Disponible au format PDF (263 Koctets)
Mercredi 7 octobre 2009
- Présidence de M. Hubert Haenel -Institutions européennes - Budget communautaire
Évaluation de
l'activité des agences européennes1(*)
Rapport d'information de M. Denis
Badré
M. Denis Badré. - Le développement des agences européennes n'est plus un phénomène marginal. Il soulève non seulement des problèmes de maîtrise des moyens budgétaires qui sont alloués aux agences, mais aussi de respect du principe de subsidiarité puisqu'il complique les relations entre la Commission européenne, les États membres, les agences européennes et les agences nationales.
Le débat sur les agences européennes n'est pas nouveau, mais il était surtout focalisé sur la place qu'elles devaient occuper dans le paysage institutionnel de l'Union européenne. L'accord interinstitutionnel proposé par la Commission européenne en 2005 n'avait pas reçu de suite de la part du Conseil, qui avait estimé qu'il était dépourvu de base juridique.
Cette question institutionnelle demeure entière. En mars 2008, la Commission a présenté une communication, intitulée Agences européennes - Orientations pour l'avenir, dans laquelle elle « estime que le moment est venu de rouvrir le débat sur le rôle des agences et sur leur place dans le système de gouvernance de l'UE ». Ce débat gagnerait toutefois à aller plus loin et à aborder la question des moyens des agences et de l'amélioration de leur gestion, ainsi que celle du respect du principe de subsidiarité.
En effet, notre attention a été appelée par la progression très importante des moyens alloués aux agences, d'autant plus que l'usage de ces ressources toujours croissantes ne semble faire l'objet d'aucun contrôle véritable. Cette analyse a été confirmée par le rapport spécial que la Cour des comptes européenne a consacré, en juillet 2008, à l'évaluation des agences et qui a mis en évidence les lacunes de celle-ci.
Il m'a semblé important, compte tenu du sujet, que mon rapport soit établi au nom de la commission des finances et de la commission des affaires européennes. Pour ce rapport, j'ai effectué un déplacement à Bruxelles, où j'ai rencontré un conseiller de notre représentation permanente, un membre du cabinet de la commissaire européenne de l'époque en charge du budget, ainsi que plusieurs fonctionnaires de la Commission européenne, issus de différents services. Cette réunion a d'ailleurs donné l'occasion à ces fonctionnaires communautaires de travailler ensemble, ce qui n'est probablement pas toujours le cas. Je suis ensuite allé à Lisbonne, où se trouve le siège de deux agences européennes, l'Observatoire européen des drogues et toxicomanies et l'Agence européenne de sécurité maritime, puis à Angers, où se trouve l'Office communautaire des variétés végétales, qui présente la particularité d'être une agence auto-financée. Enfin, j'ai entendu, à Paris, la direction du budget, les correspondants nationaux des deux premières agences précitées, la direction des affaires maritimes et la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), ainsi que la directrice française de l'Agence européenne pour la sécurité des aliments, dont le siège se trouve à Parme.
La banalisation du recours aux agences comme mode de fonctionnement institutionnel de l'Union européenne évoque un phénomène d' « agenciarisation ». Les agences, en effet, occupent une place grandissante dans le paysage institutionnel de l'Europe. Elles ne relèvent toutefois pas d'un statut juridique unique. Il existe deux principales catégories d'agences :
- les agences de régulation, dites aussi agences décentralisées car leurs sièges sont répartis sur le territoire de l'Union européenne, sont des organismes de droit public européen distincts des institutions communautaires et dotés d'une personnalité juridique propre, sans limitation de durée. Il n'existe pas, en effet, de dispositions générales régissant la création et le fonctionnement des agences de régulation. Ce sont les agences de régulation qui font l'objet de l'essentiel de mon rapport ;
- les agences exécutives sont des organismes institués par la Commission dans le but d'exécuter tout ou partie de programmes communautaires pour le compte de celle-ci, sous son contrôle et sa responsabilité. Ces agences sont également dotées de la personnalité juridique, mais leur existence a une durée déterminée. Leur siège est généralement établi à Bruxelles.
Il existe par ailleurs des entreprises communes chargées de la mise en oeuvre de projets de recherche et l'Institut européen d'innovation et de technologie (IET).
Le nombre d'agences a considérablement augmenté depuis l'institution de la première d'entre elles, en 1975. Il existe actuellement 43 organismes assimilés aux agences, dont 26 agences de régulation, qui illustrent le démembrement de l'administration communautaire. La multiplication du nombre d'agences a pris une ampleur considérable au cours des dernières années, en particulier depuis les années 1990, et s'est encore accélérée au cours des premières années de cette décennie.
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène : l'accroissement progressif des compétences de l'Union européenne, en particulier le développement du marché intérieur ; les élargissements successifs, chaque État membre revendiquant son agence, dont le siège se situe parfois dans des villes mal desservies par les transports, Vilnius ou Héraklion par exemple ; la volonté de dépassionner un antagonisme d'ordre politique en « technicisant » le débat ; la survenue de crises majeures qui ont fait apparaître un besoin de sécurité, en matière sanitaire ou écologique par exemple ; la recherche d'une plus grande réactivité et d'une plus grande souplesse de gestion, les services de la Commission étant tenus au respect de procédures plus lourdes.
La taille des agences est très variable. Celles-ci se voient confier des tâches multiples, telles que l'adoption de décisions individuelles produisant des effets juridiques contraignants à l'égard des tiers, la fourniture d'une assistance directe à la Commission et, le cas échéant, aux États membres, la réalisation d'activités opérationnelles - c'est le cas de l'Agence européenne pour la sécurité maritime -, la collecte, l'analyse et la mise en réseau d'informations - par exemple par l'Observatoire européen des drogues et toxicomanies.
La création de nouvelles agences intervenant dans des domaines parfois relativement proches d'autres pose la question d'éventuels recoupements de compétences. Il m'a même été indiqué que cette situation pouvait amener les agences à prendre des décisions parfois contradictoires.
L'existence des agences soulève la question du positionnement institutionnel de celles-ci. Elles sont en effet chargées de préparer, sur le plan technique, les décisions de la Commission, mais sont-elles vraiment autonomes dès lors que la Commission siège à leur conseil d'administration ? Au contraire, quelle est la marge de manoeuvre de la Commission au moment de décider ? La tentation peut être grande pour celle-ci de s'en remettre systématiquement aux avis des agences, dont l'autonomisation sera alors grandissante, avec le risque d'une déresponsabilisation du politique.
