- Mercredi 17 février 2010
- Audition de M. Jacques Bouvet, président, et Mme Anne-Marie de Vaivre, du Cercle entreprises et santé
- Audition de Mme Danièle Linhart, sociologue du travail, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
- Audition de M. Jean-Baptiste Obéniche, directeur général de l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact)
Mercredi 17 février 2010
- Présidence de M. Alain Gournac, vice-président.Audition de M. Jacques Bouvet, président, et Mme Anne-Marie de Vaivre, du Cercle entreprises et santé
La mission d'information a tout d'abord entendu M. Jacques Bouvet, président, Mme Anne-Marie de Vaivre, animatrice, MM. Jean-Louis Pleynet, directeur Santé Bien être IBM France/Benelux, et Jean-Michel Lambert, directeur conduite du changement, projets, santé sécurité, du groupe Banques populaires et caisses d'épargne (BPCE), du Cercle entreprises et santé.
Présentant, à la demande de M. Alain Gournac, président, le Cercle entreprises et santé, M. Jacques Bouvet, président, a indiqué qu'il avait été créé par l'Association interprofessionnelle de France pour la prévention des risques et la promotion de la sécurité et de la santé au travail (AINF) qui est une association de la loi de 1901 reconnue d'utilité publique.
Cette association compte un millier d'adhérents, surtout des petites et moyennes entreprises. Elle accomplit un important travail de terrain avec ses adhérents et développe aussi des actions d'information, de formation et de recherche.
Dans le domaine des risques « durs », celui des accidents du travail, les précautions à prendre sont assez bien cernées, encadrées et pilotées. Mais, depuis plusieurs années, la nécessité de l'action se déplace vers de nouveaux risques, plus « flous ». Les risques comportementaux, les maladies professionnelles, posent déjà des problèmes plus difficiles à appréhender et plus complexes, auxquels s'ajoutent désormais les risques psychosociaux qui deviennent un phénomène de société dont il faut tenir compte.
Le Cercle entreprises et santé a donc été créé pour rassembler des entreprises, afin de leur permettre de confronter leurs expériences, de réfléchir ensemble à leurs pratiques et à l'amélioration de celles-ci. Ces entreprises partagent la conviction que le travail est un temps positif de construction de la santé et cherchent à mettre en oeuvre des programmes structurés de prise en compte de la santé au travail en suivant une démarche positive et motivante.
Le Cercle travaille activement : il a tenu, depuis sa création début 2007, vingt-sept réunions sur des thèmes variés, car il existe une grande diversité de situations concrètes et d'approches. Ces travaux donnent lieu à des échanges très fructueux entre des entreprises désireuses d'aller de l'avant. Les entreprises membres du Cercle sont encore en nombre limité - quinze - mais elles représentent plus de 600 000 salariés sur le territoire français.
Mme Anne-Marie de Vaivre, animatrice, a souligné que la création du Cercle avait procédé d'une démarche très volontariste car l'émergence des nouvelles questions de santé au travail a été perçue en France avec retard. La création du Cercle a aussi exigé une certaine ténacité : elle s'est étendue sur toute l'année 2006. L'idée était de rassembler des personnes susceptibles de permettre que soit prise en compte, au niveau des comités directeurs, la dimension de la santé au travail.
Le Cercle se réunit une fois toutes les quatre semaines, pendant une demi-journée. Les personnes qui y participent exercent des responsabilités dans des domaines très divers : les relations humaines, mais aussi le développement durable, l'évaluation des risques, les systèmes de management, la santé au travail... Les réunions sont consacrées au « benchmark », à des présentations d'expériences, à la recherche de bonnes pratiques, à une réflexion commune sur les interrogations nouvelles et complexes auxquelles sont confrontées les entreprises.
Les entreprises étaient relativement bien armées face aux problèmes des conditions de travail dans l'univers industriel « classique ». Ce n'est plus le cas aujourd'hui, quand elles doivent faire face à l'impact de nouvelles organisations du travail ou des restructurations d'entreprises. C'est pourquoi il est indispensable de pouvoir échanger sur le fond. A cette fin, le Cercle fait venir des personnalités, des experts ou des grands témoins externes, sur des sujets comme la traçabilité de l'exposition aux produits dangereux, les problèmes psychosociaux, les tendances de l'évolution juridique et judiciaire internationale sur le lien entre santé et environnement.
M. Jean-Michel Lambert, directeur conduite du changement, projets, santé sécurité, a dit représenter au sein du Cercle entreprises et santé le groupe Banques populaires - Caisses d'Epargne (BPCE), qui en est devenu membre au moment de la fusion de ces ceux entreprises. Membre du comité directeur du groupe, il est chargé de la nouvelle direction « projets, accompagnement au changement, santé et conditions de travail » mise en place au moment de la fusion. L'intitulé « à rallonge » de cette direction traduit le souci de traiter en amont les questions de santé et de conditions de travail, la nécessité, pour accompagner le changement, d'être associé à tous les projets de l'entreprise, et l'intérêt pour l'entreprise d'avoir un « axe santé » et non de se préoccuper seulement du risque psychosocial et du stress.
