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Mardi 23 juin 2009
- Présidence de M. Hubert Haenel -Agriculture et pêche
Le prix du lait dans les États membres de
l'Union européenne
Rapport d'information de M. Jean
Bizet
M. Jean Bizet. - Ce rapport ne surprendra pas. Chacun connaît le contexte dans lequel il se situe.
Néanmoins, ce travail est un peu en marge de notre activité habituelle. D'ordinaire, notre commission suit l'actualité réglementaire et politique de l'Union européenne. Rien de tel cette fois-ci puisque nous suivons l'évolution d'un marché : le marché et le prix du lait. D'ordinaire, nous travaillons sur des textes, des projets, des propositions, des conclusions, cette fois notre travail a été mené pratiquement exclusivement à partir de chiffres, qui figurent dans l'annexe du rapport. C'est en quelque sorte une nouveauté dans la démarche.
Outre l'information quotidienne dans mon département, les principales sources d'information ont été les statistiques de la Commission européenne et de l'interprofession laitière. Il a pu être utile de suivre également les statistiques douanières. La deuxième source d'information est un mini questionnaire que j'ai adressé à nos services économiques des ambassades de France dans les États membres, ainsi qu'aux ambassades des États membres à Paris, Avec trois questions :
1. Quelle est l'évolution des prix ?
2. Comment sont-ils établis ?
3. Quelles réactions suscite-t-elle et, en particulier, la crise modifie-t-elle la position des États sur les quotas ?
Ce rapport part d'une idée simple : la politique agricole commune (PAC) est européenne. La crise du lait est européenne. Un tour d'Europe permet de voir nos similitudes et nos spécificités - qu'avons-nous à apprendre ou à craindre des autres ? Il nous faut aussi anticiper le prochain grand rendez-vous de la PAC, à l'occasion du débat budgétaire du cadre financier pluriannuel. La France ne pourra pas défendre la PAC de façon isolée. Il nous faut nous préparer à une stratégie d'alliances. Et pour ce faire, commencer à connaître nos partenaires. Ce rapport ne dit pas autre chose que : essayons de mieux nous connaître et de mieux nous comprendre.
Le rapport est divisé en trois parties. Comment se forme le prix du lait ? Quelle est la situation dans les États membres ? Quelles leçons à tirer et quelles perspectives ?
I - COMMENT SE FORME LE PRIX DU LAIT ?
Il faut comprendre qu'une révolution s'est opérée en dix ans. Jusqu'en 1999, le prix du lait était pratiquement administré. Aujourd'hui, le prix du lait est fixé par les marchés. L'Organisation commune du marché (OCM) du lait fixait un « prix indicatif » qui, en réalité, donnait le « la » au marché. Pendant 25 ans, ce prix a été fixé chaque année par le Conseil. En 1999, un règlement a fixé le prix et programmé une baisse, compensée par des aides directes. Le premier pas vers la libéralisation du marché était franchi. La seconde étape intervient en 2003-2008, avec cette fois la suppression du prix indicatif. L'Union européenne n'a pas renoncé à fixer des prix, mais ces prix concernent uniquement ce qu'on appelle le prix d'intervention, c'est-à-dire les prix auxquels la Commission rachète les éventuels excédents de beurre et de poudre de lait. L'intervention est cependant découragée puisque les prix sont très bas et qu'elle ne peut être actionnée que dans la limite d'un plafond. Au-delà, l'intervention peut avoir lieu par adjudication. Un tableau du rapport présente de façon simplifiée l'évolution du cadre réglementaire.
Depuis cinq ans, le prix du lait est donc totalement libre et résulte du marché. De quel marché ? Il y a un marché national des produits frais, car le lait se transporte très mal, et un marché international des produits secs, transportables, c'est-à-dire le beurre, le fromage destiné à l'industrie agroalimentaire, et surtout la poudre de lait, inconnue du consommateur et pourtant décisive pour le marché du lait. La poudre de lait est du lait asséché qui offre l'avantage d'être très sain sur le plan sanitaire et qui est utilisé dans l'industrie agroalimentaire et dans l'alimentation animale.
Autrefois, le prix du marché était pratiquement fixé par le prix indicatif, public. Aujourd'hui, le prix du marché dépend surtout du prix de la poudre de lait, qui donne le ton pour l'ensemble. Quand le marché se tend, quand il n'y a pas assez de lait, le prix de la poudre augmente, entraînant le prix du lait. À l'inverse, quand les exportations chutent, le prix de la poudre baisse, entraînant les autres prix. C'est ce qui s'est passé, et c'est ce qui se passe en ce moment.
En fait, la chute actuelle a des raisons assez simples :
1. La chute est d'abord la conséquence de la hausse tout aussi brutale qui l'a précédée. En 2007, les prix ont flambé et les industriels se sont tournés vers d'autres matières grasses.
2. La crise de la mélamine a stoppé net un marché en pleine expansion. En quelques semaines, le marché chinois s'est fermé.
3. Il y a toujours un décalage entre le signal du marché et la réponse du producteur, de telle sorte que la production en Europe a augmenté au moment où le marché s'infléchissait. C'est en particulier le cas en France puisque les éleveurs, plutôt réservés sur les réformes, ont été longtemps sous leur quota et n'ont repris leur production qu'après un décalage.
4. Bien entendu, la crise générale a couronné le tout, en faisant baisser la demande de produits élaborés.
C'est ainsi que la plupart des analystes considèrent que la crise actuelle est liée à l'insuffisance de la demande et n'est pas une crise de l'offre, due éventuellement à l'augmentation des quotas laitiers.
II - QUELLE EST LA SITUATION DANS LES ÉTATS MEMBRES ?
La deuxième partie du rapport est un panorama des prix du lait en Europe. Partout, l'amplitude des variations de prix est considérable, dans un sens comme dans l'autre. Il n'est pas rare que le prix varie en deux ans du simple au double.
Dans la grande diversité des situations, on peut néanmoins dégager quelques repères généraux.
1er repère : les prix. Plus un pays est orienté sur l'exportation et plus les variations sont importantes. C'est le cas de l'Irlande. 80 % de la production est exportée sous forme de lait en poudre. L'amplitude des prix est considérable : une augmentation de 80 % en un an, une diminution de 50 % l'année suivante. À l'inverse, plus un pays ou une région a un marché local solide et moins il est touché.
Il y a cette même différence selon les segments de production. Plus un pays fabrique des produits standardisés (poudre, beurre), et plus il est vulnérable. En revanche, les régions qui sont positionnées sur les produits plus élaborés sont un peu moins touchés. Les labels de qualité de type AOC jouent le rôle d'amortisseur.
On constate également des phénomènes de contagion. Plus une région est limitrophe d'une région à bas prix, et plus elle est touchés par la baisse. C'est le cas de l'Irlande du Nord et des Länder de l'Est de l'Allemagne, dont les prix sont tirés vers le bas par les prix de Pologne.
Enfin, j'appellerai ça une curiosité embarrassante à laquelle je n'ai pas d'explication, mais en période de crise, les disparités régionales s'estompent en Allemagne et se creusent en France.
2ème repère : les modalités de fixation du prix. Tous les États mettent en avant la grande liberté contractuelle de fixation des prix. Dans la plupart des États, le lait est vendu à des coopératives dans lesquelles les producteurs sont partie prenante. Cette implication n'empêche pas la baisse des prix. Dans la plupart des États, il y a une ou deux laiteries dominantes qui donnent le ton au marché national. Les autres laiteries ne peuvent s'éloigner du prix proposé par le leader.
La situation des Pays-Bas est intéressante car le prix garanti par la grande laiterie nationale est calculé à partir de la moyenne des prix pratiqués dans les pays limitrophes : Belgique, Danemark, Allemagne...
Tous les États défendent cette grande liberté et expriment ainsi des réserves à l'égard de la singularité française où, jusqu'à cette année, les prix étaient encadrés par une recommandation nationale interprofessionnelle.
3ème repère : est-ce que la crise change la position des États membres sur les quotas ? La réponse est clairement « non ». Je le répète, pour beaucoup de pays, la crise est liée à l'insuffisance de la demande et non à un réel excès d'offre. La preuve en est que cette année, beaucoup de pays resteront en dessous de leur quota attribué. Ils pourraient produire plus, et ils ne le font pas. Cette unanimité est importante pour la suite.
4ème repère : la situation dans les nouveaux États membres. Elle mérite un examen attentif. Dans ces pays, la crise du lait n'est qu'un soubresaut supplémentaire à un secteur en refondation. L'adhésion s'est accompagnée de restructurations, d'amertume, avec l'application progressive des aides directes du 1er pilier, et l'arrivée d'investisseurs venus d'Europe de l'Ouest et tout particulièrement de la France. La crise ajoute une perturbation de plus. Ces nouveaux entrants ont moins profité de la hausse de 2007/2008 et ont plus subi la baisse de 2008/2009. De quoi alimenter quelques rancoeurs dont il faut être conscient. Le tableau établi par l'administration polonaise est édifiant. On y voit l'évolution des prix dans les nouveaux États membres, à commencer par la Pologne, et l'évolution des prix en Allemagne et en France, pays sélectionnés à dessein. Ce graphique a été réalisé sur des prix en euros. Un graphique en monnaie nationale aurait montré une évolution parfaitement comparable à l'évolution française, mais la Pologne a choisi l'arrivée des comparaisons en euros qui creusent les différences. Ce graphique n'est pas neutre. Le message est clair : « Nous souffrons bien plus de la baisse des prix que les Français ».
La Pologne profite-t-elle de ses prix bas pour exporter ? Les laiteries allemandes s'implantent déjà en République tchèque et sont en contact avec la Pologne. J'ai aussi voulu faire le point sur certaines rumeurs concernant les importations de Pologne en France. Ces importations sont tout à fait marginales mais on note une diminution des importations de produits laitiers et une brusque augmentation en 2009 des importations de lait. Certes, pour des montants insignifiants, mais l'évolution doit être notée et suivie. Dans un marché ouvert, il ne faut pas s'étonner de ces échanges. Il y a quelques jours, des camions de lait venus d'Irlande ont été interceptés par les éleveurs français.
III - QUELLES LEÇONS À TIRER ET QUELLES PERSPECTIVES ?