J'ai également souhaité étudier les relations des agences européennes avec les États membres et leurs administrations. Ces relations sont, ici aussi, très hétérogènes. La plus-value des agences européennes par rapport à l'échelon national est inégale. Certaines agences ont des missions exclusives, qui ne se retrouvent pas au niveau des États membres. Le plus souvent, ces missions sont cependant complémentaires de celles des administrations et des agences nationales. Il peut aussi exister des cas de doublons, tous les États membres n'allouant pas les mêmes ressources administratives aux politiques publiques entrant dans le champ de compétences de telle ou telle agence. L'enchevêtrement des compétences entre les services de la Commission, les administrations nationales, les agences européennes et les agences nationales brouille l'appréciation que l'on peut avoir du respect du principe de subsidiarité.
La multiplication du nombre d'agences couvrant un champ de compétences de plus en plus vaste s'est logiquement traduite par une augmentation considérable des moyens qui leur sont alloués. Cette évolution a pris une telle ampleur au cours des dernières années qu'elle conduit à se demander si elle demeure maîtrisée.
Je ne souhaite pas multiplier les données chiffrées, me permettant de vous renvoyer sur ce point à mon rapport écrit.
Je rappelle simplement que les agences sont financées par une subvention du budget communautaire ou par des ressources propres ou par une combinaison des deux. La subvention aux diverses agences s'établit à environ 1,28 milliard d'euros en 2009, dont 537 millions pour les seules agences de régulation. Leurs budgets varient dans des proportions importantes, l'hétérogénéité des agences se retrouvant également en matière budgétaire. Les modalités du calibrage des subventions versées aux agences apparaissent largement perfectibles. En particulier, l'exécution du budget et les résultats des exercices précédents ne sont pas suffisamment pris en compte. Dans ces conditions, la plupart des agences présentent un excédent de trésorerie. La Commission a toutefois indiqué que, à l'avenir, le surplus de trésorerie serait déduit chaque année de la subvention des agences.
La subvention versée aux agences par le budget communautaire représente environ 1 % de celui-ci. En comparaison, leurs effectifs sont bien plus importants, puisque leur part constitue à peu près 15 % des effectifs des différentes institutions de l'Union européenne. Les diverses agences européennes disposent en 2009 de près de 6 500 emplois, dont plus de 1 600 contractuels. Ces effectifs ont connu une très forte progression en quelques années seulement. Entre 2004 et 2009, les agences européennes ont vu leurs personnels croître de plus de 160 %. En cinq ans, le nombre d'emplois dans les agences de régulation a plus que doublé ; il a été multiplié par plus de douze dans les agences exécutives. Enfin, on peut constater, parallèlement, une augmentation des effectifs de la Commission.
Alors que les moyens dont bénéficient les agences ont considérablement augmenté en quelques années seulement, leur contrôle et l'évaluation des résultats obtenus comportent des lacunes.
Jusqu'à une date récente, les données budgétaires concernant les agences étaient très parcellaires, voire quasi inexistantes. Seule une forte pression du Conseil a permis d'obtenir des informations budgétaires plus précises.
Quant au système d'évaluation des agences, il semble « tourner à vide ». Les carences en matière d'appréciation des résultats relevées par la Cour des comptes européenne, dans son rapport spécial de juillet 2008, ont mis en évidence les limites des modalités des évaluations existantes. Les agences font l'objet de diverses évaluations, internes et externes, ex ante et ex post. Ces évaluations font elles-mêmes régulièrement l'objet d'une analyse d'ensemble, dite méta-évaluation. La portée de ces évaluations demeure toutefois limitée. Comme l'a relevé la Cour des comptes européenne, les conseils d'administration des agences, auxquels les conclusions des évaluations sont transmises, se sont globalement peu préoccupés par les suites qui leur ont été données.
Quant au Parlement européen, il donne la décharge à la Commission pour l'exécution de son budget, et donc aux agences dont les crédits sont inscrits au budget de la Commission, alors même que la gestion de certaines agences fait l'objet de critiques parfois sévères, dont il n'est donc tiré aucune conséquence.
Le caractère récurrent des critiques mettant en évidence les insuffisances de la portée des évaluations des agences a conduit la Commission et le Conseil à présenter un certain nombre de propositions traduisant une volonté de progresser vers une meilleure gestion des agences.
D'une part, la Commission a annoncé, dans sa communication du 11 mars 2008, qu'elle procéderait à une évaluation approfondie des agences de régulation, dont les résultats seront présentés d'ici la fin de l'année ou en 2010. Il convient de noter que la Commission a indiqué qu'elle n'envisageait pas de créer de nouvelles agences tant que cette évaluation ne serait pas terminée, cet engagement ne prenant pas en compte les nouvelles agences dont l'institution a déjà été décidée. Pour le Conseil, il est important que cette évaluation ne constitue pas un exercice théorique supplémentaire et qu'elle se traduise au contraire par des résultats concrets, à la fois en termes budgétaires et de gouvernance.
D'autre part, la Commission a mis en place un groupe de travail interinstitutionnel sur les agences de régulation, qui réunit à ses côtés le Parlement européen et le Conseil, et qui doit discuter d'une approche commune applicable aux agences de régulation. C'est dans ce cadre que les principales décisions sur les agences devraient être négociées.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Le rapporteur général de la commission des finances avait déjà dénoncé, au niveau national, ce phénomène « d'agenciarisation », qui se développe maintenant au niveau européen. Les rapporteurs spéciaux de la commission des finances ont également engagé des travaux sur les relations entre les agences européennes intergouvernementales et les agences nationales. Je pense à un rapport récent sur l'articulation entre l'Agence spatiale européenne et le Centre national d'études spatiales français. L'activité des agences européennes vous paraît-elle apporter une réelle valeur ajoutée ?
M. Denis Badré. - Les agences européennes se dotent de personnels qui sont généralement de vrais experts dans leur domaine d'activités, reconnus comme tels par leurs pairs. Ces experts sont d'ailleurs souvent les seuls dans leurs États membres d'origine à disposer de ces compétences. Il n'en demeure pas moins que, étant soumis à un contrôle politique pour le moins ténu, ils ont tendance à l'autonomisation. J'ai bien ressenti cette situation lors de mon déplacement à Lisbonne, au siège de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies et de l'Agence européenne pour la sécurité maritime.
M. Hubert Haenel. - Les conclusions de notre rapporteur me satisfont d'autant plus que la commission des affaires européennes s'inquiète depuis plusieurs années de la prolifération d'agences aux statuts hétérogènes, qui bénéficient d'une subvention communautaire d'un montant total de 1,3 milliard d'euros par an. Au-delà de ces incidences budgétaires, le développement des agences appelle aussi notre attention sur le respect du principe de subsidiarité.
