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Mercredi 9 décembre 2009
- Présidence de M. Hubert Haenel -Institutions européennes
Les priorités de la
présidence espagnole de l'Union
européenne
Audition de M. Bruno Delaye, ambassadeur
de France en Espagne
M. Hubert Haenel. - C'est devenu une tradition pour nous que d'entendre notre ambassadeur dans le pays qui va exercer la présidence, puis l'ambassadeur en France de ce pays. Je vous remercie d'avoir accepté de vous plier à cet exercice. Nous attendons de vous que vous nous présentiez la situation actuelle de l'Espagne et les priorités de la présidence espagnole.
M. Bruno Delaye. - La situation de l'Espagne est naturellement marquée avant tout par la crise économique. En 2009, le recul du PIB sera de l'ordre de 3,6 %, alors que le rythme de la croissance a été proche de 4 % au cours des quinze dernières années. En 2010, la croissance devrait être nulle. Le chômage a fortement augmenté, passant du taux historiquement bas de 8 % en 2007 à environ 18 % aujourd'hui, avec la perspective d'un taux de 20 % en 2010. Quant à la dette publique, qui ne dépassait pas 36 % du PIB en 2007, elle atteindra 80 % en 2010.
Le chômage affecte en premier lieu les travailleurs immigrés. L'Espagne a connu une forte immigration de travail, de l'ordre de 4 millions de personnes au cours des dix dernières années. Par ailleurs, l'économie « grise » reste importante, ce qui atténue la portée des statistiques de l'emploi. On doit souligner également que la solidité des structures familiales contribue à limiter les effets sociaux de la récession : les familles suppléent à l'État providence. En tout cas, si l'économie espagnole est déprimée, les Espagnols eux-mêmes ne le sont pas et conservent l'idée que demain sera meilleur qu'hier.
En ce qui concerne le secteur financier, on doit relever que les liquidités sont abondantes - le taux d'épargne est passé de 9 % à 18 % - et que les grandes banques demeurent très fortes, alors que les caisses d'épargne paraissent plus fragiles.
Face à la crise, le gouvernement espagnol privilégie la concertation. Des plans de régulation sociale ont permis de limiter les conséquences de la récession. Des accords sont recherchés pour limiter la progression des salaires, très rapide avant la crise, et réformer la législation du travail : une formule intermédiaire entre CDI (contrat à durée indéterminée) et CDD (contrat à durée déterminée) pourrait apparaître, tandis que le chômage technique serait pris en charge par l'État.
Ce contexte ne sera naturellement pas sans conséquence sur l'exercice de la présidence espagnole, mais celle-ci devrait entraîner une trêve dans la vie politique intérieure.
Le président du gouvernement espagnol est un homme de compromis qui recherchera le consensus. La présidence française a été considérée comme un succès, mais l'Espagne ne cherchera pas à l'imiter, en considérant qu'elle n'est pas attendue sur le même terrain. En Espagne, la mondialisation n'est pas vue comme une menace ; c'est un pays de services plus que d'industrie. Les Espagnols se reconnaissent dans le « main stream » européen et sont hostiles au dirigisme. Ils ne sont pas pour autant fermés aux préoccupations françaises, mais on ne peut attendre d'eux qu'ils les mettent spontanément en avant.
La présidence espagnole aura à mettre en place les changements institutionnels découlant du traité de Lisbonne. Les Espagnols joueront le jeu des nouvelles institutions. Ils acceptent l'idée que le président du Conseil européen et le Haut représentant de l'Union prennent toute leur place, mais souhaitent que le président de leur gouvernement garde une visibilité suffisante. En pratique, pour les sommets organisés en Espagne, le président du gouvernement espagnol, en tant qu'amphitryon, devrait conserver un rôle éminent.
L'entrée en fonctions du Haut représentant de l'Union va modifier le rôle des ministres des affaires étrangères. Avec la mise en place du service européen d'action extérieure, dont les fonctionnaires proviendront pour un tiers de la Commission, pour un tiers du Conseil et pour un tiers des États membres, les délégations de la Communauté deviendront des ambassades de l'Union, qui pourront parler politique tout en disposant de moyens importants. L'Espagne ne cherchera pas à limiter la portée de ce changement notable.
Le second grand thème de la présidence espagnole sera la sortie de la crise.
L'Espagne est favorable à une meilleure régulation financière dans l'optique du rapport Larosière. Elle est également, désormais, favorable à une plus forte coordination des politiques macroéconomiques, facilitant le dialogue avec la BCE. L'Espagne ne souhaite pas une hausse des taux d'intérêt, car c'est un pays de propriétaires endettés à taux variable ; par ailleurs, elle ne souhaite pas une disparition rapide du dispositif de soutien aux banques, mais plutôt une diminution progressive.
L'Espagne souhaite une remise à plat de la stratégie de Lisbonne. La Commission doit présenter un document en février en vue du Conseil européen du mois de mars. L'Espagne souhaite un dispositif plus contraignant, incitant réellement à atteindre des objectifs ambitieux en matière de recherche-développement. Elle souhaite également une plus forte implication du Conseil européen. J'indique à ce propos que le groupe de réflexion sur l'avenir de l'Europe présidé par Felipe González rendra un rapport d'étape avant le Conseil européen de mars.