Ce tour d'Europe montre que si la crise est générale, il y a une grande unanimité pour défendre le jeu du marché et la liberté contractuelle. Beaucoup de pays considèrent que la crise est un passage avant un rebond. Les éleveurs français prévoient une baisse importante, voire historique, de la collecte en fin d'année, ce qui devrait faire remonter les prix. Pour quelques uns, l'épreuve est aussi une sorte de mode de sélection des plus compétitifs. Néanmoins, il est certain que l'amplitude des variations de prix est excessive et parfois dévastatrice et que les éleveurs ont besoin de davantage de stabilité.
En premier lieu, cette crise montre l'utilité du maintien d'une politique publique, notamment des instruments d'intervention, même s'il faut les appréhender autrement.
Tout d'abord, je dois rappeler que l'un des objectifs de la PAC est « d'assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs ». Cet objectif n'a jamais été modifié en cinquante ans et demeure donc valide sinon prioritaire. Il faut aussi rappeler que l'intervention sur les produits secs n'a pas disparu. Même si chacun pouvait constater une certaine réticence de la Commission européenne au concept même d'intervention, il faut reconnaître que la Commission a parfaitement joué son rôle quand il le fallait. L'intervention sous plafond a eut lieu, suivie par six interventions par adjudication, à des prix adaptés aux circonstances du moment. Bien que la Commission fût en droit de faire jouer la concurrence et d'acheter au moindre prix, elle ne l'a pas fait puisqu'elle a acheté à 99 % du prix d'intervention réglementaire.
La Commission garde néanmoins ses réserves, rappelant la fameuse image des montagnes de beurre qui hante toujours les esprits. Je pense que cette approche est erronée. Le marché n'est pas caractérisé par une menace de surproduction, mais par une instabilité des prix. Dans ce contexte, l'intervention ne doit pas servir à éliminer des stocks mais à lisser les marchés. Elle peut donc être utilisée pour maintenir des prix raisonnables à la fois quand le marché s'effondre et quand il s'emballe. L'intervention par stockage public, avec un stock stratégique, peut contribuer à lisser les marchés, si l'on veut bien oublier cette référence un peu agaçante à cette situation dépassée des années 80. Je pense qu'une augmentation des plafonds d'intervention donnerait un signal apaisant au marché.
En revanche, la question des quotas me semble plus difficile. La suppression des quotas a été décidée en 2005 et programmée en 2008 lors du bilan de santé de la PAC. La baisse du prix du lait ne modifie en rien les positions des États membres. Il y a toujours une large majorité pour l'augmentation des quotas ou pour leur suppression. Tous les nouveaux États membres défendent cette position. La position de deux pays mérite qu'on s'y attarde : l'Irlande et l'Allemagne.
L'Irlande est un allié de la France sur la PAC. Le pays défend le concept de PAC, les 2 piliers, les droits de paiement unique (DPU), la sécurité alimentaire... tout comme la France. Sauf les quotas laitiers. L'Irlande considère que l'augmentation régulière des quotas est un moyen d'éviter une baisse brutale des prix au moment de l'abandon des quotas.
En 2008, la France avait un allié de poids avec l'Allemagne qui n'était pas favorable à l'augmentation des quotas. Il y a tout lieu de penser que ce soutien est fragile. Les länder sont partagés et ceux de l'Est sont très favorables à la suppression des quotas. Le 29 mai dernier, les ministres de l'agriculture des länder ont affirmé leur accord sur la fin des quotas. D'ailleurs, il n'est pas dans l'habitude allemande de revenir sur une décision politique du Conseil. Le combat français sur le rétablissement des quotas me paraît mal engagé.
Toutefois, la PAC mérite une actualisation. Les DPU doivent être réformés. Les DPU sont indispensables en cas de baisse des prix, mais le sont-ils lorsque le prix du lait dépasse 400 euros la tonne. Or, c'est ce qui s'est passé en 2007/2008. Les éleveurs ont eu alors et les primes et les prix. Est-il pertinent de maintenir des DPU lorsque les prix flambent. Ne vaudrait-il pas mieux les utiliser comme des amortisseurs de crise qui viendraient en complément des autres instruments de régulation ? Il faut une PAC plus juste, plus équilibrée.
Il me semble également qu'il faut être plus prospectif. Je suggère, par exemple, que la PAC soit évaluée avec des critères différents que le seul critère des prix et de la compétitivité. En Europe, tous les programmes sont évalués. Tous, sauf la PAC. Pourquoi ne pas élaborer des critères d'évaluation qui prendraient en compte la compétitivité, bien sûr, mais aussi la cohésion sociale, l'aménagement du territoire, l'emploi, l'environnement même.
Car au-delà de sa fonction économique, l'élevage laitier est essentiel pour la biodiversité. Veut-on des élevages hors sol, avec des cheptels de 200 ou 300 têtes, ou des vaches à l'extérieur, ayant une fonction essentielle pour la biodiversité. D'ailleurs, on peut imaginer des primes qui compenseraient le maintien de races moins productives que la Prim Holstein mais essentielles au maintien d'un patrimoine d'élevage européen. L'industrie laitière en Europe, c'est aussi la défense de la diversité, au coeur de la construction européenne.
Deuxième piste de réflexion : la nouvelle gouvernance entre producteurs et acheteurs. Ces relations sont déséquilibrées et ambigües. L'industriel entretient avec les éleveurs des relations mêlées de paternalisme et d'intimidation, avec par exemple la pratique du contrat oral et la collecte tous les deux jours, mais aussi avec la menace de représailles pour l'éleveur qui tenterait de chercher un autre fournisseur.
L'idée en cours est celle d'une contractualisation régionale entre acheteurs et organisations de producteurs sur des prix et sur des quantités. Une formule de contrats privés qui se substituerait au régime administré des quotas publics : ce dernier est en effet perçu par les éleveurs français comme une sorte de contrat moral public.
Il existe sans doute certains risques de déconvenues. L'accord se fera a minima sur des quantités minima. Aujourd'hui, la responsabilité de gérer les surplus repose sur le collecteur. C'est lui qui transforme les excédents en poudre et qui cherche un acheteur. Demain, si la contractualisation s'impose, le collecteur ne s'engagera que sur une partie des productions, sur la seule partie dont il a vraiment besoin. Et le producteur aura son excédent sur les bras, qu'il devra écouler coûte que coûte, c'est-à-dire au prix le plus bas.
L'idée a été évoquée de lier les aides du 2ème pilier à la conclusion de contrats. Il y a également quelques effets pervers à cette méthode. Néanmoins, une contractualisation souple, soutenue par l'État, assurant une certaine visibilité et une flexibilité doit être étudiée.
Toute forme de contractualisation entre producteurs et transformateurs doit aussi associer l'intermédiaire-clé : la grande distribution.
Il est tentant d'accuser la grande distribution d'étrangler les producteurs. Les choses sont évidemment moins simples. Plus un produit est élaboré et plus les marges sont élevées. En crise, il y a une grande compétition entre enseignes commerciales sur le prix du lait, qui est une sorte de produit-repère pour le consommateur et, contrairement à l'opinion courante, les marges commerciales sont très faibles sur le lait en temps de crise. Toutes les enseignes proposent du lait 1er prix autour de 60 centimes le litre. À ce prix, il n'y a pas de marge, ce qui n'est pas le cas des produits laitiers haut de gamme puisqu'on peut estimer que les marges prises par les distributeurs sont alors supérieures aux prix payés aux producteurs. Je renvoie sur ce point au rapport de 2008 du Conseil économique et social sur la fixation des prix alimentaires.
Mais l'impression de dissimulation donne une très mauvaise ambiance qu'il convient d'améliorer. On observera que quoi qu'on dise sur le Royaume-Uni, la profession laitière diffuse régulièrement les marges commerciales des fabricants et des distributeurs. Il n'y a pas cette transparence en France.
Enfin, j'évoque quelques pistes professionnelles, originales, même s'il va de soi que les solutions doivent être trouvées par la profession elle-même. Faut-il poursuivre la restructuration ? Sans aller jusqu'aux grandes exploitations hors sol, je note que tous les autres pays se sont engagés dans cette voie.
On note aussi que le lait bio, pratiquement inexistant en France, résiste mieux. Le graphique de l'évolution des cours en Allemagne est clair.
Enfin, je crois aussi aux solutions de proximité, comme le propose la région Alsace avec son « lait d'Alsace », parfois même vendu en distributeurs automatiques.
Pour un élu français, a fortiori pour un sénateur de la Manche, l'objectif est de conserver un modèle d'exploitation qui n'est pas révolu et qui a ses atouts. Je me souviens qu'à la toute fin du film événement Home, on voit un paysage, un champ, une ambiance. Dans la maison européenne, il y a des vaches.
Le tout dernier Conseil européen des 18 et 19 juin a invité la Commission - je cite - « à présenter d'ici deux mois une analyse approfondie du marché indiquant les formules possibles pour stabiliser le marché des produits laitiers tout en respectant les résultats du bilan de santé de la PAC » (sous-entendu en ne remettant pas en cause l'abandon des quotas). Ce rapport de notre Commission peut être une contribution à cette réflexion.
M. Hubert Haenel. - Chacun connaît l'actualité économique du sujet, mais il faut aussi rappeler l'actualité politique européenne puisque, en effet, le dernier Conseil européen des 18 et 19 juin a consacré une partie de ses conclusions sur la situation du secteur laitier, missionnant la Commission pour étudier des formules de stabilisation.
Je relève aussi le mot d'intimidation utilisé par le rapporteur. J'ai le souvenir de la manière dont certains ramasseurs de lait traitent les producteurs, avec même des menaces plus ou moins ouvertes. Il faut une volonté politique forte et des soutiens financiers pour faire face à la grande pression qui est ainsi exercée. Ainsi, j'ai pu créer une laiterie dans mon canton, mais avec combien de difficultés !
M. Jacques Blanc. - Le lait de montagne a ses spécificités. Il faut développer tout ce qui peut aider à la valorisation des produits, même en marge du système des appellations d'origine qui est, bien évidemment, très profitable aux productions. Je ne peux pas ne pas évoquer le lait de chèvre et le lait de brebis, apparemment plus facilement valorisés que le lait de vache.