Plusieurs membres de la commission des affaires européennes ont, il y a quelques années, effectué un déplacement à La Haye, où se trouve le siège de deux agences, Europol et Eurojust, dont les personnels font du bon travail. Je rappelle que le traité de Lisbonne permettra aux parlements nationaux d'être associés au contrôle des activités d'Europol et à l'évaluation des activités d'Eurojust. J'observe également que nous éprouvons de grandes difficultés à obtenir du gouvernement des informations sur la façon dont ce contrôle et cette évaluation conjoints aux parlements nationaux et au Parlement européen seront organisés.
A l'occasion de la dernière COSAC, qui s'est tenue à Stockholm hier et avant-hier, le phénomène de la comitologie a été évoqué. Je rappelle qu'il s'agit d'environ 300 comités réunissant des experts nationaux, amenés à prendre environ 2000 décisions de nature prétendument technique, souvent en dehors de tout contrôle politique. Or, les affaires récentes des profils nutritionnels et du vin rosé obtenu par coupage ont montré que ces comités pouvaient prendre des décisions éminemment contestables.
M. Jean Arthuis. - Je voudrais savoir si l'on dispose des comptes consolidés de l'ensemble des agences européennes, auxquelles une subvention communautaire de 1,3 milliard d'euros est allouée cette année et qui bénéficient également, pour certaines d'entre elles, de ressources complémentaires.
M. Denis Badré. - Le budget des agences européennes est effectivement constitué d'une subvention du budget communautaire et, dans certains cas, du produit de redevances. Les informations budgétaires relatives aux agences sont encore lacunaires en dépit de progrès récents.
M. Jean-Claude Frécon. - J'étais loin de me douter de la complexité du phénomène des agences européennes et de l'ampleur des moyens qui leur sont attribués. Des doublons existent indubitablement. Le président Arthuis a évoqué la question du domaine spatial. Pour ma part, je souhaiterais rappeler que l'Union européenne dispose d'une agence des médicaments qui emploie 500 personnes, alors que la qualité des travaux de la Pharmacopée, accord partiel conclu dans le cadre du Conseil de l'Europe, est largement reconnue. Sans doute y aurait-il, dans ce domaine, matière à rationalisation des moyens. En ce qui concerne la comitologie, je considère que de véritables experts vinicoles n'auraient jamais proposé que le vin rosé résulte de coupages de vin blanc et de vin rouge. Enfin, il me semble que la Commission européenne devrait se montrer aussi exigeante pour le recrutement du personnel des agences qu'elle l'est pour l'application de la réglementation applicable aux collectivités territoriales dans les États membres.
Mme Nicole Bricq. - En ma qualité de rapporteur spécial des crédits de la mission Sécurité sanitaire, j'avais effectué, il y a deux ans, un contrôle sur les agences françaises en matière sanitaire. J'observe des similitudes entre les conclusions auxquelles j'avais abouti à l'époque et celles de Denis Badré, notamment en ce qui concerne la prolifération des agences, leur hétérogénéité et les risques de doublons. J'avais noté la puissance de la Direction générale Santé et protection du consommateur (SANCO) de la Commission européenne, qui explique les difficultés à exister de l'Agence européenne pour la sécurité des aliments, dont le siège se trouve à Parme. En application de la loi organique relative aux lois de finances, les emplois des agences françaises sont désormais inscrits en loi de finances. Les agences françaises doivent également respecter les termes des contrats d'objectifs et de moyens pluriannuels qu'elles concluent avec leur ministère de tutelle. Ce système existe-t-il au niveau européen ?
M. Richard Yung. - L'intitulé de certaines agences me paraît peu clair. Je constate que les experts nationaux qui siègent dans les conseils d'administration des agences européennes peuvent travailler dans des agences nationales qui, le cas échéant, se trouvent en concurrence avec ces agences européennes. Je pense par exemple à l'agence chargée de la protection des marques, dont le siège est à Alicante. Selon moi, le ministère des Affaires étrangères devrait s'impliquer davantage dans le fonctionnement des agences européennes. L'attribution du siège des agences donne lieu traditionnellement à des marchandages politiques très compliqués entre États membres. Je m'interroge sur les formes que la mutualisation des moyens de fonctionnement des agences pourrait prendre. Enfin, en ce qui concerne le budget des agences, certaines d'entre elles rétrocèdent à la Commission européenne une partie de leurs ressources propres, celle qui siège à Alicante en est un exemple.
M. Simon Sutour. - D'une manière générale, ce rapport pose la question du contrôle insuffisant des institutions communautaires et du déficit démocratique qui en résulte. Comme l'indiquait le président Haenel, la comitologie a été évoquée lors de la dernière COSAC à Stockholm. J'estime que la réponse de la commissaire Wallström sur ce point, qui a semblé limiter les problèmes à des défauts de communication, n'est pas satisfaisante. Je considère que les experts ont pour mission d'éclairer la prise de décision et non pas de décider eux-mêmes. Je constate toutefois que, dans l'affaire du vin rosé, l'action des parlementaires, notamment français, a permis de faire évoluer les choses dans la bonne direction. Le contrôle démocratique des agences européennes gagnerait à être développé, notamment grâce à une meilleure implication du Parlement européen et des parlements nationaux. Le contrôle des agences ne saurait être limité à celui exercé par les seules directions générales de la Commission.
M. Pierre Fauchon. - Je constate que, si bien des choses restent à faire pour améliorer le fonctionnement des agences européennes, un tel système a aussi des avantages, à condition qu'il soit soumis à un contrôle démocratique. Je me souviens également avoir rencontré des personnels de grande qualité à Eurojust et à Europol. Je me demande si nous n'aurions pas intérêt à entendre un commissaire européen sur cette question.
M. Jean Arthuis. - Quelles sont les principales différences entres les agences de régulation et les agences exécutives ? Je constate qu'il existe également des agences purement intergouvernementales.