La Caisse d'Epargne est une des deux entreprises françaises à avoir déjà signé, il y a quelques mois, un accord de branche sur la prévention du stress. Un accord de même nature est en cours de signature pour la partie Banque populaire du groupe. Mais l'idée est d'avoir une gouvernance stratégique dans le domaine de la santé. En cas de sinistres dans ce domaine, c'est la responsabilité du dirigeant le plus élevé de l'entreprise qui sera mise en cause : il faut donc avoir une stratégie sur ce thème au niveau de l'entreprise.
La question qui se pose dans le cadre de cette stratégie n'est pas de savoir en quoi la santé est un facteur positif dans le travail, mais en quoi le travail, tel qu'il est organisé, est - ou n'est pas - un facteur de santé, comme peuvent l'être toutes les autres activités qui font partie de la vie de chacun. Il faut donc que chacun dans l'entreprise, et pas seulement le « manager de proximité », mais le président lui-même, s'implique pour que le travail soit un facteur de santé.
M. Jean-Louis Pleynet, directeur Santé Bien être IBM France/Benelux, ingénieur de formation, actuellement chargé de la direction « Santé et environnement du travail » d'IBM France et Benelux, a exprimé son accord avec les vues et la démarche exposées par Jean-Michel Lambert.
Il a insisté sur l'importance de la prise en compte par le management de tous les risques. Cette préoccupation était déjà celle du fondateur d'IBM, Thomas J. Watson, pour qui la santé du personnel et la santé du client étaient également importantes, et elle a présidé à la création du poste qu'il occupe.
Il est important d'assurer une continuité dans l'action et d'agir en partenariat avec tous les acteurs - comités d'hygiène et de sécurité au travail, représentants et membres du personnel. Rien ne doit être considéré comme acquis, il faut savoir remettre l'ouvrage sur le métier et refonder les programmes d'action, et aussi mettre l'accent sur la formation et l'information.
Il faut se préoccuper, en particulier, de la formation des jeunes ingénieurs et managers, dont certains, on le sait, sortent d'écoles qui forment des personnes « dures », qui risquent de se trouver en décalage avec cette conception de la santé et de la sécurité au travail.
Il y a aussi beaucoup de choses à faire dans le milieu du travail. Les médecins, les infirmières, ont l'habitude de recevoir les gens dans leur bureau : il est important de leur demander d'avoir la démarche inverse et d'aller voir ce qui se passe dans l'entreprise. Ce n'est pas toujours facile d'adopter ce comportement quand on a été formé à recevoir plutôt qu'à aller voir, mais c'est important.
M. Gérard Dériot, rapporteur, ayant observé que ces premières interventions répondaient déjà très largement aux questions qu'il se posait sur la composition et les activités du Cercle entreprises et santé, Mme Anne-Marie de Vaivre a complété les indications données sur sa composition, dont les créateurs ont voulu qu'elle comprenne aussi des entreprises publiques.
En effet, les grandes entreprises ne représentent que 20 % des emplois privés, et l'emploi public est par ailleurs très important. Pour l'instant, le Cercle ne comprend que deux établissements publics, la réunion des musées nationaux (RMN) et l'agence de services et de paiement (ASP). M. Jacques Bouvet a observé à cet égard que, dans beaucoup de villes, le premier employeur est l'hôpital mais qu'aucun hôpital ne fait encore partie du Cercle.
En réponse à M. Gérard Dériot, rapporteur, sur la place occupée par le mal-être au travail dans les réflexions du Cercle, M. Jacques Bouvet a précisé que cette place est importante sans être prépondérante, car le groupe a une position positive et recherche d'abord les moyens de développer le « mieux-être » et le bien être au travail. Il est en effet important de travailler à la fois sur la santé physique et mentale, et de s'attacher à développer le lien social dans l'entreprise.
A M. Gérard Dériot, rapporteur, qui s'interrogeait sur les catégories d'entreprises ou les secteurs d'activités les plus concernés par le mal-être au travail, M. Jacques Bouvet a répondu qu'au sein d'une même entreprise, on peut observer des situations très diverses. Il y a certainement des secteurs d'activités plus exposés que d'autres : cela peut ainsi être le cas des activités impliquant un contact avec la clientèle. Il convient sans doute de raisonner moins en termes de secteur économique ou de catégories d'entreprises que de types d'activités : les risques et les pressions ne sont pas les mêmes selon la nature du travail.
Citant l'exemple de GDF-Suez, Mme Anne-Marie de Vaivre a ajouté que l'analyse de certaines entités montre que les problématiques ne sont pas les mêmes dans leurs différents secteurs d'activités.
Dans de tels cas, il faut mettre en oeuvre une certaine « subsidiarité » : les principes de la politique de santé au travail sont définis et encadrés au niveau de la direction, mais leur application est déclinée au niveau des différentes activités. GDF-Suez offre aussi un exemple de « mariage » entre des entreprises de pays différents - la France et la Belgique - entre lesquels les attitudes vis-à-vis de la santé au travail, et les relations sociales elles-mêmes, peuvent être très différentes.
