- Mardi 16 février 2010
- Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de M. Didier Blanchet, chef du département des études économiques d'ensemble à l'institut national de la statistique et des études économiques (Insee)
- Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de M. Jacques Bichot, professeur des universités en économie à l'université Jean Moulin (Lyon 3)
- Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de M. Raoul Briet, président du conseil de surveillance du fonds de réserve pour les retraites (FRR)
- Jeudi 18 février 2010
- Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de M. Henri Sterdyniak, directeur du département Economie de la mondialisation de l'observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)
- Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de Mmes Martine Durand, chef statisticien et directeur, direction des statistiques, et Monika Queisser, chef de division, division des politiques sociales, de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
- Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de MM. Antoine d'Autume et Jean-Olivier Hairault, professeurs à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, auteurs du rapport du conseil d'analyse économique sur les seniors et l'emploi en France
Mardi 16 février 2010
- Présidence de M. Alain Vasselle, président -Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de M. Didier Blanchet, chef du département des études économiques d'ensemble à l'institut national de la statistique et des études économiques (Insee)
La mission a procédé à l'audition de M. Didier Blanchet, chef du département des études économiques d'ensemble à l'institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
M. Didier Blanchet, chef du département des études économiques d'ensemble à l'Insee, a d'abord évoqué la question de la soutenabilité financière du système de retraite français en distinguant l'approche structurelle, qui est liée aux tendances de long terme, de l'approche conjoncturelle, qui repose sur les évolutions de la conjoncture économique. S'agissant du long terme, les premières projections financières établies par le conseil d'orientation des retraites (Cor) au début des années 2000 faisaient état d'un déficit prévisionnel de l'ensemble des régimes de retraite de cinq points de Pib en 2050. Le dernier exercice de projection, qui date de 2007, révèle un scénario moins dégradé puisque le déficit prévisionnel en 2050 serait ramené à 1,7 point de Pib. Cette diminution du déficit prévisionnel résulterait pour moitié des effets de la réforme des retraites de 2003 et pour moitié des nouvelles perspectives démographiques de l'Insee qui sont plus favorables à terme à l'équilibre des régimes de retraite. En ce qui concerne le volet conjoncturel, il est évident que les effets de la crise économique sur le système de retraite vont dépendre de la durée de celle-ci. D'ores et déjà, un ralentissement durable du taux de croissance est prévisible, ce qui ne manquera pas de dégrader les comptes sociaux. En retenant pour hypothèses une augmentation de la productivité du travail de 1,8 % par an et un taux de croissance de l'économie de 1,5 % par an, le déficit prévisionnel en 2050 se creuserait d'un point de Pib supplémentaire. Au total, il pourrait donc atteindre 2,7 voire trois points de Pib. A cela s'ajoute le déficit actuel des régimes de retraite qu'il faudra un jour ou l'autre éponger.
Cependant, le système de retraite aurait été encore moins soutenable financièrement si les réformes dont il a été l'objet ces dernières années n'avaient pas été menées. Il faut également garder à l'esprit que l'exercice de projection est compliqué pour quatre raisons : il existe des marges d'incertitude en démographie qui pèsent fortement sur les résultats obtenus ; la durée de la crise économique est encore incertaine ; les réactions des assurés aux nouvelles mesures prises sont difficilement prévisibles ; la complexité du système de retraite français rend les simulations financières délicates.
La question de l'équité du système de retraite revêt deux dimensions : une dimension intragénérationnelle et une dimension intergénérationnelle. Difficile à définir de manière univoque, la notion d'équité est régulièrement source de confusion puisqu'elle peut être utilisée aussi bien pour défendre le statu quo que pour promouvoir une réforme profonde du système. Il existe deux approches de l'équité : l'équité comme justice commutative et l'équité comme justice distributive. La première vise à ce que chacun perçoive l'équivalent de ce qu'il a fourni comme effort (principe de contributivité) ; la seconde vise à donner à chacun selon ses besoins. Toute la difficulté réside dans la bonne articulation entre ces deux visions de l'équité.
L'équité intergénérationnelle a plutôt tendance à être associée à l'équité comme justice commutative : chaque génération doit pouvoir bénéficier du même retour sur les cotisations qu'elle a versées. C'est ce que permet, en théorie, un régime en cotisations définies. Il n'est toutefois pas interdit, du point de vue de la justice sociale, que certaines générations pénalisées par l'Histoire - générations victime d'une guerre ou d'une crise économique - récupèrent davantage que leur contribution.
L'équité intragénérationnelle repose, quant à elle, à la fois sur le principe de contributivité et sur celui de distributivité. Là encore, un bon équilibre entre ces deux principes doit être trouvé, ce que rendent difficile le manque de lisibilité et la complexité du système de retraite français. En définitive, il faut bien admettre qu'il paraît exclu de parvenir à une position unanime sur le concept d'équité.
En ce qui concerne l'harmonisation des règles public-privé, on relève trois différences majeures entre les deux secteurs : la règle du salaire de référence (les six derniers mois dans la fonction publique, les vingt-cinq meilleures années dans le privé), la montée en charge très progressive de la décote dans le secteur public, les règles d'attribution différentes du minimum contributif et du minimum garanti. Bien que cette hétérogénéité soit difficilement tenable à terme, il ne faut pas oublier que celle-ci est le fruit de l'histoire sociale et de choix collectifs.
Si l'on s'en tient à une réforme paramétrique du système de retraite, trois leviers peuvent être activés : l'augmentation des cotisations, le décalage de l'âge de départ à la retraite et la baisse du taux de remplacement. Certes, on ne peut exclure la possibilité d'augmenter les cotisations pour financer les retraites, mais cette solution est néanmoins discutable. En effet, pourquoi affecter toute augmentation des cotisations aux dépenses de retraite qui représentent déjà 13 % du Pib ? D'autres postes de dépenses comme l'environnement ou la santé pourraient aussi bénéficier de recettes supplémentaires. Il est donc préférable de privilégier les deux autres leviers qui, contrairement à ce que l'on croit trop souvent, ne sont pas séparables. En effet, tout décalage de l'âge de départ à la retraite influe sur le taux de remplacement. L'augmentation de l'espérance de vie rend légitime un ajustement de l'âge de départ à la retraite. Celui-ci peut s'effectuer de quatre manières : en augmentant la durée de cotisation, l'âge minimum de départ à la retraite, l'âge maximum de départ à la retraite et l'âge intermédiaire - c'est-à-dire l'âge auquel l'effet de la décote s'annule. La solution la plus équitable semble être l'allongement de la durée de cotisation puisqu'elle avantage ceux qui ont commencé à travailler, donc à cotiser, tôt. En revanche, elle n'envoie aucun signal fort en direction des employeurs en ce qui concerne l'emploi des seniors. A l'inverse, le report de l'âge minimum de départ à la retraite conduit mécaniquement à une amélioration de l'emploi des seniors. Les simulations du Cor montrent cependant que si les effets financiers d'un relèvement de l'âge légal de départ à la retraite sont assez forts à court terme, ils sont moins rentables à moyen et long terme.
En ce qui concerne le choix éventuel d'une réforme structurelle, passage à un système en comptes notionnels par exemple, celle-ci aurait le mérite de simplifier, d'uniformiser et de rendre plus lisible le système de retraite. Bien que porteur de transparence et de clarté, le régime en comptes notionnels est néanmoins plus complexe qu'il n'y paraît. Son principal avantage réside dans sa capacité à s'équilibrer automatiquement à long terme, ce que les autres systèmes ne peuvent pas faire. Mais, le retour à l'équilibre financier prenant du temps, il se peut que le système connaisse des déséquilibres pendant la phase intermédiaire. Ainsi, en France, un passage brutal aux comptes notionnels ne permettrait un retour à l'équilibre qu'en 2040 ou 2050. Lorsque la Suède a décidé d'adopter ce système, elle avait à sa disposition des réserves financières qui lui ont permis de s'accommoder des déséquilibres intermédiaires. Pour la France, la solution consisterait à mettre en place soit un régime en comptes notionnels avec taux d'appel qui permette d'augmenter le taux de cotisation en cas de déséquilibre financier, soit un régime en comptes notionnels accompagné de provisions (le FRR, fonds de réserve des retraites, par exemple). Le passage à un tel système pose toutefois le problème de sa faisabilité technique, sociale et politique.
M. Didier Blanchet a ensuite évoqué le sujet de la pénibilité du travail en expliquant que celui-ci pourrait sans doute être plus facilement abordé à l'occasion d'une réforme structurelle, prévoyant par exemple le passage à un régime en comptes notionnels. Deux pistes, non exemptes de difficultés, sont envisageables pour prendre en compte la pénibilité. La première reposerait sur l'attribution de droits à bonification pour l'exercice d'un emploi pénible ; se pose toutefois le problème de l'évolution de la pénibilité des métiers dans le temps. La seconde consisterait à prendre en compte les écarts d'espérance de vie des différentes catégories socioprofessionnelles au moment de la liquidation de la retraite. Toutefois, ces catégories sont sans doute trop vastes pour bien appréhender la pénibilité de chaque métier.
S'agissant de la méthode de réforme, il est incontestable que la superposition des réformes paramétriques donne le sentiment que le régime français est une usine à gaz. Le système des comptes notionnels est à l'évidence très intéressant, mais n'est pas lui-même dénué de complexité. Le passage à cette technique nécessite d'être programmé sur le moyen terme, comme l'a fait la Suède. A court terme, des ajustements paramétriques semblent inévitables, ce qui ne dispense pas pour autant de réfléchir à horizon plus lointain.
Insistant sur le nécessaire équilibre entre l'aspect contributif et l'aspect redistributif du système de retraite, Mme Christiane Demontès, rapporteure, a demandé comment parvenir à un bon dosage.
M. Dominique Leclerc, rapporteur, a estimé qu'un « grand soir des retraites » en France n'est pas possible. La Suède a, pour sa part, mis près de quinze ans pour préparer la réforme de son système. Il est désormais temps de se demander quelle part de sa richesse nationale la France entend consacrer aux dépenses de retraite. Réformer les régimes de retraite nécessite une action en deux temps : à court terme, ajuster les paramètres du système actuel ; à moyen terme, introduire davantage d'équité, de simplicité et de transparence en rapprochant progressivement les différentes règles existantes entre les corps sociaux.
M. Guy Fischer a fait observer que l'harmonisation des règles de calcul des droits à la retraite entre les fonctionnaires et les salariés du privé est devenue une question centrale, le débat se cristallisant sur le salaire de référence. Doit-on en conclure que l'on se dirige vers un alignement public-privé ? Indiquant que la plupart des organisations syndicales, excepté la CFDT, désapprouve le système en comptes notionnels, il a souhaité avoir le point de vue de Didier Blanchet sur ce sujet.
M. Didier Blanchet a indiqué que la question du poids des dépenses de retraite dans la richesse nationale relève d'un choix politique. A titre personnel, il a estimé qu'une stabilisation de ces dépenses à 13 % du Pib est un objectif raisonnable, si l'on veut garder des marges de manoeuvre pour les autres postes de dépenses. Le dosage entre contributivité et redistributivité du système appelle aussi un arbitrage politique. Il faut trouver un bon équilibre entre le souhait de couvrir au maximum les éléments les plus fragiles de la population et la nécessité de rémunérer les efforts contributifs de chacun. En ce qui concerne le calendrier de la réforme, il est évident qu'un « grand soir » est inenvisageable à court terme. Toute réforme paramétrique n'exonère cependant pas d'une réflexion sur une réforme structurelle à plus longue échéance. Enfin, sur la convergence public-privé, une possibilité consisterait à allonger très progressivement la durée sur laquelle est calculé le salaire de référence - actuellement de six mois - dans la fonction publique.
