Mercredi 8 juillet 2009
- Présidence de M. Claude Birraux, député, président -Dossier médical personnel (DMP) - Communication
L'Office a d'abord entendu une communication de M. Pierre Lasbordes, député, sur l'audition publique sur le dossier médical personnel (DMP).
M. Pierre Lasbordes, député, a rappelé que, dans le cadre des activités de l'OPECST, il avait souhaité organiser une audition publique sur le dossier médical personnel, dont la création a été prévue par la loi du 13 août 2004. Ce projet, qui devait initialement être opérationnel en juillet 2007, a connu divers dérapages.
L'audition publique, organisée le 30 avril dernier, se proposait d'apporter les éclaircissements nécessaires sur l'état du projet et ses perspectives, en réunissant un panel d'une trentaine de personnes, représentatif de l'ensemble des acteurs impliqués, gestionnaires du projet, patients, professionnels de santé, établissements de soins, industriels, CNIL, acteurs des expérimentations menées dans certaines régions.
Cette audition a permis de faire émerger un certain nombre de « ressentis », alors qu'un plan de relance du DMP a été annoncé quelques jours auparavant, le 9 avril.
Les interventions des différents acteurs n'ont pas permis d'apporter des réponses précises à certaines questions importantes. Quelque 42 millions d'euros ont, au cours de la période 2005-2007, été dépensés, et il n'est pas certain que les erreurs passées ne se reproduiront pas, alors même que le dossier médical électronique est appelé à constituer un élément fondamental pour moderniser l'organisation des soins et développer un système de santé informatisé.
M. Pierre Lasbordes, député, a ensuite présenté plusieurs recommandations, en vue de lever les interrogations qui subsistent concernant le déploiement du DMP et qui portent sur quatre thèmes majeurs : la finalité du DMP, la gouvernance du projet, sa mise en oeuvre et l'insertion du DMP dans son environnement législatif et réglementaire.
Il a insisté sur la nécessité de mieux expliciter la finalité du DMP, en donnant un sens au « P » du DMP, dont la signification reste ambiguë, en mobilisant les professionnels de santé et les patients, en évaluant les bénéfices attendus pour l'organisation et la gestion du système de santé, en identifiant les contraintes en termes de sécurité et de confidentialité et en étudiant la possibilité d'élaborer une charte liant les différentes parties prenantes.
Déterminer les responsabilités de chacun au sein de la gouvernance du projet constitue un second impératif auquel il est possible de parvenir en clarifiant les responsabilités incombant respectivement au pouvoir politique et aux instances de gouvernance, en dotant les instances de gouvernance des compétences requises pour exercer les missions qui leur sont dévolues, et en formalisant les responsabilités de chacun par un cahier des charges reposant sur des options claires au regard des moyens financiers disponibles et des expérimentations régionales entreprises.
Sur ce point, M. Pierre Lasbordes, député, a observé que la culture du management des grands projets informatiques ne s'était pas diffusée au sein de l'administration française et déploré l'absence de prévisions suffisamment précises sur les moyens financiers susceptibles d'être affectés à la réalisation du projet, ainsi que le risque de démobilisation des acteurs locaux qui se sont impliqués dans les projets expérimentaux régionaux.
Le processus de mise en oeuvre devrait par ailleurs être mieux organisé, en lui donnant une meilleure visibilité chronologique, budgétaire et organisationnelle, en s'assurant de l'implication des industriels, et en veillant à mettre en place un pôle de sensibilisation et de formation professionnelle des acteurs.
Enfin, M. Pierre Lasbordes, député, a proposé de dresser un état des lieux du dispositif législatif et réglementaire en vigueur, afin d'identifier les mesures qu'il reste à prendre et celles qu'il conviendrait, le cas échéant, de modifier.
M. Jean-Pierre Door, député, après avoir rappelé qu'il avait réalisé un rapport parlementaire d'information sur le DMP en janvier 2008 et participé à l'audition publique organisée par M. Lasbordes, a souligné la complexité du projet, les pays étrangers ayant rencontré également des difficultés lors de la mise en place du dossier médical informatisé.
