- Mardi 30 mars 2010
- Mercredi 31 mars 2010
- Sociétés militaires privées - Audition du colonel François de Lapresle, du ministère de la défense, et de MM. Luc Viellard, directeur, et Olivier Hubac, consultant, du pôle Prospective stratégique de la CEIS
- Suivi parlementaire de la politique de sécurité et de défense commune - Audition de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes
- Suivi parlementaire de la politique de sécurité et de défense commune -Communication
- Nomination de rapporteur
Mardi 30 mars 2010
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Lutte contre la piraterie - Examen du rapport et du texte proposé par la commission
La commission a procédé, en présence de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à l'examen du rapport de M. André Dulait et a établi le texte qu'elle propose pour le projet de loi n° 607 rectifié (2008-2009) relatif à la lutte contre la piraterie et à l'exercice des pouvoirs de police de l'Etat en mer.
M. André Dulait, rapporteur, a indiqué que le projet de loi visait à renforcer le cadre juridique en matière de lutte contre les actes de piraterie, dans un contexte de forte résurgence de la piraterie, en particulier dans le Golfe d'Aden et au large des côtes somaliennes, qui a conduit la France avec d'autres pays européens à lancer la première opération navale de l'Union européenne, dénommée « Atalanta », de lutte contre la piraterie maritime dans cette région.
Le projet de loi comporte trois principaux volets.
Il vise d'abord à introduire en droit français un cadre juridique pour la répression de la piraterie maritime, inspiré des stipulations de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay.
En effet, bien que la France ait signé et ratifié la convention de Montego Bay, celle-ci n'a pas été transposée en droit interne.
Par ailleurs, la loi du 10 avril 1825 pour la sûreté de la navigation et du commerce maritime, qui contenait des dispositions relatives à la piraterie, a été abrogée par la loi du 20 décembre 2007 sur la simplification du droit.
Le projet de loi ne crée pas une nouvelle incrimination de piraterie mais il détermine les infractions susceptibles d'être commises par les pirates en se référant à des incriminations déjà existantes du code pénal susceptibles de répondre aux actes de piraterie, tels que définis par la Convention de Montego Bay.
Il est proposé de se limiter aux infractions les plus graves :
- le détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, lorsqu'il implique au moins deux navires ;
- l'enlèvement et la séquestration lorsqu'elles précèdent, accompagnent ou suivent un détournement de navire ;
- la participation à une association de malfaiteurs destinée à préparer les actes précités.
Cette dernière infraction permettra de poursuivre et de juger non seulement les pirates proprement dits, mais aussi les commanditaires et leurs complices.
La peine maximale encourue pour ces infractions sera comprise entre 20 ans et la réclusion criminelle à perpétuité selon les circonstances aggravantes (prise d'otages, séquestration suivie de mort, minorité de la victime, etc.).
Concernant le champ géographique, le projet de loi prévoit que ces dispositions s'appliquent aux actes de piraterie commis en haute mer, dans les espaces maritimes ne relevant de la juridiction d'aucun Etat ou, lorsque le droit international l'autorise, dans les eaux territoriales d'un Etat.
Les deux premiers critères sont repris de la Convention de Montego Bay. Les termes « espaces maritimes ne relevant de la juridiction d'aucun Etat » renvoient à la zone économique exclusive.
Le troisième critère vise à prendre en compte la situation particulière de certains États « fragiles » qui ne sont plus en mesure d'assurer le contrôle de leurs eaux territoriales. Ainsi, dans le cas de la Somalie, la résolution 1816 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 2 juin 2008, a autorisé les Etats qui coopèrent avec le Gouvernement fédéral de transition à « entrer dans les eaux territoriales de la Somalie afin de réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée en mer ».
Le projet de loi prévoit ensuite de reconnaître une compétence « quasi universelle » aux juridictions françaises pour poursuivre et juger des actes de piraterie commis en haute mer.
L'article 105 de la Convention de Montego Bay stipule que « tout Etat peut, en haute mer ou en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d'aucun Etat, saisir un navire pirate ou un navire aux mains de pirates, appréhender les personnes et saisir les biens se trouvant à bord. Les tribunaux de l'Etat qui a opéré la saisie peuvent se prononcer sur les peines à infliger, ainsi que sur les mesures à prendre en ce qui concerne le navire ou les biens ».
La piraterie constitue ainsi l'une des rares infractions internationales, avec la traite des esclaves, à déroger à la loi du pavillon, d'après laquelle, en haute mer, l'ordre public obéit au droit de nationalité du navire, et à se voir appliquer une « compétence universelle ».
La compétence universelle désigne « la compétence reconnue à un État pour juger les infractions commises par des particuliers en dehors de son territoire, alors que ni l'auteur ni la victime ne sont ses ressortissants ».
Il s'agit là d'une dérogation aux règles habituelles de compétence des juridictions françaises, qui reposent sur trois critères : l'infraction a été commise sur le territoire de la République, l'auteur ou la victime ont la nationalité française.
En droit français, la compétence universelle est régie par les articles 689 et suivants du code de procédure pénale. Le champ d'application de cette compétence recouvre les actes de torture et de terrorisme, la protection et le contrôle des matières nucléaires, les actes contre la sécurité de la navigation maritime, les actes contre la sécurité de l'aviation civile, les actes de violence illicite dans les aéroports et la protection des intérêts financiers de la Communauté européenne. Cette compétence a également été étendue pour juger les violations graves du droit international humanitaire commises en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Toutefois, en droit français, la compétence pour juger des infractions commises hors du territoire est qualifiée de « quasi universelle » car son application est soumise à deux conditions :
- elle ne peut procéder que d'une convention internationale ;
- l'auteur présumé doit « se trouver en France ».
Le projet de loi vise à introduire en droit français la possibilité de prévoir la compétence des juridictions françaises pour juger d'actes de piraterie commis hors du territoire national, y compris lorsque ces actes seraient commis par des navires et des ressortissants étrangers à l'encontre de navires battant un pavillon étranger et dont les victimes seraient d'une autre nationalité. Toutefois, d'après le projet de loi, deux conditions doivent être réunies pour permettre la compétence des juridictions françaises :
- les auteurs doivent avoir été appréhendés par des agents français ;
- les juridictions françaises ne sont compétentes qu'à défaut d'entente avec les autorités d'un autre Etat pour l'exercice par celui-ci de sa compétence juridictionnelle.
La deuxième condition vise à prendre en compte le cas des accords conclus dans le cadre de l'opération « Atalanta » de l'Union européenne, avec certains pays tiers comme le Kenya ou les Seychelles, qui ont accepté le transfert sur leur territoire des personnes suspectées d'avoir commis des actes de piraterie afin qu'elles soient jugées par leurs juridictions. Elle pourrait également trouver à s'appliquer si un autre Etat s'estime mieux placé pour juger d'une affaire, notamment si le navire attaqué ou ses victimes sont de sa nationalité. En outre, cette compétence reste, en tout état de cause, une simple faculté pour les autorités françaises.
Enfin, le projet de loi vise à mettre en place un régime sui generis pour la consignation à bord des personnes appréhendées dans le cadre des actions de l'Etat en mer.
Il s'agit ainsi de répondre aux griefs formulés à l'encontre de la France par la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt dit Medvedyev du 10 juillet 2008, confirmé par un arrêt rendu en grande chambre le 29 mars 2010, dans lequel la Cour de Strasbourg a constaté une violation par la France de la Convention européenne des droits de l'homme, à l'occasion d'une opération d'interception d'un navire suspecté de se livrer au trafic de produits stupéfiants. En l'espèce, il a été reproché à la France de ne pas disposer, à cette époque, d'un cadre légal suffisant organisant les conditions de privation de liberté à bord d'un navire. Si ce contentieux est survenu à l'occasion d'une opération de lutte contre le trafic de stupéfiants, il concerne l'ensemble des opérations de police en mer, que ce soit la lutte contre la piraterie, l'immigration illégale ou la pêche illicite. Dans son arrêt du 29 mars 2010, la Cour européenne des droits de l'homme, réunie en grande chambre, n'a toutefois pas repris l'argument selon lequel le procureur de la République ne constituait pas une autorité judiciaire indépendante, au sens de la convention, qui figurait dans l'arrêt du 10 juillet 2008.
La procédure proposée par le projet de loi serait la suivante :
- dès que le commandant du navire met en oeuvre des mesures de restriction ou de privation de liberté à l'égard de personnes impliquées dans une activité illicite et menaçant la sécurité ou la sûreté du navire ou de son équipage et de ses passagers, le préfet maritime doit en informer sans délai le procureur de la République ;
- le procureur de la République doit, dans les quarante-huit heures qui suivent la mise en oeuvre des mesures de restriction ou de privation de liberté, saisir le juge des libertés et de la détention, qui est un magistrat du siège ;
- le juge des libertés et de la détention statue sur la poursuite de ces mesures pour une durée maximale de cinq jours ;
- ces mesures sont renouvelables dans les mêmes conditions de fond et de forme le temps nécessaire pour que les personnes soient remises à l'autorité compétente.
Pour se prononcer sur la poursuite ou non des mesures de restriction ou de privation de liberté, le juge des libertés et de la détention dispose d'une large source d'information :
- il peut solliciter du procureur de la République tous éléments de nature à apprécier la situation matérielle et l'état de santé de la personne concernée ;
- il peut ordonner un nouvel examen de santé ;
- il peut entrer à tout moment en contact avec la personne qui fait l'objet de mesures de restriction ou de privation de liberté, « sauf impossibilité technique ».
Enfin, la personne faisant l'objet de mesures de restriction ou de privation de liberté bénéficie de certains droits :
- dans un délai de vingt-quatre heures, le commandant doit faire procéder à un examen de santé par une personne qualifiée ;
- dans un délai de dix jours à compter du premier examen de santé, il fait procéder à un examen médical.
M. André Dulait, rapporteur, a précisé que la différence entre l'examen de santé et l'examen médical tient au fait que l'examen de santé n'est pas forcément réalisé par un médecin mais peut être effectué par un infirmier, par exemple. Un compte rendu de ces examens se prononçant notamment sur l'aptitude au maintien de la mesure de restriction ou de privation de liberté est transmis au procureur de la République. Enfin, la personne est informée « dans une langue qu'elle comprend » de la décision du juge des libertés et de la détention.
M. André Dulait, rapporteur, a fait valoir que, si ce régime s'inspire sur certains aspects de celui prévu pour la garde à vue, il est fondamentalement différent dans la mesure où il s'agit d'une phase qui précède l'enquête judiciaire. Dès lors, les modalités du régime de la garde à vue ne sont par transposables à la rétention des personnes interpellées dans le cadre de la lutte contre la piraterie maritime. On imagine aisément, en effet, les difficultés pratiques qu'il y aurait à prévoir par exemple l'intervention d'un avocat, alors que la personne concernée se trouve à bord d'un bâtiment de la marine nationale souvent très éloigné des côtes françaises.