M. Alain Vasselle, président, a estimé que la pénibilité du travail ne peut être abordée que de manière globale. Est-il toutefois possible de privilégier une approche individuelle ?
Evoquant le cas des travailleurs de l'amiante, Mme Sylvie Desmarescaux a insisté sur la difficulté à trouver un juste milieu entre approche collective et approche individuelle. Ces travailleurs ont été classés par métier ou par entreprise afin qu'ils puissent être indemnisés pour les préjudices subis. Or, l'on s'est aperçu a posteriori que certains d'entre eux, pourtant confrontés à l'amiante sur leur lieu de travail, n'ont fait l'objet d'aucune réparation.
M. Didier Blanchet a répondu que tout le problème réside dans le choix d'un bon niveau intermédiaire entre une prise en compte trop globale ou trop fine de la pénibilité.
Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de M. Jacques Bichot, professeur des universités en économie à l'université Jean Moulin (Lyon 3)
Puis la mission a entendu M. Jacques Bichot, professeur des universités en économie à l'université Jean Moulin (Lyon 3).
M. Jacques Bichot a tout d'abord observé que la soutenabilité du système français de retraites est plutôt bien assurée sur le plan démographique. Le vieillissement de la population n'est pas en lui-même un problème, dès lors que l'espérance de vie en bonne santé croît parallèlement à l'espérance de vie elle-même. Le système s'équilibrerait assez aisément si cet allongement de l'espérance de vie en bonne santé s'accompagnait parallèlement d'un allongement proportionnel de la durée d'activité.
Même si la France doit faire face à l'arrivée à l'âge de la retraite des générations nombreuses de l'après-guerre, sa natalité actuelle est l'une des plus dynamiques d'Europe, ce qui constitue un atout pour la soutenabilité de son régime d'assurance vieillesse.
En revanche, le système français souffre d'être un patchwork hétéroclite de régimes. Là où la plupart des pays voisins ont réussi à unir l'ensemble de leurs régimes ou au moins à ne plus distinguer qu'entre le régime des salariés du secteur privé et celui des fonctionnaires, la France ne progresse qu'à pas très lents dans la simplification de son régime de retraite. Par ailleurs, le système français, comme tous les systèmes par répartition, est construit sur une opposition complète entre le droit positif et la réalité économique. Du point de vue économique, la retraite par répartition n'est jamais qu'une capitalisation humaine : conformément à ce qu'on peut appeler le théorème de Sauvy, « les enfants d'aujourd'hui sont les retraites de demain ». Il n'y a aucune raison économique de baser les droits à la retraite sur les cotisations vieillesse, ces dernières étant en quelque sorte le dividende que payent les actifs à leurs aînés. C'est un échange entre générations successives ignoré par notre système, ce qui constitue une difficulté pour sa viabilité.
La France pourrait tirer des leçons utiles de certains systèmes étrangers. Ainsi, comme elle, les Etats-Unis ont un système par annuités ; celui-ci présente la caractéristique d'être extrêmement redistributif, puisqu'il offre un rendement très élevé aux personnes disposant des revenus les plus bas. Un salarié modeste peut espérer un taux de remplacement de 70 % lors de la liquidation de sa pension. Le système comporte deux autres tranches, pour lesquelles les taux de rendement sont de plus en plus faibles. Les Etats-Unis sont l'un des rares pays à avoir instauré un système de retraite à la carte avec neutralité actuarielle dans le cadre d'un régime par annuités. L'élément essentiel de ce système est l'absence de mélange entre le nombre d'annuités acquises et l'âge de départ en retraite.
En France, le grand changement apporté par la réforme de 1982 n'a pas été la possibilité de prendre sa retraite à soixante ans, ce mouvement ayant débuté bien plus tôt, mais l'instauration de la décote, qui a modifié les règles en profondeur. Alors que le système de retraite constituait jusqu'alors une fonction à variables séparées, il s'est transformé en une fonction à variables non séparées. Dans un tel modèle, il est particulièrement difficile de contrôler les effets des variations des paramètres, ce qui explique que les réformes entreprises pèsent davantage sur certaines catégories de personnes que sur d'autres sans que cela ait été souhaité au départ.
L'Allemagne, grâce à son système par points, connaît moins de difficultés financières que la France malgré une démographie catastrophique. Il est en effet possible d'ajuster l'équilibre économique du système en modifiant la valeur de service du point.
L'Italie ne constitue certainement pas un exemple à suivre, dans la mesure où l'entrée en vigueur très progressive de la réforme de son système a imposé des ajustements paramétriques très douloureux pendant la période transitoire. En outre, la coexistence de l'ancien et du nouveau système rend le calcul des droits particulièrement complexe.
L'exemple suédois est à la mode, alors même que la transformation du système n'a pas été aussi profonde qu'on le dit parfois. Dès avant la création des comptes notionnels, le régime de retraite suédois comportait une partie contributive et s'apparentait à un système de retraite à la carte avec neutralité actuarielle. La réforme a été facilitée par l'existence d'importantes réserves financières représentant sept années de pensions. Ces réserves équivalent encore aujourd'hui à cinq années de pensions. Toutefois, le système de comptes notionnels, qui est en réalité un système par points, présente un risque de confusion dès lors qu'il est parfois considéré comme un livret d'épargne alors qu'il s'en différencie substantiellement dans son mode de fonctionnement.
Abordant les principes directeurs qui devront inspirer la réforme des retraites, M. Jacques Bichot a estimé que l'unification du système est un objectif important. Alors que le premier article du code de la sécurité sociale pose le principe de la solidarité nationale, la multiplicité des régimes le contredit directement. La réforme devrait par ailleurs permettre de passer à un régime par points, plus lisible et ne conduisant pas à prendre des engagements qui ne peuvent être tenus : pour maintenir l'équilibre du système, il suffit de contrôler la valeur de service du point, sans avoir à revenir sur les conditions dans lesquelles les cotisants ont acquis des droits.
Naturellement, une réforme d'ensemble ne devra pas être rétroactive et la conversion des droits en points ne saurait conduire à la perte des droits acquis avant la réforme. En cas de changement de système, il conviendra de procéder à une liquidation des droits selon les règles anciennes puis à la conversion de la rente en points.
La réforme devrait en outre permettre d'introduire la retraite à la carte avec neutralité actuarielle. Dès lors que les assurés sociaux s'organisent en fonction de leurs intérêts et de ceux de leurs proches, il faut faire en sorte qu'ils aient avantage à prolonger leur activité. La réforme de 1982 a été néfaste parce qu'elle a supprimé la possibilité d'atteindre un taux de remplacement de 100 % en travaillant plus longtemps. Le taux de remplacement a été figé à 50 % au maximum, ce qui revenait à dire aux salariés qu'ils n'avaient aucun intérêt à travailler au-delà de soixante ans. Il est essentiel pour l'avenir que les assurés sociaux trouvent avantage à rester en activité plus longtemps. Une telle évolution aura rapidement des conséquences sur le comportement des employeurs en ce qui concerne l'emploi des seniors.
Une réforme d'ensemble du système nécessite d'être préparée dans de bonnes conditions. A titre d'exemple, il s'est écoulé sept ans entre le vote de la loi posant le principe de la réforme du régime de retraite suédois en 1994 et sa mise en oeuvre en 2001, d'importantes lois techniques de mise en oeuvre ayant été prises entre ces deux dates. La réforme du système français nécessitera sans doute autant de temps, compte tenu de la complexité de son architecture. Le dernier rapport du conseil d'orientation des retraites (Cor) montre qu'une transition assez rapide en cas de changement de système est préférable à une évolution étalée sur très longue période.
En ce qui concerne la prise en compte de la pénibilité des emplois, il convient de distinguer les situations anciennes, pour lesquelles la solidarité nationale est seule à pouvoir intervenir, et les situations actuelles, pour lesquelles la pénibilité doit être prise en compte dans le coût du travail et non assurée par la collectivité. Cette prise en charge pourrait prendre notamment la forme de fonds de pension abondés par les employeurs qui permettraient aux salariés ayant exercé des emplois pénibles de partir plus tôt en retraite en bénéficiant d'une rente issue du fonds de pension avant que le régime général prenne le relais.
M. Dominique Leclerc, rapporteur, a insisté sur la nécessaire simplification de l'architecture du système de retraite. Vingt-deux régimes de base adhèrent au GIP inforetraite, mais il y en a bien davantage en réalité, tandis que le nombre de régimes complémentaires serait voisin de mille. Cette situation inextricable pose de multiples difficultés pour les polypensionnés qui doivent s'adresser à plusieurs caisses ne communiquant pas entre elles. Naturellement, une unification des régimes poserait la question de la gouvernance du système, la Cnav étant un régime semi-public alors que les régimes complémentaires sont gérés par les partenaires sociaux. Par ailleurs, qu'entend-on exactement par retraite avec neutralité actuarielle ? Enfin, serait-il opportun de mettre en place au sein du régime obligatoire une part de capitalisation, conformément à ce qui a été fait en Suède ?
Mme Christiane Demontès, rapporteure, a observé que la proposition consistant à faire dépendre le montant de la retraite de l'âge du départ se heurte au fait qu'un grand nombre de salariés ne choisissent pas le moment de leur cessation d'activité et que le taux d'emploi des seniors est particulièrement faible en France. Par ailleurs, en quoi consiste le « complément de ressources » qui pourrait être attribué aux personnes les plus démunies dans le cadre d'un changement de système de retraite ?
Mme Sylvie Desmarescaux a demandé des précisions sur la garantie de pension susceptible d'être accordée aux plus modestes en cas de passage à un système par points. A propos de la prise en compte de la pénibilité dans les revenus du travail, elle a constaté que tel n'a pas été le cas pour un grand nombre de salariés jusqu'à présent.
M. Guy Fischer s'est également enquis du type de garantie qui pourrait être accordée aux plus modestes en cas de changement de système de retraite. Dès lors qu'il existe aujourd'hui une tendance au tassement du niveau des salaires et des retraites, qui se traduit par un durcissement des négociations salariales, la pénibilité ne va-t-elle pas devenir une variable d'ajustement, le départ en retraite à soixante ans risquant d'être réservé à ceux qui ont exercé des emplois pénibles ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe s'est interrogé sur les conditions d'évolution de la valeur du point dans un système utilisant cette base de calcul.
M. Jacky Le Menn a souhaité avoir des précisions sur la distinction entre les situations anciennes de pénibilité et les situations actuelles.
M. Alain Vasselle a demandé si la mise en place d'une grille d'évaluation de la pénibilité est envisageable, si l'on sait les raisons du faible taux d'emploi des seniors en France et, enfin, si le système de retraite serait aujourd'hui équilibré dans l'hypothèse où aurait été maintenue en 1982 la possibilité d'obtenir un taux de remplacement de 100 % en travaillant plus longtemps.
M. Jacques Bichot a tout d'abord relevé que la simplification du système et l'amélioration de sa gouvernance pourraient avoir des effets extrêmement positifs sur le niveau des frais de gestion. La fusion de la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), de l'association générale des institutions de retraite complémentaire des cadres (Agirc) et de l'association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco) pourrait, à titre d'exemple, permettre d'économiser 1,5 milliard d'euros chaque année, dans la mesure où les frais de gestion sont proportionnels au nombre d'affiliés et où le même travail est fait dans le régime de base et les régimes complémentaires pour chaque assuré. L'Arrco a unifié ses différents régimes en 1999 sans difficulté majeure. La méthode utilisée à l'époque pourrait être reprise pour aller plus loin dans la simplification du système. Naturellement, une telle évolution devrait se faire en mettant en commun l'ensemble des ressources sans rechercher l'équilibre de chacun des régimes faisant l'objet de l'unification. Le dialogue actuel entre l'Arrco et l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (Ircantec) n'est pas une illustration satisfaisante du principe de la solidarité nationale.