Les raisons en sont diverses : retard dans l'informatisation des cabinets des professionnels de santé et des établissements de soins, imprécision du contenu du DMP, interrogations sur les objectifs recherchés, tels que la qualité et la coordination des soins, notamment pour les affections de longue durée, ou la nécessité d'éviter les redondances d'examens ou les risques iatrogènes, « sanctuarisation » de la « loi Kouchner » de 2002 sur les droits des malades, nature ambiguë du dossier médical, recours juridictionnels contre les appels d'offres, hésitations sur le choix de l'hébergeur de confiance, dans un contexte marqué par l'existence sur la Toile de plus de cinq cents dossiers médicaux créés dans un esprit mercantile, débats sur la confidentialité et la sécurisation, positionnement malaisé des expérimentations régionales, isolement des acteurs industriels.
Un rapprochement du DMP avec les autres outils existants, tels que le web médecin, le dossier de cancérologie de l'Institut Curie, le dossier pharmaceutique et les dossiers des professionnels de santé est aujourd'hui nécessaire. Une reconstruction doit s'opérer.
Si les financements ont été prévus par les lois de financement de la sécurité sociale, le coût prévisionnel du dispositif n'a pas été évalué, les exemples étrangers montrant qu'il pourrait atteindre près de 2 milliards d'euros.
La réussite d'un projet de cette envergure ne repose pas uniquement sur la technique.
M. Claude Birraux, député, président, a observé que l'audition publique a été l'occasion pour les différents acteurs impliqués dans le projet depuis cinq ans de se rencontrer et indiqué que le canton de Genève avait souhaité faire part de son expérience de DMP aux responsables français, sans y parvenir.
M. Alain Vasselle, sénateur, a estimé qu'un arbitrage politique sur la nature du DMP restait nécessaire, en rappelant que les débats récurrents sur ce sujet traduisaient de véritables divergences de vues entre les parlementaires, traversant les différentes sensibilités politiques.
Puis, M. Alain Vasselle, sénateur, a demandé si des contacts ont été pris avec le ministère afin de savoir comment le dossier avançait.
M. Pierre Lasbordes, député, a répondu qu'il s'était entretenu avec Mme Roselyne Bachelot, ministre chargée de la santé, pour lui faire part de son inquiétude.
M. Gilbert Barbier, sénateur, s'est interrogé sur l'opportunité de revenir sur la loi « Kouchner » et sur les possibilités de concilier les principes inscrits dans celle-ci avec la nouvelle configuration susceptible d'être donnée au DMP, en évoquant la question du masquage, lequel peut se justifier dans certaines circonstances.
M. Jean-Claude Etienne, sénateur, premier vice-président, après avoir souligné l'importance du sujet abordé au cours de l'audition publique organisée le 30 avril, a estimé que la problématique du « P » était prioritaire, comme la question du contenu du DMP, et évoqué les conséquences des pathologies iatrogènes, ainsi que la perte de temps que pouvait représenter, pour le médecin, l'inscription dans le DMP des résultats d'un examen clinique.
Il s'est ensuite déclaré favorable aux recommandations proposées, qui ont été adoptées.
Nomination de rapporteurs
L'Office a désigné M. Jean-Pierre Door, député, et Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, rapporteurs de l'étude demandée par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale sur « la mutation des virus ».
Audition de M. Jean-Daniel Tordjman, ambassadeur aux pôles de compétitivité
L'Office a ensuite procédé à l'audition de M. Jean-Daniel Tordjman, ambassadeur aux pôles de compétitivité.
Le président Claude Birraux a rappelé que M. Tordjman avait été nommé à ce poste en mai 2008. Il lui a demandé de présenter les résultats de la mission qu'il avait effectuée aux Etats-Unis, ainsi que ses réflexions sur les manières de renforcer l'attractivité des pôles de compétitivité français.
M. Jean-Daniel Tordjman, ambassadeur aux pôles de compétitivité, a indiqué qu'il avait souhaité étudier les conditions dans lesquelles l'Europe pourrait créer des géants technologiques comme aux Etats-Unis et comment l'attractivité et la compétitivité des territoires français pouvaient être renforcées.
La force des Etats-Unis en matière de recherche tient pour une grande part à trois décisions du Président Lincoln, prises en pleine guerre de Sécession : 7 millions d'hectares ont été donnés aux universités américaines, ce qui a permis à chaque Etat de créer sa propre université sur un espace foncier étendu, permettant ainsi de loger les étudiants, d'y établir des installations universitaires et d'y constituer des équipes sportives qui renforcent le sentiment d'appartenance à cette collectivité. Des départements agricoles et industriels ont été créés au sein des universités. Celles-ci ont eu la possibilité de vendre une partie de leurs terrains à condition que le produit des ventes soit affecté à la création d'une fondation inaliénable. Il en est résulté la création de liens entre chercheurs et industriels, et l'avènement d'universités puissantes, liées au tissu local.
