Mercredi 22 juillet 2009
- Présidence de Mme Catherine Procaccia, présidente -Constitution du bureau
La commission spéciale a tout d'abord procédé à la nomination de son bureau :
- présidente : Mme Catherine Procaccia ;
- vice-présidents : MM. Jacques Legendre, Claude Jeannerot, Daniel Dubois, Mme Annie David, M. Jean-Pierre Plancade ;
- secrétaires : M. Alain Gournac, Mmes Maryvonne Blondin, Gisèle Printz, Sylvie Desmarescaux ;
- rapporteur : M. Jean-Claude Carle.
Audition de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi
Puis elle a entendu M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, sur le projet de loi n° 578 (2008-2009), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, a tout d'abord fait valoir que l'examen du projet de loi par le Sénat constituera une étape importante de l'élaboration de ce texte, compte tenu de l'intérêt soutenu que la Haute Assemblée a porté à cette question au cours des dernières années, notamment à travers le rapport de la mission d'information présidée par Jean-Claude Carle, considéré comme une référence par les spécialistes de la formation.
La réforme du système de formation professionnelle est urgente. L'organisation actuelle a été bâtie à une époque où le salarié exerçait le même métier dans la même entreprise tout au long de sa carrière. Aujourd'hui, au contraire, chacun a besoin d'apprendre plusieurs métiers au cours de sa vie professionnelle et d'actualiser sans cesse ses compétences.
Le projet de loi devra apporter des solutions aux insuffisances principales du dispositif de formation professionnelle :
- plutôt que de corriger les inégalités, le système contribue à les renforcer. Ainsi, les salariés des petites et moyennes entreprises (PME) ont trois fois moins de chances d'accéder à la formation professionnelle que ceux des grands groupes. Les ouvriers ont une chance sur sept d'accéder à la formation, tandis que les cadres ont une chance sur deux d'en bénéficier ;
- la formation professionnelle est organisée de manière trop cloisonnée, selon une logique de métier ou de branche devenue trop étroite ;
- enfin, le dispositif manque de transparence et de lisibilité.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, a déclaré se méfier des réformes prétendant bouleverser l'ensemble d'un système, marquant sa préférence pour une évolution centrée sur quelques objectifs précis. Pour cette raison, le projet de loi est construit autour de trois axes :
- afin d'améliorer l'équité du système, les financements doivent être orientés vers ceux qui en ont le plus besoin, à savoir les demandeurs d'emploi, les salariés faiblement qualifiés et ceux des PME et des branches qui ne disposent pas de moyens suffisants pour se développer. La création du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels permettra de redéployer 13 % des fonds de la formation vers des publics prioritaires, en particulier les salariés des petites entreprises, afin d'éviter que les contributions de ces entreprises servent à financer la formation des salariés des grands groupes ;
- l'emploi doit être le seul et unique objectif de la formation professionnelle. A cet égard, le projet de loi permettra aux salariés de conserver le droit individuel à la formation (Dif) en cas de changement d'entreprise ou de perte d'emploi, de faire financer plus facilement un congé individuel de formation (Cif), d'effectuer régulièrement des bilans d'étape professionnels, enfin de consigner leurs expériences et qualifications dans un passeport orientation et formation.
Par ailleurs, la future loi mettra fin à une situation dans laquelle les trois quarts des demandes de formation des demandeurs d'emploi n'aboutissent pas. Ces derniers pourront désormais suivre une préparation opérationnelle à l'emploi (POE) permettant de les orienter vers une profession qui offre des débouchés ;
- la réforme devra aussi rendre le système de formation plus transparent et plus lisible. Les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) sont aujourd'hui une centaine et forment un maquis complexe et incontrôlable. A l'avenir, le nombre des Opca sera limité, ceux-ci seront évalués tous les trois ans et soumis aux règles de la concurrence. L'offre de formation sera également mieux contrôlée pour lutter contre le manque de professionnalisme de certains organismes et empêcher que le système de formation serve à financer des mouvements sectaires. Tous les stagiaires devront connaître à l'avance le contenu et les objectifs de la formation qu'ils s'apprêtent à suivre.
Enfin, le projet de loi doit permettre d'améliorer le pilotage et l'évaluation du système. A cet égard, la réforme du plan régional de développement des formations (PRDF), loin de marquer une recentralisation de la formation professionnelle, permettra de sortir d'une logique dans laquelle les différents acteurs travaillent séparément pour mettre en oeuvre une contractualisation et un partenariat.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, a conclu son propos en indiquant que le projet de loi a été élaboré sur la base d'une intense concertation. Après les travaux effectués par un groupe multipartite piloté par Pierre Ferracci, les partenaires sociaux ont conclu, à l'unanimité, en janvier 2009, un accord national interprofessionnel. Le Gouvernement a également souhaité laisser toute sa place à l'initiative parlementaire, et notamment sénatoriale. Si l'Assemblée nationale a apporté de nombreuses améliorations au texte, d'autres sont encore possibles, en particulier sur l'apprentissage, et notamment son développement dans le secteur public, la formation agricole, la formation initiale et la contractualisation du PRDF.