Par ailleurs, il est souhaitable à l'avenir de distinguer le rôle du législateur de celui des gestionnaires du système de retraite. Il ne devrait pas revenir au législateur d'intervenir sur les paramètres du système comme il le fait aujourd'hui. Cette tâche devrait en effet relever des gestionnaires, le législateur devant se concentrer sur l'établissement des règles et conditions de fonctionnement du régime.
La neutralité actuarielle est un principe d'équivalence entre les contributions et les prestations. Les pays qui ont étudié le plus attentivement les différences d'espérance de vie entre les individus - en fonction du sexe, des catégories socioprofessionnelles...- sont aussi ceux qui ont choisi de mettre en oeuvre la neutralité actuarielle, faisant comme si tous les individus avaient la même espérance de vie.
La capitalisation obligatoire ne constitue pas l'un des éléments déterminants du système institué en Suède. La France a mis en place les plans d'épargne pour la retraite collectifs (Perco) et doit continuer à les développer. Toute création d'un nouvel outil implique des frais de gestion importants. Ainsi, il existe de très nombreux plans d'épargne retraite populaires (Perp) sur lesquels ne sont déposées que des sommes très modestes.
La création d'un régime additionnel de la fonction publique a été une grave erreur dans la perspective d'un rapprochement public-privé, dans la mesure où elle rend plus difficile la prise en compte des primes dans le calcul de la retraite des fonctionnaires. Que deviendront ce régime et les fonds qui l'ont abondé dans l'hypothèse d'un véritable rapprochement des régimes ? Cette réforme avait été conçue pour favoriser l'unification, mais aboutit à l'effet inverse par la création d'un nouveau régime.
Il est incontestable que tous les salariés ne choisissent pas le moment de leur cessation d'activité. La France a un taux d'emploi des seniors très faible, même s'il progresse légèrement. L'expérience de certains pays, notamment de la Finlande qui a connu une augmentation spectaculaire de son taux d'emploi des seniors, montre que cette situation n'est pas inéluctable. La réforme de l'emploi et celle des retraites doivent être conduites conjointement.
En ce qui concerne le complément de ressources ou garantie de pension qui pourrait être mis en place en cas de passage à un régime par points, il consisterait à attribuer aux personnes n'ayant pas gagné des droits contributifs à pension suffisants pour vivre décemment durant leur retraite un complément de ressources sous la forme d'une allocation. Afin de maintenir l'incitation à acquérir des droits, l'allocation diminuerait en proportion du montant de la pension contributive, sans que, à partir d'un certain seuil, une augmentation de la pension contributive puisse entraîner une hausse de la pension totale inférieure à 50 % de l'augmentation de la pension contributive.
La pénibilité ne peut être prise en compte de la même manière pour le passé et pour l'avenir. Certaines personnes ont connu des situations de pénibilité qui ne peuvent plus être supportées par les entreprises concernées, parce que ces situations sont trop anciennes ou que l'entreprise n'existe plus. Seule la solidarité nationale peut en conséquence intervenir. En revanche, pour l'avenir, les postes de travail ou métiers pénibles doivent être mieux rémunérés que les autres.
Dans un système par points, il est possible d'envisager des formules complexes d'ajustement automatique de la valeur de service du point. Il reste qu'en cas de difficulté économique grave, les gestionnaires du système doivent pouvoir reprendre la main, comme cela a été le cas en Suède lorsqu'est intervenue la crise économique. Pour que le système par points fonctionne dans les meilleures conditions, il serait logique que les ajustements de la valeur de service du point jouent plus fortement sur les jeunes retraités, encore susceptibles de reprendre une activité, que sur les autres.
L'amélioration du taux d'emploi des seniors implique un changement de mentalité, en rupture avec celle qui a convaincu les salariés qu'un départ précoce rendait service aux jeunes générations, et les employeurs que le bon moyen de réduire les effectifs était de se séparer prioritairement des personnes les plus âgées. Il conviendrait par ailleurs de remettre en cause l'idée que les salaires suivent nécessairement une courbe toujours croissante au cours de la carrière.
Enfin, il est difficile de savoir comment aurait évolué l'équilibre du système de retraite sans introduction du plafonnement du taux de remplacement en 1982. Il faudrait en effet intégrer dans les modèles de projections économiques des éléments relatifs aux réactions comportementales aux décisions prises.
Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de M. Raoul Briet, président du conseil de surveillance du fonds de réserve pour les retraites (FRR)
Enfin, la mission a entendu M. Raoul Briet, président du conseil de surveillance du fonds de réserve pour les retraites (FRR).
M. Raoul Briet a d'abord évoqué la question de la soutenabilité financière des régimes de retraite en rappelant les deux séries de mesures prises au cours des dernières années pour neutraliser l'impact des évolutions mettant à mal la réalisation de cet objectif : l'accroissement de la durée d'assurance, mis en place par la réforme de 2003, afin de faire face à l'allongement de l'espérance de vie ; l'institution du fonds de réserve pour les retraites (FRR) destiné à absorber le choc démographique du baby-boom jusque dans les années 2030-2035. Or, malgré ces décisions, le système des retraites reste déséquilibré. En effet, le régime général a été doublement affecté sur la même période, par l'adoption de la mesure permettant le départ en retraite anticipé pour carrière longue, qui a pesé lourdement sur ses comptes, et par l'affaiblissement des recettes lié à la crise de 2008 dont on peut craindre que les effets perdurent quelque temps.
Une autre raison du déséquilibre résulte du fait que les paris effectués sur l'avenir, en 1998 et en 2003, ne se sont pas réalisés. Dans les deux cas, en effet, des erreurs ont été commises dans les hypothèses retenues puisque le cercle vertueux d'une croissance forte entraînant une baisse du chômage et la hausse des recettes du fonds de solidarité vieillesse (FSV) ou de l'Unedic, qui était techniquement cohérent, s'est révélé inexact dans la réalité. Ce double échec a pour conséquence une baisse très nette du crédit attaché par les assurés au système de retraite. Le déficit de crédibilité du système actuel, notamment pour les jeunes générations, est d'ailleurs l'un de ses principaux problèmes. Il est donc indispensable que tout nouveau scénario soit bâti sur des hypothèses réalistes et prudentes.
La question de l'équité du système de retraite est importante mais elle ne doit pas reposer sur l'idée que les différences entre les divers régimes n'ont aucune légitimité, par exemple entre les régimes de salariés et de non salariés ou entre les secteurs public et privé. Ainsi, dans le cas du secteur public, il s'agit d'un système de retraite d'employeur, alors que dans le secteur privé, le régime est construit sur une base interprofessionnelle. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille s'en tenir au statu quo. On ne peut cependant pas tout régler à travers un système de retraite, que ce soient les inégalités hommes-femmes, les écarts de salaires ou la compensation de la pénibilité. Un régime de retraite a en effet pour vocation première d'accorder aux personnes qu'il couvre un revenu décent, pérenne et en rapport avec les revenus d'activité.
Sur le sujet du rapprochement entre les régimes des secteurs public et privé, la situation a évolué depuis 2003, plusieurs mesures ayant été prises en ce sens. Trois points d'écart principaux subsistent néanmoins : le niveau de l'effort contributif, aussi bien des employeurs que des salariés ; l'âge minimal de départ en retraite, notamment dans les régimes spéciaux où il est parfois sensiblement inférieur à ce qui existe dans le secteur privé ; le calcul de la pension liquidée sur la base des six derniers mois, dans le public, ou des vingt-cinq meilleures années dans le privé. Sur ce dernier point, il faut se garder de jugements trop rapides car la comparaison ne peut être complète que si la base de calcul prise en compte est bien la même dans les deux cas. En effet, dans le secteur public, seul le traitement indiciaire est retenu, ce qui exclut un certain nombre de primes du calcul de la pension : si la totalité de la rémunération était prise en compte, les différences observées seraient sans doute moins manifestes et moins choquantes. Le gain budgétaire pour l'Etat d'un changement du mode de calcul mériterait aussi d'être étudié de façon plus précise et il pourrait s'avérer moins important que certains ne l'envisagent.
L'opposition entre réforme systémique et réforme paramétrique présente un certain nombre de limites. S'il est vrai que le terme « paramétrique » a acquis une connotation péjorative, il ne signifie pas pour autant qu'une telle réforme se cantonne à une partie du problème et à quelques années. A l'inverse, un changement de système n'a pas forcément pour effet de rééquilibrer les comptes. Il est donc plus intéressant de se pencher sur le contenu des réformes, la plupart des pays procédant par des adaptations de leur système ; seules l'Italie et la Suède ont choisi un bouleversement de leur régime de retraite mais sur une longue période.
Les régimes par points ou en comptes notionnels ont certainement plusieurs avantages : l'équité entre les générations est mieux assurée ; la redistribution envers certaines catégories, telles que les bas salaires, les femmes, les métiers pénibles, peut être mise en oeuvre de façon plus ciblée et plus pertinente ; l'instauration d'un régime unique est plus simple. Cependant, ils ont la caractéristique d'être des régimes à cotisations définies et non à prestations définies. Or, en France, l'objectif recherché à titre principal est celui du niveau et de la stabilité du taux de remplacement, le taux de cotisation étant moins figé. En Suède, la mise en place de la réforme du système de retraite a, en outre, été permise par un fort consensus politique mais aussi par une situation financière favorable du régime qui disposait de réserves. Ce régime était également moins façonné par le poids de l'histoire que le système français, dont l'architecture compliquée a parfois des origines très anciennes.
Les besoins de financement du système de retraite français sont réels et bien supérieurs à ce qu'une mesure modifiant l'âge de départ en retraite peut rapporter. Les projections du Cor, qui seront rendues publiques en avril, devraient montrer qu'une action dans cette seule direction est insuffisante pour rééquilibrer le système. Or, si l'on ne veut pas toucher au niveau des pensions, la seule variable restante est celle des recettes du régime, au nombre desquelles figure le FRR. Celui-ci dispose actuellement d'environ 33 milliards d'euros mais la loi interdit qu'ils soient décaissés avant 2020. Le dernier conseil de surveillance du FRR a d'ailleurs rappelé les règles applicables à cet organisme : il s'agit d'un outil temporaire devant contribuer au financement des retraites massives des personnes nées après la guerre ; il a été construit sur la base de choix stratégiques de long terme, avec environ vingt années d'accumulation puis, à partir de 2020, vingt années de décaissements ; en aucun cas, il ne peut se substituer à un rééquilibrage du système par des leviers permanents. En effet, lorsque les concours du FRR s'éteindront, vers 2040, la pérennité du régime devra avoir été assurée. Toutefois, dans l'analyse en cours, avec un horizon technique à 2050, le FRR est indéniablement un élément à prendre en compte, mais comme complément et non comme élément de substitution. En tout état de cause, à court terme, il est important de ne pas modifier les règles initialement posées et, en particulier, de ne pas utiliser les ressources du FRR plus vite que prévu.
