Création de l'Association des Sénats d'Europe
Palais du Luxembourg, 8 novembre 2000
I. COMPTE RENDU DES DÉBATS
A. CRÉATION DE L'ASSOCIATION
M. Christian Poncelet, président du Sénat de la République française :
Je suis particulièrement heureux de vous accueillir aujourd'hui, au Palais du Luxembourg, pour fonder avec vous, entre les assemblées que nous présidons, l'Association des Sénats d'Europe.
Cette idée, que je soumets aujourd'hui à votre appréciation, ce projet que je vous propose de concrétiser, résulte d'une double conviction :
- la première, c'est que je crois aux vertus du bicamérisme ;
- la seconde, c'est que les assemblées parlementaires ont un rôle fondamental à jouer dans la construction européenne.
Si nous sommes aujourd'hui rassemblés ici, c'est, par définition, parce que nous appartenons à des Parlements bicaméraux. Bien que cette réalité soit souvent méconnue et parfois contestée, nous connaissons l'apport bénéfique du bicamérisme en termes de meilleure représentation des hommes, des territoires et des activités. Nous sommes convaincus que la navette parlementaire améliore la qualité de la production législative, parce qu'elle assure un plus grand respect du principe du contradictoire, laisse le temps de la maturation et permet à un nombre accru d'avis différents de s'exprimer. Bref, elle renforce le caractère démocratique de l'élaboration de la loi. Enfin, une assemblée parlementaire qui ne partage pas toujours la même majorité politique que celle qui soutient le Gouvernement contribue mieux à un contrôle efficace, efficient, réel et dépassionné de l'action de l'exécutif.
Vous le savez, je suis personnellement un défenseur, un adepte et un promoteur du bicamérisme. Je suis également favorable à une coopération active entre Sénats ou secondes chambres.
C'est la raison pour laquelle le Sénat français avait pris l'initiative de la réunion du 14 mars dernier, à laquelle la plupart de vos assemblées étaient représentées et où j'ai eu le plaisir de vous accueillir. Le Forum des Sénats du Monde a permis de parvenir à une meilleure compréhension du phénomène bicaméral et de prendre la mesure de son importance et de sa diversité. Il a d'ores et déjà conduit à un regain de réflexion sur le bicamérisme. Le Forum a sans nul doute apporté sa contribution à la réunion des Présidents de Parlements du monde entier, organisée par l'Union interparlementaire, à la fin de l'été, à New York, dans la perspective de l'Assemblée générale des Nations Unies du millénaire. Il a et aura des prolongements concrets, par des réunions des Sénats de certaines régions du monde.
Mais entre Européens, nous nous devons de faire plus.
Alors que s'achevait le deuxième conflit mondial qui, à bien des égards, fut une guerre civile européenne, et qu'une moitié de notre continent tombait sous le joug de l'Union soviétique, un espoir se fit jour. En devenant réalité, cet espoir qui prit nom « Communauté économique européenne » a permis la réconciliation entre la France et l'Allemagne, ainsi que la mise en place d'une zone pacifique, démocratique et prospère à l'Ouest de l'Europe.
Il y a quelque dix ans, après la chute du mur de Berlin et du rideau de fer, et grâce à l'effondrement de l'Empire soviétique, la perspective tant attendue des retrouvailles de la grande famille européenne prit corps. Les peuples qui avaient été coupés de leurs racines ont repris la place que l'histoire, la géographie et la culture leur avaient léguée en Europe.
Aujourd'hui, l'Union européenne occupe une place déterminante dans la vie de nos États, de nos Gouvernements, de nos concitoyens. Que nous y appartenions, que nous aspirions à y adhérer ou qu'elle constitue un élément majeur de notre environnement immédiat, l'Union européenne représente un pôle d'attraction fort dans de nombreux domaines. C'est dans son cadre que sont élaborées des normes par rapport auxquelles ou en fonction desquelles nous légiférons. Les Gouvernements que nous contrôlons lui consacrent une part importante de leur temps et de leur activité. De façon plus générale, l'Union européenne nous amène à comparer, voire à adapter, certaines de nos organisations internes qui nous semblent légitimes parce qu'ancrées dans nos traditions et répondant à des besoins réels de nos concitoyens.
Mais je ne voudrais pas donner l'impression d'une vision trop réductrice de l'Union européenne.
Je sais combien ses six, neuf, dix, douze puis quinze États membres lui doivent. Je sais également que sans être une garantie, la construction européenne constitue une assurance pour bâtir ensemble un continent réconcilié, libre, solidaire et prospère.
Mes chers collègues, c'est fort de cette double conviction - les vertus du parlementarisme bicaméral et notre destin européen commun - que je vous propose aujourd'hui de coopérer dans le cadre d'une Association des Sénats d'Europe.
Certes, il existe déjà plusieurs enceintes de concertation. Certains d'entre nous participent tous les ans à la Conférence des Présidents de Parlements de l'Union européenne. Nos assemblées respectives sont représentées à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires des Parlements des Quinze. Pour autant, il n'existe à ce jour aucun cadre de coopération propre aux chambres hautes de la grande Europe. Tel est bien le projet que je vous soumets aujourd'hui.
Concrètement, l'Association sera une structure légère mais pérenne, fonctionnant à deux niveaux, politique et administratif. Rassemblant des assemblées parlementaires, l'Association fournira le cadre de réunions, au moins une fois par an, de leurs Présidents.
Il me semble que ces réunions seront plus profitables si, consacrées à des thèmes précis et déterminés à l'avance d'un commun accord, elles permettent à chacun d'entre nous de faire profiter les autres de sa propre expérience. De ces échanges résultera un élargissement de l'horizon de chacun et un enrichissement mutuel. Les thèmes discutés devraient être choisis parmi les sujets d'intérêt commun. J'en recenserai quelques-uns, à titre d'exemple et sans prétention d'exhaustivité : le contrôle de la politique européenne par les deuxièmes chambres, les deuxièmes chambres et l'application du principe de subsidiarité, ou les deuxièmes chambres comme illustration des spécificités nationales... De même, certains d'entre nous pourraient se charger d'approfondir certains points et de réaliser des études plus précises.
Le niveau administratif de l'Association aura vocation à maintenir le lien entre ses membres, durant la période séparant deux réunions de Présidents. Il appartiendra à chacun d'entre nous de désigner un correspondant de l'Association au sein de nos administrations parlementaires respectives. Outre la tâche de nous seconder dans nos réunions périodiques, les collaborateurs que nous désignerons pourraient être chargés de faciliter l'échange d'informations et d'expérience entre les membres de l'Association. Ainsi, des stages de fonctionnaires pourraient être organisés. De même, des bases de données pourraient être constituées pour élargir le champ de l'information disponible à chaque assemblée.