Mme Catherine Procaccia, présidente, s'est félicitée de la volonté du ministre de laisser toute sa place à l'initiative sénatoriale sur ce projet de loi, tout en regrettant que l'on envisage son inscription précipitée à l'ordre du jour au cours de la session extraordinaire de septembre.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur, après avoir fait part de l'agacement du Sénat face aux conditions de travail qui lui sont imposées, a salué un texte d'autant plus important et attendu qu'il repose sur un accord unanime des partenaires sociaux. Il a estimé que la réforme ne sera véritablement efficace que si elle revêt un caractère global en portant à la fois sur la formation initiale et sur la formation continue, et si elle permet d'inciter davantage les entreprises et les salariés à recourir à la formation professionnelle.
Le rapporteur, tout en approuvant la contractualisation du PRDF, qui permettra de sortir de la logique des compétences séparées pour mettre en oeuvre un véritable partenariat dans le cadre de compétences partagées, a souhaité que les partenaires économiques et sociaux soient eux aussi signataires de ce document. Rappelant que le fonds unique de péréquation (Fup) n'a pas parfaitement joué son rôle et que l'Etat a opéré des ponctions sur sa trésorerie, il a interrogé le ministre sur les moyens d'éviter que cette situation se reproduise dans le cadre du futur fonds de sécurisation des parcours professionnels. Il s'est enfin interrogé sur les moyens de développer le Cif et de mettre fin aux cloisonnements qui limitent son utilisation.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, s'est déclaré favorable à une meilleure association des partenaires sociaux à l'élaboration du PRDF sous réserve de ne pas alourdir les conditions de préparation de ce plan. Il a fait valoir que le mode de pilotage du Fup a changé, que l'Etat n'opère plus de ponction sur ce fonds et que 80 % de ses crédits sont consommés. Le fonctionnement du futur fonds de sécurisation des parcours professionnels donnera lieu à une convention entre l'Etat et les partenaires sociaux qui devra permettre d'éviter que l'argent versé au fonds soit ensuite simplement renvoyé aux Opca sans une véritable orientation vers les publics prioritaires. Quant au Cif, d'éventuelles mesures de facilitation de son utilisation seront naturellement accueillies favorablement par le Gouvernement.
Rappelant que la formation professionnelle mobilise 27 milliards d'euros, soit presqu'autant que le budget de la défense nationale, M. Serge Dassault a souhaité que cet argent serve prioritairement à ceux qui n'ont encore jamais eu d'emploi et qui sont mis à l'écart du système scolaire. Il a jugé nécessaire que les entreprises forment leurs salariés bien avant qu'interviennent des décisions de fermeture de sites, afin que chacun retrouve plus facilement un emploi.
A son tour, M. Alain Gournac a protesté contre le délai insuffisant laissé au Sénat pour examiner un projet de loi extrêmement important dans un contexte de crise économique ayant des conséquences très lourdes pour l'emploi. Il a plaidé pour une revalorisation, notamment au sein de l'éducation nationale, de l'image des métiers qui mettent en valeur l'intelligence de la main et qui sont aujourd'hui trop souvent considérés comme réservés à ceux qui ont échoué à l'école. La formation professionnelle doit permettre d'orienter les futurs salariés vers les secteurs qui vont offrir dans l'avenir des débouchés, par exemple les services d'aide à la personne.
M. Jacques Legendre, après avoir également regretté les conditions dans lesquelles le Sénat est conduit à examiner ce projet de loi, a souhaité que celui-ci permette un rapprochement entre la formation professionnelle et l'éducation nationale. Beaucoup de jeunes s'engagent dans la vie professionnelle avec un brevet d'études professionnelles (BEP) ou un bac professionnel et souhaiteraient ultérieurement pouvoir développer leurs compétences. Il est souhaitable de valoriser les acquis de leur expérience et de permettre à ceux qui, en entrant tôt sur le marché du travail, ont fait faire une économie de formation à l'Etat, de pouvoir par la suite bénéficier d'une reprise de formation lorsque celle-ci leur est utile pour progresser.
Mme Annie David, après s'être déclarée favorable aux grands principes posés par le projet de loi, a interrogé le ministre sur l'avenir du service public de la formation professionnelle, et notamment de l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), un transfert de son service d'orientation vers Pôle Emploi étant prévu par le projet de loi. Elle a souhaité que les fonds de la formation professionnelle bénéficient davantage aux PME tout en s'interrogeant sur les moyens de les inciter davantage à recourir à la formation pour leurs salariés.
M. Jean-Pierre Plancade a souligné la nécessité absolue de réformer un secteur dans lequel 27 milliards d'euros sont dépensés dans des conditions trop peu transparentes. La réforme doit notamment passer par la contractualisation et l'évaluation systématique ainsi que par une labellisation des organismes de formation qui permettrait de faire disparaître ceux qui n'exercent aucune activité ou font preuve d'un professionnalisme insuffisant. Il conviendrait en outre de mettre en oeuvre un véritable droit différé à la formation pour les jeunes qui sortent sans qualification du système scolaire.
