- Jeudi 19 mars 2009
- Les femmes dans les espaces privatifs de liberté - Audition de Mme Nicole Maestracci, présidente du tribunal de grande instance de Melun, membre de la Commission indépendante de labellisation des établissements pénitentiaires, présidente de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS)
- Les femmes dans les espaces privatifs de liberté - Audition de M. Claude d'Harcourt, directeur de l'Administration pénitentiaire
Jeudi 19 mars 2009
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -Les femmes dans les espaces privatifs de liberté - Audition de Mme Nicole Maestracci, présidente du tribunal de grande instance de Melun, membre de la Commission indépendante de labellisation des établissements pénitentiaires, présidente de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS)
La délégation a procédé à l'audition de Mme Nicole Maestracci, présidente du tribunal de grande instance de Melun, membre de la Commission indépendante de labellisation des établissements pénitentiaires, présidente de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS).
Mme Michèle André, présidente, a souhaité la bienvenue à Mme Nicole Maestracci et lui a indiqué que son audition intervenait au début des travaux que la délégation s'était assignés cette année, autour du thème des femmes dans les lieux privatifs de liberté, qui fera l'objet d'un rapport rendu en fin d'année. Elle a ensuite précisé un certain nombre de questions sur lesquelles la délégation souhaitait l'entendre.
Mme Michèle André, présidente, a tout d'abord évoqué la question du bilan de la situation des femmes incarcérées dans les prisons françaises et a souhaité savoir si l'on pouvait constater des disparités suivant qu'elles sont incarcérées dans des établissements pour peine, dans des maisons d'arrêt ou dans des centres de rétention. Elle a ensuite évoqué la question des conditions de détention des femmes, se demandant si ces dernières étaient conformes aux règles pénitentiaires européennes. Elle a également souhaité avoir des précisions sur la proportion d'établissements pénitentiaires recevant des femmes qui comportent des unités de vie familiale et sur l'évolution de la construction de telles unités. Puis elle s'est interrogée sur l'opportunité de revoir le dispositif psychiatrique, compte tenu de la forte proportion de femmes souffrant de troubles psychiatriques, comme la délégation avait pu le constater lors d'une récente visite du centre pénitentiaire de Rennes. Enfin, elle a souhaité savoir, d'une manière plus générale, si l'on constatait des disparités notoires de traitement entre les hommes et les femmes incarcérés en matière de peine alternative, d'aménagement des peines, de libération conditionnelle et de placement en centres de semi-liberté.
Après avoir remercié la délégation pour son invitation, Mme Nicole Maestracci a tout d'abord indiqué qu'elle n'aborderait pas, dans son exposé, les centres de rétention, qu'elle n'est amenée à connaître, ni dans le cadre de son activité de présidente du tribunal de grande instance de Melun, dans la mesure où il n'y a pas de centre de rétention dans ce ressort, ni dans le cadre de sa fonction de présidente de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS). Elle est ensuite revenue brièvement sur son expérience.
Elle a ainsi rappelé qu'elle avait été amenée, en tant que magistrat, à exercer différentes fonctions, en particulier celles de juge d'application des peines dans les années 1990, celles de magistrat à l'administration centrale du ministère de la justice (administration pénitentiaire) entre 1984 et 1987 et de présidente du tribunal de grande instance de Melun, fonctions qu'elle exerce encore aujourd'hui.
Elle a également indiqué que, parallèlement à ses fonctions de magistrat, elle présidait la FNARS, qui fédère 800 associations environ, 2 200 établissements, qui sont essentiellement des centres d'hébergement, d'insertion et d'urgence, mais aussi des résidences sociales, des maisons-relais, la moitié des centres d'accueil pour demandeurs d'asile et la moitié des chantiers d'insertion, c'est-à-dire des structures d'insertion professionnelle pour les personnes qui sont très éloignées de l'emploi. Elle a rappelé que, même si la situation avait beaucoup évolué depuis lors, la FNARS avait été créée en 1956 autour de deux populations spécifiques, les prostituées et les personnes sortant de prison. Elle a pourtant souligné que, paradoxalement, la FNARS avait relativement peu travaillé sur la question des femmes détenues, sans doute parce que celles-ci ne représentent qu'une population très minoritaire. A ce titre, elle a rappelé que la proportion de femmes détenues s'élevait à 3,4 % au 1er janvier 2009, selon les chiffres de l'administration pénitentiaire, mais que, selon les données européennes, le nombre de femmes incarcérées avait tendance à légèrement augmenter en Europe, y compris en France.