M. Dominique Leclerc, rapporteur, a jugé important que soit ainsi rappelée la finalité du FRR. Il est convenu qu'une réforme systémique ne pourra apporter, à elle seule, la solution aux problèmes de financement actuels. La question préalable est sans doute aujourd'hui de définir la part de la richesse nationale que l'on souhaite affecter aux pensions, en la mettant en regard de ce que la collectivité pourra consacrer au vieillissement d'une façon plus globale (santé, dépendance, etc.). Il conviendra aussi d'avancer dans la voie de l'harmonisation des règles entre les différents régimes. Dans ce contexte, est-il réaliste de croire que l'on pourra faire face aux déséquilibres financiers actuels par de simples évolutions paramétriques ? Les systèmes par points n'ont-ils pas, de ce point de vue, l'avantage de permettre un pilotage à la fois plus transparent et plus proche de la réalité ?
M. Raoul Briet a estimé difficile de mener de front une réforme de l'architecture et une réforme des paramètres du système de retraite ; seule une mise en oeuvre séquentielle et non simultanée de ces réformes paraît pouvoir être envisagée. La vraie question est en fait de savoir si, en adoptant un régime de comptes notionnels ou par points, on souhaite réellement mettre en place un système unique, commun à tous les Français. Par ailleurs, à quel niveau de taux de remplacement veut-on positionner ce régime ? Les conséquences seraient en effet très différentes entre un objectif de taux de remplacement de 70 % et un objectif de 30 % ; dans ce dernier cas, envisagerait-on un complément et lequel ?
D'une manière générale, il parait extrêmement difficile, dans un pays comme la France, de faire table rase du passé ; un processus de rapprochement entre les régimes semble plus réaliste qu'une réforme systémique.
Mme Christiane Demontès, rapporteure, a reconnu le poids de l'histoire dans le modèle français, ce qui, pour autant, n'interdit pas les évolutions. Dans la situation actuelle, une des questions centrales est celle de la durée de cotisation ; comment peut-on la prendre en compte avec une entrée relativement tardive sur le marché du travail, qui semble aujourd'hui stabilisée vers vingt-trois/vingt-cinq ans, et un taux d'emploi des seniors plutôt faible ? Comment, par ailleurs, peut-on concilier une approche contributive avec un souci redistributif ?
M. Raoul Briet a rappelé que le système français est plutôt généreux pour l'acquisition de trimestres de cotisation. Il procure un niveau relatif de retraite qui soutient la comparaison avec celui des actifs. Il comporte des forces de rappel et d'adaptation qui ont permis d'éviter la paupérisation des retraités. En matière d'emploi des seniors, plusieurs mesures ont été prises récemment, les outils existent donc, mais les évolutions ne pourront être sensibles que sur la durée. La situation française a une particularité liée à l'âge repère symbolique de soixante ans, alors que dans la plupart des pays voisins, cet âge est de soixante-cinq ans. Il en résulte une difficulté pour accroître le taux d'emploi dans la tranche des soixante/soixante-cinq ans car il existe une forte interaction entre la politique de l'emploi suivie par les entreprises et les âges minima fixés par la loi.
L'économie et la société sont soumises à plus de mouvement et de fluidité qu'il y a quelques années, ce qui se traduit par des parcours professionnels beaucoup plus variés et divers. Il est dès lors plus difficile d'attacher des droits spécifiques à la retraite.
M. Guy Fischer a fait observer que le modèle de carrière linéaire des anciennes générations fait désormais place à un très fort émiettement du travail, à des conditions de rémunération plus difficiles et surtout à une explosion de la précarité. Le problème des travailleurs et des retraités pauvres est-il une réalité plus marquée qu'au cours des périodes antérieures ?
M. Raoul Briet a reconnu que le très net allongement de la durée de la retraite pose des problèmes nouveaux. Les statistiques fournissent des moyennes mais il est évident que les situations ne sont pas les mêmes pour des retraités de soixante ou de quatre-vingt-dix ans. Certaines personnes ont effectivement plus de difficultés aujourd'hui, en particulier les personnes seules très âgées qui sont d'ailleurs le plus souvent des femmes. Pour les travailleurs pauvres, il est probable que le système trouvera les solutions et proposera des correctifs lorsque cela sera nécessaire. En réalité, le vrai souci est celui des jeunes générations car elles ont le sentiment d'être mal traitées par le système, de devoir payer pour des retraites dont le même niveau ne leur sera pas garanti demain. Il est impératif de redonner du crédit au système en s'adressant notamment aux jeunes.
M. René Teulade s'est inquiété de la perspective du remplacement de la lutte des classes par la lutte des générations. Les projections économiques à l'horizon 2040 ou 2050 ne peuvent être crédibles, c'est pourquoi il paraît préférable de privilégier l'adaptation du système par la voie du dialogue social. L'allongement de l'espérance de vie ne devrait pas être dramatisé car il s'agit d'un phénomène heureux ; il intervient parallèlement à l'évolution du modèle familial, dont la clé de voûte est aujourd'hui la génération en fin d'activité professionnelle. La société se transforme en permanence et l'arrêt de l'activité professionnelle ne signifie nullement la fin de l'activité économique ou sociale. Il y a donc un choix de société à faire qui ne pourra se construire que par le dialogue social. Le problème des retraites trouvera alors sa solution, au-delà des seules réponses techniques et financières.
M. Jacky Le Menn a souhaité connaître les effets pervers ou bénéfiques d'une modification de l'âge légal minimal de soixante ans, compte tenu de l'attachement de la population à ce repère.
M. Yves Daudigny, après avoir relevé le caractère optimiste des propos de Raoul Briet, a demandé si une hausse des cotisations ne serait pas tout de même nécessaire au regard de l'analyse développée sur les trois séries de paramètres disponibles pour rééquilibrer le système.
M. Raoul Briet a estimé important de ne pas tenir des propos alarmistes. En revanche, il est sans doute urgent de redonner de la crédibilité au système et de tenir un discours très affirmé en direction des jeunes générations car il en va aujourd'hui du maintien du pacte social. Les paramètres disponibles sont, outre l'âge de départ en retraite et la durée de cotisation, le niveau des pensions et les recettes. Une moindre revalorisation des pensions est envisageable surtout si l'on décide d'augmenter les cotisations ; elle interviendrait alors dans le souci d'équilibrage intergénérationnel et de répartition des efforts. En matière de recettes, plusieurs instruments existent : le taux des cotisations mais aussi la remise en cause de certaines exonérations de charges ou niches sociales. Il sera difficile de ne pas mobiliser certains de ces instruments ; le FRR devra toutefois rester un élément accessoire dans cet ensemble.
Jeudi 18 février 2010
- Présidence de M. Alain Vasselle, président -Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de M. Henri Sterdyniak, directeur du département Economie de la mondialisation de l'observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)
La mission a procédé à l'audition de M. Henri Sterdyniak, directeur du département Economie de la mondialisation de l'observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
A titre introductif, M. Henri Sterdyniak, directeur du département Economie de la mondialisation de l'OFCE, a rappelé que le rendez-vous sur les retraites de 2010 n'était pas prévu par la loi du 21 août 2003 qui fixe le principe de bilans d'étape quadriennaux. Le dernier rendez-vous ayant eu lieu en 2008, le suivant devait être normalement programmé pour 2012. Or, le Medef a réclamé un avancement du calendrier afin de poser, une nouvelle fois, la question du relèvement de l'âge légal de départ à la retraite. La tenue d'un rendez-vous cette année est problématique dans la mesure où elle pourrait se traduire par une nouvelle remise en cause du système de retraite, qui a pourtant été l'objet de plusieurs réformes ces dernières années. En outre, son intérêt est limité puisque les régimes de retraite se trouvent dans une situation financièrement soutenable. Certes, leur déficit s'est creusé en 2009 et risque de s'aggraver en 2010, mais cette dégradation est due en grande partie à la crise économique qui affecte l'ensemble des comptes sociaux. La situation économique actuelle ne justifie pas plus de réduire les dépenses de retraite que d'autres postes de dépenses. Il faut rappeler que, sans les dépenses publiques, les ménages seraient contraints de se tourner vers l'assurance privée pour couvrir les différents risques de la vie.
Le rendez-vous de 2010 est d'autant plus dangereux qu'il intervient dans un contexte où une augmentation des cotisations retraite risquerait de peser sur le pouvoir d'achat des Français, déjà affecté par la crise ; où le redéploiement des cotisations chômage au bénéfice des cotisations vieillesse est exclu en raison de la montée du chômage ; où il est inutile d'espérer une augmentation du taux d'emploi des seniors étant donné que les entreprises sont plutôt dans une logique d'ajustement de leurs effectifs. Si l'on décide subitement de porter l'âge légal de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans, les salariés en fin de carrière vont conserver leur poste, au détriment de l'embauche de jeunes ou de seniors en recherche d'emploi. En conséquence, les économies réalisées grâce à cette mesure seront en grande partie compensées par un déficit accru de l'assurance chômage et une baisse du pouvoir d'achat des ménages, notamment des jeunes. Ceux-ci sont en effet les premières victimes de la crise : alors que le taux d'emploi des 55-64 ans a progressé de 0,9 point depuis la dégradation du contexte économique, celui des 15-24 ans a diminué de 0,8 point.
M. Henri Sterdyniak a ensuite abordé la question de la viabilité financière du système de retraite français. Les projections du conseil d'orientation des retraites (Cor) de 2007, qui vont très prochainement faire l'objet d'une réactualisation afin d'intégrer les effets de la crise, tablent sur un déficit prévisionnel de l'ensemble des régimes de retraite de 1,7 point de Pib en 2050. Sachant qu'un point de ce déficit peut être comblé par le retour au plein-emploi et par une légère augmentation des cotisations retraite, on peut légitimement en conclure que le système est viable à terme. Les dernières projections du Cor appellent toutefois deux remarques. La première est que les hypothèses de taux de chômage (4,5 % par an) et d'augmentation de la productivité du travail (1,8 % par an) sur lesquelles elles reposent semblent particulièrement optimistes. Le Cor prévoit en outre une baisse du niveau relatif des retraites de 23 % par rapport aux salaires d'ici à 2050, ce qui n'est socialement pas acceptable. La seconde remarque est, qu'à l'inverse, certaines hypothèses paraissent très pessimistes. Ainsi, il est prévu que le taux d'emploi des 55-60 ans progresse très peu puisqu'il passerait de 60 % aujourd'hui à 62 % en 2050. A titre de comparaison, il est actuellement de 84 % en Suède et de 72 % aux Etats-Unis. Le taux d'emploi des 60-65 ans augmenterait, quant à lui, davantage pour atteindre 34 % en 2050 contre 20 % aujourd'hui. La Suède et les Etats-Unis enregistrent respectivement des taux de 64 % et de 50 %. Par ailleurs, les projections du Cor sont fondées sur une durée de cotisation de 41,5 annuités et n'intègrent pas la possibilité d'un allongement de celle-ci.
Un autre scénario est envisageable qui permettrait d'aboutir à une situation équilibrée du système de retraite en 2050. Si l'on décide, d'un côté, d'être plus pessimiste sur l'évolution du taux de chômage et de la productivité du travail et, de l'autre, de tabler sur un allongement de la durée de cotisation (passage à 42,5 annuités), une amélioration du taux d'activité et une augmentation modérée des cotisations retraite (de 0,2 à 0,3 point par an de 2010 à 2030), l'on obtient des prévisions financièrement soutenables à long terme. Il est de la responsabilité du Gouvernement et des partenaires sociaux de présenter des projections financières équilibrées à l'horizon 2050 afin de rassurer les jeunes générations sur l'avenir du système de retraite. Chaque acteur doit faire un pas en avant : le patronat doit abandonner l'idée d'un report de l'âge légal de départ à la retraite et arrêter de prôner le développement de la capitalisation ; le Gouvernement doit renoncer au mythe de la stabilisation des cotisations ; les syndicats doivent accepter un allongement de la durée de cotisation. Le système de retraite français est viable car des marges de manoeuvre, notamment en matière d'emploi des seniors, existent.