L'Europe des citoyens sera également un thème important, avec le livre vert de la Commission sur les modalités de l'initiative citoyenne et le projet d'un observatoire européen pour faciliter la lutte contre les violences faites aux femmes. L'égalité hommes/femmes est une préoccupation sur laquelle l'Espagne met beaucoup l'accent.
En matière de politique européenne de sécurité et de défense, l'Espagne va jouer le jeu tout en se montrant prudente.
On retrouve le même pragmatisme pour ce qui concerne les questions relatives à l'énergie et au climat. L'Espagne n'envisage pas d'appliquer une « contribution carbone » et se montre plutôt réservée vis-à-vis d'un éventuel mécanisme d' « inclusion carbone » aux frontières de l'Union.
C'est finalement en matière d'élargissement que l'on trouve la seule grande divergence entre l'Espagne et la France, puisque l'Espagne est clairement favorable à l'adhésion de la Turquie.
M. Robert del Picchia. - Vous avez toujours eu un grand impact dans les pays où vous avez été ambassadeur. Je peux vous dire que la presse mexicaine vous regrette !
En ce qui concerne la défense européenne, j'ai le sentiment que la volonté espagnole d'y participer est tout de même très réelle, d'autant que les Espagnols ont une place au sein d'EADS.
M. Bruno Delaye. - Je partage ce sentiment. Je voulais seulement indiquer que l'Espagne ne cherchera pas à prendre la tête du mouvement ou à faire des propositions révolutionnaires. Elle jouera le jeu, qu'il s'agisse de l'armement ou des opérations. Son attitude est très constructive.
M. Robert del Picchia. - Les divergences franco-espagnoles concernant l'Union pour la Méditerranée (UPM) sont-elles encore sensibles ?
M. Bruno Delaye. - Les divergences étaient sensibles lors du lancement de l'initiative, car l'UPM se fondait sur un constat des insuffisances du processus de Barcelone, lequel avait été largement parrainé par l'Espagne. Maintenant ces divergences sont surmontées, avec l'attribution à Barcelone du siège de l'UPM et l'accord sur le fonctionnement de la coprésidence. Les réserves espagnoles ont disparu.
M. Simon Sutour. - Où en est-on quant à l'évolution du statut de la Catalogne ? Quand la Cour suprême espagnole va-t-elle se prononcer sur le recours du parti populaire contre le nouveau statut ?
Par ailleurs, en 2010, le débat sur les perspectives financières de l'Union va s'amorcer. Un document préparatoire de la Commission a fait grand bruit, car il prévoyait une forte réduction des moyens de la PAC et de la politique de cohésion. La Commission n'a pas endossé ce document, mais l'inquiétude demeure. Quelle est la position de l'Espagne ?
M. Jean Bizet. - Je me réjouis de l'attitude très constructive de l'Espagne pour assurer le démarrage des nouvelles institutions.
Vous avez parlé du souhait de l'Espagne d'une coordination plus forte des politiques économiques pour un meilleur dialogue avec la BCE (Banque centrale européenne). Pensez-vous que l'Espagne serait favorable à une nouvelle définition des objectifs de la politique monétaire ? Je rappelle qu'aux États-Unis, la politique monétaire n'a pas pour unique objectif prioritaire la stabilité des prix, mais également la croissance et le plein emploi.
Nous avons tous regretté que la stratégie de Lisbonne n'ait pas eu plus de résultats. Pensez-vous que l'Espagne serait favorable à une large communautarisation de la politique de recherche-développement ? Je crois qu'il ne faut pas que la PAC demeure la seule politique européenne véritablement intégrée, car cela en fait une cible facile.
L'Espagne sera-t-elle un allié de la France dans les discussions sur l'avenir de la PAC (politique agricole commune) ? Il est clair que si c'est l'Europe du Nord qui prend l'ascendant sur ce sujet, on ira vers un démantèlement de cette politique.
M. Gérard César. - Je m'associe à cette inquiétude.
Mme Annie David. - Je suis étonnée de l'impréparation européenne pour l'application du traité de Lisbonne, alors que la question est sur la table depuis des années.
Je me réjouis que l'Espagne mette en avant le thème de l'égalité des genres, après avoir adopté une loi sur les violences faites aux femmes. Mais les aspects concernant l'égalité salariale entre hommes et femmes seront-ils également mis en avant ?
Enfin, quelle est la position de l'Espagne sur l'évolution du conflit israélo-palestinien ?
M. Robert Badinter. - La présidence espagnole aura à coeur, j'imagine, de faire progresser la construction de l'espace judiciaire européen. Ira-t-elle jusqu'à aborder la question d'un parquet européen ?
Pourriez-vous aussi nous dire quelques mots de l'immigration en Espagne ?
M. Bruno Delaye. - Le Tribunal constitutionnel a été saisi du nouveau statut de la Catalogne il y a deux ans. Le tribunal est manifestement partagé. Les partis catalans ont déclaré qu'ils n'accepteraient pas une déclaration d'inconstitutionnalité. Il me semble que, en réalité, tout le monde attend le résultat des élections en Catalogne. Il faut souligner que les aspirations catalanes à une plus grande autonomie ne sont pas portées seulement par des intellectuels. Les milieux économiques les partagent.
