation de se conformer aux normes comptables internationales IAS (qui imposent à une entreprise disposant de son propre régime de retraite d'inscrire ses engagements dans ses états financiers ou, à défaut, de les externaliser) ; d'autre part, les difficultés de provisionner dans les comptes de l'entreprise les dépenses de retraite, estimées à 23 milliards d'euros. A cela s'est ajoutée la nécessité de supprimer toute distorsion de concurrence avant l'entrée en vigueur du règlement européen sur les obligations de service public dans les transports terrestres - règlement dit « OSP ». La création, au 1er janvier 2006, d'une caisse de retraite du personnel de la RATP indépendante, la CRP RATP, a permis de clarifier la situation juridique, comptable et financière du régime. Cette caisse est chargée de recouvrer le produit des cotisations, de liquider et de servir les pensions. L'engagement de la RATP est limité au versement des cotisations patronales, dont le taux a été porté au niveau du droit commun soit 18 %. Le taux des cotisations salariales est, quant à lui, passé de 7,85 % à 12 %.
Les décrets du 26 décembre 2005 ont également prévu l'adossement du régime spécial au régime général et aux régimes complémentaires, dans l'objectif de réduire la participation financière de l'Etat. Le transfert des droits de base au régime général suppose de l'Etat le versement d'une soulte à la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) pour compenser le déficit démographique du régime spécial, évaluée en 2004 à 700 millions d'euros, et le versement aux régimes complémentaires d'une participation aux réserves techniques d'environ 180 millions d'euros. A la suite de la notification à la Commission européenne de ce dispositif, les travaux préalables à l'adossement ont été interrompus dans l'attente de la qualification, par celle-ci, de la procédure d'adossement au regard du droit européen de la concurrence. Dans sa décision du 13 juillet 2009, la Commission européenne a estimé que la création de la caisse de retraite de la RATP était constitutive d'une aide d'Etat compatible avec les traités communautaires, sous réserve que la réforme soit entièrement mise en oeuvre. Tel n'a pas été le cas jusqu'à présent et la RATP appelle en conséquence de ses voeux la réalisation de l'opération d'adossement afin de se mettre en conformité avec les règles européennes relatives à la concurrence. Le sénateur Bertrand Auban, dans son rapport d'information de juillet 2008 sur la CRP RATP, recommande également de relancer d'urgence la procédure d'adossement.
La réforme des droits des ressortissants, entrée en application le 1er juillet 2008, avait pour objectif d'aligner les principaux paramètres du régime spécial sur ceux du régime de la fonction publique. Une première série de mesures a été imposée par le Gouvernement, tandis qu'une seconde a été négociée au sein de l'entreprise. Parmi les principes communs visant l'harmonisation avec le régime des fonctionnaires figurent notamment :
- l'allongement de la durée d'assurance pour bénéficier d'une pension complète à quarante annuités en 2012, puis à quarante et une annuités en 2016 ;
- la création d'un dispositif de décote/surcote ; alors que la surcote est applicable depuis le 1er juillet 2008, la décote le sera à compter du 1er juillet 2010. Le taux de décote augmentera progressivement pour atteindre 1,25% par trimestre manquant en 2019 ;
- la suppression, depuis le 1er janvier 2009, des bonifications pour les nouveaux entrants ;
- l'indexation des pensions sur les prix et non plus sur la valeur du « point rémunération » de l'entreprise.
Les mesures résultant des négociations d'entreprise sont, quant à elles, de trois ordres :
- celles destinées à compenser l'augmentation de la durée d'activité : la création de deux échelons d'ancienneté supplémentaires, l'un en 2012 (vingt-six ans d'ancienneté), l'autre en 2014 (vingt-huit ans d'ancienneté) ; l'attribution de points de rémunération en fin de carrière, sous réserve d'une ancienneté de vingt-huit ans et demi. La conjugaison de ces deux mesures permet une majoration du taux de remplacement de 3,75 %. A également été négociée la prise en compte, échelonnée sur quatre ans, dans l'assiette cotisable, d'une prime de 2,4 % ;
- celle visant à accompagner les salariés qui ont élaboré un projet de vie et qui ont prévu de quitter l'entreprise entre juillet 2008 et juillet 2012 : la majoration de leur rémunération en fin de carrière, afin que le niveau de leur pension après la réforme soit équivalent à ce qu'il aurait été avant celle-ci ;
- des mesures diverses : la possibilité de rachat d'années d'études et de surcotisation sur la part non travaillée du temps partiel (dans la limite de quatre trimestres), la suppression de la retraite d'office, l'abaissement de quinze à un an de la durée minimale de service pour bénéficier du régime spécial, etc.