Puis, M. Henri Sterdyniak a soulevé le problème de l'harmonisation public-privé en insistant au préalable sur le manque de lisibilité, la complexité et l'hétérogénéité du système français. Celui-ci devient de moins en moins gérable, notamment lorsqu'il s'agit de traiter la question des polypensionnés. L'incompatibilité des règles des différents régimes plaide en faveur d'une unification progressive. S'agissant de la comparaison public-privé, il faut reconnaître que les disparités de taux de rendement sont moins fortes qu'elles n'y paraissent. Dans le secteur public, la pension est calculée sur le salaire des six derniers mois. Or, celui-ci repose sur le traitement indiciaire et n'intègre pas les primes qui peuvent parfois représenter une part importante du revenu d'un fonctionnaire. En outre, l'évolution du salaire dépend de la valeur du point de la fonction publique qui n'est pas revalorisée au même rythme que l'inflation. Entre 1985 et 2005, la valeur du point de la fonction publique a ainsi perdu 15 % en termes de pouvoir d'achat ; beaucoup de fonctionnaires sont donc confrontés à une baisse de leur pouvoir d'achat en fin de carrière. La règle des six derniers mois ne constitue pas un avantage disproportionné et il serait profondément injuste d'aligner brutalement le salaire de référence des fonctionnaires sur celui des salariés du privé (les vingt-cinq meilleures années). En tout état de cause, il faut revoir les règles de gestion des salaires des fonctionnaires, notamment en garantissant que la valeur du point de la fonction publique sera indexée sur l'inflation.
Bien que les statistiques montrent que les taux de rendement dans le public et le privé soient du même ordre de grandeur, certaines disparités perdurent. Ainsi, la situation des retraités ayant bénéficié d'une forte rémunération au cours de leur carrière est plus favorable dans le privé que dans le public, tandis que celle des retraités ayant perçu une faible rémunération au cours de leur vie active est plus favorable dans le public que dans le privé. En conséquence, un alignement des règles de la fonction publique sur celles du privé risquerait de favoriser les hauts fonctionnaires au détriment des autres. Par ailleurs, dans l'hypothèse où le mouvement à la baisse du niveau des retraites complémentaires des salariés du privé se poursuivrait, les disparités public-privé pourraient fortement se creuser à l'avenir. Si le Medef continue à imposer une diminution du taux de rendement des retraites complémentaires, le risque est de voir la situation des salariés se dégrader par rapport à celle des fonctionnaires. A l'inverse, si les partenaires sociaux parviennent à un accord pour enrayer la baisse du taux de rendement des retraites complémentaires, la question d'un décrochage du privé par rapport au public ne se posera pas.
Abordant la question du pilotage des régimes de retraite, M. Henri Sterdyniak a rappelé que certains pays ont choisi un système d'ajustement automatique. En Suède, l'un des deux mécanismes d'équilibrage mis en place consiste à calculer chaque année le montant des cotisations perçues et le montant des prestations versées, puis à calculer le ratio correspondant. Si celui-ci s'avère inférieur à un, le niveau des pensions est abaissé. Ainsi, en 2009, les pensions auraient dû diminuer de 4,5 %, mais le Gouvernement a décidé d'échelonner cette baisse dans le temps afin de la rendre moins douloureuse. Les pensions ont donc baissé de 3 % en 2009 et devraient être réduites à nouveau de 1,5 % en 2010. On le voit, ce système n'est pas acceptable car il pénalise les retraités. Il faut, au contraire, se donner pour objectifs de garantir leur pouvoir d'achat et de rééquilibrer le système en augmentant le taux d'activité. Cela ne peut se faire de manière automatique et requiert une forte mobilisation de tous les acteurs sociaux.
A la demande du Parlement, le Cor a récemment remis une étude sur une éventuelle réforme structurelle (passage à un régime par points ou à un régime en comptes notionnels) en France. Si l'intérêt d'un régime unique n'est pas contestable étant donné la complexité du système actuel, la vraie question est de savoir lequel on souhaite mettre en place. La première option consisterait à adopter un régime unique par points. Une telle solution est inacceptable dans la mesure où, dans ce type de régime à cotisations définies, la variable d'ajustement est la valeur du point et in fine le montant des pensions. Les retraités n'ont donc aucune garantie sur le taux de rendement du système et sont les premières victimes du rééquilibrage financier. C'est ce qui se passe dans les régimes complémentaires français où le taux de rendement ne cesse de diminuer depuis des années. Or, les salariés ont le droit de revendiquer un contrat salarial qui leur garantisse un niveau de vie décent une fois arrivés à l'âge de la retraite.
La seconde option serait le passage à un système en comptes notionnels. Celui-ci présente un avantage non négligeable : il garantit la rentabilité des cotisations versées par les salariés. Les cotisations sont en effet revalorisées chaque année non seulement en fonction de l'inflation, mais également en appliquant un taux de rendement garanti par l'Etat, qui correspond au taux de croissance de la masse salariale. Cependant, la technique des comptes notionnels présente aussi des inconvénients de taille : elle règle la question du déséquilibre financier par la réduction du niveau des pensions - puisque le taux de cotisation est présupposé fixe - et fait dépendre le montant de la retraite de l'âge de départ. Or, les salariés n'ont pas tous la même capacité de poursuivre leur travail après soixante ans afin d'obtenir une retraite plus élevée. Ce système est donc profondément injuste puisqu'il ne tient compte ni de la capacité à prolonger son activité selon la carrière effectuée, ni des différences de vie entre catégories socioprofessionnelles qui sont pourtant très fortes (l'espérance de vie des ouvriers est inférieure de sept ans à celle des cadres). En réalité, les comptes notionnels avantagent les cadres à longue espérance de vie. Cette technique de calcul est d'autant plus dangereuse qu'elle exonère à la fois l'Etat et les entreprises de leurs responsabilités vis-à-vis de l'emploi des seniors. En effet, comme le système repose sur le libre choix du départ à la retraite, rien n'incite les employeurs à garder leurs salariés jusqu'à ce qu'ils aient droit à une retraite décente.
Au final, ces deux types de régime unique sont moins favorables que le système de retraite actuel - tel que modifié par la réforme de 2003 -, ce qui n'exonère pas pour autant de l'améliorer. Il est en effet indispensable de le compléter par un volet pénibilité. La prise en compte de la pénibilité au travail nécessite d'établir une liste des métiers pénibles et d'instaurer un dispositif de compensation au niveau des branches. Ce dispositif pourrait prendre la forme d'un droit à bonification (par exemple, l'attribution de cinq trimestres pour quatre réellement cotisés), financé en partie par les entreprises.
Mme Christiane Demontès, rapporteure, a tout d'abord souhaité savoir si d'autres paramètres que le montant des pensions permettent d'équilibrer le système en comptes notionnels. Elle a ensuite demandé quelle méthode de réforme permettrait d'améliorer le système actuel, c'est-à-dire de prendre en compte la pénibilité du travail, de favoriser l'emploi des seniors et de tendre vers une harmonisation public-privé. Quels rôles doivent respectivement jouer les partenaires sociaux et le législateur ?
M. Guy Fischer a regretté que le débat sur le rendez-vous de 2010 soit l'occasion d'une critique récurrente du régime des fonctionnaires. L'harmonisation vers laquelle on s'oriente ne constitue-t-elle pas une remise en cause brutale de leur statut ? Par ailleurs, s'agissant de la pénibilité, ne serait-il pas préférable de disjoindre ce dossier des négociations sur la réforme des retraites ?
M. Gilbert Barbier a fait remarquer qu'il sera, certes, relativement facile d'établir une liste de nouveaux métiers pénibles, mais beaucoup plus problématique de faire accepter - notamment dans la fonction publique - que des métiers autrefois pénibles ne le soient plus. Des contreparties seront-elles alors négociées ? Puis, il s'est étonné de la critique dont a fait l'objet le système des comptes notionnels, alors que celui-ci comporte des avantages indéniables comme le libre choix du départ à la retraite.
M. Jacky Le Menn a souhaité savoir quelle méthode permettrait de tendre progressivement vers une harmonisation public-privé et au final de parvenir à un système unifié.
M. Dominique Leclerc, rapporteur, a estimé que l'harmonisation des règles entre le secteur privé et la fonction publique ne doit pas se traduire par la disparition du statut de fonctionnaire, laquelle est impensable. Comment, dès lors, avancer sur la voie du rapprochement public-privé tout en maintenant certaines spécificités ? Sur l'emploi des seniors, beaucoup de mesures ont été prises ces dernières années pour tenter d'améliorer la situation. Celles-ci sont-elles insuffisantes ? De même, les réformes récentes qui visent à accroître le taux d'emploi des jeunes, en mettant notamment l'accent sur l'apprentissage et l'alternance, méritent-elles d'être complétées ? Enfin, il faut bien admettre qu'une augmentation des cotisations est à terme inévitable pour rééquilibrer le système de retraite.
M. Alain Vasselle, président, a demandé dans quelle mesure le scénario précédemment évoqué, qui permettrait d'atteindre l'équilibre financier en 2050, est crédible et réaliste. Quelles sont les chances d'y parvenir ? En ce qui concerne la pénibilité, deux camps s'affrontent : d'un côté, ceux qui plaident pour une compensation par le système de retraite sous la forme de bonifications ; de l'autre, ceux qui estiment que la pénibilité doit être prise en compte au cours de la vie active (par exemple, via l'octroi de primes) et non à l'issue de celle-ci. Quelle solution semble la plus pertinente ?
M. Henri Sterdyniak a rappelé qu'aucun économiste n'est capable de dire ce que sera la situation du système de retraite en 2050, notamment parce que certains événements comme les crises financières et économiques sont difficilement prévisibles. En revanche, il est possible d'élaborer un scénario médian qui, sous certaines hypothèses, permette d'aboutir à un équilibre financier à long terme. Les marges de manoeuvre ne manquent pas en France : légère augmentation des cotisations, progression du taux d'activité, politique en faveur de l'emploi des seniors (formation, reconversion, gestion des carrières). Certains pays, comme la Suède ou la Finlande, ont réussi à équilibrer leur système en jouant sur ces leviers. Pourquoi la France n'en serait-elle pas capable ? S'agissant de la pénibilité, il est indispensable de se mettre d'accord sur des critères objectifs qui permettent de la définir. Pour cela, il faut se servir des statistiques disponibles sur les différences d'espérance de vie entre catégories socioprofessionnelles et s'appuyer sur le rôle de la médecine du travail. Prendre en compte la pénibilité, c'est aussi la prévenir en aménageant les emplois, en offrant des possibilités de reclassement, en formant les salariés à de nouvelles tâches. Mais une telle politique nécessite un engagement fort de l'ensemble des partenaires sociaux qui permette de parvenir à un accord national définissant les critères objectifs de pénibilité. Celui-ci serait ensuite décliné au niveau des branches.