Pour autant, la possibilité de prendre des mesures restrictives ou privatives de liberté doit être expressément prévue et encadrée et contrôlée par l'autorité judiciaire. À cet égard, l'intervention d'un juge du siège, réputé plus « indépendant » qu'un magistrat du Parquet, tel que le juge des libertés et de la détention, répond directement aux observations de la Cour européenne des droits de l'homme concernant l'absence d'indépendance du parquet vis-à-vis de l'exécutif, a estimé M. André Dulait, rapporteur.
Les délais prévus visent à tenir compte des contraintes particulières de la lutte contre la piraterie maritime, qui peut intervenir très loin des côtes françaises, et du temps nécessaire au bâtiment de l'État pour rejoindre le territoire français, qui peut prendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines.
A cet égard, il convient de relever que, dans son arrêt Medvedyev, la Cour européenne des droits de l'homme n'a pas retenu à l'encontre le grief concernant la violation sur le délai raisonnable, en estimant que la privation de liberté subie par les requérants, retenus pendant treize jours en mer, se trouvait justifiée par des « circonstances tout à fait exceptionnelles », notamment « l'inévitable délai d'acheminement » du navire vers la France.
En conclusion, M. André Dulait, rapporteur, a estimé que le régime proposé par le projet de loi en matière de rétention à bord préserve l'équilibre entre les fortes contraintes opérationnelles de l'action de l'Etat en mer et l'indispensable respect des garanties et des libertés individuelles. Il semble donc de nature à répondre aux engagements internationaux de la France, en particulier dans le cadre de la Convention européenne des droits de l'homme.
Il a indiqué que, sans modifier l'équilibre général du projet de loi, il proposerait plusieurs amendements visant à préciser ou à compléter le dispositif proposé.
Enfin, il a souhaité connaître la position du ministre sur le recours éventuel à des sociétés militaires privées pour assurer la protection des navires et leur équipage. Il a indiqué que, malgré le risque d'une escalade de la violence, certains armateurs envisagent le recours à ces sociétés militaires privées afin d'assurer la protection de leur navire.
Il a également mentionné la législation de certains Etats, comme celle des Etats-Unis, qui autorise le recours à ces sociétés privées et a souhaité savoir si une réflexion était actuellement menée en France à ce sujet.
M. Hervé Morin, ministre de la défense, a fait valoir que la France, à la différence d'autres pays, comme l'Espagne par exemple, était opposée au recours aux sociétés militaires ou de sécurité privées pour assurer la protection des navires au motif qu'il s'agissait là de l'exercice d'une compétence régalienne exercée par l'Etat et ne pouvant pas être déléguée, conformément aux règles constitutionnelles.
La France a ainsi mis en place des équipes militaires embarquées à bord des thoniers présents dans l'océan Indien afin d'assurer la protection des navires et de leur équipage.
De ce point de vue, la situation se présente de manière différente en Espagne, où les normes en vigueur ne permettent pas le recours à des moyens militaires sur des navires privés à des fins privées.
M. Didier Boulaud, s'exprimant au nom du groupe socialiste, a indiqué que son groupe partageait l'objectif de renforcer la lutte contre la piraterie maritime, qui constitue un fléau au niveau international.
Il s'est également félicité du succès de l'opération « Atalanta » de l'Union européenne de lutte contre la piraterie maritime dans le Golfe d'Aden et au large des côtes somaliennes, qui constitue la première opération navale de l'Union européenne.
Rappelant les observations formulées par MM. André Dulait et Michel Boutant devant la commission à la suite de leur séjour à bord d'une frégate participant à cette opération, M. Didier Boulaud a fait toutefois observer que les causes du développement de la piraterie au large de la Somalie s'expliquaient par la situation de ce pays, dépourvu d'Etat central et en guerre civile depuis 1992, et par l'extrême pauvreté de ses habitants.
Il a donc estimé que la solution ne pouvait pas se résumer à des réponses purement militaires ou juridiques, mais qu'elle devait prendre en compte également les aspects politiques, économiques et sociaux relatifs à la situation de ce pays.
Il a également considéré qu'il était indispensable de rechercher une meilleure coordination internationale en matière de lutte contre la piraterie maritime.
Il a jugé indispensable d'adapter la législation française, en particulier afin de tenir compte des griefs formulés à l'encontre de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt Medvedyev du 29 mars 2010. Il a rappelé que la France disposait d'une législation ancienne en matière de répression de la piraterie, avec une loi datant de 1825, mais que celle-ci avait été abrogée en 2007.
Il a également souligné que la Cour européenne des droits de l'homme avait, dans son arrêt Medvedyev du 29 mars 2010, condamné la France pour violation de l'article 5§1 de la convention européenne des droits de l'homme, en estimant que la rétention à bord des personnes interpellées en haute mer, dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants, était dépourvue de base légale.
Il a donc jugé indispensable de prévoir un cadre juridique pour la rétention des personnes interpellées dans le cadre de l'exercice par l'Etat des pouvoirs de police en mer, et les mesures restrictives et privatives de liberté prises dans ce cadre, qui soient de nature à offrir toutes les garanties nécessaires au regard du respect des engagements internationaux et européens de la France, des libertés individuelles et des principes fondamentaux, tels qu'interprétés notamment par la Cour européenne des droits de l'homme.
Il a indiqué que son groupe présenterait deux amendements en ce sens.
Mme Michelle Demessine, s'exprimant au nom du groupe communiste, républicain et citoyen, a également estimé souhaitable de renforcer la lutte contre la piraterie maritime, tout en faisant remarquer que l'explication de ce fléau se trouvait souvent à terre, au regard de la situation d'extrême pauvreté des populations des pays concernés, et qu'elle devait s'inscrire dans le respect des principes fondamentaux.
Elle a fait valoir que la répression de la piraterie était prévue et encadrée par la convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
Elle s'est également félicité de l'opération « Atalanta » de l'Union européenne de lutte contre la piraterie maritime dans le Golfe d'Aden et aux large des côtes somaliennes et du rôle important joué par la France dans cette opération.
Si les dispositions du projet de loi relatives à la répression de la piraterie maritime et à la reconnaissance d'une compétence quasi universelle des juridictions françaises ne semblent pas soulever de difficultés, Mme Michelle Demessine a, en revanche, fait part de ses fortes préoccupations au sujet des dispositions prévues en matière de rétention à bord des personnes interpellées dans le cadre de l'action de l'Etat en mer, à la lumière des griefs retenus par la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt Medvedyev du 29 mars 2010, en particulier en ce qui concerne l'application de ces dispositions aux personnes interpellées dans le cadre de la lutte contre l'immigration illégale.
M. Josselin de Rohan, président, a ensuite indiqué que vingt-cinq amendements avaient été déposés sur le projet de loi, dont dix-huit par le rapporteur au fond, trois par M. André Trillard, deux par M. Yves Pozzo di Borgo et deux par MM. Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère et Michel Boutant.
Examinant l'ensemble des amendements, la commission s'est ainsi prononcée :
A l'article 1er (modification de l'ordonnancement de la loi du 15 juillet 1994), M. André Dulait, rapporteur, a présenté un amendement n° 1 visant à supprimer cet article.
Il a fait observer que le titre Ier de la loi du 15 juillet 1994 avait été abrogé et qu'il était donc possible d'insérer les nouvelles dispositions relatives à la lutte contre la piraterie maritime non pas au titre IV, comme le propose l'article 2 du projet de loi, mais au titre Ier. En conséquence, il a proposé la suppression de l'article 1er.
La commission a alors adopté cet amendement et supprimé l'article 1er.
Article premier |
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Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
M. Dulait, rapporteur |
1 |
Supprimer l'article |
Adopté |
A l'article 2 (introduction d'un cadre juridique en matière de lutte contre la piraterie), M. André Dulait, rapporteur, a présenté deux amendements n° 2 et n° 3 de coordination avec l'amendement n° 1 de suppression de l'article 1er.
La commission a alors adopté ces deux amendements.
M. Yves Pozzo di Borgo a présenté son amendement n° 19 visant à étendre les dispositions relatives à la lutte contre la piraterie aux eaux territoriales et intérieures françaises.
M. André Dulait, rapporteur, s'est déclaré réservé sur cet amendement en rappelant que, d'après la convention de Montego Bay, l'attaque contre un navire à des fins privées dans les eaux territoriales ou intérieures d'un Etat ne peut être qualifiée de piraterie mais qu'elle s'assimile à un acte de brigandage, étant donné que, dans ces espaces maritimes, la pleine souveraineté de l'Etat côtier s'applique. La seule exception concerne la situation spécifique de la Somalie et résulte des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies.
M. Hervé Morin, ministre de la défense, a précisé que, dans le cas de la France, les incriminations prévues par le code pénal, comme le détournement de navire par exemple, et la procédure pénale de droit commun trouveraient à s'appliquer.
M. Yves Pozzo di Borgo a alors accepté de retirer son amendement au bénéfice des observations du rapporteur et du ministre.
M. André Dulait, rapporteur, a ensuite présenté un amendement n° 4 visant à clarifier la disposition concernant les opérations ne relevant pas de l'autorité du préfet maritime ou du délégué du gouvernement pour l'action de l'Etat en mer, mais d'une autorité désignée dans un cadre international, à l'image de l'opération « Atalanta » de l'Union européenne.
M. Hervé Morin, ministre de la défense, ayant fait observer que l'autorité désignée dans un cadre international pouvait être civile ou militaire, M. André Dulait, rapporteur, a accepté de modifier son amendement pour prendre en compte l'observation du ministre.
La commission a alors adopté cet amendement ainsi modifié, ainsi qu'un autre amendement n° 5 de précision rédactionnelle présenté par le rapporteur.
M. André Dulait, rapporteur, a ensuite présenté un amendement n° 6 visant à déroger à l'autorisation du procureur de la République pour procéder à des saisies d'objets ou de documents en cas d'extrême urgence.
M. André Trillard a, pour sa part, présenté un amendement n° 21 visant à supprimer toute référence à l'autorisation du procureur de la République, compte tenu des fortes contraintes opérationnelles de la lutte contre la piraterie maritime.
Faisant valoir que la loi du 15 juillet 1994 prévoyait la possibilité de déroger à l'autorisation du procureur de la République en cas d'extrême urgence, en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants comme en matière de lutte contre l'immigration illégale, M. André Dulait, rapporteur, a estimé qu'il serait utile de prévoir une telle dérogation en matière de lutte contre la piraterie. En revanche, il s'est déclaré réservé sur l'amendement n° 21, jugeant que l'autorisation du procureur de la République devrait rester la règle.
M. André Trillard ayant accepté de retirer son amendement au bénéfice de celui présenté par le rapporteur, la commission a adopté l'amendement n° 6 présenté par son rapporteur.