La création d'un site internet spécifique, à partir de liens entre les sites de chacune de nos assemblées, permettrait à la fois de mieux faire connaître notre démarche et de faciliter les contacts entre membres de l'Association.
Mes chers collègues, je suis persuadé que le projet que je soumets aujourd'hui à votre appréciation répond à un véritable besoin et fournira le cadre d'une coopération utile, pratique et adaptée. J'espère que vous partagez avec moi cette conviction. Votre présence aujourd'hui m'incite à le penser. Aussi, sans exagérer le formalisme de cette démarche, il me semble néanmoins nécessaire de déterminer les principes directeurs qui présideront au fonctionnement de notre Association. Je vous propose donc de donner à notre réunion d'aujourd'hui un caractère exclusivement fondateur.
C'est pourquoi il me semble opportun, si vous êtes d'accord sur le principe, de commencer par examiner ensemble le projet de statuts que nous devrions adopter pour lancer concrètement l'Association.
Dans un second temps de notre discussion de ce matin, je vous suggérerai de fixer d'ores et déjà le lieu, la date et le ou les thèmes de la première véritable réunion de l'Association des Sénats d'Europe et de la suivante.
Mes Chers Collègues, vous avez la parole.
Je vous propose de donner d'abord la parole à ceux d'entre vous qui souhaitent faire une intervention d'ordre général.
Quand ce débat général sera terminé, nous passerons à l'examen du projet de statuts.
M. Frédéric Korthals Altes, Président de la première chambre des États généraux des Pays-Bas :
M. le Président, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour remercier de tout coeur M. Christian Poncelet pour son initiative de constituer l'Association des Sénats d'Europe.
Le Sénat néerlandais salue chaleureusement cette entreprise. Nous avions déjà applaudi à l'idée lancée par le Sénat français le 14 mars de cette année et visant à organiser le Forum des présidents et de deux délégués de tous les Sénats du monde. Cette initiative fut ensuite suivie de celle du Président du Sénat français et du Président de l'Assemblée nationale, M. Raymond Forni, d'offrir le 1 er septembre, lors de la rencontre réunissant à New York les présidents des Parlements des pays de l'ONU, un repas en l'honneur des présidents des parlements des pays de l'Union européenne. Aujourd'hui, nous sommes à nouveau réunis à Paris en ce lieu historique sous la présidence française de l'Union européenne afin de jeter les bases d'un avenir commun pour les Sénats d'Europe.
Le Sénat néerlandais tient à apporter son plein concours à la constitution d'une Association des Sénats d'Europe et cela à plusieurs titres. En premier lieu, il est bon, dans un monde et sur un continent où les peuples se rapprochent de plus en plus les uns des autres et où l'interdépendance ne cesse de prendre de l'importance, de s'engager sur la voie du renforcement et de la coopération entre ceux qui représentent ces peuples. Voilà pourquoi il est bon que les Présidents des Parlements des États Membres de l'Union européenne et le président du Parlement européen se réunissent une fois chaque année. J'attache une importance considérable à ces réunions. Il est également des plus appropriés que les Présidents des Sénats d'Europe, qui dans leur action procèdent par des méthodes de travail et des accents différents de ceux des Chambres des députés, se rencontrent régulièrement.
En deuxième lieu, et ceci marque sans doute la particularité des Pays-Bas, cette coopération est de nature à renforcer nos assises dans nos propres pays et en Europe. Le Sénat néerlandais a été créé en 1815, à l'époque de l'Union formée entre les Pays-Bas du Nord et la Belgique. De cette union, qui fut historiquement brève, les Pays-Bas ont conservé avec gratitude le bicamérisme, système que les Belges étaient parvenus à imposer. Peut-être est-ce la raison pour laquelle le statut du Sénat néerlandais fait l'objet de tant de débats. Au mois de janvier de cette année, le ministre néerlandais de l'Intérieur a remis un rapport comportant des réflexions, mais aucune proposition concrète sur la première chambre. Lors de l'examen de ce rapport dans notre enceinte, nous avons pu puiser dans la masse précieuse de documentation remise par le Sénat français lors de la réunion du 14 mars et axée sur le thème « le bicamérisme, une idée d'avenir ». Grâce à cette documentation, le débat engagé dans mon pays pourra gagner en profondeur.
En troisième lieu, ces rencontres nous permettent de procéder à des échanges d'expériences, notamment dans le domaine de l'association des parlements nationaux au processus législatif européen et en matière de contrôle de la qualité de la mise en oeuvre des textes communautaires. À l'issue de longs débats, le Sénat néerlandais a fait la semaine dernière un pas important vers l'amélioration du contrôle de la législation européenne et vers une intervention plus active lors de l'élaboration des directives européennes. La deuxième chambre des États généraux, la chambre des députés, examine chaque semaine l'ordre du jour du Conseil avec les ministres et les secrétaires d'États concernés. Le Sénat néerlandais, dans le souci d'éviter tout rôle à caractère redondant, préfère réserver son intervention au contrôle qualitatif des textes. Par ailleurs, n'oublions pas que l'exercice du droit d'approbation des décisions liant les États membres prises dans le cadre du troisième pilier, revient de manière égale aux deux chambres néerlandaises et exige une grande préparation. Pour nous, les futures rencontres annuelles qui se tiendront dans le cadre de l'Association des Sénats d'Europe auront pour but de promouvoir des échanges d'expériences et de bonnes pratiques. Pour ces diverses raisons, nous approuvons avec enthousiasme la constitution de cette Association. À notre sentiment, les statuts proposés contiennent toutes les dispositions nécessaires sans rien de superflu. Le Président du Sénat de la République française, le Secrétaire général et son équipe ont accompli un excellent travail, parvenant à concrétiser le concept selon lequel le bicamérisme est une idée d'avenir. Merci.