Certes, les comptes notionnels présentent un intérêt dans la mesure où ils garantissent un taux de rendement des cotisations, mais leur principale faiblesse réside dans le lien entre niveau de la retraite et âge de départ. En effet, faire dépendre le montant des pensions de l'âge de départ ne permet pas de tenir compte de la disparité des capacités de travail après soixante ans et des différences d'espérance de vie. L'adoption d'un tel système risquerait donc de paupériser davantage les retraités les plus faiblement pensionnés. En aucun cas, les comptes notionnels ne sont un remède miracle. La liberté de choix sur laquelle ils reposent n'est pas acceptable pour trois raisons : elle joue un rôle trop important dans la détermination du montant des pensions ce qui renforce l'injustice du système ; elle suppose que tout le gain obtenu du fait de la prolongation d'activité est récupéré entièrement par l'individu et en aucun cas redistribué à la collectivité ; elle supprime toute notion d'âge « normal » de départ à la retraite. Sur l'harmonisation public-privé, il est évident que les spécificités attachées au statut de fonctionnaire concernant les droits à la retraite ne peuvent être brutalement supprimées ; l'objectif est de faire progressivement converger les règles.
Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de Mmes Martine Durand, chef statisticien et directeur, direction des statistiques, et Monika Queisser, chef de division, division des politiques sociales, de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
Puis la mission a entendu Mmes Martine Durand, chef statisticien et directeur, et Monika Queisser, chef de division, division des politiques sociales, de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Mme Martine Durand, chef statisticien et directeur à l'OCDE, a d'abord indiqué que cette organisation a entrepris depuis plusieurs années de suivre les réformes des systèmes de retraites publics et de publier régulièrement le « Panorama des pensions dans les pays de l'OCDE ».
Face au défi posé par le vieillissement des populations, la plupart des pays de l'OCDE, dont la France, ont engagé d'importantes réformes de leur système de retraite au cours des quinze dernières années. Or, malgré ces réformes, la viabilité financière à long terme des systèmes n'est pas assurée, ce qui va nécessiter de nouvelles mesures. En France, l'année 2010 sera, à cet égard, décisive.
Si un système de retraite doit être viable financièrement, il doit aussi être équitable. Le concept d'équité recouvre plusieurs dimensions, notamment les dimensions intragénérationnelle et intergénérationnelle. Au sein d'une même génération, certains facteurs sont porteurs de nouvelles inéquités, par exemple les différences d'espérance de vie entre catégories socioprofessionnelles ou entre sexes. Mais l'équité peut aussi être évaluée en considérant la capacité d'un système de retraite à ne pas reproduire, au stade de la retraite, les inégalités de revenus constatées pendant la vie active.
Parmi les éléments des systèmes de retraite qui agissent sur l'équité, la progressivité est un facteur important. Une redistribution maximale est atteinte dans les systèmes de retraite de base qui comportent une prestation universelle pour tous les retraités, comme par exemple en Irlande et en Nouvelle-Zélande. L'Australie, le Canada, la République tchèque et le Royaume-Uni sont aussi dotés de systèmes de retraite progressifs avec des éléments redistributifs très importants.
Certaines politiques peuvent contribuer à rendre les systèmes de retraite progressifs, c'est-à-dire à permettre de « décrocher » les retraites versées des salaires perçus au cours de la carrière. Un premier instrument est la fiscalité, par exemple au travers d'allègements d'impôt sur le revenu ou d'exonérations de cotisations de sécurité sociale. D'autres mécanismes peuvent être mentionnés : les programmes destinés à lutter contre la pauvreté des personnes âgées ; le plafonnement des salaires dans le cadre des régimes à prestations définies ; les droits non contributifs, comme par exemple ceux liés aux périodes de chômage ou de garde d'enfant ; la formule utilisée pour le calcul de la prestation de retraite (par exemple le nombre d'années utilisé dans le calcul de la prestation de retraite).
Les systèmes purement assurantiels, en revanche, avec un lien très étroit entre cotisations et retraites, ne sont pas redistributifs. La Finlande, la Grèce, la Hongrie, les Pays-Bas, le Portugal, la République slovaque et la Turquie disposent ainsi de régimes presque strictement proportionnels et donc très peu progressifs. Ce groupe comprend aussi deux pays qui ont un système de comptes notionnels, dans lesquels, par définition, les cotisations sont étroitement liées aux prestations. La France se situe entre ces deux groupes. Mais selon l'indice de progressivité développé par l'OCDE, le système français affiche une valeur bien en-dessous de la moyenne des pays de l'OCDE. Tous les pays qui affichent une valeur de l'indice de progressivité très élevée sont dotés d'importants régimes de retraite de base ou ciblés.
Mais on peut aussi parler d'équité entre les régimes, par exemple en ce qui concerne les règles respectives de calcul des droits à la retraite dans le secteur public et le secteur privé. Ainsi, en France, le taux de cotisation est plus faible dans le public que dans le privé ; le droit à retraite dans le secteur public est plus avantageux puisqu'il est déterminé en fonction du salaire de fin de carrière et non sur les vingt-cinq meilleures années comme dans le privé ; les travailleurs du secteur public peuvent partir à la retraite avec un nombre d'années de cotisation inférieur à celui exigé dans le privé. Le fait de pouvoir partir plus tôt implique aussi la constitution d'un « patrimoine retraite » plus élevé puisque les prestations seront payées pendant une durée de retraite plus longue.
Dans ce contexte, quelles ont été les réformes conduites en France et à l'étranger pour assurer la viabilité financière des systèmes de retraite ? Dans la grande majorité des pays de l'OCDE, les réformes ont porté principalement sur l'augmentation de l'âge légal de départ à la retraite. Ce paramètre joue en effet un rôle symbolique important car il signale l'âge minimum à partir duquel il est légalement possible de liquider sa retraite. C'est le paramètre qui a l'impact le plus rapide pour rééquilibrer financièrement les régimes de retraite. C'est aussi le plus simple à comprendre, avec pour objectif l'allongement de la durée de cotisations. L'âge légal de départ est désormais de soixante-cinq ans en moyenne dans l'OCDE. Récemment, certains pays ont décidé d'aller encore plus loin : l'Allemagne, le Danemark et le Royaume-Uni ont légiféré en vue de relever progressivement l'âge de la retraite à soixante-sept ou soixante-huit ans ; les Pays-Bas et l'Espagne ont proposé de le porter à soixante-sept ans. La France, qui a fait le choix d'augmenter le nombre d'années de cotisations nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein, est le seul pays de l'OCDE où l'âge légal reste fixé à soixante ans, même si l'âge effectif de départ est désormais plus proche de soixante et un ans. Des pénalités ont été introduites en cas de départ avant l'âge légal en Allemagne et en Autriche, ainsi qu'en France avec le système de décote. De même, des mécanismes encourageant l'activité après l'âge légal ont été introduits en France, avec la surcote, mais aussi en Finlande, en Espagne et au Royaume-Uni.
Le relèvement de l'âge légal de la retraite a soulevé la question de la pénibilité du travail ou de l'incapacité professionnelle. De nombreux pays, pourtant, ont mis fin aux dispositifs qui, dans leurs régimes de retraite, traitaient de manière spécifique certaines catégories de travailleurs dont l'emploi était considéré comme pénible ; ils ont jugé que les problèmes de santé pouvant résulter de l'activité professionnelle devaient être réglés indépendamment des systèmes de retraite, par une meilleure prévention et de meilleures conditions de travail ou par des dispositifs d'assurance contre le handicap ou l'invalidité mieux adaptés à chaque situation individuelle. En effet, aboutir à une définition consensuelle des situations de pénibilité ou de dangerosité professionnelles est extrêmement compliqué. De surcroît, il n'est pas évident de faire prendre en compte par un système de retraite des épisodes individuels de travail plus ou moins pénibles ou dangereux, et plus ou moins longs au cours d'une carrière. Il est donc préférable de distinguer le système de retraite de celui qui vise à indemniser des situations pénibles, tout en cherchant à réduire autant que possible l'exposition prolongée des salariés à ces situations. L'OCDE a beaucoup travaillé sur ce sujet ; elle engage maintenant un nouveau projet sur le stress lié au travail et la dépression.
Dans la plupart des pays, dont la France, les réformes ont également contribué à fortement réduire ou pénaliser le recours aux dispositifs publics de préretraite qui avaient été introduits dans les années soixante-dix pour répondre au chômage de masse. La Belgique, le Danemark, la Grèce, la Hongrie et l'Italie ont ainsi soit relevé l'âge minimum de départ anticipé à la retraite, soit majoré le nombre d'années de cotisation requis pour avoir droit à une retraite anticipée, ou les deux. La Finlande vient également de proposer de relever l'âge de départ anticipé à la retraite. Les Pays-Bas ont supprimé les incitations fiscales accordées dans le cadre des dispositifs professionnels privés de retraite anticipée. La France a, de son côté, lourdement taxé les préretraites privées. Toutes ces mesures ont conduit à un relèvement du taux d'emploi des seniors même si beaucoup reste encore à faire dans ce domaine, notamment en France.
Les réformes ont aussi porté sur le niveau des retraites. Les taux de remplacement sont passés, en moyenne dans les pays de l'OCDE, de 63 % avant les réformes à 59 % après. Plusieurs facteurs expliquent une telle baisse, en particulier l'extension de la période prise en compte pour le calcul de la pension, qui est passée aux vingt-cinq meilleures années pour les salariés du secteur privé, au lieu de dix, en France et à l'ensemble de la carrière en Finlande, en Pologne, au Portugal et en Suède. La baisse reflète aussi le changement de méthode de valorisation des salaires passés ou d'indexation des pensions versées qui, comme en France, est désormais de plus en plus souvent fondée sur les prix plutôt que sur les salaires, ce qui aboutit à une croissance moins rapide des pensions. Au total, les taux de remplacement moyens pour les travailleurs ayant eu une carrière complète ne seront que de 43 % en Allemagne, contre 53 % en France à la suite des réformes Balladur et Fillon, et 80 % au Danemark. Dans un certain nombre de pays, on a toutefois cherché à protéger les revenus les plus faibles. C'est le cas au Royaume-Uni, au Portugal ou en Suède. C'est aussi le cas en France où le filet de sécurité a été amélioré, les salariés ayant fait une carrière au Smic voyant leur taux de remplacement garanti à 85 %.
Pour compenser la baisse du niveau des retraites, un autre volet des réformes a consisté à encourager les salariés à se constituer eux-mêmes une épargne par le biais de dispositifs de retraite privés individuels ou professionnels. Ces dispositifs peuvent être obligatoires comme en Suède, en Pologne ou en Norvège ou facultatifs, souvent assortis d'avantages fiscaux, comme en Allemagne ou aux Pays Bas. Au Canada, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, les pensions privées atteignent actuellement plus de 40 % du revenu des retraités contre environ 30 % au Danemark, en Irlande et en Norvège et près de 20 % en Allemagne. En France, cette part n'est que de 8 %.
En conclusion, Mme Martine Durand a présenté les enseignements que l'on peut tirer du processus de réforme des régimes de retraite dans les pays de l'OCDE. Le premier est que seuls quelques pays ont eu recours à une vaste réforme systémique : la Suède, l'Italie, la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie se sont ainsi engagées dans cette voie en introduisant des comptes individuels, caractérisés, d'une part, par un renforcement du lien entre pensions reçues et cotisations versées, d'autre part, par un ajustement quasi automatique du niveau des pensions à l'espérance de vie. Ailleurs, y compris en France, les réformes ont été beaucoup plus graduelles et ont surtout consisté en des adaptations successives des différents paramètres du système.