Dans le débat sur les perspectives financières, l'Espagne défendra la PAC, la politique de cohésion et les aides aux régions ultrapériphériques. L'Espagne va recevoir moins de crédits européens à l'avenir. Tout laisse à penser que les Espagnols seront par ailleurs hostiles au maintien du « chèque » britannique. Il reste que la défense de la PAC mobilise moins en Espagne qu'en France. L'opinion publique espagnole ne considère pas l'agriculture comme aussi importante pour l'avenir du pays qu'elle l'est en France. L'Espagne a rejeté ses racines rurales.
Sur la politique monétaire européenne, l'Espagne a longtemps eu une position parfaitement « orthodoxe ». Aujourd'hui, l'attitude est plus nuancée, car une éventuelle hausse des taux et une réduction des soutiens aux banques sont de réelles inquiétudes. Mais il s'agit d'une inflexion limitée, commandée par le pragmatisme. Il n'y aura pas de croisade pour une modification des objectifs.
Les Espagnols seraient sans doute spontanément favorables à une communautarisation de la politique de recherche-développement, car leur effort de recherche est faible, notamment pour ce qui est de la recherche menée par les entreprises.
En ce qui concerne l'égalité hommes/femmes, l'Espagne aura une attitude offensive, mais un instrument juridique supplémentaire ne semble pas envisagé.
Sur la question israélo-palestinienne, l'Espagne est très attentive, mais c'est une question qui dépend avant tout de l'évolution des relations israélo-américaines. Y aura-t-il un accord pour un gel des colonies de peuplement ? Si c'était le cas, l'Espagne - et plus généralement l'Europe - pourraient venir en soutien.
En matière de justice et d'affaires intérieures, il n'existe pas encore de document précisant les intentions de la présidence espagnole, mais celle-ci a programmé une réunion du comité pour la sécurité intérieure (COSI) qui assure un pilotage général en associant Frontex, Europol et Eurojust. Les Espagnols veulent muscler les instruments de coopération, ils sont favorables à la pleine application du traité de Lisbonne et envisagent la création d'un parquet européen.
En matière d'immigration, la régularisation globale des immigrés illégaux effectuée par l'Espagne a été critiquée en France. La réponse espagnole a été de souligner qu'il n'existait pas d'autre solution : que faire d'autant de personnes en situation illégale ? La régularisation a concerné tous ceux qui avaient un travail. En même temps, l'Espagne a annoncé qu'il n'y aurait plus de régularisation de ce type à l'avenir.
Les difficultés économiques de l'Espagne conduisent aujourd'hui à une attitude différente. Au demeurant, la lutte contre l'immigration illégale ne suscite pas les mêmes controverses qu'en France. Les tests ADN ou les charters peuvent être utilisés sans soulever de protestation. La rétention administrative peut atteindre 60 jours. En outre, les accords de réadmission négociés avec le Maroc, la Mauritanie et la Guinée équatoriale fonctionnent bien, avec des ONG qui assurent l'accueil sur place des immigrés revenant dans leur pays d'origine.
L'immigration a été vécue comme une chance pour l'Espagne par les deux grandes sensibilités politiques. Il s'agit à 60 % d'une immigration hispanophone, en provenance d'Amérique latine, qui s'intègre naturellement dans la population. Les 40 % restants proviennent d'Europe (notamment de Roumanie) et du Maroc.
M. Hubert Haenel. - Vous avez évoqué le « comité des sages » présidé par Felipe González. Avez-vous le sentiment que les travaux de ce groupe avancent ?
M. Bruno Delaye. - Je crois que le résultat sera important, avec une réflexion de fond sur le modèle social européen.
M. Hubert Haenel. - J'ai le sentiment que le Parlement espagnol, autrefois sur la réserve, semble aujourd'hui plus intéressé par le travail en commun avec les autres parlements nationaux.
M. Bruno Delaye. - Le Parlement espagnol a une commission commune aux deux chambres pour les questions européennes. Elle a reçu récemment une délégation de vos homologues de l'Assemblée nationale ; les deux parties sont convenues d'un échange d'informations.
Jeudi 10 décembre 2009
- Présidence de M. Hubert Haenel -Subsidiarité
Successions et testaments (E 4863)
(examen au
regard de la subsidiarité et de la
proportionnalité)
Communication de M. Pierre
Fauchon
M. Pierre Fauchon. - J'ai présenté à la commission des lois, le 2 décembre dernier, une communication sur la proposition de règlement relative aux successions. A l'issue de cette communication, la commission des lois a adopté, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, une proposition de résolution sur laquelle je reviendrai.
Il s'agissait là d'un examen sur le fond. Nous sommes appelés aujourd'hui à nous prononcer uniquement sur le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Je rappelle que, sur une communication de notre collègue Monique Papon, nous avions examiné précédemment le livre vert présenté par la Commission européenne en 2005 sur ce même sujet.
I. Quel est l'objet de cette proposition de règlement ?
Cette proposition de règlement a pour objet de supprimer les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes pour mettre en oeuvre leurs droits dans le cadre d'une succession internationale. A cette fin, elle traite tout à la fois la question de la compétence judiciaire, des conflits de lois, de la reconnaissance mutuelle, de l'exécution des décisions dans ce domaine. Elle prévoit par ailleurs la création d'un certificat successoral européen.
