Mardi 7 février 2006
- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.Familles monoparentales et familles recomposées - Audition de Mmes Hélène Poivey-Leclercq et Marie-Claude Habauzit-Detilleux, membres du Conseil national des barreaux, de Mme Laurence Mariani et de M. Olivier Cousi, membres du Conseil de l'Ordre des avocats de Paris, de Mme Marie-Dominique Bedou-Cabau, ancien bâtonnier du Val-de-Marne, membre du bureau de la Conférence des bâtonniers, et de Mme Nadine Duval, ancien bâtonnier de Compiègne, membre de la Conférence des bâtonniers
La délégation a procédé à l'audition de Mmes Hélène Poivey-Leclercq et Marie-Claude Habauzit-Detilleux, membres du Conseil national des barreaux, de Mme Laurence Mariani et de M. Olivier Cousi, membres du Conseil de l'Ordre des avocats de Paris, de Mme Marie-Dominique Bedou-Cabau, ancien bâtonnier du Val-de-Marne, membre du bureau de la Conférence des bâtonniers, et de Mme Nadine Duval, ancien bâtonnier de Compiègne, membre de la Conférence des bâtonniers.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé le déroulement ainsi que l'état d'avancement des travaux de la délégation. Puis les intervenants ont successivement présenté les principaux axes de leur carrière et de leurs activités.
Abordant ensuite la question de la précarité des familles monoparentales, Mme Hélène Poivey-Leclercq a estimé que cette précarité pouvait être considérée comme l'une des conséquences du divorce ou de la séparation. Elle a noté, d'une part, que le divorce fragilisait presque systématiquement la situation économique des deux membres du couple et, d'autre part, que l'absence d'activité professionnelle de l'un des conjoints était l'une des causes fondamentales des situations de précarité provoquées par les séparations.
Elle a jugé encore insatisfaisantes les modalités de règlement financier du divorce en dépit des améliorations apportées par les réformes récentes, en précisant que le principe du versement d'un capital au titre de la prestation compensatoire ne permettait pas suffisamment aux époux divorcés de compenser une éventuelle impossibilité ou difficulté de reprendre une activité. Elle a évoqué, par exemple, le cas des épouses qui suivent leur mari expatrié et sacrifient de ce fait, dans bien des cas, leur avenir professionnel.
Au titre des solutions envisageables pour remédier à ce problème, Mme Hélène Poivey-Leclercq a suggéré comme piste de réflexion un partage entre les époux des droits à la retraite acquis pendant la durée du mariage, en faisant observer qu'une telle réforme ne coûterait rien à l'Etat et n'entraînerait pas d'augmentation des charges des caisses de retraite. Rappelant que bien souvent la carrière du mari s'effectue grâce à la mobilisation des deux membres du couple, elle a jugé équitable et sécurisant, à la fois pour les individus et pour la société, cet éventuel partage des droits à la retraite acquis par le couple. Se référant à des expériences étrangères dans ce domaine, Mme Hélène Poivey-Leclercq a évoqué la prise en compte au Québec d'une notion de patrimoine familial comprenant essentiellement la résidence principale, les meubles et les droits à la retraite du ou des époux.
Mme Marie-Claude Habauzit-Detilleux a, pour sa part, estimé que la récente réforme du divorce n'avait pas suffisamment permis aux couples de concentrer leur attention non pas sur le conflit conjugal, mais sur l'organisation et la gestion prévisionnelle de l'après divorce. Elle a cependant précisé que l'on ne disposait pas encore du recul suffisant pour évaluer les effets de cette réforme, en précisant qu'elle n'avait pu connaître que de quelques cas concrets soumis à la nouvelle législation. Puis elle a souligné que les problèmes de fixation de la prestation compensatoire et de la pension alimentaire demeuraient complexes et conflictuels.
Mme Laurence Mariani a ensuite évoqué concrètement les difficultés que rencontre souvent le parent non gardien pour obtenir des informations au sujet de l'orientation scolaire de ses enfants. Elle a également relaté les difficultés des parents qui souhaitent déposer plainte pour non-présentation d'enfants, en faisant notamment observer que les services de police orientent souvent les demandeurs vers une main-courante qui n'a pas la même portée juridique qu'une plainte, puisque seule cette dernière permet de mettre l'action publique en mouvement.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a fait observer qu'une difficulté similaire se rencontrait en matière de violences conjugales.