Une première conclusion découle de ce constat : il faut, en France, trouver des espaces fonciers pour les universités afin de créer des centres qui seraient parallèles aux pôles de compétitivité. Ces espaces pourraient être pris sur les terrains militaires ou sur ceux de la SNCF, après réflexion et discussion avec les élus.
L'histoire de l'Université française est certes très différente de celle de l'Université américaine. Les universités françaises possédaient des terrains sous l'Ancien Régime, mais la Convention a supprimé ces universités, tandis que Napoléon créait une université centralisée et les premières grandes écoles. Les universités ne s'impliquant pas assez dans la recherche, ont ensuite été mis en place les grands organismes.
L'individualisme est en France trop important, alors que les Américains ont l'habitude de travailler en équipe, en rassemblant scientifiques, industriels, vendeurs et financiers. Lors d'un projet de recherche, une université américaine et les investisseurs en capital risque prennent le temps de constituer une équipe et d'aboutir à un accord tant sur le travail à accomplir que sur la distribution des profits. La fertilisation croisée est une réalité. Certes, les dimensions sont différentes par rapport à la France : le capital risque américain représente cinq à six fois le capital risque européen. La possibilité d'obtenir des crédits pour un chercheur est ainsi considérable, même en période de crise, les financiers redécouvrant les avantages de l'économie réelle.
Puis M. Jean-Daniel Tordjman a présenté la manière dont les Israéliens avaient transformé une difficulté majeure en avantage compétitif : l'arrivée d'un million de Russes, dont 100 000 ingénieurs, créait pour ce pays de cinq à six millions d'habitants une charge considérable. Les Israéliens ont pourtant réussi à mettre en place un système d'incubateur, en donnant aux scientifiques qui souhaitaient créer une entreprise un téléphone et de l'espace, et en confiant la propriété de ces incubateurs non pas à l'université ou aux collectivités locales, mais aux investisseurs en capital risque. Ceux-ci ont alors opéré une sélection impitoyable, en retenant 5 % des dossiers, puis ont apporté non seulement 50% du capital nécessaire, mais aussi leur connaissance du développement de l'entreprise. Cela a bien fonctionné.
Les Français, quant à eux, ont la chance d'avoir l'esprit critique. Mais ils ne savent pas transformer l'échec en réussite, en en tirant les leçons, et craignent de parler d'argent. La taxe professionnelle et l'ISF sont des freins importants pour les entreprises dans un pays où l'entrepreneur est une denrée rare. Par contre, le système des pôles de compétitivité est excellent. Faire travailler, sur des projets communs, centres de recherche, universités, entreprises grandes et petites, marche bien. Sur les 1 400 projets financés dans ce cadre, 300 arrivent actuellement au stade de la commercialisation. Les équipes, de plus en plus professionnelles, pourraient maintenant être structurées par filière. Il faut toutefois veiller au maintien des fonds disponibles, si l'on veut que les entreprises affectent des moyens humains à ces projets et continuent de participer à ces projets collaboratifs. La France est toutefois mieux placée que l'Italie ou l'Espagne, car il y reste des sources nationales de financement. En outre, le système français de crédit d'impôt recherche est très attractif.
Ne pas avoir de service économique français à Los Angeles est une aberration. Le réseau économique et commercial français à l'étranger a des moyens trop limités. Il convient de comprendre, voire de définir la stratégie internationale des pôles, tout en étant prudents et en évitant que d'autres, notamment en Chine, ne transforment et développent ce qu'on a inventé. Nous savons défendre nos atouts dans le cas des structures pyramidales qui ont permis le développement du nucléaire et du TGV. Mais nous avons des difficultés quand les innovations doivent émaner de la base et sont dictées par le marché.
Le secteur prioritaire des nanotechnologies est révélateur : alors qu'IBM investit sur son seul site 20 milliards de dollars, la France ne prévoit d'investir que 400 millions sur trois ans, ce qui est insuffisant si l'on veut rester dans la concurrence et créer des applications sur un marché qui s'élèvera à 2 800 milliards de dollars. Il faut donc renforcer les pôles dans ce domaine, ouvrir des portes, repérer les bons créneaux.