M. Jean-Michel Lambert a estimé que la question à privilégier est celle de l'analyse des facteurs de risques. Le contact avec la clientèle peut ainsi être un facteur de risque - risques de stress, d'incivilité, voire de harcèlement - dans le secteur bancaire, mais aussi pour le personnel du service d'urgence d'un hôpital ou dans la police. Dans d'autres secteurs, le facteur de risque peut tenir à l'organisation du travail ou au type de travail exercé.
M. Jacques Bouvet a remarqué que le contact avec le client, ou avec les fournisseurs, est de plus en plus fréquent, en raison de l'évolution de l'organisation et du mode de travail des entreprises. Les problèmes « psychosociaux » qui peuvent en résulter se manifestent davantage au niveau des bureaux - y compris les bureaux d'ingénierie - que des ateliers.
M. Jean-Louis Pleynet a également constaté que des incidents peuvent trouver leur origine dans les relations entre le personnel de l'entreprise et ses clients : il faut donc que les managers qui interviennent dans ces zones de contact avec la clientèle soient attentifs à la prévention de ce risque.
Mais il peut y avoir aussi des risques relationnels plus conjoncturels, quand une entreprise en rachète une autre - ce qui se produit par exemple lorsque IBM achète une entreprise de logiciels. Cela crée des inquiétudes chez les personnels concernés et il faut se préoccuper de leur bonne intégration à l'entreprise.
M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé des précisions sur la nature de l'origine des problèmes provoqués par les contacts avec la clientèle.
Mme Anne-Marie de Vaivre a indiqué que ces problèmes pouvaient être liés aussi à l'appréciation de la performance. Les travailleurs savent comment leur performance est appréciée par leur patron et selon quel référentiel ; avec les clients, le référentiel n'est pas clair et le vrai problème est celui de la clarté de la règle du jeu.
Mme Annie David a relevé que le problème ne tient pas seulement aux relations avec le client. Citant l'exemple de personnes rencontrées dans son département, elle a noté qu'une personne travaillant à la Caisse d'Epargne peut ne pas se sentir satisfaite, à la fin de sa journée de travail, d'avoir placé auprès de clients des produits financiers qui ne répondront pas à leurs besoins. Il en va de même pour un agent de France Telecom qui a vendu un équipement à une personne dont il sait qu'elle n'en aura pas l'utilité, simplement parce qu'il fallait qu'il fasse cette vente et qu'il n'a pas trouvé d'autre client. Ce genre de situation peut aussi contribuer aux difficultés des activités de contact avec les clients et au peu de satisfaction que retirent de leur travail ceux qui les exercent.
M. Jean-Michel Lambert a souligné que ce genre de stress pouvait être lié à la vente de tout produit. Est-on sûr, quand on vend une voiture, que c'est bien celle dont le client a besoin ? Quand on travaille dans un laboratoire pharmaceutique, ne peut-on pas se poser la question de la finalité d'un médicament, du service qu'il rendra à ceux qui l'achèteront ? Ces interrogations peuvent créer un stress qui ne tient pas à la nature du produit.
Mme Annie David a observé que ce stress n'est pas le même lorsque l'on sait que l'on abuse les clients.
M. Jean-Michel Lambert est convenu qu'il serait certainement souhaitable d'intégrer dans le plan d'action d'une entreprise le souci de permettre à chacun d'avoir, ou de retrouver, la fierté de son travail.
Par ailleurs, le stress causé par les activités de contact avec la clientèle peut aussi être lié au mode d'organisation de l'entreprise. Dans certaines agences de la Caisse d'Epargne, les rendez-vous des commerciaux sont pris par un centre d'appel. Cela peut faciliter l'organisation de leur travail mais cela peut les stresser parce qu'ils auront l'impression de perdre toute autonomie. A l'inverse, les commerciaux qui prennent eux-mêmes leurs rendez-vous avec leurs clients peuvent être stressés par la charge et la perte de temps liées à l'organisation de ces rendez-vous.
Le problème est donc de trouver un juste équilibre entre le stress que peut provoquer le manque d'organisation ou, à l'inverse, l'hyper-organisation. On risque de retrouver aujourd'hui dans le secteur tertiaire les mêmes problèmes que naguère dans l'industrie : comment trouver le juste équilibre entre le souci de faciliter l'organisation du travail et celui d'éviter de priver les travailleurs de toute autonomie ? Le Cercle préconise d'avoir une approche « diagnostique » et, au niveau du plan d'action, d'agir de façon paritaire, en associant tous les secteurs concernés et en utilisant toutes les instances de dialogue et de médiation.
M. Gérard Dériot, rapporteur, a ensuite demandé quelles bonnes pratiques pourraient être recommandées pour prévenir et traiter le mal-être au travail.
Mme Anne-Marie de Vaivre a jugé impossible de répondre sur le fond à une telle question : personne, hélas, n'a la science infuse.
Elle a pris l'exemple de l'aménagement des bureaux et de la gestion des open spaces, questions sur lesquelles les entreprises ont fréquemment fait appel à des experts extérieurs. Même en admettant que des solutions satisfaisantes aient pu être trouvées, qu'en penseront, à un moment où le renouvellement de la population active va être très important, les générations succédant à celle du baby-boom ?