Enfin, je ne crois pas que l'on puisse parler de crise européenne. L'Europe n'a pas provoqué la crise, mais fournit peut être, au contraire, un moyen d'aider à une meilleure organisation.
M. Simon Sutour. - La crise est emblématique mais je veux élargir le débat à d'autres productions. La production laitière a augmenté, mais les éleveurs vendent leur lait, même s'ils le vendent moins cher. Ce n'est pas le cas dans le secteur viticole puisque, même quand les produits sont moins chers, les viticulteurs ne vendent pas. Même s'il faut défendre la richesse et la diversité des productions agricoles, il me semble que les aides européennes sont déséquilibrées. En d'autres termes, les aides vont toujours aux mêmes et on ne pense jamais, ou, en tout cas, pas assez, aux productions méridionales.
La production de lait de chèvre se défend mieux, apparemment, que la production de lait de vache parce que les éleveurs valorisent eux-mêmes leurs produits. Ils s'en sortent alors même que le secteur n'est pas du tout aidé malgré des normes sanitaires drastiques. En d'autres termes, j'exprime le souhait d'une PAC mieux répartie. Les petits exploitants du sud doivent trouver leur place car ils enrichissent le tissu social au même titre que les éleveurs laitiers.
M. Gérard César. - Je crois devoir insister sur le fait que les producteurs de lait ne sont pas assez organisés, notamment au niveau régional. Je rappelle aussi que les producteurs étaient très opposés à l'introduction des quotas laitiers en 1984. Le retour à un protectionnisme européen, parfois revendiqué par les éleveurs français, me paraît aussi plutôt illusoire car l'Europe n'est pas un marché fermé.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Ce rapport est utile, non seulement pour tous les sénateurs intéressés à un titre ou à un autre par la crise du lait, mais pour l'image même de notre commission. Comme l'a indiqué le rapporteur, il ne faut pas seulement travailler sur des propositions de textes ou en réaction à ces propositions, mais il nous faut prendre des initiatives. C'est ainsi que notre commission peut apparaître comme un centre de réflexion sur des questions d'actualité et celles du futur, notamment sur l'avenir de la PAC.
Même si l'interprofession est très difficile à organiser, surtout au niveau local, je pense que c'est une piste essentielle à suivre. La situation des éleveurs de montagne est très fragile car il existe des régions où la production est faible et où, surtout, les coûts de ramassage sont très importants, voire insupportables. Lorsque notre rapporteur indique que la collecte sera une des plus faibles des dix dernières années à l'automne, je suis plutôt inquiet pour les producteurs de montagne car, si l'un d'entre eux vient à défaillir ou se retire de la production, il peut entraîner tous les autres - contre leur volonté - car ils sont dépendants de la collecte d'ensemble. Cette collecte est souvent à la limite de la rentabilité et le retrait de quelques producteurs peut entraîner sa disparition. Or, si le lait n'est pas collecté, il ne peut plus y avoir de production. Ainsi, la crise générale en France et en Europe peut entraîner dans certaines régions des retraits définitifs.
M. Michel Billout. - La production laitière est liée à la sécurité alimentaire de la population. L'avenir de la filière est donc un enjeu public. En général, on n'envisage l'intervention publique que comme un moyen de corriger des situations ou des excès, et pas comme un moyen de les prévenir. Dès lors que le libre marché peut avoir des effets déstabilisateurs que l'on constate tous les jours, je milite pour une intervention publique plus importante et plus précoce.
M. Robert del Picchia. - Je veux simplement évoquer le cas de l'Autriche, qui a lancé une grande campagne de publicité pour relancer la consommation de lait et de produits laitiers. L'Autriche est le premier pays consommateur de lait bio. Je rappelle cette situation pour dire que, en complément des régulations de l'offre, on peut aussi agir sur la demande.
M. Hubert Haenel. - Cette étude vient d'une initiative personnelle de Jean Bizet. Il est très important que notre commission puisse être un organe de réflexion et de contribution aux débats en cours. Ce travail pourra être pris en compte par nos collègues sénateurs, notre administration nationale, mais aussi par la Commission européenne. J'ai évoqué les conclusions du Conseil européen, mais il va de soi que sur ce sujet, c'est la PAC du futur qui est en jeu.
M. Jean Bizet. - Il y a bien sûr une articulation avec la réforme de la PAC. Plus on avance, et plus on voit la nécessité de créer des alliances entre États membres pour sécuriser le budget. Quelques États sont très réservés à l'égard de la PAC, comme c'est le cas de la Suède qui va assurer la présidence de l'Union européenne dans quelques jours. La négociation du futur cadre financier sera difficile et toute action collective doit être encouragée.
Dans la suite des propos de mes collègues, je crois que l'Europe pourrait être un acteur majeur de la sécurité alimentaire des Européens.
Il me faut nuancer la comparaison avec le secteur du vin. Le lait a trois spécificités fortes : une contrainte de traite quotidienne, des investissements lourds et des contrôles sanitaires très pointilleux. Ce n'est peut-être pas suffisant pour justifier un différentiel avec d'autres productions, mais il faut garder à l'esprit les contraintes considérables de l'élevage laitier.
L'importance des circuits de distribution courts a été rappelée. Plus le produit final est fabriqué par le producteur, et plus le prix qu'il perçoit peut être rémunérateur. Là encore, le filtre de la distribution est crucial car, par exemple, c'est sur le lait bio que les grandes enseignes commerciales font le plus de marge. Je ne crois pas qu'il faille déplorer les normes sanitaires car il est très peu probable qu'elles aillent en diminuant, tant l'attente des consommateurs en matière de sécurité est grande.
L'organisation de l'interprofession, même difficile, est très utile. La formule du CNIEL - Centre national interprofessionnel de l'économie laitière - me paraît intéressante. Elle a été, hélas, entravée l'année dernière, mais devrait pouvoir servir de modèle régional à condition, bien entendu, de ne pas tomber dans l'entente illicite.
Concernant les quotas, il faut rappeler qu'une majorité d'États est opposée aux quotas, surtout pour pouvoir augmenter leur propre production. La France n'aime pas les mutations, et beaucoup de corporations n'aiment pas non plus qu'on leur dise une vérité qui les gêne. Je ne suis pas sûr que la France puisse faire revenir les États membres sur la décision collective d'abandonner les quotas en 2015. D'ailleurs, le pourrait-elle que ce ne serait pas une solution pérenne. Même si les productions nationales étaient limitées, l'Europe est un marché ouvert et il y aurait toujours, à un moment ou à un autre, des questions de surproduction ponctuelle. D'ailleurs, on peut parler de spécificité communautaire, mais pas de préférence communautaire, qui est un leurre.
La sécurité alimentaire est un concept fort, même s'il n'est pas toujours partagé par tous les États membres, qui craignent le retour à des systèmes de régulation trop administrés. Je partage, avec Michel Billout, l'idée d'une présence et d'une action forte de la puissance publique, tout en gardant la possibilité d'être réactif afin de profiter des opportunités du marché. Je remercie Pierre Bernard-Reymond. Je crois en effet que ce type de rapport, totalement ancré dans l'actualité, est certainement très porteur pour notre commission des affaires européennes.
Au-delà de la prospective, j'ai essayé d'agrémenter le rapport de quelques pistes originales. J'ai ainsi découvert la formule des distributeurs automatiques, tout spécialement en Alsace.
M. Hubert Haenel. - En effet, plusieurs producteurs et laiteries ont proposé des distributeurs automatiques de lait cru réfrigéré. Les machines sont d'origine suisse et donnaient satisfaction jusqu'à ce qu'elles soient interdites par la DRIRE - Directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement - en raison de débitmètres actionnés manuellement. Elles devraient être à nouveau en service à l'automne 2009.
*
À l'issue de ce débat, la commission a autorisé la publication de ce rapport d'information, paru sous le numéro 481 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :
Élargissement
Bilan de l'adhésion
de la Bulgarie et de la Roumanie
à l'Union
européenne
Communication de MM. Pierre
Bernard-Reymond et Michel Billout
M. Pierre Bernard-Reymond. - Pour la clarté de nos débats, nous sommes convenus avec Michel Billout de nous diviser la tâche pour la présentation de cette communication. Je commencerai en établissant un bilan de la situation actuelle avant que Michel Billout vous livre notre appréciation commune et les perspectives qui nous paraissent envisageables.
*
À l'occasion de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne, le 1er janvier 2007, une série de mesures d'accompagnement spécifiques a été prévue pour combler des lacunes dans un certain nombre de domaines (sécurité aérienne, sécurité des denrées alimentaires, des fonds agricoles). Plus particulièrement, un mécanisme de coopération et de vérification a été créé en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption et, pour la seule Bulgarie, le crime organisé. C'est sur cet aspect qu'a porté notre mission comme nous y invitaient de récents rapports plutôt inquiétants de la Commission européenne. Les enjeux sont, en effet, importants. Ils concernent d'abord la lutte contre le fléau que constitue la corruption. C'est un mal endémique en Bulgarie et en Roumanie. Mais, en réalité, aucun pays n'est à l'abri de ce phénomène comme le montrent les classements opérés par Transparency International. Ce qui pose la question d'une véritable politique de l'Union dans ce domaine. Les enjeux portent aussi sur la bonne utilisation des fonds communautaires qui sont alloués à ces deux pays. C'est ainsi qu'au titre de la politique de cohésion, les perspectives financières 2007-2013 ont programmé 6,8 milliards d'euros pour la Bulgarie et 19,7 milliards d'euros pour la Roumanie. Ils intéressent enfin le bon fonctionnement du marché intérieur et la capacité de l'Union à réaliser un véritable espace commun de liberté, de sécurité et de justice.
À la suite des auditions par notre commission des affaires européennes des ambassadeurs de France en poste à Bucarest et Sofia, nous avons procédé à une série d'auditions, notamment auprès du secrétariat général de la Commission européenne qui supervise le mécanisme de coopération et de vérification. Nous avons également rencontré les représentations diplomatiques bulgares et roumaines, tant à Paris qu'auprès de l'Union européenne.