Ce faisant, elle met en oeuvre, avec retard, les recommandations du programme de la Haye de 2004.
? Comment la proposition détermine-t-elle la juridiction compétente?
La proposition retient un critère de rattachement juridictionnel unique, celui de l'État membre sur le territoire duquel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès. Cette juridiction sera alors compétente pour statuer sur tous les aspects du règlement de la succession.
Ce critère de rattachement unique aura un impact important sur notre droit des successions, dit scissionniste. Les règles françaises de compétence juridictionnelle en matière de successions reposent, en effet, sur la distinction entre les successions mobilières et immobilières. La succession mobilière est en principe soumise au tribunal du lieu d'ouverture de la succession (articles 45 du code de procédure civile et 720 du code civil). La succession immobilière, quant à elle, relève en principe du tribunal du lieu de situation de l'immeuble (article 44 du code de procédure civile).
Le système européen mettrait fin à cette scission.
? Comment la proposition détermine-t-elle la loi applicable?
Pour la détermination de la loi applicable au règlement d'une succession, la proposition retient un système unitaire qui aboutit à l'application d'une seule loi. Le critère de rattachement sera celui de la dernière résidence habituelle du défunt. Toutefois, le testateur pourra choisir expressément dans son testament l'application de sa loi nationale.
? Que dit la proposition sur la reconnaissance et l'exécution des décisions et celles des actes authentiques ?
La reconnaissance de toutes les décisions et transactions judiciaires est prévue afin de concrétiser en matière de successions le principe de reconnaissance mutuelle. Les motifs de non-reconnaissance ont été réduits au minimum nécessaire (décision manifestement contraire à l'ordre public de l'État requis, par exemple). De même, au vu de l'importance pratique des actes authentiques en matière de successions, la proposition assure leur reconnaissance afin de permettre leur libre circulation.
? Quelle sera le rôle du nouveau certificat successoral européen ?
Afin de permettre le règlement rapide d'une succession internationale, la proposition de règlement introduit un certificat successoral européen, qui a pour objet de fournir la preuve de la qualité d'héritier, des vocations successorales et des pouvoirs pour administrer la succession. Ce certificat ne remplace pas les certificats existants dans certains États membres.
II. Quelle appréciation pouvons-nous porter au titre de la subsidiarité et de la proportionnalité ?
? Le texte respecte-t-il le principe de subsidiarité ?
Pour répondre à cette question, il faut s'assurer que l'intervention de l'Union européenne dans ce domaine est légitime et nécessaire.
D'abord, elle s'appuie sur une base juridique incontestable. L'article 65 du traité CE (article 81 du TFUE) dispose que l'Union européenne peut adopter des mesures relevant de la coopération judiciaire en matière civile afin d'une part « d'améliorer et de simplifier la reconnaissance et l'exécution des décisions judiciaires et extrajudiciaires » et d'autre part de « favoriser la compatibilité des règles applicables dans les États membres en matière de conflits de lois et de compétence. » Je précise que les mesures envisagées relèveront, selon la Commission européenne, de la procédure de codécision et de la majorité qualifiée au Conseil, à la différence des questions touchant au droit de la famille qui demeurent soumis à l'unanimité. La Commission européenne considère, en effet, qu'en raison de ses aspects patrimoniaux prédominants, le droit successoral constitue une matière distincte du droit de la famille. C'est d'ailleurs la solution qui prévaut dans la plupart des États membres.
Si elle est fondée juridiquement, l'intervention de l'Union européenne est-elle nécessaire ?
A cette fin, je crois que l'on doit d'abord évaluer la sensibilité de la question des successions transfrontalières en Europe. On estime qu'il y aurait autour de 50 000 dévolutions successorales transfrontalières chaque année concernant des ressortissants des États membres. La valeur moyenne de ces successions transfrontalières représenterait chaque année quelque 123,3 milliards d'euros. Il y a donc là un véritable enjeu qui appelle des règles adéquates.
Or pour répondre à cet enjeu, force est de constater qu'il existe une grande diversité entre les États membres sur les solutions à mettre en oeuvre. Les règles de conflit de lois se répartissent entre deux systèmes. Certains États membres (Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Italie, Portugal et Suède) appliquent un système dit unitaire. L'ensemble des biens qui relèvent de la succession est soumis à une loi unique car la succession est considérée comme une masse unique. Au contraire, d'autres États membres dont la France mais aussi le Royaume Uni, appliquent un système dit scissionniste car il opère une distinction entre les biens meubles, dont la succession est soumise à la loi du dernier domicile, et les biens immeubles, dont la succession est soumise à la loi du lieu de situation respective des immeubles. A l'intérieur de ces deux grands systèmes, les solutions ne sont elles-mêmes pas homogènes.
En pratique, cette confrontation de règles distinctes de conflit de lois conduit dans un grand nombre de cas à l'application de plusieurs lois différentes lorsque les biens dépendant d'une succession sont répartis sur le territoire de différents États membres. Il en résulte à l'évidence de grosses difficultés à la fois pour les personnes qui désirent organiser leur succession, pour les successibles qui sont confrontés à une grande incertitude sur la nature et la portée de leurs droits, et pour les créanciers de la succession qui n'ont pas les mêmes garanties de recouvrement de leurs créances selon le droit applicable.
