Les Parlements dans la société de l'information
Palais du Luxembourg, 18 et 19 novembre 1999
III. INTERVENTION DE M. ROBERT BADINTER, SÉNATEUR DES HAUTS-DE-SEINE
« J'ai l'avantage de ne pas être un spécialiste des nouvelles technologies, mais un "débutant facile" : je "tapote" déjà de mon côté, mais je dois encore beaucoup progresser. Le Président Poncelet a évoqué la démocratie électronique. Mais peut-être devrions-nous d'abord nous mettre d'accord sur une définition de cette notion. N'en sommes-nous pas encore, par ailleurs, à débattre des différences entre démocratie et République ?
À ce stade, je dois vous livrer mon scepticisme sur ce que pourrait apporter au travail parlementaire le recours aux nouvelles technologies. On me dit qu'il améliorera la transparence des travaux législatifs. Mais celle-ci n'est en rien dépendante de l'arrivée de l'ère électronique.
Dès 1791, notre première Constitution écrite stipule que "les délibérations des instances législatives seront publiques et les procès-verbaux publiés". Tout est déjà écrit ! La publicité des délibérations et l'impression des procès-verbaux sont donc des principes en vigueur depuis plus de deux siècles.
L'électronique, de ce point de vue, ne constitue qu'un outil pour mieux informer les citoyens. Nous verrons tout au long du colloque ce que les technologies nouvelles pourront apporter à la vie parlementaire. Mais quant à un changement fondamental, je n'en vois pas !
Transparence et accroissement de la communication, certes, mais cela ne modifiera pas la nature des travaux.
Grâce à la mise en ligne, les citoyens pourront être mieux informés des travaux de nos assemblées. Vont-ils pour autant se précipiter sur nos sites pour apprécier les subtilités des travaux en commission et suivre la discussion sur les 62 amendements concernant l'article premier de tel ou tel projet de loi ? Je voudrais le croire, mais je ne n'en suis pas persuadé.
La perfection du moyen engendre-t-elle vraiment une volonté démocratique plus forte ? Je livre cette question à votre réflexion. Quant à une démocratie électronique où l'abstention serait limitée par le recours au vote électronique, je me permets, là encore, d'exprimer quelques doutes. Est-ce bien là le meilleur moyen d'expression de la "volonté générale" si chère à Rousseau ?
À cet égard, on peut penser qu'un certain nombre de nouveaux forums naîtront, à propos de problèmes spécifiques, qui verront nos contemporains confronter leurs idées, mieux s'informer sur celles des autres, et dès lors progresser vers une meilleure relation démocratique. Mais, pour l'heure, je ne suis pas certain que le passage de la démocratie représentative à la démocratie d'opinion s'effectue grâce à l'utilisation des techniques électroniques.
Pour ma part, je profiterai de la forte participation britannique à ces travaux pour faire référence à Agatha Christie et citer Hercule Poirot : "rien ne remplace les petits neurones". Le meilleur instrument électronique ne sert donc pas à grand-chose si l'on n'assimile pas dans son système de "petits neurones" toutes les données que l'instrument nous fournit. »