Mardi 16 juin 2009
- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -Crise laitière - Audition de M. Luc Chatel, secrétaire d'Etat chargé de l'industrie et de la consommation
La commission a entendu M. Luc Chatel, secrétaire d'Etat auprès de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, chargé de l'industrie et de la consommation.
M. Luc Chatel a d'abord affirmé que le Gouvernement, conscient de la gravité de la crise du secteur laitier, était pleinement mobilisé depuis plusieurs semaines pour trouver des solutions.
Revenant sur l'enchaînement de circonstances ayant conduit à la situation actuelle, il a d'abord souligné le rôle du retournement du marché mondial et l'effet déstabilisateur de l'annonce par la Commission européenne de la suppression des quotas laitiers. Sur la dimension strictement agricole de la crise, M. Luc Chatel a rappelé que M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, avait obtenu une clause de révision permettant la remise à plat des instruments européens de régulation agricole et que M. François Fillon, Premier ministre, avait annoncé le versement par anticipation, en octobre 2009, de 70 % des aides directes communautaires.
S'agissant des relations entre producteurs de lait, transformateurs et distributeurs, M. Luc Chatel, secrétaire d'Etat auprès de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, chargé de l'industrie et de la consommation, a rappelé que l'ancien système de régulation du prix du lait, fondé sur une recommandation émise tous les trimestres par le Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL), était doublement insatisfaisant puisque, d'une part, il était contraire aux règles de la concurrence et exposait les acteurs à de lourdes sanctions et que, d'autre part, il n'apportait ni la visibilité sur les prix et les volumes pour les producteurs, ni la sécurisation des approvisionnements pour les transformateurs. Ces défauts ont conduit le Parlement, dans le cadre de la loi de finances pour 2009, à modifier le code rural pour donner au CNIEL les moyens juridiques d'élaborer des indices prévisionnels servant de cadre de référence à une contractualisation entre producteurs et transformateurs.
La mise en place de ce nouveau dispositif, prévue pour le 1er avril 2009, s'est cependant faite dans un contexte de retournement des cours, ce qui a entraîné un blocage des négociations entre producteurs et transformateurs. Pour sortir de l'impasse, le secrétaire d'Etat auprès de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, chargé de l'industrie et de la consommation, et le ministre de l'agriculture et de la pêche, ont nommé deux médiateurs, dont le mandat a facilité l'adoption par le CNIEL, le 3 juin dernier, après des négociations difficiles, d'un indice prévisionnel pour l'année 2009 au niveau de 280 euros pour 1 000 litres de lait. Dans le même temps, le Gouvernement a annoncé un plan en faveur des exploitations laitières fragilisées comprenant, notamment, des mesures d'allègement des charges financières et sociales.
M. Luc Chatel a reconnu que l'âpreté des négociations ayant précédé l'accord sur le prix du lait avait permis de constater des difficultés dans la répartition de la valeur ajoutée entre les acteurs de la filière. Compte tenu de ces difficultés, le 13 juin dernier, il a reçu, conjointement avec M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, MM. Jean-Michel Lemétayer, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), et William Villeneuve, président des Jeunes agriculteurs (JA). Cette rencontre a été l'occasion d'évoquer les moyens susceptibles de garantir la transparence des prix et la loyauté des relations commerciales au sein de la filière, et d'annoncer deux mesures :
- la création d'une brigade de contrôle de la loi de modernisation de l'économie au sein de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour suivre l'application de ladite loi, offrir aux producteurs un interlocuteur de proximité et recueillir des informations sur les pratiques commerciales contestables ;
- le lancement d'une grande enquête sur le prix des produits laitiers permettant aux enquêteurs de la DGCCRF de relever plus de 80 000 prix et destinée à accélérer les travaux de l'observatoire des prix et des marges.
Revenant sur les accusations lancées contre la loi de modernisation de l'économie, M. Luc Chatel, secrétaire d'Etat auprès de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, chargé de l'industrie et de la consommation, a souligné que le régime juridique antérieur générait des effets pervers importants, notamment avec le système des marges arrière qui étaient payées in fine par les producteurs et les consommateurs. La mise en place d'une plus grande liberté de négociation, entourée de nombreux garde-fous, n'est donc pas à l'origine des problèmes actuels, mais constitue au contraire une partie de leur solution, du fait des outils de contrôle et de sanction qu'elle met à la disposition des acteurs les plus fragiles. Dans ce cadre, les fédérations ont aussi leur rôle ; des procédures judiciaires sont d'ailleurs en cours et certaines ont d'ores et déjà abouti au versement de dommages et intérêts aux producteurs. C'est le cas d'une action intentée par la Fédération nationale des producteurs de légumes (FNPL).
En revanche, il a reconnu que l'observatoire des prix et des marges était un outil dont le fonctionnement n'était pas satisfaisant. Il faut donc revoir celui-ci ainsi que ses méthodes de travail, en privilégiant le recours à une expertise indépendante et en s'inspirant des travaux de décomposition des prix et des marges dans la filière pêche réalisés de façon probante par l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER).