Cette disparité peut aussi être constatée dans les solutions retenues par les États membres pour déterminer les tribunaux compétents pour statuer en matière successorale. Il peut s'agir du lieu du dernier domicile du défunt, de celui du défendeur ou du demandeur à l'instance, du lieu de situation de certains biens ou encore de la nationalité du défunt ou de l'une ou l'autre partie à l'instance.
En outre, une autre disparité importante concerne la question de la réserve héréditaire. Je l'examinerai au titre de la proportionnalité.
Or ces difficultés ne sont pas résolues par des instruments de droit communautaire ou de droit international. Au plan communautaire, les successions sont expressément exclues du champ d'application du règlement du 22 décembre 2000 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Quant aux conventions internationales, soit elles ne concernent que certains États membres comme la convention nordique du 19 novembre 1934 (Danemark, Finlande et Suède), soit elles ne traitent qu'une partie de la question comme la convention de La Haye du 2 octobre 1961 qui ne porte que sur les conflits de lois relatifs à la forme des dispositions testamentaires. La convention de la Haye du 1er août 1989 sur la loi applicable aux successions à cause de mort, qui aurait pu régler la question, n'est jamais entrée en vigueur, faute d'avoir été ratifiée par un nombre suffisant d'États.
Dans ces conditions, l'adoption d'un nouvel instrument communautaire peut apporter des clarifications utiles. En outre, elle respecte la faculté pour chacun d'organiser librement sa succession dès lors qu'il établit un testament.
J'ajouterai que la Commission européenne a opportunément écarté toute tentative d'harmonisation du droit matériel des successions. C'est ainsi que les questions relatives à la validité des successions, au régime des trusts successoraux pour les pays qui connaissent ce système, à la fiscalité ou au régime de propriété, resteront de la compétence exclusive des États membres.
Je vous propose donc de considérer que la proposition de la Commission européenne respecte le principe de la subsidiarité.
? Le texte respecte-t-il le principe de proportionnalité ?
Je rappelle qu'en vertu de ce principe, l'action de l'Union ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif assigné par le traité, en l'espèce l'article 65 dont j'ai rappelé les termes précédemment.
En définissant un critère de rattachement juridictionnel unique et un critère de rattachement pour déterminer la loi applicable à l'ensemble des opérations successorales, la proposition de règlement me paraît répondre de manière proportionnée à l'objectif fixé par le traité. J'observe par ailleurs que la proposition ménage certaines souplesses par rapport aux règles qu'elle met en place. C'est ainsi que le testateur pourra opter pour sa loi nationale. De même, une juridiction déclarée compétente pourra décider de renvoyer le soin de se prononcer à une autre juridiction mieux placée qu'elle au regard des intérêts du défunt, des héritiers, des légataires ou des créanciers.
Mais cette unification des règles de conflits de lois et de compétences risque d'avoir pour effet de réduire la protection des proches du défunt, telle qu'elle est assurée par les droits nationaux à travers le mécanisme de la réserve héréditaire.
En droit français, le code civil définit cette réserve héréditaire comme la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent (article 912). La très grande majorité des États membres connaît ce mécanisme qui, selon des modalités variables, interdit au testateur de disposer librement de la totalité de sa succession. Cependant, d'autres États, comme le Royaume Uni (à l'exception de l'Écosse), n'appliquent pas ce mécanisme et consacrent la totale liberté testamentaire de leurs ressortissants.
Or, en l'état, la proposition de règlement permettrait à des ressortissants européens d'échapper à la contrainte de la réserve héréditaire prévue par leur droit national. Ainsi, un Français n'aurait qu'à fixer sa résidence en Grande-Bretagne et rédiger un testament réglant sa succession qui écarte ses enfants. A son décès, le juge anglais serait compétent. La loi applicable serait la loi anglaise qui reconnaît son entière liberté testamentaire.
Une telle situation ne me paraît pas acceptable. Tous les États membres qui connaissent la réserve héréditaire poursuivent un objectif commun. Il s'agit de protéger les membres de la famille du défunt, y compris contre lui-même en lui interdisant de les déshériter et en leur permettant d'obtenir la réduction des libéralités qui auraient pu léser leurs droits de succession.
Je rappelle que cette règle très ancienne trouve son origine dans le droit romain (« quarte légitime »), qui le conçoit comme un devoir de famille du défunt à l'égard de ses descendants, ainsi que dans le droit coutumier. Elle a été transposée dans l'ancien droit français et a été réaffirmée d'abord dans le droit révolutionnaire puis dans le code civil.
Cette réserve héréditaire répond, à mon sens, à un devoir moral qui s'impose aux parents qui ont des responsabilités à l'égard de leurs enfants qu'ils ne peuvent abandonner à leur sort.
Même s'il existe déjà des mécanismes, notamment l'assurance-vie, qui permettent de contourner la réserve héréditaire, on est là face à une question de principe qui est au coeur de notre conception du droit des successions.