Evoquant ensuite la question de savoir si les juges avaient, à l'égard des femmes, une attitude particulière qui les conduirait à limiter, plus que pour les hommes, le recours à l'incarcération, Mme Nicole Maestracci a reconnu ne pouvoir se fonder que sur son expérience personnelle, en l'absence de toute étude officielle sur le sujet. Elle a rappelé que la loi obligeait les magistrats, en cas de détention provisoire, à vérifier si le prévenu avait ou non des enfants à charge, estimant que cette disposition jouait plus fréquemment en faveur des femmes que des hommes. Elle a également indiqué que les femmes, étant moins souvent condamnées, n'avaient pas de casiers judiciaires aussi fournis et semblaient moins récidivistes que les hommes, ou encore qu'elles étaient moins enclines à commettre certains types de délits violents. Mme Nicole Maestracci a estimé que toutes ces considérations pouvaient conduire les juges à privilégier, le plus souvent, un contrôle judiciaire, même un peu strict, à l'incarcération.
Concernant les caractéristiques de la population des femmes détenues, Mme Nicole Maestracci a précisé qu'environ 2 300 femmes étaient incarcérées, dont 800 en détention provisoire et 1 500 au titre d'une condamnation définitive. Précisant, pour ces dernières, les motifs de leur condamnation, elle a indiqué que les proportions étaient assez différentes de celles observées dans la population masculine, dans la mesure où, parmi les femmes condamnées, 245 l'étaient pour assassinat, d'adultes comme d'enfants - l'infanticide constituant un crime typiquement féminin - 225 pour violences et 115 pour agressions sexuelles, le plus souvent intrafamiliales, le reste étant réparti assez classiquement, comme pour les hommes, entre trafics de stupéfiants, escroqueries et vols. Elle a aussi indiqué que, sur cette population de 1 500 condamnées, 330 correspondaient à des peines criminelles - c'est-à-dire prononcées pour des infractions pour lesquelles la peine encourue est de dix ans au moins - et 1 238 à des peines correctionnelles, proportions assez équivalentes à ce que l'on trouve chez les hommes. Elle a rappelé que 27 mineures étaient incarcérées, ce qui posait des problèmes d'éloignement compte tenu du petit nombre d'établissements accueillant des mineures, mais que la majorité des femmes détenues avaient entre 30 et 40 ans. Elle a aussi insisté sur le fait que, par rapport aux hommes, il y avait une surreprésentation d'étrangères, en partie liée à l'incarcération de femmes d'Amérique latine très pauvres, condamnées au titre du trafic international de stupéfiants pour avoir transporté de la drogue à l'intérieur de leur corps. Elle a indiqué par ailleurs que les femmes détenues étaient, plus souvent que les hommes, illettrées et sans qualification professionnelle.
Abordant ensuite les caractéristiques spécifiques de l'incarcération des femmes, Mme Nicole Maestracci a tout d'abord indiqué que leur faible nombre avait pour corollaire un nombre très restreint d'établissements susceptibles de les accueillir, et entraînait, à son tour, des problèmes d'éloignement, notamment familial, qui compliquaient la préparation à la sortie. Après avoir rappelé que 67 % des détenus (hommes et femmes) passaient moins de six mois en détention, elle a souligné que l'on ne pouvait pas aborder de la même façon la détention des femmes placées en maison d'arrêt pour une très courte période et celle des femmes incarcérées pour de très longues peines.
Elle a indiqué que certaines détenues, placées en détention provisoire, puis condamnées à de très courtes peines, n'étaient jamais écrouées en qualité de « condamnées », dès lors que le juge prononçait une peine dont la durée était déjà couverte par la période de leur détention provisoire et que, compte tenu de leur répartition sur le territoire, le placement en maison d'arrêt ne se traduisait généralement pas par un trop grand éloignement. En revanche, et contrairement aux hommes, pour lesquels il existe des établissements assez bien répartis sur l'ensemble du territoire, les femmes condamnées à des peines longues se retrouvaient le plus souvent très éloignées de leur domicile, en raison du très faible nombre d'établissements pénitentiaires pour peines susceptibles de les accueillir : le centre pénitentiaire de Rennes avait pendant longtemps été le seul établissement pour peines pour les femmes, avec un quartier femmes à Fresnes pour les orientations ; quant à l'établissement pénitentiaire pour femmes créé depuis lors à Joux-la-Ville, il est très isolé et sa mauvaise desserte rend difficiles les visites par les familles.