M. Denis Badré. - Mon rapport comporte des développements sur cette distinction. Une agence de régulation est une structure autonome instituée sans limitation de durée. Au contraire, une agence exécutive est chargée d'une mission précise et ponctuelle et sa gestion est entièrement assurée par la Commission. Les problèmes soulevés par mon rapport concernent essentiellement les agences de régulation. L'existence de doublons est indéniable et pas seulement au niveau communautaire. Ainsi, je m'étais interrogé sur la création d'une Agence européenne des droits fondamentaux, chargée d'assurer la protection des droits de l'homme, alors que le Conseil de l'Europe détient une véritable expertise en la matière depuis 1949. La mutualisation des moyens de fonctionnement permettrait assurément de réaliser des économies, la plupart des « petites » agences consacrant une part importante de leurs effectifs à la gestion administrative. Enfin, je rappelle que, chaque année, le directeur d'une agence européenne est chargé de coordonner la position des différentes agences dans la procédure budgétaire.
M. Jean Arthuis. - Notre collègue Denis Badré conclut son travail par le dépôt d'une proposition de résolution. Je rappelle qu'aux termes du règlement du Sénat, seuls les membres de la commission des affaires européennes peuvent se prononcer sur ce texte.
*
A l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes et la commission des finances ont autorisé la publication de ce rapport d'information, paru sous le numéro 17 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :
*
Puis, la commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante :
Jeudi 8 octobre 2009
- Présidence de M. Hubert Haenel -Institutions européennes
Évolution du
rôle européen du Sénat
Rapport
d'information de M. Hubert Haenel
M. Hubert Haenel. - Pourquoi ce rapport ?
Tout d'abord, parce que l'hypothèque du second référendum irlandais est désormais levée. Même si des incertitudes subsistent encore sur la date d'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il est désormais acquis que ce traité s'appliquera bientôt. Or, lorsque nous avons révisé le Règlement du Sénat, nous avons laissé de côté les mesures à prendre pour mettre en oeuvre les nouvelles possibilités ouvertes par le traité de Lisbonne. Maintenant que l'entrée en vigueur de ce traité approche, il va falloir aborder ces questions. C'est pourquoi je propose, à la fin de ce rapport, des solutions possibles sur les points qui restent à trancher. Ces propositions sont une contribution au débat. Le groupe de travail présidé par le président du Sénat, et dont Bernard Frimat et Jean-Jacques Hyest sont co-rapporteurs, va examiner la question ; ensuite, c'est la commission des lois, puis la séance plénière qui décideront, mais je crois que nous sommes dans notre rôle en faisant des propositions.
Auparavant, j'ai voulu replacer ce problème dans le cadre plus général de l'évolution du rôle européen du Sénat. C'est l'actualité qui nous y invite. Au début de la semaine, Denis Badré, Simon Sutour et moi-même participions à la COSAC. Ils ne me démentiront pas si j'affirme que l'idée d'une forte implication des parlements nationaux dans la vie de l'Union fait désormais l'objet d'un très large accord au sein de la COSAC, alors qu'il y a encore quelques années, c'était un sujet de division. Aujourd'hui, chacun reconnaît que l'action européenne des parlements nationaux fait pleinement partie de l'effort pour résorber le « déficit démocratique » de l'Union. Et cela se traduit dans les pratiques des assemblées. Chaque semestre, le secrétariat de la COSAC fait un rapport sur l'évolution de ces pratiques - ce rapport est disponible sur le site de la COSAC - et chacun peut constater que la plupart des assemblées s'impliquent de plus en plus dans les questions européennes.
Au début de l'été, la Cour constitutionnelle allemande, comme vous le savez, a rendu un arrêt important qui va exactement dans ce sens, puisqu'elle a exigé un renforcement du rôle européen du Parlement allemand comme condition à la ratification du traité de Lisbonne. Je ne m'étends pas sur cet aspect car nous y reviendrons dans le courant de novembre, mais on voit bien quel est le sens de l'évolution.
Il y a un autre point dont je voudrais faire état toujours dans le même sens. Avant l'été, la Commission européenne a fait faire un sondage sur « les Français et la construction européenne ». C'est un sondage sérieux, portant sur 2 000 personnes, avec les procédures de l'« Eurobaromètre ». Et il montre qu'il y a dans l'opinion française une réelle attente à l'égard du Parlement national. Je cite quelques chiffres :
- 72 % des sondés estiment que « la construction européenne est trop éloignée des préoccupations des citoyens » ;
- 78 % des sondés considèrent que « la construction européenne se fait sans que les peuples soient suffisamment consultés » ;
- 69 % ne se sentent pas « bien informés sur le fonctionnement de l'Union européenne » ;
- 76 % des sondés estiment que « les hommes politiques français devraient davantage leur parler de l'Union européenne » ;
- 71 % estiment également que « les médias devraient davantage leur parler de l'Union européenne ».
Enfin, lorsqu'on les interroge sur le niveau auquel le débat européen devrait être organisé en priorité, les sondés placent en tête le niveau national, avec 50 % des réponses, loin devant le niveau européen ou le niveau local. La conclusion est claire : le Parlement national a un rôle européen à jouer, ce rôle est reconnu par le traité de Lisbonne, il constitue une exigence démocratique, et il existe une forte attente dans ce sens au sein de l'opinion publique.
J'ajouterai qu'au sein du Parlement français, le Sénat a un rôle particulier à jouer. Tout d'abord, le contrôle sur les affaires européennes est un domaine où les deux assemblées se trouvent placées à égalité. Elles le sont pour l'article 88-4, comme pour l'exercice des nouvelles responsabilités prévues par le traité de Lisbonne. Ensuite, l'enracinement du Sénat dans les collectivités territoriales lui donne un rôle spécifique pour rapprocher la construction européenne des citoyens. Enfin, le Sénat est bien placé pour faire valoir dans la durée et de manière indépendante certaines préoccupations comme la subsidiarité, la proportionnalité, la prise en compte des réalités locales. Nos travaux peuvent donc être très complémentaires de ceux de l'Assemblée.
Le rapport revient tout d'abord sur les étapes du développement du rôle européen du Sénat :
- la création d'une délégation parlementaire spécifique,
- l'article 88-4 de la Constitution,
- la mise en place de la réserve d'examen parlementaire,
- l'organisation de débats européens en séance,
- enfin, en 2006, la mise en place de la « procédure Barroso » de dialogue direct avec la Commission européenne.
Le rapport rappelle ensuite les acquis de la révision constitutionnelle pour ce qui concerne les questions européennes. Je sais que, sur la révision constitutionnelle considérée dans son ensemble, les avis sont pour le moins partagés, mais, pour ce qui est des questions européennes, on peut convenir que cette révision est un progrès :
- la délégation a été transformée en commission des affaires européennes,
- le champ des résolutions a été considérablement élargi,
- l'attribution d'une partie de l'ordre du jour au contrôle parlementaire a permis de mettre en place un suivi des résolutions européennes.