M. André Trillard a présenté son amendement n° 22 visant à permettre de procéder à la destruction des embarcations pirates.
Il a indiqué qu'une telle possibilité était prévue par la loi du 15 juillet 1994 en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et de lutte contre l'immigration illégale outre-mer et qu'elle constituerait un moyen efficace de lutter contre la piraterie.
M. André Dulait, rapporteur, tout en se déclarant ouvert à cette idée, a souhaité connaître l'avis du ministre sur ce point.
M. Hervé Morin, ministre de la défense, a indiqué qu'il était favorable à cet amendement à condition de préciser que cette destruction ne pourra se faire que sous réserve des traités et accords internationaux en vigueur, comme le prévoit l'article L. 218-44 du code de l'environnement.
M. André Trillard ayant accepté de modifier son amendement en ce sens, la commission a alors adopté cet amendement ainsi modifié.
M. Yves Pozzo di Borgo a présenté son amendement n° 20 tendant à reconnaître aux juridictions françaises une compétence universelle pour poursuivre et juger les auteurs et complices des actes de piraterie commis en haute mer.
Il s'est fondé sur les stipulations de la Convention de Montego Bay qui prévoient une telle compétence universelle.
M. André Dulait, rapporteur, a rappelé que le Sénat avait longuement débattu de la compétence universelle lors de l'examen du projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, mais que le Sénat avait finalement écarté cette idée en estimant qu'elle n'était ni indispensable ni souhaitable.
Il a mentionné les précédents de la Belgique et de l'Espagne, qui ont démontré que l'exercice d'une compétence universelle avait créé des incidents diplomatiques importants avec une efficacité judiciaire limitée.
Il a également fait valoir les risques d'engorgement des juridictions françaises et les difficultés pratiques pour poursuivre et juger d'un grand nombre d'affaires de piraterie commises hors du territoire national par des ressortissants étrangers sans aucune victime française.
Il a donc estimé préférable de s'en tenir à la rédaction actuelle et de privilégier un traitement judiciaire régional.
M. Hervé Morin, ministre de la défense, a fait valoir les risques d'une telle compétence universelle pour les juridictions françaises, qui seraient submergées d'affaires de piraterie.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a alors rejeté cet amendement.
M. Didier Boulaud a présenté un amendement n° 24 visant à prévoir des conditions concernant la remise des pirates à d'autres pays, à garantir la non-application de la peine de mort et une procédure judiciaire permettant le respect des droits de la défense.
M. André Dulait, rapporteur, a indiqué qu'il partageait les préoccupations des auteurs de cet amendement.
Faisant observer que les accords conclus par l'Union européenne avec des pays tiers, comme le Kenya ou les Seychelles, prévoyaient déjà de telles garanties, il s'est toutefois interrogé sur la pertinence d'inscrire de telles dispositions dans la loi.
M. Hervé Morin, ministre de la défense, a déclaré partager l'avis du rapporteur en estimant que la mention de ces garanties n'était pas utile étant donné qu'elles s'appliquent déjà en pratique.
La commission a alors rejeté cet amendement.
M. André Dulait, rapporteur, a présenté un amendement n° 7 relatif aux règles de compétences des juridictions françaises.
Faisant remarquer qu'un projet de loi déposé au Sénat prévoyait de supprimer le tribunal aux armées de Paris, il a estimé préférable de retirer cette mention. En revanche, il a jugé utile de faire référence aux juridictions interrégionales spécialisées, qui disposent d'une expertise reconnue en matière de lutte contre la criminalité organisée.
La commission a adopté cet amendement.
Après l'article 2, la commission a examiné un amendement n° 23 présenté par M. André Trillard, visant à modifier l'intitulé de la loi du 15 juillet 1994 afin de faire référence à la lutte contre la piraterie maritime.
M. André Dulait, rapporteur, a émis un avis favorable à cet amendement.
M. Hervé Morin, ministre de la défense, s'en remettant à la sagesse de la commission, celle-ci a alors adopté l'amendement n° 23.
Article 5 |
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Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
M. Dulait, rapporteur |
10 |
Amendement rédactionnel |
Adopté |
A l'article 6 (création d'un régime sui generis pour la rétention à bord des personnes interpellées dans le cadre de l'action de l'Etat en mer), M. André Dulait, rapporteur, a présenté trois amendements rédactionnels n° 11, 12 et 13, qui ont été adoptés par la commission.
Il a ensuite présenté un amendement n° 14 visant à garantir l'information du procureur de la République de la mise en oeuvre des mesures privatives ou restrictives de liberté, quelles que soient la nature de l'opération et l'autorité sous laquelle elle s'exerce.
La commission a adopté cet amendement.
M. Didier Boulaud a présenté un amendement n° 25 visant à introduire un délai maximal de trente-deux jours pour la rétention à bord des personnes appréhendées dans le cadre des actions de l'Etat en mer.
Il a indiqué que la Belgique avait adopté récemment une loi sur la piraterie maritime qui prévoyait un délai maximal d'un mois pour la consignation à bord et que le droit français prévoyait un délai maximal de trente-deux jours en matière de rétention administrative des étrangers en situation irrégulière.
M. André Dulait, rapporteur, a indiqué que l'ensemble des personnes auditionnées s'étaient montrées très réservées à l'idée de prévoir un délai maximal, compte tenu de la difficulté de prévoir à l'avance le temps nécessaire à un navire pour rejoindre le territoire français, étant donné que cette durée dépend de la vitesse et de la distance du navire, mais aussi d'autres facteurs, comme les conditions météorologiques, par exemple.
Il a estimé que le fait que la mesure restrictive ou privative de liberté soit contrôlée tous les cinq jours par un juge du siège offrait suffisamment de garanties.
M. Hervé Morin, ministre de la défense, a déclaré partager les réserves du rapporteur.
M. Didier Boulaud a alors accepté de retirer son amendement.
M. André Dulait, rapporteur, a présenté un amendement n° 17 visant à prendre en compte le transfert des suspects par voie aérienne plutôt que par voie maritime et à prévoir, dans ce cas, l'application du régime de rétention à bord des aéronefs.
La commission a adopté cet amendement.
M. André Dulait, rapporteur, a présenté un amendement n° 18 visant à prévoir la remise à l'autorité judiciaire, dès son arrivée sur le sol français, de la personne faisant l'objet de mesures restrictives ou privatives de liberté.
La commission a adopté cet amendement.
La commission a alors adopté, le groupe socialiste et le groupe communiste, républicain et citoyen s'abstenant, le projet de loi ainsi rédigé.
Mercredi 31 mars 2010
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Sociétés militaires privées - Audition du colonel François de Lapresle, du ministère de la défense, et de MM. Luc Viellard, directeur, et Olivier Hubac, consultant, du pôle Prospective stratégique de la CEIS
Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition du colonel François de Lapresle, responsable de la sous-direction « politique et prospective de défense » de la délégation des affaires stratégiques du ministère de la défense et de MM. Luc Viellard et Olivier Hubac, respectivement directeur et consultant du pôle Prospective stratégique de la Compagnie européenne d'intelligence stratégique (CEIS), sur les sociétés militaires privées (SMP).
M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que le recours aux sociétés militaires privées (SMP) répond à un besoin très concret. Dans un contexte de réduction du format des armées, conséquence de leur professionnalisation, l'externalisation d'un certain nombre de fonctions est une nécessité. La question est de savoir jusqu'où on peut externaliser et si cette externalisation peut aller jusqu'à l'emploi délégué de la force armée.
Un certain nombre de débordements de SMP sur les théâtres afghans ou irakiens ont montré à l'évidence qu'il convient d'encadrer strictement leur activité pour éviter qu'elles prospèrent dans une zone de non-droit. Cet impératif est d'autant plus important que les populations font un amalgame entre ces SMP et les forces régulières.
Certes, la législation française autorise et encadre le recours à ces sociétés sous réserve que les services qu'elles proposent portent sur des activités licites et ne contreviennent pas aux dispositifs juridiques prévus en France. De plus, les missions relevant du pouvoir régalien sont assurées par l'État et ne peuvent être déléguées. Parmi ces missions se trouve bien évidemment le monopole de la force armée.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en tant que législateur, souhaite approfondir cette question, puisque s'il existe un cadre juridique, des adaptations de celui-ci sont sans doute nécessaires pour faire face aux besoins et, en particulier, par le recours aux sociétés militaires privées hors du territoire national, en OPEX.
Le colonel François de Lapresle, responsable de la sous-direction « politique prospective de défense » de la délégation aux affaires stratégiques du ministère de la défense, a tout d'abord indiqué que le sujet des SMP était réapparu il y a plus de dix ans de façon plus ou moins polémique sur la scène internationale. A l'ère de la mondialisation, il est au coeur d'enjeux d'influence et de pouvoir. Le terme « industry », fréquemment employé par les Anglo-Saxons, est très révélateur des dimensions de cette forme d'externalisation.
Des nombreux articles, études et travaux, on peut retenir quatre grands aspects de ce phénomène. En premier lieu, un chiffre d'affaires difficile à estimer mais qui est de l'ordre de 200 milliards de dollars. Ce secteur emploie un million de personnes, soit la deuxième armée du monde, qui agissent en dehors du cadre régalien et dont l'activité peut attirer certains militaires quittant des armées en pleine reconfiguration. Les SMP offrent une gamme large de services (renseignement, formation, soutien aux opérations, soutien logistique, conseil, etc...). Pour mieux juger de l'importance de ces positions, il suffit de constater que, sur le théâtre afghan, 60 % du personnel du Pentagone présent fait l'objet d'un recrutement contractuel.
La diversité des formes prises par ces sociétés privées est aussi à mentionner. Elles peuvent couvrir de très nombreux sujets qui vont de la protection physique à la sécurité aérienne et maritime, au renseignement en matière de lutte anti-terrorisme, à la protection des infrastructures, à la sécurité des frontières, mais aussi, récemment, aux conséquences du séisme en Haïti. Sécurité et défense se complètent bien et s'alimentent sur des fronts distincts. Le marché de la sécurité, autrefois plus différencié entre aspects public et privé, est aujourd'hui moins clairement segmenté.
Le colonel François de Lapresle a ensuite rappelé que ce phénomène du recours aux compétences privées n'est pas une nouveauté historique. S'il a toujours existé, il convient, aujourd'hui comme hier, de lui fixer des limites. C'est une affaire d'échelle et d'équilibre. Citant Machiavel qui faisait remarquer que « en temps de paix, le mercenaire se dérobe ; en temps de guerre, il déserte », le colonel François de Lapresle a rappelé l'importance de la dimension humaine qui l'emporte toujours. Mourir pour qui ? Mourir pour quoi ? De plus, depuis l'émergence du droit international humanitaire, à la fin du XIXè siècle, les armées n'ont jamais cessé de réfléchir à l'identification et au contrôle des sociétés privées. Cependant, des nuances apparaissent, notamment entre l'approche « westphalienne » de la construction des Etats et l'approche anglo-saxonne où le pragmatisme, le libéralisme et l'entreprise privée restent des valeurs dominantes. Ces différences posent naturellement des problèmes dans les Etats fragiles ou même sur les théâtres d'opérations en cours où ces modèles sont en concurrence, voire en confrontation.