Mme Nicole Maestracci s'est ensuite interrogée sur la pertinence du choix qui avait conduit à constituer quelques quartiers femmes séparés et spécifiques, plutôt que des quartiers plus petits de trois ou quatre cellules mieux répartis sur le territoire et qui auraient permis d'incarcérer les femmes, au moins les détenues provisoires ou les condamnées à de courtes peines, à proximité de leur domicile. Relevant que l'on était confronté à des arbitrages comparables en matière de détention des mineurs, elle a reconnu que la question ne pouvait être tranchée facilement, chaque solution ayant ses avantages et ses inconvénients. Elle a cependant estimé que la durée de la peine était sans doute l'un des paramètres importants de cette équation et que, dans le cas d'une courte détention, il convenait de privilégier les relations avec l'extérieur et la préservation des liens sociaux et familiaux, donc la préparation à la sortie, plutôt que les conditions intérieures de détention. Elle s'est dite, à cet égard, plutôt favorable à un objectif pragmatique qui tendrait à circonscrire l'incarcération, en cas de courte peine ou de détention provisoire, à un champ de 100 à 150 kilomètres autour du domicile de la détenue. Elle a également déploré que le très petit nombre de centres de semi-liberté ou de centres de peines aménagées pour les femmes amène le juge, notamment en Seine-et-Marne, à devoir rechercher d'autres mesures.
Mme Nicole Maestracci a soulevé le problème de la faiblesse du taux d'activité féminin en détention, aggravé selon elle par la non-mixité des établissements pénitentiaires et des activités de formation professionnelle ou scolaire. Elle a estimé que l'administration pénitentiaire proposait davantage de formation professionnelle aux détenus qu'aux détenues, du fait du faible nombre de ces dernières, et alors que celles-ci sont déjà, au départ, moins qualifiées.
Mme Nicole Maestracci a jugé que les femmes détenues bénéficiaient moins que les hommes de visites de leur famille et de leur conjoint, ce qui contribuait à les isoler davantage encore de l'extérieur : certains des délits qu'elles avaient commis - et notamment l'infanticide - pouvaient d'ailleurs contribuer à cet effacement du lien familial. Elle a également souligné la fréquente pauvreté de la population carcérale, citant une étude de la FNARS qui montrait que, hommes et femmes confondus, 25 % des personnes entrant en prison n'avaient aucune ressource et que 25 % n'avaient pas de logement stable, ces deux populations ne se confondant pas nécessairement.
Mme Nicole Maestracci a ensuite abordé la question des relations des détenues avec leurs enfants. Après avoir rappelé qu'il était possible pour une femme détenue de garder son enfant auprès d'elle jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 18 mois, elle a indiqué que, aujourd'hui, entre 55 et 65 enfants environ étaient auprès de leur mère détenue et que leur moyenne de séjour dans les établissements pénitentiaires était d'à peu près six mois. Elle a précisé que certains établissements avaient passé des conventions avec les conseils généraux pour que ces enfants soient accueillis en crèche à l'extérieur.
Concernant les enfants qui se trouvent séparés de leurs mères incarcérées, Mme Nicole Maestracci a précisé que l'incarcération ne constituait généralement pas la seule cause de la séparation et que, dans 40 % des cas, selon l'administration pénitentiaire, la séparation précédait d'ailleurs l'incarcération, soit que les enfants fussent déjà placés, soit qu'ils fussent pris en charge par un autre membre de la famille. Elle a estimé que la visite des enfants dans les établissements pénitentiaires ne pouvait se dérouler dans de bonnes conditions que si les enfants étaient accompagnés par d'autres membres de la famille, pris en charge par un service éducatif ou aidés par des associations comme l'association Relais enfants-parents. Après avoir noté que tous les établissements ne disposaient pas de locaux adaptés à la visite des enfants, elle a indiqué qu'il était indispensable que ces visites soient préparées et accompagnées. Elle a précisé que les unités de vie familiale étaient bien adaptées, sous réserve également que les séjours soient bien préparés.
Elle a aussi estimé qu'une survalorisation du lien de ces femmes avec leurs enfants, liée au stéréotype qui leur fait en quelque sorte l'obligation d'être de bonnes mères, pouvait très souvent perturber cette relation, particulièrement au moment de leur remise en liberté, où la reprise d'une vie commune soulève inévitablement des difficultés.