A propos de la précarité des familles monoparentales, Mme Marie-Dominique Bedou-Cabau a rappelé, qu'à la base, une séparation entraînait mécaniquement le doublement de certaines charges fixes, notamment de logement. S'agissant des modalités de fixation de la pension alimentaire, elle a indiqué que les enfants n'avaient pas les mêmes besoins en termes d'éducation et de loisirs et que les parents pouvaient effectuer des choix extrêmement variables dans ce domaine. En conséquence, elle a souligné la nécessité de maintenir le principe fondamental de la fixation de la pension alimentaire par le juge au cas par cas, et non pas selon une proportion mécanique des revenus. Elle s'est déclarée défavorable à une mutualisation du recouvrement ou du paiement des pensions alimentaires, en estimant qu'il n'appartenait pas à la société de pallier les insuffisances des parents. Elle a ajouté qu'il convenait plutôt de responsabiliser les parents et de les encourager à s'investir dans l'éducation de leurs enfants.
M. Alain Gournac a approuvé ce propos.
Abordant le thème de la résidence alternée, M. Olivier Cousi a estimé qu'il s'agissait d'une bonne mesure devant être favorisée autant que possible, sous réserve de la difficulté de l'appliquer à un enfant trop jeune. Il a cependant regretté que les décisions puissent être parfois prises plus dans l'intérêt des parents que dans celui des enfants. Il a insisté sur le besoin de stabilité de ces derniers, tout particulièrement lorsqu'ils ont un âge inférieur à cinq ans. Il a enfin précisé que la résidence alternée était une solution plus particulièrement prisée par les couples aisés qui ont les moyens de mettre en place plus facilement une garde alternée dans des conditions satisfaisantes.
Puis Mme Nadine Duval a évoqué les bienfaits du recours à la médiation familiale pour permettre au couple de diminuer l'intensité du conflit conjugal. Elle a précisé qu'une fois le principe de la séparation admise, la médiation permettait de rompre l'escalade du conflit pour établir un dialogue sur la gestion prévisionnelle de l'après divorce.
M. Alain Gournac a jugé que même si le succès de la médiation n'était pas garanti dans la totalité des séparations conflictuelles, il était essentiel d'y recourir le plus souvent possible.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a rappelé le pouvoir incitatif, mais non coercitif, du juge à l'égard du recours à la médiation. Tout en rappelant que l'on manquait encore de recul sur l'application de la dernière réforme, elle a ensuite fait apparaître une tendance de fond à la pacification du divorce. Elle a estimé, qu'à l'horizon de quelques années, la prise de conscience par les conjoints que la mise en avant d'une faute n'avait plus d'incidence sur les conditions matérielles du divorce aurait nécessairement un effet modérateur sur l'effervescence conflictuelle de la séparation.
Mme Marie-Claude Habauzit-Detilleux a fait observer que, même dans les cas où le conflit passionnel s'apaisait, le conflit financier pouvait persister. Elle a estimé essentiel de prendre le plus tôt possible, en amont de la procédure, des mesures permettant d'évaluer le patrimoine du couple, en ayant recours, notamment, aux experts ou à toute personne qualifiée pour effectuer les estimations nécessaires (immobilier, actifs, valeurs mobilières et de sociétés). Puis elle a insisté sur l'importance particulière de cette évaluation patrimoniale pour les couples cinquantenaires, en soulignant le rôle essentiel, dans ce domaine, de l'établissement du projet liquidatif, de la détermination du montant prévisible de la prestation compensatoire et de l'attribution, ou non, du domicile conjugal à l'épouse, car l'incertitude et l'insécurité alimentent le climat conflictuel. Elle a souligné cette nécessité particulièrement au profit des femmes qui ont sacrifié leur carrière pour favoriser celle de leur mari.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a précisé que le conflit naissait le plus souvent de la dissimulation de ressources ou d'éléments d'actif par l'un des conjoints et, qu'à cet égard, les notaires n'étaient pas mieux armés que les avocats. Puis elle a centré son propos sur l'incertitude qui plane au début de la procédure sur le montant de la future prestation compensatoire et sur l'évaluation de certains biens. Dans ces conditions, elle s'est demandé s'il ne conviendrait pas de réfléchir à nouveau à la question de la dissociation ou non du divorce et de ses conséquences matérielles pour les époux.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a abordé la question de l'éventuelle définition d'un statut juridique du beau-parent, en précisant qu'aucune proposition concrète ne se dégageait pour l'instant des précédents travaux de la délégation.