M. Luc Chatel, secrétaire d'Etat auprès de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, chargé de l'industrie et de la consommation, a fait valoir que l'enjeu du prix du lait était double : permettre la pérennisation de la filière de production laitière, mais aussi contribuer au développement d'une industrie agroalimentaire compétitive.
M. Jean-Paul Emorine, président, a souligné que les mesures prises pour sortir de la situation de crise devaient contribuer à rassurer les producteurs de lait.
M. Gérard Bailly est ensuite intervenu pour :
- rappeler que le groupe d'études s'était pleinement impliqué dans le suivi de ce dossier, notamment à travers la réalisation de nombreuses auditions ;
- souligner l'extrême gravité de la situation économique à laquelle font face les producteurs de lait ;
- expliquer que la crise avait des origines multiples, notamment le démantèlement des mécanismes de régulation des cours du lait et la répartition inéquitable de la valeur ajoutée au sein de la filière en raison d'un rapport de forces jouant à l'avantage de la grande distribution ;
- appeler le Parlement à prendre ses responsabilités et à instaurer la transparence des prix et des marges.
M. François Fortassin a souligné que la colère grondait dans le monde agricole. Il a dénoncé l'attitude suicidaire des industriels et des distributeurs de la filière qui jouent contre leurs intérêts de long terme en n'assurant pas la pérennité des exploitations laitières. S'élevant contre l'application catastrophique de la loi de modernisation de l'économie et contre l'attitude passive des pouvoirs publics, il a mis en garde contre les risques de violence que pourrait générer le désespoir des producteurs de lait acculés à la faillite.
M. Gérard Le Cam a regretté que la mise en place d'un système de prix planchers rémunérateurs et d'encadrement des marges ne soit pas compatible avec les règles européennes de la concurrence. Il a aussi souligné que la disparition de l'élevage bovin constituait non seulement un sinistre économique, mais aussi une très mauvaise nouvelle pour les politiques d'aménagement durable du territoire.
M. Gérard César a fait valoir que la régulation de la concurrence ne relevait pas seulement de l'Union européenne mais aussi de l'Organisation mondiale du commerce. Il a souhaité une meilleure application de la loi de modernisation de l'économie, ce qui implique la mise en place d'une fonction de contrôle efficace et, le cas échéant, des sanctions contre les acteurs qui ne respectent pas les règles. Il a par ailleurs mis l'accent sur le fait que le coeur des difficultés de la filière laitière était celui d'une interprofession insuffisamment organisée, dans laquelle les producteurs ne sont pas en mesure de défendre leurs intérêts.
Mme Élisabeth Lamure a indiqué qu'on ne pouvait pas mettre en cause de manière générale la loi de modernisation de l'économie, puisqu'on constate que certaines filières ne rencontrent pas les mêmes difficultés que la filière laitière.
S'enquerrant du fonctionnement des brigades de contrôle, M. Michel Bécot a remarqué que les marges pratiquées par la grande distribution sur le lait étaient plus élevées qu'elle ne le concédait.
Faisant observer le caractère tardif des mesures d'application de la loi de modernisation de l'économie et de la prise de conscience de la nécessité d'un nouveau mécanisme interprofessionnel, M. Yannick Botrel a pointé les effets déstabilisants de la disparition progressive des quotas laitiers. Notant la grande concentration des centrales d'achat et leur poids commercial, il a insisté sur la diversité des producteurs, des prix du lait pratiqués et de leur capacité à affronter la crise. S'interrogeant sur les moyens de répondre à leurs besoins de façon urgente, il a appelé à plus de transparence sur les marges dans toutes les filières agricoles.
Mettant en relief la dimension communautaire, voire mondiale de la crise, M. Jean Bizet a rappelé le maintien des instruments de régulation européens tels que les mécanismes d'intervention ou de restitution. Questionnant le ministre sur les moyens dont bénéficieraient les brigades de contrôle et sur son opinion sur le rapport du Conseil économique et social sur les modalités de formation des prix alimentaires, il a mis en garde contre les risques de graves débordements à l'encontre de la grande distribution si la crise n'était pas rapidement résolue. Prenant acte du fait que les quotas laitiers sont voués à disparaître, il s'est interrogé sur le développement d'outils alternatifs tels que la contractualisation, et sur la possibilité pour cette dernière d'intégrer la grande distribution ainsi que le deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC).
Faisant remarquer que les producteurs laitiers vendaient en dessous de leurs coûts de production, M. Martial Bourquin a estimé que les trente millions d'euros promis par le Gouvernement, au titre des mesures d'accompagnement, ne suffiraient pas, ajoutant que les éleveurs souhaitaient obtenir, non pas des subventions, mais un mécanisme de fixation des prix leur permettant d'exercer leur activité dans des conditions économiques satisfaisantes.