Globalement, il faut toujours rechercher, s'interroger. Il ne faut pas se défausser sur des experts extérieurs ou sur une seule strate du monde du travail. Il ne faut pas refuser de reconnaître, le cas échéant, une erreur flagrante. Il faut surtout avoir le souci de créer du lien. Et la santé au travail est un des rares sujets qui peut être créateur de lien.
M. Jacky Le Menn a posé le problème des personnels qui se trouvent dans l'incapacité d'instruire des dossiers ou de renseigner des usagers dans les délais trop brefs qui leur sont impartis et qui vivent très mal cette situation. Ce problème se pose dans les caisses d'allocations familiales, dont la charge de travail s'est beaucoup alourdie avec la création du RMI puis du RSA, mais se retrouve aussi dans d'autres services sociaux et il est à l'origine de beaucoup de stress et de frustration.
Il s'est interrogé sur les conséquences d'une telle organisation « en temps contraint » et notamment sur celles qu'elle pourrait avoir dans des organismes comme les maisons départementales des personnes handicapées, où le temps d'écoute fait partie intégrante de la prise en charge des personnes accueillies.
M. Jean-Louis Pleynet a noté que beaucoup de métiers ont changé dans le même sens. On demandait autrefois à chacun de fournir un travail complet et abouti. Aujourd'hui, il faut que le problème à traiter le soit dans un délai donné. Sans doute faut-il tenter de traiter ce sujet au niveau du travail d'équipe, de faire réfléchir les intervenants entre eux pour se demander comment trouver des espaces de liberté, mieux organiser le travail, améliorer la communication.
De telles difficultés pourront aussi tenir à des questions de culture de métier. Dans l'industrie, on a beaucoup plus l'habitude des process de qualité, du travail en commun, de la réflexion collective. La culture n'est pas la même dans les activités de service ou dans l'administration, où l'on ne sait pas de la même façon travailler ensemble à la résolution des problèmes. Il faut donc que le management favorise, dans ces secteurs, une évolution en ce sens.
M. Jean Desessard, revenant sur la question des contacts avec la clientèle, s'est étonné que Jean-Michel Lambert juge nécessaire de trouver un équilibre entre deux pratiques dont l'une consiste à recourir à des centres d'appel. Il a estimé que ces dernières représentent une forme de travail automatisé et déshumanisé et qu'il est impossible de mettre sur le même plan le stress que peut subir une personne qui prend elle-même ses rendez-vous et une autre à laquelle on impose un travail parcellisé dans un centre d'appels.
Il a également noté que, comme sans doute beaucoup d'autres personnes, il préférait, en tant que client d'une banque, avoir affaire à une personne plutôt qu'à une machine automatique, même si cette seconde formule est plus rentable pour l'entreprise.
Abondant en ce sens, M. Alain Gournac, président, a souligné que certaines machines ou certains services téléphoniques automatisés peuvent aussi mal fonctionner ou être trop complexes et faire fuir la clientèle.
M. Jean-Michel Lambert a précisé n'avoir porté aucun jugement sur les conditions de travail dans les centres d'appel : il s'est en effet tenu au cas du commercial qui peut être stressé parce qu'il doit organiser lui-même son travail ou, au contraire, parce qu'on l'organise à sa place. Le manque d'organisation comme l'excès d'organisation peuvent en effet également être facteurs de risque, selon la personnalité de chacun. On peut certes considérer que les centres d'appel n'offrent pas des conditions de travail idéales, mais ce n'est pas sur ce sujet qu'il s'est exprimé.
Répondant à M. Alain Gournac, président, qui regrettait que l'on ne puisse définir de bonnes pratiques, M. Jacques Bouvet a considéré que le point essentiel est, selon lui, l'implication dans la réponse au besoin de lien social, qui doit être considérée comme une question essentielle dans toutes les entreprises. Il faut donc former les gens en ce sens et développer cet esprit chez tous les managers de proximité.
Dans les PME, la situation est à la fois plus simple et plus grave : soit on s'occupe bien des gens, soit ils sortent de l'entreprise. Mais dans les grandes entreprises, des situations difficiles peuvent perdurer sans que l'on s'en préoccupe.
Il faut se demander, dans la pratique, ce que l'on peut faire dans différents domaines pour apporter quelque chose aux salariés et améliorer leur situation. Il faut surtout être impliqué et se dire que l'on peut trouver des moyens de faire mieux
Mme Anne-Marie de Vaivre a cité l'exemple d'Arcelor-Mittal, qui vient de décider de faire porter sa réflexion sur deux points : développer une vigilance partagée entre tous les acteurs ; définir le périmètre d'intervention de l'employeur dans le domaine de la santé. C'est à l'entreprise d'intervenir pour tout ce qui est directement lié à l'activité professionnelle. Pour le reste, elle peut proposer des compétences pour résoudre les problèmes rencontrés par les membres de son personnel, mais c'est à ceux-ci d'accepter ou non ces propositions.