C'est pourquoi la commission des lois a jugé nécessaire d'adopter une proposition de résolution qui, tout en approuvant l'orientation générale retenue par la Commission européenne, demande au Gouvernement « de veiller à ce que le texte finalement adopté garantisse que l'application des règles déterminant la loi applicable ne puisse permettre à un ressortissant Français de faire échapper sa succession au mécanisme de la réserve héréditaire. »
Je crois que nous devons nous aussi, au titre de l'examen de proportionnalité, indiquer à la Commission européenne les réserves qu'appelle sur ce point son dispositif. En l'état, la proposition excède ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi. En effet, l'objectif de simplification et d'unification, que nous partageons, ne nécessite pas de supprimer la protection accordée aux membres de la famille du défunt. Cette suppression n'est donc pas proportionnelle à l'objectif poursuivi. Ce que montre clairement le fait que, par ailleurs, la proposition de la Commission européenne reconnaît à chacun la faculté de régler librement sa succession par testament.
Je rappelle que, lors de l'examen du livre vert de la Commission européenne, la délégation pour l'Union européenne avait adopté des conclusions qui approuvaient l'harmonisation des règles de conflit de lois et de compétences mais qui demandaient déjà la préservation du principe de la réserve héréditaire.
M. Hubert Haenel. - C'est un sujet à la fois intéressant et important. Il comporte de grands enjeux qui sont très ancrés dans l'histoire et les traditions juridiques des États membres. Je rappelle que nos observations seront communiquées directement à la Commission européenne dans le cadre du dialogue politique sur la subsidiarité et la proportionnalité.
M. Richard Yung. - Ces observations s'ajouteront-elles à la proposition de résolution qu'a adoptée la commission des lois ?
M. Hubert Haenel. - C'est bien le cas. La proposition de résolution est destinée au Gouvernement au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Nos observations sont transmises directement à la Commission européenne dans le cadre du dialogue politique qui a été mis en place par le président Barroso en 2006.
M. Richard Yung. - Nous avons eu un débat au sein de la commission des lois sur la proposition de règlement. Les observations proposées par le rapporteur reflètent bien ce débat.
Quels seront les effets pratiques de la proposition de règlement ? Quelle sera la portée du certificat successoral européen ?
M. Pierre Fauchon. - La proposition de règlement permet de régler les conflits de lois et de juridiction. Le certificat successoral européen facilitera la preuve.
M. Hubert Haenel. - Qui produira ce certificat successoral européen ?
M. Pierre Fauchon. - Ce sera le juge saisi ou un officier ministériel comme le notaire en droit français.
M. Richard Yung. - Ce texte constitue un progrès car il existe beaucoup de situations très compliquées en matière de succession. J'ai notamment pu l'observer en Allemagne. J'approuve donc les observations qui nous sont proposées. Il restera néanmoins à traiter le volet fiscal des successions.
Il en est ainsi décidé et le projet d'observations est adopté dans le texte suivant :
Institutions européenne
Proposition de
modification des traités
concernant la composition du Parlement
européen
Communication de M. Hubert
Haenel
M. Hubert Haenel. - Le Gouvernement m'a fait parvenir, il y a quelques jours, une proposition de révision des traités portant sur la composition du Parlement européen. L'intention de l'Espagne, qui est à l'origine de cette proposition, semblait être de saisir le Conseil européen qui se réunit aujourd'hui et demain afin qu'il prenne la décision de convoquer une Conférence intergouvernementale.
C'était toutefois aller un peu vite en besogne car le traité de Lisbonne prévoit une procédure plus complexe. En vertu du traité de Lisbonne, le Gouvernement de tout État membre peut soumettre un projet tendant à la révision des traités. Ce projet est alors transmis au Conseil européen et il doit être « notifié aux parlements nationaux ». En l'état actuel des choses, ce projet ne nous a pas été notifié par les institutions européennes, mais seulement transmis par le Gouvernement. Le Conseil européen doit alors consulter le Parlement européen et la Commission avant d'adopter à la majorité simple une décision favorable à l'examen des modifications proposées. C'est alors que l'on peut convoquer une Convention composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d'État ou de gouvernement, du Parlement européen et de la Commission.
Lorsque l'ampleur des modifications proposées ne le justifie pas, le Conseil européen peut également décider de ne pas convoquer une Convention. Cependant, il ne peut le faire que « après approbation du Parlement européen ». Dans le cas présent, la modification proposée ne justifie aucunement la convocation d'une Convention. Il faudra donc une « approbation du Parlement européen » avant que le Conseil européen ne puisse convoquer une Conférence intergouvernementale.
1. Pourquoi modifier aujourd'hui la composition du Parlement européen ?
C'est en fait la conséquence du retard de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
Mais, pour comprendre complètement la question, il est nécessaire de revenir davantage en arrière et de retracer l'historique de la composition du Parlement européen. Le traité de Nice prévoyait, pour les élections de 2009, un Parlement européen composé de 736 membres. Le traité constitutionnel élaboré par la Convention fixait le nombre maximal des députés européens à 736 avec un minimum de 4 députés par État membre. Mais, à la demande des plus petits États, la Conférence intergouvernementale qui a suivi la Convention a relevé ce seuil minimal par État membre à 6 députés. En conséquence, le nombre maximal des membres du Parlement européen a été porté à 750.