Mme Alicja Grzeskowiak, Présidente du Sénat de Pologne :
M. le Président, Mesdames et Messieurs, au nom du Sénat de la République de Pologne, je tiens à exprimer notre ferme soutien à l'initiative de créer l'Association des Sénats d'Europe. Je tiens à remercier le Président du Sénat français, M. Poncelet, pour cette initiative que je considère très importante et utile. Nous fondons de grandes espérances sur la création de l'Association des Sénats d'Europe afin de développer les contacts, d'échanger des expériences entre Sénats des pays européens. Jusqu'à présent, prédominaient les contacts bilatéraux. L'Association permettra des contacts multilatéraux. Le Sénat polonais, dont la riche tradition remonte à la fin du XVe siècle est une institution parlementaire moderne et jeune. Dans la forme actuelle, il n'a été rétabli qu'en 1989 ; le rétablissement du Sénat symbolisait alors la fin du règne des communistes en Pologne. Le Sénat polonais était très ouvert aux contacts parlementaires internationaux et, au cours des deux premières années de son existence, a noué des relations avec les Chambres hautes de presque tous les pays européens et également avec certains pays en dehors de l'Europe. Les fruits de ces relations revêtaient fréquemment non seulement la forme de visites officielles, mais également de visites d'études et d'échanges d'expériences de travail. Nous sommes très reconnaissants pour cette aide dans cette période pionnière. Le Sénat polonais, supprimé par les communistes après la deuxième guerre mondiale pour presque 50 ans, a dû reconstituer sa tradition en prenant en compte l'évolution démocratique qu'a connue le fonctionnement des systèmes parlementaires dans le monde libre. Personnellement, je garde un souvenir très reconnaissant des visites d'études au Sénat de la République française effectué en 1990 et 1991. Je présidais à l'époque la commission constitutionnelle du Sénat. Je tiens à exprimer l'espoir que l'Association des Sénats d'Europe va promouvoir non seulement les contacts entre les Présidents des Chambres hautes, les sénateurs, mais également entre les secrétaires généraux de ces chambres. La chancellerie du Sénat de la République polonaise doit beaucoup à ces contacts et coopère fructueusement avec le secrétariat des Sénats de certains pays européens. J'ajoute que j'approuve entièrement le projet de statuts de l'Association des Sénats d'Europe qui nous a été soumis.
M. Ivan Havlicek, Premier vice-président du Sénat de la République tchèque :
Le Sénat tchèque est sans conteste la chambre haute la plus récente parmi toutes les chambres hautes ici représentées. Après une longue césure, il a été reconstitué en 1996. La Constitution de la République tchèque lui confie comme vocation principale d'être le garant de la démocratie. Donc le Sénat de la République tchèque a pour vocation de conforter la démocratie dans notre pays et nous recherchons un maximum d'expériences afin d'être à même de jouer notre rôle de chambre haute la plus récente. Je suis chargé de déclarer que le Sénat de la République tchèque confirme pleinement la naissance de l'Association des Sénats européens et nous sommes prêts à contribuer au succès de cette association dans la mesure du possible, évidemment, et nous estimons également que les statuts, tels qu'ils ont été préparés, sont très bien formulés, très bien rédigés, et nous sommes prêts à les soutenir.
Mme Esperanza Aguirre Gil de Biedma, Présidente du Sénat d'Espagne :
Mes premiers mots seront des mots de remerciement au Président Poncelet et à toute son équipe de collaborateurs qui nous ont invités à nous réunir ici après le 14 mars dernier pour poursuivre nos travaux. Je les félicite pour la qualité de la préparation de cette réunion, de son organisation, et je les félicite également de cette idée, à savoir créer cette Association des Sénats d'Europe. Par ailleurs, je salue mes collègues des autres pays qui vont former avec nous cette association, et je dirai à ces collègues que le Sénat espagnol est convaincu de la nécessité du besoin que nous avons de créer aujourd'hui cette association et ce pour un certain nombre de raisons. Je ne vais pas les passer en revue exhaustivement, mais certaines me semblent fondamentales. La première tient à la nécessité d'articuler les relations institutionnelles des pays membres de l'Union européenne avec les pays candidats à l'adhésion. La seconde, et le Président Poncelet le dit souvent lors des réunions internationales, de même d'ailleurs que notre collègue belge et, il y a quelques minutes, notre collègue des Pays-Bas, réside dans l'importance et l'utilité du système bicaméral qu'il faut rappeler à l'opinion. En troisième lieu, il me semble que le caractère territorial de bon nombre de deuxièmes chambres, notamment du Sénat espagnol, correspond mieux à la géométrie ou à 1'articulation des nouveaux États qui sont en pleine phase de décentralisation. Pour toutes ces raisons, chers collègues, je vous affirme que le Sénat d'Espagne appuie, et je dirai même appuie avec le plus grand enthousiasme, la fondation de cette Association des Sénats d'Europe. Encore une fois, je remercie M. Poncelet, notre Président, pour avoir mené à bien cette opération.
M. Mircea Ionescu Quintus, Président du Sénat de Roumanie :
Mesdames et Messieurs, chers Collègues, tout d'abord, veuillez me permettre de féliciter nos hôtes, et tout spécialement M. Christian Poncelet, le Président du Sénat de la République française, pour cette remarquable initiative - la création d'une Association des Sénats d'Europe - car aujourd'hui, plus que jamais, se fait sentir la nécessité d'une enceinte pour le dialogue interparlementaire sur des questions liées à l'intégration européenne, enceinte qui puisse favoriser les échanges d'informations et d'expériences, tant au niveau parlementaire qu'au niveau des administrations parlementaires. Ensuite, je souhaite exprimer mes remerciements pour l'invitation à participer à ce moment tellement important dans l'histoire du bicamérisme, qui contribuera au renforcement de la dimension parlementaire de la coopération internationale.
Ce n'est peut-être pas par hasard que, ces jours-ci, le Sénat de Roumanie se trouve à l'heure du bilan : la fin d'une législature et, plus encore, d'une décennie d'oeuvre législative dans la Roumanie de cette fin de millénaire. C'est avec une juste fierté, je vous l'avoue, que j'ai pu constater que, dans l'ensemble, les lois élaborées pendant la législature actuelle s'insèrent de manière organique, d'une part, dans l'esprit et les principes fondamentaux du parlementarisme - le respect des valeurs universelles de la liberté humaine et de la démocratie - et, d'autre part, dans le processus de préparation de l'adhésion de la Roumanie aux structures européennes.
Ces principes fondamentaux se sont retrouvés aussi dans les débats du Sénat visant l'adoption d'un cadre législatif moderne, adapté aux réalités roumaines qu'il va réglementer, et, en même temps, harmonisé avec l'acquis communautaire, pour pouvoir parcourir avec succès toutes les étapes de l'intégration de la Roumanie dans les structures européennes. Dans cette perspective, on pourrait dire qu'ont été adoptés des actes normatifs dans les domaines des transports, du travail et de la protection sociale, de la justice, de la santé, de la politique extérieure, presque tous en concordance avec les normes communautaires. Une fois de plus, l'adoption de ces lois exprime, le plus éloquemment possible, l'option primordiale prise en vue de créer le cadre législatif et permettant de promouvoir les valeurs européennes dans toutes les dimensions de la réalité roumaine. Même si nous n'avons pas atteint au Sénat le niveau souhaité, on a réussi quand même à adopter, dans une mesure importante, les lois exigées par les réformes économiques et par la consolidation de l'État de droit.