Mme Nicole Maestracci a indiqué que la sortie de prison restait un moment critique pour les femmes comme pour les hommes et a conseillé à la délégation de rencontrer des associations ou des foyers, comme le Centre d'hébergement et de réinsertion sociale « Soleillet » à Paris, relevant de l'Association Aurore, qui prend fréquemment en charge les sorties de longues peines. Elle a insisté sur le fait que ces associations s'attachaient à rencontrer les détenues très en amont, en collaboration avec les établissements pénitentiaires, pour préparer la sortie de prison, et étaient particulièrement attentives à la question de la reconstruction de la relation avec les enfants. Elle a déploré que le faible nombre de conseillers d'insertion et de probation, avec en moyenne un conseiller pour cent détenus, ne permette pas de mieux préparer leur sortie.
Abordant les aménagements de peines, Mme Nicole Maestracci a indiqué que le faible nombre de centres de semi-liberté accueillant des femmes conduisait à privilégier le dispositif souple du placement extérieur qui consiste à placer une détenue dans une association pour effectuer un travail, la plupart du temps sous forme d'un contrat aidé avec un accompagnement. Elle a toutefois regretté que l'administration pénitentiaire ne dispose pas des moyens qui lui permettraient de couvrir l'ensemble des coûts représentés par le placement d'un détenu à l'extérieur. Elle a aussi indiqué que les Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et les conseils généraux n'étaient généralement pas disposés à intégrer les personnes sortant de prison parmi celles relevant de leur prise en charge. Elle a regretté que n'ait pas été retenu l'amendement à la loi pénitentiaire proposé par la FNARS qui proposait d'intégrer, dans le code de l'action sociale et des familles, l'obligation de prendre en charge, dans le cadre de la veille sociale, les personnes sous main de justice au même titre que les populations de droit commun. Elle a souhaité que ces populations soient systématiquement prises en compte lors des évaluations des besoins sur un territoire, réalisées par le préfet.
Elle a ensuite abordé le thème, mis en avant par la FNARS, de l'insertion par l'activité économique, avec un aspect formation professionnelle « sur le tas », souvent plus adapté à des femmes en difficulté qu'une formation théorique, et une dimension extérieure avec un contrat aidé. Elle a indiqué que la FNARS, qui disposait de chantiers d'insertion sur tout le territoire, était tout à fait prête à travailler dans ce cadre, comme elle le fait déjà, de façon expérimentale, dans le cadre du programme européen EQUAL.
Puis Mme Nicole Maestracci a indiqué que, selon une étude épidémiologique récente et encore discutée, 35 % des détenus souffriraient de troubles psychiatriques sérieux comme la dépression grave, les troubles psychotiques, ou les troubles du comportement de type psychopathique. Elle a souligné que, parmi les femmes, certaines pathologies étaient très peu représentées comme les comportements de type psychopathique, alors que d'autres étaient relativement fréquentes, comme la schizophrénie ou la dépression, précisant qu'il était toujours difficile de savoir si l'incarcération et ses motifs étaient à l'origine de ces troubles ou s'ils ne faisaient que les aggraver. Elle a souligné l'importance de la qualité de la prise en charge sanitaire. A cet égard, elle a également relevé que les détenus, interrogés sur leurs besoins dans le cadre des états généraux de la condition pénitentiaire en 2006, avaient formulé des revendications très raisonnables qui touchaient en premier lieu la préparation à la sortie, puis la formation et l'activité professionnelles et enfin la prise en charge sanitaire.
Mme Nicole Maestracci a indiqué que seules trois des règles pénitentiaires européennes étaient spécifiques aux femmes : l'une, très générale, imposant aux autorités pénitentiaires de respecter les besoins des femmes au moment de prendre les décisions affectant l'un ou l'autre aspect de la détention, la seconde soulignant la nécessité de déployer des efforts particuliers permettant l'accès à des services spécialisés, notamment dans le cas de femmes avec des enfants, et la dernière concernant la possibilité pour une femme détenue d'accoucher à l'extérieur. Toutes les autres règles s'appliquent aussi bien aux femmes qu'aux hommes. Elle a estimé que le vote de la loi pénitentiaire devrait permettre d'améliorer le respect de l'ensemble de ces règles, même si la surpopulation pénale rendait parfois problématique leur mise en oeuvre effective, illustrant son propos par la difficulté pour l'administration d'assurer l'application, dans la durée, du protocole relatif à l'organisation du quartier arrivant.