Nous savons que le traité de Lisbonne se caractérise par la recherche d'une certaine souplesse afin de permettre à l'Union d'évoluer sans recourir pour autant à la lourde procédure de modification des traités. C'est le cas pour les dispositions fixant la composition du Parlement européen. Dorénavant, la répartition des députés européens entre États membres n'est plus fixée par les traités. La décision revient au Conseil européen qui décide « à l'unanimité, sur initiative du Parlement européen et avec son approbation ». Toutefois, le Conseil européen doit respecter trois principes :
- le nombre total des députés européens ne doit pas dépasser 751,
- chaque État membre doit avoir au moins 6 députés européens,
- aucun État membre ne peut se voir attribuer plus de 96 députés européens.
Dans la perspective de l'application du traité de Lisbonne aux élections de 2009, une répartition a été effectuée sur cette base. Et cette répartition, de manière à faciliter l'accord général, a été effectuée en retenant l'effectif maximal prévu par le traité. Le Parlement européen devait ainsi passer de 736 membres à 751 membres. 12 États membres devaient gagner entre 1 et 4 sièges (c'est l'Espagne qui est la plus grande bénéficiaire avec un gain de 4 sièges) tandis que l'Allemagne devait voir sa représentation diminuer de 3 unités. Cette diminution était inévitable puisque l'Allemagne disposait de 99 sièges en vertu du traité de Nice et qu'aucun État ne peut plus avoir plus de 96 représentants en application du traité de Lisbonne.
Mais, comme vous le savez, le traité de Lisbonne n'était pas encore entré en application lors des élections européennes de 2009. Celles-ci se sont donc faites sur la base antérieure avec le plafond de 736 membres. On pourrait fort bien rester ainsi jusqu'en 2014. Mais certains États ont fait valoir que l'ensemble des dispositions institutionnelles du traité de Lisbonne forme un ensemble équilibré. Et que, dès lors que ce qui concerne la Commission ou le Conseil européen est entré en vigueur, il faut que la nouvelle composition du Parlement européen entre également en vigueur.
Cela passe par l'adoption d'une décision permettant de modifier la composition du Parlement européen. Le plus simple serait évidemment de procéder par une décision du Conseil européen, sur initiative du Parlement européen et avec son approbation. On pourrait ainsi augmenter la représentation des douze États qui bénéficient des dispositions du traité de Lisbonne, mais on serait contraint par le plafond de 751 membres qui, lui, est inscrit dans les traités. De ce fait, il faudrait diminuer la représentation de l'Allemagne de trois membres.
On comprendra bien que cela est un peu difficile psychologiquement. Remercier 3 députés européens qui ont été élus il y a quelques mois en leur signifiant aujourd'hui que leur mandat est annulé n'est pas très aisé. Juridiquement, cela pourrait également présenter quelques difficultés. D'où l'idée de porter temporairement le plafond des membres du Parlement européen de 751 à 754. Cette augmentation serait provisoire et trouverait son terme en 2014. L'inconvénient de cette solution est qu'elle oblige à modifier les traités. Voilà l'objet de la proposition qui nous est aujourd'hui soumise.
2. Quelles sont les dispositions proposées ?
Elles reprennent purement et simplement les engagements pris par le Conseil européen en décembre 2008 et juin 2009. En juin 2009, le Conseil européen avait arrêté la répartition des 18 sièges supplémentaires et déterminé les grandes lignes de la désignation des députés européens supplémentaires de la manière suivante :
- les nouveaux députés seront désignés « conformément à la législation des États membres concernés »,
- ils devront avoir été élus au suffrage universel direct,
- le mode de désignation peut être une élection au suffrage universel direct spécifique ou une référence aux résultats des élections européennes de juin 2009 ou une désignation par le parlement national en son sein.
Enfin, la proposition prévoit que le Conseil européen devra, pour les élections européennes de 2014, adopter une décision fixant la répartition des députés européens entre les États membres dans la limite du plafond de 751 membres.
Trois remarques à ce propos :
1. Cette dernière disposition est inutile car il va de soi que le Conseil européen devra adopter une nouvelle répartition des députés européens entres États membres avant 2014 dès lors que l'Union aura accueilli au moins un État membre de plus entretemps. Or, on s'accorde à penser que la Croatie rejoindra l'Union avant 2014.
2. La proposition qui nous est présentée prend la forme d'un protocole modifiant le protocole sur les dispositions transitoires. Je rappelle qu'un protocole a la même valeur que le traité lui-même. Par ailleurs, il est logique d'inclure ces dispositions dans le protocole sur les dispositions transitoires puisqu'il s'agit de mesures transitoires.
3. La proposition prévoit une entrée en vigueur du protocole le 1er décembre 2010 à condition que les vingt-sept États membres l'aient entretemps ratifié. Comme il est un peu disproportionné d'engager vingt-sept procédures de ratification pour un sujet aussi limité, il est envisagé d'effectuer la ratification en même temps que le traité d'adhésion de la Croatie. On peut en déduire que le protocole ne pourra pas entrer en vigueur fin 2010, mais seulement en 2011, voire en 2012.