Aujourd'hui, la stratégie de privatisation doit répondre à un triple intérêt : intérêt pour la défense qui doit y trouver les moyens d'une alternative à l'action militaire ; intérêt politique de poursuivre une action par les moyens du privé ; intérêt économique enfin. La pression réformatrice qui incite à court terme à l'externalisation sous toutes ses formes doit s'accompagner d'une bonne coordination entre les différents domaines et d'une vraie vision « du plus efficace, du plus responsabilisant et du moins cher ».
D'un point de vue juridique, sept documents encadrent aujourd'hui l'intervention des SMP : la déclaration universelle des droits de l'homme (1948), les conventions de Genève de 1949 et le protocole additionnel de 1977, la convention contre la torture de 1975, la convention sur les armes chimiques (1993), les principes élargis sur les droits de l'homme (2000) et les lois françaises sur le mercenariat et la sécurité intérieure de 2003.
Le colonel François de Lapresle a rappelé que ces sociétés sont difficiles à définir. Si « PSMC » (Private Military and Security Companies) est le terme générique retenu par les Anglo-Saxons, pour la France, il existe cinq acceptions distinctes ou voisines (en dehors du mot mercenaire), qui, à terme, mériteraient d'être regroupées et fédérées. On parle en effet d'entreprise militaire et de sécurité privée (EMSP), de société militaire privée (SMP), de société privée d'intérêt militaire (SPIM), de société de sécurité privée (SSP) ou, bien sûr, de mercenaires. Le Livre blanc de 2008 mentionne à trois reprises les SMP, qu'il définit comme « un organisme civil privé impliqué dans le cadre d'opérations militaires, dans la fourniture d'aide, de conseil, d'appui militaire et offrant des prestations traditionnellement assurées par les forces armées nationales ».
Constatant le rôle croissant des acteurs non étatiques, le Livre blanc constate le développement des SMP en marge des forces régulières et donc de la privatisation de la violence armée. Ces sociétés assurent la sécurité d'entreprises installées dans des régions instables, comme en Afrique. Mais elles jouent aussi un rôle direct de plus en plus manifeste dans les phases de stabilisation suivant les interventions militaires internationales. Cette évolution va à l'encontre du principe de légitimité du monopole étatique de la force armée. Le soldat en uniforme n'est plus immédiatement assimilable à un combattant qui agit dans un cadre multinational. À la confusion qui résulte de la multiplication des milices s'ajoute alors le brouillage de l'identité des forces disposant d'un mandat international.
En France, les missions relevant du pouvoir régalien sont assurées par l'Etat et ne peuvent être déléguées, conformément à l'alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 et à la jurisprudence du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel. La loi du 12 juillet 1983 qui réglemente les activités privées de sécurité a été complétée par la loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003 et la loi du 5 mars 2007 sur la délinquance. Le corpus juridique français est certes contraignant, mais il a le mérite de ne pas offrir une trop grande latitude aux initiatives et à des interprétations plus large.
De plus, les législations sur le contrôle des exportations d'armement et le respect des embargos sont aussi très contraignantes (examen des contrats de fourniture à des Etats étrangers, respect des embargos (US et UE). La loi du 14 avril 2003 réprime le mercenariat sur le territoire national et pour un ressortissant français à l'étranger, ou quand la victime est un ressortissant français. La responsabilité pénale individuelle avec le rôle des entreprises est aussi un aspect essentiel.
Au niveau international, depuis 2008, la profusion des documents de référence, revues stratégiques et travaux de réflexion, prend en compte l'ensemble des acteurs intervenant dans la gestion des crises, dont les SMP, au même titre que les ONG ou les factions. Ces documents évoquent tous la variété des acteurs qui rendent nécessaire une approche globale.
Le colonel François de Lapresle a ensuite abordé la question de la prise de décision et des choix à faire. Il a souligné l'importance d'un régime clair de séparation des pouvoirs et la nécessité de disposer d'une base juridique stable, qui ne varie pas au gré de la jurisprudence ou de « bonnes pratiques » évolutives. Les sociétés militaires privées, quand elles deviennent des acteurs déterminants, sont en mesure d'orienter « les finalités de la guerre » dans une direction éventuellement distincte des intérêts de la coalition. Elles peuvent constituer une véritable coalition au sein de la coalition et influer sur le tempo et les finalités de l'action. Le fait qu'en France les missions régaliennes de l'État ne puissent être déléguées aux acteurs privés est un atout, a récemment souligné l'amiral Mullen, le chef d'état-major des armées américain. La nouvelle politique américaine et les déclarations du président Obama sur certaines dérives constatées confortent cette approche responsable de l'externalisation.
Afin de répondre à l'inflation des EMSP, a été rédigé, sous l'égide du Comité international de la Croix-Rouge, le document de Montreux de 2008 qui, à ce jour, est le document normatif le plus abouti. Il vise à susciter une prise de conscience des États, à clarifier les obligations juridiques des EMSP et à trouver un moyen d'en encadrer l'activité tout en consignant les règles et les pratiques de référence de ces sociétés privées. Soutenu par 32 États, ce document rappelle les obligations qu'assument les nations, les EMSP et leur personnel, au regard du droit international humanitaire, lorsque ces dernières interviennent dans un conflit.
Soixante-dix pratiques de référence sont répertoriées pour aider les États à s'acquitter de leurs obligations. Il est important de rappeler que ce document est juridiquement non contraignant et qu'il ne présente pas pour vocation de légitimer les EMSP, mais d'établir une distinction pertinente entre les États contractants, l'État territorial et l'État d'origine.
L'origine géographique des sociétés militaires privées montre qu'elles proviennent principalement des États-Unis, d'Australie, de Grande-Bretagne, d'Afrique du Sud, de Turquie, de Suède et de Pologne, mais aussi de pays comme l'Afrique du Sud ou les Seychelles. Leurs zones d'activité, outre l'Irak et l'Afghanistan, se situent principalement en Afrique, mais aussi en Indonésie, en Russie et en Colombie. Cette répartition géographique met en évidence les interactions, les intérêts et les raisons de cette industrie.
Après avoir abordé la question des débordements des sociétés militaires privées, le colonel François de Lapresle a indiqué que l'industrie des sociétés militaires privées offrait l'ensemble de ses compétences et de ses expertises via des sites Internet dédiés.
En dernière analyse, le décisionnaire quel qu'il soit (politique, militaire, diplomate, etc.) doit rester un acteur-clé à tous les niveaux. La définition des objectifs de la mission, des buts et de la stratégie poursuivis, des effectifs, du coût de l'opération, de sa durée, mais aussi le questionnement sur les valeurs, sur l'image et sur le contrôle sont fondamentaux. C'est dans le cadre de cette méthode de définition que les sociétés militaires privées peuvent trouver leur place, avec et sous le contrôle du décideur politique, du planificateur, du « commandeur » et de tous les acteurs de la mission, à toutes les étapes de la gestion de la crise.
L'emploi de la force légitime au-delà de la légitime défense repose donc sur un rôle essentiel de l'Etat ou de son représentant mandaté sur tout le spectre de la gestion des crises. Le contrôle est un point vital.
En conclusion, le colonel François de Lapresle a souligné les particularités de l'approche française. Il a tout d'abord indiqué que les sociétés militaires privées ne sont pas, à proprement parler, un problème militaire, mais un sujet de nature politique et juridique qui renvoie à une certaine conception du rôle de la force armée, instrument d'une volonté politique avec le pouvoir exorbitant de recevoir ou de donner la mort. Cette conception a une forte dimension culturelle, ce qui explique des divergences assez profondes sur la légitimité de la force militaire, même au sein d'un monde occidental qui peut sembler en apparence assez homogène. En d'autres termes, les SMP ne sont pas un expédient, une solution parmi d'autres, pouvant permettre de régler un problème capacitaire donné. Le fait de ne pas considérer leur présence comme indispensable à la manoeuvre n'empêche pas de chercher à les connaître, à les comprendre et à les prendre en compte dans les missions.
En définitive, il convient de poser le débat en termes de responsabilité politique, de responsabilité juridique et de responsabilité pénale. Il faut aussi dépassionner le débat dès lors que l'on constate que près de 80 % des activités des SMP américaines ne sont pas des actions guerrières, mais plutôt des actions sécuritaires ou de conseil. Il y aurait donc une certaine caricature à dépeindre les SMP américaines comme la deuxième armée du monde, même si, à l'évidence, elles peuvent apparaître quelquefois comme la première force de police. Le mouvement d'externalisation des fonctions de soutien constaté depuis une dizaine d'années pourrait alors se poursuivre dans des champs plus larges, touchant le domaine sécuritaire, sans pour autant devenir un problème de philosophie politique et militaire.
Pour la France, il existe quatre règles strictes qui dessinent des lignes rouges : le rôle politique est déterminant ; l'absence de participation aux hostilités est essentielle, comme l'est l'autonomie de l'action militaire. Enfin il convient d'examiner les externalisations au cas par cas. L'hypothèse dans laquelle des sociétés civiles pourraient être amenées à conduire des actions plus ou moins directement liées au combat change naturellement les termes du débat. En effet, le combat reste le domaine de la force maîtrisée qui exprime la volonté collective d'un Etat et d'un peuple. A ce titre, il ne doit pas y avoir d'ambiguïtés dans l'expression de cette violence légitime. Elle ne peut, même à la marge, intégrer des intérêts privés pouvant obéir à d'autres logiques que celle de la volonté publique. Sous-traiter des fonctions directement liées à l'emploi de cette « force légitime » c'est, en fait, franchir une ligne de crête et basculer dans une autre logique, dans une autre vision du rôle du soldat. La privatisation de la guerre ne doit pas venir interférer dans le coeur du métier du soldat. Le pouvoir exorbitant du militaire ne vaut que par la qualité du lien qui le rattache à la collectivité qu'il représente. Dénaturer ce lien, même à la marge, c'est en réalité délégitimer le fait militaire. Faire combattre côte-à-côte des soldats et des SMP, c'est, en fait, nier l'existence même du soldat. La question du périmètre d'action des SMP est donc fondamentale.
La réflexion doit donc se poursuivre et sept pistes sont à explorer :
- le choix par action des externalisations et leur périmètre ;
- le statut individuel des membres des sociétés privées ;
- l'absence d'exposition au champ de bataille ;
- l'aspect réglementé de l'utilisation de la force et des armes ;
- la nature précise des contrats signés et le contenu de ceux-ci ;
- des accords internationaux à scruter et à préparer avec attention : application et cohérence ;
- le volet certification : quel contrôle et quelle labellisation, quel niveau ?