Il est utile de rappeler que la Bulgarie est un pays d'une superficie de 110 911 km2 situé dans le sud-est des Balkans. Elle est bordée au nord par la Roumanie, à l'est par la Mer Noire, au sud par la Turquie et la Grèce, à l'ouest par la Serbie et la Macédoine. Elle a une population de 7,6 millions d'habitants, dont une importante minorité turque (8,6 % de la population). Des élections législatives doivent s'y dérouler le 5 juillet.
Comme l'a relevé notre ambassadeur, Etienne de Poncins, lorsqu'il est venu devant notre commission, la Bulgarie est un pôle de stabilité démocratique dans les Balkans. Elle a reconnu très rapidement l'Ancienne République Yougoslave de Macédoine. Elle joue un rôle positif en mer Noire et entretient des liens étroits avec la Russie avec laquelle elle crée un pont culturel et linguistique qui est utile à l'Union européenne.
La Roumanie est un pays d'une superficie de 237 500 km2 qui est bordée au nord par l'Ukraine, à l'est par la Moldavie et la Mer Noire, au sud par la Bulgarie et, à l'ouest, par la Serbie, le Monténégro et la Hongrie. Elle a une population de 21,7 millions d'habitants, dont une importante minorité hongroise et une communauté Rom de plus de 500 000 personnes. Après les élections législatives qui ont eu lieu en novembre 2008, la Roumanie connaîtra en 2009 une nouvelle période électorale avec l'élection présidentielle qui est prévue à la fin de l'année.
Par sa localisation géographique et son action diplomatique, notamment sa politique de bon voisinage, la Roumanie peut, elle aussi, jouer un rôle positif dans la stabilisation de la région.
Avant d'examiner le bilan de l'adhésion sur le volet spécifique qui a fait l'objet de la mission, il paraît nécessaire d'évaluer son impact économique.
1. Quel a été l'impact de l'adhésion sur le plan économique ?
Sur le plan économique, l'intégration européenne a été bénéfique tant pour la Bulgarie que pour la Roumanie.
Notre ambassadeur en Bulgarie, Etienne de Poncins, a précisé que, depuis son adhésion, ce pays avait enregistré des résultats économiques significatifs avec un taux de croissance de 6 % par an jusqu'en 2008 et un excédent budgétaire de 3 %. Sa monnaie dispose d'une parité fixe avec l'euro qui fonctionne bien. Une politique attractive et libérale en faveur des investissements étrangers a été menée avec la mise en place d'un taux fixe de 10 % à la fois sur l'impôt sur le revenu et sur l'impôt sur les sociétés. Mais la Bulgarie affronte un contexte économique très dégradé : ses exportations ont régressé de 27 % depuis janvier ; elle a une économie de sous-traitance qui dépend de l'industrie européenne et qui est très fragilisée par la crise.
Notre ambassadeur en Roumanie, Henri Paul, nous a indiqué que l'intégration de la Roumanie dans l'Union européenne avait entraîné une très forte croissance économique (6,7 % en moyenne entre 2004 et 2008). Elle a connu une croissance de 9,2 % au deuxième trimestre de 2008. Ce dynamisme économique a été tiré par les investissements étrangers qui se sont élevés à 32,25 milliards d'euros sur la période 2004-2008 et à 9 milliards d'euros pour la seule année 2008, dont 60 % en provenance de l'Union européenne. Selon notre ambassadeur, ces investissements ont été attirés à la fois par la plus grande sécurité résultant de l'intégration européenne, par la qualité de la formation de la population roumaine, mais aussi par les bas salaires. La crise économique entraîne toutefois un tarissement des flux de capitaux, qui aura un effet négatif sur la balance des paiements courants. Le système bancaire roumain n'est pas très développé, mais a été très affecté par la crise financière via les filiales des banques étrangères. La Roumanie a négocié une aide combinée du Fonds monétaire international et de l'Union européenne d'un montant de 20 milliards d'euros.
Sur un plan plus général, ces constats sont corroborés par l'appréciation portée par la Commission européenne sur les deux vagues d'élargissement de 2004 et 2007, dans une communication de février 2009. La Commission fait valoir que les élargissements ont été bénéfiques pour l'Union européenne dans son ensemble et pour les nouveaux États membres dont les économies ont été stimulées et le niveau de vie des habitants amélioré. Mais la Commission souligne aussi les défis amplifiés par la crise économique et financière mondiale, qui impliquera de nouveaux efforts substantiels dans les nouveaux États membres.
2. Pourquoi un mécanisme de coopération et de vérification et comment fonctionne-t-il ?
? Pourquoi un tel mécanisme ?
En adhérant à l'Union européenne, la Bulgarie et la Roumanie ont accepté d'assumer les droits et obligations qui sont conférés à tous les États membres. En particulier, il est indispensable que les décisions, la législation et les pratiques administratives et judiciaires dans ces deux pays correspondent à celle du reste de l'Union. C'est essentiel pour ces nouveaux États membres et leurs citoyens, mais aussi pour les autres États membres et le bon fonctionnement de l'Union. C'est à cette condition que l'élargissement pourra être compris et accepté par nos concitoyens.
Le mécanisme a donc pour objet d'améliorer le fonctionnement du système législatif, administratif et judiciaire. Il vise aussi à remédier aux lacunes constatées dans la lutte contre la corruption.
On pourrait légitimement se demander si, en bonne logique, les résultats dans ces domaines n'auraient pas dû constituer un préalable à l'adhésion. Il ressort de nos consultations que les questions relatives au système judiciaire et à la transparence ont eu une grande importance dans les négociations d'adhésion. La Commission européenne a estimé que les deux pays pouvaient remplir les critères, proposant néanmoins une clause de sauvegarde en cas de progrès insuffisants. Dans un rapport rendu à l'automne 2006, elle a considéré que l'adhésion était possible sous réserve d'un « monitoring ». Deux décisions du 13 décembre 2006 ont en conséquence mis en place un mécanisme de coopération et de vérification.
? Comment fonctionne ce mécanisme ?
Ce mécanisme fixe des objectifs de référence autour desquels s'organisent un suivi et un système de sanctions en cas de non respect des objectifs de référence.
Outre la constitution d'un groupe ad hoc du Conseil, le suivi donne lieu à l'envoi semestriel de missions d'experts par la Commission, la remise par les deux pays de rapports et plans d'action et la présentation semestrielle par la Commission de rapports de progrès. Sur la base de ces rapports, le Conseil est appelé à adopter des conclusions.
En cas de progrès insuffisants ou de risque d'atteinte ou d'atteinte effective au bon fonctionnement du marché intérieur ou de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, des mesures de sauvegarde, prévues par les traités d'adhésion, peuvent être activées pendant une période de trois ans à compter de l'adhésion.
Dans ce contexte, les objectifs de référence suivants ont été fixés :
- Pour la Bulgarie : amender la Constitution pour assurer l'indépendance et la responsabilisation du système judiciaire ; garantir la transparence et l'efficacité du processus judiciaire ; continuer à mener des enquêtes sur les allégations de corruption à haut niveau ; prendre des mesures supplémentaires pour prévenir et combattre la corruption, notamment aux frontières et au sein de l'administration locale ; mettre en oeuvre une stratégie de lutte contre le crime organisé.
- Pour la Roumanie : garantir la transparence et l'efficacité du processus judiciaire ; constituer une agence pour l'intégrité (vérification de patrimoine et conflit d'intérêt) ; continuer à mener des enquêtes sur les allégations de corruption à haut niveau ; prévenir et combattre la corruption, en particulier au sein de l'administration locale.
3. Quels sont les résultats obtenus dans les deux pays au regard de ce mécanisme de vérification ?
En février 2008, la Commission a adopté des rapports intérimaires d'évaluation des progrès réalisés par les deux pays. Ces rapports ont souligné que les progrès enregistrés n'avaient pas été suffisamment convaincants et que la situation sur le terrain suscitait des préoccupations auxquelles il convenait de répondre avant l'évaluation complète par la Commission, prévue à l'été 2008. Les manquements les plus importants avaient été constatés dans le domaine de la lutte contre la corruption de haut niveau (Bulgarie, Roumanie) et contre le crime organisé (Bulgarie).
En mars 2008, le Conseil a relevé les efforts accomplis par ces deux États membres sur la voie de la réalisation des objectifs du mécanisme. Mais il les a aussi encouragés à intensifier leurs efforts, dans la perspective des futurs rapports annuels d'évaluation présentés par la Commission.
Ces rapports ont été publiés en juillet 2008. Ils ont souligné, là encore, certaines avancées.
Pour la Bulgarie, des efforts ont été engagés pour mettre en place les institutions nécessaires et introduire les procédures et processus requis. Pour la réforme du système judiciaire, la Bulgarie a révisé sa Constitution et a approuvé le code de procédure civile ainsi que des lois sur le système judiciaire. Ces lois consacrent l'indépendance de la justice et mettent en place un conseil supérieur de la magistrature. Une agence d'État pour la sécurité nationale a été instituée en vue de lutter contre la corruption et le crime organisé. Enfin, la Bulgarie a enregistré des avancées dans la lutte contre la corruption locale, en introduisant de nouvelles procédures administratives notamment pour la police des frontières, qui réduisent les possibilités de corruption.
Pour la Roumanie, on peut relever les ressources humaines et financières affectées au Conseil supérieur de la magistrature en tant que gardien de l'indépendance du pouvoir judiciaire, le bilan satisfaisant du ministère public et de la direction nationale de répression de la corruption en ce qui concerne la poursuite des affaires de corruption, la mise en place d'une agence nationale de l'intégrité et l'adoption d'une stratégie nationale de lutte contre la corruption au sein des administrations publiques locales.
Pour autant, ces rapports de juillet 2008 ont porté un jugement sévère sur la situation des deux pays, surtout la Bulgarie.
Pour la Bulgarie, ils ont souligné notamment les lacunes du code de procédure pénale et du code pénal, aboutissant au renvoi au ministère public d'importantes affaires sur la base de vices mineurs de procédure, la faible capacité administrative des organes chargés de la mise en oeuvre de la législation (police) et du pouvoir judiciaire. Ils ont pointé aussi la faible réaction de la Bulgarie aux actes largement répandus de corruption et d'achat de voix aux élections locales de novembre 2007 et l'absence de stratégie pour la lutte contre la corruption locale, en dépit des suspicions existants pour certains secteurs comme la santé ou l'enseignement. De manière générale, la lutte contre le niveau élevé de corruption et de criminalité organisée n'a pas donné de résultats satisfaisants. En outre, des allégations de fraude affectaient la réalisation de programmes d'aides financières de l'Union européenne.