En ce qui concerne une autre fonction de l'institution parlementaire, le contrôle parlementaire, elle s'est basée sur les dispositions constitutionnelles et a agi par l'intermédiaire des questions et des interpellations adressées au Gouvernement. Mais, ici, un débat assez intense s'est manifesté au sujet des ordonnances d'urgence et, peut-être, il serait nécessaire de définir plus rigoureusement les rapports entre le Parlement et le Gouvernement, tant en ce qui concerne le régime des ordonnances d'urgence que l'engagement de la responsabilité gouvernementale.
De même, je voudrais aborder, brièvement, l'implication du Parlement et, plus spécialement, du Sénat dans la politique extérieure de l'État. La diplomatie parlementaire s'est affirmée d'une manière authentique comme l'espace de l'intérêt national partagé, où les adversités politiques ont été laissées de côté pour faire place à un consensus réel et précieux de toutes les forces politiques parlementaires en ce qui concerne les questions fondamentales, et surtout la stratégie de l'adhésion de la Roumanie à l'Union Européenne.
Mais, comme dans le cas de tout bilan, outre les accomplissements, il faut savoir aussi ce nous nous proposons pour l'avenir afin de donner plus de vigueur au système démocratique roumain et afin d'assurer un fonctionnement plus efficace des structures de l'État de droit.
Au cours de cette législature, on a eu des discussions relatives à la nécessité de créer des différenciations plus nettes entre les deux Chambres : la Chambre des Députés et le Sénat. On a dit que l'existence de deux Chambres ayant des pouvoirs et des attributions parfaitement égales et élues de la même manière représente une solution lourde et que l'on ressent la nécessité de prérogatives différentes et complémentaires, de sorte à avoir un bicamérisme effectif. Je me réfère, par exemple, au fait que le Sénat devrait jouir de prérogatives plus importantes dans le cadre de la procédure d'adoption des lois organiques et des actes normatifs liés à la stratégie d'adhésion de notre pays aux structures européennes ou visant la reprise de l'acquis communautaire. De même, toute législation en matière de politique extérieure ou de défense nationale relèverait de la compétence du Sénat.
Comme vous pouvez le voir, tant à présent qu'en perspective, nous sommes très intéressés par l'examen de sujets concernant l'intégration européenne, car ce processus est loin d'avoir atteint son terme. Il reste beaucoup à faire pour préparer l'État et les structures économiques et sociales aux défis du XXIe siècle. Nous sommes conscients que l'Europe est très exigeante en ce qui concerne la reprise de l'acquis communautaire. Mais, que nous appartenions au pouvoir ou à l'opposition, il nous incombe à tous, en tant que parlementaires responsables, de veiller à ce que le processus de l'intégration - qui suppose aussi des sacrifices - ne soit pas discrédité aux yeux de l'opinion publique et de ne jamais oublier que le destinataire de cette architecture compliquée est le citoyen.
C'est pour cela que, en conclusion, je tiens à souligner que pendant cette phase où nos parlements ont un rôle crucial à jouer, cette Association nous est très utile, car au sein d'elle nous pourrons débattre et faire valoir notre expérience et nos idées.
M. Gernot Mittler, Président de la Chambre pour les Affaires européennes du Bundesrat d'Allemagne :
Je commencerai moi aussi par vous remercier chaleureusement, Monsieur Poncelet, de cette initiative que vous avez pris pour la seconde fois cette année puisqu'il s'agit de réunir les représentants des deuxièmes chambres. Au mois de mars c'était les Sénats du monde, cette fois-ci ce sont les Sénats d'Europe. Je voudrais également vous remercier du cadre dans lequel s'inscrit votre accueil et vous traduisez par là l'importance que vous accordez à cette réunion d'aujourd'hui.
Lorsque l'on voit autant d'Européens autour d'une même table, on est forcé de se rappeler que la journée de demain, le 9 novembre, marquera le onzième anniversaire de la chute du mur de Berlin. L'unification européenne a accédé ce jour-là à une nouvelle dimension et a acquis une nouvelle vitesse. Quelqu'un qui raisonne en termes historiques est parfaitement conscient de la chance que nous avons aujourd'hui d'accueillir ici d'éminents représentants des pays de ce que l'on appelait à l'époque le bloc de l'Est. Et je voudrais assortir ce constat d'une réflexion très personnelle. Je trouve que c'est un honneur insigne pour quelqu'un comme moi d'être à cette table. Mon père a fait la guerre en France ; mon père était en France comme soldat ; ensuite il a été en France prisonnier. Mon fils a vécu en France, à Montpellier d'abord et ensuite à Paris, où il a fait ses études de médecine, et il a fait également des stages dans ce pays, et cela montre cette époque passionnante et heureuse de l'histoire que nous vivons aujourd'hui. Les Européens s'unissent pour être plus forts face à l'extérieur ; en réunissant les forces des uns et des autres, ils évitent qu'une concurrence intérieure inutile ne fasse une fois de plus resurgir les nationalismes du passé. Mais ce qui vaut face à l'extérieur, cette idée du renforcement par l'Union, doit également guider le comportement des régions en Europe. Plus l'Europe s'agrandira, plus il sera important que les régions aient un poids plus important dans cette structure d'ensemble.
Dans votre introduction, vous rappeliez, Monsieur le Président, les vertus du bicamérisme. Pour l'Allemagne, je ne peux que pleinement souscrire à cette observation et ma collègue Klaudia Martini l'a rappelé très clairement en mars dernier en soulignant que les secondes chambres ont un rôle éminent dans la préservation de l'identité régionale et territoriale. En Allemagne, le système bicaméral est depuis longtemps une partie intégrante, non seulement de notre loi constitutionnelle, mais aussi de notre réalité constitutionnelle. Par conséquent, il faudra prendre en considération les singularités de nos régions dans le contexte européen, et il faudra laisser à nos provinces et à nos régions la possibilité de s'exprimer. L'ambition européenne réussira d'autant mieux que les citoyennes et les citoyens accepteront ce processus, et cette acceptation de la part de la population européenne dépendra de cette identification à la diversité dans la construction européenne. Et tout cela supposera des structures, et je vous sais gré, Monsieur le Président, d'avoir pris l'initiative en ce sens.