Sur cette base, le Règlement du Sénat a été revu et je crois que, là également, le progrès réalisé est indiscutable. Je voudrais rappeler en deux mots quel est le nouveau dispositif. Avec le nouvel article 88-4 de la Constitution, il y a deux catégories de textes européens :
- il y a tout d'abord les propositions d'actes (que l'acte ressortisse au domaine législatif ou au domaine réglementaire en droit français) ; ces propositions sont soumises au Sénat par le Gouvernement ; elles font l'objet du premier alinéa de l'article 88-4 ;
- il y a ensuite les autres documents, notamment les documents préparatoires ; cela peut être n'importe quel document, pourvu qu'il émane d'une institution de l'Union : un livre vert, un avant-projet, la convocation d'une réunion... Ces autres documents sont visés au deuxième alinéa de l'article 88-4.
Ces deux grandes catégories ne sont pas traitées de la même manière par le Règlement.
Pour les « autres documents » dont je viens de parler à l'instant, ceux qui ne sont pas une proposition d'acte, la règle est celle de l'examen préalable par notre commission. Concrètement, cela veut dire que, soit notre commission se saisit elle-même d'un de ces documents et adopte une proposition de résolution, soit c'est un ou plusieurs sénateurs qui déposent une proposition de résolution sur un de ces documents, et elle nous est renvoyée. Puis nous nous prononçons, et notre texte est envoyé à la commission compétente. La commission compétente dispose d'un mois pour statuer ; si elle n'a pas statué dans ce délai, le texte issu de notre commission est considéré comme adopté. Ensuite s'ouvre un délai de 10 jours maximum pour décider d'un éventuel examen en séance plénière.
Maintenant, pour les propositions d'actes soumises par le Gouvernement, la plupart des règles sont les mêmes, mais il y a une dérogation : dans les quinze jours suivant la transmission du texte par le Gouvernement, la commission compétente au fond peut se saisir directement de ce texte. Elle doit alors se prononcer dans le délai d'un mois. Dans ce cas, notre commission n'intervient pas, sauf si le débat est porté en séance plénière, auquel cas nous pouvons nous saisir pour avis. Mis à part ce cas particulier, la règle est l'examen préalable par notre commission, comme dans le cas précédent.
Au total, cette réforme du Règlement me paraît un vrai progrès, parce qu'elle concilie deux impératifs :
- le premier, aller plus vite, car c'est seulement au début du processus de décision que nous pouvons avoir une influence,
- le second, impliquer le maximum de sénateurs. Il ne faut pas que les questions européennes soient une chasse gardée, il faut au contraire que toutes les commissions s'en saisissent. Nous avons à faire une véritable mutation culturelle pour intégrer pleinement les aspects européens dans tous nos débats. Notre commission doit donner des impulsions et favoriser une cohérence d'ensemble, mais elle doit travailler en étroite coordination avec les autres commissions. C'est d'ailleurs ce qui se passe de plus en plus aujourd'hui et je m'en réjouis.
* *
*
J'en viens au dernier aspect du rapport : quelle réforme du Règlement devons-nous envisager pour mettre en oeuvre les nouvelles responsabilités données aux parlements nationaux par le traité de Lisbonne ? Je crois que le moment est venu de s'en préoccuper, car, selon toute probabilité, le traité de Lisbonne va entrer en vigueur à la fin de l'année ou au tout début de l'année prochaine, et il ne faudrait pas qu'il y ait un vide dans notre Règlement. Je crois donc que nous sommes dans notre rôle en attirant l'attention sur ce problème et en faisant des propositions.
Il y a deux points à régler, qui correspondent aux articles 88-6 et 88-7 de la Constitution (qui sont des articles conditionnels, subordonnés à l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne).
Je commence par l'article 88-7, qui est le cas le plus simple. Il s'agit du pouvoir pour le Sénat de s'opposer à l'utilisation d'une « clause-passerelle », c'est-à-dire schématiquement d'une des clauses qui permettent de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée. Quel est le mécanisme ? Le Conseil européen, à l'unanimité, déclare qu'il souhaite mettre en oeuvre une clause-passerelle. Les parlements nationaux sont informés. Un délai de 6 mois s'ouvre alors, pendant lequel tout parlement national peut déclarer qu'il s'oppose. L'opposition d'un seul Parlement suffit à bloquer l'utilisation d'une clause-passerelle.
Dans le cas de la France, pour faire jouer ce droit d'opposition, il faut que le Sénat adopte une motion dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale. Quelle doit être la procédure ? Il me paraît clair que la commission compétente, dans ce cas, doit être la commission des Affaires étrangères, puisque le sujet est assimilable à une modification des traités. Et cette décision importante doit être prise en séance plénière, ce qui ne posera pas de problème pratique puisque, d'après le traité, chaque Parlement dispose de six mois pour s'opposer à l'utilisation d'une clause-passerelle.
J'en viens à l'article 88-6 qui concerne, quant à lui, le contrôle de subsidiarité. Je rappelle que, dans le traité de Lisbonne, ce contrôle comprend trois aspects :
- toute chambre d'un parlement national peut adresser aux institutions de l'Union un « avis motivé » exposant les raisons pour lesquelles elle estime qu'un projet de la Commission ne respecte pas le principe de subsidiarité. C'est d'ailleurs ce que nous faisons déjà dans le cadre du dialogue direct avec la Commission européenne, mais pour l'instant ce dialogue est informel. Au contraire, avec le traité de Lisbonne, les avis motivés sont intégrés à la procédure de décision : lorsqu'un tiers des parlements nationaux ont adressé un « avis motivé », la Commission doit réexaminer son projet (pour les textes relatifs à la coopération policière et à la coopération judiciaire en matière pénale, ce seuil est abaissé à un quart) ; c'est ce qu'on appelle le carton jaune ;
- maintenant, si un projet d'acte législatif est contesté par la majorité des parlements nationaux et si la Commission décide cependant de le maintenir, le processus législatif est suspendu, et le Conseil et le Parlement européen doivent se prononcer sur la compatibilité de ce projet avec le principe de subsidiarité ; si le Conseil (à la majorité de 55 % de ses membres) ou le Parlement (à la majorité simple) donne une réponse négative, le projet est définitivement écarté ; c'est ce qu'on appelle le carton orange . Je précise que, pour le carton orange comme pour le carton rouge, chaque Parlement a 2 voix : une pour chaque chambre si le Parlement est bicaméral, deux pour l'unique cambre dans le cas contraire ;
- enfin, après l'adoption d'un texte, la Cour de justice peut être saisie d'un recours émanant d'un parlement national ou d'une chambre de celui-ci, afin que la Cour se prononce sur le respect de la subsidiarité ; c'est ce qu'on appelle le carton rouge.