Un débat a suivi l'intervention de Mme Nicole Maestracci.
Mme Michèle André, présidente, a demandé des précisions sur le réseau de la FNARS et les éléments qui le constituaient.
Après avoir rappelé que la FNARS fédérait un certain nombre d'associations qui conservaient leur pleine autonomie, Mme Nicole Maestracci, a indiqué que celle-ci employait à son siège 35 salariés au plan national et qu'elle disposait d'associations FNARS régionales sur lesquelles elle pouvait s'adosser. Elle a ajouté que la FNARS s'appuyait sur des organes de diffusion d'information comme son site Internet, différentes publications, l'organisation de journées thématiques et de journées de formation, ainsi que sur ses grands adhérents, tels Emmaüs, le Secours catholique ou l'Armée du Salut, qui disposent eux-mêmes d'un réseau d'information performant. Elle a précisé que la FNARS, qui compte environ 2 200 établissements, 12 000 travailleurs sociaux et accueille à peu près 600 000 personnes par an, pouvait ainsi relayer des messages sur tout le territoire national. Elle a exprimé le souhait de la FNARS de toucher davantage les travailleurs sociaux, et a rappelé qu'elle avait passé des conventions avec de nombreux organismes, dont l'administration pénitentiaire, pour développer des mesures d'aménagement de peine. Elle a regretté la faiblesse des crédits budgétaires qui leur sont consacrés, entraînant une grande insécurité pour les associations, dissuadées de se lancer dans des opérations nouvelles.
Après avoir remercié Mme Nicole Maestracci pour son intervention, M. Alain Gournac a confirmé le caractère préoccupant des problèmes afférents aux relations avec les enfants et à l'éloignement. Il s'est par ailleurs interrogé sur l'utilisation du bracelet électronique, sur la pertinence de l'idée de réserver des surveillantes femmes pour les quartiers de femmes et sur la récidive. Il a relevé avec étonnement que, dans le cadre de son partenariat avec la mairie du Pecq, l'administration pénitentiaire ne lui avait jamais proposé, depuis 1995, une femme pour des travaux d'intérêt général. Enfin, il a souhaité des précisions sur la difficulté pour les femmes de bénéficier de mesures de semi-liberté.
Mme Nicole Maestracci a indiqué que le recours au placement sous surveillance électronique était fréquent et bien adapté, sous réserve de le limiter à six mois maximum, citant à ce sujet les conclusions du rapport de M. Fenech, déposé à l'Assemblée nationale en décembre 2007, à l'occasion de l'examen de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Elle a également souligné que cette solution n'était pas adaptée pour les personnes alcooliques ou dépressives. Elle a rappelé que le bracelet électronique n'était qu'un outil et qu'un accompagnement social était toujours nécessaire. Elle a souligné que la récidive était moins fréquente chez les femmes, compte tenu de la nature des crimes les plus graves commis, mais que, en matière de stupéfiants, elle était globalement comparable à celle des hommes. Elle a enfin indiqué que des travaux d'intérêt général étaient prononcés en même proportion globalement pour les femmes que pour les hommes, même si certains travaux étaient moins adaptés aux femmes.
En réponse à Mme Christiane Kammermann, elle a indiqué que les deux établissements pour peine principaux pour les femmes étaient l'établissement pénitentiaire de Rennes et la prison de Joux-la-Ville.
Elle lui a également précisé que les problèmes posés par le placement extérieur pour les femmes étaient essentiellement financiers, l'administration pénitentiaire ne défrayant les associations organisant l'accueil des détenus que pour la partie peine à hauteur de 35 euros environ, le reste devant être pris en charge par la DDASS. Elle a regretté qu'une focalisation trop exclusive sur le maintien du lien familial conduise trop souvent à négliger, pour les femmes, l'insertion par la formation professionnelle et l'activité économique.
Les femmes dans les espaces privatifs de liberté - Audition de M. Claude d'Harcourt, directeur de l'Administration pénitentiaire
La délégation a ensuite procédé à l'audition de M. Claude d'Harcourt, directeur de l'Administration pénitentiaire.