Puis un débat s'est ouvert au sein de la commission.
M. Josselin de Rohan, président, s'est interrogé sur le nombre de sociétés militaires privées (SMP) existantes en France, leurs domaines d'intervention et leurs lieux de déploiement. Il a également souhaité que lui soit précisé le statut dont relèverait un employé de ces sociétés s'il était fait prisonnier. Les conventions de Genève s'appliqueraient-elles ?
En réponse, le colonel François de Lapresle a indiqué que :
- il n'existe pas de sociétés de ce type en France, car notre droit les prohibe. La contractualisation n'est possible qu'avec les sociétés poursuivant des objectifs légaux. Nos forces armées ne recourent donc à des partenaires privés que dans le cadre d'externalisation de certaines activités logistiques ;
- on dénombre environ mille cinq cents SMP à l'échelle mondiale, dont aucune société française. Notre pays a, en revanche, recours à des sociétés privées en matière de soutien logistique ou d'environnement de la force, le cas le plus probant étant celui de l'économat aux armées, qui contracte avec plusieurs sociétés privées pour réaliser ses missions ;
- un employé d'une SMP fait prisonnier par des forces régulières relèverait des conventions de Genève et des six autres textes régissant le statut de tels prisonniers ;
- le cas d'un citoyen français employé par une SMP étrangère, par exemple britannique, serait plus complexe puisque relevant du droit français, il pourrait en France être accusé de mercenariat ;
- le document de Montreux précédemment évoqué n'a pas de force contraignante, et c'est pourquoi les SMP anglo-saxonnes établissent des « codes de bonne conduite » régissant leurs activités.
M. André Dulait a relevé que le document de Montreux n'avait été signé que par une trentaine de pays, ce qui affaiblissait d'autant sa portée. Il s'est interrogé sur les divergences de positions vis-à-vis des SMP entre les membres de l'OTAN, s'inquiétant des conséquences possibles en cas d'interventions conjointes. Il a fait état d'une question posée la veille en commission au ministre de la défense, M. Hervé Morin, sur le cas de l'opération Atalanta, et a estimé la réponse obtenue peu convaincante.
En réponse, le colonel François de Lapresle a précisé que :
- les pays signataires du document de Montreux se sont réunis le 22 mars 2010 ; à cette occasion, les pays anglo-saxons ont exercé une forte pression pour faire prévaloir, sous la pression des intérêts de leurs industries, leur système de code de conduite s'appliquant aux SMP et à leurs employés. La France souhaite, en revanche, élargir les principes retenus par le document de Montreux alors que les codes de bonne conduite s'adressent plus aux individus et à leur comportement ;
- même dans le cadre de l'externalisation telle que la France la pratique, les clauses contractuelles, rédigées essentiellement par des logisticiens, peuvent avoir des conséquences non prévues lors de leur rédaction. Ainsi, les Etats-Unis d'Amérique étudient les retours d'expériences de l'emploi des SMP en Irak et en Afghanistan pour préciser leurs modalités d'emploi ;
- dans le cadre de l'opération EUFOR au Tchad, la France s'est parfois trouvée dans des situations difficiles du fait du caractère multinational des forces aux côtés desquelles elle était engagée et des règles relatives à l'action des SMP. L'accumulation de l'expérience de terrain permettra de mieux maîtriser l'impact de l'externalisation, mais les engagements multilatéraux risquent, en effet, d'impliquer notre pays dans un cadre juridique qui lui est étranger.
M. André Vantomme a estimé que l'externalisation de fonctions logistiques par l'armée française ne se justifiait qu'en cas d'avantages économiques indéniables : or, aucune étude n'étaye ce point de vue. Il a souligné que les SMP peuvent être chargées de missions, comme la protection d'un site, qui peuvent évoluer brusquement, par exemple si ce site est attaqué, ce qui conduit à une situation dont les implications juridiques et humaines n'ont pas été envisagées. Il a considéré que la position de prudence adoptée par la France était parfaitement justifiée.
Il a donc regretté que le recours à l'externalisation ne s'opère en réalité que par défaut, par manque des moyens nécessaires mis à la disposition des pouvoirs régaliens.
En réponse, le colonel François de Lapresle a indiqué que :
- au niveau de l'OTAN, on ne disposait pas de chiffres précis sur le gain apporté, sur la durée, par le recours aux SMP. Des rapports de la cour des comptes américaine (GAO) soulignent le caractère prohibitif du recours à des SMP ;
- dans le cas de la France, il se révèle que dans un certain nombre de cas, le recours à l'externalisation est plus coûteux que prévu et que la qualité des services externalisés peut se dégrader au fil du temps. Cette évolution négative a été confirmée par l'exemple fourni par le Royaume-Uni de la sécurité d'un camp militaire en Irak. La logique commerciale conduit également à une baisse progressive de la qualité des personnels mis à disposition ;
- la nécessaire réversibilité des actions militaires, qui doivent accompagner d'éventuels pics de violence, ou des changements de posture, conduit à une nouvelle et forte exposition des flux logistiques. Il doit donc y avoir une coordination permanente entre le dirigeant militaire du théâtre et les SMP ;
- l'exemple de la Bosnie souligne combien, dans la durée, le recours à des forces dont la mission n'est pas de servir les populations civiles a eu un effet destructeur.
M. Joseph Kergueris a comparé le recours à des SMP à la sous-traitance d'une chaîne d'opérations par une entreprise, et a souligné que celle-ci restait maîtresse dans la durée de ses commandes envers le sous-traitant. Il a estimé que, transposé au modèle militaire, cela devait conduire nos forces de commandement à suivre, sur le terrain, les activités des SMP pour les encadrer par un travail de management. Il conviendrait donc d'intégrer cette dimension dans la formation des cadres militaires.
En réponse, le colonel de Lapresle a précisé que :
- les engagements militaires sont de plus en plus complexes du fait de leur caractère multinational, ainsi que du fait des crises actuelles au cours desquelles alternent haute et basse intensités ;
- il convient, en effet, d'intégrer ces savoir-faire nouveaux dans la formation des cadres, qui doivent pouvoir intégrer ces éléments dans la planification des opérations ;
- son travail sous les ordres du général de Kermabon, lors de sa mission au Kosovo, a démontré que la crédibilité de l'action militaire devait s'appuyer sur une connaissance accrue de la société civile au sein de laquelle elle intervient.
M. Jacques Berthou s'est interrogé sur les droits reconnus aux familles ayant perdu un de leurs membres appartenant à une SMP.
En réponse, le colonel François de Lapresle a précisé que :
- dans le cadre des forces régulières, l'engagement solennel de servir justifie l'accompagnement des familles touchées par les forces armées, alors que, dans le cadre des SMP, ce sont les assurances qui s'y substituent, aboutissant à une marchandisation de la relation.
M. Jean Milhau a évoqué l'hypothèse où une même SMP serait amenée à intervenir au profit de deux pays qui s'affrontent.
En réponse, le colonel François de Lapresle a indiqué que ces SMP choisissent, parmi les contrats qui leur sont proposés, ceux qui correspondent le mieux à leurs capacités, et que l'hypothèse évoquée par M. Milhau semblait donc improbable. Cela étant, la logique conduit ces sociétés à rechercher l'Etat qui leur offre la réglementation la moins contraignante de manière à préserver leur liberté.
Puis la commission a entendu l'exposé de MM. Luc Viellard, directeur, et Olivier Hubac, consultant, du pôle Prospective stratégique de la CEIS (Compagnie européenne d'intelligence stratégique).
M. Luc Viellard a indiqué que M. Olivier Hubac et lui-même s'exprimeraient à titre personnel, à partir des travaux qu'ils avaient effectués sur l'externalisation et la transformation des forces et du ministère de la défense, ainsi que de leurs recherches sur les sociétés militaires privées. L'identification des enjeux liés à l'émergence, ou non, d'un marché français de prestations dites « militaires » amène à s'interroger sur la définition même d'activités militaires privées, sur leur articulation avec la politique d'externalisation du ministère de la défense, sur l'opportunité de favoriser le développement de sociétés militaires privées françaises et, le cas échéant, sur les modes d'engagements et de contrôles à mettre en oeuvre, sans perdre de vue le « sanctuaire » que constitue le monopole de l'Etat sur l'usage de la force légitime.
M. Olivier Hubac a souligné la nécessité de distinguer la prestation de services armés au profit d'acteurs privés et la prestation de services militaires, armés ou non, au profit de forces armées ou de sécurité en opération ou sur le territoire national. Cette dernière forme d'activité s'est imposée dans la gestion des crises actuelles, avec un ratio moyen d'un intervenant privé pour un militaire sur les théâtres irakien et afghan. Le développement du rôle des acteurs privés revêt cependant des réalités extrêmement hétérogènes. Il concerne aussi bien la restauration, la formation d'armées et de forces de sécurité étrangères, la protection de sites institutionnels ou industriels que le déminage dit « humanitaire », en zones de guerre comme en temps de paix.
M. Olivier Hubac a précisé que les Anglo-Saxons ne distinguaient que très rarement les sociétés militaires privées des autres sociétés oeuvrant pour le compte de la défense. Le terme générique de « contractor » s'applique à des missions de nature aussi diverse que le soutien de l'homme, la construction et l'entretien d'infrastructures, le soutien aux systèmes d'armes, la sécurité et la sûreté ou d'autres services comme l'interprétariat. Certaines sociétés assurent, à travers différentes filiales, tout ou partie de ces tâches.
Si l'on retient une définition plus stricte, se limitant à la seule fourniture de services reposant sur des savoir-faire spécifiquement militaires ou policiers, l'activité des sociétés militaires privées ne représente qu'une faible part des activités sous-traitées sur les théâtres d'opérations. Elle mobilisait, selon cette définition, moins de 20 % des personnels privés en Irak en septembre 2009. En outre, les sociétés pouvant être assimilées à de véritables armées privées, au vu de leur équipement et du nombre de leurs personnels opérationnels, constituent une exception.
M. Olivier Hubac a indiqué que le marché des sociétés militaires privées, fortement concurrentiel, se structurait autour de deux types d'acteurs : ceux qui proposent une offre globale, tels que Xe (anciennement Blackwater), DynCorp, ArmorGroup International, Kellog Brown and Root, et ceux qui sont présents dans des niches techniques à forte valeur ajoutée, comme les sociétés de déminage MAG, SeaSecure ou les sociétés israéliennes spécialisées dans la formation contre-terroriste SIA ou Lev'dan.
Pour l'heure, aucune société française n'est présente sur ce marché. Dans les pays anglo-saxons, le recours à l'externalisation résulte d'un choix de principe sans délimitation préalable du périmètre de celle-ci, alors que, en France, il s'agissait d'abord de confier à des prestataires privés, lors de la professionnalisation, de nombreuses activités périphériques assurées par les appelés, ou encore de pallier les difficultés budgétaires en recourant aux financements innovants. La réflexion sur les sociétés militaires privées est indissociable de celle sur l'externalisation, et il serait erroné de considérer séparément les deux sujets. Contrairement à ce que certaines sociétés françaises semblent penser, c'est la demande qui structurera le marché et non l'existence d'une offre préalable.
