Les Parlements dans la société de l'information
Palais du Luxembourg, 18 et 19 novembre 1999
V. INTERVENTION DE M. DIETER OTTEN, UNIVERSITÉ D'ONASBRUCK
« Steve Jobs plaisantait souvent en disant que les ordinateurs étaient des machines qui nous servaient à résoudre des problèmes que nous n'aurions jamais eus avant l'avènement de l'informatique... Il n'en reste pas moins que l'Internet se développe de manière exponentielle à l'heure actuelle. Outre le commerce électronique, le monde politique et administratif a fait son entrée sur le Net. Aujourd'hui, une majorité de nos concitoyens est favorable à l'organisation de votes ou de sondages par Internet. De même, la majorité des utilisateurs les plus fréquents d'Internet veut pouvoir s'en servir pour exprimer ses désirs aux politiques. Les internautes ne demandent pas pour autant que le réseau devienne l'unique moyen d'exprimer son suffrage. Toutefois, notre système politique doit apporter une réponse à cette tendance, qui est surtout perceptible chez les jeunes.
Les habitudes et les valeurs relatives à l'acte de vote évoluent, du fait de la mobilité croissante de nos concitoyens. Si nous ne trouvons pas d'adaptations satisfaisantes, la désaffection des bureaux de vote sera croissante. A Munich, 23 % des électeurs ont utilisé le vote par correspondance lors des dernières élections, en 1998. Les personnes âgées sont également très demandeuses d'applications leur permettront de continuer à participer à la vie politique. En 1998, lorsque nous avons lancé notre projet de centre de recherche sur le vote par Internet, personne n'avait encore vraiment pris d'initiatives concrètes. En 1999, les exemples de vote sur le Net se sont multipliés, et je suis convaincu que l'année 2000 verra une explosion du nombre de votes organisés sur Internet.
Néanmoins, comme nous l'avons vu au cours de nos travaux à plusieurs reprises, le vote par Internet pose d'énormes problèmes de confidentialité et de sécurité des votes. Notre groupe de recherche vise donc à apporter des réponses à ces questions. Tout d'abord, aucun vote ne pourra se faire par Internet si l'électeur ne peut pas disposer d'une signature électronique protégée par cryptographie. Les électeurs ont besoin pour cela d'un logiciel spécial, ainsi que d'une clé de cryptage suffisamment puissante pour rendre toute falsification impossible. En deuxième lieu, il est impératif de mettre en place une agence indépendante qui vérifie l'identité de l'électeur et valide son vote : nous avons appelé cette agence "certificateur". Tous les systèmes de vote par Internet doivent ainsi être enregistrés et certifiés par cette autorité officielle.
Quelles sont les implications techniques de ces deux préalables au vote électronique ? Nous avons mis au point un logiciel que nous avons appelé e-vote. Au départ, l'électeur va chercher au bureau d'enregistrement sa signature numérique, qui est distribuée par le certificateur. A ce jour, nous n'avons à Munich que deux centres officiellement certifiés. Une fois rentrée chez lui, l'électeur se connecte sur un site web dédié et y enregistre sa signature. Il dépose son "bulletin" dans une "enveloppe virtuelle" », qui est elle-même glissée dans une seconde enveloppe envoyée au validateur. Celui-ci ouvre cette dernière enveloppe et vérifie l'identité de l'électeur, avant de la lui renvoyer. L'électeur renvoie ensuite le tout au serveur de vote : celui-ci ne peut absolument pas déterminer l'origine du bulletin qui lui est remis. A l'issue du vote, le serveur de vote envoie l'ensemble de l'urne électronique au validateur, qui décompte les voix. À ce stade, l'électeur peut même vérifier que son vote a bien été comptabilisé.
Les trois agences (certificateur, validateur et collecteur) ne peuvent avoir aucun contact entre elles : elles relèvent d'autorités différentes. Ce protocole sera utilisé pour la première fois les 1er et 2 février 2000, pour l'élection du Parlement des 16 000 étudiants de la ville de Munich.
Ma conviction est donc que l'on peut mettre en oeuvre le vote sur Internet en respectant tous les principes de sécurité et de confidentialité des systèmes de vote en vigueur en Europe et en Amérique. Nous sommes même persuadés que c'est un système plus fiable que le système traditionnel. En effet, il n'existe rien de plus facile que de voler une urne et de la remplacer par une autre, ou de falsifier une carte d'électeur. En fait, la confiance placée dans le système repose entièrement sur les assesseurs qui tiennent le bureau de vote. De surcroît, il n'est même pas nécessaire de savoir utiliser un ordinateur pour voter par voie électronique : on pourra très bientôt faire son devoir de citoyen à partir d'un poste téléphonique numérique connecté à Internet ou depuis tout autre terminal numérique. C'est en outre le système le plus rapide jamais imaginé : le calcul des résultats ne prend jamais plus d'une seconde logique. Le système convient également pour les assemblées d'actionnaires, les congrès syndicaux, etc.
Le temps est donc désormais à l'action. Le vote Internet devrait être légalisé, après avoir été dûment testé. Il ne faut pas attendre cinq ans de plus pour le faire. Le logiciel utilisé doit être diffusé, afin que chacun puisse s'assurer de sa fiabilité. En effet, il est aujourd'hui complètement anachronique de demander à des gens qui travaillent loin de la ville où ils sont inscrits de parcourir des centaines de kilomètres simplement pour pouvoir voter. Je suis certain que les Romains, s'ils avaient eu Internet, auraient été les premiers à l'adopter. »