Elle a enfin évoqué la question de la sémantique, jugeant que l'expression de « mal-être » au travail retenue par la mission d'information lui semblait plus appropriée que d'autres. Parler de risque psychosocial ou de stress conduit ainsi à confondre un risque et ses effets sur la personne. Ce qu'il faut identifier, c'est le risque socio-organisationnel qui est à l'origine du stress ou de la souffrance psychosociale.
Audition de Mme Danièle Linhart, sociologue du travail, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Ensuite, la mission d'information a procédé à l'audition de Mme Danièle Linhart, sociologue du travail, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
En réponse aux questions de M. Gérard Dériot, rapporteur, sur l'ampleur du mal-être au travail, Mme Danièle Linhart, sociologue du travail, directrice de recherche au CNRS, a précisé que la mesure du mal-être est particulièrement difficile. Son approche en tant que chercheuse est celle d'une sociologie qualitative du travail fondée sur des enquêtes menées tant dans le secteur public que dans le secteur privé, au sein d'entreprises de toute taille. On constate qu'émerge aujourd'hui une dimension tragique et angoissante du travail qui n'existait pas dans les années soixante-dix et quatre-vingt. En se saisissant de la question du mal-être, les syndicats se font le relais du désarroi ressenti par les salariés mais il est impossible d'en avoir une mesure précise, notamment parce que les entreprises ne tiennent pas de registre des suicides commis sur le lieu de travail et que de tels actes sont de toute façon plurifactoriels. Il faut néanmoins noter que la France a une forte consommation de psychotropes et se classe au deuxième rang, en Europe, par le nombre de suicides au travail.
Des pratiques qui relèveraient aujourd'hui du harcèlement existaient déjà dans les années cinquante-soixante, à l'époque où les industries étaient organisées sur un mode taylorien, mais la souffrance des salariés était alors prise en charge par des collectifs qui assuraient solidarité et entraide. La souffrance au travail avait un sens syndical et politique, les salariés s'estimaient victimes de rapports de domination et d'exploitation. Aujourd'hui, les mêmes souffrances sont vécues sur le mode de l'échec individuel et ne trouvent plus de résonnance dans la société.
M. Gérard Dériot, rapporteur, a souhaité savoir quel rôle joue le management, et spécialement le management intermédiaire, dans la souffrance au travail.
Mme Danièle Linhart a souligné le rôle central du management : l'organisation interne des entreprises a été modifiée, à compter du milieu des années soixante-dix, pour répondre au rapport de force issu de mai 1968, qui était défavorable au patronat ; les employeurs se sont efforcés d'« atomiser » la classe ouvrière, de briser les collectifs en individualisant le travail. Il était difficile pour les salariés et leurs syndicats de s'opposer à cette évolution car elle s'appuyait sur l'aspiration, alors répandue, à une plus grande autonomie et à une plus grande capacité d'initiative individuelle. Le rapport du salarié à sa hiérarchie a donc été personnalisé, au travers par exemple de rendez-vous individuels d'évaluation.
Les formes d'organisation d'origine taylorienne, efficaces pour contrôler le travail des salariés, ne répondent plus aux exigences actuelles de qualité et de réactivité de la production, qui supposent une implication des salariés. Ceci aboutit à la création de formes d'organisation du travail hybrides, qui conservent des contraintes dans une logique taylorienne mais font également appel à la subjectivité des salariés. Ces formes d'organisation sont fragiles en ce qu'elles aboutissent à sous-traiter à chaque salarié l'organisation de son propre travail. Elles favorisent une homogénéisation de la situation des salariés à tous les niveaux de la hiérarchie, puisque les cadres ont des objectifs de plus en plus nombreux à atteindre et que les salariés moins qualifiés ont de plus en plus d'éléments à gérer.
Que ce soit dans le secteur public ou privé, dans les grandes ou les petites entreprises, on cherche à mettre les salariés en situation d'insécurité permanente et de précarisation subjective, dans le but de leur faire donner toujours le meilleur d'eux-mêmes. Le jeu des réformes et des réorganisations successives aboutit à un désapprentissage permanent et à l'obligation constante de faire ses preuves pour démontrer son employabilité. Le changement est devenu une valeur en soi, qui a remplacé celle de progrès.
Les managers de niveau intermédiaire sont fréquemment mutés pour éviter qu'ils nouent des liens affectifs avec leurs subordonnés. Dès lors, ils n'ont pas le temps de connaître le métier de ceux qu'ils encadrent et ne peuvent leur fixer des objectifs raisonnables. De même, ils sont incapables de reconnaître à leur juste valeur les efforts fournis par les salariés pour atteindre les objectifs fixés. Les salariés ont alors l'impression d'être abandonnés et de ne pas être écoutés alors qu'ils ont besoin de se sentir valorisés.
M. Alain Gournac, président, a souhaité connaître les raisons qui font de la France le deuxième pays en Europe par le nombre de suicides au travail.