Vous avez bien voulu nous proposer un projet de statuts sur lequel serait fondé le travail futur, je m'en félicite vivement. Je dois néanmoins émettre une petite réserve d'ordre chronologique qui tient à une spécificité allemande. Après-demain, le Président du Bundesrat changera. Le ministre président de mon Land sera remplacé pour un an par le ministre président du Land de Saxe. En cette période d'alternance, nous n'avons pas pu procéder à la concertation nécessaire au sein de notre chambre. Donc je serais heureux que vous preniez note de ma demande de ne procéder à l'adoption formelle de ce projet qu'après une consultation formelle du Bundesrat. Soyez assuré que nous n'allons pas rester sur le bord du chemin, soyez assuré que le Bundesrat voudra prendre pleinement part à cette nouvelle instance. En effet, il importe de donner un contenu concret à ces excellentes intentions.
M. Christian Poncelet :
En raison des circonstances, de l'alternance pour la présidence du Bundesrat, nous acceptons bien volontiers que vous différiez quelque peu votre réponse, mais celle-ci ne laisse aucun doute après les propos que vous avez prononcés. Je pense que mes collègues seront d'accord pour vous donner quelque délai de réflexion complémentaire pour pouvoir consulter la présidence nouvelle du Bundesrat.
M. Tone Hrovat, Président du Conseil national de Slovénie :
Monsieur le Président, permettez-moi de vous remercier en mon nom propre et au nom du Conseil Slovène de votre initiative. Je vous remercie aussi bien de l'initiative pour le forum des Sénats du monde que pour l'initiative d'aujourd'hui. La Slovénie est un jeune État qui fait ses débuts dans la démocratie et il est important pour notre Conseil d'agir dans le cadre bicaméral. Le système bicaméral n'a pas une longue tradition en Slovénie, nous n'avons été que plus attentifs aux expériences et aux conseils des États qui pratiquent ce système depuis longtemps. C'est l'occasion de remercier une fois de plus tous ceux qui nous ont aidés sur le chemin du bicamérisme. Je remercie particulièrement le président Poncelet et le Sénat français. Il y a bien d'autres Sénats que je devrais nommer, mais le temps presse. Permettez-moi de féliciter le Sénat français et son président de l'élaboration excellente du projet de statuts qu'on nous a soumis. Nous faisons partie des États qui ont quitté un système totalitaire pour la démocratie. Peut-être n'avons nous pas encore trouvé toutes les formes nécessaires et le fonctionnement de notre système bicaméral est peut-être encore à parfaire. C'est l'occasion pour moi d'inviter le président français et mes autres collègues des Sénats européens à se rendre en Slovénie. Nous pourrions discuter des problèmes que pose l'introduction du système bicaméral dans une jeune démocratie. Je souhaite vous proposer que l'année prochaine ou l'année suivante nous tenions une réunion en Slovénie sur l'introduction du système bicaméral dans les jeunes démocraties. Une fois de plus je remercie le président français de l'initiative d'aujourd'hui et de l'aide que vous nous avez apportée dans l'élaboration du bicaméralisme en Slovénie.
M. Christian Poncelet :
Je vous remercie de votre pertinente intervention. En ce qui nous concerne, nous observons avec satisfaction les efforts importants que vous réalisez pour être en mesure d'entrer dans les meilleurs délais dans l'Union européenne. Vous vous appliquez à vous-même cette fameuse formule : « Aide-toi, le ciel t'aidera ». Vous nous avez invités à nous rendre en Slovénie. C'est avec plaisir que nous nous y rendrons, mais il appartiendra tout à l'heure à nos collègues, car il y a plusieurs candidatures, de décider du lieu de la prochaine réunion sur la base d'une rotation qui nous permettra de nous rendre successivement dans tous les pays qui composent cette association.
M. Bruno Frick, Président de la commission des Affaires extérieures du Conseil des États de Suisse :
Tout d'abord, je tiens à vous remercier très chaleureusement de votre initiative et de votre accueil cordial ici au Palais du Luxembourg.
Le système bicaméral suisse remonte à 1848, c'est-à-dire à la fondation de la Confédération suisse. Les deux chambres jouissent de pouvoirs absolument égaux. Dans tous les pays qui le pratiquent, le bicamérisme a deux vertus principales ; il permet une représentation plus variée de la population et il assure une délibération plus approfondie des lois. Alors que le Conseil national représente le peuple suisse et compte 200 députés, le Conseil des États assure la représentation des cantons et compte seulement 46 membres (deux représentants par canton). En Suisse, la Chambre des cantons est le dépositaire des structures fédéralistes et du principe de subsidiarité. Elle permet de ce fait aux petits cantons de faire entendre la même voix que les grands frères. Le prestige de la Chambre haute remonte au début du siècle, plus précisément depuis son élection par le peuple et non plus par le Parlement cantonal. Le travail en commission s'étant développé, les députés aux États, précisément parce qu'ils sont moins nombreux, sont d'autant plus sollicités. Les textes sont examinés sous des angles différents en fonction d'intérêts différents. Ils sont cousus plutôt deux fois qu'une. La Chambre haute joue le rôle essentiel de chambre de réflexion.
Ce bref rappel historique de notre héritage civique étant posé, je me permets de rappeler dans cette enceinte prestigieuse l'importance des vocables « échange » et « communication ». Toute attitude envers la communication est fonction d'une vision générale de l'homme et de la société. En effet, toute volonté de communication implique les notions d'interaction, de construction conjointe, de mise en commun des connaissances et des réalités. L'interaction suscitée par l'Association des Sénats d'Europe constituera à n'en point douter un moyen efficace de privilégier la communication et l'argumentation politiques. « Comprendre pour mieux communiquer, communiquer pour mieux gouverner » pourrait être la devise de notre future Association des Sénats d'Europe.
Votre projet d'Association des Sénats d'Europe, Monsieur le Président Poncelet, a d'emblée suscité un vif intérêt auprès de notre Président du Conseil des États, notre Sénat. Je vous fais part aujourd'hui du soutien sincère et de la participation de mon pays à votre initiative. Permettez-moi également d'ouvrir ici une parenthèse, de vous féliciter pour une autre de vos initiatives, à savoir les stages en entreprise effectués par certains de vos sénateurs. L'une comme l'autre tendent à resserrer les liens entre les politiques et les acteurs de l'économie et de la vie sociale. L'une comme l'autre militent en faveur d'une démocratie de proximité, garante d'un partage des préoccupations et des expériences communes, garante également d'une défense de la démocratie, de l'équilibre des pouvoirs et du respect des intérêts des collectivités territoriales. Et c'est donc avec confiance et enthousiasme que nous répondrons présent à la prochaine réunion annuelle des présidents tout en approuvant votre proposition d'inscrire à son ordre du jour un thème convenu par avance.