M. Gérard Cornu a interrogé le ministre sur l'opportunité de prendre des mesures temporaires sur le plan réglementaire.
Evoquant les moyens de sanction mis à disposition des brigades de contrôle de la DGCCRF, M. Benoît Huré a stigmatisé les conséquences néfastes d'un système libéral sur un secteur agricole dont il a souligné la spécificité. Regrettant que la référence à des prix mondiaux baissiers soit utilisée pour imposer une réduction des prix sur des produits contractualisés, il a estimé que seul un surplus de régulation permettrait d'atteindre des solutions durables. Faisant valoir la situation de pénurie structurelle affectant la planète en matière de production laitière, il a mis en avant la responsabilité des acteurs de la grande distribution plus que ceux de la transformation, et a appelé à définir une stratégie politique ambitieuse.
M. Alain Chatillon a considéré qu'une obligation de paiement des producteurs et fournisseurs à trente jours fin de mois résoudrait une grande partie du problème. S'interrogeant sur l'inaction de la DGCCRF et regrettant l'insuffisant investissement du ministère en charge de l'agriculture, au bénéfice de celui en charge de la santé, sur les problématiques alimentaires, il a souligné que les grands groupes du secteur de la distribution n'avaient pas été en mesure d'exporter davantage, comme l'espéraient les partisans d'une politique de concentration du secteur. Faisant remarquer que les producteurs et transformateurs n'étaient pas commercialement en position d'assigner les acteurs de la distribution pour abus de position dominante, il a insisté sur l'importance des efforts d'innovation à réaliser. Regrettant à cet égard l'absence de financement des pôles de compétitivité pour l'année 2008, il a interrogé le ministre sur les crédits octroyés par les institutions financières européennes et internationales.
Rappelant que le secteur laitier était l'une des filières agricoles les plus restructurées et modernisées, M. Jean-Paul Emorine, président, a jugé par conséquent relativement aisé de déterminer les prix de revient des produits laitiers et, ainsi, l'écart avec leurs prix de vente.
En réponse aux divers intervenants, M. Luc Chatel, secrétaire d'Etat auprès de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, chargé de l'industrie et de la consommation, a apporté les éléments de précision suivants :
- soucieuse de son indépendance alimentaire, la France n'est pas favorable à la dérégulation totale des marchés agricoles à l'échelle européenne. La notion de contractualisation est, à cet égard, proche du nouveau mécanisme interprofessionnel prôné par le Gouvernement ;
- la concurrence, lorsqu'elle est bien régulée, reste le meilleur moyen d'ajuster les prix aux conditions du marché ;
- certaines dispositions au sein de la loi de modernisation de l'économie permettent de faire reconnaître et sanctionner les pratiques illicites de la grande distribution. Certaines interprofessions s'en sont emparées et il faut à présent y recourir plus largement ;
- la libre négociation des conditions commerciales doit s'accompagner de garde-fous, dont les transgressions pourront être dénoncées auprès de la brigade de contrôle ;
- s'agissant des prix planchers, le Gouvernement prône la conclusion de contrats pouvant comporter ce type de clause ;
- l'interprofession laitière est particulièrement bien organisée, ce qui n'est pas le cas de toutes les autres filières:
- l'évaluation en cours des mesures d'application de la loi de modernisation de l'économie devrait permettre également d'analyser les relations entre producteurs et grossistes :
- la brigade de contrôle sera placée sous l'autorité de la directrice de la DGCCRF, et disposera de relais régionaux et départementaux, ainsi que d'une coordination renforcée ;
- le prix moyen du lait UHT en grande surface est de 76 centimes d'euro par litre, selon les données de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ;
- le caractère tardif des effets de la loi de modernisation de l'économie s'explique par le fait que ses mesures ont pris pleinement effet au 1er mars 2009 avec la signature des conventions annuelles pour 2009 ;
- trente millions d'euros ont été débloqués en urgence par le ministre en charge de l'agriculture, tandis que des paiements anticipés des aides européennes vont être consentis ;
- le degré de compétitivité doit être amélioré tant pour les producteurs que pour les transformateurs ;
- les produits agricoles non transformés ne sont pas concernés par les dispositions sur la négociabilité de la loi de modernisation de l'économie ;
- il n'est, ne serait-ce que pour des raisons pratiques, pas envisageable de prendre des mesures temporaires d'encadrement des prix ;
- les sanctions encourues en cas de pratique commerciale illicite s'élèvent jusqu'à 75 000 euros d'amende devant le juge pénal, et deux millions d'euros, pouvant être portés au triple de l'indu, devant le juge civil ;
- les délais de paiement ont été raccourcis dans la loi de modernisation de l'économie, afin de redonner de la trésorerie aux producteurs ;
- le secteur agroalimentaire a un caractère interministériel prononcé, comme l'illustre l'existence d'un délégué interministériel ;
- si la compétitivité s'est notablement accrue dans le secteur laitier, elle devra continuer à l'être pour conserver des éleveurs sur l'ensemble du territoire.
En conclusion, M. Jean-Paul Emorine, président, a estimé que la loi de modernisation de l'économie, qui avait permis davantage de transparence sur les prix, n'était pas en cause dans la crise laitière actuelle.