Résumant l'opinion partagée par l'ensemble des intervenants, Mme Marie-Dominique Bedou-Cabau a estimé que la définition d'un statut juridique du beau-parent n'était pas souhaitable. Elle a justifié cette appréciation en indiquant, notamment, que les familles recomposées étaient elles-mêmes sujettes à séparation et à recomposition. Elle a redouté les conséquences de la définition d'un tel statut, en mentionnant le risque de dissolution de l'esprit de famille. Elle a également insisté sur la nécessité, pour l'enfant, de conserver des liens avec son parent biologique et, plus généralement, de sauvegarder l'architecture et la stabilité de la cellule familiale.
Mme Marie-Claude Habauzit-Detilleux a précisé, en outre, que l'adoption constituait, dans le droit en vigueur, la solution juridique permettant de matérialiser la force des liens affectifs qui peuvent se créer entre les beaux-parents et les enfants de leur conjoint.
En réponse à une interrogation de Mme Gisèle Gautier, présidente, sur l'éventuelle prise en compte du phénomène de l'homoparentalité dans le droit de la famille, les intervenants ont estimé qu'il s'agissait d'un débat de société et qu'ils n'avaient pas, en tant que représentants de la profession d'avocat, à émettre une opinion à ce sujet.
M. Alain Gournac a rappelé qu'il y a une vingtaine d'années, l'intervention des avocats avait parfois tendance à envenimer les conflits conjugaux. En conséquence, il a tenu à rendre hommage aux intervenants pour leurs propos responsables et leur analyse tournée vers la pacification du divorce. Puis il les a interrogés sur les différences entre la séparation des couples mariés et celle des couples non unis par les liens du mariage. Il a estimé fondamental de tout faire pour pacifier le divorce et a enfin évoqué la détresse des femmes divorcées qui n'ont jamais eu d'activité professionnelle car elles se sont consacrées à l'éducation de leurs enfants.
S'agissant des conditions de la séparation des couples mariés et non mariés, Mme Hélène Poivey-Leclercq a indiqué, qu'en pratique, pour les couples mariés, la procédure avait un effet de catharsis, alors que, pour les couples non mariés, le contentieux se déplaçait pour se focaliser sur les enfants et, singulièrement, sur les modalités du droit de visite et d'hébergement. Elle a par ailleurs évoqué l'incertitude qui planera, à l'avenir, sur les pactes civils de solidarité non liquidés et les risques qui en résulteront au moment du règlement des successions.
Elle a ensuite mentionné les réflexions sur la contractualisation des rapports entre les époux en vogue dans le droit anglo-saxon, établissant, à titre schématique, un parallèle entre la prestation compensatoire et une forme d'« indemnité de licenciement conjugale ». Elle a estimé qu'un minimum de garanties devraient être prévues quant à la fixation de cette « indemnité ». Elle a en effet insisté sur la formation, au sein des couples, d'une sorte de « pacte conjugal » selon lequel certaines femmes sacrifiaient leur carrière au profit de celle de leur mari.
Prolongeant cette analyse du « prenuptial agreement », Mme Marie-Claude Habauzit-Detilleux s'est interrogée sur l'utilité d'une telle démarche étant donné la difficulté, pour un couple, de se projeter dans l'avenir et, notamment, d'évaluer quelle sera la situation professionnelle des conjoints plusieurs dizaines d'années à l'avance.
Mme Hélène Luc a rappelé le débat sur la nécessité de maintenir ou non le concept de faute au moment de la dernière réforme du divorce, et a approuvé que cette notion ait été, sinon supprimée, du moins affaiblie quant à ses conséquences sur les conditions matérielles de la séparation. Elle a souhaité que soit dressé un bilan d'application de la réforme du divorce dans les cinq années suivant son adoption. Elle a ensuite souligné le désarroi qui s'empare de certaines femmes divorcées ou en attente de divorce, et a, en particulier, insisté sur la nécessité de mieux les informer du droit applicable dès qu'elles souhaitent entamer des démarches pour divorcer. Elle a ensuite interrogé les intervenants sur les modalités pratiques de l'évaluation financière des ressources et du patrimoine du couple. Elle a souhaité que soit pris en compte, au premier rang des priorités, l'intérêt des enfants pour la fixation des conditions matérielles du divorce. Elle a enfin évoqué les difficultés d'accès au crédit pour les conjoints divorcés.
Mme Marie-Claude Habauzit-Detilleux a fait observer que la vente de la résidence acquise à crédit par le couple était souvent une conséquence de la diminution de la solvabilité des conjoints séparés, les banques pouvant être conduites à refuser la reprise d'un emprunt par un seul des conjoints en raison de la réduction des garanties financières.