M. Carlo Rognoni, Vice-président du Sénat d'Italie :
Sans plus attendre, j'aimerais vous dire, Monsieur le Président, à quel point la présidence du Sénat italien appuie l'initiative qui a été proposée. Ceci étant, cette ambiance amicale de la réunion d'aujourd'hui me pousse à un effort de sincérité et je me dois de faire état de l'état d'esprit, non sans contradiction, avec lequel nous avons assisté à cette initiative en Italie. Pourquoi cette contradiction ?
Parce que, d'une part, nous sommes amenés à la plus grande prudence face à des initiatives qui pourraient être l'antichambre ou le premier mouvement d'une rupture possible de la réalité italienne, laquelle prévoit un bicamérisme complet. En Italie, il est essentiel, pour faire fonctionner la machine législative, d'avoir une action des deux Chambres. Je me rappelle que le président de la Chambre du Canada, lors d'une rencontre à New York à l'occasion d'une réunion du G8, avait fait valoir le point de vue opposé et que j'avais tenu à souligner que la parité était essentielle dans la République italienne entre les deux Chambres.
Mais nous sommes, d'autre part, très intéressés par la proposition de M. Poncelet et par cette enceinte qui serait ouverte à des pays qui ne sont pas encore membres de l'Union européenne et à d'autres pays qui, sans doute, ne le seront jamais. Nous sommes intéressés par cette idée aussi en raison de la réalité politique italienne. L'élection des présidents des régions italiennes, qui s'est faite pour la première fois au printemps dernier, a amorcé un processus de réforme institutionnelle qui pourrait nous mener, à terme, vers le fédéralisme et vers l'octroi d'un plus grand pouvoir aux régions.
Or cette tendance à la décentralisation administrative, à la redistribution des pouvoirs du centre vers la périphérie, qui est liée à l'élection directe du président des régions en Italie, a ouvert un débat sur le rôle et sur l'avenir des deux Chambres. Je suis donc très intéressé, au même titre d'ailleurs que tous les autres sénateurs italiens, par les différentes modalités du bicamérisme. Comment peut fonctionner ce système dans les différents pays ? Comment peut-on représenter les territoires ? Comment peut-on le mettre en oeuvre au mieux et comment l'exercer au mieux, étant entendu que l'objectif qui est le nôtre, c'est améliorer autant que faire se peut la qualité de notre fonctionnement démocratique ?
Je vous remercie, Monsieur le Président, et je vous rappelle encore à quel point nous adhérons à cette idée d'Association.
M. Armand de Decker, Président du Sénat de Belgique :
Monsieur le Président, je voudrais avant toute chose vous féliciter. Parce que indiscutablement le Sénat français, sous votre Présidence, est devenu le meilleur, le plus dynamique, le plus efficace, le plus chaleureux et le plus hospitalier des défenseurs du bicamérisme auquel les uns et les autres nous tenons tant, mais qui pourtant fait régulièrement l'objet d'interrogations, voire d'agressions. Vous avez eu l'excellente idée d'organiser le Forum des Sénats du monde au Palais du Luxembourg, il y a quelques mois, et je suppose que tous les collègues ici présents qui ont assisté à cette réunion ont, comme moi-même, jugé que cette réunion était d'un intérêt tout à fait exceptionnel. Nous avons pu, à cette occasion, mesurer que, pour les grands États comme pour les plus petits États, pour les États fédéraux comme pour les États centralisés, pour les monarchies comme pour les Républiques, pour les régimes présidentiels comme pour les régimes parlementaires, le bicaméralisme est utile à la défense des valeurs démocratiques.
Vous avez bien fait, Monsieur le Président, de nous rappeler dans votre introduction, non seulement que le système bicaméral permet une meilleure représentation des entités territoriales de nos différents États, mais aussi que le bicamérisme en soi est un élément de démocratie tout à fait fondamental par le principe contradictoire qu'il introduit, par le délai, par le temps qu'il implique, par le système de la navette législative qui donne à chaque corps de la société civile de nos États le temps de réagir par rapport à des initiatives gouvernementales, ou à des initiatives parlementaires. Je vous félicite une fois de plus d'avoir pris cette initiative de créer une Association des Sénats européens parce que cela nous donnera l'occasion, non seulement d'échanger nos expertises, nos expériences et donc de nous renforcer en apprenant beaucoup les uns des autres.
Déjà ce matin, je trouvais que les exposés de nos collègues étaient particulièrement intéressants dans la mesure où, très diversifiés, ils exprimaient les préoccupations des différents Sénats, selon les États. Le Président Korthals Altes a rappelé que ce sont les Belges, pendant les quinze années de notre vie commune au sein des Pays-Bas, qui ont combattu pour obtenir une deuxième Chambre aux Pays-Bas, dans le but de garantir les intérêts belges. Il n'empêche qu'aujourd'hui parfois aux Pays-Bas, M. Korthals Altes l'a dit, la première chambre est parfois mise en question. De même, chez nous, qui nous sommes battus au sein des Pays-Bas pour créer ce Sénat, qui avons un Sénat depuis notre indépendance en 1830, régulièrement, revient le débat sur l'utilité du bicamérisme. Et dès lors je pense vraiment que l'Association que nous créons aujourd'hui est fort importante pour la défense même du système bicaméral en soi et la mise en valeur de ses qualités intrinsèques.
Maintenant, je voudrais me situer au niveau européen. Nous vivons la réconciliation européenne, nous vivons le retour de l'histoire européenne dans son juste rythme et dans sa démarche naturelle et nous devons en profiter. Je pense que nous pourrions nous servir de l'Association des Sénats d'Europe pour aider nos amis de l'Europe orientale dans leur processus d'adhésion à l'Union européenne, dans ce processus très difficile auquel ils vont être confrontés de l'introduction de l'acquis communautaire dans leur législation nationale. Hier, le Parlement belge, Chambre des Représentants et Sénat, a signé un protocole de coopération avec le Parlement slovaque. C'est pour nous le premier accord de coopération de ce genre et de cette importance. Pendant les deux prochaines années, trois délégations successives de sept parlementaires slovaques viendront passer un certain temps au Parlement belge ; trois délégations de fonctionnaires du Parlement slovaque viendront au Parlement belge de la même manière. Mais évidemment nous n'avons pas les moyens de multiplier ce genre d'initiatives à l'infini et nous devons choisir quelques États avec lesquels nous pouvons le faire. Mais je pense que tous ensemble ici nous pourrions très certainement nous répartir la tâche et aider les pays candidats à l'Union européenne dans cette approche du problème de l'introduction de la législation européenne dans leur propre législation.