Pour la Roumanie, ils ont relevé en particulier les résultats limités en matière de corruption de haut niveau, en dépit des poursuites engagées par la direction nationale de répression de la corruption et, citant un sondage effectué par Transparency International, l'accroissement de la « corruption quotidienne ».
Constatant l'insuffisance des résultats obtenus par la Bulgarie et la Roumanie depuis leur adhésion à l'Union européenne, la Commission a jugé nécessaire de maintenir le mécanisme.
Parallèlement, un rapport spécifique sur la gestion des fonds communautaires en Bulgarie a conduit à la suspension, en juillet 2008, du versement d'environ 500 millions d'euros d'aides allouées au titre de la pré-adhésion.
Comme l'a souligné l'ambassadeur de France, la Bulgarie a fortement besoin des fonds européens qui s'élèvent à 10 milliards d'euros sur la période 2007-2013 pour un PIB annuel de 30 milliards d'euros. Ces fonds ont en particulier un impact important sur la rénovation des infrastructures très déficientes, que ce soit les autoroutes, les stations d'épuration, les réseaux d'adduction d'eau ou encore le traitement des ordures ménagères. Mais les conditions n'étant pas réunies pour une bonne gestion de ces fonds, ils ont fait logiquement l'objet de mesures de suspension et d'annulation. La dizaine d'agences en charge de leur gestion ne présentaient que de faibles garanties. Beaucoup d'affaires de corruption au sein de ces agences avaient été mises au jour. Une vice-Premier ministre a néanmoins été nommée pour prendre en charge les fonds européens. En mai dernier, 115 millions d'euros ont pu être débloqués (fonds ISPA). Ils concernent des projets routiers gérés par l'agence nationale des infrastructures routières. Demeurent gelés des fonds de pré-adhésion (250 millions d'euros au titre du programme PHARE) et des fonds agricoles (121 millions d'euros au titre du programme SAPARD).
On précisera néanmoins que les nouveaux États membres ont traditionnellement du mal à consommer les fonds européens, en raison de la difficulté à identifier des projets viables et à assurer les cofinancements nécessaires. Les dix nouveaux entrants de 2004 ont eu un niveau de consommation des crédits communautaires de 30 à 40 % sur la période 2004-2006. Dans le cas de la Bulgarie, la faiblesse de son administration a en outre provoqué l'invalidité de beaucoup d'appels d'offre.
À l'occasion de la présidence française, le Conseil a de nouveau appelé, en septembre 2008, la Bulgarie et la Roumanie à intensifier leurs efforts, en prenant toutes les mesures nécessaires et en faisant état de résultats tangibles et durables. Le Conseil a souligné que l'existence d'un système administratif et judiciaire impartial, indépendant et efficace, doté de moyens suffisants, est indispensable pour permettre un bon fonctionnement des politiques de l'Union européenne et assurer aux citoyens l'accès à tous les bénéfices et opportunités offerts par l'appartenance à l'Union.
Deux nouveaux rapports intérimaires de la Commission ont été publiés en février 2009. Ces rapports relèvent à nouveau l'absence de résultats concrets dans les deux pays, notamment dans la lutte contre la corruption de haut niveau et le crime organisé. Ils mettent en outre quasiment sur le même plan la Roumanie (dont la situation s'est détériorée en l'espace de six mois) et la Bulgarie, alors que les rapports précédents mettaient en évidence que la Roumanie était plus avancée.
Tout en notant que des mesures initiales de réforme structurelle et législative ont été prises durant le second semestre 2008, le rapport intérimaire sur la Bulgarie souligne néanmoins que, pour mettre en évidence un changement systémique et irréversible, la Bulgarie doit montrer qu'elle a mis en place un appareil judiciaire stable et indépendant, en mesure de déceler et de sanctionner les conflits d'intérêt, la corruption et la criminalité organisée et de préserver l'État de droit.
Le rapport insiste sur l'absence d'avancées concrètes en Bulgarie en matière de lutte contre la corruption et le crime organisé. Il relève même une tendance à la baisse dans le traitement des cas de corruption de haut niveau et l'absence de changement significatif en matière de poursuites judiciaires dans les affaires de criminalité organisée (aucune décision de justice n'a été prise dans les derniers mois dans les affaires très médiatisées de criminalité organisée).
Cela traduit un grave dysfonctionnement de la chaîne pénale qui ne permet pas un traitement effectif des affaires de corruption ou impliquant le crime organisé.
À ce constat, il faut ajouter l'absence de progrès dans certains domaines cruciaux que sont le financement des partis politiques, la confiscation des avoirs d'origine criminelle et surtout l'absence de réforme complète de la phase d'instruction. Nos interlocuteurs bulgares nous ont néanmoins fait part d'avancées récentes sur le financement des partis politiques, les conflits d'intérêt et la lutte contre l'utilisation de moyens dilatoires de procédure en matière pénale
Des progrès ont en revanche été enregistrés sur certains aspects de la réforme de la justice (inspections judiciaires, mise en oeuvre de la loi sur le système judiciaire et du code de procédure pénale) et, en dépit de l'absence de résultats, la lutte contre la corruption (mise en place d'équipes conjointes d'enquête, adoption de la loi sur les conflits d'intérêt).
Les critiques à l'encontre de la Roumanie soulignent notamment :
- l'incertitude et l'ambiguïté du cadre juridique concernant en particulier la nature des codes civil et pénal ainsi que des codes de procédure civile et pénale qui pourraient être adoptés ;
- les lacunes existant dans la justice roumaine, en ce qui concerne les ressources humaines, la gestion du système judiciaire et la responsabilité de la magistrature ;
- la persistance de l'absence d'une jurisprudence claire et unifiée, ce qui suscite une vive préoccupation par rapport à la sécurité juridique et à la transparence ;
- les résultats insuffisants obtenus dans la lutte contre la corruption de haut niveau, la Commission mettant en cause l'action dilatoire du Parlement et l'inefficacité de la justice ;
En revanche, le rapport est plus positif sur la lutte contre la corruption en général et sur l'action de la direction nationale anti-corruption.
M. Michel Billout. - J'en viens maintenant à l'appréciation que l'on peut porter sur la situation actuelle et aux perspectives envisageables.
Notre appréciation peut se résumer en deux séries d'observations.
- Les progrès doivent être relevés, mais des résultats concrets se font encore attendre.
Pour ces deux pays, les progrès accomplis ne doivent pas être sous-estimés au regard de la situation qui prévalait avant l'adhésion à l'Union européenne. Globalement, de nombreuses dispositions législatives et organisationnelles ont été prises, même si ce mouvement peut encore être approfondi et amélioré.
Mais ce sont désormais des résultats concrets qui sont attendus. Le classement opéré par Transparency International pour 2008, sur la base de la perception par les entreprises et les experts, situe la Roumanie et la Bulgarie respectivement au 70e et au 72e rang mondial pour le niveau de corruption dans le secteur public. La note attribuée à la Bulgarie s'est même détériorée par rapport à 2007. Selon la même organisation, moins d'une personne sur dix interrogées en Bulgarie juge efficaces les actions du Gouvernement en matière de lutte contre la corruption.
Ces résultats doivent se manifester à travers des arrestations et des condamnations effectives, notamment pour ce qui concerne le crime organisé en Bulgarie et des personnalités de haut rang en Roumanie. Cela suppose une chaîne pénale qui fonctionne de manière efficace, depuis la phase d'enquête jusqu'à la phase de jugement. Cela implique aussi une indépendance de la justice qui soit assurée de manière effective, notamment à travers l'action d'un Conseil supérieur de la magistrature crédible et efficace. Cela passe également par la qualité du recrutement et de la formation des magistrats.
- Un engagement ferme et continu des autorités bulgares et roumaines dans la mise en oeuvre des réformes est indispensable avec le soutien de la société civile.
En réaction au rapport intérimaire de la Commission, la Bulgarie a souligné les efforts qu'elle a déjà engagés en coopération avec la Commission et certains États membres dont la France. Elle a indiqué prendre très au sérieux les « points faibles » mentionnés dans le rapport, faisant valoir l'adoption récente de certaines lois (notamment sur les conflits d'intérêt) dont l'efficacité ne pouvait encore être évaluée, et l'examen en cours d'amendements législatifs relatifs à l'organisation du système judiciaire et au financement des partis politiques. La Bulgarie vient aussi de proposer des amendements à la loi sur le système judiciaire pour traiter la question des magistrats instructeurs et travaille à la mise en place d'un système unifié d'information pour la lutte contre le crime organisé. Nos interlocuteurs bulgares ont souligné la réalité des efforts ainsi mis en oeuvre par leur pays.
La Roumanie a reconnu un ralentissement en raison d'un contexte marqué par les élections de novembre 2008 et la formation d'un nouveau gouvernement. Elle a en outre fait valoir plusieurs développements récents qui permettraient de relativiser ce ralentissement : l'examen en cours des codes civil et pénal et des codes de procédure civile et pénale, le nombre important de sanctions administratives (200) déjà prononcées par l'agence nationale de l'intégrité, la reconduction du procureur en charge de la lutte contre la corruption qui permet d'assurer une stabilité institutionnelle dans ce domaine, le lancement de nouvelles enquêtes contre des personnalités (notamment un ancien premier ministre), le soutien financier apporté à la justice roumaine dans le budget 2009. Nos interlocuteurs roumains ont tenu à mettre en valeur les progrès accomplis par leur pays depuis la fin de la dictature Ceaucescu et fait valoir la volonté de leur gouvernement de mettre en oeuvre le programme de réformes, en particulier pour l'adoption des nouveaux codes.
Comme l'ont souligné nos ambassadeurs, mais aussi nos interlocuteurs bulgares et roumains, ce mouvement indispensable de réforme doit aussi s'appuyer sur la société dans son ensemble. Il a une dimension civique évidente. C'est un changement profond des mentalités et des pratiques qui doit être opéré. Dans cette perspective, l'appui des opinions publiques est un atout précieux pour accompagner et amplifier ce mouvement de réforme. Cette question a aussi une dimension politique et il ne faut pas sous-estimer l'utilisation qui peut être faite des rapports de la Commission européenne dans le débat politique.