Sur la suggestion de Mme Michèle André, présidente, M. Claude d'Harcourt a indiqué que, en complément des indications apportées à la délégation par M. Laurent Ridel, sous-directeur des personnes placées sous main de justice à la direction de l'administration pénitentiaire, lors d'une précédente audition, il apporterait quelques précisions sur la situation spécifique des femmes en détention, en faisant observer que cette question était difficilement dissociable de la problématique générale de l'incarcération.
Il a estimé que la France vivait un moment significatif de son histoire pénitentiaire en précisant que la réforme, dans ce domaine, n'était possible que si trois conditions étaient réunies. La première reposait sur l'existence d'un projet pénitentiaire inscrit dans un corpus juridique. A cet égard, il a souligné l'importance du projet de loi pénitentiaire en discussion au Parlement, en rappelant que, depuis 1947, la seule loi adoptée dans ce secteur était celle du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire, dont la petite dizaine d'articles se proposaient, pour l'essentiel, d'externaliser un certain nombre de fonctions pénitentiaires, comme la maintenance des bâtiments ou l'hôtellerie. Du point de vue juridique, il a également souligné l'intérêt des prescriptions du Conseil de l'Europe, signées par la France en janvier 2006, et qui constituaient, même en l'absence de valeur contraignante, un véritable levier d'action. Il a ajouté que quinze établissements pénitentiaires avaient été labellisés par l'Association française de normalisation (AFNOR) au titre de la procédure de l'accueil et de la prise en charge des arrivants. Revenant sur l'intérêt d'une adoption rapide du projet de loi pénitentiaire, il a insisté sur la nécessité d'une consécration législative des expérimentations conduites.
Il a ensuite présenté le programme immobilier comme le second pilier de la réforme. Contestant, sur la base de constats chiffrés, le bien-fondé des thèses qui présentent comme vain tout effort d'investissement au motif que « plus on construit et plus on a tendance à incarcérer », il s'est félicité de la programmation immobilière lancée en 2002 pour la construction de 13 000 nouvelles places de prison, en précisant que 5 130 places seraient ouvertes en 2009.
Il a ensuite insisté sur la troisième condition qui tient à une capacité de mobilisation des personnels, subordonnée à la condition qu'ils se sentent reconnus et valorisés. Il a vivement déploré, à cet égard, que des campagnes de presse aient conduit à stigmatiser une administration et à donner une représentation de la prison en décalage complet avec la réalité.
Il a estimé que l'efficacité pénitentiaire devait être mesurée à l'aune des taux de récidive, définis de façon large comme la proportion des détenus qui retournent en prison au terme de cinq ou de trois ans, et qui s'élèvent respectivement à 40 % et à 20 % aujourd'hui en France. Il a observé que, contrairement à l'idée reçue, la récidive était faible en matière de crimes et de délinquance sexuelle, mais en revanche très élevée pour les vols ou les délits, de moindre gravité. Mentionnant les difficultés de comparaison de ces taux avec la moyenne européenne, il a cependant signalé que, au Royaume-Uni « qui incarcère une fois et demie plus que la France », le taux de retour en prison à cinq ans était de 70 %. Il est convenu de ce qu'il conviendrait d'affiner la mesure de ce taux en France, établissement par établissement, conformément à la demande formulée par M. Jean-René Lecerf, rapporteur au Sénat du projet de loi pénitentiaire.
Il a ensuite analysé les principales modalités selon lesquelles l'administration pénitentiaire était tenue de différencier son approche de l'incarcération des femmes de celle des hommes.
Il a alors rappelé que le trafic de stupéfiants figurait en tête des causes d'incarcération des femmes - 16,4 % contre 13 % en moyenne générale - que 16 % des femmes incarcérées avaient commis des crimes de sang, contre une proportion moyenne de 7 % pour les hommes, mais que, en revanche, les femmes commettaient moins de violences volontaires, de viols, d'agressions sexuelles ou de vols qualifiés. Il a enfin précisé que 13 % des femmes en prison étaient coupables d'escroqueries, d'abus de confiance, de recel, de faux et usage de faux alors que le taux moyen se limite à 7 %. Il a également signalé que les femmes étaient également surreprésentées dans une rubrique dite « autres » qui comprend, notamment, les infractions à la législation sur les chèques, le vagabondage ou la mendicité et le proxénétisme.
Puis il a ensuite évoqué trois catégories particulières de femmes incarcérées.