Mme Danièle Linhart a indiqué qu'une étude menée par Lucie Davoine et Dominique Méda, en 2009, sur vingt-sept pays européens, montre que la France est un pays où le travail est à la fois jugé très important, comparé à d'autres aspects de la vie, mais où l'insatisfaction au travail est aussi très répandue, ce qui est source de frustrations. Par ailleurs, la modernisation managériale en France a été plus rapide que dans d'autres pays, dans la mesure où le patronat avait le sentiment de faire face à une classe ouvrière particulièrement combative.
M. Gérard Dériot, rapporteur, a souhaité savoir dans quelle mesure l'autonomisation des salariés est source de mal-être.
Mme Danièle Linhart a précisé que l'autonomisation peut paraître positive mais que, dans les faits, les salariés ne peuvent négocier ni les objectifs ni les moyens qui les accompagnent. Cette forme d'autonomisation joue souvent sur un ressort narcissique : le salarié est convaincu de se réaliser en s'investissant dans son travail. Cette tendance est particulièrement visible dans les « petits boulots » proposés aux jeunes. Le nouveau modèle managérial est d'ailleurs plutôt conçu pour les jeunes et encourage à la prise de risques.
Mme Christiane Demontès s'est enquise des solutions envisageables pour sortir d'un système qui a clairement montré ses limites.
Mme Danièle Linhart est convenue que le système actuel est préoccupant pour la santé publique. La première réponse est de le prendre au sérieux et d'en évaluer les conséquences. L'autonomie et la responsabilisation des salariés sont de bons objectifs à condition qu'ils s'accompagnent d'une capacité de négociation. Plus fondamentalement, il faut reconstruire les collectifs face au changement des modes d'organisation et des métiers, pour donner des référents stables aux salariés. Il faut réintroduire la durée face à la frénésie du changement qui défait les savoirs et les expériences et met les personnes en situation d'incompétence.
Mme Annie David s'est interrogée sur la pratique dite de « lean management » mise en oeuvre chez Peugeot.
Mme Danièle Linhart a estimé qu'il s'agit là d'une pratique de retaylorisation sous couvert de modernité : pour éliminer les « temps morts », les salariés sont filmés puis on leur demande de visionner la vidéo pour repérer tous les gestes superflus. D'autres pratiques vont dans le même sens, comme celle du « reporting », parfois heure par heure pour les cadres, qui les oblige à interrompre fréquemment leur activité pour répondre aux sollicitations de leur hiérarchie. La crainte d'être dérangé finit par elle-même à engendrer de l'angoisse.
A M. Jean Desessard, qui demandait des précisions sur l'expression de précarité subjective, Mme Danièle Linhart a répondu que les salariés en CDD ou en intérim sont confrontés à une précarité objective. Cependant, même parmi les titulaires de CDI et les fonctionnaires, le sentiment de précarité augmente. On peut dès lors parler de précarité subjective. Ce sentiment résulte de la peur de ne pas être à la hauteur, face à des collègues qui sont aussi des concurrents, et d'être éventuellement victime d'un licenciement pour motif personnel.
M. Alain Gournac, président, ayant souhaité savoir si le partage entre vie professionnelle et vie personnelle peut accentuer le mal-être au travail, Mme Danièle Linhart a souligné que, paradoxalement, la double journée des femmes les protège peut-être contre la « colonisation » de l'esprit par le travail que l'on note chez certains hommes et qui renforce leur mal-être.
M. Gilbert Barbier a demandé si la dimension psychiatrique du mal-être est liée à une mauvaise prise en charge médicale.
Mme Danièle Linhart a indiqué qu'il s'agit là d'un domaine de recherche sur lequel elle n'a pas spécialement travaillé. Mais on constate empiriquement l'importance de la consommation des psychotropes en France et les témoignages associant individualisation du monde du travail et recours à la psychiatrie. Les salariés ont peur de faire état de leur sentiment de faiblesse, y compris devant des médecins. En conséquence, de nouvelles formes de prises en charge psychanalytiques de la souffrance au travail voient le jour.
Mme Annie David s'est interrogée sur l'existence, dans le monde du travail, de phénomènes de dopage analogues à ceux constatés chez les sportifs. Par ailleurs, réintroduire de la durée dans l'activité professionnelle ne constituerait-il pas une petite révolution ?
Mme Danièle Linhart a estimé que les managers commencent à percevoir les effets négatifs de leur obsession du changement. Longtemps tolérante à l'égard de la souffrance au travail, l'opinion publique se montre à son tour plus exigeante. Cette période de tolérance s'explique sans doute par le fait que les Français ont souvent le sentiment que leur pays est enclin à la « paresse » - les trente-cinq heures ont peut-être aggravé cette perception - et qu'il faut donc compenser en se montrant dur à la tâche.
M. Gérard Dériot, rapporteur, ayant demandé si l'évolution managériale est la même dans le secteur public, Mme Danièle Linhart a insisté sur la rapidité de l'évolution managériale dans les entreprises publiques par rapport aux entreprises privées, citant l'exemple de France Telecom.
En réponse à une remarque de M. Alain Gournac, président, qui soulignait que ce qui manque trop souvent est une approche humaine du management, Mme Danièle Linhart a précisé que les difficultés résultent souvent moins d'une absence d'humanité que d'une méconnaissance des réalités de terrain. Les dirigeants ignorent les effets de leurs décisions, ce qui conduit à un délitement de la motivation et des compétences.