Acquiesçant à l'idée de mieux renseigner les femmes sur la législation applicable au divorce, Mme Hélène Poivey-Leclercq a également insisté sur la nécessité d'une information des futurs époux préalable à la célébration du mariage.
Evoquant notamment son expérience personnelle, M. Alain Gournac a montré l'intérêt d'une adaptation du contrat de mariage pour tenir compte de l'évolution de la situation du couple et pour sécuriser le conjoint.
Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est interrogée sur l'opportunité de délivrer un livret d'information aux époux au moment du mariage.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a alors fait observer que l'information organisée en Suède au moment du mariage permettait de rendre les divorces moins douloureux.
Mme Annie David a souhaité que cet échange de vues puisse être recentré en prenant en considération la situation des familles modestes. Elle a souligné la contradiction entre, d'une part, la mise en place de politiques d'incitation financière visant à encourager, en leur fournissant une allocation, les femmes qui restent à domicile pour élever leurs enfants et, d'autre part, le constat de la détresse à laquelle celles-ci doivent faire face en cas de divorce. Elle a estimé que l'idée d'un « prenuptial agreement » n'était envisageable que pour des familles aisées. Revenant sur l'idée d'une mutualisation des pensions alimentaires, elle a évoqué le cas des femmes séparées d'un conjoint insolvable, en se demandant si la société n'avait pas le devoir de les secourir autrement que par le biais des minima sociaux. A propos du statut des beaux-parents, elle s'est enfin interrogée sur la nécessité d'une réflexion complémentaire, en prenant l'exemple d'un enfant vivant dans une famille recomposée dont le parent gardien meurt et dont l'autre parent biologique est violent, le beau-parent n'ayant alors aucun droit pour protéger cet enfant.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a rappelé le rôle du juge des enfants qui, en cas de péril ou d'urgence, a la possibilité de prendre une ordonnance de placement pour protéger un enfant d'un parent violent. Elle a également évoqué la possibilité, pour un parent, de prendre des dispositions testamentaires pour organiser les modalités de l'exercice de l'autorité parentale sur un enfant mineur et la gestion de ses biens.
Mme Marie-Dominique Bedou-Cabau a estimé que l'examen au cas par cas de la relation entre les enfants et le beau-parent devait être préservé car il permet d'ajuster la décision à la diversité des situations.
Evoquant son expérience en matière d'aide juridictionnelle, Mme Nadine Duval a insisté sur la nécessité d'une responsabilisation des parents. Elle a en effet indiqué que, selon ses observations concrètes, un certain nombre de femmes divorcées s'inquiétaient avant tout des conditions d'attribution de l'allocation de parent isolé et projetaient un éventuel remariage et la venue d'un nouvel enfant, mais ne songeaient pas à reprendre une activité professionnelle.
Mme Hélène Poivey-Leclercq s'est, pour sa part, indignée des cas dans lesquels les parents n'exerçaient pas leur droit de visite et d'hébergement. Elle s'est interrogée sur l'idée d'une éventuelle pénalisation du non-exercice de ce droit, ou d'une déchéance de l'autorité parentale dans cette hypothèse.
Mme Marie-Claude Habauzit-Detilleux a cependant estimé que les sanctions pénales n'étaient pas nécessairement les plus appropriées dans ce cas, et a plutôt suggéré un accroissement du montant de la pension alimentaire pour sanctionner ce type de comportement.
A propos de la résidence alternée, Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé que ce mode de garde était contesté et a évoqué les difficultés financières ou matérielles qu'il entraînait, ainsi que les atteintes à la stabilité du mode de vie de l'enfant qui pouvaient en résulter.
Mme Marie-Dominique Bedou-Cabau a indiqué que la résidence alternée exigeait des conditions matérielles strictes pour pouvoir fonctionner de manière satisfaisante. Elle a en effet précisé que l'enfant devait pouvoir conserver le même établissement scolaire et qu'il convenait de ne pas multiplier les contraintes de transport. Elle a fait observer qu'à ces critères objectifs s'ajoutaient des considérations plus subjectives dépendant de la psychologie spécifique de chaque enfant. En réponse à une question de Mme Annie David, elle a rappelé que c'était le juge qui prenait la décision de résidence alternée.
Mme Marie-Claude Habauzit-Detilleux a insisté sur le fait que la garde alternée n'était, en général, pas souhaitable pour les enfants en bas âge, et qu'elle devait être examinée au cas par cas pour les enfants au-delà de cinq ans.
Concluant la réunion, Mme Gisèle Gautier, présidente, a vivement remercié les divers intervenants pour la richesse et la densité de leurs témoignages.