Et puis, Monsieur le Président, vous avez dit dans votre introduction qu'un des thèmes que nous pourrions aborder est la question du contrôle de la politique européenne par nos secondes chambres. Je suis persuadé que nous sentons tous fort bien que la construction européenne est un peu à la croisée des chemins et que la forme, les institutions de l'Union européenne, ne sont plus adaptées à une Europe qui, demain, devra fonctionner à 25, à 28, peut-être à 30. Étant donné que pour nous, Belges, la construction européenne est avant tout un projet politique et non pas seulement la volonté de créer un grand marché économique, nous voulons que l'Union européenne serve à multiplier les pôles de la vie politique du monde ; nous sommes un peu fatigués du monde unipolaire dans lequel nous vivons, où les États-Unis sont la seule véritable grande puissance du monde et détermine, d'une manière démesurée, le destin des autres habitants de la planète. L'Union européenne est un projet qui vise à rééquilibrer cela, et dès lors qu'on travaillera dans cette voie, il faudra approfondir l'Europe et la question de la Constitution européenne sera posée. Le ministre allemand des Affaires étrangères, M. Fischer, l'a posée, au bon moment. Le Président Chirac y a réagi ; d'autres ministres et Premiers ministres ont réagi à cette initiative, et il me paraît évident que, lorsque l'Union européenne aura progressé vers une entité plus forte, la question du bicaméralisme de l'Union européenne se posera. Il n'existe pas d'État fédéral unicaméral, nous le savons bien. Je l'ai dit un jour, dans un discours à l'Assemblée de l'UEO qui portait sur le contrôle de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union, le contrôle parlementaire sur une politique intergouvernementale de l'Union ne peut pas être exercé uniquement par le Parlement européen. Il est évident que les parlements des États membres de l'Union qui prennent la décision d'envoyer des troupes sur le terrain pour des missions de paix, qui votent les budgets de la défense et des affaires étrangères, resteront concernés encore très longtemps par la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union. Et dès lors, il faudra trouver une entité parlementaire européenne. Une entité collective différente de la COSAC où les parlementaires arrivent d'une manière nationale autour d'une table, à la différence du Parlement européen, du Conseil de l'Europe, de l'Assemblée de l'UEO. Il faudra cela pour le contrôle des politiques intergouvernementales de l'Union européenne, et dès lors la question du bicamérisme européen se posera. Je crois, mais je parle là en mon nom personnel, que notre Association pourrait à un certain moment y réfléchir.
Tout ça pour dire, Monsieur le Président, que je me réjouis de votre initiative, que le Sénat belge la soutient totalement, que nous sommes parfaitement d'accord avec votre projet de statuts, qui paraissent tout à fait équilibrés. On y ressent d'ailleurs l'expérience de la Conférence des Présidents des parlements de l'Union européenne, et c'est une bonne chose. Comme nous tenons aujourd'hui une première réunion constitutive, je propose que la première réunion réelle de notre assemblée se tienne à Paris, Monsieur le Président, parce que vous aurez porté la responsabilité de cette initiative. Quand cela sera fait, je serai très heureux de pouvoir, à mon tour, vous accueillir à Bruxelles lorsque notre Association le souhaitera utile.
M. Johann Payer, Président du Bundesrat d'Autriche :
Au début de mes propos, permettez-moi de vous remercier de nous avoir invités à cette réunion et de vous remercier de cette initiative du Sénat français de réunir les secondes chambres des pays membres de l'Union européenne et des pays candidats.
Alors que les premières chambres de nos parlements ont plus ou moins les mêmes fonctions, les finalités des secondes chambres sont très diverses. Le Bundesrat autrichien est une chambre fédérale, c'est la chambre qui représente les länder, les provinces autrichiennes. Nos neuf länder autrichiens ont eu un rôle majeur lors de la création de l'État autrichien, et par conséquent il est tout à fait dans la logique de notre Constitution d'offrir aux länder un rôle de poids dans le travail législatif. Les membres de notre seconde chambre sont élus indirectement par les parlements provinciaux. Le Bundesrat a pour rôle de préserver et d'assurer le fédéralisme.
Il y a beaucoup de secondes chambres en Europe qui sont très différentes de celle que j'ai l'honneur de représenter aujourd'hui. Face à cette diversité d'objectifs, de finalité, de composition, on relève néanmoins des convergences qui méritent d'être explorées. Ces convergences, ces points communs, sont parfaitement exprimés dans le préambule du projet qui nous a été communiqué. C'est un défi auquel nous sommes nombreux à être confrontés qui tient au fait que les secondes chambres doivent sans cesse justifier leur existence, justifier leur travail et justifier leur nécessité politique. Dans un tel contexte, nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres. Nous pourrions encore, en nous projetant dans l'avenir, observer un certain nombre d'évolutions, de développements sociétaux dont nous pourrions discuter ensemble, et sur lesquels nous pourrions travailler dans nos parlements nationaux, non pas parce que nous décidons de ces évolutions sociales mais parce qu'elles nous paraissent importante pour chacun d'entre nous et pour nous tous ensemble. Voilà pourquoi je suis fondamentalement favorable à une coopération des secondes chambres en Europe.
Le projet de statuts, que j'ai reçu il y a quelques jours, appelle néanmoins un débat approfondi dans la chambre autrichienne que je représente. Et nous n'avons pas eu le temps d'en débattre de façon détaillée. Or, cela est notamment nécessaire pour le Bundesrat autrichien parce qu'il y a une alternance de la présidence semestrielle et je risquerai aujourd'hui de m'engager au nom du président qui va me succéder. Ma présidence arrive à échéance au 31 décembre 2000, et pour le prochain semestre, ce sera un autre land qui aura la présidence de notre Bundesrat.
Cela dit, je peux déjà dire à titre personnel que l'Autriche ne restera pas sur le bord de la route. Il y a quand même un point que je voudrais évoquer complètement, peut-être faudrait-il réfléchir à la possibilité d'organiser les réunions de l'Association, pour des raisons de coût et de temps, en marge de l'une des réunions interparlementaires qui se réalisent déjà entre les pays européens ou les pays de l'Union européenne. Il ne s'agit pas de préparer ces autres réunions ; il s'agit d'avoir nos sujets à nous, mais de raccrocher nos réunions à des rencontres qui se tiennent de toute façon dans les différents pays d'Europe. Je voudrais remercier vivement le Sénat français et son président, M. Poncelet, d'avoir formulé cette idée d'une coopération et d'avoir pris l'initiative de cette conférence.