Quelles perspectives ?
Cette importante question appelle de notre part quatre observations.
- En dépit de ses défauts, le mécanisme de coopération et de vérification devra être poursuivi si des résultats concrets ne sont pas observés
La Commission a présenté ses nouveaux rapports intérimaires de février 2009 comme des rapports factuels, qui décrivent la situation actuelle et renvoient les décisions politiques qui pourraient, le cas échéant, être prises à la présentation des rapports annuels qui ne devrait pas intervenir avant fin juillet voire fin septembre 2009.
En février 2009, le Conseil a lui-même adopté des conclusions modérées, soulignant la détermination de la Bulgarie et de la Roumanie, les efforts déjà accomplis, et invitant les deux pays à accentuer leurs efforts afin de consolider les progrès accomplis et obtenir des résultats substantiels et durables.
Le véritable « rendez-vous » apparaît donc fixé au moment où la Commission présentera ses rapports annuels et où, sur cette base, des décisions seront susceptibles d'être prises sous la présidence suédoise.
Dans cette perspective, on doit constater que l'existence d'un tel mécanisme de coopération et de vérification appliqué à des États membres à part entière n'est pas satisfaisant dans son principe.
Il peut jeter un doute dans les opinions publiques des autres États membres sur les conditions dans lesquelles l'élargissement a été opéré. Il peut favoriser de leur part une suspicion à l'égard des élargissements futurs. S'agissant des deux États membres concernés, il peut apparaître comme une stigmatisation excessive et permanente au regard des efforts qu'ils entreprennent pour faire réaliser les évolutions nécessaires. Nos interlocuteurs roumains ont souhaité que le mécanisme de coopération et de vérification puisse être levé d'ici la fin 2009. Nos interlocuteurs bulgares ont demandé qu'il soit revu.
Force est aussi de constater les faiblesses du mécanisme qui ne fournit pas d'indicateurs précis permettant de quantifier les progrès accomplis. Par ailleurs, la sanction des dysfonctionnements n'apparaît pas opérationnelle. La mise en oeuvre de la clause de sauvegarde aurait pour effet de suspendre la reconnaissance mutuelle en matière judiciaire entre ces deux pays et les autres États membres, ce qui pourrait avoir un impact négatif. En particulier, la suspension des mandats d'arrêt européens aurait un effet contreproductif pour la lutte contre la criminalité transfrontière. Ainsi, près d'une soixantaine de mandats d'arrêt européen ont été exécutés entre la France et la Bulgarie en 2007. En toute hypothèse, la clause de sauvegarde ne pourra plus être mise en oeuvre à compter de la fin 2009.
En dépit de ses défauts, il ne paraît néanmoins pas possible de mettre un terme à ce mécanisme tant que la Bulgarie et la Roumanie n'auront pas produit des résultats concrets dans la lutte contre la corruption et le crime organisé et pour la mise en place d'un appareil judiciaire véritablement stable, indépendant et efficace.
Nos interlocuteurs bulgares et roumains ont eux-mêmes souligné que ce mécanisme avait joué un rôle positif pour stimuler la mise en oeuvre des réformes. Les opinions publiques adhèrent aux enjeux de ces réformes et les forces de progrès dans ces pays doivent être encouragées. Le mécanisme peut donc continuer à jouer un rôle utile d'aiguillon des réformes.
Du point de vue du fonctionnement de l'Union, les détournements de fonds européens engagent le budget communautaire et sont inacceptables. Le crime organisé, quand il dispose de ramifications transfrontières, constitue une menace pour l'Union dans son ensemble. On ne peut par ailleurs sous-estimer la menace latente que font peser les manquements constatés sur le fonctionnement du marché intérieur. La construction de l'espace commun de liberté, de sécurité et de justice suppose une confiance mutuelle entre États membres sur leurs systèmes respectifs. Enfin, l'évaluation de la Bulgarie et de la Roumanie en vue de leur intégration dans l'espace Schengen a débuté. L'objectif de 2011 a été retenu pour une éventuelle intégration. Compte tenu des enjeux en cause, une telle intégration ne sera envisageable que si la Bulgarie et la Roumanie remplissent toutes les conditions requises pour participer à cet espace de libre circulation.
- Mais s'il devait être maintenu, le mécanisme de coopération et de vérification devrait être précisé et mettre l'accent sur la coopération
Les objectifs de référence devraient jouer tout leur rôle en conduisant à des évaluations précises des résultats obtenus et des progrès encore à accomplir.
En outre, le volet coopération du mécanisme devrait être poursuivi et approfondi, tant de la part de la Commission européenne que des autres États membres.
Dès lors que la Bulgarie et la Roumanie ont été admises comme membres à part entière, toute stigmatisation doit être écartée. Il s'agit au contraire d'aider ces deux pays à s'inscrire dans une dynamique positive de réforme qui permette de les inscrire pleinement dans l'espace commun de liberté, de sécurité et de justice encore en construction. La France a relancé le partenariat oriental. Il s'agit d'un partenariat stratégique avec des feuilles de route concrètes pour renforcer les relations bilatérales. Il comprend un volet justice : coopération opérationnelle ; formation de magistrats ; échange d'officiers et de magistrats de liaison ; échange de hauts fonctionnaires de police ; coopération sur les commissions rogatoires et les mandats d'arrêt européens. La France participe, pour la Bulgarie, aux jumelages institutionnels mis en place par l'Union pour faciliter la transition après l'adhésion. Les autres États membres actifs dans cette coopération sont l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Autriche, et, en outre, l'Espagne pour ce qui concerne la Bulgarie.
- La lutte contre la corruption et le crime organisé concernent l'Union européenne dans son ensemble et devrait faire l'objet d'une action commune plus déterminée
Ce ne sont pas des questions qui concernent ces deux seuls États membres. Il s'agit au contraire de préoccupations au niveau international et qui sont partagées par tous les États membres dans l'espace européen. Le classement réalisé par Transparency International classe la France au 23e rang mondial, l'Italie au 55e rang et la Pologne au 58e rang.
Certes des conventions ont été passées dans le cadre de l'ONU, de l'OCDE ou du Conseil de l'Europe. Au sein de l'Union européenne, des actions ont été programmées contre le crime organisé dans le cadre du programme de La Haye. Il faut aussi souligner l'action menée par l'Office européen de Lutte Anti-Fraude (OLAF). Mais il manque le cadre d'ensemble nécessaire. Dans sa récente communication en vue de la préparation du futur programme de Stockholm sur l'espace de liberté, de sécurité et de justice, la Commission européenne reconnaît elle-même cette faiblesse. Elle recommande, en effet, que l'Union se fixe des objectifs en matière de transparence et de lutte contre la corruption. Elle préconise de favoriser, sur la base d'une évaluation périodique, l'échange de bonnes pratiques et le développement d'indicateurs qui permettent de mesurer les efforts dans la lutte contre la corruption. Elle indique que les mesures anti-corruption dans un certain nombre de domaines de l'acquis, comme les marchés publics, feront l'objet d'une attention particulière.
- Enfin, des enseignements devront être tirés pour les futures adhésions
C'est avant même l'adhésion qu'une action résolue devra être engagée pour que chaque pays candidat prenne les dispositions requises par l'intégration européenne. Selon les informations recueillies auprès de la Commission européenne, une grande attention est portée aux questions de justice et d'affaires intérieures pour ce qui concerne la candidature croate.
M. Hubert Haenel. - Lors de l'adhésion, on a insisté sur le volet économique, mais pas assez sur d'autres sujets comme le fonctionnement démocratique, le fonctionnement de l'État, l'impartialité de l'administration et l'organisation de la justice. Or, on a réalisé que ces deux pays étaient confrontés à de sérieux problèmes dans ces domaines. Lors d'un récent déplacement en Roumanie, j'ai pu constater un très grand scepticisme à l'égard de la classe politique, qui explique en grande partie le fort taux d'abstention aux dernières élections européennes.
J'ai constaté néanmoins que des évolutions pouvaient intervenir avec l'arrivée d'une nouvelle génération de responsables. Mais plus de « méritocratie » est souhaitée. Votre communication est mesurée, ce qui me paraît souhaitable pour écarter toute stigmatisation de ces deux pays. Il y a notamment en Roumanie une vraie prise de conscience de la part de l'opinion publique de la nécessité de faire évoluer la situation actuelle.
M. Robert del Picchia. - L'adhésion à l'Union européenne a entraîné une forte augmentation des crédits attribués à ces deux pays, ce qui a accru les risques de corruption. Tout en constatant les efforts qui ont été réalisés, il faut être très attentif au risque de contagion dans les autres États membres à travers des réseaux criminels ayant des ramifications dans plusieurs pays. Il s'agit donc d'un enjeu qui concerne l'Union européenne dans son ensemble.
Jeudi 25 juin 2009
- Présidence de M. Hubert Haenel -Institutions européennes
Présentation des
priorités de la
présidence suédoise de l'Union
européenne
Audition de M. Gunnar Lund, Ambassadeur
de Suède en France
M. Hubert Haenel. - Monsieur l'Ambassadeur, dans quelques jours, la Suède va accéder pour la seconde fois à la présidence de l'Union européenne. Assurer la présidence de l'Union européenne constitue toujours un évènement important pour l'État concerné. De plus, votre présidence intervient à un moment où l'Europe est confrontée à de nombreux défis avec la ratification en cours du traité de Lisbonne, la gestion de la crise financière, les progrès nécessaires dans la lutte contre le changement climatique ou encore le programme des réformes dans le domaine de la justice et des affaires intérieures.
Je vous remercie donc d'avoir accepté de venir aujourd'hui au Palais du Luxembourg devant la commission des affaires européennes du Sénat pour préciser le programme de la présidence suédoise. Suivant une tradition désormais bien établie, nous vous entendons aujourd'hui en tant qu'ambassadeur de l'État accédant à la présidence et nous recevrons prochainement notre ambassadeur en Suède afin d'avoir une vision complète du contexte et des enjeux de celle-ci.