M. Luc Viellard a indiqué que les réflexions françaises s'orientaient autour de deux questions centrales : jusqu'où l'externalisation peut-elle aller, notamment s'agissant du « coeur de métier » ? Comment garantir la bonne exécution d'un service privé en préservant les exigences opérationnelles en zone de conflit ?
S'agissant du périmètre de l'externalisation, un consensus existe, au sein des différents acteurs de la défense, pour ne pas toucher au noyau dur du « coeur de métier », ce dernier restant cependant à définir. L'une des pistes envisagées pour définir les modalités de recours à des sociétés privées pour des fonctions de logistique et de soutien des forces en opération, serait de distinguer quatre situations opérationnelles :
- les situations de très basse intensité ne nécessitant pas de protection armée des fonctions logistiques et de soutien, dans lesquelles l'externalisation des fonctions logistiques et du soutien est envisageable, voire souhaitable et même déjà partiellement réalisée, comme en ex-Yougoslavie ;
- les situations de basse intensité présentant un caractère de réversibilité ; dans ce cas, le prestataire devra garantir la réalisation du service attendu en pouvant mettre en place, le cas échéant, un dispositif de protection approprié et impliquant le déploiement de contractuels armés ; le contrat de prestation de service devra être assorti d'un accord-cadre prévoyant des règles d'engagement fondées sur la légitime défense ;
- les situations de haute ou moyenne intensité, dans lesquelles la présence de sociétés privées n'est pas foncièrement exclue, comme en témoigne le soutien apporté par les industriels, en Afghanistan, pour la mise en oeuvre des drones ou de services de télécommunications ; dans ces situations, la protection des prestataires de services ne peut relever de contractuels armés et doit rester du seul ressort des forces au profit desquelles ils interviennent ;
- enfin, les situations dans lesquelles la sécurité armée du service demandé ne sera pas exigée dans le contrat passé par les forces militaires mais ne sera pas pour autant interdite si le prestataire venait à la juger utile ; il sera alors seul responsable du déploiement de gardes armés qui ne bénéficieront d'aucun protocole favorisant et encadrant leur déploiement.
M. Luc Viellard a estimé qu'il serait en outre nécessaire d'assurer le contrôle des activités ainsi confiées au secteur privé, au travers de règles inspirées du cadre juridique et réglementaire dans le domaine de la sécurité privée. Le statut des personnels civils concernés devrait également être précisé, les « sponsored reserves » britanniques offrant un exemple qui pourrait être adapté aux dispositifs français existants, par exemple pour le déploiement de spécialistes détachés par les entreprises qui interviendraient sous statut militaire. L'exécution de prestations périphériques, telles que la restauration, au plus près des forces, soulève également des difficultés en temps de guerre.
M. Luc Viellard a également souligné le potentiel de développement des prestations liées à la formation, dont il faut évaluer la pertinence opérationnelle et financière, et l'intérêt d'étudier l'intérêt de l'externalisation de la coopération militaire et de sécurité, avec l'intervention d'opérateurs privés mais disposant du label « France » pour la formation de forces armées et de sécurité étrangères. Il s'agirait de soulager les armées en leur permettant de se recentrer sur leurs missions opérationnelles.
M. Luc Viellard a conclu en estimant que ces différentes pistes ne pouvaient s'envisager que dans un cadre garantissant la légitimité de l'action, les contrats passés avec les opérateurs privés devant être aussi clairs et contraignants que possible. En outre, les armées devront conserver tous les savoir-faire essentiels à l'accomplissement de leurs missions.
A l'issue de ces exposés, M. Josselin de Rohan, président, s'est interrogé sur les évolutions de la stratégie de l'entreprise américaine Blackwater et sur les différences d'approches, liées à des facteurs culturels, entre les Etats-Unis et la France. Il s'est demandé si la pluralité d'intervenants n'affectait pas l'efficacité des actions de formation de l'armée et de la police afghanes. Il a enfin souligné les limites à l'externalisation lorsque certaines fonctions de soutien doivent être assurées au plus près des forces dans des situations de combat.
M. Olivier Hubac a indiqué que Blackwater, devenue Xe, n'avait abandonné aucune de ses activités. La société accorde une extrême attention à la formation de ses personnels, y compris lorsqu'ils sont recrutés parmi les anciens militaires. Elle dispose de camp d'instruction et d'entraînement qui peuvent être loués à d'autres intervenants privés. S'agissant de la formation de l'armée et de la police afghanes, on ne constate pas de différence fondamentale de résultat entre les actions assurées par les armées de la coalition et celles relevant d'acteurs privés. En revanche, les Anglo-Saxons et les Français, ou d'autres Européens, n'ont pas la même approche en matière de formation des forces de police ; les premiers privilégient une fonction d'appui aux forces armées en matière de contre-insurrection, alors que les seconds témoignent d'une vision plus traditionnelle des missions en matière de sécurité et de police judiciaire.
M. Luc Viellard a souligné que les Etats-Unis n'établissaient pas une frontière aussi stricte, en ce qui concerne le recours légitime à la violence, entre l'Etat et les individus. De même, les opérateurs privés employant largement d'anciens militaires américains sont généralement présentés comme des représentants du label « Etats-Unis » par les services officiels.
M. Olivier Hubac a confirmé les liens étroits entretenus entre l'administration américaine et certaines sociétés militaires privées, celles-ci intervenant dans le prolongement de la politique officielle des Etats-Unis.
Le colonel François de Lapresle a ajouté que les entreprises anglo-saxonnes se concentraient généralement, en matière de formation, sur la transmission des savoir-faire. L'approche française, plus complète, s'attache également au « savoir-être ».
M. André Vantomme a évoqué le coût de l'externalisation et a demandé si les pays dans lesquels elles interviennent étaient amenés à financer les sociétés militaires privées. Il a également demandé quelles étaient les réflexions en cours, en France, sur l'articulation entre la reconversion des militaires et le développement de l'externalisation.
M. Olivier Hubac a répondu qu'il était toujours extrêmement difficile d'évaluer les coûts comparés du recours à l'externalisation et de l'exécution en régie. Il a cité des exemples de contrats d'externalisation entièrement financés par les pays d'intervention, par exemple pour la mise aux normes d'organisations et d'infrastructures de pays préparant leur adhésion à l'OTAN.
M. Luc Viellard a précisé que le General Accounting Office américain avait fustigé à plusieurs reprises le coût de l'externalisation.
Le colonel François de Lapresle a indiqué que la réduction du format des armées impliquait des efforts accrus en matière de formation des militaires. Pour autant, le recrutement par des opérateurs privés assurant des prestations externalisées n'était pas une option privilégiée. L'adaptation de la réserve opérationnelle semble une voie plus prometteuse pour valoriser l'expérience acquise au sein des armées par ces personnels.
M. Josselin de Rohan, président, a estimé que les schémas en cours dans les pays anglo-saxons ne pouvaient être transposés en France et il a appuyé l'idée de mener une politique plus active en matière de réserve opérationnelle, afin de développer l'appui que celles-ci peuvent apporter aux forces d'active.
Suivi parlementaire de la politique de sécurité et de défense commune - Audition de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes
Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé, conjointement avec la commission des affaires européennes, à l'audition de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, à propos des conséquences de la dénonciation du traité de l'Union de l'Europe occidentale (U.E.O.) sur le suivi parlementaire de la politique de sécurité et de défense commune.
M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que la commission avait exprimé, conjointement avec la commission des affaires européennes, le souhait d'entendre le secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes à propos des conséquences de la dénonciation du traité de l'Union de l'Europe occidentale sur le suivi parlementaire de la politique de sécurité et de défense commune et a remercié M. Pierre Lellouche pour la rapidité avec laquelle il avait répondu à cette demande.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, a d'abord indiqué que ce jour même, 31 mars 2010, en fin d'après-midi, les dix Etats européens signataires du Traité de l'UEO (Union de l'Europe occidentale) publieront une déclaration conjointe pour mettre fin à l'existence de cette organisation.
Il a rappelé que le Traité de Bruxelles signé en 1948, à l'initiative de la France et de la Grande-Bretagne, autant contre la menace allemande que contre l'URSS, est devenu largement caduc dès l'année suivante, avec la signature du Traité de Washington en 1949, et encore plus en 1954, avec la conclusion des Accords de Paris organisant le réarmement de l'Allemagne dans l'OTAN.
La survivance de l'UEO depuis cette époque s'est longtemps expliquée par l'intérêt politique de la clause de défense mutuelle prévue à l'article V du Traité de Bruxelles, mais aussi par l'existence d'une Assemblée parlementaire regroupant aujourd'hui quatre cents membres (dont dix-huit parlementaires français et leurs dix-huit suppléants), venant des dix Etats signataires, des Etats « associés » (membres européens de l'OTAN non membres de l'UE : l'Albanie, la Croatie, l'Islande, la Norvège, la Turquie) et « partenaires » (Bosnie-Herzégovine, Fédération de Russie, Moldavie, Monténégro, ex-République yougoslave de Macédoine, Serbie, Ukraine).
Il a rendu hommage au rôle joué par l'Union de l'Europe occidentale, qui a contribué à la paix et à la stabilité en Europe, ainsi qu'au développement de l'architecture européenne de sécurité et de défense, en favorisant la consultation et la coopération dans ce domaine et en menant des opérations sur plusieurs théâtres.
Il a rappelé que, parmi les innovations introduites par le Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, figurent pour la première fois une « clause d'aide et d'assistance » et une « clause de solidarité » qui créent de véritables obligations en matière de défense et de sécurité entre tous les Etats membres de l'Union européenne. Ces clauses rendent obsolète l'article V du Traité de l'UEO, qui ne concernait en outre que dix Etats membres sur vingt-sept. Tout le monde est aujourd'hui d'accord pour en finir avec ce vestige de la guerre froide, alors que l'Union européenne a désormais les moyens d'assumer pleinement son rôle en matière de sécurité et de défense.
Il a indiqué que, dans ce contexte, l'Allemagne et le Royaume-Uni ont fait part récemment aux Etats signataires du Traité de Bruxelles de leur intention de se retirer de ce Traité avant la fin du mois de mars 2010. Les dix Etats membres de l'UEO ont alors souhaité un retrait collectif et coordonné, avec une déclaration commune à la date du 31 mars 2010. Il reviendra ensuite à chaque chef d'Etat ou de gouvernement de dénoncer formellement le Traité, et ce avant la fin du mois de juin de cette année. Cette décision prendra effet juridiquement un an après son annonce, soit en juin 2011, laissant le temps nécessaire pour régler les problèmes pratiques.