M. Pjer Simunovic, chargé d'affaires près l'Ambassade de Croatie en France :
Monsieur le Président, le Sénat croate, la Chambre des Districts, présente ses excuses les plus sincères pour ne pas avoir pu envoyer ses parlementaires à la réunion fondatrice de l'association des Sénats d'Europe en raison de la maladie qui a empêché Madame la Présidente. J'informerai le Sénat croate, qui est extrêmement désireux de prendre sa place dans l'Association des Sénats d'Europe, des propos tenus au cours de cette réunion fondatrice. Enfin, je vous prie de me permettre de le dire comme diplomate de profession, je suis très heureux de voir aujourd'hui un exemple si réussi de la diplomatie parlementaire qui représente un élément indispensable du processus de la coopération entre les nations démocratiques sur notre continent et de l'intégration européenne qui est notre but commun. Je ne dis pas cela seulement parce que la diplomatie parlementaire facilite notre tâche à nous, comme diplomates professionnels, mais parce qu'elle a une valeur par elle-même. Nous ne pouvons que saluer de tout notre coeur cette réunion fondatrice et remercier la présidence française et Monsieur Poncelet personnellement pour son initiative et son enthousiasme.
M. Marc Besch, Secrétaire général du Conseil d'État du Luxembourg :
Je vous remercie Monsieur le Président, et je tiens à vous féliciter au nom du Conseil d'État luxembourgeois, de votre excellente initiative visant à créer une Association afin de permettre d'établir des relations plus étroites entre les Sénats d'Europe. Le Conseil d'État est très honoré d'avoir été pressenti pour faire partie, en tant qu'observateur, de cette Association. En mai dernier, j'ai eu le plaisir d'assister à la création d'une Association des Conseils d'État et autres juridictions administratives. Donc, on constate que le droit communautaire et la construction communautaire poussent les institutions à avoir des échanges plus étroits pour mieux intégrer le droit communautaire en droit national, comme vous l'avez dit au début de votre intervention, et pour faire des textes législatifs d'une qualité supérieure.
Comme le montre notre nom, nous ne sommes pas un Sénat, nous sommes bel et bien un Conseil d'État. Les petits pays ont parfois de ces particularités qui peuvent étonner parce qu'elles ne rentrent pas dans l'une ou l'autre catégorie. En fait, nous ne sommes pas non plus un vrai Conseil d'État, ou du moins nous ne sommes plus un vrai Conseil d'État. En effet, nous avons perdu le Comité du contentieux, donc la mission juridictionnelle, il y a trois ans, à la suite d'un arrêt de la Cour des droits de l'Homme de Strasbourg. Nous n'avons plus qu'un rôle consultatif, assorti toutefois d'une mission relevant plutôt d'un Sénat ou d'une deuxième chambre. En effet, le Luxembourg ne connaît pas de Sénat. Il faut savoir, pour remonter un peu dans l'histoire, qu'en 1848 nous avons copié la Constitution belge de 1830 qui a été, à cette époque-là, un modèle de libéralisme, sans toutefois reprendre un chapitre très important, celui du Sénat. En effet, le constituant a estimé que le Luxembourg était trop petit pour créer un vrai Sénat. Bien évidemment, on a dû quand même très vite se rendre compte que ce système-là, et cela rejoint un peu votre objectif, a été très déficitaire. En effet, la chambre des députés était apte à faire des lois à la va-vite, sans prendre le temps de vérifier si ces lois étaient praticables, si elles étaient conformes à la Constitution ou aux normes supérieures.
C'est pour cela que le Conseil d'État a été créé en 1856, avec une vocation consultative. C'était à cette époque là le conseiller de la Couronne ; il devait émettre un avis sur tout projet de loi, sur toute proposition de loi, ainsi que sur tous les amendements. Le Conseil d'État luxembourgeois se distingue des Conseils d'État de nos pays voisins dans la mesure où il intervient à tous les stades de la procédure législative, et bien évidemment aussi réglementaire. Nous sommes souvent enviés par nos collègues des Conseils d'État voisins pour cette mission qui est toujours la nôtre.
Il y a eu une révision constitutionnelle assez fondamentale en 1868, et la question du Sénat y fut examinée une nouvelle fois. C'était le Conseil d'État qui proposait la création d'un Sénat. Or, le constituant n'a pas suivi le Conseil d'État sur ce point, à nouveau avec les mêmes arguments que ceux qui avaient prévalu en 1848. Mais il a trouvé une solution, je dirai à la luxembourgeoise, dans la mesure où tout projet de loi ou toute proposition de loi doit faire l'objet d'un deuxième vote au plus tôt trois mois après le premier vote, toujours par la chambre des députés, avec la faculté toutefois pour le Parlement de se dispenser de ce second vote, lorsqu' intervient le Conseil d'État. Ce n'est qu'avec l'accord du Conseil d'État que la chambre peut se dispenser de ce second vote. La règle en fait est devenue l'exception ; le Conseil d'État en effet émet sa dispense de second vote dans 99 % des cas, étant donné qu'il est suivi dans ses avis. Pour les projets de révision constitutionnelle, la consultation du Conseil d'État et la procédure de dispense du second vote jouent également.
Cependant, le Conseil d'État n'est pas directement élu par le peuple, à l'instar d'autres Sénats ou d'une région du territoire luxembourgeois. Au Luxembourg, il y a un certain nombre de personnes qui critiquent le fait que le Conseil d'État n'est pas directement élu.
En fait, nous ne sommes pas vraiment un Conseil d'État, et nous ne sommes pas vraiment un Sénat. Nous sommes entre les deux. Je tiens donc à vous remercier d'avoir invité le Conseil d'État à prendre part à vos travaux. Nous y trouvons un grand intérêt car il y a un certain nombre de problèmes qui se posent aussi pour nous ; par exemple la question de savoir ce qu'est un amendement ; c'est une question qui se pose pour les Sénats en principe ; également l'intégration du droit communautaire dans le droit national ; le souci de faire de bonnes lois qui puissent être appliquées en pratique et qui respectent les normes de droit supérieur telle la Constitution et le droit international. Je tiens encore une fois à réitérer mes félicitations à Monsieur le Président Poncelet et à vous remercier de nous accorder le statut d'observateur.
À l'issue de ce débat, le projet de statuts soumis aux participants a été adopté sans modification, sous réserve des confirmations qui devront être formulées par le Bundesrat allemand et le Bundesrat autrichien, en raison du changement de leurs présidents.
L'Association a ensuite débattu des dates et thèmes de ses prochaines réunions.