M. Gunnar Lund. - C'est un honneur et un plaisir d'évoquer devant vous les perspectives de la deuxième présidence suédoise de l'Union européenne. En effet, la Suède a adhéré à l'Union européenne en 1995 et a déjà assuré la présidence de l'Union européenne en 2001. Et cette expérience nous sera très utile dans les mois à venir. La priorité était alors à l'élargissement de l'Union européenne vers l'est, élargissement qui a depuis été réalisé. Mais cette présidence a surtout constitué un tournant dans les relations entre l'Union européenne et les Suédois car ces derniers étaient auparavant eurosceptiques. Elle a en effet représenté ce moment décisif à partir duquel le peuple suédois a véritablement adhéré à l'Union européenne. Et ce sentiment d'appartenance à l'Union européenne ne cesse de se renforcer.
Depuis 2006, le gouvernement suédois est composé d'une coalition de quatre partis de centre droit tous favorables à l'Union européenne et il souhaite, pendant sa présidence, mettre la Suède au coeur de l'Europe. Les différentes formations politiques ont d'ailleurs décidé de mettre entre parenthèses les débats nationaux au profit de l'agenda européen durant notre présidence. Les meilleures conditions sont donc réunies pour le déroulement de cette dernière.
Cependant, vous l'avez souligné, la présidence suédoise va intervenir dans une période de crise, qui prend trois formes principales :
- il s'agit d'abord d'une crise économique et financière, qui dominera la présidence suédoise comme elle avait dominé les présidences française et tchèque ;
- il s'agit ensuite d'une crise climatique et énergétique. Cette crise est présente depuis des années, mais il convient maintenant d'y apporter des solutions ;
- enfin, depuis les « Non » français et néerlandais lors des référendums sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe, l'Union européenne connaît une crise institutionnelle.
La période qui s'ouvre est donc déterminante pour l'avenir de l'Union : soit elle surmonte la crise actuelle que je viens d'évoquer et elle sortira renforcée de cette dernière, soit elle n'y parvient pas et elle sera alors plutôt fragilisée.
Les trois priorités principales de la présidence suédoise consistent donc à trouver des réponses satisfaisantes à la crise économique et financière actuelle, à adopter une stratégie ambitieuse en matière de lutte contre le changement climatique et de politique énergétique, et à résoudre les difficultés institutionnelles.
En premier lieu, face à la crise économique et financière, la Suède va mener trois actions distinctes.
Elle va d'abord s'attacher à mettre en oeuvre au plus vite les décisions du Conseil européen des 18 et 19 juin relatives à la régulation financière, fondées sur le rapport du groupe d'experts présidé par M. de Larosière et les recommandations de la Commission européenne. Le manque de supervision financière au niveau européen a facilité le déclenchement de la crise que nous connaissons. Bien sûr, il existe encore des réticences britanniques. Par ailleurs, les spécificités du système bancaire allemand ne vont pas sans poser quelques difficultés. Mais il existe à l'heure actuelle une opportunité exceptionnelle pour améliorer le fonctionnement des marchés financiers.
Dans le domaine de la politique économique, tout en soutenant les efforts actuels de stimulation des économies, la Suède va inciter à l'élaboration rapide d'une stratégie européenne de retour à la discipline budgétaire et fiscale à moyen terme, afin de rétablir la confiance des marchés et des investisseurs.
Enfin, la Suède, qui est très attachée au libre-échange, va lutter contre les réflexes protectionnistes de plus en plus prégnants en dehors comme au sein de l'Union européenne, en demandant le respect strict des règles du marché intérieur et celles du commerce international.
En deuxième lieu, la présidence suédoise désire obtenir des résultats ambitieux dans l'élaboration de la réponse européenne aux défis posés par le changement climatique. Elle espère donc que, à la réunion prévue à Copenhague en décembre prochain, l'Union européenne pourra signer un accord prévoyant une réduction sensible des émissions de gaz à effet de serre susceptible de remplacer les accords de Kyoto. En pratique, nous avons déjà des contacts intenses avec le gouvernement américain sur ce sujet, qui fera aussi l'objet d'une discussion lors du sommet du G8 au mois de juillet.
Sous la forme d'une boutade, je dirai donc que la Suède a un double objectif « modeste » pour sa présidence : sauver l'économie mondiale et sauver la Planète !
En troisième lieu, nous souhaitons faire sortir l'Union européenne de la crise institutionnelle actuelle. Le nouveau Parlement européen va se réunir en juillet, mais la Commission européenne en fonction achève son mandat. Aussi est-il indispensable pour la stabilité de l'Union européenne de pouvoir reconduire M. Barroso, dont la candidature a fait l'objet d'un consensus lors du Conseil européen, à la tête de la Commission au plus vite. Nous consultons à l'heure actuelle les formations politiques du Parlement européen pour savoir si cette option que nous souhaitons est envisageable.
Et, dans l'hypothèse d'une ratification du traité de Lisbonne à l'automne par le peuple irlandais, la Suède aura un rôle déterminant dans les nominations de personnalités importantes de l'Union européenne, telles que le président permanent du Conseil européen ou le haut représentant pour les affaires étrangères. Le choix des hommes ou des femmes exerçant ses fonctions sera en effet crucial pour le bon fonctionnement et le rayonnement de l'Europe.
La Suède a d'autres priorités. Tout d'abord, dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, elle espère que l'actualisation pour les cinq prochaines années du programme de La Haye qui arrive à son terme, sera effective à la fin de sa présidence. Cette actualisation pourra alors prendre le nom de « programme de Stockholm ».
Le gouvernement suédois est également attaché au lancement de la stratégie pour la mer Baltique, qui part du constat que les États riverains de cette mer sont tous membres de l'Union européenne, à l'exception d'un pays, et constitue l'un des compléments de l'Union pour la Méditerranée pour les États du nord de l'Europe.
Mais la présidence suédoise sera aussi attentive à la mise en oeuvre du partenariat oriental mis en place par la présidence tchèque en faveur de l'Ukraine, de la Biélorussie, de la Moldavie et les trois pays du Caucase sud, car ces États enclavés entre l'Union européenne et la Russie connaissent de graves difficultés économiques et ont besoin du soutien européen.
Elle s'attachera également à la pérennisation de l'Union pour la Méditerranée qu'elle a toujours soutenue. A cet égard, la réunion qui a lieu aujourd'hui à Paris entre les 43 ministres de l'environnement des États membres de l'Union pour la Méditerranée constitue un signe positif de reprise de ses activités, après plusieurs mois de gel en raison du conflit israélo-palestinien.
L'élargissement de l'Union européenne constitue un autre dossier important pour la présidence suédoise. La Suède est très favorable à la poursuite de ce processus. Tout d'abord en faveur des pays des Balkans et notamment la Croatie dès lors que son contentieux territorial avec la Slovénie sera résolu. Mais également au profit de la Turquie, avec laquelle nous avons l'intention d'ouvrir un à deux nouveaux chapitres de négociation.
Car l'élargissement continu de l'Union européenne est à l'origine de la stabilité extraordinaire du continent européen et a pu dans le passé « faire des miracles » en transformant certains États. Nous serons aussi attentifs aux démarches de l'Islande, qui pourrait déposer une demande d'adhésion à l'Union européenne en juillet.
La présidence suédoise tentera de faire preuve d'autant de volontarisme que la présidence française. Et, confortée par sa tradition de rassemblement et de consensus, elle prendra garde à ne pas diviser les États membres de l'Union européenne dans les choix proposés.
M. Robert del Picchia. - Les États qui prennent la présidence de l'Union européenne ont en général tendance à afficher des objectifs modestes, ce qui leur permet ultérieurement de se féliciter des succès obtenus. Je constate, à l'inverse, que la future présidence suédoise présente des perspectives ambitieuses, ce qui est une bonne chose.
Je voudrais revenir sur vos propos relatifs à l'élargissement de l'Union européenne. L'Islande va peut-être déposer une demande d'adhésion, mais il faudra nécessairement qu'elle mette de l'ordre dans ses finances publiques. Et je m'interroge sur les raisons pour lesquelles les Norvégiens demeurent rétifs à une adhésion éventuelle de leur pays à l'Union européenne. Je me souviens que, en 1994, le gouvernement norvégien était optimiste sur les perspectives d'adhésion avant le référendum qui se conclut pourtant par le refus des Norvégiens d'entrer dans l'Union européenne.
Confirmez-vous par ailleurs que la Suède est favorable à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ?
Je voudrais évoquer de nouveau la résolution de la crise institutionnelle. Si l'Irlande ratifie bien le traité de Lisbonne à l'automne, ce dernier pourra-t-il alors entrer rapidement en vigueur ?
M. Pierre Fauchon. - Je voudrais vous faire partager deux réflexions :
- tout d'abord, je considère que la paralysie actuelle de l'Union européenne, dont l'avenir est suspendu aux voeux du peuple irlandais, n'est pas satisfaisante. Est-il impensable que les États qui souhaiteraient aller plus loin dans l'approfondissement de l'Union européenne puissent le faire sans être dépendants des autres ?
- Par ailleurs, n'est-ce pas un souci pour votre pays de présider l'Union européenne tout en n'étant pas membre de la zone euro ?
Mme Annie David. - J'ai bien entendu vos propos sur la candidature de M. Barroso à la présidence de la Commission et je tiens à rappeler que cette candidature n'est pas souhaitable car M. Barroso incarne cette Europe libérale qui a été rejetée par les électeurs irlandais.
J'approuve votre volonté d'aboutir à un accord ambitieux à la réunion de Copenhague dans la lutte contre le changement climatique, mais les résultats de la conférence préparatoire sont, semble-t-il, mitigés. Les propositions de réduction d'émission de gaz à effet de serre rendues publiques par les États-Unis et la Chine sont insuffisantes.
Vous avez indiqué que la présidence suédoise avait l'intention de mieux réguler les marchés financiers sur le fondement des propositions du rapport du groupe d'experts présidé par M. de Larosière ; mais ces experts appartiennent justement à cette sphère financière dont les dysfonctionnements sont à l'origine de la crise que nous connaissons. Il conviendrait de trouver d'autres solutions. En particulier, il faudrait encadrer la rémunération des dirigeants des grandes entreprises.