M. Claude Jeannerot a fait valoir que les conditions dans lesquelles la commission spéciale est amenée à travailler ne sont pas convenables, regrettant que tous les projets de loi soient désormais examinés selon la procédure accélérée. La complexité du système de formation professionnelle, à laquelle le projet de loi ne remédie pas véritablement, justifierait pourtant une clarification des règles de gouvernance. Si l'Etat ne peut se désintéresser de ce secteur dès lors qu'il est compétent en matière d'emploi, les régions ont aujourd'hui le sentiment qu'un processus de recentralisation est en cours. Le transfert à Pôle Emploi des psychologues de l'Afpa, prévu par l'article 19, pose la question de la place et du rôle de l'orientation dans le système de formation professionnelle puisque l'Afpa bénéficiait jusqu'à présent d'une fonction d'orientation intégrée. Il est enfin indispensable de faire en sorte que toute personne s'engageant dans une formation soit informée sur le contenu et les objectifs de celle-ci pour éviter que l'argent public serve à financer des formations inefficaces.
M. François Patriat a observé que la clarté des propos du ministre contraste avec l'ambiguïté de certaines dispositions du projet de loi relatives à la gouvernance du système de formation professionnelle. Il a indiqué que la région Bourgogne consacre 160 millions d'euros à la formation professionnelle sur un budget total de 830 millions et que 70 % des apprentis formés trouvent un emploi dans les trois mois, notamment dans des secteurs tels que le bâtiment. Il a toutefois mis en avant l'inégalité des moyens accordés aux centres de formation des apprentis (CFA), qui contraignent les régions à faire des efforts particulièrement importants pour certains d'entre eux. Constatant que l'utilisation de l'argent de la formation professionnelle n'est pas suffisamment efficace, pour des raisons indépendantes de la volonté des régions, il s'est prononcé pour une collecte décentralisée au niveau régional des moyens de la formation professionnelle et a souhaité que la contractualisation entre l'Etat, les régions et les partenaires sociaux ne marque pas une recentralisation de cette compétence.
Mme Bernadette Bourzai a observé que l'accord national interprofessionnel que le projet de loi tend à transposer prévoyait un droit à la formation différée qui ne figure pas dans le texte soumis au Parlement. Elle a regretté que tous les moyens d'accompagnement qui permettaient de rétablir la situation de jeunes en échec scolaire soient actuellement supprimés pour des raisons budgétaires, soulignant l'importance de mettre en place un rattrapage immédiat en cas de décrochage. Elle a souhaité que formation initiale et formation continue soient mieux articulées dans le respect des compétences de l'Etat et de la région et a fait part de ses inquiétudes sur l'avenir de l'Afpa.
M. Gilbert Barbier a évoqué le statut d'auto-entrepreneur qui connaît aujourd'hui un grand succès. Compte tenu de la fragilité des structures ainsi créées, ne serait-il pas souhaitable de mettre en place une aide spécifique à la formation pour ces créateurs d'entreprise ?
En réponse aux orateurs, M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, a souligné que l'argent de la formation professionnelle doit être mieux dépensé, rappelant que les entreprises y consacrent 11 milliards d'euros, l'Etat 7,3 milliards et les régions 3,8 milliards. Si le projet de loi ne prévoit pas explicitement la mise en place d'un droit différé à la formation, il contient de nombreuses mesures opérationnelles qui vont dans le même sens, qu'il s'agisse du développement des cours du soir, des écoles de la deuxième chance ou de l'affirmation du droit de chacun à franchir au moins un niveau de qualification au cours de sa carrière.
A propos du service public de la formation professionnelle, il s'est déclaré attaché à une Afpa nationale et indépendante. Si les règles de la concurrence ne permettent pas d'intégrer au sein du même établissement des prescripteurs et des formateurs, le transfert à Pôle Emploi des psychologues de l'Afpa ne les empêchera pas de continuer à exercer leur rôle d'aide à l'orientation. Pour contrôler le foisonnement des organismes de formation professionnelle, le projet de loi renforcera l'évaluation de ces structures et facilitera en conséquence leur professionnalisation.
Face à la complexité des règles de gouvernance de la formation professionnelle, le projet de loi ne procède à aucune recentralisation mais doit permettre d'éviter que chacun des acteurs travaille seul. A cet égard, il était particulièrement important d'associer l'éducation nationale à la signature du PRDF. En ce qui concerne les régions, il conviendrait de favoriser l'équité entre celles-ci et de mettre en place une forme de compensation.
Le ministre a enfin observé que les entreprises créées grâce au statut d'auto-entrepreneur ne doivent pas être des sortes de comètes disparaissant aussitôt après leur création et s'est déclaré ouvert à une action spécifique permettant d'assurer la formation de ces créateurs d'entreprises.