Évoquant le cas des jeunes filles mineures incarcérées, il a relevé des formes de violence très intenses qui témoignent d'une profonde déstructuration de leur personnalité. Il a indiqué que, en dépit de la qualité des établissements pour mineurs qui constituent une référence au niveau européen, ceux-ci étaient confrontés à des difficultés marquant les limites d'un projet qui tablait sur la mixité pour favoriser la resocialisation des détenus mais dont l'expérience montrait qu'il ne pouvait fonctionner dès lors que certaines conditions préliminaires n'avaient pas été remplies.
Évoquant ensuite le cas des femmes étrangères incarcérées, le plus souvent pour trafic de stupéfiants, il s'est interrogé, au-delà de la nécessité de la sanction, sur la portée des mesures de réinsertion qui pouvaient être envisagées.
Il a enfin évoqué les femmes condamnées à de lourdes peines, en matière de crimes de sang, relevant qu'elles étaient moins que les hommes dans le déni de leur responsabilité.
Il a conclu son propos en rappelant que les femmes incarcérées étaient dans l'ensemble moins concernées par les difficultés provoquées par la surpopulation pénale.
A Mme Michèle André, présidente, qui demandait des précisions sur l'évolution du dispositif d'incarcération des mineurs, M. Claude d'Harcourt a d'abord chiffré à 680 les effectifs des mineurs incarcérés, en précisant que ce nombre était en baisse depuis dix ans et qu'il était inférieur de moitié à la capacité d'accueil globale de 1 100 places, qui se répartit entre 400 places dans les établissements pour mineurs (E.P.M.) et 700 dans les quartiers pour mineurs, qui, au terme d'un effort considérable ces dernières années, ont presque tous été rénovés. Puis il a brossé un tableau des EPM introduits par la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation judiciaire (LOPJ) qui correspondent pleinement à un concept de sanction éducative. Il s'agit, a-t-il précisé, d'unités de 60 mineurs répartis en sous-ensembles de 10 personnes qui bénéficient d'un accompagnement extrêmement perfectionné puisque 150 personnes, en moyenne, encadrent 60 mineurs selon une méthode pluridisciplinaire : la surveillance est assurée par des personnels en uniforme, de façon à incarner l'autorité, et la réinsertion est prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse. En outre, 20 à 25 heures de cours sont offertes chaque semaine aux mineurs par des enseignants, et le secteur médical est très développé, pour répondre aux besoins importants des mineurs dans ce domaine. Il a signalé que le principe initialement retenu, au sein des EPM, avait été de réserver une unité sur six à cinq ou six filles, mais que l'expérience avait montré que la mixité entraînait un « état de tension permanente », difficilement surmontable. Cette situation avait conduit, par exemple à Marseille, à transférer les mineures dans des quartiers de femmes, au risque de provoquer d'autres inconvénients et une diminution des activités qui leur sont proposées. Il a souligné qu'une réflexion était en cours pour surmonter des blocages et mettre en oeuvre la mixité.
Mme Bernadette Dupont s'est interrogée sur la possibilité d'enseigner la langue française aux détenues étrangères, et sur le traitement réservé à celles qui sont en situation irrégulière à l'issue de leur détention.
M. Claude d'Harcourt a rappelé que les détenues étrangères étaient souvent condamnées à de longues peines car le trafic de drogue était lourdement sanctionné. Il a précisé que des protocoles avaient été mis en place avec les préfectures pour que, dès lors qu'elles y ont droit, les détenues puissent obtenir un titre de séjour avant la fin de leur détention mais que, dans la plupart des cas, elles faisaient l'objet de reconduites à la frontière. Même si l'apprentissage d'une langue et la lutte contre l'illettrisme sont des objectifs globaux pertinents, il a estimé que les détenues originaires d'Amérique latine souhaitaient d'abord rentrer chez elles, et n'étaient pas nécessairement très motivées pour apprendre le français. Il a estimé que le meilleur levier consistait à s'appuyer sur les associations, qui ont les moyens de leur offrir les enseignements et les solutions les mieux adaptés.
Répondant à une interrogation de Mme Michèle André, présidente, et de Mme Bernadette Dupont sur l'activité des femmes incarcérées pour de longues peines, M. Claude d'Harcourt, prenant notamment l'exemple du centre pénitentiaire de Rennes, où sont fabriquées toutes les tenues des personnels qui y travaillent, a rappelé, de façon plus générale, que 38 % des détenus travaillaient. Il a signalé qu'au Royaume-Uni chaque détenu était rémunéré à hauteur de deux euros par jour, quelle que soit son activité alors que les personnes incarcérées en France avaient la possibilité de se constituer un « pécule » individualisé et d'un montant bien supérieur.