Vous paraissez revendiquer la mise en place d'une politique industrielle européenne. Mais n'est-ce pas contradictoire avec vos propos dénonçant le protectionnisme ? Quelles peuvent être alors les mesures à adopter contre le « dumping social » ?
Enfin, je voulais évoquer deux points du programme de Stockholm dont vous n'avez pas fait mention. Ce dernier comprend des dispositions relatives à la lutte contre la traite des êtres humains que je soutiens. En revanche, je suis opposée à la mise en place d'une carte bleue en faveur des ressortissants non communautaires qualifiés ; en effet, la rupture du contrat de travail de l'intéressé pourrait alors mettre fin à son droit au séjour sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne, ce qui n'est pas acceptable.
De même, ce n'est pas acceptable qu'on laisse entendre qu'il y a, dans certains États comme l'Inde, des « fabriques d'ingénieurs » dont pourrait bénéficier l'Union européenne. Cela me choque. Je tenais à connaître votre sentiment sur ces propos.
M. Robert Badinter. - Je voulais revenir sur l'Europe de la justice. Vous nous avez indiqué que le programme de Stockholm entrerait en vigueur pour les cinq années à venir. Mais, dans l'hypothèse d'une ratification du traité de Lisbonne, serait-il possible d'envisager en la matière des coopérations renforcées ?
Ayant suivi le dossier depuis 16 ans, je voudrais savoir si la Suède compte prendre de nouvelles initiatives pour régler le contentieux territorial entre la Slovénie et la Croatie afin de permettre l'adhésion de cette dernière à l'Union européenne ? De même, votre gouvernement a-t-il une stratégie pour le Kosovo où la situation est fragile ?
Enfin, comment la future présidence suédoise envisage-t-elle la position de l'Union européenne face au conflit israélo-palestinien ? Et sur la question iranienne?
M. Simon Sutour. - Je voudrais avant tout préciser que je trouve rassurant que la présidence de l'Union européenne soit bientôt assurée par un État particulièrement réputé pour son sérieux ayant une vraie tradition de rassemblement politique.
La candidature de M. Barroso pour la présidence de la Commission européenne résulte du rapport de forces issu des élections européennes, mais confirmez-vous que la Suède va tenter d'obtenir la reconduction de ce dernier à la tête de la Commission dès le mois de juillet ?
J'ai écouté attentivement vos propos sur la nécessaire poursuite de l'élargissement de l'Union européenne. Dans cette perspective, la Suède est-elle favorable à une adhésion de l'Ukraine ?
M. Serge Lagauche. - Sous présidence suédoise, l'Union européenne va-t-elle pouvoir apporter un soutien réitéré à la Lettonie, petit État membre qui, à l'heure actuelle, connaît de grandes difficultés économiques et subit une pression politique importante de la part du gouvernement russe ?
Mme Colette Mélot. - J'ai écouté avec intérêt votre plaidoyer pour le libre échange en Europe et je pense que nous pourrions aller encore plus loin en la matière.
Pour renforcer la cohésion au sein de l'Union européenne, la Suède ne souhaite-t-elle pas rejoindre la zone euro et inciter d'autres États à faire de même ?
Enfin, je voulais à mon tour vous demander si vous pensez que les négociations d'adhésion de la Croatie vont pouvoir avancer sous votre présidence ?
M. Gunnar Lund. - La question des rapports entre la Norvège et l'Union européenne est sensible pour le représentant d'un État voisin. Le peuple norvégien ne veut pas adhérer à l'Union européenne aujourd'hui, à la fois parce qu'il est soucieux de son indépendance et parce que sa situation économique, qui lui garantit cette indépendance, ne l'incite pas à s'engager dans un tel processus. L'adhésion possible de l'Islande à l'Union européenne, si elle était accompagnée d'accords intéressants dans le domaine de la pêche, pourrait faire évoluer cette position.
M. Robert del Picchia. - Malgré leur souci d'indépendance, les Norvégiens sont très actifs au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).
M. Gunnar Lund. - La Suède, après avoir longuement hésité, est effectivement très favorable à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne dès lors que ce pays remplit les conditions entre autres exigées des autres candidats. Cette position claire résulte de négociations difficiles en 1999 au cours desquelles notre gouvernement avait été convaincu par la France de la pertinence d'une telle adhésion. Depuis, nous sommes restés fidèles à cette position.
Sur la crise institutionnelle, je partage le sentiment selon lequel si le « Oui » irlandais au traité de Lisbonne et la signature par les présidents de la République tchèque et polonais n'interviennent pas rapidement, le processus risque d'être remis en cause par les conservateurs britanniques, dans l'hypothèse où ceux-ci remporteraient les prochaines élections au Royaume-Uni.
M. Pierre Fauchon. - N'est-il pas possible d'avancer dans la construction européenne même si tous les États membres ne sont pas d'accord?
M. Gunnar Lund. - Il faut garder en mémoire que, en 2005, l'Union européenne a respecté les « Non » français et néerlandais, les processus référendaires alors en cours ayant même été abandonnés. La moindre des choses est aujourd'hui de respecter le « Non » initial irlandais et d'attendre les résultats du deuxième référendum. L'Union européenne n'est pas une fédération, mais une Union d'États souverains. Il convient de respecter la volonté des peuples.
Le fait pour la Suède de ne pas appartenir à la zone euro constitue un handicap alors qu'elle va prendre la présidence de l'Union européenne, mais les Suédois, par référendum en 2003, ont clairement refusé toute perspective d'adhésion. A l'heure actuelle, l'opinion publique évolue en raison de la crise financière qui a souligné la solidité de l'euro, mais certaines formations politiques estiment que si une autre consultation des électeurs devait avoir lieu sur ce sujet, elle ne pourrait intervenir avant 2014. L'adoption de l'euro nécessite en outre le respect de plusieurs critères.
Le traité de Lisbonne va apporter d'importantes améliorations au fonctionnement actuel de l'Union européenne, en particulier en instituant une continuité de la présidence du Conseil européen.
Si, dans les négociations en cours relatives à la préparation de la réunion de Copenhague, l'Union européenne est légitimement déçue par les premières propositions américaines, il faut néanmoins souligner que la nouvelle administration dirigée par le président Obama a, contrairement à l'administration Bush, su créer les conditions favorables à un accord global pour la lutte contre les effets du changement climatique.
Sur la réforme des marchés financiers et du système bancaire, la Suède, comme la plupart des États membres, ne souhaitent pas de révolution, mais des améliorations des mécanismes actuels destinés à mieux les réguler, à l'exemple du futur comité européen du risque systémique. En cela, les recommandations du rapport du groupe présidé par M. de Larosière sont pertinentes.
Les mesures relatives à l'immigration constituent effectivement un chapitre important du programme de Stockholm. Ces mesures ne sont qu'un programme de travail composé de multiples propositions, à l'exemple du pacte pour l'immigration qui avait été adopté sous présidence française et auquel nous avons souscrit. La Suède souhaite désormais préciser le droit en vigueur en matière de droit d'asile, en particulier pour améliorer l'accueil des demandeurs d'asile et pour créer un bureau d'appui qui peut soulager les pays membres sujets à des flux importants et rendre l'accès plus facile aux demandeurs d'asile.
Par principe, la Suède n'est pas opposée à l'utilisation de coopérations renforcées pour permettre à certains États membres d'aller de l'avant dans certains domaines. Mais elles ne doivent pas conduire à une division de l'Europe entre un groupe d'États membres ayant des ambitions plus grandes et un autre groupe d'États aux objectifs plus modestes. Comme je l'ai déjà indiqué, il est essentiel pour l'Union européenne de faire l'effort de rassembler tous les États membres autour de ses projets.
M. Robert Badinter. - Pourtant, certaines avancées majeures de l'Europe, comme l'espace Schengen et la zone euro, ont pu être mises en oeuvre grâce à la mobilisation initiale d'un groupe d'États membres.
M. Gunnar Lund. - Sur le contentieux territorial entre la Croatie et la Slovénie, tout comme le commissaire européen Olli Rehn, qui vient de déclarer, après des mois de négociations, qu'il abandonnait ses démarches de conciliation, la Suède estime que les deux États devraient désormais faire preuve de responsabilité pour trouver un compromis. De même, la présidence suédoise n'a pas prévu d'initiative spécifique pour le Kosovo, mais notre ministre des affaires étrangères, Carl Bildt, qui a été représentant de l'Union européenne en Bosnie, surveille attentivement la situation des Balkans.
Les dernières évolutions du conflit israélo-palestinien et de la situation iranienne semblent prometteuses. L'Iran va sortir affaibli de la crise qui a suivi l'élection présidentielle et aura donc moins d'influence sur les États voisins. De plus, contrairement à l'administration Bush qui avait renforcé le régime actuel en prétendant le changer, l'administration Obama a permis de réunir les conditions pour relancer le dialogue régional. Toutes les opportunités devront être saisies pour que ce dernier se mette en place.
Effectivement, mon gouvernement est favorable à une reconduction du président Barroso à la tête de la Commission européenne dès le mois de juillet car si cette nomination n'intervient pas rapidement, nous devrons attendre la ratification éventuelle du traité de Lisbonne. Mais cette reconduction dépend de la volonté du Parlement européen, où les discussions sont aujourd'hui très intenses sur ce dossier.
La Suède serait ouverte à une adhésion à terme de l'Ukraine à l'Union européenne. De même, elle partage le constat selon lequel la Lettonie a besoin d'un soutien important de l'Union européenne. Notre gouvernement est déjà beaucoup intervenu en faveur de ce pays où les banques suédoises sont très implantées, en lui octroyant des prêts ou en l'épaulant pour négocier une aide du fonds monétaire international. Il le fera encore s'il le faut et vient d'effectuer un emprunt auprès de la banque centrale européenne pour cela.
Je voulais enfin préciser, comme vous l'avez souligné, que la présidence suédoise ne travaillera pas directement à l'élargissement de la zone euro, mais va pouvoir contribuer à réunir les conditions économiques favorables à cet élargissement. Je pense en particulier aux nouveaux États membres dont la situation financière actuelle peut constituer un risque pour l'ensemble de l'Union européenne.