Sénats d'Europe - Les Sénats et la représentation des collectivités locales



Palais du Luxembourg, 6 juin 2001

M. Alfredo Prada Presa, Premier Vice-président du Sénat espagnol :

En tout premier lieu, je souhaite transmettre les excuses de Mme la Présidente du Sénat espagnol, Mme Aguirra, qui malheureusement n'a pu se rendre à Paris aujourd'hui et n'a pu participer avec vous à cette réunion, comme elle aurait souhaité le faire.

La vie politique et constitutionnelle des pays que nous représentons présente bien des paradoxes et aucun paradoxe n'est aussi fort que celui que représente le bicamérisme. S'il est vrai que les critiques contre les secondes chambres sont assez nombreuses depuis un certain temps, un simple coup d'oeil à cette salle permet de constater que quasiment la totalité des pays qui nous entourent se sont dotés, soit il y a fort longtemps, soit au titre de réformes constitutionnelles plus récentes, d'un système bicaméral.

Face à la longue liste de raisons que l'on peut faire valoir contre cette seconde chambre, on parvient à la conclusion que, généralement, le choix de cette solution est lié à la réalité sous-jacente de la société dans laquelle elle est présente. A cet égard, je rappellerai les termes de Bagehot, un penseur et politicien anglais du XIX e siècle, qui disait, au sujet de la Grande-Bretagne, « il est évident que nous n'aurions pas besoin d'une chambre haute, si nous avions une chambre basse parfaite » , représentant comme il se doit la Nation, c'est-à-dire de manière toujours modérée, et jamais avec passion, et, si en aucun cas elle ne faisait fi des procédures parfois détaillées et très lentes qui sont nécessaires pour que l'on puisse analyser comme il se doit les problèmes.

En Espagne, il faut le rappeler, nous avons un rôle important, en particulier en raison de la fonction de représentation territoriale de notre seconde chambre. Une partie de notre Sénat est élue, avec un nombre égal de sénateurs pour chaque circonscription, quelle que soit la population. Une autre partie est constituée de sénateurs, désignés par les parlements autonomes. Et puis, il y a les villes de Ceuta et Melilla qui élisent deux sénateurs. Il y a un sénateur par communauté autonome en Espagne, plus un sénateur par million d'habitants.

Sur les 259 sénateurs que compte notre Sénat, 208 sont élus par les provinces et les autres sont désignés par les parlements autonomes. Le caractère de représentation territoriale du Sénat espagnol se manifeste également dans ses fonctions.

Il y a également une participation différente entre le Sénat et le Congrès des députés aux différents dossiers politiques, en particulier pour toutes les compétences interterritoriales, par exemple la conclusion d'accord entre les différentes entités autonomes. Il y a également une intervention spécifique au titre du budget, prévue par la Constitution. C'est un point important lorsque les communautés autonomes prennent des décisions qui vont à l'encontre de l'intérêt général des Espagnols et que celles-ci requièrent l'intervention du Gouvernement.

L'autorisation du Sénat est prévue en amont de l'intervention du Gouvernement. N'oublions pas non plus que les gouvernements autonomes doivent participer aux débats de la Commission générale des communautés autonomes. Et dans le règlement, il est également prévu un certain nombre de choses qui montrent nettement ce caractère territorial. Il existe par exemple des groupes territoriaux au sein des groupes parlementaires qui sont constitués de sénateurs provenant d'une même communauté et représentant le même groupe parlementaire.

De plus en plus en Espagne, les institutions politiques souhaitent renforcer le pouvoir du Sénat en tant qu'entité de représentation territoriale, en 1994, a été créée la commission générale des communautés autonomes qui a des compétences particulières dans le domaine de la gestion des entités autonomes.

L'emploi des langues officielles est autorisé dans le cadre de cette commission ; la présence des représentants des gouvernements autonomes au sein de cette commission est également prévue, ainsi que celle des conseillers gouvernementaux de ces pouvoirs locaux et des présidents des autonomies locales.

Après les dernières élections en mars 2000, la réforme éventuelle du Sénat est redevenue d'actualité. La Chambre a ainsi adopté, le 16 mai 2000, une motion relative à une réforme du Sénat, en particulier en vue de renforcer ses activités en tant qu'expression de la pluralité espagnole. La recherche du plus large consensus est le principe directeur de cette réforme.

Un dialogue a été entamé entre les différents présidents des communautés autonomes et les porte-parole des groupes parlementaires respectifs. La répercussion de différents phénomènes, tels que les formules qui permettraient de renforcer l'utilisation de langues qui - au même titre que l'espagnol - sont des langues officielles dans certaines communautés autonomes, doivent être analysées. On a également convenu de mettre en place un observatoire autonome, une sorte de bureau d'analyse de toutes les questions territoriales qui se concentrerait plus précisément sur les aspects économiques.

Et enfin, on se propose d'entamer un processus de réflexion sur la participation des présidents des communautés autonomes au sein de la Chambre, pas sous la forme actuelle, dans le cadre de la Commission générale des Communautés autonomes, mais bien au coeur même, et de plein droit dans les débats du Sénat.

Les provinces et les municipalités existent depuis un certain temps en Espagne et nous avons voulu renforcer les garanties constitutionnelles de ces différentes entités. Le Sénat, réuni en séance plénière le 11 octobre 2000, a approuvé une réforme du règlement qui prévoit la création d'une commission permanente non législative, la commission des entités locales. C'est une commission qui souhaite renforcer le rôle des municipalités et des provinces, un rôle qui est pleinement reconnu dans notre Constitution qui garantit leur autonomie. Il s'agit d'un nouvel instrument qui doit permettre d'offrir un lieu de débat, qui doit recueillir les aspirations et entendre les problèmes que connaît l'administration locale. Il s'agit également d'offrir de nouvelles opportunités à l'administration autonome au sein de la Chambre.

Bien que nous ayons toute une série de propositions qui sont étudiées et qui visent à la création d'un Sénat, véritable Chambre de représentation des Communautés, il ne faut pas oublier pour autant que le Sénat a une nature de Chambre parlementaire. Il fait partie des « Cortes » de notre Parlement espagnol et a, à ce titre, une fonction législative et de contrôle de la politique du Gouvernement prévue par la Constitution. La configuration du Sénat espagnol et ces tentatives de réforme nous permettent de constater que la fonction de représentation des communautés autonomes qui est très importante dans les secondes chambres, surtout lorsqu'on est en présence d'un État fédéral, pourrait tout à fait se constituer autour des secondes chambres des États unitaires.

Et je crois qu'à ce moment-là, elles peuvent servir de trait d'union entre les pouvoirs locaux et le Parlement national sans pour autant renoncer à leur fonction de chambre de seconde lecture. Cette fonction, bien que critiquée, nous semble encore aujourd'hui essentielle pour garantir le bon fonctionnement d'un État démocratique. Et puis pour reprendre ce que disait John Steward Mill, qui était un défenseur infatigable des secondes chambres : « Une majorité dans une Chambre unique, une fois qu'elle a un caractère permanent, peut assez facilement se transformer en despote arrogant, à moins qu'elle ne sente bien sûr que ses actes puissent être mis en concurrence par une autre instance constituée ». Et Lord Wice rappelait que « l'avantage de diviser le pouvoir législatif en deux instances, c'est que l'une des instances peut agir en tant qu'organe de réflexion et de correction des erreurs éventuelles de l'autre Chambre ».

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