M. Jean Desessard a demandé si les hauts dirigeants se trouvent eux aussi dans une situation de précarité subjective ou si le poids de leur responsabilité est en fait moins important qu'ils ne le disent et ne justifie pas les salaires élevés qu'ils perçoivent.
Mme Danièle Linhart a indiqué que les dirigeants sont moins isolés que les autres salariés grâce aux multiples réseaux dans lesquels ils s'insèrent.
M. Gérard Dériot, rapporteur, a indiqué que les agriculteurs souffrent souvent de leur isolement.
Mme Muguette Dini a fait observer que les enseignants sont dans une situation analogue car ils sont seuls dans leur classe.
Mme Danièle Linhart a souligné l'émergence de nouvelles pratiques éducatives chez les jeunes enseignants affectés en zone d'éducation prioritaire : une communauté éducative se met en place, réunissant autour des enseignants, le principal, les conseillers principaux d'éducation, les surveillants... Ce collectif protège, aide à redonner du sens et contribue à faire évoluer le métier d'enseignant, de la transmission d'un savoir vers une mission éducative plus large.
Audition de M. Jean-Baptiste Obéniche, directeur général de l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact)
Enfin, la mission d'information a procédé à l'audition de M. Jean-Baptiste Obéniche, directeur général de l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact).
M. Jean-Baptiste Obéniche, directeur général de l'Anact, a tout d'abord indiqué que l'Anact est un établissement public administratif, créé en 1973, qui fédère un réseau de vingt-six associations régionales paritaires. Sa mission est d'améliorer les conditions de travail, en se concentrant non pas sur les « risques durs », comme le bruit ou les risques chimiques, mais plutôt sur les problèmes résultant de l'organisation des entreprises. Elle fonctionne sur le mode d'un « paritarisme de projets », qui tend à associer les partenaires sociaux à la recherche consensuelle de solutions pragmatiques aux problèmes d'organisation du travail.
Le réseau emploie environ trois cents personnes, dont soixante-dix-neuf à l'Anact proprement dite. L'agence s'intéresse à la promotion de la santé au travail, aux mutations du travail, au développement des compétences et aux parcours professionnels, à la gestion des âges, à l'approche par genre, au lien entre amélioration des conditions de travail et performance des entreprises.
Pendant une trentaine d'années, la question du travail a été, masquée par celle de l'emploi. Elle est réapparue seulement à la fin des années quatre-vingt-dix, le travail étant alors perçu sous un jour plutôt négatif : pour les entreprises, il représentait un coût, qu'elles cherchaient à réduire et, pour les salariés, une source de souffrance, à laquelle ils essayaient d'échapper par la réduction du temps de travail ou par un départ précoce en retraite. Le travail était rarement considéré comme un facteur d'épanouissement et d'enrichissement personnel.
Cette perception négative reste marquée par le souvenir de l'organisation taylorienne du travail, qui était dominante dans l'industrie mais qui ne correspond plus à la réalité du monde du travail d'aujourd'hui, axé sur les services et la relation avec le client. La tertiarisation de l'économie s'est cependant accompagnée d'une « industrialisation » des services : la plateforme téléphonique d'EDF en Ile-de-France, par exemple, gère 100 000 appels par jour, ce qui impose de standardiser les réponses fournies alors que chaque client attend un service individualisé.
Les entreprises subissent également l'influence du marketing : dans une boulangerie, même artisanale, on trouve désormais dix pains différents, toujours chauds, ce qui impose à l'artisan de développer des processus de production de type industriel, qu'il ne maîtrise qu'imparfaitement, afin de répondre aux attentes des clients, habitués à une offre diversifiée.
La relation d'assujettissement entre le salarié et l'entreprise a évolué du fait de la dématérialisation du travail, qu'il devient plus facile d'emporter chez soi. Les salariés doivent résoudre des problèmes intellectuels auxquels ils continuent de réfléchir en dehors de leur temps de travail. Depuis les années soixante-dix, l'autonomie des équipes de travail a été valorisée ; or, elle fait peser une plus lourde responsabilité sur les salariés, qui doivent prendre des décisions à mesure qu'ils accomplissent leurs tâches.
Le management ne prend pas toujours suffisamment en compte l'hétérogénéité des populations dans l'entreprise : hommes et femmes, jeunes et seniors, salariés issus de milieux sociaux et professionnels différents n'ont pas les mêmes attentes. Or, les ergonomes ont encore tendance à travailler sur la base de modèles asexués et sans âge.
Par ailleurs, les collectifs de travail tendent à se recomposer : les collectifs physiques, réunis en un même lieu (atelier, bureau), deviennent certes moins nombreux mais des équipes de projet, ignorant les frontières entre services, sont plus fréquemment constituées. L'organisation de l'entreprise devient donc plus complexe, tandis que le salarié devient plus exigeant vis-à-vis de son entreprise.