3. Quelle appréciation porter sur cette proposition ?
Elle ne comporte en réalité aucun élément nouveau. Elle ne fait que traduire en termes juridiques l'accord dégagé au sein du Conseil européen en juin dernier. La mise en oeuvre de cette augmentation du nombre des membres du Parlement européen va nécessiter, pour les États membres, l'adoption de ce protocole par une Conférence intergouvernementale et la ratification de ce même protocole par les vingt-sept États membres. La France devra ensuite modifier la loi de 1977 sur l'élection des représentants français au Parlement européen puisque la proposition de protocole précise que la désignation des députés européens supplémentaires devra se faire « conformément à la législation des États membres concernés ».
Enfin, avant de vous laisser la parole, je voudrais évoquer la question des observateurs au Parlement européen.
4. Les « observateurs » au Parlement européen
Le Parlement européen a prévu, dans son règlement, la possibilité d'accueillir en son sein des observateurs d'un État, dès lors que le traité d'adhésion de cet État est signé. Ces observateurs participent aux travaux du Parlement européen et peuvent s'exprimer au sein des commissions et des groupes politiques. Mais ils ne peuvent évidemment pas voter et le règlement précise que « leur participation est dénuée d'effet juridique sur les travaux du Parlement ».
Or, le Parlement européen vient d'inscrire, dans son règlement, la possibilité pour les États membres de désigner des observateurs « dans l'attente de l'entrée en vigueur des modalités tendant à ce qu'un certain nombre de sièges supplémentaires au Parlement soient attribués à certains États membres jusqu'à la fin de la septième législature ».
C'est pour la désignation de ces deux observateurs que le Premier ministre a écrit le 30 novembre dernier au Président de l'Assemblée nationale en lui demandant de faire désigner par l'Assemblée nationale ces deux observateurs parmi les députés, l'un appartenant à un groupe de la majorité et l'autre à un groupe de l'opposition.
Je crois qu'il faut très clairement distinguer la question de ces deux observateurs - sans droit de vote au sein du Parlement européen et sans effet juridique sur les travaux du Parlement européen - de celle des deux députés supplémentaires qui seront des députés européens à part entière lorsque le protocole sera entré en vigueur et lorsque la loi française aura été modifiée à cet effet. La lettre du Premier ministre peut donner à penser que ces deux observateurs deviendront obligatoirement les deux députés européens supplémentaires, mais cela ne ressort aucunement des dispositions européennes et est laissé à l'appréciation de chaque État membre. Il reviendra donc au législateur français d'en décider lorsque l'on modifiera la loi de 1977.
M. Richard Yung. - Je comprends qu'il y aura donc une nouvelle modification de la répartition des sièges avec l'adhésion probable de la Croatie à l'Union européenne.
M. Hubert Haenel. - C'est le cas pour chaque nouvelle adhésion. Dès qu'un État rejoint l'Union, il faut prévoir sa représentation au sein du Parlement européen. Et, comme on a inscrit dans les traités un nombre maximal de membres du Parlement européen et que l'on a déjà atteint ce nombre maximal, il est nécessaire de procéder à une nouvelle répartition entre tous les États membres.
M. Richard Yung. - Durant la période transitoire, est-ce que tous les parlementaires européens désignés par les États membres auront ce statut d'observateur et non celui de député européen à part entière ?
M. Hubert Haenel. - Ce sera bien le cas.
M. Richard Yung. - Je considère que ce n'est pas une bonne idée de faire désigner des parlementaires européens par le parlement national. Ce fut longtemps le cas pour les représentants des Français de l'étranger. Dans les faits, cela revenait à traiter ces Français comme des citoyens de second rang. À mon sens, les deux nouveaux parlementaires européens devraient être élus.
M. Hubert Haenel. - Il faudra y veiller pour l'avenir. Nous pouvons d'ailleurs d'ores et déjà interroger le Gouvernement sur ses intentions dans la perspective de la modification de la loi de 1977.
M. Richard Yung. - Ces deux nouveaux parlementaires européens pourront-ils cumuler les indemnités relatives à leurs mandats ?
M. Hubert Haenel. - Les observateurs restent parlementaires nationaux et continuent donc de percevoir leurs indemnités nationales. Le règlement du Parlement européen prévoit que « le traitement qui leur est réservé est assimilé à celui d'un député au Parlement européen en ce qui concerne l'utilisation des facilités du Parlement et le remboursement des frais exposés dans le cadre de leurs activités d'observateurs ». On peut en déduire qu'ils devraient bénéficier des indemnités journalières attribuées aux députés européens ainsi que d'assistants.
M. Yann Gaillard. - Pourront-ils encore exercer leur mandat de député dès lors qu'ils auront été désignés comme observateurs par leur parlement national ?
M. Richard Yung. - L'Assemblée nationale pourrait-elle désigner des observateurs qui ne soient pas députés ?
M. Hubert Haenel. - Le cumul des deux fonctions sera en pratique difficile, mais il est juridiquement autorisé. Ce n'est que pour les députés européens supplémentaires à part entière que le cumul sera interdit.
Le règlement du Parlement européen prévoit expressément que le parlement national peut désigner des observateurs, mais seulement « parmi ses propres membres » lorsqu'il s'agit d'un État ayant signé un traité d'adhésion. En revanche, dans le cas présent, il mentionne seulement que « les États membres concernés sont invités à désigner des observateurs conformément à leur législation nationale ».