Alors, tout d'abord, selon quelle procédure adopter les avis motivés sur la subsidiarité ?
Il faut savoir que le traité de Lisbonne donne huit semaines aux assemblées pour adopter un avis motivé. C'est un délai impératif et somme toute bref, compte tenu du nombre important des textes à examiner.
L'Assemblée nationale a déjà adopté une solution dans son Règlement. Dans le système retenu, tout député peut proposer un avis motivé, qui est renvoyé à la commission des affaires européennes. En tout état de cause, la commission des affaires européennes dispose de quatre semaines pour adopter un avis motivé. Cet avis motivé est ensuite transmis à la commission compétente au fond, qui doit se prononcer dans les 15 jours ; si elle ne s'est pas prononcée dans ce délai, elle est réputée avoir adopté l'avis motivé. Ensuite s'ouvre une période de 15 jours pour un examen éventuel en séance publique.
Donc dans le système retenu par l'Assemblée nationale, les avis motivés de l'article 88-6 sont adoptés selon la même procédure que les résolutions de l'article 88-4, mais avec des délais bien plus courts.
C'est une solution concevable, mais j'avoue ne pas être convaincu. En pratique, il me semble que, pour notre commission, disposer seulement de quatre semaines pour examiner en détail des textes nombreux et compliqués, et adopter un projet d'avis motivé, c'est vraiment un délai très court.
De plus, il ne me paraît pas justifié d'adopter des procédures similaires pour l'article 88-4 et l'article 88-6. Ce sont en réalité des procédures très différentes.
Dans les deux cas, les assemblées n'ont pas les mêmes interlocuteurs : dans le cas de l'article 88-4, c'est le Gouvernement qui soumet les textes et qui est destinataire des résolutions ; dans le cas des avis motivés, ce sont les institutions européennes qui adressent directement les textes aux parlements nationaux et qui reçoivent les avis motivés.
Les deux procédures n'ont pas le même objet : l'article 88-4 permet à chaque assemblée de prendre position, à l'intention du Gouvernement, sur le fond d'un texte ; l'avis motivé adressé aux institutions de l'Union concerne uniquement le respect du principe de subsidiarité et ne peut donc porter sur le fond du texte.
Elles n'ont pas non plus le même esprit : l'article 88-4 est un instrument de contrôle du Gouvernement, de dialogue entre le Parlement et le Gouvernement ; c'est une procédure nationale. L' « avis motivé » est une procédure européenne, mettant directement en rapport les parlements nationaux avec les institutions de l'Union, et incitant les parlements nationaux à se concerter entre eux puisque c'est seulement si un tiers des parlements nationaux ont adressé un avis motivé - un quart lorsqu'il s'agit de la coopération judiciaire en matière pénale ou de la coopération policière - que le projet d'acte législatif « doit » être réexaminé.
Pour ma part, il me semblerait plus approprié que ce soit notre commission qui soit compétente pour les avis motivés, comme nous le sommes déjà, en pratique, pour les « observations » adressées à la Commission européenne dans le cadre du dialogue direct initié par le président Barroso.
Ce serait justifié sur le plan des principes, car les avis motivés ne portent pas sur le fond même du texte : il n'est donc pas indispensable que la commission compétente au fond soit saisie.
Ce serait justifié, surtout, sur le plan pratique, car nous aurions un délai plus raisonnable pour remplir notre mission. De fait, notre assemblée a été la plus active dans le dialogue direct avec la Commission européenne notamment parce qu'en pratique nous avions adopté cette solution très simple ; c'est je crois un bon argument pour la reconduire.
J'aurais donc tendance à proposer que notre commission soit compétente pour les avis motivés et qu'elle dispose de six semaines après la transmission d'un texte pour adopter un avis motivé, soit de sa propre initiative, soit à l'initiative de tout sénateur.
Ensuite s'ouvrirait une période de deux semaines pour s'opposer, le cas échéant, à notre décision. Il me semble peu réaliste que l'instance d'appel soit la séance publique, compte tenu des délais très brefs. Je propose donc que notre décision puisse être contestée dans les trois jours suivant son adoption par tout président de groupe ou de commission, et que ce soit la Conférence des présidents qui tranche dans les dix jours. A défaut de décision de la Conférence des présidents dans les dix jours, l'avis motivé deviendrait définitif.
Il me semble que cette solution nous permettrait de travailler dans de bonnes conditions sans donner à notre commission un rôle excessif, car il me semble que s'il y a un vrai problème politique, on arrivera toujours à réunir la Conférence des présidents.
Enfin, j'en viens aux recours devant la Cour de justice en matière de subsidiarité. Il me semble que l'initiative devrait être accordée à tout sénateur, que l'organe d'instruction devrait être notre commission dès lors qu'elle serait compétente pour les avis motivés, et que la décision devrait être prise en séance plénière. Dans ce cas, il sera en effet possible d'aller sans difficulté en séance publique, car on se trouvera à l'extrême fin du processus d'examen du texte européen, face à un problème bien connu, et l'instruction pourra donc être très rapide.
Je rappelle que, en tout état de cause, un recours devra être adressé à la Cour de justice dès lors que soixante députés ou soixante sénateurs en feront la demande.
* *
*
Ces propositions, je l'ai dit, sont là pour ouvrir le débat. Je ne prétends pas que les solutions que je viens de proposer soient les meilleures possibles, nous verrons les autres propositions qui seront faites : mais, en tout cas, le moment est venu pour que le Sénat aborde cette question si nous voulons être prêts lorsque le traité entrera en vigueur.
M. Denis Badré. - Ce rapport vient à son heure. A une époque pas si lointaine, nous avions l'impression de déranger en parlant d'Europe. Aujourd'hui, ce n'est plus vrai, et le traité de Lisbonne reconnaît un rôle aux parlements nationaux. Plus généralement, il y a une avancée de fond vers un fonctionnement plus démocratique de l'Union. Nous devons apporter notre pierre et faire vivre le nouveau dispositif.
En France, le dialogue direct entre la Commission européenne et les assemblées est apparu comme une nouveauté exorbitante ; dans les autres pays, il a été plus facilement admis. Ce dialogue doit vraiment entrer dans les moeurs et le Gouvernement doit l'accepter.