Il faut par ailleurs encourager les régions, à l'image de ce qui se fait entre Midi-Pyrénées, l'Aquitaine et la Californie. Il convient de mettre en place une approche globale, et créer des liens entre le CNES et la NASA pour travailler sur les moteurs d'avion, par exemple.
Plusieurs membres de l'Office ont alors posé des questions à M. Jean-Daniel Tordjman :
- M. Claude Birraux, député, président, sur les contacts éventuellement établis avec les deux anciens premiers ministres qui doivent réfléchir à l'utilisation du futur emprunt d'Etat , sur les mesures de simplification possibles du système des pôles de compétitivité, sur les projets franco-allemands qui permettraient de créer une dynamique européenne (17 milliards d'euros sont disponibles en Allemagne, dans le cadre du plan de relance, pour la recherche et l'innovation), sur la mise en place d'un Eurêka de la recherche et de l'innovation, sur l'opportunité de renforcer les services scientifiques des ambassades et sur l'emploi des docteurs es sciences ;
- M. Alain Vasselle, sénateur, sur l'effet de levier du crédit d'impôt recherche pour les laboratoires pharmaceutiques ;
- M. Gilbert Barbier, sénateur, sur les coopérations européennes éventuelles ;
- M. Christian Gaudin, sénateur, sur la cohérence à trouver entre les fonds de soutien à l'innovation et le crédit d'impôt recherche qui représente 30 % de l'investissement en recherche-développement, et sur les relations à créer entre grandes entreprises et PME ;
- M. Jean-Claude Etienne, sénateur, premier vice-président, sur la formation et sur le crédit d'impôt recherche en faveur des PME, solution retenue en Allemagne.
M. Jean-Daniel Tordjman a répondu qu'il allait contacter les deux anciens premiers ministres chargés de réfléchir à l'utilisation du futur emprunt d'Etat. Il a estimé que le crédit d'impôt recherche est très profitable aux entreprises qui ont des projets de recherche. Lorsque ce crédit est couplé au système des pôles de compétitivité, les résultats sont importants. Il faut donc aller dans ce sens et cibler les grands groupes internationaux.
Les Etats-Unis sont pour leur part avantagés par le système du bénéfice mondial consolidé, qui leur permet de prélever plus de taxes. En ce qui concerne l'Europe, les projets intéressants sont surtout d'ordre bilatéral, comme pouvait l'être une collaboration sur les nanotechnologies entre Dresde et Grenoble. Il est souvent préférable d'avoir une approche pragmatique fondée sur un projet entre deux pays, et de l'élargir par la suite. Avec l'Allemagne, la coopération n'est pas aisée dans les domaines nucléaire et ferroviaire, et il faut adopter une approche sectorielle. Les PME peuvent y employer 4 000 personnes, ce qui rend les comparaisons difficiles, d'autant plus que les grandes entreprises françaises qui gagnent de grands contrats tirent souvent les PME. Dans d'autres pays, tels que la Suisse et la Suède, les grandes entreprises ont des fonds spécifiques dédiés à la recherche, ce qui n'est pas le cas dans notre pays.
Beaucoup de crédits viennent de l'Europe et le taux de retour pour la France est correct, car notre pays est en pointe dans plusieurs domaines. L'approche européenne n'est pourtant pas une priorité absolue. En matière spatiale, il vaut mieux s'orienter vers une coopération franco-américaine. Pour les drones, il vaut mieux envisager une coopération avec Israël.
La réforme des services économiques des ambassades a déjà permis d'intégrer un pôle financier. Il faudrait maintenant les charger de l'attractivité de l'investissement. Les postes scientifiques sont actuellement menacés, alors qu'ils sont de premier ordre.
Le ministère de la recherche a pris beaucoup d'initiatives, mais celles-ci ne sont pas toujours coordonnées entre elles, ni coordonnées avec les pôles de compétitivité. Il faut davantage travailler ensemble sur des projets intégrant l'enseignement supérieur et les pôles, créer un esprit d'équipe, entrecroiser les réseaux, et pallier nos faiblesses en matière de finance, de vente et de marketing.
La formation est essentielle. L'exemple des Etats-Unis, où des scientifiques de haut niveau vont parler à des jeunes de 12 à 15 ans pour les intéresser aux nanotechnologies doit être médité.