Mme Bernadette Dupont a alors évoqué le cas d'une jeune détenue turque très désireuse de parvenir à l'obtention d'un brevet de technicien supérieur (BTS) avant la fin de son incarcération, et réservée à l'idée de regagner son pays d'origine.
Prolongeant les propos de Mme Christiane Kammerman et de Mme Michèle André, présidente, sur leurs observations à l'occasion de la visite du centre de Rennes, M. Claude d'Harcourt a estimé que les femmes s'efforçaient en général, plus que les hommes, de prendre en main leur destin, en soulignant au passage la propreté des prisons pour femmes ainsi que la corrélation entre la bonne tenue d'un établissement et le comportement des détenus.
M. Alain Gournac a estimé que l'image des prisons s'améliorait globalement en France, tout en déplorant que certains incidents soient parfois montés en épingle au point d'occulter le reste. Il s'est interrogé sur la pertinence du choix qui aurait consisté à créer, plutôt que des centres ou des quartiers spécifiques pour les femmes, davantage de petites unités pour femmes, réparties dans un plus grand nombre d'établissements. Il s'est demandé dans quelle mesure l'écho qu'avait trouvé la panne du système électrique du centre de Mont-de-Marsan ne relevait pas également d'un problème de communication externe. Enfin, il a insisté sur le problème que constitue le fait que les femmes soient incarcérées loin de leur domicile et de leurs proches.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam s'est demandé s'il ne conviendrait pas de créer des unités spéciales pour les détenus atteints de troubles psychiatriques et a évoqué le cas des mineurs étrangers isolés et sans famille, dont les effectifs se chiffrent de 3 000 à 4 000 par an, souhaitant que leur incarcération soit davantage mise à profit pour un travail de rééducation.
M. Claude d'Harcourt a tout d'abord indiqué que ces mineurs étaient généralement placés en centres de rétention et ne relevaient pas de l'administration pénitentiaire. Il a ensuite souligné l'importance des Unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) réservées au traitement psychiatrique des détenus. Rappelant que 400 places devaient être créées dans les trois ans à venir, dans une dizaine d'établissements, il a estimé insatisfaisant l'état d'avancement de ce programme lancé en 2002, en mentionnant notamment la lourdeur des procédures de maîtrise d'ouvrage qui requièrent l'intervention des établissements hospitaliers. Au total, il a constaté la permanence d'une fragilité, ces unités hospitalières spécialement aménagées constituant le chaînon manquant pour parvenir à mettre en place un parcours psychiatrique complet pour les détenus.
M. Claude d'Harcourt a ensuite fait observer que l'administration pénitentiaire ne pouvait remplir pleinement son rôle qu'à condition d'être en perpétuelle réforme et soumise au contrôle de la société. Il s'est réjoui de la création d'un contrôleur général des prisons qui permet d'assujettir l'administration pénitentiaire à l'exigence critique dont elle a besoin, tout en déplorant le caractère inutilement stigmatisant de certaines campagnes d'opinion qui ne peuvent qu'avoir un effet négatif sur les personnels pénitentiaires. Puis il a évoqué la difficulté du débat relatif à la taille optimale des prisons en rappelant que la France avait conservé de petites unités pour privilégier le rapprochement géographique et le maintien des liens familiaux des détenus, tandis que de grandes unités ont par exemple été constituées en Espagne. Il a, sur ce point, estimé qu'il convenait de préserver « une masse critique suffisante » en considération de l'objectif essentiel de prévention de la récidive qui ne dépend pas seulement, a-t-il observé, d'un « face à face » avec soi-même, mais d'une prise en charge collective. Il a estimé que des unités de 600 à 800 personnes lui semblaient une norme satisfaisante.
En ce qui concerne l'intervention du secteur privé dans la construction des prisons, il a rappelé les bienfaits de la mixité des cultures en matière pénitentiaire, tout en rappelant que la sécurité continuerait, en tout état de cause, à relever du service public.
Il a rappelé que vingt établissements nouveaux, offrant 10 000 places, avaient été ouverts en quatre ans, et que l'administration pénitentiaire devait faire en sorte que cet effort qui se chiffre, pour le contribuable, à 100 000 euros la place, soit 70 millions d'euros par établissement, soit réalisé dans des conditions optimales.