La subsidiarité va être au coeur des débats européens, qu'il s'agisse du budget ou de l'exercice des compétences. Nous devons aller vers des partages de responsabilité plus précis et mieux compris. Le dialogue sur la subsidiarité est en soi quelque chose de très sain : il doit aider à sortir de la confusion.
Je voudrais par ailleurs souligner trois points.
Tout d'abord, nous avons besoin de relations plus structurées entre le Parlement européen et les parlements nationaux. Aujourd'hui, il y a la COSAC, au sein de laquelle le Parlement européen ne pèse pas très lourd, et les réunions interparlementaires organisées à Bruxelles, où ce sont les parlements nationaux qui pèsent trop peu. Il faudrait parvenir à un dialogue équilibré, ce qui suppose qu'il soit mieux structuré, mieux encadré.
Deuxième point : quand on dit qu'il faut impliquer les parlements nationaux dans les questions européennes, cela signifie qu'il faut que tous les parlementaires nationaux s'impliquent. L'Europe doit devenir l'affaire de tous, et, pour cela, il faut notamment multiplier les travaux communs entre notre commission et les autres commissions du Sénat.
Troisième point : qui contrôle quoi ? Quelle est la part des parlements nationaux dans le contrôle de l'Exécutif européen ? J'ai été frappé, en découvrant comment travaille le Riksdag suédois, du contrôle très étroit qu'exercent les députés suédois sur leur gouvernement. Je ne dis pas que nous devons les imiter, mais je crois qu'il faut réfléchir à un meilleur contrôle.
M. Simon Sutour. - Effectivement, ce rapport intervient à un moment important. Les questions européennes ne vont plus être traitées de la même façon. Le traité de Lisbonne va entrer en application ; il y a eu la révision constitutionnelle, puis la réforme du Règlement.
Notre commission n'a plus grand-chose à voir avec la délégation à laquelle elle a succédé. Je ne sais pas combien de temps nous pourrons conserver la règle selon laquelle les membres de notre commission doivent être également membres d'une autre commission. En pratique, il va falloir choisir. Je comprends les réticences, mais je ne vois pas comment, les uns et les autres, nous arriverons à tout faire.
Je crois, moi aussi, que le dialogue avec le Parlement européen n'est pas assez développé, et qu'il sera désormais plus nécessaire. Quand j'étais rapporteur de la réforme de l'OCM viti-vinicole, on m'avait dit : inutile de rencontrer les parlementaires européens, dans ce domaine ils donnent simplement un avis ; avec le traité de Lisbonne, ce sera désormais la procédure de codécision qui s'appliquera. En même temps, les parlementaires européens souhaitent que les parlementaires nationaux relaient leurs préoccupations auprès des gouvernements. Il faut donc sortir de l'indifférence réciproque. Je souhaite qu'il y ait davantage d'auditions de parlementaires européens. L'audition d'Alain Lamassoure, la semaine dernière, n'était pas un bon exemple, car elle a eu lieu pendant les journées parlementaires socialistes, ce qui nous a empêchés d'y assister, mais, sur le principe, je crois qu'il faut multiplier les auditions de ce type. Je souscris globalement aux propositions figurant dans le rapport, sauf en ce qui concerne la procédure d'appel pour les avis motivés. La Conférence des présidents ne me paraît pas une instance adéquate car elle amplifie les majorités...
M. Hubert Haenel. - Désormais, la Conférence des présidents vote selon une pondération : les voix de chaque président de groupe dépendent des effectifs de son groupe.
M. Christian Cointat. - La Conférence des présidents est devenue un organe représentatif.
M. Simon Sutour. - Malgré tout, je préfèrerais que, en cas d'appel, il y ait une décision en séance publique, ou alors que ce soit éventuellement la commission compétente au fond qui soit l'instance d'appel.
Mme Monique Papon. - Ce rapport est intéressant et utile ; je dirais qu'il est fondateur pour notre commission. Je suis d'accord pour dire qu'il faut essayer d'impliquer tous les parlementaires dans les questions européennes, mais il faut reconnaître qu'il y a beaucoup de chemin à faire ! Si nous voulons que les sénateurs soient présents en séance plénière pour les débats européens, il faut donner de meilleurs créneaux horaires pour ces débats. Il faut que nous soyons vigilants sur ce point.
Je comprends la nécessité d'une plus grande concertation entre parlements ; le rôle de la COSAC a été évoqué, mais je note qu'avec 27 parlements, il y a déjà 40 assemblées : ce ne sera pas simple de mettre en place un réseau qui fonctionne !
Mme Annie David. - Il était bon de lancer la réflexion, alors que le traité de Lisbonne va changer les choses. Je suis d'accord pour une meilleure implication des parlements nationaux, et pour reconnaître qu'il y a beaucoup à faire pour cela dans notre pays. Mais cela concerne aussi le Gouvernement : j'observe qu'à l'occasion de l'examen par le Sénat du projet de loi sur le Grenelle de l'Environnement, le Gouvernement a obtenu une habilitation à transposer par ordonnances certaines directives européennes. Pour que les parlementaires puissent s'impliquer, il faut aussi que le Gouvernement accepte de jouer le jeu !
M. Pierre Fauchon. - Je voudrais revenir sur deux points.
Le premier est la spécialisation de notre commission. Je reconnais que l'appartenance à deux commissions pose à chacun de nous des problèmes compliqués. Mais on ne peut pas mettre à part les questions européennes : elles sont indissociables des affaires nationales. Nous le voyons pour les résolutions de l'article 88-4 : notre commission doit ouvrir la voie, mais pour les textes importants, il faut que la commission saisie au fond intervienne, car il y a toujours un lien entre affaires européennes et nationales.
Deuxième point : il ne faut pas se faire d'illusions sur ce que peuvent faire aujourd'hui collectivement les parlements nationaux. Avec quarante assemblées, cela devient très lourd. Il faut associer étroitement les parlements nationaux, les informer, leur donner un rôle en matière de subsidiarité, mais si nous devons aller vers une vraie structure fédérale en Europe, il faudra poser le problème autrement. Dans une structure fédérale, il faut une seconde Chambre représentant les États membres : il y a une première Chambre représentant les citoyens et une seconde Chambre représentant les États. Et ces représentants des États, dans le cas de l'Europe, devraient être élus par les parlements nationaux. Je crois qu'il faudra un jour en arriver là et je souligne que cela ne réduirait pas le rôle de chaque parlement à l'échelon national. On nous dit que le Conseil des ministres est déjà une seconde Chambre : ce n'est pas tenable. Le Conseil est une instance intergouvernementale, ce n'est pas une assemblée parlementaire.