Le conseil permanent de l'UEO devra notamment se charger de l'application du plan social pour le personnel du secrétariat général de l'UEO, qui emploie vingt personnes à Bruxelles, dont quatre Français, du secrétariat de l'Assemblée parlementaire, qui emploie trente-huit personnes à Paris, dont vingt Français, et du service administratif, comprenant six français, sur la base du plan social de 2000 et en consultation avec les représentants du personnel.
Il devra également être chargé de la gestion des pensions et du règlement de la question des locaux de l'UEO, situés à Bruxelles et à Paris. S'agissant des locaux parisiens, la France est propriétaire du terrain mais l'UEO est propriétaire des murs. Il existe une clause automatique de rachat au coût du marché.
Il a précisé que, au final, les comptes ayant été soldés, cette décision permettra d'économiser les 2,5 millions d'euros que coûte l'UEO chaque année à la France au titre de sa contribution aux organisations internationales.
Il a indiqué que les membres associés, les observateurs ainsi que les associés partenaires seraient dûment informés par la présidence du conseil permanent du déroulement de ce processus.
Il reste la question politique de l'assemblée de l'Union de l'Europe occidentale, qui a apporté une contribution substantielle au développement d'une culture européenne en matière de sécurité et de défense.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, a indiqué qu'il lui paraissait essentiel au regard de l'équilibre des pouvoirs comme de la légitimité démocratique, que les Parlements nationaux conservent une activité dans le domaine de la sécurité et de la défense en Europe, en plus de la participation des parlementaires nationaux aux Assemblées parlementaires de l'OTAN et de l'OSCE. Le calendrier de négociation extrêmement serré l'a conduit à proposer à l'ensemble des députés et sénateurs français membres de l'Assemblée parlementaire de l'UEO de se réunir, mercredi 24 mars 2010, au Quai d'Orsay pour une réunion de concertation, à la veille d'une réunion organisée à Bruxelles par la présidence espagnole du Conseil sur ce sujet, afin de recueillir la position des parlementaires.
Il a alors suggéré que le contrôle parlementaire soit poursuivi dans le cadre de la conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires européennes (COSAC), reconnue à l'article 10 du protocole n° 1 sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne annexé au traité de Lisbonne. C'est ce dispositif qui est visé dans la déclaration des dix Etats signataires du traité qui sera adopté ce jour, 31 mars 2010.
Il a indiqué avoir reçu une lettre du Président du Sénat, M. Gérard Larcher, dans laquelle le président de la Haute Assemblée estimait aussi que le cadre de la COSAC semblait adapté. Les parlements nationaux pourraient y poursuivre leur mission de suivi de la politique de sécurité et de défense commune.
Le secrétaire d'Etat s'est félicité que les analyses juridiques et politiques du Gouvernement et des Assemblées soient en tout point convergentes.
A l'issue de cette intervention, un débat s'est engagé avec les membres des deux commissions.
M. Yves Pozzo di Borgo a regretté que les parlementaires membres de la délégation française à l'assemblée de l'UEO n'aient pas été suffisamment associés à la décision prise par les gouvernements des Etats parties de dénoncer le traité.
Il a rappelé le rôle important joué par l'assemblée parlementaire de l'UEO en matière de suivi des questions de défense européenne et d'échange entre les parlementaires nationaux de différents pays sur ces questions, en regrettant que les travaux de cette assemblée ne soient pas suffisamment connus au sein du Parlement français.
Il a estimé que, si le Parlement européen, qui avait créé, au sein de sa commission des affaires étrangères, une sous-commission « sécurité et défense » chargée de suivre les questions relatives à la politique européenne de sécurité et de défense, exprimait la volonté d'être le seul organe parlementaire chargé du suivi de ces questions, il n'en avait pas juridiquement les moyens, étant donné que les traités ne lui reconnaissent pas une telle compétence s'agissant d'une matière intergouvernementale.
Il a regretté que la proposition formulée par le député Jean-Claude Mignon visant à rattacher l'assemblée parlementaire de l'UEO au Conseil de l'Europe n'ait pas été étudiée de manière plus approfondie.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, a indiqué que l'initiative de dénoncer le traité de Bruxelles modifié avait été prise par le Royaume-Uni et l'Allemagne, et que, tout en partageant cette position, la France avait milité auprès de la présidence espagnole du Conseil et de ses partenaires européens pour privilégier une démarche commune de tous les Etats parties, qui a abouti à la déclaration commune du 31 mars 2010.
Il a rappelé qu'il avait pris l'initiative dans l'urgence, compte tenu du calendrier extrêmement serré des négociations, d'organiser une réunion de concertation, le 24 mars 2010, avec l'ensemble des députés et des sénateurs membres de la délégation française à l'assemblée parlementaire de l'UEO, à la veille d'une réunion organisée à Bruxelles par la présidence espagnole du Conseil sur ce sujet, afin de recueillir la position des parlementaires. Cette urgence n'a malheureusement pas permis aux sénateurs d'être présents.
Il a indiqué que, lors de cette réunion, le président de la délégation française à l'assemblée parlementaire de l'UEO, le député M. Jean-Claude Mignon, avait lui-même convenu que sa suggestion d'étudier un rapprochement de l'assemblée parlementaire de l'UEO et du Conseil de l'Europe n'était peut être pas la meilleure solution, étant donné la différence de nature entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe.
Il a estimé que le renforcement de la coopération interparlementaire entre les parlements nationaux, sur la base du protocole n° 1 sur le rôle des parlements nationaux annexé au traité de Lisbonne, semblait offrir un meilleur schéma, d'autant que ce schéma était reconnu par les dix Etats membres.
Il a également mentionné ses échanges sur ce sujet avec le Président du Sénat, M. Gérard Larcher, ainsi qu'avec le président de la commission des affaires européennes et le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, qui prônent aussi ce modèle.
Mme Josette Durrieu a également regretté le caractère précipité de la décision prise par les gouvernements des Etats parties de dénoncer le traité de Bruxelles modifié et de mettre un terme aux activités de l'Union de l'Europe occidentale et de son assemblée parlementaire.
Elle s'est interrogée sur les raisons d'une telle précipitation, qui semblent tenir avant tout à des considérations purement financières de la part des gouvernements.
Elle s'est notamment demandée si la dénonciation du traité de Bruxelles modifié et la dissolution de l'assemblée de l'UEO ne participaient pas à l'abandon de la volonté de progresser vers une défense européenne réellement autonome au profit d'autres organisations, comme l'OSCE ou l'OTAN.
Concernant le contrôle démocratique de la politique de sécurité et de défense commune, elle a rappelé que, s'agissant d'une matière relevant du domaine intergouvernemental, le Parlement européen n'avait ni la légitimé ni les pouvoirs pour exercer le suivi des questions de sécurité et de défense au niveau européen et elle a estimé que les parlements nationaux devaient continuer à jouer leur rôle légitime pour assurer ce suivi.
Elle a donc estimé indispensable de subordonner l'éventuelle suppression de l'assemblée de l'UEO à la création d'une structure de substitution afin qu'il n'y ait pas de rupture dans l'exercice du contrôle. Les parlementaires nationaux pourraient ainsi poursuivre leur mission de suivi de la politique de sécurité et de défense commune, mission exercée actuellement par l'assemblée parlementaire de l'UEO, au sein de cette nouvelle structure.
Tout en indiquant que sa préférence personnelle allait vers une structure permanente dotée d'un statut juridique et de moyens, elle s'est déclarée ouverte à la proposition d'une structure inspirée du modèle de la COSAC.
Enfin, elle a salué la forte implication personnelle du Président du Sénat, M. Gérard Larcher, dans ce dossier, ainsi que celle des présidents des deux commissions.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, a rappelé que l'Union de l'Europe occidentale avait rempli son rôle tout au long de la guerre froide mais que le contexte avait changé et il a fait valoir que le traité de Lisbonne marquait le commencement d'une nouvelle étape pour la politique de sécurité et de défense européenne.
Par ailleurs, il a aussi rappelé le coût financier pour les Etats parties, la contribution française au budget s'élevant à 2,5 millions d'euros par an.
Il a souligné que la position française, partagée par les dix Etats membres, et repris dans le communiqué commun des dix Etats, était que les parlements nationaux devaient continuer à contrôler les activités de défense au niveau des États comme au niveau de la politique commune de sécurité et de défense, et que la COSAC, instituée par le protocole n°1 annexé au traité de Lisbonne, était le cadre possible de ce contrôle. Mais qu'il revenait aux Assemblées d'organiser ce cadre. Il a indiqué que le Gouvernement sera très attentif aux propositions qui émaneront des assemblées sur ce sujet.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, a interrogé le secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes à propos de la mise en place du service européen pour l'action extérieure et du rôle des parlements nationaux en matière de politique étrangère.
Il s'est étonné que le rapport préparatoire présenté par la précédente présidence suédoise sur la création du service européen pour l'action extérieure, adopté par le Conseil européen d'octobre 2009, prévoie une association du Parlement européen mais qu'il ne mentionne pas les Parlements nationaux et il a souhaité connaître l'avis du secrétaire d'Etat sur ce point.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, a indiqué que la mise en place du service européen pour l'action extérieure était suivie avec une très grande attention par le Gouvernement.
Il a fait part de sa préoccupation concernant les ambitions affichées par certains députés européens de contrôler la politique étrangère de l'Union européenne, voire la politique de défense, au-delà des pouvoirs que leur confèrent les traités.
Il a rappelé que le service européen pour l'action extérieure avait vocation à être un service sui generis, devant travailler étroitement tant avec les institutions européennes qu'avec les diplomaties des Etats membres.
Il a indiqué que, du fait du caractère spécifique de ce service, le contrôle politique sur cet organisme ne pouvait pas être fondé sur les règles de droit commun applicables dans le cadre communautaire.
Suivi parlementaire de la politique de sécurité et de défense commune -Communication
La commission a ensuite entendu une communication de M. Jean Bizet, conjointement avec la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, a indiqué que la dénonciation du traité de l'UEO se traduira par la disparition de l'Assemblée de l'UEO, seule instance institutionnalisée permettant à des parlements nationaux des vingt-sept Etats membres de se retrouver de manière suivie et organisée pour débattre en commun des questions de défense européenne. Il s'agirait désormais de déterminer le meilleur moyen d'associer pleinement les parlements nationaux au suivi de la politique de défense européenne.
Il a rappelé que, en février dernier, le Président du Sénat avait pris l'initiative de réunir les sénateurs membres de l'Assemblée parlementaire de l'UEO, le président de la commission des affaires européennes et le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
A la suite de cette rencontre, les présidents des deux commissions ont élaboré conjointement une proposition concernant le suivi de la politique de sécurité et de défense par les parlements nationaux.
Il a souligné que, sur la base de cette proposition, il avait souhaité présenter une proposition de résolution européenne, fondée sur l'article 88-4 de la Constitution, afin que le Sénat exprime une position solennelle sur ce sujet.