Le deuxième enseignement est que les réformes des retraites s'avèrent partout politiquement difficiles à mettre en oeuvre. La réforme suédoise, souvent donnée en exemple, a demandé plus de dix années de discussions entre toutes les parties prenantes pour arriver à un consensus. Dans les autres pays qui ont choisi un changement systémique, il faudra beaucoup de temps pour que les réformes portent leurs fruits, car les périodes de transition sont souvent très longues. Enfin, il semble difficile, voire impossible, de mettre les réformes des retraites en « pilotage automatique ». Cela signifie que d'autres ajustements devront être effectués dans le futur, en France comme ailleurs, pour assurer la viabilité financière des systèmes de retraite tout en maintenant un niveau de vie acceptable pour les futurs retraités. Certains pays sont toutefois plus avancés que d'autres dans ce processus. La France se singularise à cet égard par un âge légal du départ et une part des retraites privées beaucoup plus faible que presque partout ailleurs dans l'OCDE. En outre, à cet âge légal bas et à un âge de sortie effective du marché du travail également bas s'ajoute le fait que, en France, l'espérance de vie à l'âge de soixante-cinq ans atteint quatre-vingt-trois pour les hommes et quatre-vingt-huit ans pour les femmes : il en résulte que la durée de la retraite y est très longue, en moyenne de vingt-quatre ans et demi pour les hommes et de vingt-huit ans pour les femmes, alors que dans l'ensemble des pays de l'OCDE, ces durées moyennes s'établissent en moyenne à dix-huit et vingt-trois ans.
M. Dominique Leclerc, rapporteur, s'est interrogé sur la pertinence des projections réalisées par le Cor en 2007, établies sur la base d'un taux de chômage de 4,5 % et d'une croissance de la productivité de 1,8 % par an d'ici à 2020, au regard des hypothèses retenues dans les autres pays. L'analyse des réformes menées par ces derniers montre également que le taux de remplacement se réduit partout : cela rend-il nécessaire un développement plus important de systèmes de retraite à caractère professionnel ou privé ? Enfin, faut-il aller vers une plus grande harmonisation des régimes applicables aux secteurs public et privé et quelles leçons peut-on tirer des autres pays de l'OCDE dans ce domaine ?
Mme Christiane Demontès, rapporteure, a souhaité savoir si le temps de mise en oeuvre des réformes peut avoir des conséquences sur l'impact des réformes elles-mêmes. Par ailleurs, quels sont les critères qui ont été mis en oeuvre pour définir la pénibilité dans les pays qui ont retenu cet élément dans leurs régimes de retraite et quel est le niveau de la prestation universelle versée dans les pays qui l'ont instaurée ?
M. André Lardeux a demandé des éléments comparatifs sur l'état des déséquilibres des systèmes de retraite dans les différents pays. Il a relevé que la prise en compte de la pénibilité s'avère souvent défavorable aux femmes.
M. Yves Daudigny s'est interrogé sur la part du Pib que les pays pourront consacrer à l'avenir aux dépenses de pensions. Peut-on encore parler de système de retraite lorsque le taux de remplacement offert n'atteint que 43 % ? A-t-on mesuré les difficultés que cette rupture va entraîner dans le passage entre vie active et retraite ?
M. Guy Fischer a observé que les réformes ont nécessité, dans tous les pays, du temps et se sont faites sur une longue durée, ce qui rend particulièrement démagogique la réforme annoncée pour 2010. Est-il justifié de vouloir stabiliser les dépenses de retraite au motif qu'il faudra faire face à d'autres dépenses en progression dans les années qui viennent, notamment en matière de santé ou d'environnement ?
M. Alain Vasselle a demandé des précisions sur les avantages relatifs des agents de la fonction publique par rapport aux salariés du secteur privé, certains experts indiquant qu'ils ne sont pas si importants lorsqu'on établit une comparaison plus globale des revenus.
Mme Martine Durand a fait état des derniers travaux du Cor qui envisage d'actualiser ses prévisions de 2007 en présentant plusieurs scénarios autour d'un cadrage moyen qui retiendrait un taux de chômage de 7 % et une augmentation de la productivité de 1,5 % par an, soit des hypothèses plus conformes à ce qui a été constaté au cours des dernières années. Les prévisions qui seront rendues publiques en avril devront surtout faire preuve de pédagogie.
Dans l'analyse du taux de remplacement d'un système de retraite, il est important de préciser qu'il s'agit généralement seulement du taux accordé par le régime de retraite public obligatoire et que celui-ci peut être complété par d'autres systèmes. Par exemple, aux Pays-Bas, le régime de retraite principal est obligatoire mais entièrement privé et sans garantie de l'Etat. En Allemagne, le taux de remplacement est faible pour le régime obligatoire public mais plus élevé si l'on prend en compte les régimes privés.
Mme Monika Queisser, chef de division, division des politiques sociales de l'OCDE, a alors présenté le débat sur la réforme des retraites en Allemagne. Il a été centré sur la question du taux de remplacement, en raison de la baisse programmée des pensions, très largement liée à la situation démographique du pays. Aussi, il a été décidé d'instaurer un régime privé volontaire fortement subventionné par l'Etat. C'est par l'épargne individuelle que doit être compensée la baisse des retraites, y compris pour les bas salaires ; à ce niveau, la subvention de l'Etat peut en effet atteindre 95 % de la somme épargnée par le salarié. Ce mécanisme permet à l'Allemagne d'être le seul pays de l'OCDE où existe un taux de couverture élevé par le secteur privé au niveau des salaires les plus bas. Le régime de subvention s'adresse également aux femmes qui ne travaillent pas. Malgré son caractère encore récent, cette réforme est un réel succès ; on a d'ailleurs assisté à la signature de nombreux nouveaux contrats, y compris pendant la crise, ainsi qu'au transfert important d'autres formes d'épargne vers ce nouvel instrument. En contrepartie de la subvention budgétaire qui nécessite des crédits substantiels, l'Etat fédéral allemand a entrepris de fiscaliser les retraites, ce qui réduit le coût net de la réforme, pour laquelle il est encore difficile de faire un bilan chiffré précis. L'OCDE continue toutefois de critiquer l'absence de minimum vieillesse ou de prestation minimale garantie qui pose un réel problème, en particulier dans les régions de l'Est de l'Allemagne.
Mme Martine Durand a ensuite fait observer que dans tous les pays qui ont décidé de mettre en place une réforme systémique a été prévue une période de transition, parfois très longue puisqu'elle devrait s'étendre sur une génération en Italie. Généralement, les droits acquis des générations passées sont préservés et l'application se fait de manière progressive pour les nouvelles générations. Du fait de ce temps particulier des réformes, les décisions qui seront prises en 2010 en France constitueront nécessairement une simple étape dans le processus.
Les pays qui ont mis en place une prestation universelle comme le Canada, la Nouvelle-Zélande ou l'Australie ont des taux de remplacement moyens assez faibles, de l'ordre de 40 %, mais c'est également dans ces pays que les retraites privées atteignent des montants élevés et donc, au total, le taux de remplacement dont bénéficient les retraités peut être aussi élevé qu'ailleurs. Le principe de la prestation universelle est de procurer un minimum garanti identique pour tous, ce qui a un effet hautement redistributif.
Le débat sur la pénibilité est très difficile, tant du point de vue de la définition des critères que de la conclusion d'un accord entre les partenaires sociaux. Aussi la plupart des pays l'ont-ils écartée des régimes de retraite. La complexité du sujet s'est encore aggravée par l'attention portée non plus seulement aux problèmes physiques ou d'invalidité mais aussi aux problèmes psychologiques de stress au travail.
Mme Monika Queisser a alors présenté les résultats de plusieurs études récentes sur la perception du travail et de la pénibilité, notamment sur le plan psychologique, dans les différents pays de l'OCDE. Il en résulte qu'après les Coréens, les Français sont les travailleurs qui ont la perception la plus mauvaise de leurs conditions de travail. Une étude irlandaise établie sur des éléments plus objectifs montre pourtant que la France se situe au quatrième rang le plus bas sur trente et un pour les heures de travail, au septième rang le plus bas pour l'intensité du travail et au cinquième rang le plus bas pour l'impact du travail sur l'état de santé. Les troubles psychosociaux progressent dans tous les pays ; en France ils sont particulièrement ressentis dans les secteurs des services, y compris les services publics, de la banque et de la finance ainsi que du bâtiment. Les pays comme l'Autriche ou l'Allemagne qui ont tenté de définir les travaux pénibles mettent un terme à ces expériences.
Mme Martine Durand a fait état du paradoxe existant en France où l'on veut introduire un mécanisme de prise en compte de la pénibilité alors que la grande majorité des autres pays envisagent, à l'inverse, de la supprimer. L'approche globale de cette question n'est en effet sans doute pas la bonne car il s'agit avant tout de traiter des situations individuelles.
M. Jacky Le Menn a souligné que la différence de perception sur les conditions de travail observée en France a probablement une origine culturelle liée à la très forte implication des Français dans leur travail.
Mme Martine Durand est convenue de la plus grande implication des travailleurs d'autres pays dans les loisirs, la famille, les activités communautaires.
M. Dominique Leclerc, rapporteur, a insisté sur la fragilité de certains jeunes qui, malgré de bonnes études, ont parfois du mal à s'adapter au monde extérieur et singulièrement au monde du travail.
Mme Martine Durand a estimé que le stress collectif observé en France est le résultat de vingt-cinq années de chômage de masse pendant lesquelles la variable d'ajustement a souvent été le chômage des jeunes. La France est aussi un pays où la transition entre l'école et l'emploi, pour les diplômés, est particulièrement difficile. Plus qu'ailleurs, le fonctionnement du marché du travail est très anxiogène et les jeunes ont sans doute plus peur pour leur avenir que dans d'autres pays.
La part des dépenses de retraite dans le Pib est aujourd'hui de 12,5 % en France alors qu'elle est en moyenne de 7 % à 7,5 % dans les pays de l'OCDE. Ces chiffres ne peuvent toutefois être comparés qu'en se souvenant du taux particulièrement faible des régimes de pensions privés en France. La part de la richesse nationale qui doit être consacrée aux dépenses de retraite relève du choix de société, au même titre que les dépenses consacrées à l'éducation, la santé ou l'environnement. L'existence d'un niveau élevé de dépenses de pensions devient un problème lorsqu'une part très substantielle de leur financement repose sur le travail. De ce point de vue, la France, qui a un coût du travail élevé, est le seul pays où l'écart entre ce coût du travail et le salaire net s'est accru au cours des dernières années.
Le rapprochement entre les régimes du secteur public et du secteur privé apparaît comme nécessaire du fait du manque de lisibilité et de transparence du système, du nombre et de la différence des règles et paramètres applicables selon les régimes. L'unification des deux régimes n'est pas forcément la solution mais une plus grande transparence est indispensable pour permettre la compréhension et l'accord de l'opinion. Il convient en outre de tenir compte du cas particulier des polypensionnés dont le nombre devrait s'accroître encore dans les années futures.
Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de MM. Antoine d'Autume et Jean-Olivier Hairault, professeurs à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, auteurs du rapport du conseil d'analyse économique sur les seniors et l'emploi en France
Enfin, la mission a procédé à l'audition de MM. Antoine d'Autume et Jean-Olivier Hairault, professeurs à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, auteurs du rapport du conseil d'analyse économique sur les seniors et l'emploi en France.