Mme Bernadette Bourzai. - J'ai également été intéressée par le rapport ; mes observations rejoignent celles de Simon Sutour : appartenir à deux commissions devient de plus en plus difficile, il faudra trouver une solution. Je crois que nous avons intérêt à nous rapprocher des autres parlements nationaux et à développer les auditions de présidents de commissions du Parlement européen : en effet, même si le budget européen demeure relativement modeste, les prochaines perspectives financières auront une importance capitale pour l'avenir de la politique agricole commune et de la politique de cohésion. Nous devrons nous faire entendre.
M. Jean Bizet. - Je partage la plupart des observations qui ont été faites, d'où qu'elles viennent ; c'est un signe de maturité de notre commission, à mon avis, qu'il n'y ait pas entre nous d'opposition systématique sur tous les sujets, même si ce climat nous est parfois reproché. Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour faire partager nos préoccupations à tous nos collègues. On entend moins les slogans simplistes sur le thème : « C'est la faute à l'Europe », mais il y a encore une grande méconnaissance de la construction européenne. Je crois qu'il faut améliorer les rapports avec le Gouvernement en amont et en aval des réunions du Conseil. Le débat avant les réunions du Conseil européen est parfois artificiel. Dans les pays d'Europe du Nord, c'est presque un mandat que les parlements donnent au Gouvernement ...
M. Pierre Fauchon. - Au Danemark, c'est un mandat !
M. Jean Bizet. - Il faut en tout cas un dialogue plus serré et un suivi des positions qui sont prises. Ce n'est pas seulement un problème à l'échelon national. À l'échelon européen, le commissaire Mandelson avait un mandat du Conseil pour négocier le cycle de Doha, et, quand on regarde attentivement le « pré-accord » agricole accepté par l'Europe en juillet 2008, on voit que ce mandat a été transgressé.
M. Christian Cointat. - J'approuve le rapport et je me reconnais dans la plupart des observations des autres intervenants. Je dirais volontiers qu'il faut trouver un juste milieu entre l'Europe du Nord et notre situation. Si nous avions vingt-sept mandats impératifs autour de la table du Conseil, tout serait bloqué ; pour autant, on ne peut accepter que le Gouvernement se borne à nous informer et à nous écouter poliment : il faut un réel dialogue, qui nous permette d'avoir une influence.
M. Simon Sutour. - Je partage ce point de vue. Lors des débats qui précèdent le Conseil européen, les orateurs sont souvent loin du sujet, car ils ne croient pas pouvoir influencer le Gouvernement. Et je ne parle pas de la dévalorisation qu'entraîne, le cas échéant, le recours au « petit hémicycle ».
M. Hubert Haenel. - Je voudrais tout d'abord indiquer que notre collègue Robert Badinter m'a fait savoir qu'il approuvait le rapport.
Je suis d'accord avec Denis Badré pour constater que le nouveau rôle des parlements nationaux heurte des habitudes bien ancrées du côté gouvernemental. Nous rencontrons des résistances ; malheureusement, il faut encore exiger pour exister. Pour les relations avec le Parlement européen, nous venons de loin : il n'y avait pas d'habitude de travail en commun ; maintenant les choses vont en s'améliorant. Les réunions organisées conjointement par le Parlement européen et le Parlement du pays exerçant la présidence sont un bon moyen d'arriver à un équilibre dans les droits d'expression. Il est difficile de définir l'Exécutif européen, le contrôle doit prendre diverses voies ; en tout cas, il est sûr que nous devons contrôler notre propre Exécutif : c'est un des aspects de la question.
Je reconnais que Simon Sutour pose un vrai problème en soulignant la difficulté de participer à la fois à nos travaux et à ceux d'une autre commission. Il faut d'abord chercher des solutions sur le plan pratique. Pour ce qui est de la procédure d'appel pour les avis motivés, on peut certainement améliorer mes propositions, par exemple prévoir un passage en séance publique et un recours à la Conférence des présidents seulement si ce n'est pas possible. Je ne prétends pas avoir fourni tout de suite la solution idéale. En revanche, je ne partage pas les critiques concernant le « petit hémicycle » : la parole y est plus libre et davantage de collègues peuvent intervenir.
Comme Monique Papon, je crois que nous devrons faire vivre de notre mieux les procédures introduites par le traité de Lisbonne, et qu'il faut pour cela renforcer la concertation interparlementaire. La présidence espagnole a été chargée par la COSAC de s'emparer du sujet. Déjà, le 12 décembre prochain, les présidents de Parlement vont aborder ce sujet essentiel.
Je répondrai à Annie David que le problème des transpositions de directives par ordonnances revient régulièrement : c'est effectivement inacceptable dès lors qu'il ne s'agit pas de textes de nature technique. Nous avons de la peine à nous faire entendre en amont de l'adoption des textes, si nous sommes écartés aussi de la transposition, le Parlement est squeezé.
Je crois que Pierre Fauchon a raison de vouloir que notre commission ne devienne pas une commission spécialisée, et qu'elle travaille avec les autres commissions. Pour ce qui est de la seconde Chambre, nous avons essayé de lancer le débat durant la Convention : ce fut une levée de boucliers. Mais je crois que les esprits évolueront. Je reste attaché à l'idée d'un « Congrès » qui se réunirait une fois par an pour un grand débat, une reddition des comptes, et qui pourrait jouer un rôle dans la révision simplifiée des traités ; cette instance permettait d'associer régulièrement des délégués des parlements nationaux à la vie de l'Union. Au stade actuel de la construction européenne, ce serait à mon avis une formule bien adaptée.
Je suis d'accord avec Bernadette Bourzai pour renforcer les contacts avec le Parlement européen, notamment dans la perspective de la révision des perspectives financières et des enjeux de celle-ci pour la PAC.
Comme Jean Bizet, je me réjouis que la « politique politicienne » n'ait pas une trop grande place dans nos travaux. Je voudrais souligner que, désormais, avec le traité de Lisbonne, les parlementaires ne pourront plus se défausser sur l'Europe : comme ils auront désormais des instruments d'intervention, ils auront à rendre compte de leur utilisation. S'ils critiquent un texte européen, on pourra leur répondre : « Pourquoi n'avez-vous rien fait ? ».
Pour nos rapports avec le Gouvernement, je ne rêve pas d'un mandat impératif, qui serait d'ailleurs contraire à la Constitution, mais je constate que nous sommes loin du « juste milieu » que Christian Cointat propose à bon droit.
* 1Cette réunion est en commun avec la commission des finances.