Cette proposition se fonde sur l'idée que le suivi de la politique de défense européenne ne peut être confié au seul Parlement européen, étant donné que l'essentiel des actions et politiques menées en ce domaine demeure de la compétence des Etats membres. En outre, un grand nombre de ces actions ne concerne pas l'ensemble des Etats membres mais seulement certains d'entre-eux. Ce sont les Etats qui fournissent les capacités militaires au profit de l'Union européenne et qui supportent le coût des opérations.
De ce fait, la responsabilité de contrôle de la politique européenne de sécurité et de défense incombe en premier aux parlements nationaux.
Certes, il existe, depuis quelques années, des réunions des présidents des commissions de la défense des parlements des vingt-sept Etats membres, mais ces réunions sont dépourvues de statut et sont soumises à la volonté discrétionnaire de la présidence en exercice. Ainsi, l'Espagne n'a pas prévu de réunir les présidents des commissions de la défense au cours de ce semestre.
La seule instance reconnue par les traités qui permette un débat en commun à des parlementaires nationaux des vingt-sept Etats membres et un dialogue de ceux-ci avec l'exécutif européen est la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC).
De plus, le protocole n° 1 sur le rôle des parlements nationaux annexé au traité de Lisbonne consacre d'ailleurs le rôle de la COSAC et l'encourage à « organiser des conférences interparlementaires sur des thèmes particuliers, notamment pour débattre des questions de politique étrangère et de sécurité commune, y compris la politique de sécurité et de défense commune ».
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, a ensuite présenté le contenu de sa proposition de résolution européenne, fondée sur l'article 88-4 de la Constitution.
Il a indiqué que la proposition de résolution appelait de ses voeux la mise en place d'une structure, la plus souple et la plus légère possible, qui pourrait être conçue sur le modèle de la COSAC, c'est-à-dire qui comprendrait au maximum six parlementaires par Etat membre, avec la participation de six membres du Parlement européen, et qui se réunirait une fois par semestre, l'organisation et le secrétariat de cette structure revenant, par rotation, au parlement exerçant la présidence semestrielle.
Compte tenu du risque qu'une telle proposition ne recueille pas l'unanimité des parlements nationaux des vingt-sept Etats membres, étant donné qu'un certain nombre d'Etats membres ne portent pas le même intérêt que la France à la politique européenne de défense, le texte précise que, dans le cas où il n'existerait pas de consensus entre les parlements des vingt-sept, cette structure pourrait être créée dans le cadre d'une coopération rassemblant les parlements nationaux les plus motivés sur une base volontaire.
Mme Josette Durrieu a salué la forte implication du Président du Sénat, M. Gérard Larcher, et celle des présidents Hubert Haenel et Josselin de Rohan pour trouver une réponse à la question essentielle du suivi de la politique de sécurité et de défense commune par les parlements nationaux.
A cet égard, elle a fait observer qu'il n'existait pas de doublons en matière de suivi des questions de sécurité et de défense européennes, puisque l'Assemblée parlementaire de l'UEO était la seule enceinte permettant un examen de ces questions par les parlements nationaux des vingt sept Etats membres.
Tout en approuvant la philosophie générale de la proposition de résolution européenne présentée par le président de la commission des affaires européennes, M. Jean Bizet, elle s'est demandé s'il n'était pas souhaitable d'aller plus loin sur plusieurs points.
Elle a ainsi estimé que la dissolution de l'Assemblée parlementaire de l'UEO devait être subordonnée à la mise en place simultanée d'une structure réunissant les parlements nationaux des vingt-sept Etats membres, afin que le vide créé par la disparition de cette assemblée ne soit par utilisé par le Parlement européen à son profit.
Elle a également fait part de ses interrogations sur le fait que la structure à créer soit qualifiée de « souple et légère », en se demandant s'il ne conviendrait pas de lui donner un caractère permanent et de prévoir un secrétariat.
Enfin, elle s'est interrogée sur la pertinence de prévoir la participation de six membres du Parlement européen.
M. Simon Sutour a fait part de ses interrogations concernant la référence à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), en rappelant que les réunions de la COSAC permettaient aux représentants des commissions des affaires européennes des parlements nationaux des vingt-sept Etats membres de débattre de l'ensemble des questions relatives à l'Union européenne et il s'est demandé si cette enceinte constituait le cadre le plus approprié pour discuter des questions spécifiques de défense.
M. Yves Pozzo di Borgo a estimé que l'Assemblée parlementaire de l'UEO avait démontré son efficacité en matière de suivi de la politique européenne de sécurité et de défense et il a émis des doutes sur l'idée qu'une structure inspirée du modèle de la COSAC puisse avoir la même efficacité.
Il a toutefois reconnu que le principal défaut de l'Assemblée parlementaire de l'UEO tenait à sa composition puisque ses membres étaient dans le même temps les représentants des parlements à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et qu'ils n'étaient pas tous issus des commissions de la défense des parlements nationaux.
Il a regretté une nouvelle fois que la proposition du député M. Jean-Claude Mignon concernant l'intégration de l'Assemblée parlementaire de l'UEO au sein du Conseil de l'Europe n'ait pas été suffisamment étudiée.
Il a indiqué qu'il s'abstiendrait lors du vote sur le texte de la proposition de résolution européenne.
M. Michel Billout a indiqué qu'il partageait l'objectif de conserver un droit de regard des parlements nationaux sur la politique de sécurité et de défense commune et l'esprit général de la proposition de résolution mais qu'il émettait des réserves sur certains aspects, tels que les qualificatifs « souple et légère » ou encore le nombre de représentants par parlement national, qui serait limité à six, soit trois par chambres, ce qui aurait pour effet d'exclure la présence de représentants de certains groupes politiques.
Il a donc indiqué qu'il s'abstiendrait lors du vote sur la proposition de résolution européenne.
M. Josselin de Rohan, président, a rendu hommage à la qualité du travail réalisé par l'Assemblée parlementaire de l'UEO et à celle des représentants du Sénat auprès de cette assemblée, mais il a rappelé le nouveau contexte issu de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
Tout en partageant la volonté d'assurer un suivi effectif de la politique de sécurité et de défense commune par les parlements nationaux, il a invité ses collègues à faire preuve de réalisme et à tenir compte des positions des parlements nationaux des vingt-sept Etats membres, dont plusieurs pourraient se montrer réticents à la mise en place d'une structure de substitution, en particulier si celle-ci apparaît lourde et coûteuse.
Il a donc jugé indispensable, afin d'élaborer un texte consensuel, qui soit de nature à recueillir un large soutien parmi les autres parlements de l'Union européenne, de prévoir une structure la plus souple et légère possible.
Il a souligné qu'il ne s'agissait pas de recourir à la COSAC mais d'établir, sur le modèle de celle-ci, une structure composée de parlementaires émanant des commissions de la défense des parlements nationaux.
Il a estimé que ce modèle apparaissait le plus pertinent, étant donné que le protocole n°1 annexé au traité de Lisbonne lui donne une base juridique.
Mme Josette Durrieu a indiqué qu'elle adhérerait à cette démarche étant donné qu'il s'agit de la seule initiative prise sur cette question primordiale.
Elle a toutefois insisté sur trois points : la dissolution de l'Assemblée parlementaire de l'UEO devrait être subordonnée à la mise en place de cette structure ; celle-ci serait distincte de la COSAC, mais réunirait, sur le même modèle, des parlementaires spécialisés sur les questions de défense ; elle pourrait simplement être qualifiée de « souple », sans qu'il soit nécessaire d'ajouter la mention « légère ».
M. Joseph Kergueris a fait observer que le deuxième volet de la proposition de résolution, concernant la possibilité de mettre en place une telle structure par les parlements nationaux sur une base volontaire, lui paraissait très pertinent étant donné qu'il lui semblait difficile de recueillir l'unanimité des parlements des vingt-sept Etats membres.
M. Josselin de Rohan, président, a indiqué qu'il partageait le même sentiment tout en voulant se montrer optimiste sur l'idée qu'une telle proposition recueille un large consensus.
M. Didier Boulaud a indiqué qu'il partageait la démarche proposée par les présidents des deux commissions concernant le suivi de la politique européenne de sécurité et de défense par les parlements nationaux.
En sa qualité de représentant du Sénat à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, il a jugé qu'il serait difficile de recueillir l'adhésion unanime des parlements des vingt sept Etats membres, compte tenu du manque d'intérêt et d'enthousiasme de certains pays européens à l'égard de la défense européenne.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, a fait part de son accord pour amender le texte de la proposition de résolution européenne pour tenir compte des observations formulées par Mme Josette Durrieu, en insistant davantage sur le lien entre la dissolution de l'Assemblée de l'UEO et la mise en place simultanée d'une structure de remplacement. Afin de tenir compte des préoccupations exprimées par M. Simon Sutour, il a proposé de préciser que cette « structure souple pourrait s'inspirer de la COSAC ».
M. Simon Sutour a maintenu ses réserves sur le texte en jugeant préférable de supprimer toute référence à la COSAC afin d'éviter toute ambigüité et d'éviter que la COSAC soit associée à une structure parlementaire spécifiquement chargée des questions de défense.
M. Josselin de Rohan, président, a indiqué qu'il ne s'agissait pas de transformer la COSAC en une enceinte consacrée aux questions de défense mais de mettre en place une structure inspirée de la COSAC dans laquelle siègeront des parlementaires issus des commissions de la défense. Il a estimé souhaitable de maintenir une référence à la COSAC qui est mentionnée dans le protocole annexé au traité de Lisbonne.
M. Jacques Blanc est allé dans le même sens en estimant que le texte était suffisamment clair pour éviter toute ambigüité concernant le statut de cette structure, qui serait fondé sur le modèle de la COSAC, mais qui n'aurait pas vocation à la remplacer.
Pierre-Bernard Reymond s'est demandé s'il n'était pas préférable de s'en tenir, dans le texte de la proposition de résolution européenne, à l'énoncé de quelques principes concernant la nécessité de prévoir un suivi par les parlements nationaux de la politique de sécurité et de défense commune, sans pour autant entrer à ce stade dans le détail de la composition et des modalités de fonctionnement de cette structure.
M. Josselin de Rohan, président, a estimé qu'il était préférable de conserver ces précisions qui pourraient jouer un rôle important pour convaincre certains de nos partenaires européens du bien fondé de cette idée.
M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que, à ce stade, seuls les membres de la commission des affaires européennes pouvaient prendre part au vote sur la proposition de résolution européenne, mais que les membres de la commission auraient à se prononcer sur son adoption lors d'une prochaine réunion.
Nomination de rapporteur
La commission a ensuite nommé M. Josselin de Rohan rapporteur de la proposition de résolution présentée par M. Jean Bizet en application de l'article 73 quater du Règlement, au nom de la commission des affaires européennes, sur le suivi parlementaire de la politique de sécurité et de défense commune.