De toutes ces évolutions peuvent naître des tensions qui, si elles se prolongent et ne sont pas régulées, engendrent du mal-être au travail.
L'Anact effectue, chaque année, environ mille interventions courtes en entreprise, d'une durée moyenne de cinq jours, ainsi que des interventions plus longues, généralement dans de grands groupes. Lorsqu'elle intervient, elle utilise une grille d'analyse qui distingue quatre pôles :
- le premier est relatif aux contraintes des entreprises qui doivent tenir compte, notamment, de leur environnement concurrentiel et de l'éloignement fréquent de leurs centres de décision ;
- le deuxième concerne les valeurs individuelles des salariés ;
- le troisième, la manière dont l'entreprise conduit le changement et fait évoluer l'organisation du travail ; le temps d'apprentissage accordé aux salariés n'est pas toujours suffisant pour leur permettre de s'adapter dans de bonnes conditions ;
- le quatrième, le soutien social dont bénéficient les salariés, c'est-à-dire les rapports avec le management et la qualité des relations sociales organisées dans l'entreprise.
Sur ce dernier point, M. Jean-Baptiste Obéniche a estimé qu'il existe une crise de la représentativité des dirigeants et des négociateurs salariés pour la conclusion des accords qui changent concrètement le travail des salariés.
Les grandes entreprises sont les plus exposées au mal-être au travail parce que leurs dirigeants gouvernent de loin, en définissant des objectifs et en demandant des comptes rendus d'activité fréquents, mais sans connaître la réalité du travail de leurs salariés. Les travailleurs au contact du public, par exemple dans les hôpitaux, sont aussi plus concernés par les risques psychosociaux.
Mme Annie David a demandé s'il est possible d'améliorer les conditions de travail des salariés sans remettre en cause les objectifs des entreprises.
M. Jean-Baptiste Obéniche a fait observer qu'il n'a pas évoqué les objectifs des entreprises mais seulement leurs contraintes. L'Anact considère en effet les objectifs de l'entreprise comme une donnée.
La méthode préconisée par l'agence est celle de l'approche concertée du changement : les salariés ont des choses intéressantes à dire sur leur travail et on peut donc, en les écoutant, améliorer les conditions de travail sans nuire à la performance de l'entreprise. A Reims, l'Anact a par exemple conseillé une entreprise de fabrication de pièces automobiles qui se demandait s'il était possible de réduire la durée du cycle d'une de ses chaînes de montage de neuf à huit secondes sans mettre en danger la santé des salariés ; finalement, la durée du cycle a été portée à quarante-cinq secondes. En effet, si la chaîne est plus lente, il y a moins de pièces défectueuses et la machine est moins souvent arrêtée, de sorte que l'entreprise a gagné à ce changement. Concevoir l'organisation du travail avec ceux qui vont ensuite la mettre en oeuvre prend plus de temps au départ mais est ensuite bénéfique, grâce notamment à la réduction des coûts de maintenance.
Mme Muguette Dini a souhaité obtenir des précisions sur le statut des agents de l'Anact. Puis elle demandé si l'agence a senti venir les problèmes de mal être au travail qui sont aujourd'hui observés et si elle a alors alerté les décideurs publics ou formulé des recommandations à leur intention.
M. Jean-Baptiste Obéniche a d'abord répondu que les agents de l'Anact sont des contractuels de la fonction publique. Sur la deuxième question, il a indiqué que l'Anact n'a pas anticipé la récente vague de suicides mais qu'elle a perçu, au début de cette décennie, l'apparition de nouveaux facteurs de tensions, ce qui a conduit son conseil d'administration à intégrer les risques psychosociaux dans ses missions.
L'Anact s'efforce de faire connaître aux acteurs de l'entreprise les leviers qui sont à leur disposition, via son site Internet, son journal ou ses publications. Elle conseille également les entreprises et les organisations syndicales et est très sollicitée actuellement pour accompagner les négociations qui s'engagent dans les grandes entreprises, à la demande du ministre du travail, Xavier Darcos, sur la question du stress au travail.
Mme Christiane Demontès s'est interrogée sur l'existence, dans les entreprises, de bonnes pratiques qu'il serait souhaitable de diffuser plus largement.
M. Jean-Baptiste Obéniche a expliqué que l'Anact apporte aux entreprises des outils méthodologiques, par exemple la grille de lecture en quatre pôles précédemment évoquée. Elle leur recommande, avant de négocier sur l'amélioration des conditions de travail, de conclure d'abord un accord de méthode. Elle suggère aussi de décloisonner, dans l'entreprise, la politique de santé au travail par rapport à la politique de ressources humaines et à la production.
L'Anact s'intéresse également à une approche démographique du travail consistant à analyser le parcours type d'un salarié, en fonction de son sexe, de son âge, de sa qualification. Cette approche révèle que certains parcours conduisent à l'inaptitude tandis que d'autres débouchent sur une promotion. Il est important de comprendre comment on peut intervenir dans ces parcours pour infléchir la trajectoire du salarié.
Enfin, l'Anact analyse les situations à problème, ce qui suppose de comprendre la relation entre le système d'organisation du travail et le travail réellement accompli.