M. Pierre Bruandet a ensuite présenté la situation financière actuelle du régime, tout en se livrant à un exercice de projection. Pour l'entreprise, la progressivité de la mise en oeuvre des mesures d'accompagnement entre 2008 et 2015 conduira à un étalement des coûts ; ceux-ci atteindront 14 millions d'euros par an, à compter de 2015. La mesure la plus coûteuse est la création de deux échelons d'ancienneté supplémentaires. S'agissant de la caisse de retraite, les charges de pension s'élevaient, en 2009, à 914 millions et les cotisations (salariales et patronales) à 425 millions. La dotation de l'Etat, destinée à compenser le déficit démographique du régime et à financer ses spécificités (en particulier, les bonifications et les six derniers mois de salaire de référence), était de 495 millions. Jusqu'en 2014, la réforme devrait engendrer, pour la CRP RATP, un coût supplémentaire de l'ordre de 2 millions d'euros par an, en raison des contreparties accordées par l'entreprise. Ce n'est qu'à partir de 2016 que la réforme commencera à produire des économies, à hauteur de 35 millions en 2020 et de 100 millions en 2030. Ces gains escomptés sont essentiellement dus à l'augmentation de la durée d'assurance et à l'instauration de la décote.
Actuellement, la subvention de l'Etat, qui avoisine les 500 millions d'euros, se décompose comme suit : 250 millions pour compenser le déficit démographique du régime, 217 millions pour financer les bonifications et 38 millions au titre de la règle des six derniers mois de salaire pour le calcul de la pension. La réalisation de la procédure d'adossement permettrait de réduire le montant de la subvention versée par l'Etat puisque le déficit démographique serait pris en charge par le régime de base. Ne subsisterait que le coût des droits spécifiques, dont 85 % sont dus aux bonifications. Celles-ci devant progressivement s'éteindre - les nouveaux entrants n'y ayant plus droit -, la subvention de l'Etat ne couvrirait plus que l'effet « six derniers mois ». Cette réforme réduit donc considérablement la charge pour les comptes de l'Etat.
M. Dominique Leclerc, rapporteur, a demandé si, depuis la réforme, l'âge de départ à la retraite à soixante ans est valable pour toutes les catégories de salariés. Celui-ci s'applique-t-il aux agents d'exploitation et de maintenance qui, jusqu'ici, pouvaient partir à cinquante ans ou cinquante-cinq ans ? Par ailleurs, force est de constater qu'à la RATP, les avantages spécifiques sont provisionnés par l'Etat, alors qu'à la SNCF, ils sont pris en charge par l'entreprise elle-même.
Mme Christiane Demontès, rapporteure, a souhaité connaître le taux de remplacement à la RATP.
M. Pierre Bruandet a expliqué qu'à la RATP, l'âge d'ouverture des droits à la retraite est personnalisé, ce principe n'ayant pas été remis en cause par la réforme des régimes spéciaux de 2007. Théoriquement, cet âge est de soixante ans, mais il peut être inférieur compte tenu des bonifications d'annuités attribuées à certains salariés, comme les agents d'exploitation et de maintenance. Ceux-ci peuvent toujours partir à cinquante ou à cinquante-cinq ans. En revanche, s'ils n'ont pas atteint le nombre d'annuités nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein (quarante annuités en 2012), une décote leur sera appliquée dès le 1er juillet prochain.