M. Antoine d'Autume, professeur à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, a tout d'abord présenté la situation comparée de l'emploi des seniors. Leur taux d'emploi est nettement plus faible en France (environ 38 %) que dans les autres pays industrialisés, loin derrière les pays scandinaves (environ 70 %) et les pays anglo-saxons (presque 60 % au Royaume-Uni). Cet écart est encore accentué pour les hommes. De plus, en raison des écarts en termes d'âge de départ à la retraite, les différences sont exacerbées dans la catégorie des personnes de plus de soixante ans : leur taux d'emploi est de 18 % en France contre 67 % au Japon ou 63 % en Suède. La France se distingue également par un taux d'emploi des jeunes relativement bas ; le faible emploi des seniors ne favorise donc pas l'emploi des jeunes. En revanche, la situation française est comparable à celle des autres pays pour la tranche d'âge comprise entre vingt-cinq et cinquante-quatre ans.
Par ailleurs, la situation démographique a largement évolué. Alors que l'espérance de vie après le départ en retraite était limitée à trois ans en 1945, elle est aujourd'hui d'environ vingt ans. De plus, la part de la population de plus de soixante-cinq ans devrait doubler à l'horizon 2050. De ce fait, le maintien de la part des actifs dans la population totale est un objectif majeur pour préserver le niveau de vie des Français et assurer la viabilité des retraites par répartition. Dans un tel système, le taux de cotisation dépend en effet de trois leviers d'action : le taux de remplacement du salaire par la pension, le nombre de retraités et celui des actifs. La part des actifs dans la population détermine également le niveau du revenu par habitant, c'est-à-dire la richesse nationale.
En France, l'âge de cessation d'activité dans le secteur privé (58,5 ans) se situe bien avant l'âge de liquidation de la retraite (61,5 ans). Cet écart s'explique par l'importance du nombre de personnes en préretraite ou au chômage à ces âges : il crée une zone de précarité et entraîne une baisse du niveau des retraites. Dans ces conditions, un but majeur de l'action publique doit consister à augmenter l'âge de cessation d'activité et à réduire l'écart avec l'âge de liquidation. En effet, comment peut-on repousser l'âge de la retraite alors que près d'un Français sur deux n'est déjà plus en activité avant de prendre sa retraite ?
Souvent, le développement des nouvelles technologies et la corrélation entre le niveau des salaires et l'ancienneté sont avancés comme éléments explicatifs du faible taux d'emploi des seniors. Cependant, peu d'éléments empiriques vont dans ce sens. En effet, comment expliquer un décrochage si net à partir de cinquante-cinq ans ? Le rôle des représentations collectives sur la place des seniors est également une explication possible, mais elle ne se révèle pas essentielle.
En définitive, la raison principale du faible taux d'emploi des seniors réside dans les conditions très favorables d'indemnisation des préretraites, qui permettent d'atteindre, dans des conditions relativement satisfaisantes, l'âge d'une retraite à taux plein en situation d'inactivité. En effet, les chômeurs de plus de cinquante-sept ans ont droit à trois années d'indemnisation qui peuvent se prolonger après soixante ans jusqu'à l'âge du taux plein. Le problème n'est donc pas tant le non-retour en emploi que l'intensité des départs consensuels provoqués par le dispositif des préretraites. Combien de départs à l'amiable ou négociés reposent sur la possibilité d'attendre l'âge de la retraite sans les stigmates du chômage ?
Depuis 2008, le Gouvernement a certes programmé la fin progressive de la dispense de recherche d'emploi ; cet acte symbolique fort restera cependant insuffisant tant que les entreprises pourront « pousser vers la sortie » des salariés de plus de cinquante-sept ans sans effet nuisible pour elles-mêmes ou pour eux. Alors que tous les pays européens ont mis un terme à ces préretraites déguisées, parfois par des mesures impopulaires qui s'attaquaient à un système trop laxiste de mise en invalidité, il n'y a pas d'autres solutions que de supprimer les filières longues d'indemnisation du chômage qui sont le support effectif des divers dispositifs de préretraite depuis les années soixante-dix.
M. Jean-Olivier Hairault, professeur à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, a ensuite insisté sur le fait que l'âge de la retraite influence mécaniquement le taux d'emploi des seniors, car il agit directement sur la génération qui précède, c'est-à-dire les quinquagénaires en France. Du fait de la fixation à soixante ans du départ à la retraite, l'âge social diffère sensiblement, en France, de l'âge biologique : on y est plus vieux à cinquante-huit ans qu'ailleurs en Europe. De plus, alors que la plupart des systèmes par répartition ont comme âge pivot celui de la liquidation de la retraite à taux plein, l'âge de référence communément admis en France est l'âge minimal du départ en retraite, à savoir soixante ans. Ainsi, comparer les soixante ans français et les soixante-cinq ans allemands n'a pas de sens, car ces deux âges ne correspondent pas aux mêmes réalités.
En outre, la France connaît, par rapport à la plupart de ses voisins, un certain nombre de spécificités : l'âge minimal du départ à la retraite, l'âge du taux plein et les surcotes y sont plus faibles. Certes, des évolutions sont en cours : la durée de cotisation doit progressivement augmenter pour atteindre quarante-deux ans en 2020. Ceci étant, pour un âge d'entrée dans la vie active situé autour de vingt et un ans en moyenne, cette mesure repousse l'âge de la retraite à soixante-trois ans en 2020, ce qui sera toujours éloigné de la situation des pays européens dont l'âge du taux plein est - aujourd'hui - fixé à soixante-cinq ans.
Par ailleurs, les derniers chiffres de la caisse nationale d'assurance vieillesse montrent que les Français se sont adaptés au système des surcotes et reportent très souvent leur départ à la retraite jusqu'à l'obtention d'un taux plein. Cet élément nouveau doit être pris en compte dans l'appréciation sociétale de toute réforme.
Dans ces conditions, il est nécessaire d'accélérer le rythme de la réforme et de privilégier l'axe de l'allongement de l'activité par le recul de l'âge de la retraite. Cependant, l'assurance chômage des seniors doit également être profondément modifiée.
La piste de l'augmentation des prélèvements obligatoires, qui constituerait un transfert des actifs vers les inactifs, entraînerait un appauvrissement relatif du pays, puisque les gains de productivité seraient consacrés à la baisse de l'activité. De même, l'augmentation des cotisations patronales pèserait in fine sur les Français via leurs salaires, leurs conditions de travail ou leur pouvoir d'achat.
Augmenter l'âge effectif de la retraite pourrait passer par des mesures drastiques, par exemple le report de l'âge légal ou l'allongement de la durée de cotisation au-delà de ce qui est programmé, ou par des mesures plus douces, par exemple l'augmentation des surcotes. Les premières pourraient toutefois mettre en cause le contrat social.
Selon M. Jean-Olivier Hairault, le système suédois des comptes notionnels, dans lequel la pension dépend de la durée de cotisation individuelle par l'accumulation de points tout au long de la vie et de l'espérance de vie de la génération, permet à chacun d'opérer un choix personnel entre activité et inactivité, consommation et loisirs. Sa mise en oeuvre en France permettrait de résoudre un certain nombre de difficultés et la mise en place des surcotes a révélé que les Français peuvent être sensibles à ce type d'arbitrage. Une telle réforme - un « big bang », même s'il s'agit toujours d'un système par répartition - apporterait pourtant plus de justice sociale, d'équité et d'efficacité. Cependant, dans les autres pays européens, une réforme de cette ampleur a toujours été entreprise sur le fondement d'un large consensus social.
En ce qui concerne la pénibilité, son intégration dans le système des retraites serait, en pratique, extrêmement complexe. Si les principales sources de pénibilité (horaires alternés ou de nuit, travail à la chaîne ou cadences imposées, manutention, bâtiment, exposition à des agents toxiques...) ont pu être identifiées lors de précédentes réformes, il relève plutôt des systèmes d'invalidité de les prendre en compte, sauf à créer de nouvelles complexités. Il est vrai que la France a un certain génie créateur en la matière ! On notera que le passage au système des comptes notionnels permettrait de prendre en compte la pénibilité par l'attribution de points supplémentaires.
En conclusion, toute réforme des retraites doit s'inscrire dans une réforme d'ensemble qui toucherait aussi les préretraites, la formation professionnelle et l'aménagement des tâches et des horaires dans la fin de la vie active. Une véritable gestion des ressources humaines sur l'ensemble du cycle de la vie active doit en outre s'imposer comme une nécessité, tant pour les salariés et les entreprises que pour la société.
M. Dominique Leclerc, rapporteur, a mis en avant la nécessité d'apporter plus de transparence et de simplicité aux régimes de retraite. La multiplication du nombre de caisses entraîne en effet des coûts de fonctionnement élevés. Qui plus est, il n'est pas contestable que si l'on veut accélérer le rythme des réformes, les Français doivent percevoir le système comme étant équitable.
En ce qui concerne le système allemand, M. Yves Daudigny a souhaité connaître le lien entre le taux plein à soixante-cinq ans et la durée effective de cotisations. Par ailleurs, quelle est la conséquence d'une crise économique sur le niveau des pensions dans les systèmes à comptes notionnels ?
M. Guy Fischer s'est interrogé sur les pistes permettant de rapprocher les systèmes public et privé de retraite.
M. Alain Vasselle, président, a souhaité savoir qui porte la responsabilité de l'absence de véritable réforme des dispositifs de préretraite en France. Par ailleurs, les partenaires sociaux sont-ils prêts à accepter une modification de l'âge de départ à la retraite au-delà de soixante ans ? Enfin, dans tous les pays européens, une condition essentielle des différentes réformes a été le consensus social ; le climat syndical français est-il propice à un accord de ce type ?
Selon M. Antoine d'Autume, un système à comptes notionnels est possible s'il est bien expliqué et compris. Son adoption permettrait de résoudre plusieurs difficultés majeures du système français, notamment sa complexité, la multiplicité des régimes ou son opacité. Les comptes notionnels apportent de la flexibilité pour chaque cotisant.
En ce qui concerne l'effet potentiel d'une crise économique, M. Jean-Olivier Hairault a fait la distinction entre une baisse tendancielle du taux de croissance économique, qui conduirait effectivement à une diminution des pensions dans un système en comptes notionnels, et une crise conjoncturelle, qui n'affecte pas le rendement à long terme. Contrairement à un système par capitalisation, l'Etat reste garant d'un système en comptes notionnels et interviendrait donc en cas de dégradation de la conjoncture. Par ailleurs, le système suédois présente d'autres avantages : la convergence des régimes, et donc la diminution de la complexité intrinsèque, et l'internalisation des choix en fonction des situations individuelles. De plus, il permet de gérer de manière douce et continue l'augmentation de l'espérance de vie, alors que le système français actuel doit s'ajuster par à-coups, dans la douleur. En Suède, le taux plein n'existe pas, chacun choisit son niveau de retraite via l'accumulation de points sur son compte.
Par ailleurs, l'expérience des pays européens montre la nécessité d'un accord entre les différents partis politiques et entre les partenaires sociaux, notamment pour la réforme des préretraites qui est, en définitive, la plus difficile. En France, la responsabilité de l'absence de réformes est largement partagée entre les gouvernements, qui n'ont pas intérêt à augmenter les statistiques du chômage, et les partenaires sociaux qui, sur le terrain, préfèrent toujours un plan social contenant le maximum de préretraites dans des conditions favorables d'indemnisation. De ce point de vue, le rôle des élus n'est pas à négliger : ils pèsent également en faveur de tels plans sociaux, plus acceptables localement.
M. Antoine d'Autume a estimé que les dispositifs de préretraite ne prennent pas suffisamment en compte les externalités économiques dommageables. L'idée selon laquelle l'augmentation des préretraites permettrait de diminuer le chômage est une erreur de compréhension et une vision malthusienne de l'économie.