M. Guy Fischer a demandé si cette réforme a des conséquences sur la gestion des ressources humaines de l'entreprise.
M. Pierre Bruandet a indiqué que, chaque année, un questionnaire est envoyé aux salariés pour connaître leurs intentions concernant la retraite. En 2007, l'entreprise a connu une vague de départs plus importante que d'habitude (1 800 départs), compte tenu de l'inquiétude qu'a suscitée la mise en oeuvre de la réforme. Aujourd'hui, beaucoup de salariés se demandent s'ils doivent partir dès 2010, date à laquelle la décote doit entrer en vigueur. S'agissant des avantages spécifiques, il n'a jamais été question de les faire prendre en charge par l'entreprise ; historiquement, c'est l'Etat qui assume leur coût. A la RATP, le taux de remplacement, pour une durée moyenne d'assurance de trente-cinq annuités, est de 70 %. Il faut rappeler que la durée d'assurance obtenue par certains salariés est le résultat des années de service effectuées, mais aussi des bonifications d'annuités qui leur ont été octroyées. Ainsi, un conducteur de bus comptabilise en moyenne vingt-huit ans de service, un conducteur de métro, vingt-sept ans et demi. Les personnels d'exploitation et de maintenance représentent 35 000 salariés, sur les 45 000 environ que compte l'entreprise.
M. Alain Vasselle, président, a souhaité connaître la part des primes dans la rémunération du personnel de la RATP. Dans la fonction publique territoriale, celles-ci peuvent représenter 30 % à 40 % des revenus. Une compensation financière est-elle prévue au titre de l'adossement du régime de la RATP au régime général et de la reprise par la Cnav de la charge du déficit démographique ? Par ailleurs, qui supportera le coût de la règle des « six derniers mois », une fois l'adossement réalisé ?
M. Pierre Bruandet a indiqué que les primes représentent environ 10 % de la rémunération ; la part des primes dans les salaires est toutefois différente selon les métiers. Après l'adossement, le coût du déséquilibre démographique du régime sera assumé par la Cnav. En contrepartie, celle-ci recevra une soulte de la part de l'Etat, dont le montant a été évalué à 700 millions d'euros. Actuellement, l'Etat prend en charge le coût des spécificités du régime, à savoir les bonifications - pour 45 000 personnes au maximum - et le coût du calcul du salaire de référence sur les six derniers mois de carrière. A terme, les bonifications vont disparaître puisque la réforme de 2007 les a supprimées pour les nouveaux entrants. La subvention de l'Etat sera diminuée d'autant. En revanche, celle-ci continuera à couvrir le coût de la règle des six derniers mois.
M. Guy Fischer a demandé si la règle consistant, pour l'Etat, à assumer les bonifications pour 45 000 personnes au maximum ne risque pas de conduire à une maîtrise des effectifs et à une gestion à flux tendus, alors même que l'entreprise développe son réseau.
M. Pierre Bruandet a expliqué que, compte tenu des mesures prises en faveur de la productivité du travail, la réduction des effectifs n'est pas problématique pour l'essor de l'entreprise sur le territoire national et à l'étranger. Actuellement, celle-ci compte 44 300 salariés. Il faut préciser que les personnels travaillant en province ou à l'étranger ne sont pas considérés comme des salariés de droit commun de la RATP ; ils sont d'ailleurs affiliés au régime général. Concernant le rendez-vous de 2010 sur les retraites, il faut remarquer que les interlocuteurs d'aujourd'hui sont les mêmes que ceux de 2007 (président de la RATP, partenaires sociaux, Gouvernement) : seul le ministre a changé. Ce qui a été négocié hier ne devrait pas être remis en cause, au risque d'attiser les tensions sociales. Les organisations syndicales ont bien compris qu'une nouvelle étape allait être franchie ; pour elles, la règle des six derniers mois est un symbole important, qui marque le caractère « spécial » du régime auquel elles sont attachées.
M. René Teulade a rappelé que cette règle s'applique aussi dans la fonction publique.
M. Alain Vasselle a estimé que la situation n'est pas comparable, dans la mesure où les primes représentent 30 % à 40 % de la rémunération de certains fonctionnaires, ce qui n'est pas le cas à la RATP.